St-Jean-sur-Richelieu (Ville de) c. Gap Capital inc. |
2011 QCCS 619 |
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JR1338 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
IBERVILLE |
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N° : |
755-17-000660-061 |
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DATE : |
17 FÉVRIER 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ANDRÉ ROY, J.C.S. |
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VILLE DE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU |
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Demanderesse |
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c. |
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GAP CAPITAL INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Gap Capital inc. peut-elle valablement invoquer des droits acquis pour justifier l'usage dérogatoire qu'elle fait de l'immeuble dont elle est propriétaire? Voilà la question que soulève le litige qui l'oppose à la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu (ci-après la « Ville »).
[2] Selon cette dernière, l'exploitation d'un bar et d'une salle de danse dans la zone où est situé l'immeuble concerné, au 35 de la rue St-Jacques, déroge à sa réglementation concernant le zonage et Gap Capital ne peut prétendre à des droits acquis à cet égard.
[3]
En conséquence, se fondant sur l'article
v
[4] À l'audience, les parties déposent les admissions suivantes :
1. L'immeuble de l'intimée a fait partie des zones suivantes pour les fins d'application de la réglementation de zonage de Saint-Jean-sur-Richelieu :
a) Entre le 19 mai 1993 et le 29 janvier 2002 : la zone 42-8 prévue au Règlement de zonage n° 2433 (pièce P-2);
b) Entre le 29 janvier 2002 et le 20 juin 2007 : la zone 42-11 prévue au Règlement de zonage nº 2433, tel que modifié par le règlement nº 0089 (pièce P-3);
c) Depuis le 20 juin 2007 jusqu'à aujourd'hui : la zone C-1015 prévue au Règlement de zonage nº 0651 (pièce P-14);
2. Les usages « bar » et « salle de danse » ont été autorisés, avec d'autres usages, dans la zone 42-8, puis dans la zone 42-11, et ce jusqu'au 19 novembre 2001, date de l'avis de motion en vue de l'adoption du règlement n° 0076 (pièce P-4);
3. À compter du 19 novembre 2001, les usages « bar » et « salle de danse » n'étaient plus autorisés dans la zone 42-11, à l'exception d'un bar comme usage additionnel à un usage principal de restaurant;
4. Le Règlement de zonage nº 0651 a maintenu l'interdiction des usages « bar » et « salle de danse » dans l'actuelle zone C-105, à l'exception d'un bar comme usage accessoire à un usage principal de restaurant;
5. En tout temps pertinent, l'usage « salle de spectacle » (sans nudité) constitue un usage qui était autorisé dans les zones 42-8, 42-11 et qui demeure autorisé dans l'actuelle zone C-1015.
[5] En plus de ces admissions, selon le procès-verbal d'une conférence préparatoire tenue en date du 22 janvier 2008, il est également admis que :
1. Gap Capital est propriétaire de l'immeuble concerné aux termes d'un acte de vente du 14 octobre 2004;
2. La Ville a mis en demeure Gap Capital de cesser l'exploitation d'un bar et d'une salle de danse dans l'immeuble en date du 17 août 2006.
v
[6] L'immeuble visé par la requête de la Ville porte l'adresse du 35, rue St-Jacques à Saint-Jean-sur-Richelieu.
[7] Une autre partie de l'immeuble, au numéro 35 A, rue St-Jacques, est exploitée comme bar par 9182-0662 Québec inc. Ce bar a porté successivement les noms de Bar Beethoven et La Commission des liqueurs et elle n'est pas visée par la requête de la Ville.
[8] Pendant le procès, les parties ont fait référence à un plan daté du 4 septembre 2000[2] qui illustre l'état des lieux situés au 35, St-Jacques au moment de l'acquisition de l'immeuble par Gap Capital en octobre 2004.
[9] Selon ce plan, quatre aires composent les lieux :
1. une salle de spectacle (199 places);
2. un amphithéâtre (224 places);
3. un petit espace qui contient une table de billard (15 places); et
4. un hall d'entrée comprenant une billetterie.
[10] Pour plus de commodité, une version réduite du plan P-5 est jointe au jugement. Les espaces mentionnés au paragraphe précédent ont été désignés ainsi :
A - salle de spectacle
B - amphithéâtre
C - petit espace avec table de billard
D - hall d'entrée/billetterie
[11] Dorénavant, le jugement fera référence à ces différents espaces comme étant les parties A, B, C ou D.
[12] L'espace C est fréquenté depuis longtemps par les usagers du Bar Beethoven, devenu La Commission des liqueurs, auquel il est rattaché et dont la Ville ne cherche pas à faire cesser l'usage en tant que bar.
[13] Les parties A, B, et D font partie de ce qui était autrefois un cinéma connu sous le nom de Le Cartier et, plus tard, La boîte à films, qui comptait deux salles (A et B) et un hall d'entrée/billetterie (D).
v
[14] Réal Boulanger acquiert le 35, St-Jacques en 1999.
[15] En 2000, il transforme une des deux salles de cinéma (partie A) pour en faire une salle de spectacle de type « cabaret » qu'il exploite sous le nom Le Cartier.
[16] C'est lui qui prépare le plan P-5 en septembre 2000 aux fins d'une demande de permis à la Régie des alcools, des courses et des jeux (ci-après la « Régie »).
[17] Dans la partie A, Boulanger retire les banquettes de cinéma, installe un bar et aménage un grand espace recouvert de tapis où sont disposées des tables et des chaises. Devant une scène située au fond de la salle, il construit une piste de danse en bois franc mesurant 25 pieds par 15 pieds (375 pieds carrés).
[18] La partie B demeure inchangée avec ses banquettes de cinéma et son plancher en pente vers la scène.
[19] Boulanger exploite les lieux comme salle de spectacle et de réception de décembre 2000 à septembre 2002. Il y présente des spectacles musicaux ou d'humour, y organise des soirées de danse avec disc-jockey ou l'offre en location pour des événements spéciaux.
[20] Pour vendre de l'alcool pendant ces événements, il demande et obtient de la Régie trois permis. L'alcool est servi à partir de trois bars, un dans la partie A, un autre dans le hall d'entrée (partie D) et un troisième situé sur une mezzanine au-dessus du bar de la partie A.
[21] Boulanger estime avoir tenu une centaine d'événements par année entre décembre 2000 et septembre 2002. Il ne vendait de l'alcool qu'à ces occasions. Il n'a jamais servi d'alcool de façon autonome, c'est-à-dire en absence d'un événement. Il est également arrivé que lors de certaines activités, il n'y ait aucun service d'alcool.
[22] Lors de spectacles ou de soirées disco, les clients dansaient sur la piste de danse aménagée à cette fin, devant la scène. La danse y était limitée sauf exceptionnellement, où les usagers dansaient entre les tables.
[23] L'aventure s'est avérée peu rentable pour Boulanger qui a organisé son dernier événement plusieurs mois avant la vente aux frères Sydney et Francis Trudeau.
[24] Sydney Trudeau et son frère Francis achètent l'immeuble le 11 septembre 2002. Ils en seront propriétaires jusqu'en octobre 2004.
[25] Ils exploitent la partie A surtout selon une formule de location. Elle sert de salle de spectacle, de réunion et de réception de mariage.
[26] Lors des spectacles ou de soirées disco, les usagers dansent sur la piste de danse devant la scène et occasionnellement ailleurs dans la salle.
[27] La partie B est très peu utilisée et sert d'espace de rangement.
[28] Pendant les deux années au cours desquelles les frères Trudeau ont été propriétaires des lieux, quelque 120 événements ont eu lieu dans la partie A, dont 90 où les gens ont dansé.
[29] Les Trudeau vendaient de l'alcool pendant ces événements à partir du bar situé dans la partie A et de celui situé sur la mezzanine (considérée l'espace V.I.P.). Ils n'ont pas vendu d'alcool à partir du bar situé dans le hall d'entrée (partie D) sauf lors d'une fête de la St-Sylvestre.
[30] Comme sous la gouverne de Boulanger, il y avait vente d'alcool lors de la tenue d'événements seulement.
[31] Entre le 1er janvier et le 31 mars 2004, ils ont loué les lieux aux frères Claude et Sylvain Lapointe.
[32] Ces derniers n'ont pas utilisé la partie B. Dans la partie A, ils ont tenu une soirée vins et fromages et ont présenté un spectacle de musique pendant une fin de semaine (Manuel Tadros). Ils n'ont vendu de l'alcool sur les lieux que lors du spectacle de Tadros.
[33] Le 1er avril 2004, ils ont remis les lieux aux Trudeau.
[34] Le 14 octobre 2004, Gap Capital dont Alexandre Poulin est désormais l'actionnaire unique, achète l'immeuble et en prend possession immédiatement.
[35] Peu après l'acquisition, Poulin honore certains engagements de l'ancienne administration, dont un spectacle « hard rock » et un party de Cégep. Le 31 décembre 2004, s'y tient également un party de la St-Sylvestre.
[36] Début 2005, Poulin entreprend des travaux visant à transformer les lieux. Ces travaux consistent notamment à :
1. démolir le mur séparant les parties A et B;
2. éliminer le plancher en pente dans la partie B pour le mettre au même niveau que celui de la partie A;
3. retirer tous les tapis;
4. agrandir la piste de danse;
5. installer deux bars additionnels;
6. installer divers équipements techniques sophistiqués, tels système de sonorisation, haut-parleurs et éclairage.
[37] Tous ces travaux sont réalisés sans que la Ville en soit avisée, Poulin n'ayant pas obtenu de permis de construction comme le requiert le Règlement de construction nº 2435[3] de la Ville.
[38] Selon Poulin, à la suite des travaux, l'état des lieux est celui qui apparaît au plan (produit sous la pièce P-6) préparé en août 2005 en vue d'augmenter la capacité d'occupation des lieux dans le cadre d'une demande de modification des permis adressée à la Régie. C'est ainsi que le permis d'alcool de catégorie « Bar » pour la partie A, incluant la mezzanine, est passé d'une capacité totale de 199 personnes à une de 543 personnes[4]. Poulin obtient également un permis additionnel pour la partie D d'une capacité de 211 personnes[5].
[39] Les parties A et B n'en forment plus qu'une, laquelle mesure 90 pieds par 60 pieds (5400 pieds carrés), et la superficie de la piste de danse a plus que doublé.
[40] Cette nouvelle salle porte désormais le nom de Complexe Beethoven. Poulin en fait la promotion sous le vocable de « Night Club », de « Club » ou de « Super Club »[6].
[41] Le commerce est désormais exploité les vendredis et samedis soir pour la tenue de spectacles (avec danse), pour la danse (discothèque) et comme bar (pour la consommation d'alcool sans autre activité).
[42] L'agent Patrick Desjardins, policier municipal affecté à l'équipe dont la tâche consiste à patrouiller à pied dans le centre-ville pour surveiller les établissements licenciés (dont le nombre varie de dix à vingt), remarque une importante affluence au commerce de Poulin (jusqu'à 1000 personnes) dès la fin de l'été 2005.
[43] Diverses « problématiques » s'y produisent :
1. rassemblements à l'heure de la fermeture et engorgement des voies publiques (trottoirs et rue);
2. bagarres;
3. vitrines de commerces avoisinants fracassées;
4. présence sur les lieux de mineurs.
[44] Ces problématiques se produisent également pendant l'été de 2006 et 2007 et iront en diminuant par la suite en raison de la baisse progressive d'achalandage.
[45] L'agent Desjardins précise que les problèmes pour lesquels les policiers doivent intervenir se produisent aussi dans d'autres établissements mais qu'ils sont plus importants au Complexe Beethoven parce qu'il y a plus d'affluence à cet endroit. Toutefois, lorsqu'ils rencontrent Poulin, ce dernier est toujours disposé à coopérer avec eux.
v
[46]
Les règles que doivent appliquer les tribunaux saisis d'une requête sous
l'article
[47] On les retrouve résumées dans deux arrêts, l'un de la Cour d'appel et l'autre, plus récent, de la Cour suprême du Canada.
[48] Dans l'arrêt Huot c. L'Ange-Gardien (Municipalité de)[7], la Cour d'appel souligne :
« Les principales conditions d'existence des droits acquis sont bien connues, maintes fois exposées en doctrine et en jurisprudence.
a) Les droits acquis n'existent que lorsque l'usage dérogatoire antérieur à l'entrée en vigueur des dispositions prohibant un tel usage était légal.
b) L'usage existait en réalité puisque la seule intention du propriétaire ou de l'usager ne suffit pas.
c) Le même usage existe toujours ayant été continué sans interruption significative.
d) Les droits acquis avantagent l'immeuble qui en tire profit. De tels droits ne sont pas personnels mais cessibles, suivant l'immeuble dont ils sont l'accessoire.
e) Ils ne peuvent être modifiés quant à leur nature et parfois quant à leur étendue bien que les activités dérogatoires peuvent être intensifiées en certains cas.
f) La seule qualité de propriétaire ne suffit pas quant aux droits acquis. »[8]
Le Tribunal souligne
[49] En 2001, la Cour suprême a également examiné la question des droits acquis dans l'affaire St-Romuald (Ville de) c. Olivier[9]. Au paragraphe 39, le juge Binnie, qui écrit pour la majorité, précise :
« 39. Voici donc la façon dont j’aborderai la question des limitations au droit acquis des intimés :
1. Il faut d’abord qualifier la fin visée par l’usage préexistant. La fin à laquelle les lieux ont été utilisés (c.-à-d. « l’usage ») est déterminée par la nature des activités réellement exercées sur le site avant l’entrée en vigueur des restrictions édictées dans le nouveau règlement.
2. Lorsque l’usage actuel correspond simplement à une intensification de l’activité préexistante, il pourra rarement être contesté. Toutefois, il se peut qu’il ne soit plus protégé si l’intensification est telle qu’elle n’est plus une question de degré, mais qu’elle entraîne, quant à ses effets sur la collectivité, un changement dans le genre d’activité exercée (comme dans le cas hypothétique de l’élevage de porcs analysé précédemment).
3. Dans la mesure où le propriétaire foncier étend ses activités au-delà de celles auxquelles il se livrait auparavant (comme lorsqu’un atelier d’encadrement sur commande a tenté d’ajouter une activité d’aménagement paysager dans Nepean (City) c. D’Angelo, les activités ajoutées peuvent être jugées trop éloignées des activités antérieures pour être protégées par l’usage dérogatoire. Dans un tel cas, les activités ajoutées ne sont tout simplement pas incluses dans quelque définition équitable que ce soit de l’usage préexistant et il n’est pas nécessaire d’évaluer les « effets sur le voisinage ».
4. Dans la mesure où des activités sont ajoutées ou modifiées dans les limites des fins originales (c.-à-d. des activités accessoires ou étroitement liées aux activités préexistantes), notre Cour doit soupeser l’intérêt du propriétaire foncier en regard de l’intérêt de la collectivité en tenant compte de la nature de l’usage préexistant (p. ex. la mesure dans laquelle celui-ci est incompatible avec l’usage des terrains voisins), du degré de proximité (plus la nouvelle activité se rapproche de l’activité originale, moins le droit acquis est contestable) et des nouveaux effets ou de l’aggravation des effets sur le voisinage (p. ex. l’ajout d’un concasseur de pierres dans un quartier résidentiel risque de déranger davantage le voisinage que l’ajout d’un télécopieur). Plus la perturbation est grande, plus la définition de l’usage préexistant ou du droit acquis sera restrictive. Cette démarche ne prive le propriétaire foncier d’aucun droit. Par définition, la limitation ne s’applique qu’aux activités ajoutées ou modifiées.
5. À moins qu’ils ne soient évidents, les effets sur le voisinage ne doivent pas être présumés; la partie qui les invoque doit en faire la preuve.
6. La qualification résultante du droit acquis (ou de l’usage dérogatoire légal) ne doit pas être générale au point de libérer le propriétaire des contraintes découlant de ce qu’il a fait réellement, ni être restrictive au point de le priver d’une certaine souplesse dans l’évolution raisonnable de ses activités antérieures. Le degré de souplesse peut varier selon le type d’usage. En l’espèce, par exemple, l’usage préexistant est l’exploitation d’un cabaret qui, de par sa nature, requiert du renouveau et du changement. Dans des limites raisonnables, il faut permettre ce changement.
7. Même si la définition des droits acquis comportera toujours un élément subjectif, les critères susmentionnés constituent une tentative d’asseoir la décision de notre Cour sur des faits objectifs. L’issue de l’analyse visant à qualifier l’usage ne doit pas reposer sur des jugements de valeur personnels, comme la question de savoir si les spectacles de danseuses nues sont plus ou moins déplorables que les spectacles de chanteurs de musique western. Malgré le respect que je lui porte, je suis incapable de considérer comme pertinente sur le plan du droit l’observation de mon collègue selon laquelle « [a]lors que les spectacles érotiques cherchent à attiser l’excitation sexuelle des spectateurs par la dénudation et le comportement suggestif des exécutantes, les spectacles westerns cherchent à divertir en mettant en valeur les talents particuliers de chanteurs, musiciens ou danseurs » (par. 76). L’idée que la musique sérieuse soulève les passions profondes est aussi très répandue, mais, en ce qui a trait aux droits acquis, il ne faut pas différencier les magasins de musique selon qu’ils offrent de la musique d’ambiance ou de la musique classique. »[10]
Le Tribunal souligne
Références omises
[50] Ces deux arrêts parlent de « compromis nécessaire » et de « juste équilibre » lors de l'analyse de la question des droits acquis, car deux droits s'opposent alors, savoir : celui d'un propriétaire d'utiliser sa propriété comme il l'entend et celui de la collectivité d'aménager de façon rationnelle son territoire.
[51] Mentionnons également, toujours au chapitre des principes, que le fardeau de la preuve de les établir, appartient à celui qui invoque les droits acquis[11].
[52] C'est à la lumière de ces principes que le Tribunal va disposer de la requête dont il est saisi.
[53] Au cours de l'audience, trois usages différents ont fait l'objet de la preuve : salle de spectacle, bar et salle de danse.
[54] En tout temps pertinent, l'utilisation de l'immeuble comme salle de spectacle est un usage conforme et la légalité de cet usage n'est pas remise en cause devant le Tribunal. Cet usage fait d'ailleurs l'objet du paragraphe 5 des admissions :
« 5. En tout temps pertinent, l'usage « salle de spectacle » (sans nudité) constitue un usage qui était autorisé dans les zones 42-8, 42-11 et qui demeure autorisé dans l'actuelle zone C-1015. »
[55] L'usage « salle de spectacle » ne fait donc pas l'objet des conclusions de la requête de la Ville.
[56] Il est également admis qu'à compter du 19 novembre 2001 (date de l'avis de motion en vue de l'adoption du Règlement nº 0076 amendant le Règlement de zonage nº 2433), les usages « Bar » et « Salle de danse », bien que conformes auparavant, ne sont plus autorisés dans la zone où se trouve l'immeuble de Gap Capital, au 35, rue St-Jacques.
[57] Ces usages exercés par elle dans cet immeuble ne sont donc pas conformes à la réglementation de la Ville concernant le zonage.
[58] On notera que ces deux usages étaient déjà interdits lorsque Poulin, en 2005, a procédé aux travaux de transformation à l'intérieur de l'immeuble sans détenir de permis à cet égard.
[59] Il soutient avoir consulté une préposée de la Ville qui lui aurait dit qu'il n'avait pas à obtenir un permis de construction avant de réaliser les travaux de transformation des lieux. Il ne l'a cependant pas fait entendre.
[60] Comme nous l'avons vu, le Règlement nº 2435 est clair et ne prête pas à interprétation. Il devait obtenir un tel permis. Ne l'ayant pas fait, il a procédé aux travaux sans que la Ville en soit avisée.
[61] Ce n'est qu'au cours de la seconde moitié de 2005, par divers préposés[12] que la Ville aura connaissance des travaux de transformation des lieux.
[62] Depuis ces travaux de transformation des lieux, Gap Capital a utilisé son immeuble du 35, St-Jacques pour y présenter des spectacles, y exploiter un bar et une salle de danse (discothèque) malgré l'entrée en vigueur du Règlement nº 0076 de la Ville. Peut-elle, comme elle le soutient, bénéficier de droits acquis pour ce faire à l'égard de ces deux derniers usages, et ce, en application des principes dont nous avons traité plus haut?
[63] Un seul témoin a été entendu pour établir l'usage fait des lieux avant le 19 novembre 2001. Il s'agit de Réal Boulanger.
[64] Il a été propriétaire des parties A, B et D à compter de 2000 jusqu'en septembre 2002.
[65] Boulanger n'a jamais servi d'alcool ni permis qu'on en consomme dans la partie B, partie dans laquelle Poulin a aménagé un bar lors des travaux de transformation en 2005.
[66] Pour ce qui a trait aux parties A et D, Boulanger n'y a jamais vendu d'alcool de façon autonome. La vente d'alcool dans ces endroits a toujours été accessoire à la présentation d'un spectacle ou d'un autre événement dans les salles A ou B.
[67] L'article 6 du Règlement nº 0076 a eu pour effet de ne plus autoriser dans l'immeuble l'usage « Bar » tel que défini au paragraphe 5.3 de l'annexe C du Règlement de zonage nº 2433 :
« 5.3 Le rassemblement des personnes pour consommer ou vendre des boissons, soit un établissement détenant un permis de brasserie, un permis de taverne, un permis de bar ou de club au sens de la Loi sur les permis d'alcool (L.R.Q., c. P-9.1). »
[68] Cet usage comporte deux caractéristiques :
1. le rassemblement de personnes pour consommer ou vendre des boissons (c'est la finalité de l'usage qui n'est désormais plus autorisé); et
2. Le fait de détenir un permis d'alcool.
[69] Sous la gouverne de Boulanger, bien qu'il détenait un permis d'alcool, la consommation ou la vente de boissons n'a jamais constitué une fin en soi, un usage principal. La vente d'alcool a toujours été l'accessoire d'un événement quelconque, spectacle ou autre, tenu dans les lieux.
[70] Or, un droit acquis ne peut naître d'un usage accessoire, mais doit résulter d'un usage principal, existant au moment de l'entrée en vigueur du règlement de zonage[13]. Gap Capital ne peut s'appuyer sur la vente d'alcool faite de façon accessoire comme le faisait Boulanger pour prétendre à un droit acquis d'exploiter l'immeuble comme usage principal de « Bar », en contravention de la réglementation municipale.
[71] Sauf pour ce qui a trait à la partie C de l'immeuble, Gap Capital n'a donc offert aucune preuve de l'exploitation d'un usage principal de « Bar » antérieure au 19 novembre 2001. Au contraire, l'usage principal de « Bar » dans les parties A, B et D a débuté avec Gap Capital à compter de 2005, après l'entrée en vigueur du règlement nº 0076.
[72] Concernant l'usage « Salle de danse », une admission convenue lors de la conférence préparatoire du 22 janvier 2008 traduit la position de Gap Capital à cet égard :
« 6. L'intimée a augmenté la capacité du bar opéré dans l'immeuble et a aménagé une section afin que les clients s'adonnent à la danse, cette activité étant accessoire aux activités de bar opéré par les intimées (sic). »
[73] Donc, selon elle, l'activité de danse ne serait qu'un accessoire de celle de bar sauf que, comme nous l'avons vu, l'usage « Bar » est lui-même dérogatoire et non protégé par droits acquis. Il en découle que l'usage accessoire doit suivre le même sort que l'usage principal.
[74] Gap Capital ne peut donc exercer une activité accessoire à un usage dérogatoire.
[75] Toutefois, au regard de la preuve présentée à l'audience, Gap Capital peut-elle, en s'autorisant de l'usage qu'en faisait Boulanger, prétendre à un droit acquis à un usage principal « Salle de danse »?
[76] Boulanger a affirmé que, sur l'ensemble des événements tenus pendant qu'il était propriétaire, trente ou quarante d'entre eux étaient des soirées disco.
[77] Cependant, à cette époque, la piste de danse consistait en un espace circonscrit, bien défini et limité à la surface de bois franc de 25 pieds par 15 pieds (375 pieds carrés) devant la scène dans la partie A. À l'examen du plan P-5, il ressort que cette superficie représente 10 % de la superficie totale des salles A, B et D sans compter la mezzanine.
[78] Après les travaux réalisés en 2005 (plan P-6), Poulin nous dira que la superficie des seules salles A et B (à l'exclusion de la partie D), devenues une seule, est de 90 pieds par 60 pieds (5400 pieds carrés) et que les clients dansent partout, sur presque toute la surface.
[79] Sous la gouverne de Boulanger, compte tenu de l'espace limité consacré à la piste de danse, 375 pieds carrés, l'activité de danse sur les lieux doit nécessairement être considérée comme un usage accessoire à celui de salle de spectacle et non pas comme un usage principal.
[80] En effet, la faible superficie consacrée à un usage, en relation avec le reste du bâtiment, constitue un critère pertinent pour que l'on puisse le qualifier d'accessoire.
[81] Le professeur Lorne Giroux, tel qu'il était alors, l'expliquait ainsi :
« En matière d'usage, il faut vérifier si l'usage que l'on prétend accessoire respecte cette hiérarchie. Pour faire cette évaluation, le tribunal utilisera divers critères comme la proportion de l'espace occupé par cet usage et l'intensité de son exercice, toujours en relation avec l'usage principal. Il s'agira de déterminer quel usage semble dominant comme le montre le passage suivant d'une récente décision où il fallait décider si on était en présence d'un restaurant avec un usage accessoire de scène pour spectacles et piste de danse ou plutôt d'un lieu d'amusement:
The difference between an entertainment facility and a restaurant appears to be one of emphasis. In an entertainment facility, the primary function is entertainment and the secondary function is dining. In a restaurant, the primary function is dining and the secondary function is entertainment. I have no hesitation in this case that the proposed use falls into the latter category of a restaurant with an accessory entertainment use.
[…]
Ce critère aide le tribunal lorsqu'il doit évaluer si l'usage accessoire est un complément de l'usage principal qui lui reste subordonné ou s'il ne s'agit pas plutôt d'un deuxième usage principal venant s'ajouter au premier. Il s'applique également pour rejeter une prétention à la légitimité d'un usage que l'on prétend accessoire dans les situations où cet usage est en réalité l'usage principal ou lorsque l'accessoire a « avalé » le principal ou l'a déplacé. »[14]
Références omises
[82] Or, sous l'administration de Gap Capital, la piste de danse prend presque toute la place. Les danseurs ne sont plus limités à l'ancienne superficie de 375 pieds carrés de la piste de danse d'antan. Désormais, les clients dansent partout, sur la scène et dans l'espace qualifié de « standing bar » sur le plan P-6.
[83] La piste de danse aménagée par Gap Capital lors des travaux de transformation réalisés en 2005, telle qu'illustrée sur le plan P-6, a plus que doublé, voire quadruplé, par rapport à cette superficie de 375 pieds carrés et elle empiète dans l'espace de la salle B où, auparavant, il n'y avait pas de piste de danse.
[84] En somme, les anciennes salles A et B sont devenues, à la suite des transformations de 2005, une vaste salle de danse alors que, depuis le 19 novembre 2001, l'usage « Salle de danse » est interdit dans l'immeuble.
[85] En réalité, la danse n'est plus une activité accessoire à un spectacle présenté sur les lieux, mais elle est devenue l'activité principale « Salle de danse ». Cette activité n'a aucune commune mesure avec celle qu'exerçait Boulanger et dont Gap Capital veut s'autoriser pour prétendre qu'elle bénéficie de droits acquis.
[86] Pour réussir, Gap Capital devait établir que les opérations commerciales qu'elle poursuit sont, dans les grandes lignes, de même nature que celle de ses auteurs[15]. Elle n'y est pas parvenue puisque ses activités, après les transformations de 2005, n'ont rien à voir avec celles que poursuivait Boulanger. Par ses travaux de 2005, Gap Capital a totalement modifié la vocation des lieux et elle ne peut se réclamer d'un droit acquis à cet égard.
[87] Pour paraphraser le juge Binnie dans l'affaire St-Romuald[16], les activités ajoutées par Gap Capital sont trop éloignées des activités antérieures pour être protégées par l'usage dérogatoire.
[88]
L'affaire dont est saisi le Tribunal offre une importante similitude
avec celle dont a disposé le juge Mercure dans St-Constant (Ville de) c.
2896761 Canada inc.[17].
En accueillant la requête de la Ville fondée sur l'article
[89] Il a en effet décidé que l'usage « Discothèque » était « rien d'autre qu'un nouvel usage principal venu remplacer le premier » et qu'il était impossible de rattacher cette activité à l'usage préexistant de Billard avec Bar.
[90] En faisant les adaptations nécessaires, ce raisonnement s'applique à l'espèce.
v
[91]
S'autorisant de l'article
[92] Comme ce système d'éclairage, tout comme la sonorisation mise en place par Poulin lors des travaux de transformation des lieux, peut également servir à la présentation de spectacles qui constitue un usage conforme et autorisé par la réglementation, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu de faire droit à cette conclusion de la requête introductive d'instance ré-amendée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[93] ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance ré-amendée;
[94] ORDONNE à l'intimée, ses administrateurs, employés, préposés et mandataires ainsi qu'à tout locataire ou occupant de l'immeuble ci-après désigné de cesser d'y exploiter un bar, à l'exception d'une partie de l'immeuble qui est identifié par la lettre « C » sur le plan annexé à ce jugement et qui en fait partie intégrante;
[95] ORDONNE à l'intimée, ses administrateurs, employés, préposés et mandataires ainsi qu'à tout locataire ou occupant de l'immeuble ci-après désigné de cesser d'y exploiter une salle de danse;
DÉSIGNATION
« Un emplacement situé à Saint-Jean-sur-Richelieu connu et désigné comme un lot et certaines parties de lot tous du cadastre officiel de la Ville de Saint-Jean, circonscription foncière de Saint-Jean et plus amplement comme suit :
Lot : 81
Le lot originaire numéro QUATRE-VINGT-UN (81) du cadastre officiel de la Ville de Saint-Jean, circonscription foncière de Saint-Jean.
Lot : Ptie 79
Une PARTIE du lot numéro SOIXANTE-DIX-NEUF (ptie 79) du cadastre officiel de la Ville de Saint-Jean, circonscription foncière de Saint-Jean.
Mesurant dix-neuf mètres et treize centimètres (19.13 m.) dans chacune de ses lignes Nord et Sud, onze mètres et soixante-quatorze centimètres (11.74 m.) dans sa ligne Est, douze mètres et sept centimètres (12.07 m.) dans sa ligne Ouest.
Bornée vers le Nord par une partie du lot 75 dudit cadastre, vers l'Est par une partie du lot 79 dudit cadastre, vers le Sud par une partie des lots 80 et 82 dudit cadastre, vers l'Ouest par le lot 79-1 dudit cadastre.
Contenant en superficie deux cent vingt-huit mètres carrés et six dixièmes de mètre carré (228.6 m.c.).
Lot : Ptie 80
Une PARTIE du lot numéro QUATRE-VINGT (ptie 80) du cadastre officiel de la Ville de Saint-Jean, circonscription foncière de Saint-Jean.
Mesurant huit mètres et quatre-vingt-sept centimètres (8.87 m.) dans sa ligne Nord, trente-cinq mètres et onze centimètres (35.11 m.) dans sa ligne Est, quarante-trois centimètres (0.43 m.) dans sa première ligne Sud, dix-neuf mètres et trente-sept centimètres (19.37 m.) dans sa première ligne Ouest, huit mètres et trente-cinq centimètres (8.35 m.) dans sa deuxième ligne Sud, quinze mètres et soixante-quatorze centimètres (15.74 m.) dans sa deuxième ligne Ouest.
Bornée vers le Nord par une partie du lot 79 dudit cadastre; vers l'Est par une partie du lot 82 et par le lot 81 dudit cadastre; dans sa première ligne vers le Sud par la rue Saint-Jacques (montrée à l'originaire) dudit cadastre; dans sa première ligne vers l'Ouest, dans sa deuxième ligne vers le Sud et dans sa deuxième ligne vers l'Ouest par le lot 80-1 dudit cadastre.
Contenant en superficie cent quarante-neuf mètres carrés et trois dixièmes de mètre carré (149.3 m.c.).
Lot : Ptie 82
Une PARTIE du lot QUATRE-VINGT-DEUX (ptie 82) du cadastre officiel de la Ville de Saint-Jean, circonscription foncière de Saint-Jean.
Mesurant dix mètres et trente-deux centimètres (10.32 m.) dans sa ligne Nord, onze mètres et soixante et onze centimètres (11.71 m.) dans sa ligne Est, dix mètres et trente-quatre centimètres (10.34 m.) selon les mesures et dix mètres et vingt-six centimètres (10.26 m.) selon les titres dans sa ligne Sud, onze mètres et soixante-douze centimètres (11.72 m.) dans sa ligne Ouest.
Bornée vers le Nord par une partie du lot 79 dudit cadastre, vers l'Est par une partie du lot 82 dudit cadastre, vers le Sud par le lot 81 dudit cadastre, vers l'Ouest par une partie du lot 80 dudit cadastre.
Contenant en superficie cent vingt mètres carrés et trois dixièmes de mètre carré (120.3 m.c.).
Avec bâtisses dessus construites portant le numéro 35 rue Saint-Jacques, Saint-Jean-sur-Richelieu, province de Québec, J3B 2J6. »
[96] ORDONNE à l'intimée, ses administrateurs, employés, préposés et mandataires ainsi qu'à tout locataire ou occupant de l'immeuble de se conformer au jugement dans un délai maximal de dix (10) jours;
[97] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ ANDRÉ ROY, J.C.S. |
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Me Marc Lalonde |
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Bélanger Sauvé |
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Procureur de la demanderesse |
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Me Sébastien Sénéchal |
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Bardagi Sénéchal inc. |
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Procureur de la défenderesse |
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Dates d’audience : |
7, 8 et 10 février 2011 |
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Date de mise en délibéré : |
10 février 2011 |
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[1] L.R.Q., c. A-19.1.
[2] Pièce P-5.
[3] Pièce P-7, art. 31.
« 31. obligation d'obtenir un permis de construction
Quiconque désire, sur le territoire de la Ville réaliser un projet de construction, de transformation, d'agrandissement et d'addition de bâtiment doit, au préalable, obtenir du fonctionnaire désigné, un permis de construction. »
[4] Pièce D-15.
[5] Pièce D-14.
[6] Pièce P-8.
[7]
[8] Id., à la page 2410.
[9]
[10] Id., paragr. 39.
[11]
Gatineau (Ville de) c. Raymond,
[12] Les policiers Guy Noiseux et Patrick Desjardins et l'inspecteur en bâtiment Martin Côté.
[13]
Lac Brome (Ville de) c. Hadlock, C.S. Bedford,
[14] Lorne GIROUX, « Les usages accessoires ou complémentaires en droit de l'urbanisme », dans Développements en droit municipal, Cowansville, Yvon Blais, 1996, aux pages 316 et 318.
[15]
Granby (Municipalité du canton de) c. Danis,
[16] Précitée, note 9.
[17]
C.S. Longueuil, nº 505-05-007961-029, le 11 mars 2003; confirmé par