Décision

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Droit de la famille — 122739

2012 QCCA 1779

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022018-113

(450-12-025297-096)

 

DATE :

 1er OCTOBRE 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

A... A...

APPELANTE - Défenderesse

c.

 

G... H...

INTIMÉ - Demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appel porte sur les conclusions du jugement de divorce rendu le 15 août 2011 par la Cour supérieure, district de St-François (l'honorable François Tôth), relatives à la pension alimentaire pour conjoint, à la période pendant laquelle elle sera payable et à sa non-rétroactivité.

[2]           À la suite d'un débat contradictoire portant sur ces sujets, alors que toutes les autres mesures accessoires sont réglées par entente entre les parties entérinée par le juge, l'intimé est condamné à payer à l'appelante une pension alimentaire de 663 $ par mois, pour une période de deux ans débutant le 22 août 2011, mais sans rétroactivité.

[3]           L'appelante reproche au juge de première instance d'avoir mal évalué les besoins et les moyens des parties, d'avoir établi un terme à l'obligation alimentaire et sans avoir dit pourquoi, d'avoir refusé la rétroactivité souhaitée (au 25 mars 2010, date à laquelle l'ordonnance intérimaire a été prononcée du consentement des parties).

 

Remarques générales et préliminaires

[4]           Le juge a correctement identifié les principes de droit applicables à la détermination de la pension alimentaire pour ex-époux. Il a rappelé son obligation d'adopter une approche globale, selon les quatre objectifs de la Loi sur le divorce sans en privilégier aucun. Il a noté devoir tenir compte des caractéristiques propres au mariage des époux et des conséquences économiques de sa dissolution sur chacun d'eux.

[5]           Ce n'est qu'exceptionnellement que la Cour d'appel acceptera d'intervenir dans l'exercice de la discrétion d'un juge d'instance en matière d'ordonnance alimentaire. C'est ce qu'enseigne la Cour suprême dans Hickey c. Hickey[1], où la juge L'Heureux-Dubé écrivait :

10         Lorsque des dispositions législatives en matière de droit de la famille confèrent aux juges de première instance le pouvoir de rendre des ordonnances alimentaires en fonction de certains objectifs, de certaines valeurs, de certains facteurs et de certains critères, ceux-ci doivent jouir d’une grande discrétion pour décider si une pension alimentaire sera accordée ou modifiée et, dans l’affirmative, pour en fixer le montant.  Ils doivent, dans l’appréciation des faits, soupeser les objectifs et les facteurs énoncés dans la Loi sur le divorce ou dans les lois provinciales relatives aux ordonnances alimentaires.  Il s’agit d’une décision difficile, mais importante, qui peut s’avérer cruciale dans la vie des ex-époux et de leurs enfants. Vu sa nature factuelle et discrétionnaire, la décision du juge de première instance doit faire l’objet d’une grande déférence par la cour d’appel appelée à réviser une telle décision.

11         Notre Cour a souvent insisté sur la règle qui veut qu’une cour d’appel n’infirme une ordonnance alimentaire que si les motifs révèlent une erreur de principe ou une erreur significative dans l’interprétation de la preuve, ou encore si la décision est manifestement erronée.  Ces principes ont été énoncés par le juge Morden de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Harrington c. Harrington (1981), 33 O.R. (2d) 150, à la p. 154, que les juges majoritaires de notre Cour ont approuvé dans Pelech c. Pelech, [1987] 1 R.C.S. 801 , le juge Wilson; dans l’arrêt Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813 , le juge L’Heureux-Dubé; et dans l’arrêt Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670 , à la p. 691, le juge Sopinka, et aux pp. 743 et 744, le juge L’Heureux-Dubé.

12         Il existe des raisons sérieuses de faire preuve d’une grande retenue envers les décisions rendues par les juges de première instance en matière d’aliments.  Cette norme d’examen en appel reconnaît que le juge qui a entendu les parties est le mieux placé pour exercer le pouvoir discrétionnaire qu’implique le prononcé d’une ordonnance alimentaire.  On dissuade ainsi les parties d’interjeter appel du jugement et d’engager des frais supplémentaires dans l’espoir que la cour d’appel appréciera différemment les facteurs pertinents et la preuve.  Cette approche est de nature à promouvoir la finalité des affaires en matière familiale et reconnaît l’importance de l’appréciation des faits par le juge de première instance.  Bien qu’une cour d’appel doive intervenir lorsqu’elle relève une erreur importante, une erreur significative dans l’interprétation de la preuve ou une erreur de droit, il ne lui est pas permis d’infirmer une ordonnance alimentaire pour le seul motif qu’elle aurait rendu une décision différente ou soupesé les facteurs différemment.

Pension alimentaire (quantum)

[6]           Appliquant les principes de droit, correctement énoncés, à la preuve administrée, le juge retient que l'appelante a droit à une pension alimentaire pour ex-conjoint. Aux paragraphes 25 à 31 de son jugement, il écrit :

[25]      Madame a une capacité de gain d'au moins 20 000 $ par année. En 2008, à la suite de la séparation, elle décide de changer de carrière et de s'inscrire au Cégep pour acquérir une nouvelle formation professionnelle. Elle a aussi fait cession de ses biens.

[26]      Selon le scénario travail/études présenté par Madame, ses revenus prévisibles pour une année d'études sont établis par le Tribunal à :

Session d'automne : 20 h/semaine @ 12 $/heure

Session d'hiver : 20 h/semaine @ 12 $/heure

Session d'été : 30 h/semaine @ 12 $/heure

Total : 14 560 $

[27]      L'AFE prévisible est inconnu mais dépend du revenu de l'étudiant incluant la pension alimentaire. Comme les revenus sont à la hausse par rapport aux années antérieures, le montant d'AFE sera réduit et vraisemblablement constitué de prêts seulement.

[28]      Le Tribunal doit tenir en compte les ressources, les besoins et, d’une façon générale, la situation de chaque époux, y compris la durée de la cohabitation des époux (33 ans), les fonctions qu’ils ont remplies au cours de celle-ci (deux époux qui travaillent à temps complet tout en élevant trois enfants) et toute ordonnance, toute entente ou tout arrangement alimentaire au profit de l’un ou l’autre des époux.

[29]      Madame a subi un désavantage économique découlant « du mariage ou de son échec ». Elle n'est pas indépendante financièrement pour deux raisons : ses ennuis de santé depuis 2002 et sa décision de retourner aux études à 51 ans.

[30]      Après le divorce, les époux ont l'obligation de subvenir à leurs besoins selon leurs moyens. Si Madame est libre de ses choix, elle doit toutefois en accepter les conséquences.

[31]      Ses études réduisent sa capacité de gain. Mais en même temps, leur réussite permettrait à Madame d'atteindre l'autonomie financière et retrouver un bon niveau de vie.

[7]           Pour en établir le montant, le juge tient compte des besoins et moyens des parties, de la décision de l'appelante d'entreprendre un retour aux études qui affecte sa capacité de gain durant l'année scolaire et du fait qu'elle habite, sans frais, chez sa mère.

[8]           Au paragraphe 33 de son jugement, il écrit :

[33]      Madame jouit d'un loyer gratuit en habitant chez sa mère, ce qu'elle peut continuer à faire pour la durée de ses études. La majorité des dépenses anticipées sont liées à un déménagement éventuel dans un appartement à 675 $ par mois. Les frais scolaires sont réduits à 850 $ par année (frais de scolarité et livres). Le déficit mensuel net est estimé à 457 $, ce qui commande une pension imposable de 663 $ par mois (coût net pour Monsieur de 470 $ vu l'économie d'impôt).

[9]           La détermination qu'il fait des revenus de l'intimé n'a aucune incidence sur ses conclusions puisque le quantum de la pension alimentaire accordée n'est pas tributaire d'un manque de moyens de l'intimé, mais des conclusions retenues à la suite de l'analyse de l'ensemble de la situation de l'appelante, tenant compte de sa capacité de gain et de plusieurs dépenses inscrites associées à un déménagement évitable.

[10]        L'appelante ne réussit pas à démontrer que cette décision est manifestement erronée, qu'elle est entachée d'une erreur de principe ou d'une erreur significative dans l'interprétation de la preuve. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu pour nous d'intervenir.

Pension alimentaire - terme

[11]        Sur le terme, et avec respect, nous sommes d'avis que le juge fait erreur lorsqu'il le fixe à deux ans, sans possibilité de révision de la situation, et en tenant compte de ce qu'il croit être la demande de l'appelante.

[12]        Au paragraphe 32 de son jugement, il écrit :

[32]      À l'audience, Madame demande une pension alimentaire pour un terme de deux ans. C'est le temps qu'elle estime nécessaire pour terminer ses études et être autonome. L'éventualité de ne pas pouvoir terminer dans ce délai ne l'effraie pas. Elle a confiance dans ses capacités et ses aptitudes. Son parcours varié démontre bien qu'elle a confiance en elle et il n'est ni téméraire ni déraisonnable pour Madame de penser ainsi. Il a été décidé que, dans certains cas, une période transition après le divorce peut être nécessaire à un époux pour réintégrer pleinement le marché du travail. Dans les circonstances, une obligation alimentaire à terme est justifiée.

[Référence omise]

[13]        La décision du juge de première instance s'appuie sur l'arrêt Moge c. Moge[2].

[14]        À la lecture des échanges entre le juge et l'appelante, il paraît clairement que le terme de deux ans dont l'appelante parle représente plutôt une échéance, la fin de son programme d'études, qu'une période de temps fixe de deux ans. Selon la preuve, le temps requis pour l'atteinte de l'objectif paraît aléatoire, de sorte que l'extinction du droit aux aliments à l'arrivée du terme semble prématurée.

[15]        Dans son jugement, et au-delà de ce que l'appelante lui a demandé, le juge ne discute pas de ce pour quoi il impose un terme : il appuie son raisonnement sur ce qu'il comprend être la demande de l'appelante. Or, cette demande est plus nuancée qu'une durée prédéterminée (22 août 2013) alors que l'appelante parle de la fin de ses études.

[16]        Dans ces circonstances, nous sommes d'avis qu'il y a lieu d'intervenir afin d'arrimer la date d'autonomie à l'obtention du diplôme par l'appelante.

[17]        Comme le délai est en principe connu (août 2013), mais sujet à des aléas, il appartiendra à l'appelante d'établir que l'obligation alimentaire a survécu à l'expiration du délai et d'en faire la démonstration.

Rétroactivité

[18]        Quant à la rétroactivité[3], le principe est connu : le jugement a un effet rétroactif à la date de signification de la demande. Dans le présent cas, et bien que la demande ait été signifiée le 3 février 2010, les parties avaient indiqué au juge qu'elles acceptaient qu'il utilise plutôt la date du 25 mars 2010, date de l'ordonnance intérimaire sur consentement.

[19]        Pour déroger au principe (ou à la variation proposée par les parties, le cas échéant), le juge devait s'en expliquer.

[20]        Comme la situation qui prévalait au moment du jugement était la même que celle qui prévalait au moment de l'ordonnance intérimaire, il ne suffisait pas de souligner l'existence d'une ordonnance intérimaire pour faire échec au principe de la rétroactivité. Le dossier ne révèle aucune raison de déroger au principe applicable.

[21]        En l'absence de telles raisons, nous sommes d'avis qu'il y a lieu d'intervenir pour prononcer la rétroactivité de l'ordonnance alimentaire au 25 mars 2010.

[22]        En conséquence, LA COUR :

[23]        ACCUEILLE l'appel en partie, aux fins de modifier les conclusions aux paragraphes 41 et 42 du jugement de première instance, qui désormais devront se lire ainsi :

[41]      ORDONNE au demandeur de payer à la défenderesse une pension alimentaire de 663 $ par mois, rétroactivement au 25 mars 2010, et jusqu'au 22 août 2013, le tout conformément à la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires;

[42]      Déclare que l'obligation alimentaire du demandeur prendra fin le 22 août 2013, et sans autre formalité, à moins que la demanderesse ne s'adresse à la Cour avant cette date et qu'elle n'établisse qu'il y ait lieu d'en reporter l'échéance à une date plus lointaine.

[24]        Le tout sans frais, vu la nature de la demande.

 

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

Me Johanne Marcil

Johanne Marcil Avocats

Pour l'appelante

 

Me Michel Tétrault

Centre communautaire juridique de l'Estrie

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

20 septembre 2012

 



[1]     Hickey c. Hickey (C.S. Can., 1999-06-10), SOQUIJ AZ-50065952 , J.E. 99-1206 , [1999] 2 R.C.S. 518 , paragr. 10-12.

[2]     Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 420.

[3]     Droit de la famille - 2083, J.E. 94-1924 (C.A.).

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