Vakilian c. Directeur des poursuites criminelles et pénales |
2012 QCCS 5736 |
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JD2240 (Chambre criminelle et pénale) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-36-006194-123 |
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(500-61-245480-083) |
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DATE : |
13 novembre 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MICHEL DELORME, J.C.S. |
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SIAVOSH VAKILIAN |
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Appelant-défendeur |
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c. |
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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
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Intimé-poursuivant |
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JUGEMENT |
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1. Introduction
[1] Siavosh Vakilian se pourvoit à l’encontre d’un jugement rendu le 13 mars 2012 par madame la juge de paix magistrat Dominique Benoît qui l’a reconnu coupable d’avoir, le 2 avril 2008, circulé avec un véhicule à une vitesse supérieure à celle indiquée par la signalisation routière.
[2] La juge Benoît a en conséquence condamné monsieur Vakilian à verser une amende de 870 $ en plus des frais.
2. Historique
[3]
Le 2 avril 2008, monsieur Vakilian reçoit un constat d’infraction qui
lui reproche d’avoir circulé à une vitesse supérieure à celle indiquée par la
signalisation routière, contrevenant ainsi à l’article
[4] Il aurait roulé à une vitesse de 140 km/h sur l’autoroute 720 où la vitesse indiquée aurait été de 70 km/h. Médecin résident en radio-oncologie et alors de garde, monsieur Vakilian allègue qu’au moment des faits reprochés, il se rendait à l’Hôpital Général de Montréal où il avait été appelé auprès d’un patient qui venait de s’y présenter.
[5] Le 28 avril 2008, monsieur Vakilian signifie un plaidoyer de non-culpabilité de l’infraction qui lui est reprochée et son procès est fixé au 17 mars 2009.
[6] Le 17 mars 2009, il présente une demande de remise qui est accueillie et son procès est reporté au 15 juin 2009.
[7] Le 15 juin 2009, il demande de nouveau le report de son procès qui est accueilli, mais son procès est cette fois-ci fixé péremptoirement au 7 octobre 2009.
[8] Le 2 septembre 2009, il adresse au poursuivant une demande de divulgation des éléments de preuve suivants :
1. La preuve que la limite de vitesse est de 70 km/h à l’endroit de l’infraction reprochée, c’est-à-dire la copie de l’approbation du Ministère des transports du Québec sur la limite de vitesse à cet endroit;
2. Le registre d’entretien et de réparations de l’appareil utilisé;
3. La copie du certificat attestant la qualification de l’opérateur;
4. La copie du rapport de l’opération complète de 19 h 17 à 22 h 48;
5. La copie du manuel du fabricant de l’appareil-laser utilisé, soit du Laser Atlanta ayant le numéro 23150;
6. La copie du registre des cours de formation suivis et la documentation sur l’appareil-laser obtenue par l’opérateur de l’appareil-laser.
[9] Le poursuivant ne lui ayant pas communiqué ces éléments, monsieur Vakilian signifie le 2 octobre 2009, une requête en arrêt des procédures pour non-divulgation de la preuve, présentable le 7 octobre 2009.
[10] Le 7 octobre 2009, l’audition est cependant reportée au 21 mai 2010, puis du 21 mai 2010 au 8 juin 2010 et finalement du 8 juin 2010 au 7 octobre 2010.
[11] À cette date, madame la juge de paix magistrat Suzanne Bousquet entend les parties et reporte son jugement au 1er novembre 2010, date à laquelle elle rejette la requête de monsieur Vakilian. Le procès est alors ajourné au 1er juin 2011.
[12] Le 26 mai 2011, monsieur Vakilian présente à la juge Bousquet une requête pour assigner comme témoin le ministre des Transports du Québec. Cette demande est rejetée le même jour et le procès est reporté devant la juge Bousquet le 22 juin plutôt que le 1er juin, comme prévu initialement[1].
[13] Pour des raisons inexpliquées et sans objection de la part des parties, l’audition débute alors devant madame la juge de paix magistrat Johanne White. Toutefois, en raison d’une mauvaise évaluation du temps, elle se dessaisit de l’affaire et reporte le dossier au 18 octobre 2011 devant le juge coordonnateur, afin qu’il détermine une nouvelle date pour l’audition de la cause.
[14] Le procès est fixé au 13 mars 2012, date à laquelle monsieur Vakilian présente une requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables.
[15] La juge Benoît entend les parties le 13 mars 2012, encore une fois sans objection de leur part. Elle rejette la requête en arrêt des procédures et déclare monsieur Vakilian coupable de l’infraction qui lui est reprochée, ne retenant pas sa défense de nécessité. Elle lui impose une amende de 870 $ et le condamne aux frais.
3. Motifs d’appel
[16] À l’appui de son appel, monsieur Vakilian invoque les motifs suivants :
16.1 la juge Benoît a erré dans son appréciation de sa défense de nécessité;
16.2 elle n’avait pas compétence et elle a erré en entendant son procès;
16.3 elle a erré en rejetant sa requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables; et
16.4 la juge Bousquet a également erré en rejetant, avant l’audition au fond devant la juge Benoît, sa requête en arrêt des procédures pour non-divulgation de la preuve.
4. Analyse
[17] Prioritairement, le Tribunal doit décider si la juge Benoît avait compétence pour entendre le procès de monsieur Vakilian.
[18] Cette question, invoquée pour la première fois en appel, soulève la possibilité que la juge Benoît n’ait pu être saisie de la cause de monsieur Vakilian puisque la juge Bousquet avait préalablement été saisie de sa requête en arrêt des procédures pour non-divulgation de la preuve, le 7 octobre 2010 et de sa requête pour assigner le ministre des Transports, le 26 mai 2011.
[19] Le Tribunal estime que la juge Benoît n’avait pas compétence pour entendre la cause de monsieur Vakilian qui aurait dû être entendue par la juge Bousquet. Voici pourquoi.
[20]
L’obligation pour la poursuite de divulguer sa preuve au défendeur est
reliée au droit de ce dernier à une défense pleine et entière. Cette obligation
a un fondement constitutionnel qui découle de l’article
[21] Or, seul le juge du procès a compétence pour décider d’une requête relative à la divulgation de la preuve et prononcer, s’il y a lieu, une mesure réparatrice.
[22] Les articles 169 et 196 du Code de procédure pénal du Québec prévoient qu’une demande préliminaire peut être instruite par un autre juge que le juge du procès. Cependant, la portée de ces dispositions est limitée par l’article 174 qui énonce ce que visent ces dispositions et ce qui ne comprend pas la divulgation de la preuve.
[23]
Dans R c. Commanda,
33 L'obligation du ministère public de communiquer sa preuve à la défense a des fondements constitutionnels qui découlent de l'article 7 de la Charte, en lien direct avec le droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière.
[…]
36 En principe, c'est le juge du procès qui exerce ce rôle même s'il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, de s'adresser à un juge d'une cour supérieure.
[…]
39 À moins d'erreur de ma part,
toutes les décisions rendues par la Cour suprême en matière de divulgation de
la preuve confirment, explicitement et implicitement, la compétence exclusive -
mis à part ce que je disais précédemment concernant la compétence du juge de la
Cour supérieure - du juge du procès quand vient le temps de contrôler les
décisions du ministère public en matière de divulgation (R. c. Stinchcombe,
[…]
49 Les articles
169
,
174
et
196
du Code
de procédure pénale vont dans le même sens; ils permettent que les demandes
préliminaires soient décidées par un juge différent de celui du procès, l'article
50 L'argument n'est pas sans valeur
mais ces textes législatifs ne suffisent pas, selon moi, pour conclure au
pouvoir du juge qui n'est pas le juge du procès de trancher une requête
relative à la divulgation de la preuve et, en cas de défaut du poursuivant,
d'ordonner une réparation (pouvant aller jusqu'à l'arrêt des procédures) selon
l'article
[24]
La juge Bousquet a été saisie du dossier de monsieur Vakilian lors de
l’audition de sa requête en arrêt des procédures pour non-divulgation de la
preuve le 7 octobre 2010, suivie de sa requête pour assigner comme témoin le
ministre des Transports de 26 mai 2011. Rien n’indiquant qu’elle était empêchée
de le faire, elle devait compléter l’instruction de la poursuite, comme le
prévoit le premier alinéa de l’article
195. Le juge qui instruit la poursuite doit rendre jugement quant à elle; s'il est empêché en raison d'une maladie ou pour un autre motif sérieux de compléter l'instruction ou de rendre jugement, l'instruction doit être reprise par un autre juge de même compétence.
[25] Aussi, le jugement de la juge Benoît doit-il être annulé et les autres motifs d’appel reliés à ce jugement deviennent-ils sans objet.
[26] À titre subsidiaire, tant l’appelant que l’intimé concluent à l’ordonnance d’un nouveau procès.
[27] Le Tribunal est d’avis que le dossier doit plutôt être retourné à la juge Bousquet afin qu’elle complète l’audition de la cause et rende jugement.
[28]
Relativement au motif d’appel relié au jugement de la juge Bousquet qui
a rejeté la requête en arrêt des procédures pour non-divulgation de la preuve,
le Tribunal estime que, puisqu’il s’agit d’un jugement intérimaire, il n’y a
pas lieu de se prononcer à ce stade. On pourra le faire après le procès, selon
le processus normal d’appel (R. c. Druken, [1988] 1 R.C.S. 978; Canada
(Procureur général) c. Gagné,
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] ACCUEILLE l’appel;
[30] ANNULE les jugements rendus par la juge Benoît le 13 mars 2012;
[31] ORDONNE le renvoi de l’affaire à la juge Bousquet pour qu’elle poursuive l’instruction conformément à la loi.
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__________________________________ MICHEL DELORME, J.C.S. |
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Me Jean-Philippe Marcoux |
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LaBrie, Gariépy, Legendre Avocats |
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Procureur de l’appelant-défendeur |
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Me Anik Archambault |
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Directeur des poursuites criminelles et pénales |
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Procureure de l’intimé-poursuivant |
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Date d'audience : |
8 novembre 2012 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.