JM2240

 

 
R. c. Kelly

 

Ordonnance en confiscation ex parte des produits de la criminalité. Confiscation partielle d'un bien. Prête-nom. Interprétation large du concept de «property».

2011 QCCQ 4080

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

500-73-002983-084

 

 

 

DATE :

26 avril 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SALVATORE MASCIA, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Poursuivante-requérante

c.

 

GILBERT KELLY

Accusé-intimé

 

et

 

MIREILLE KELLY,

            Intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN CONFISCATION

DES PRODUITS DE LA CRIMINALITÉ

______________________________________________________________________

 

 

Introduction

[1]           Dans la présente cause, le procureur général du Canada demande, à titre de produits de la criminalité, une ordonnance en vue de la confiscation des biens de l'accusé-intimé, Gilbert Kelly. Cette requête, présentée in abstentia selon les dispositions de l'article 462.38(2) du Code criminel, vise un condominium situé au [...], à Montréal (endroit où demeurait l'accusé-intimé), son contenu (biens meubles et divers objets de luxe) et l'argent ($44,000.00) trouvé lors d'une perquisition policière.

[2]           Madame Mireille Kelly, l'intervenante dans la requête en confiscation, est la sœur de l'accusé-intimé. Selon l'index aux immeubles, elle est la propriétaire enregistrée du [...], l'immeuble visé par la requête en confiscation du ministère public. Dans sa requête originale, elle demandait la restitution de l'immeuble en tant que propriétaire légitime et de bonne foi de ladite propriété (article 461.41(3) du Code criminel). Aujourd'hui, elle renonce à la restitution de l'immeuble et ne demande que le remboursement de l'argent légitime qu'elle a déboursé pour l'acquisition et le maintien de ladite propriété. Quant aux biens meubles et autres objets de luxe se trouvant dans le condominium, elle ne fait aucune réclamation.

Questions en litige

[3]           La présente affaire soulève les questions suivantes:

1.    Est-ce que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que les biens visés par la requête en confiscation constituent des produits de la criminalité?

2.    Est-ce que le régime de confiscation des produits de la criminalité à l'article 462.38(2) du Code criminel prévoit la division d'un bien confisqué selon la quote-part légitime de l’argent déboursé pour son acquisition?

3.    Advenant une réponse positive à cette dernière question, est-ce que les sommes déboursées par madame Kelly par rapport au condominium proviennent de sources légitimes? Si oui, est-ce que le Tribunal doit ordonner le remboursement de ces frais?

Les faits

L'enquête policière et les activités criminelles de monsieur Gilbert Kelly

[4]           Monsieur Gilbert Kelly est un criminel de carrière. Son casier judiciaire atteste de son intérêt pour le commerce illicite de drogues. En 1972, il a été condamné une première fois pour trafic de drogues. En 1996, il a écopé d'une peine de cinq ans de pénitencier par rapport à des accusations de trafic de drogues.

[5]           Après avoir purgé quatre ans sur sa dernière sentence, Gilbert Kelly a bénéficié d'une libération conditionnelle. Dans les trois ou quatre années qui ont suivi, on ne peut lui imputer une activité criminelle quelconque.

[6]           Toutefois, en 2004, la Gendarmerie Royale du Canada avait ciblé Gilbert Kelly en tant que tête dirigeante d'un réseau important d'importation de cocaïne. L'enquête policière était connue sous le nom de «Projet Cubain».

[7]           La méthode utilisée par l'organisation criminelle de Kelly consistait à charger d'importantes quantités de cocaïne sous la coque de navires commerciaux destinés au port de Belledune au Nouveau-Brunswick. Une fois rendus au port, des plongeurs engagés par monsieur Kelly devaient récupérer la drogue dissimulée sous les navires.

[8]           Ce stratagème a réussi à deux ou trois reprises. Il y a eu, toutefois, quelques échecs importants. Dans un cas, l'équipe de monsieur Kelly a dû abandonner les efforts de récupérer une cargaison de plus de 100 kilos de cocaïne parce que la mer était trop agitée. Le navire est retourné en Colombie avec son cargo illicite. Lors d'un autre essai, les policiers ont intercepté les plongeurs qui devaient effectuer la récupération de la cocaïne.

[9]           À part l'importation de la cocaïne, monsieur Gilbert Kelly était actif dans la vente locale de drogues. Versatile, ses activités de trafic de cocaïne pouvaient varier de la vente à l'once jusqu'à la vente ou l'achat de dizaines de kilos à la fois. À l'once, il pouvait réaliser entre $7,000.00 à $10,000.00 en vente brute. Au kilo, il achetait et vendait de la cocaïne pour des sommes pouvant varier de $25, 000.00 à $32,000.00 le kilo.

[10]        Le centre névralgique pour le trafic local de monsieur Kelly se situait au 6260 de La Loire à Ville D'Anjou. Dans les conversations de l'accusé-intimé captées par écoute électronique, ce dernier utilisait l'expression «bunker» pour désigner l'endroit où il préparait et vendait la cocaïne. Lors d'une perquisition effectuée le 7 décembre 2006 sur ces lieux, les policiers ont trouvé l'attirail du trafiquant de drogues: cinq balances, des sachets contenant diverses drogues, trois boîtes de baking soda et un grand nombre de sachets vides.

Procédures criminelles

[11]        Le 7 décembre 2006, la GRC procédait au ratissage des personnes visées par le «Projet Cubain». Plusieurs personnes ont été arrêtées et éventuellement traduites devant les tribunaux. Toutefois, cette opération policière n'a pas mené à l'arrestation de monsieur Gilbert Kelly.  À ce jour, il est toujours au large.

[12]        Advenant l'arrestation de l'accusé-intimé, celui-ci devra répondre à des accusations de complot d'importation de cocaïne, d'importation de cocaïne, de possession dans le but de trafic de cocaïne, de possession de haschich dans le but d'en faire le trafic et de possession de biens criminellement obtenus.

Ordonnance de blocage et de prise en charge le 6 décembre 2006

[13]         Le condominium et les biens meubles visés par la présente requête ont déjà fait l'objet d'une ordonnance de blocage et de prise en charge émise le 6 décembre 2006 par un juge de la Cour du Québec. Par cette ordonnance, le Ministre des travaux publics (représenté par la direction de la gestion des biens saisis) prend charge de l'immeuble. De plus, l'ordonnance impose les restrictions et les obligations suivantes à monsieur Gilbert Kelly et à madame Mireille Kelly concernant le condominium:

Interdit (…) à Gilbert Kelly (et) Mireille Kelly (…) de se départir du bien immeuble faisant partie de la présente ordonnance de blocage, d'effectuer des opérations sur les droits qu'elle détient sur celui-ci, d'exercer quelque garantie ou recours relativement audit bien immeuble.  (par. 7 de l'ordonnance)

Ordonne à Gilbert Kelly et Mireille Kelly (…)  de continuer à remplir les obligations dévolues au propriétaire, au gardien ou à l'occupant, relativement au bien immeuble décrit dans la présente ordonnance, notamment:

-D'acquitter les versements hypothécaires, les versements mensuels exigés relativement à toute marge de crédit garantie par hypothèque sur le bien immeuble décrit ci-haut, les charges relatives à la copropriété, toutes taxes, toutes les dépenses de service et tout arrérage. (…).(par. 12 de l'ordonnance)

[14]        Puisque monsieur Gilbert Kelly est en cavale, madame Mireille Kelly se trouve seule à assumer toutes les obligations qui lui sont imposées par l'ordonnance de blocage du 6 décembre 2006. Depuis cette date, les frais encourus pour assumer le remboursement du prêt hypothécaire, le paiement des taxes municipales et scolaires et le paiement des frais relatif à la copropriété sont de $78,309.07.

Les dépenses de Gilbert Kelly

[15]        La poursuite soutient que tous les biens acquis par Gilbert Kelly—à savoir un condominium à Montréal et des objets de luxe pour le meubler et le décorer—furent acquis avec les profits tirés de la vente de drogues.

[16]        Pour appuyer cette position, la poursuite a présenté une preuve à l'effet que monsieur Kelly, depuis sa libération conditionnelle en 2000, n'avait aucune source légitime de revenus. Il n'a pas travaillé. Il n'a pas opéré de commerce. Il n'a même pas produit de rapport d'impôt depuis sa remise en liberté.

[17]        Malgré l'absence de revenus légitimes, monsieur Kelly aime les grands voyages et le luxe. Durant l'enquête policière,  il a voyagé, entre autres, 18 jours en Italie.

[18]        À part les voyages, il a dépensé des sommes importantes pour transformer et améliorer le condominium où il demeurait. Selon la preuve, le réaménagement de l'immeuble lui a coûté $67,000.00.  (Plus tard, nous allons revenir sur les travaux de réaménagement entrepris par monsieur Kelly).

[19]        Pour assurer son confort, il a acheté des meubles faits sur mesure pour son condominium. De surcroît,  tous les meubles  et divers objets décorant le condominium sont de haute gamme. Une liste partielle de ces meubles et objets décoratifs inclut:

·        Un téléviseur plasma

·        Vases Murano

·        Système de cinéma maison

·        Haut-parleurs

·        Bibliothèques

·        Ensembles de salle à manger

·        Articles ou électroménagers stainless

·        Causeuses de cuir «Italago»

·        Fauteuil de cuir «Italago»

·        Machine à café expresso de marque «Rancillio»

[20]        Monsieur Kelly avait également un goût pour le bon vin. Son cellier contenait une centaine de bouteilles de vin, dont certaines de grandes valeurs (Château Lafite Tothchild 2002 à $236.00; Quintessa Rutherford à $160.00; Amizetta à $130.00).

[21]        Lors de la perquisition policière, les autorités ont récupéré plusieurs factures reliées à l'achat des meubles meublant l'appartement de monsieur Kelly. À partir de ces factures—toutes au nom de monsieur Kelly—les autorités ont été capables de retracer le commerce où les items ont été achetés ainsi que le vendeur ou représentant qui a effectué la transaction. La plupart du temps, monsieur Kelly payait ses achats en argent comptant.

[22]         Madame Nancy St. Arnaud, CGA, juricomptable appelée par la Couronne comme témoin expert, a dressé une liste de toutes les dépenses connues de Gilbert Kelly du 1er janvier 2000 au 6 décembre 2006. À la page 8 de son rapport, daté du 15 février 2008 (produit en preuve comme pièce PG-32B), la juricomptable constate que Gilbert Kelly a effectué des dépenses minimums de $214,000.00. Il a donc eu accès à une source de fond minimal de $214,000.00. Pourtant, durant cette même période, nous savons qu'il n'a pas travaillé et qu'il n'a pas opéré de commerce.

[23]        À la pièce PG-76, la juricomptable a dressé un tableau des différentes sommes d'argent comptant auxquelles monsieur Kelly avait accès:

Dépenses payées comptant                            $144, 525.00

Argent saisi lors de la perquisition                        44, 062.00

Dépôt dans les comptes bancaires                     24, 154.00

Paiements de cartes de crédit                             17, 848.00

Total:                                                                   230,589.00

[24]         Évidemment, la somme mentionnée ci-haut fut établie à partir de données connues. Les autorités n'ont pas récupéré toutes les factures des biens meubles et autres objets de luxe décorant le condominium de monsieur Kelly. Ensuite, nous savons que monsieur Kelly mangeait souvent au restaurant; nous n'avons pas ces factures. De même, nous ignorons les montants dépensés lorsqu'il voyageait à l'étranger.

Le condominium au [...]

--l'achat de la propriété

[25]        En 2005, madame France Moquin était représentante des ventes à l'emploi de  Samco Inc., une corporation de développement qui vendait et construisait des unités de condominiums. Dans son témoignage à la cour, Madame a relaté qu'en 2005 monsieur Gilbert Kelly magasinait des condominiums offerts par Samco Inc. Après quelques visites, son choix s'est arrêté sur l'appartement situé au [...].

[26]        Le 9 mars 2005,  madame Mireille Kelly a signé avec le promoteur, Samco Inc., un contrat préliminaire pour l'achat de l'immeuble situé au [...].  Le prix d'achat était de $277,000.00.

[27]        Cette même journée, elle a versé un montant de $10,000.00 comptant au promoteur ainsi qu'un chèque pour la somme de $17,710.00 tiré sur son compte personnel à la Banque Nationale. Malgré le fait que monsieur Kelly n'était pas l'acquéreur de l'immeuble, il était présent lors de la signature du contrat préliminaire d'achat.

[28]        Par la suite, d'autres sommes furent versées par madame Kelly à titre d'acomptes sur l'achat du condominium. Au jour de  l'acte d'achat notarié le 23 août 2005, madame Kelly avait versé des acomptes totalisant $140,000.00. À l'exception du $10,000.00 payé comptant qui fut remis le 9 mars 2005,  tous les montants versés en acomptes étaient payés par chèques tirés sur le compte de madame Kelly à la Banque Nationale.

[29]        Pour la balance du prix de vente, soit la somme de $137,000.00, madame Kelly a consenti une hypothèque en faveur de la Banque Nationale le 12 août 2005. Madame Kelly acquitte ses obligations envers la banque par des versements hebdomadaires de $234.34. La totalité des remboursements du prêt hypothécaire est effectuée via le compte bancaire personnel de l'intervenante. À la date du présent jugement, le montant dû à la Banque Nationale sur ledit prêt est de $113,462.52.

 

 

--la preuve à l'effet que monsieur Gilbert Kelly est le propriétaire «de facto»

[30]        Malgré le fait que madame Kelly est la propriétaire titulaire du condominium, la preuve démontre qu'elle s'en occupe très peu (pour ne pas dire rien du tout). Elle ignore l'envergure des travaux de transformation et d'amélioration effectués par son frère sur ledit condominium. Elle ne demande pas de factures.  Elle ne visite pas les lieux. Elle ne possède même pas la clef de l'appartement qui est nommément enregistré à son nom.

[31]        Deux procurations qu'elle a signées en faveur de son frère attestent du désintéressement complet pour l'immeuble qu'elle venait de se procurer. Par ces procurations, monsieur Kelly s'est vu accorder tous les pouvoirs décisionnels par rapport au condominium où il demeurait. Ainsi, il a pu effectuer des transformations et améliorations au condominium sans devoir solliciter l'intervention de sa sœur auprès du promoteur ou de l'association des copropriétaires.

[32]        Monsieur Kelly a déboursé des sommes importantes pour transformer et réaménager le condominium. Selon la preuve, la somme de $67,000.00 comptant a été payée par monsieur Kelly à Blitz Design pour l'aménagement intérieur du condominium. Ces travaux incluaient la transformation de la cuisine et de la salle de bain. Les installations et accessoires étaient tous de haute gamme.

 

Preuve quant aux «sources légitimes» d'argent déboursé par l'intervenante reliées à l'immeuble.

--Pour la période du 1er janvier 2004 au 6 décembre 2006

[33]        Madame Nancy St. Arnaud, juricomptable appelée par la Couronne, avait comme premier mandat d'identifier la source des fonds ayant servi à l'achat du condominium. La période analysée par la juricomptable était du 1er janvier 2004 jusqu'au 7 décembre 2006. À la page 2 de son rapport, daté du 20 novembre 2007,  elle explique que les sommes proviennent principalement de chèques faits à partir des comptes bancaires de Mireille Kelly. La seule exception est le dépôt initial de $10,000.00 versé en argent comptant le 9 mars 2005.  La provenance de cet argent est inconnue.

[34]        Ensuite, la juricomptable s'attarde sur l'origine possible des sommes utilisées par madame Kelly pour acquérir l'immeuble. À cet effet, elle note que le compte de madame Kelly à la Banque Nationale fut alimenté de $228,957.00 provenant de la vente d'un chalet en 2004. C'est à partir de ce compte qu'elle a  versé un acompte de $17,710.00 le 9 mars 2005 ainsi qu'un deuxième acompte de $32,290.00 le 11 août 2005. Ensuite, la juricomptable note que le compte conjoint que madame Kelly détient avec son époux à la Caisse Populaire est alimenté de la somme de $158,000.00 provenant de la vente d'un terrain. De ce compte, un chèque de $80,000.00 est émis le 11 août 2005 comme acompte sur l'achat de l'immeuble.

[35]        Dans l'analyse de la juricomptable, elle était incapable de tracer des transactions--soit en argent comptant ou soit par chèque-- entre Mireille Kelly et son frère.

[36]        Il y a lieu de noter, toutefois, que le compte bancaire de madame Kelly inclut  plusieurs dépôts en argent liquide. Pour la période du 1er janvier 2004 au 6 décembre 2006, les sommes déposées en argent comptant totalisent $92,695.00. À l'annexe «C» de son rapport, la juricomptable dresse un tableau détaillé desdits dépôts. De ce tableau, on voit que les montants déposés sont fort variables: aussi peu que $1,300.00 et aussi élevé que $12,500.00. La même variation est notée quant à la fréquence ou la régularité desdits dépôts, c'est-à-dire l'argent comptant n'est pas déposé à tous les mois ou à une date précise dans le mois—comme par exemple le 1er du mois pour le paiement du loyer.

[37]        La provenance de l'argent comptant déposé dans le compte de madame Kelly reste inexplicable. Cette dernière n'a pas assisté à l'audition. Selon le dire de son avocat, Me Dumas, le processus judiciaire ainsi que l'idée d'avoir à témoigner constituaient une source de tension ou d'angoisse importante pour sa cliente. Toutefois, dans les admissions signées de madame Kelly (déposées en preuve pour valoir son témoignage), elle dit que son frère lui payait un loyer mensuel de $1,500.00 depuis le mois d'août 2005. Cette somme était toujours payée en argent comptant. 

[38]        Est-ce que le loyer perçu de Gilbert Kelly peut expliquer la provenance de l'argent comptant déposé dans le compte de madame Kelly?

[39]        Tout d'abord, il faut noter que le loyer pour le condominium n'est payé qu'à partir du mois d'août 2005. Or, à l'annexe «C» du rapport de la juricomptable, une somme de $39,000.00 en argent comptant est déposée dans le compte de l'intervenante au cours de l'année 2004. Clairement, le loyer prétendument payé par monsieur Kelly à sa sœur n'est d'aucune utilité pour expliquer la provenance de ladite somme.

[40]        Dans la même veine, la somme totale des loyers reçue par l'intervenante ne peut expliquer l'argent comptant déposé dans son compte bancaire. Dans ses rapports d'impôts pour les années 2005 et 2006, elle a déclaré $24,000.00 de revenus de loyer. Il est intéressant de noter que dans son rapport d'impôt pour l'année 2005 (préparé en avril 2006), elle n'a déclaré aucun revenu d'impôt. Ce n'est qu'en 2007—l'année qui suit la date de l'ordonnance en blocage—qu'elle produit un rapport d'impôt amendé pour l'année 2005 pour déclarer un revenu de loyer de $9,000.00.

[41]         Autre fait suspect, la plupart des dépôts mensuels en argent  comptant déposés dans le compte de madame Kelly dépassent largement le montant du loyer prétendument payé par monsieur Kelly. De plus, les dépôts ne sont pas faits de façon régulière. Tel qu'expliqué plus haut, l'argent comptant n'est pas déposé à tous les mois ou à une date précise dans le mois—comme par exemple le 1er du mois pour le paiement du loyer.

[42]        Toutefois, dans l'analyse de la juricomptable, elle était incapable de tracer un paiement en argent comptant ou par chèque entre madame Kelly et son frère.

 Sommes payées depuis l'ordonnance en blocage du 6 décembre 2006

[43]        Selon les dispositions de l'ordonnance de blocage du 6 décembre 2006, madame Kelly devait assumer toutes les obligations dévolues au propriétaire de l'immeuble. Ainsi, depuis cette date, elle a continué de payer l'hypothèque, les taxes et les frais de copropriété. À ce jour, le montant payé depuis l'ordonnance en blocage totalise $78,309.07.

[44]        Afin de démontrer que les paiements effectués par l'intervenante suite à l'ordonnance de blocage proviennent de sources légitimes, Me Dumas a déposé en preuve le rapport de madame Johanne Faucher, CA, juricomptable, daté du 8 décembre 2010. Ce rapport vise la période du 6 décembre 2006 au 1er novembre 2010; en voici les constatations principales :

-           Entre le 6 décembre 2006 et le 1er novembre 2010, madame Kelly a payé un total de $69,645.27 de dépenses reliées au condominium (aujourd'hui, cette somme est de $78, 309.07);

-           Les factures ont été payées à partir de deux comptes de banque appartenant à madame Kelly;

-           Au cours de la période analysée, madame Kelly était à l'emploi de la société Les Investissements Raymond Gagné Ltée. Cette société appartient au conjoint de madame Kelly;

-           Le salaire net encaissé par madame Kelly au cours de la période allant du 6 décembre 2006 au 1er novembre 2010 totalise $130,338.39.

[45]        À partir desdites constatations, la juricomptable émet la conclusion suivante:

«Nous sommes d'avis que le salaire net encaissé par madame Kelly au cours de la période allant du 6 décembre 2006 au 1er novembre 2010 provenait de source légitime et était suffisant pour couvrir la totalité des dépenses reliées à l'immeuble.»  (page 4 du rapport)

[46]        Me Pierre Roy, pour la Couronne, ne conteste pas la teneur du rapport de madame Faucher. Il reconnaît qu'il n'y a aucune preuve à l'effet que lesdites sommes (post-ordonnance) déboursées par madame Kelly provenaient de sources illicites. De surcroît, il admet que Madame était bien nantie et qu'elle disposait de l'argent nécessaire pour pouvoir assumer les obligations imposées par l'ordonnance de blocage.

 

 

 

Droit applicable et son application en l'espèce

 Partie A: la confiscation des biens de Gilbert Kelly

[47]        L'article 462.38 établit les conditions nécessaires à l’émission d’une ordonnance de confiscation:

1.          Les biens visés par l'ordonnance constituent hors de tout doute raisonnable des produits de la criminalité;

2.          Des procédures à l'égard d'une infraction désignée commise à l'égard de ces biens ont été commencées;

3.          La personne accusée de l'infraction visée à la condition précédente est  décédée ou s'est esquivée.

[48]        La deuxième et la troisième conditions nécessaires à la confiscation énumérée à l'article 462.38(2) sont clairement établies par la preuve.

[49]        Plus particulièrement, quant à la deuxième condition, le Tribunal note que les accusations contre monsieur Kelly sont incluses dans la définition de «infraction désignée» à l'article 462.31 du Code criminel. Ensuite, la preuve a établi que des procédures à l'égard d'une infraction désignée commise à l'égard des biens de monsieur Kelly ont été commencées depuis quelque temps déjà.

[50]         En ce qui concerne l'esquive—la troisième condition nécessaire à une confiscation des produits de la criminalité ex parte—elle est définie à l'article 462.38(3). Selon cet article, une personne est réputée s'être esquivée si les trois conditions suivantes sont réunies:

·         Une dénonciation a été déposée à l'effet qu'elle aurait perpétré (une infraction désignée);

·         Un mandat d'arrestation …fondé sur la dénonciation a été délivré à …cette personne;

·         Il a été impossible malgré des efforts raisonnables…d'arrêter cette personne ou de signifier la sommation durant la période de six mois qui suit la délivrance du mandat ou de la sommation.

[51]        Dans l'affidavit de l'agent Harrison, déposé en preuve comme pièce PG-10, il décrit  les efforts déployés par les autorités pour arrêter l'accusé. Sans rentrer dans les détails, le Tribunal constate que le contenu dudit affidavit répond à tous les critères énoncés à l'article 462.38(3) pour présumer que Gilbert Kelly s'est esquivé.

[52]        Quant au premier critère—la preuve hors de tout doute que les biens visés sont le produit de la criminalité—le Tribunal adopte le raisonnement de la Couronne. Selon la Couronne, monsieur Kelly ne pouvait acquérir ses biens autrement que par la criminalité. Depuis sa remise en liberté, il n'a jamais eu un emploi légitime et rémunéré. Il n'y aucune indication qu'il a ouvert un commerce. Il n'a même pas produit de rapport d'impôt depuis sa remise en liberté sous conditions dans l'année 2000. Pourtant, il s'enrichit et il dépense beaucoup d'argent.

[53]         La poursuite a présenté une preuve étoffée à l'effet que l'accusé-intimé était  un important trafiquant impliqué dans toutes les étapes du trafic, de l’importation de la cocaïne en provenance d’Amérique latine à la revente à l’once à partir d'un appartement dans un sous-sol qu'il loue à Ville d'Anjou. Par ces actes illégaux,  l'accusé a  généré pour son compte des sommes importantes d'argent.

[54]        Pour la Couronne, l'absence d'une source légitime d'argent jumelée avec l'implication de l'accusé dans l'importation et le trafic de drogues ne mène qu'à une seule conclusion logique: ce n'est que par sa criminalité que l'accusé a pu acquérir tous ses biens. Le Tribunal partage entièrement cette opinion.

[55]        La prochaine étape consiste à définir quels sont les biens de monsieur Kelly.

--Quant aux biens meubles

[56]        La preuve établit clairement que les biens meubles et autres objets décorant le condominium au [...] sont la propriété de monsieur Kelly.  Cette conclusion est basée, essentiellement, sur les factures trouvées par les policiers lors d'une perquisition à la résidence de monsieur Kelly. Ensuite, le contenu de ces factures fut corroboré par le témoignage des commis-vendeurs qui ont transigé avec monsieur Kelly[1].  Ainsi, tous ces biens meubles seront confisqués au profit de Sa Majesté.

--Quant à l'immeuble.

[57]        Il est clair que le condominium au [...] est la propriété de l'accusé-intimé et que madame Mireille Kelly n'a agi qu'à titre de prête-nom. La preuve ne laisse aucune place à un doute: la seule personne qui s'est comportée comme véritable propriétaire est monsieur Kelly:

·         C'est lui qui a choisi le condominium;

·         C'est lui qui l'a habité;

·         C'est lui qui a décidé des travaux de transformation et de réaménagement;

·         Pour ces travaux, il a déboursé lui-même $67,000.00 payé en argent comptant par l'entremise de monsieur Luc Beausoleil;

·         Des procurations signées par sa sœur lui laissent toute la liberté de prendre toutes les décisions nécessaires reliées au condominium;

·         Il a commandé des meubles faits sur mesure pour son condominium;

·         Dans les diverses conversations captées sur écoute électronique, il utilise l'expression «mon condo» pour désigner l'endroit où il demeure.

[58]        D'autre part, madame Kelly n'a aucunement le comportement d'une propriétaire de l'immeuble. À part les formalités requises pour le transfert de la propriété et le fait que les paiements soient faits à partir de son compte bancaire, elle se désintéresse complètement de l'immeuble. Elle ne visite pas la propriété. Elle ne possède même pas les clefs du condominium. Elle signe deux procurations où elle donne à son frère tous les pouvoirs décisionnels concernant la propriété. Elle ignore même l'envergure des travaux de réaménagement effectués par monsieur Kelly sur la propriété. Pour le Tribunal, il est inconcevable qu'une véritable propriétaire d'immeuble ne soit pas concernée par des travaux importants et dispendieux sur son immeuble.

[59]        En somme, le Tribunal est convaincu que le condominium au [...] appartient à monsieur Kelly. Tout comme les biens meubles, ce condominium sera confisqué au profit de Sa Majesté.

Partie B: Réclamations d'une tierce personne et remboursement des sommes provenant de sources légitimes.

[60]        Le régime de restitution d'un bien qui autrement serait saisi est prévu à l'article 462.41(3). À sa lecture, on apprend que la catégorie de personnes suivantes est spécifiquement exclue de la demande en restitution:

1-         La personne qui est accusée ou trouvée coupable d'une «infraction désignée»;

2-         La personne qui a obtenu un titre ou un droit de possession sur les biens d'une personne accusée d'une telle infraction dans des circonstances telles qu'elles permettent raisonnablement d'induire que l'opération a été effectuée dans l'intention d'éviter la confiscation des biens.

[61]        Ensuite, la demande en restitution à l'article 462.41(3) exige que la requérante soit la propriétaire légitime du bien réclamé et qu'elle «semble innocente de toute complicité ou de toute collusion à l'égard de la perpétration de infraction (désignée) .» 

[62]        Le langage utilisé par le législateur à l'article 462.41(3) indique que c'est par prépondérance de preuve que la requérante doit établir son droit à la restitution du bien réclamé. Dans la version anglaise, le législateur précède l'énoncé des conditions à la restitution par les mots suivants: «Where a court is satisfied that any person other than…» Dans la version française du texte, le législateur dicte que le Tribunal ordonne la restitution à la condition d'être convaincu que la personne «semble innocente de toute complicité ou de toute collusion…» En d'autres termes, la requérante, à l'article 462.41(3) doit établir selon  le standard de preuve civile qu'elle est de bonne foi.

[63]        Me Dumas concède que l'intervenante ne pourra rencontrer les conditions de restitution de l'immeuble selon les exigences de l'article 462.41(3). Devant l'absence de sa cliente, nous dit-il, il  serait impossible de prouver la bonne foi de celle-ci.

[64]        De l'avis du Tribunal,  c'est de bon droit que le défenseur de madame Kelly abandonne tout recours fondé sur l'article 462.41(3) du Code criminel pour le motif invoqué au paragraphe précédent. Le Tribunal tient à ajouter, toutefois, que la preuve au dossier établit clairement la mauvaise foi de madame Kelly. Tel que mentionné plus haut, madame Kelly n'était qu'un prête-nom pour faciliter l'achat du condominium. Selon la preuve, elle savait que son frère ne travaillait pas et qu'il a déjà purgé des sentences reliées au trafic de drogues. Pourtant, il dépense beaucoup et il acquiert des biens. La logique dicte que madame Kelly devait savoir que ce n'est que par la criminalité que son frère a pu acquérir des biens. De la même façon, elle a agi comme prête-nom afin de protéger son frère des soupçons policiers et, de ce fait, protéger les biens que ce dernier a pu obtenir grâce à ses activités criminelles.

[65]        L'abandon de la requête en restitution de l'immeuble ne met pas fin aux réclamations de l'intervenante. Dans son plan «B», elle demande au Tribunal d'ordonner le remboursement de l'argent légitime qu'elle a déboursé pour l'achat et le maintien de l'immeuble.

[66]        Cette demande modifiée de remboursement de l'intervenante repose sur deux prémisses:

I.          Que la loi permet le remboursement total ou partiel des sommes dépensées afin d'acquérir et de maintenir un immeuble;

II.          Que les sommes déboursées par Madame pour acquérir et maintenir l'immeuble ne proviennent pas des produits de la criminalité.

[67]        Le fondement juridique des prétentions de l'intervenante repose sur la première condition nécessaire à la confiscation ex parte énoncée à l'article 462.38(2). Il sera utile de reproduire, ci-après,  ladite condition ainsi que les propos introductifs:

Ordonnance de confiscation    Sous réserve des articles 462.39 à 462.41, le juge saisi de la demande est tenu de rendre une ordonnance de confiscation au profit de Sa Majesté de certains biens s'il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies :

a)         Ces biens constituent hors de tout doute raisonnable des produits de la criminalité. (souligné ajouté)

 

[68]        Selon l'argument de Me Dumas, la preuve présentée au procès n'établit pas hors de tout doute raisonnable que toutes les sommes déboursées par madame Kelly reliées à l'acquisition de la propriété proviennent des produits de la criminalité. À cet effet, il a soulevé les points suivants:

1.          À l'exception d'une somme de $10,000.00 payée en argent comptant, tous les acomptes versés pour l'achat du condominium sont effectués par chèques tirés sur le compte bancaire de madame Kelly et de son conjoint. Or, la preuve révèle que lesdits comptes étaient alimentés, en partie, par la vente de deux immeubles;

2.          Toutes les obligations normalement dévolues au propriétaire d'un immeuble (paiement de l'hypothèque, les taxes et les frais de condominium) furent effectuées par le biais de chèques tirés sur le compte de banque personnel de madame Kelly;

3.          Malgré le fait que le compte bancaire de madame Kelly comptait beaucoup de dépôts en argent comptant, la juricomptable, madame St. Arnaud, était incapable d'établir qu'il y a eu transfert d'argent entre l'intervenante et monsieur Kelly;

4.          En vertu de l'ordonnance de blocage le 6 décembre 2006, madame Kelly doit continuer d'assumer toutes les obligations réservées au propriétaire de l'immeuble (le paiement de l'hypothèque, les taxes et les frais de condominium). À ce jour, les sommes déboursées «post ordonnance» s'élèvent à $78,309.07. Selon le rapport déposé par madame Johanne Faucher, juricomptable mandatée par madame Kelly, lesdits déboursés sont faits à partir de l'argent légitimement acquis par madame Kelly. Même la Couronne admet qu'elle ne peut pas prouver la provenance illégale de l'argent  des sommes déboursées «post ordonnance»;

5.          Aucune contre-lettre—selon laquelle l'immeuble restait la propriété de l'accusé-intimé et selon laquelle l'intervenante se faisait rembourser pour ses déboursés—fut produite en preuve.

[69]        Pour Me Dumas, l'impossibilité pour la Couronne de rencontrer son fardeau selon le standard usuel en droit criminel exige que madame Kelly soit remboursée pour les déboursés faits à partir de l'argent légitimement obtenu. Selon cette approche, la propriété est divisée selon la nature légitime ou non des fonds ayant servi à son acquisition. Ensuite, le remboursement est effectué selon la quote-part des sommes légitimes ayant servi à l'acquisition de l'immeuble. Cette position est appuyée par les autorités suivantes:  R. v. Marriott, [2000]  [2000] N.S.J. No. 421 (Q.L.);  R v. Marriott  2001 NSCA 84 (CanLII); 1431633 Ontario Inc. v. Her Majesty The Queen.

[70]        Dans  R. v. Marriott, supra, les faits peuvent se résumer ainsi: Monsieur et madame Marriott sont des trafiquants de drogues. Grâce à leurs activités illicites, ils ont pu acquérir des biens, dont la résidence familiale. Toutefois, la preuve est à l'effet que la mise de fonds initiale de $43,000.00 provenait d'une source légitime d'argent (l'argent d'une indemnité d'assurance et le revenu d'emploi de la conjointe). Le couple fut éventuellement accusé pour des crimes reliés au produit de la criminalité. Un an après le dépôt des accusations, la couronne a entamé des procédures en confiscation des biens appartenant au couple (maison, terrain vacant, argent, divers véhicules et un appareil CD). 

[71]        Toutefois, avant l'audition de la requête en confiscation, le couple Marriott fut abattu par balle. La balance de l'hypothèque (mortgage) fut acquittée grâce à une police d'assurance contractée lors de l'acquisition de la maison. Selon la preuve, les versements mensuels pour acquitter les frais d'hypothèque ainsi que les frais d'assurance vie provenaient des produits de la criminalité.

[72]        La requête en confiscation fut continuée in abstentia selon les dispositions de l'article 462.38(2) du Code criminel. La succession du couple décédé obtient le statut d'intervenante et demande le remboursement de l'argent légitime déboursé pour acquérir le bien saisi.

[73]        En première instance, le juge Moir de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse arrive à la conclusion que le régime de confiscation à l'article 462.38(2) permet la confiscation partielle d'un bien autrement saisissable. Au paragraphe 27 de sa décision, il explique que la confiscation partielle est effectuée selon la proportion de l'argent légitime déboursé pour son acquisition:

…[I]t is my opinion that where property was acquired in part with legitimate funds and in part with funds from designated drug offences, this requires me to order forfeiture of partial title if the property was the subject of charges. I am not to order forfeiture of the thing as a whole, and I am not to ignore that the thing is partly proceeds of crime. I am to treat properly as title rather than property as a thing.

[74]        Pour le juge Moir, la division d'un bien selon sa partie légitime et sa partie contaminée est fondée sur un concept élargi du mot anglais pour un bien, «property». Ce concept est élaboré au paragraphe 30 de son jugement:

Property is an equivocal word. It can refer to a right or a thing. In the first instance, it means «the right to the possession, use of disposal of anything» and, in the second, it means  «a thing  or things belonging to some person»: Oxford Dictionary (Oxford, 1991), p. 639.

[75]        En résumé, le terme «property» inclut non seulement le bien comme objet physique appartenant à quelqu'un, mais également le droit ou l'intérêt qu'une personne peut avoir dans ce bien. L'article 462.38(2), écrit le juge Moir au paragraphe 30, n'établit pas un régime où «c'est tout ou rien» («all or nothing»).

[76]         De plus, la confiscation partielle d'un bien peut mieux répondre à l'objectif de la loi, c'est-à-dire de priver le criminel des fruits de sa criminalité et de passer le message que le crime ne paie pas. Pour reprendre les propos du juge Moir:

As I read the provisions, their purpose is not to impose a penalty. Property is s not forfeited as a kind of fine. Rather, the purpose is to reduce the actual profits of certain crimes where charges are laid and to reduce the expectation of profit in certain criminal businesses by placing the proceeds at risk of confiscation. It would not serve this object and its distinction from the object of imposing a penalty to provide for the confiscation of a thing in part legitimately gained or release of a thing in part criminally gained.  Further, the meaning of property as thing is not the meaning which appears in the textual context of s. 462.38(2)… We forfeit rights, not things. Therefore, Parliament did not intend s. 462.38(2)  as all or nothing. It used property in the sense of interests in things, and required forfeiture of the part interest where a thing was acquired in part only as proceeds of crime. I conclude that .s 462.38(2) requires me to follow part interest in things where property in the thing was acquired in part through the drug trade, and to order forfeiture of a part interest representing in value the part that has been proved beyond a reasonable doubt to be proceeds of crime.

[77]        À la suite de son analyse dans Marriott, le juge Moir ordonne la confiscation partielle de la résidence du couple Marriott[2].

[78]        À la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, on confirme que le mot «property» doit recevoir un sens large. Au paragraphe 28 du jugement, le juge Bateman au nom d'un banc unanime, écrit: «I am not persuaded that the judge erred in concluding that forfeiture could be limited to an interest in property.» De plus, l'analyse de la Cour d'appel procède sur la prémisse que la confiscation de la propriété s'établit ou se divise selon la provenance légitime ou non de l'argent déboursé pour son acquisition[3].

[79]        Dans la cause de 1431633 Ontario Inc., supra, la résidence de monsieur Karpacs fut saisie à titre de produit de la criminalité. L'intervenante, la compagnie Rona, avait livré pour $17,772.00 de matériaux ayant servi dans la construction dudit immeuble. N'ayant jamais reçu paiement pour les biens livrés, l'intervenante a demandé à la Cour d'émettre une ordonnance à l'effet que son intérêt dans la propriété ne soit pas affecté par la confiscation.

[80]        Le juge Molloy de la Cour supérieure de l'Ontario a émis une ordonnance telle que demandée par  l'intervenante. Sa décision est basée, en partie, sur les principes de l'enrichissement sans cause. Aux paragraphes 48 et 49  du jugement, il explique comment le non-paiement de la marchandise livrée a appauvri la compagnie Rona et a enrichi injustement l'État:

[48] …it seems clear that Rona has suffered a deprivation.  It supplied goods for which it was entitled to receive payment, those goods were used in the construction to enhance the value of the property, and it has not been paid.

[49]      There is also a clear corresponding enrichment.  The value of the property has been directly enhanced as a result of the incorporation of the Rona products into the construction of the home. Thus, any recovery by the Crown pursuant to the Forfeiture Order has been increased as a result of the enhancement, for which Rona has not been paid.

[81]        Comme le juge Moir dans Marriott, l'analyse du juge Molloy incluait une analyse du but visé par les dispositions sur la confiscation des produits de la criminalité. Comme il l'explique au paragraphe 70 de son jugement, le but de cette législation est de priver le criminel des produits de sa criminalité et non de punir des tiers innocents:

The purpose of the legislation is to ensure that crime does not pay.  It is not the purpose of the legislation, nor is it consistent with that purpose, to punish independent third parties who have contributed to the value of the property without recompense.

[82]        Finalement, au paragraphe 69 de cette décision, le juge Molloy reprend le concept de la confiscation partielle d'un bien selon la quote-part légitime ou illicite de l'argent déboursé pour l'acquérir:

Rona’s interest in the property is only to the extent of the value of the goods it supplied that were not paid for.  In that respect, it cannot be said that the property as a whole was obtained entirely from proceeds of crime.  Part of the value of the property is attributable to goods not paid for at all, and at least that portion of the value is not proceeds of crime.  It is difficult to see why the Crown should have a priority claim to that aspect of the value of the property.

[83]        Me Roy, pour la Couronne, prétend que les dispositions de l'article 462.38(2) n'accordent aucun droit à une confiscation partielle d'un bien ou au remboursement de l'argent «propre» utilisé dans l'acquisition d'un bien. Si l'intervenante a un recours à exercer, nous dit-il,  c'est par le biais de l'article 462.41(3). Toutefois, les dispositions de cet article ne sont applicables qu'aux tiers de bonne foi. N'ayant pas témoigné, madame Kelly ne peut établir sa bonne foi. De toute façon, la preuve établit clairement que madame Kelly n'était qu'un prête-nom dans l'acquisition du condominium.

[84]        Ensuite, Me Roy distingue le régime de confiscation des biens infractionnels qu'on retrouve à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances de celle qui est prévue au régime de confiscation des produits de la criminalité au Code criminel. Plus particulièrement, à l'article 19(3) de la LRDS, le législateur a prévu que «des biens autrement saisissables en vertu des articles 16 ou 17 de la loi seront restitués en tout ou en partie» (souligné ajouté). Or, le régime de confiscation des produits de la criminalité ne contient aucune disposition spécifique qui permet la confiscation partielle d'un bien. De cela, la conclusion à l'effet que la saisie partielle n'est pas disponible dans le cas sous étude.

[85]        La position de la poursuite est appuyée, en partie, par la décision de la Cour d’appel du Québec dans R. c. Vincent, 2003 CanLII 29776 (QC C.A.). Dans cette affaire, les frères Vincent étaient trouvés coupables d’infractions visées par l’article 126.1(1) de la Loi sur l’accise [L.R.C. c. E-14 et ses amendements], soit la possession de biens sachant qu’ils avaient été obtenus, en tout ou en partie, directement ou indirectement, par la perpétration d’infractions prévues à l’article 240(1) de la même loi, en l’occurrence la vente de tabac fabriqué, non empaqueté ou non estampillé conformément aux exigences de celle-ci. Aux termes de l’alinéa b.1 de l’article 462.3 du Code criminel, ces infractions constituent des infractions de criminalité organisée et sont notamment visées par les dispositions relatives aux produits de la criminalité.  Conséquemment, le procureur de la poursuite a sollicité l’émission d’ordonnances de confiscation en vertu de l’article 462.37 en regard de deux immeubles des accusés [4].

[86]         L’avocat de la défense dans l'affaire Vincent s’est objecté à l’émission de telles ordonnances au motif que la preuve révélerait qu’une partie seulement des sommes ayant servi à l’acquisition de ces immeubles provenait effectivement de la vente de tabac prohibée par l’article 240(1) de la Loi sur l’accise. À l'alinéa 126.1(1)a) de la Loi sur l'accise, on précise qu'il est interdit d'avoir en sa possession un bien, ou son produit, dont on sait qu'il a été obtenu ou provient, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la perpétration d'une infraction désignée. Si cette provenance partielle satisfait à l’exigence de l’article 126.1 de la même loi, elle ne rencontrerait pas celle prévue à la définition de « produits de la criminalité » apparaissant à l’article 462.3 du Code criminel, qui ne comporte pas la mention « en tout ou en partie »[5].

[87]        En première instance, le juge Pierre Verdon de la Cour du Québec est d'avis que les deux immeubles constituent des produits de la criminalité même s’ils ne proviennent qu’en partie des activités criminelles des accusés. Son analyse est basée sur une lecture combinée des dispositions de l’article 462.3 du Code criminel et de l’article 126.1 de la Loi sur L’accise :

…  En vertu de l’article 462.3, constitue un produit de la criminalité tout bien obtenu directement ou indirectement par la perpétration d’une infraction de criminalité organisée. Or, c’est le cas pour les immeubles qui nous intéressent. (par. 10)

Même dans l’hypothèse où ces immeubles auraient été acquis avec de l’argent ne provenant qu’en partie de la vente de tabac prohibée, l’article 126.1 de la Loi sur l’accise en fait des biens d’origine criminelle, en totalité « contaminés » si on peut se permettre l’expression, dont la possession est indistinctement prohibée et constitue une infraction de criminalité organisée selon l’article 462.3 du Code criminel. (par. 11)

[88]          La décision du juge Verdon est confirmée par la Cour d’appel. L’opinion de la Cour d'appel—sous la plume du juge Benoît Morin—est également fondée sur une analyse combinée des dispositions à l’article 126 de la Loi sur l’accise et des dispositions au Code criminel reliées aux produits de la criminalité. Aux paragraphes 13 et suivants, le juge Morin reprend les dispositions législatives applicables:

 Par ailleurs, l'alinéa 126.1(1)a) de la Loi sur l'accise, que j'ai déjà cité, précise qu'il est interdit d'avoir en sa possession un bien, ou son produit, dont on sait qu'il a été obtenu ou provient, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la perpétration d'une infraction désignée.       

 Le paragraphe 126.3(1) de la Loi sur l'accise est rédigé, pour sa part, comme suit: 

«126.3(1)  Les articles 462.3 et 462.32 à 462.5 du Code criminel s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux procédures engagées à l'égard des infractions prévues aux articles 126.1 et 126.2 et aux paragraphes 233(1) et 240(1).»

Enfin, le paragraphe 462.37(1) du Code criminel énonce la règle suivante:

«462.37(1)  Sur demande du procureur général, le tribunal qui détermine la peine à infliger à un accusé coupable d'une infraction désignée - ou absous en vertu de l'article 730 à l'égard de cette infraction - est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article et des articles 462.39 à 462.41, d'ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté des biens dont il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'ils constituent des produits de la criminalité obtenus en rapport avec cette infraction désignée; l'ordonnance prévoit qu'il est disposé de ces biens selon les instructions du procureur général ou autrement en conformité avec la loi.»

[89]        Pour le juge Morin, lesdites dispositions législatives n'exigent pas que le ministère public fasse la preuve qu'un bien provient en totalité de la perpétration d'une infraction désignée pour être considéré comme produit de la criminalité susceptible de confiscation en vertu de l'article 462.37. Comme il l'explique aux paragraphes 16 et 17 de son jugement:

…la lecture combinée de ces diverses dispositions permet de conclure qu'un bien peut être considéré comme un produit de la criminalité, même s'il ne provient qu'en partie de la perpétration d'une telle infraction.

 Je crois bon de souligner que suivant l'article 126.3 de la Loi sur l'accise, c'est l'article 462.3 du Code criminel qui doit s'adapter à l'article 126.1 de la Loi sur l'accise et non l'inverse. Dans les circonstances, la prétention des appelants qu'on ne doit pas tenir compte des mots «en tout ou en partie» que l'on trouve à l'article 126.1, lorsqu'on veut appliquer l'article 462.3 à une infraction visée à cet article, doit être écartée.

[90]        Avec égard pour l'opinion contraire, le Tribunal ne peut accepter l’interprétation stricte qu'en fait le procureur de la Couronne de la loi et de la jurisprudence applicable en l'espèce. Dans un premier temps, une interprétation stricte aura pour effet la confiscation totale d’un bien sans la moindre compensation pour les sommes légitimes déboursées pour son acquisition. Même dans l’arrêt Vincent, la Cour d’appel a émis l’opinion que dans des cas spécifiques, le Tribunal pourra exercer sa discrétion afin d'éviter l'iniquité ou l'abus occasionné par une confiscation totale d'un bien.  Comme l’explique le  juge Morin au paragraphe 20 de son jugement:

Enfin, les appelants soulignent que la Couronne pourrait, de façon illégitime, profiter de la confiscation d'un bien obtenu dans une proportion minime à l'aide d'argent illégalement obtenu. Sur ce, je me contenterai de dire que le tribunal saisi d'une demande de confiscation peut exercer sa discrétion pour éviter que des abus soient commis à cet égard.  Dans la présente affaire, la démonstration n'a pas été faite que de tels abus auraient été commis et auraient justifié l'exercice par le tribunal de sa discrétion pour refuser la confiscation

[91]        Il y a lieu, également, de procéder à une distinction essentielle entre la cause de Vincent et la cause sous étude. Dans Vincent, la décision était basée, en partie, sur l'alinéa 126.1(1)a) de la Loi sur l’accise qui interdit d'avoir en sa possession un bien, ou son produit, dont on sait qu'il a été obtenu ou provient, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la perpétration d'une infraction désignée. Ensuite, la loi renvoie à certaines dispositions sur les produits de la criminalité énoncées au Code criminel.  Or, les dispositions législatives dans la présente affaire n’incorporent pas des termes semblables à ceux qu’on voit à l’article 126.1(1)a) de la Loi sur l’accise.

[92]        En somme, la Couronne ne peut s'appuyer sur l'autorité de l'arrêt Vincent pour soutenir que la loi applicable en l'espèce ne permet pas de confiscation partielle. Dans un premier temps, l'opinion du juge Morin dans Vincent ne dicte pas que la confiscation d'un bien est de rigueur même si ce bien ne fut acquis qu'en partie par les produits de la criminalité. Tel qu'expliqué plus haut, un tribunal peut exercer sa discrétion afin d'éviter des situations où la confiscation totale sera inéquitable ou abusive. Dans un deuxième temps, il faut tenir compte que la décision dans Vincent concernait une confiscation selon les dispositions combinées de La loi sur l'accise et des produits de la criminalité au Code criminel.

[93]         À l'encontre de cette position rigoureuse de la Couronne, nous avons les décisions du juge Moir dans Marriott et le juge Molloy dans 1431633 Ontario Inc. Dans la première cause, la confiscation partielle d'un bien est basée sur le sens large qu'il faut donner au mot «property». Dans la deuxième cause, c'est à partir du principe de «l'enrichissement sans cause» qu'on a  sauvegardé la contribution d'un tiers à la valeur de la propriété confisquée. 

[94]        Le Tribunal tient à ajouter que le concept «d'intérêt dans un bien» ou d'un «droit dans un bien» n'est pas étranger au régime de confiscation des produits de la criminalité prévu au Code criminel. À l'article 462.37(3) du Code criminel, par exemple, on réfère à un bien ou un droit dans un bien[6]. Ensuite, à l'article 462.42 du Code criminel, on prévoit le recours d'une tierce personne qui «prétend avoir un droit ou un intérêt dans un bien confisqué au profit de Sa Majesté.» Tout comme la personne qui demande la restitution du bien en vertu de l'article 462.41(3), le demandeur ayant un droit ou un intérêt dans un bien confisqué selon l'article 462.42 doit démontrer, par prépondérance de preuve, qu'il est de bonne foi. Il y a lieu de noter, toutefois, que cet article ne s'applique qu'aux créanciers privilégiés[7].  

[95]        Le Tribunal est également d'avis que la confiscation partielle répond mieux aux objectifs du régime de confiscation des produits de la criminalité, c'est-à-dire de priver le criminel des gains illicites provenant de ses activités criminelles. En confisquant la quote-part «légitime» d'un bien, on ne prive pas le criminel des produits de sa criminalité; on ne fait que priver une personne de l'argent légitime dépensé pour acquérir le bien. 

[96]        En limitant la confiscation à la quote-part du bien qui fut acquis par les fruits de la criminalité, on évite des cas d'abus ou d'iniquités. Tel que vu dans l'affaire 1431633 Ontario Inc., le juge Molloy a émis une ordonnance en faveur de la compagnie Rona pour éviter une confiscation sans compensation pour sa contribution (en matériel)  à la valeur du bien saisi.

 

Application

 

[97]        Dans la présente affaire, il s'agit de déterminer quelles sont les sommes légitimes déboursées par l'intervenante dans l'achat et le maintien de la propriété.

[98]        Pour répondre à cette question, il y a lieu de faire la distinction entre les sommes déboursées avant l'ordonnance de blocage et celles déboursées après l'ordonnance en blocage. 

[99]        Quant aux sommes déboursées avant l'ordonnance de blocage, le Tribunal est convaincu qu'il s'agit d'argent provenant des produits de la criminalité. Cette conclusion est appuyée par les faits suivants:

 

1.          Lors du contrat préliminaire d'achat le 9 mars 2005, madame Kelly a déposé $10,000.00 en argent comptant ainsi qu'un chèque de $17.710.00 à titre d'acompte pour l'achat de l'immeuble. Toutefois, madame Kelly disposait de plus de $220,000.00 dans son compte de banque personnel. Dans ces circonstances, pourquoi ne pas avoir fait un  seul chèque pour le montant total de $27,710.00 ($10,000.00 en espèce plus $17,710.00 en chèque)? Elle avait, après tout, les fonds disponibles. De la preuve, il ne ressort aucune explication logique pour ledit dépôt en argent comptant.

2.          Dans le compte bancaire de l'intervenante, il y a eu plusieurs dépôts en argent comptant. Le Tribunal convient que la preuve de l'experte en juricomptabilité était incapable d'établir un transfert d'argent quelconque entre monsieur Kelly et madame Kelly. Toutefois, ces sommes sont importantes et aucune explication ne fut fournie quant à leur provenance.

3.          Madame Kelly était locataire d'un coffret de sûreté à la Banque Nationale. Entre le 9 juillet 2004 et le 12 décembre 2006, elle a fait trois visites à ce coffret de sûreté, soit le 9 juillet 2004, le 10 mars 2005 et le 16 décembre 2006. Il y a lieu de noter que la visite de 10 mars suit d'un jour la signature du contrat préliminaire d'achat et que la visite du 16 décembre suit de neuf jours l'ordonnance de blocage.

4.          Finalement, il y a lieu de rappeler que Madame a agi à titre de prête-nom pour l'acquisition de l'immeuble.

[100]     Pris isolément, les faits mentionnés ci-haut peuvent avoir peu ou pas de signification. Toutefois, le poids total de tous les éléments mis en preuve nous amène à la certitude que les fonds déboursés par madame Kelly «pré-ordonnance» proviennent des fruits de la criminalité. Pour reprendre les propos de ma collègue, la juge Danielle Côté, dans la cause de R. c. Réal Coté,  le Tribunal doit considérer « la somme totale des faits troublants[8]

[101]     L'avocat de l'intervenante a fait valoir qu'il n'y avait pas de preuve d'une contre- lettre ou d'une entente quelconque entre monsieur et madame Kelly. À cela, le Tribunal répond que la preuve de la mauvaise foi d'une intervenante ne repose pas uniquement sur la découverte d'une contre-lettre. Dans le cas sous étude, l'ensemble de la preuve circonstancielle mène inévitablement à la conclusion qu'il y avait une entente entre les parties. La logique dicte que cette entente a porté sur la façon que madame Kelly sera indemnisée pour l'argent qu'elle a déboursé. Ainsi, l'argent déboursé par madame Kelly à partir de son compte de banque devait être ravitaillé par des sommes provenant d'argent illégalement obtenu. 

 

-Sommes déboursées post-ordonnance de blocage

 

[102]     Quant aux déboursés effectués par madame Kelly post ordonnance de blocage, il y a lieu de faire la distinction suivante avec les sommes déboursées pré-ordonnance de blocage: Dans le premier cas  (période pré-ordonnance de blocage), les déboursés en argent sont liés à son rôle comme prête-nom dans l'acquisition de l'immeuble. En tant que prête-nom pour son frère, elle ne pouvait plaider sa bonne foi. Ainsi, l'argent déboursé durant ladite période avait comme source les fruits de la criminalité. Dans le deuxième cas (période post ordonnance), les déboursés font suite à un ordre émis par un juge de la Cour du Québec et non en fonction de sa qualité de prête-nom. Madame n'avait pas le choix que d'obtempérer à défaut de quoi elle serait passible d'un outrage au Tribunal. Ainsi, pour les sommes (post ordonnance en blocage), on ne peut prétendre que madame Kelly était de mauvaise foi. De plus, la preuve a établi que les sommes versées post ordonnance en blocage proviennent de sources légitimes.

[103]     Dans la cause de Marriott, l'argent légitime ayant servi à l'acquisition de la propriété provenait de l'acompte initial déposé par le couple Mariott. Dans la présente affaire, les déboursés de madame Kelly ont servi, surtout, au maintien du droit de propriété. 

[104]     Depuis quatre ans et demi, madame Kelly assume tous les frais dévolus au propriétaire de l'immeuble. À ce jour, les paiements d'hypothèque, taxes et frais de condominium s'élèvent à $78,309.07. Par ces paiements, elle a contribué à la plus value de l'immeuble. Dans un premier temps, la créance hypothécaire est amortie de quelques milliers de dollars. Dans un deuxième temps, par le simple passage du temps, la valeur  marchande de l'immeuble a augmenté. Finalement, par ces paiements, elle a contribué au maintien de la propriété.

[105]     Durant cette période post ordonnance, l'État n'a assumé aucun des frais reliés au condominium. Dans ces circonstances, une confiscation sans compensation pour les déboursés légitimes de madame Kelly aura pour conséquence l'enrichissement sans juste cause de l'État.

[106]     Selon Me Roy, madame Kelly était l'auteure de son propre malheur.  N'eut été de sa participation à titre de prête-nom, elle aurait évité tous les ennuis engendrés par les présentes procédures. Ceci étant dit, est-ce que la confiscation totale du bien sans compensation sera une solution juste et équitable dans les circonstances de cette cause? Dans un premier temps, l'État oblige Madame à assumer tous les paiements reliés à l'immeuble comme si elle en était la propriétaire. Dans un deuxième temps, toutefois, l'État veut s'accaparer de l'immeuble sans se voir imposer l'obligation de compenser la personne qui a contribué à la valeur du  condominium.  Pour le Tribunal, les règles d'équité exigent que madame Kelly soit compensée pour l'argent légitime qu'elle a dû débourser suite à l'ordonnance de blocage.

[107]     Finalement, il y a lieu de rappeler qu'un des buts du régime de confiscation des produits de la criminalité est de priver les criminels des fruits de leurs activités illicites. En saisissant la quote-part légitime de l'argent déboursé par madame Kelly dans l'acquisition de la propriété, on ne prive pas monsieur Kelly, l'accusé-intimé, des produits de sa criminalité. On ne fait que priver madame Kelly des sommes légitimes qu'elle a dû débourser dans le maintien du condominium.

 

 

Ainsi, par ces motifs, le Tribunal:

 

Ordonne la confiscation au profit de Sa Majesté la Reine les meubles décrits aux pièces R-1 et R-2 de la requête en confiscation.

Ordonne la confiscation du condominium situé au [...], Montréal (décrit plus amplement au paragraphe 5 de la requête en confiscation du ministère public) au nom de Sa Majesté la Reine.

Ordonne que la confiscation dudit immeuble soit assujettie à la créance hypothécaire que détient la  Banque Nationale sur ledit immeuble. 

Ordonne à la poursuivante-requérante, Sa Majesté la Reine, de rembourser dans les 30 jours du présent jugement la somme de $78,309.07 à madame Kelly.

 

Le tout sans frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

SALVATORE MASCIA, J.C.Q.

 

 

 

Me Pierre Roy

Procureur de la poursuivante-requérante

 

Me Alexandre Dumas

Procureur de l'intervenante

 

 

 

 



[1]     Le témoignage des commis-vendeurs fut déposé par affidavit.

[2]     La décision dans Marriott  visait, également, d'autres biens dévolus à la succession. Pour les fins du jugement dans la cause sous étude, il n'est pas nécessaire de rentrer dans ces détails. 

[3]     En appel, la couronne ne prétendait pas que le juge Moir avait commis une erreur quant à la divisibilité d'un bien confisqué selon la proportion «propre» ou «sale» de l'argent ayant servi à son acquisition. Le débat était axé sur la source de l'argent ayant servi à l'acquisition du bien; s'agissait-il ou non d'un bien obtenu par les produits de la criminalité?  Entre autres, la Cour d'appel a tranché que la police d'assurance vie était payée à partir des produits de la criminalité. De ce fait, l'indemnité hypothécaire ayant servi à payer la balance de l'hypothèque constituait un produit de la criminalité et la résidence familiale fut saisie au profit de l'État. Toutefois, la Cour avait maintenu que le dépôt initial de $43,240.00 provenait de source légitime. Ainsi, malgré l'ordonnance en confiscation, la Cour d'appel avait ordonné le remboursement de ladite somme à la succession. 

[4]     Les faits décrits sont tirés textuellement de la décision en première instance du juge Pierre Verdon dans R. c. Vincent, CanLII 31314 (QC C.Q.), paragraphes 3 et 6.

[5]     La position de la défense dans Vincent est tirée textuellement de la décision du juge Pierre Verdon, par. 9.

[6]     Le Tribunal convient, toutefois, que ladite section ne concerne que l'imposition d'une amende dans des situations où la confiscation du bien est impossible.

[7]     Voir les propos du juge Fish J.A. dans Lumen Inc. v. Canada (Attorney General) (1997), 119 C.C.C. (3d) à la page 95. Les propos du juge Fish quant à l'application de l'article 462.42 aux créanciers privilégiés sont repris au par. 32 dans la cause de 143166 Ontario Inc.

[8]     2001 CanLII 21996 (QC C.Q.), par. 56.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.