Groupe Ortam inc. c. Richard Soucy Rembourrage inc. |
2011 QCCS 937 |
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JR 1452 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-050584-096 |
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DATE : |
Le 4 mars 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Groupe Ortam inc. |
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Demanderesse |
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c. |
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Richard Soucy rembourrage inc. |
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et |
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9149-5408 Québec inc. |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse Groupe Ortam inc. ( Ortam ) est une entreprise qui œuvre dans le domaine de la consultation des études environnementales. La défenderesse Richard Soucy rembourrage inc. est une entreprise spécialisée dans le recouvrement et la fabrication de meubles. La défenderesse 9149-5408 inc. ( 9149-5408 ) est une entreprise spécialisée dans la location d'immeubles à vocation commerciale. Elle est également propriétaire d'un immeuble situé au 2765, chemin Bates à Montréal. Richard Soucy ( Soucy )[1] est actionnaire, administrateur et dirigeant des défenderesses. Le commerce opère sous le nom de Richard Soucy rembourrage inc., dans l'immeuble sis au 2765 chemin Bates à Montréal.
[2] Le 7 septembre 2007, Soucy rencontre le représentant de la demanderesse Pascal Fhima ( Fhima ) afin de lui montrer le réservoir d'huile attenant à sa propriété. Soucy lui représente qu'il s'agit de son réservoir qu'il doit enlever, car il est sur le point de vendre sa propriété et il est essentiel que ce réservoir soit retiré, ce qui est fait le 19 septembre 2007. Par la suite, Soucy donne le contrat de la décontamination du sol à la demanderesse.
[3] Cette dernière oppose aux défenderesses qu'il y a eu signature d'un contrat pour la réalisation de ces travaux. Le montant réclamé initialement était de 67 488,72 $.
[4] Malgré la réalisation des travaux, la défenderesse Richard Soucy rembourrage inc. refuse de payer parce que ce serait 9149-5408 Québec inc. qui serait propriétaire de l'immeuble.
[5] Qui plus est, le terrain derrière son immeuble ne lui appartient pas. Soucy reproche à la demanderesse de ne pas avoir fait les vérifications nécessaires avant de commencer les travaux et précisant que la demanderesse lui aurait représenté que la portion du terrain derrière son immeuble lui appartenait[2].
[6] Pascal Fhima, âgé de 34 ans, travaille pour la demanderesse à titre de directeur des opérations, depuis 2002. La demanderesse est une entreprise spécialisée dans le domaine du bâtiment et de la consultation environnementale. L'entreprise réalise entre autres des études de sol. Fhima œuvre dans la géotechnique et le contrôle des matériaux dangereux. La demanderesse traite environ 300 dossiers par année. En matière de décontamination de sol, elle réalise environ 15 dossiers par année.
[7] Fhima est le fondateur de l'entreprise. Avant 2002, il travaillait pour une firme, également dans le domaine de l'environnement où il a été chargé de projets pendant plus de sept ans. Il est détenteur d'une technique en architecture et d'un bac en génie de la construction avec spécialisation en mécanique de sol. Il est membre de l'ordre des ingénieurs du Québec depuis 2004.
[8] En juillet 2007, Soucy le contacte afin d'enlever un réservoir souterrain à proximité de la propriété qu'il est sur le point de vendre.
[9] Le 27 juillet 2007, Soucy signe pour Richard Soucy rembourrage inc. une soumission de 6 560 $ plus taxes, pour l'enlèvement du réservoir et échantillonnage du sol, déposée sous la cote P-4. À la signature du mandat, la demanderesse reçoit 50 % du montant, le reste est payé une fois les travaux terminés, soit le 19 septembre 2007.
[10] Soucy demande à Fhima de sortir rapidement le réservoir puisqu’à titre de vendeur, il devait se conformer aux attentes de l'acheteur entre autres en enlevant le réservoir. Lors d'une rencontre à son bureau quelques jours avant le 19 septembre soit la date de l'exécution des travaux, Soucy mentionne à Fhima que la propriété doit être vendue à une personne de la même communauté que Fhima et ajoute que l'immeuble doit être utilisé pour en faire une institution d'enseignement.
[11]
Lors d'une visite avant le dépôt de la soumission,
Soucy lui fait part de ses besoins et montre à Fhima l'endroit où se trouve le
réservoir souterrain relié à une fournaise au sous-sol de l'immeuble.
[12] La propriété est un immeuble à vocation commerciale qui fait face à la rue Bates. À l'arrière se trouve un terrain vacant. Au fond de ce terrain, il y a un talus d'arbres, suivi d'une voie ferrée.
[13] Lors de la réalisation des travaux, le 19 septembre, Soucy est présent de même qu'un des techniciens de la demanderesse. Les travaux sont exécutés par un sous-traitant payé par la demanderesse. Le réservoir déterré a une capacité d'environ 1 000 à 1 500 gallons.
[14] Par la suite, il y a caractérisation du sol, c'est-à-dire l'échantillonnage du sol au niveau des quatre murs de l'emplacement du réservoir de même qu'à l'endroit où le réservoir était appuyé. Les échantillons sont soumis à un laboratoire pour obtenir une analyse du sol. Deux tuyaux étaient reliés à la propriété et au réservoir et une connexion vers la fournaise à l'intérieur de la propriété.
[15] Fhima produit un rapport daté du 1er octobre 2007 ( P-5 ). Le témoin souligne que l'offre initiale a été faite en français et le rapport rédigé en anglais puisque Soucy devait le remettre à l'éventuel acheteur qui s'exprimait en anglais. Dans ce rapport, on fait part au client que l'emplacement où les travaux devaient se faire ne respecte pas les termes d'usage pour la propriété en question. Le critère environnemental à respecter est « C ». Le niveau de contamination ne doit pas dépasser ce critère. Considérant que l'immeuble devait être converti en immeuble institutionnel, Fhima allègue que le critère à atteindre devenait « B » au lieu de « C. ». Avec ce rapport, Fhima produit la facture et un schéma où il est possible de voir le bâtiment, l'emplacement où était situé le réservoir et un talus. Ce rapport est remis à Soucy le 1er octobre 2007 qui paye la demanderesse le même jour pour les travaux effectués.
[16] Soucy téléphone ensuite à Fhima pour se renseigner du contenu technique du rapport. Fhima lui confirme qu'il y a de la contamination sur le terrain et donne les explications d'usage en rapport avec les moyens à prendre et il conclut qu'il faut procéder à une décontamination. Préalablement, il faut faire des forages afin de délimiter précisément les zones de contamination. Soucy lui demande de faire une offre de services pour les travaux de décontamination.
[17] Le 1er octobre 2007, Fhima remet une estimation pour les travaux de forage qui est produite sous la cote P-6. Il est également jugé important de forer le sol à l'intérieur du bâtiment étant donné la proximité du réservoir par rapport à l'immeuble. Tel qu'il appert à l'appendice 2, un montant de 2 950 $ est facturé à Soucy pour le forage intérieur. Il est alors question de faire deux forages manuels à l'intérieur de la salle de fournaise.
[18] Soucy mentionne qu'il prendra connaissance de cette offre de services pour ensuite la transmettre aux acheteurs.
[19] Dans la proposition de décontamination du 7 novembre 2007 ( D-1 ), on y décrit à la section 4, aux pages 2 et 3, les travaux qui seront réalisés, en l'occurrence la gestion du sol contaminé sur une base estimée à 100 tonnes métriques et pour laquelle on identifie les critères ( B ) et ( C ) et 50 tonnes de plus au critère ( D ) ( RESC ) qui représente le niveau le plus contaminé. Cette dernière catégorie doit être traitée avant d'être enfouie. Il s'agit d'une estimation. Au bas de la page 2, on y lit la note suivante :
« Prix varient selon le volume/poids total des sols contaminés à disposer.
Les sols contaminés disposés seront facturés selon le volume/poids indiqués sur les billets/manifestes de pesées. »
[…]
[20] On prévoit une telle clause puisque selon Fhima, il est impossible d'établir d'avance ce qui est contaminé, dans quelle mesure et à quel niveau la décontamination doit être effectuée.
[21] Par la suite Fhima n'entend pas parler de Soucy pendant quelques mois. Il lui téléphone à quelques reprises pour savoir s'il a reçu l'offre et pour connaître ses intentions. La deuxième fois, il l'appelle pour voir s'il désire obtenir d'autres informations. Lors du troisième appel, il prend rendez-vous afin de discuter des conditions de l'offre du 7 novembre. Lors de cet appel, Fhima mentionne à Soucy qu'il comprend le contexte et l'importance pour lui de vendre l'immeuble. Fhima comprend également que Soucy ne détient pas les fonds pour payer la décontamination. Il fut donc question de payer les travaux de décontamination au moment de la transaction chez le notaire. Soucy pose quelques questions par rapport au prix et aux quantités. Suite à cela, Fhima retourne à son bureau et lui envoie un fax en date du 6 décembre 2007 ( P-7 ). Ce document confirme leurs discussions, reprend l'offre de services du 7 novembre 2007 et explique les conditions pour l'offre de services.
[22] Entre le moment des premières discussions en juillet 2007 et l'envoi de cette télécopie en décembre 2007, Soucy ne mentionne rien concernant l'emplacement de sa propriété. Selon Fhima, il ressort clairement des discussions que l'emplacement du réservoir se trouvait sur son terrain, à l'arrière de sa propriété. La décontamination allait se faire à l'endroit indiqué par Soucy. Toujours selon Fhima, vu la disposition géographique, la proximité de l'immeuble et la présence du talus, il n'y avait pas lieu de croire que ce réservoir ainsi que le terrain derrière l'immeuble n'appartenaient pas à Soucy.
[23] À une occasion, Fhima demande à Soucy un certificat de localisation. Ce dernier lui répond qu'il n'en a pas, mais qu'il allait faire une recherche. Les deux savent que pour la transaction projetée, il faut obtenir un nouveau certificat. Ce fait est soulevé par Fhima, au moment où les travaux de décontamination sont entamés.
[24] Fhima témoigne qu'il était clair pour lui que si Soucy lui fait enlever le réservoir derrière sa maison et qu'il lui demande de décontaminer le sol à proximité, il devait forcément en être propriétaire. Surtout que ce dernier l'a payé pour l'enlèvement du réservoir. Fhima témoigne qu'il travaillait en fonction de ce que Soucy lui demandait de faire.
[25] Une fois que Soucy a signé le contrat, les travaux commencent à la fin décembre 2007. Soucy est souvent présent sur les lieux des travaux. Fhima le rencontre sur place et les deux discutent de l'exécution du travail. C'est lors d'une de ces rencontres en janvier 2008 que Soucy accepte de mandater Fhima pour le forage à l'intérieur de l'immeuble. Selon Fhima, il est clair que sous la fondation, il y a de la contamination. Le forage est fait en date du 24 janvier 2008. Il s'agit du même type de forage que celui recommandé en octobre 2007, mais à cette époque, la demanderesse n'avait pas été mandatée.
[26] Fhima est interrogé sur un rapport daté du 27 décembre 2007 ( D-2 ), mais dont la copie n'aurait été remise qu'en février 2008. Il répond qu'il s'agit d'un rapport évolutif dont les travaux ont débuté en janvier 2007. Le rapport D-2 ne représente pas l'intégralité du rapport produit sous la cote P-8. À la section 4 de ce rapport en page 5, on peut voir le détail du travail exécuté chaque jour, et ce, depuis le 13 décembre 2007. On indique le nombre de tonnes de sol enlevées et les échantillons prélevés et transmis pour analyse. On fait également état des forages effectués à l'intérieur du bâtiment.
[27] Fhima rencontre Soucy entre une à trois fois semaine pour discuter de l'évolution des travaux sur le chantier. Il souligne que Soucy ne fait aucun commentaire particulier.
[28] Durant les travaux de décontamination, on constate que l'eau s'infiltre dans la zone excavée, ce qui rend le travail plus difficile. Le travail étant fait dans des conditions hivernales, la manipulation du sol humide et gelé rend les travaux plus difficiles. Il faut pomper l'eau et en disposer de façon à respecter les normes. Il faut traiter l'eau sur place afin de minimiser les coûts des travaux.
[29] Le 24 janvier 2008, les travaux cessent. Un forage à l'intérieur démontre qu'il y a contamination dans l'immeuble. Fhima témoigne qu'il faut prendre du recul et attendre les résultats des analyses avant de soumettre un plan d'action final pour la décontamination du site au complet. Il est également question que la demanderesse demande à trois compagnies oeuvrant dans le domaine de la décontamination de présenter des soumissions.
[30] Fhima informe alors Soucy des coûts des travaux à date. Il dépose une lettre adressée à Soucy contenant l'estimation des travaux à réaliser. Il dépose également une facture des coûts du projet au 24 janvier. Cette facture a été remise à Soucy le 28 février 2008, en même temps que l'offre finale de services et en même temps que les pièces D-3 et P-8.
[31] Plus précisément, la facture P-1 fait état d'un montant de 67 488,72 $. Cette facture contient le détail des travaux réalisés sur le site en fonction de ceux décrits à la pièce P-8 ( section 4, p. 5 ). Fhima lui remet également les talons et les manifestes, soit les bordereaux qui confirment le nombre de tonnes et les heures d'utilisation des appareils sur le site. Il dit avoir passé en revue la facture avec Soucy qui l'approuve, y appose ses initiales et signe à la fin.
[32] Les travaux ont été complétés le 24 janvier 2008 pour cet aspect du dossier.
[33] Entre le 24 janvier et le 28 février 2008, Fhima obtient des soumissions pour le reste du travail et rencontre Soucy à son bureau dans le but de discuter de la complexité et de l'envergure des travaux.
[34] Fhima dit avoir passé en revue la pièce P-8 et lu le document P-1. Une rencontre a lieu le 28 février 2008 et se termine amicalement. Soucy dit qu'il prendra une décision et qu'il tentera peut-être de prendre arrangement avec l'acheteur. Les montants présentés représentaient des travaux de l'ordre de 228 600 $. Soucy est d'accord pour payer la facture P-1, mais concernant la pièce D-3 et les travaux à faire, il n'est pas prêt à donner son accord, il a besoin d'une période de réflexion. Lors de cette rencontre, Fhima est accompagné de son avocat Me Banon. Il précise cependant que la présence de Me Banon n'a aucun lien avec ce dossier, ils avaient déjà prévu déjeuner ensemble, mais profitant de sa présence, il l'invite à assister à la réunion.
[35] Après le 28 février 2008, Fhima ne reçoit pas le paiement de la facture P-1. Ayant été informé par Soucy au cours d'une rencontre en décembre 2007 que l'éventuel acheteur était un certain Michael Fisher, Fhima fait des démarches pour le rencontrer. Fhima avise donc Fisher des montants à payer et des travaux à effectuer. Il demande également à Fisher de lui transmettre le certificat de localisation, qu'il reçoit par courriel le 25 février 2008[3].
[36] Les notes manuscrites sur le document ont été écrites par Fhima. Sur le certificat de localisation on voit très bien que la propriété en cause fait partie du lot 2 174 641 et la partie où le travail de décontamination a été fait est située sur le lot 2 482 537.
[37] Le 28 février 2008, lors de la rencontre avec Soucy, Fhima l'informe avoir reçu le certificat de localisation. Sur ce, Soucy répond qu'il s'en doutait. Fhima lui aurait alors mentionné que vu que le réservoir lui appartenait, il devait faire les travaux sur le terrain en vertu de la règle « pollueur-payeur ». Selon Fhima, il n'y a aucun doute que la contamination avait été faite par le réservoir. Donc, lors de la rencontre du 28 février 2008, Soucy est au courant que les travaux ont été faits sur le lot 2 482 537 qui ne lui appartenait pas. Selon Fhima, cela n'a pas changé le cours des discussions et Soucy a quand même signé et approuvé le travail qui avait été fait[4].
[38] Fhima se rappelle que dans les derniers jours des travaux, aux alentours du 24 janvier 2008, il rencontre Soucy à son atelier qui lui dit avoir trouvé le certificat de localisation à son chalet. Soucy lui présente alors un plan représentant différentes propriétés sur la rue Bates. Ce document ne permet pas de connaître les limites de la propriété de Soucy[5].
[39] Entre la signature de la facture P-1 et la date de la mise en demeure le 11 février 2009, Soucy n'a pas communiqué avec Fhima, sauf pour une lettre qu'il a reçue de Me Odette Nadon, l'avocate de Soucy. Cette lettre datée du 10 avril 2008 allègue que Fhima aurait fait une erreur en faisant les travaux de décontamination sur une propriété n'appartenant pas à Soucy. Le 30 avril 2008, il répond par une lettre niant ces allégations. Deux lettres sont produites en liasse sous la cote P-10.
[40] La réclamation de la demanderesse est basée sur la pièce P-1. Elle réclame la somme de 67 488,72 $, plus une pénalité de 25 % du montant principal, soit la somme de 16 872,18 $. Cette pénalité est prévue à la facture P-1 :
« Pénalité
Au-delà de 30 jours, de la date de facturation, les montants impayés seront majorés d'un intérêt au taux de 2 % par mois de retard ou 24 % par année.
En cas de litige ou de recours aux tribunaux pour recouvrer des montants impayés, des frais de cour et extrajudiciaires correspondants à un minimum de 850.00 $ et/ou 25 % de la facture totale seront ajoutés au montant de la facture. »
[41] Fhima témoigne qu'après le 28 février 2008, il a repris contact avec Fisher afin de discuter de ce qui avait été convenu avec Soucy et du fait que ce dernier devait payer la somme qu'il lui devait chez le notaire.
[42] Des engagements sont pris par Soucy lors d'un interrogatoire au préalable, en l'occurrence la lettre de Me Nadon du 14 mars 2008 est produite sous la cote P-11 :
« […]
Monsieur Richard Soucy est prêt à procéder à la vente de l'immeuble à votre client aux conditions suivantes :
· Le prix de vente sera réduit de 550 000 $ à 370 000 $;
· Votre client prendra l'immeuble dans son état actuel (le réservoir d'huile à chauffage et la contamination dans la fosse à réservoir ont été enlevés) et notre client assumera les coûts y associés au montant de 67 488,72 $;
· Votre client s'engage à procéder à la décontamination résiduelle à ses frais, à l'entière exonération de notre client;
· Une clause dans l'acte de vente indiquera que la réduction du prix de vente de 180 000 $ est due à l'état de contamination de l'immeuble et le vendeur réserve tous ses droits et recours pour récupérer cette somme à l'entière décharge de votre client;
· Les travaux de décontamination résiduelle devront être effectués sans dérangement des activités commerciales de notre client, y compris le stationnement à l'arrière de la bâtisse.
Notre client est donc prêt à signer l'acte notarié qui tiendra compte des présentes dès que cela vous sera possible.
[…] »
[43] En réponse à cette lettre, Fhima produit sous la cote P-12, une lettre du 10 avril 2008 du procureur de l'acheteur.
[44] Fhima dit avoir adressé la facture P-1 à « Richard Soucy rembourrage inc. » puisque c'est le nom que Soucy lui avait donné au moment de remettre les documents de soumission. C'est le nom qu'il utilisait toujours et qui figurait comme propriétaire à l'index aux immeubles. Par la suite, en avril 2008, Richard Soucy rembourrage inc. a été remplacé par la compagnie 9149-5408 Québec inc., soit la co-défenderesse en l'instance. Fhima dit avoir appris ce fait le 15 mai 2009.
[45] Richard Soucy est propriétaire d'un atelier de rembourrage depuis 35 ans. Il a acheté l'immeuble en cause en 2000. Son commerce occupe une partie de l'immeuble et le deuxième étage est partiellement loué. Par la suite, l'immeuble est transféré à la compagnie 9149-5408 Québec inc., qui est créée pour pouvoir acquérir une partie de l'immeuble et laisser 50 % des actions à son fils qui dirige la compagnie avec lui.
[46] Selon lui, la seule vocation de cette compagnie est de payer l'hypothèque et les dépenses de l'immeuble. Il est le seul actionnaire de cette compagnie. Soucy ne possède aucune expérience dans le domaine de l'immobilier.
[47] Soucy apprend la présence du réservoir derrière l'immeuble après avoir reçu une offre d'achat de Fisher. Il accepte l'offre d'achat et il doit y avoir une étude des lieux. La compagnie Solroc inc. découvre la présence d'huile et conclut qu'il y a possiblement un problème de contamination du sol. L'acheteur amende alors son offre d'achat et retranche 100 000 $ afin de permettre la réalisation des travaux de décontamination.
[48] Lorsque Soucy montre les lieux à Fhima il dit : « ça doit être mon terrain et mon réservoir, c'est logique. » Il indique qu'il y a un poteau entre les deux édifices qui doit servir à désigner les limites. À l'arrière, une affiche du Canadien National interdit l'accès à cet endroit.
[49] Il témoigne que « Vu le réservoir, j'ai présumé que c'était mon terrain … de bonne foi, je croyais que c'était à moi. »
[50] Par la suite, la demanderesse réalise la première partie de son travail et enlève le réservoir. En creusant, on pouvait percevoir la contamination du sol.
[51] Soucy témoigne que Fhima ne lui demande qu'une seule fois son certificat de localisation. Il ne l'a pas et dit qu'il est peut-être à son chalet. Il mentionne à Fhima que l'acheteur doit en avoir un et il passe à autre chose. Il dit : « S'il me l'avait vraiment demandé … »
[52] Avant que la demanderesse ne commence les travaux de décontamination, Fhima fait parvenir à Soucy un estimé produit sous la cote D-1. Il se rappelle avoir vu ce document, mais il s'agissait d'un estimé sommaire. Il dit que Fhima lui avait assuré que les travaux ne coûteraient pas plus que 100 000 $.
[53] Il reproche à la demanderesse d'avoir agi en profitant de lui. Les profits étaient exagérés. Il dit de la demanderesse qu'elle a agi de façon cavalière, d'autant plus que Fhima savait que l'immeuble était important pour lui. Il dira « c'était mon fonds de pension. » Il considère que les travaux de contamination sont trop chers et l'estimé à 228 000 $ est déraisonnable. « De 100 000 $, je me retrouve à 300 000 $. »
[54] Concernant la facture P-1, il dit que Me Banon arrive à son bureau. Lorsqu'il le voit entrer, il est surpris. Par la suite, Fhima arrive et ils passent tous les trois dans son bureau. Fhima lui fait part de l'estimé de 228 000 $ ( D-3 ) et il admet que cet estimé lui a été expliqué. Il dit que la facture de 60 000 $ semblait moins importante par rapport à ce qu'il venait de voir. Il témoigne qu'à ce moment-là, il ne savait pas que le terrain ne lui appartenait pas. Il dit que Fhima ne l'a pas informé à ce sujet. Il témoigne avoir signé de bonne foi, parce qu'il voulait régler et prendre arrangement avec son acheteur.
[55] Lors de cette rencontre, il aurait été question du certificat de localisation. Il dit : « Je crois qu'on m'a exhibé le certificat. » On lui aurait montré la section contaminée, les points et le document D-4. Le témoignage de Soucy sur cet aspect du dossier est plutôt nébuleux. Il dit qu'on lui a montré « un truc avec des points ». Il dit que Me Banon aurait été surpris du fait qu'il n'y a pas eu de demande de certificat de localisation. Globalement, Me Banon a été témoin de la conversation entre Fhima et Soucy, mais il ne s'est pas mêlé à la conversation en tant que tel. Il était présent lorsque Soucy a signé la facture.
[56] Il a appris que le terrain ne lui appartenait pas lorsqu'il a mandaté Me Nadon pour faire une recherche de titre. Il dit avoir mis son immeuble en vente par l'intermédiaire d'une agente immobilière et il ne se rappelle pas si elle lui avait demandé un certificat de localisation. La tentative de vente de l'immeuble a duré un an et il ne peut confirmer ou infirmer si durant toute cette période elle lui a demandé un certificat de localisation.
[57] Il dit avoir faxé quelque chose à Fhima, possiblement la pièce P-9 où il est difficile de voir quoi que ce soit. Il n'a pas la preuve de transmission par fax. C'est son épouse qui s'occupait de l'administration. Il a peut-être perdu le certificat qu'il avait. Il dit que sa fille pourrait possiblement corroborer l'envoi du fax, mais elle n'est pas là pour confirmer cette partie du témoignage de Soucy.
[58] Il confirme que Fhima lui a demandé le certificat de localisation dès le début, quand il lui a montré le terrain. Soucy lui aurait alors dit qu'il ne savait pas vraiment où était la limite de son terrain, « mais de bonne foi, je pensais que c'était à moi. » Tout allait dans ce sens, le réservoir derrière était branché dans l'immeuble et il l'alimentait. Pour Soucy, il s'agissait de son réservoir. Rien ne lui permettait d'en douter. Il avait bien vu le tuyau d'évent et celui de remplissage situés sur le mur arrière de l'immeuble. Il n'a jamais douté être propriétaire du terrain derrière l'immeuble. De bonne foi, il a toujours cru qu'il s'agissait de son terrain. De plus, il n'a jamais vu personne se promener ou travailler sur le terrain en question. Depuis qu'il est propriétaire, il a lui-même fait des travaux, comme défricher une partie du terrain.
[59] Il n'a jamais parlé au propriétaire du lot, mais Me Nadon l'a fait. Une dame en serait propriétaire depuis des années, possiblement au début des années 1950, mais il lui a été impossible de la retracer.
[60] Il confirme avoir dit à Fhima lors de la visite derrière l'immeuble qu'il avait entendu dire que le sol était contaminé et qu'il fallait procéder à l'enlèvement du réservoir, sans plus de discussion.
[61] Les travaux d'enlèvement ont été faits le 19 septembre 2007. Entre le mois d'octobre 2007 et décembre 2007, il ne fait pas de recherche pour trouver le certificat de localisation et déterminer où sont les limites de sa propriété. Lorsque les travaux débutent en décembre 2007, il est souvent sur place et demande occasionnellement un compte rendu de l'évolution des travaux. Il confirme que les travaux cessent le 30 janvier 2008 et la rencontre avec Fhima et Me Banon a lieu le 28 février 2008.
[62] En rapport avec cette rencontre, il réitère qu'à ce moment-là, il ne sait toujours pas qu'il ne s'agissait pas de son terrain. Il ne peut cependant expliquer pourquoi il y eut des discussions sur les limites de son terrain. Il réitère avoir appris de Me Odette Nadon qu'il ne s'agissait pas de son terrain lors d'une consultation avec elle pour avoir une opinion juridique sur un recours pour vices cachés contre son propre vendeur.
[63] En contre-interrogatoire, il admet avoir pris le temps de revoir la facture P-1 avec Fhima avant de la signer. Il savait qu'il devait payer 57 000 $ plus taxes.
[64] Il reconnaît avoir vu la soumission de 228 000 $ pour la décontamination du dessous de l'immeuble et confirme n'avoir jamais approuvé cette facture.
[65] Il admet aussi que la facture P-1 devait être payée chez le notaire au moment de la transaction pour la vente de l'immeuble. Soucy s'attendait de passer chez le notaire à la fin février 2008 pour finaliser la transaction.
[66] Confronté aux pièces P-11 et P-12, il admet qu'en mars 2008, il est question de la vente entre Me Nadon et Me Oikine et qu'il est toujours d'accord pour que Fhima se fasse payer lors de la transaction chez le notaire. Il tente de contredire une partie de la lettre lorsqu'il est question du montant à payer, il dit « Je ne comprends pas pourquoi elle a ajouté le montant. » Selon lui, Me Nadon lui aurait dit que vu qu'il n'était pas propriétaire et que l'entrepreneur ne lui avait pas demandé de certificat, il n'était pas responsable de payer pour ces travaux. Il a été question de ce sujet lors de l'interrogatoire et il n'a pas cru bon ou nécessaire de désavouer son avocate. On lui exhibe la lettre de Me Oikine qui confirme le contenu de la correspondance de Me Nadon.
[67] Soucy tente d'expliquer pourquoi la vente a achoppé, il dit que c'est en partie à cause du problème de contamination. Il avait également mentionné à l'acheteur que ces travaux de décontamination ne dépasseraient pas 100 000 $[6].
[68] Aux pages 69 à 73 de son interrogatoire, Soucy admet avoir demandé à Fhima de facturer la compagnie, mais Fhima ne connaissait pas le détail et le nom de l'autre compagnie de Soucy. Ce dernier admet que la compagnie Richard Soucy rembourrage inc. et 9149-5408 Québec inc. réfèrent toutes deux à lui et que ce soit l'une ou l'autre, c'est la même chose. Pour lui cela ne change rien.
[69] Le tribunal doit donc se prononcer sur le bien-fondé ou non de la réclamation présentée par la demanderesse.
[70] Dans un dossier comme celui en cause, il faut se demander qui avait ou pouvait avoir l'information permettant de connaître la désignation réelle de l'immeuble. Il faut également se demander si celui qui exécute la décontamination doit obtenir l'information sur les limites de la propriété et s'il doit obtenir un certificat de localisation.
[71] Qui plus est, il faut se demander si par la loi ou par une obligation réglementaire quelconque, la demanderesse devait vérifier les limites de la propriété de son client avant de faire les travaux.
[72] Le tribunal croit que les faits de ce dossier établissent que la demanderesse avait suffisamment d'éléments factuels connus participant à démontrer que Soucy était propriétaire de l'immeuble. Les faits parlaient d'eux-mêmes. Soucy lui-même n'avait aucun doute sur le fait qu'il était propriétaire du terrain derrière son immeuble.
[73] Soucy habitait là depuis 2000. Il avait payé Fhima pour l'enlèvement du réservoir. Les limites visuelles du terrain confirmaient la propriété de Soucy. Le réservoir qui lui appartenait était situé sur le terrain ayant fait l'objet de la décontamination. Tout convergeait dans le sens que Soucy était bel et bien le propriétaire de ce terrain et il agissait comme tel.
[74] Qui plus est, le travail demandé par Soucy est constaté par une facture émise après les travaux et il signe cette facture. Il y a engagement clair et net de Soucy à l'endroit de la demanderesse.
[75] Soucy ne plaide pas que le fait d'avoir découvert qu'il n'était pas propriétaire du terrain constitue une erreur qui justifierait l'annulation du contrat. Selon le tribunal, il s'agissait de l'immeuble de Soucy et il lui appartenait de s'informer adéquatement des limites de sa propriété. On peut se demander comment a-t-il pu mettre en vente l'immeuble sans remettre un certificat de localisation à son agent d'immeuble.
[76] La conclusion du tribunal aurait pu être différente, s'il y avait eu des indices démontrant ou mettant en doute la propriété de Soucy sur le terrain en cause. Ici tout tendait à démontrer que Soucy était propriétaire du terrain sur lequel les travaux ont été réalisés. Encore une fois Soucy habitait là depuis 2000 et personne ne s'est manifesté comme propriétaire de ce terrain durant toute cette période. Pendant les travaux échelonnés sur plusieurs mois, personne d'autre ne s'est manifesté.
[77] Soucy était propriétaire du réservoir et cela n'a jamais été mis en doute par personne. Le travail d'enlèvement du réservoir a été fait à la demande de Soucy et payé par ce dernier.
[78] Les indices visuels tendent à démontrer que le terrain derrière est en lien avec la bâtisse, le tribunal réfère particulièrement à la présence du talus situé à l'arrière de l'immeuble.
[79] Il semble que le point le plus favorable à la demanderesse serait le fait qu'à deux occasions Fhima se serait intéressé à cette question du certificat de localisation. Une première fois en faisant la demande et une seconde fois en présentant un ou deux croquis délimitant le terrain.
[80] Concernant la première fois, Fhima suggère qu'il a demandé l'information. Il désirait avoir le certificat, car il voulait connaître les limites de la propriété, de façon à ne pas faire de travaux à l'extérieur des limites. Il n’était nullement question de vérifier si Soucy était propriétaire de cette parcelle de terrain, car pour tous à ce moment-là il était évident et logique d'assumer que Soucy en était le propriétaire.
[81] En ce qui concerne les plans produits par Fhima, il les a produits afin d'avoir une vue de l'endroit où les travaux se sont déroulés. Les plans ont été faits à partir d'informations visuelles disponibles sur place. Il n'était pas question d'informer le demandeur sur les limites de sa propriété. Cette question n'était pas en cause au début des travaux, encore une fois, tous tenaient pour acquis que ledit terrain derrière appartenait à Soucy.
[82] Le tribunal considère que Soucy n'a pas établi directement ou indirectement l'existence d'une obligation pour la demanderesse d'informer le propriétaire sur sa propriété. Cette dernière est une compagnie qui contracte un contrat d'entreprise et Fhima est directeur des opérations. il se rend sur place pour exécuter un travail précis selon les informations transmises par le propriétaire des lieux.
[83] Lors de l'audition et lors de sa plaidoirie, Soucy n'a pas soulevé le fait qu'il puisse exister une obligation de quelque nature que ce soit ( réglementaire ou déontologique ) imposant à la demanderesse l'obligation de fixer la limite de la propriété du défendeur et de l'en informer. Le travail qui lui était demandé ne requérait pas cette vérification.
[84] Il appartient au propriétaire de connaître sa propriété et les limites de celle-ci. Sauf s'il existe des indices démontrant que le travail dont on demande l'exécution ne s'exécutera pas sur la propriété de celui qui en demande l'exécution.
[85] La demande d'annulation du contrat est basée sur l'erreur. Le tribunal ne croit pas que cette défense est bien fondée en l'espèce. D'une part, rien dans la défense ne traite de cette question. Rien dans la déclaration de mise au rôle non plus. Rien dans la preuve ne permet d'établir que Soucy n'aurait pas contracté s'il avait su qu'il n'était pas propriétaire du terrain. Il est vrai qu'en matière de défense orale, on peut être moins exigeant sur le détail de ce qui est allégué, mais on doit au moins alléguer les faits justifiant la conclusion recherchée à savoir qu'il y a eu erreur sur une considération essentielle du contrat.
[86] Ici, il faut le rappeler, le défendeur était propriétaire du réservoir relié à son immeuble. Hormis le fait qu'il était ou non propriétaire du terrain, il avait un certain intérêt à décontaminer les lieux, puisque l'endroit avait été endommagé par son réservoir. Il n'est pas propriétaire du terrain, mais il est propriétaire du réservoir, personne n'a prétendu le contraire. Il est propriétaire depuis dix ans et n'a jamais vu d'indice pouvant l'amener à croire qu'une autre personne a agi comme propriétaire. Il est même possible que même ne sachant pas qu'il était propriétaire du terrain, il ait considéré nécessaire de demander la décontamination du terrain situé immédiatement à l'arrière de sa bâtisse. C'était ce que l'acheteur éventuel de son immeuble et lui désiraient.
[87] Le fait qu'il a appris qu'il n'était pas propriétaire du terrain alors qu'en toute logique il devait connaître les limites de son droit de propriété ne constitue pas une erreur. Soucy est de bonne foi, mais sa négligence à bien se renseigner sur les limites de sa propriété est une forme de négligence devant lui être reprochée.
[88] En rapport avec l'obligation d'information qui a été plaidée et analysée par les deux avocats en plaidoirie, voyons premièrement ce que la doctrine dit sur le sujet.
[89]
L’obligation de renseignement découle du contenu du
contrat consacré à cet article
[90] L’obligation d’information ou de renseignement consiste à dénoncer un risque ou un danger inhérent du bien qui fait l’objet du contrat, découle notamment de l’équité et de la bonne foi ( art. 6, 7, 1375 et 1434 C.c.Q. )[7].
[91] Cette obligation de divulgation du risque ou des éléments importants du contrat est toutefois limitée dans le domaine contractuel. D'une part, l'information doit être connue ou présumée connue du débiteur de l'obligation, ici Fhima. Évidemment, lorsque le débiteur est un expert dans le domaine pertinent à l'information, sa connaissance peut être présumée[8]. Ici, Fhima exécutait un contrat d'entreprise. Certes en exécutant son contrat de décontamination, il peut arriver que la question de la limite du terrain soit pertinente vu l'ampleur des travaux, mais il n'a pas plus d'information en cette matière que le propriétaire lui même.
[92] Qui plus est, l'obligation d'information ne s'étend pas à l'information que Soucy possède déjà ou est présumé posséder. En effet, comme on l'a vu, Soucy a agi comme s'il était propriétaire de cette partie du terrain. Il est raisonnable de soutenir que Fhima pouvait présumer que l'information générale de base était connue de soucy. De l'avis du tribunal, cette information générale de base comprenait la connaissance des limites de sa propriété.
[93] On peut dire que de prime abord, un propriétaire doit connaître sa propriété et savoir quelles en sont les limites. L'information doit porter sur un domaine qui est fonction de l'expertise des parties, et censée être inconnue de l'une et connue de l'autre.
[94] Le tribunal ne considère pas qu'il appartenait à Fhima d'informer Soucy des limites de sa propriété, vu les circonstances du présent dossier. Il n'y a pas eu de la part de Fhima un défaut de respecter cette obligation implicite d'information.
[95] Comme on l'a vu, Soucy a signé la pièce P-1 après l'exécution des travaux. Il dit l'avoir signé alors qu'il ne savait pas qu'il n'était pas propriétaire. Le tribunal en doute. Comme on l'a vu, après la signature de P-1 son avocat a transmis une lettre reconnaissant l'engagement de Soucy à payer pour les travaux. Cette lettre à laquelle le tribunal réfère a été transmise plusieurs semaines après la signature de P-1. Il savait alors qu'il n'était pas propriétaire du terrain. Il a tenté de soulever le fait que son avocate n'avait pas le mandat de mettre cette information dans sa lettre. Cette lettre n'a pas fait l'objet d'un désaveu. Le tribunal croit plutôt que cette lettre représente la situation telle qu'elle était en mars 2008, Soucy voulait payer ce compte qu'il avait accepté en février 2008.
[96] Rappelons que Me Nadon n'a pas été entendue. Une seule conclusion s'impose, elle a agi pour son client, suivant le mandat qu'elle avait. C'est d'ailleurs en lien et en accord avec la signature de Soucy sur le contrat P-1. Les écrits sont clairs et confirment sa position.
[97] La situation dans laquelle le défendeur se trouve est bien malheureuse. Il travaille fort et comme il le dit, cet immeuble représente son fonds de retraite. Cependant, le tribunal doit décider en fonction du droit. Soucy a demandé à Fhima d'exécuter des travaux, ils ont été faits et Soucy doit maintenant payer ce qui est dû.
[98] Après les explications qui lui ont été données lors de la rencontre du 28 février 2008, Soucy a signé la facture. Son avocate de l'époque avait confirmé qu'il lui fallait payer ladite facture par l'envoi d'une lettre à cet effet. Il est difficile de soutenir au procès qu'il doit payer moins parce que la facture est exagérée. Il y a un temps pour réagir. Le tribunal propose que le défendeur a, par son comportement, renoncé à alléguer les motifs qu'il invoque maintenant à ce sujet.
[99] Il est vrai que suite à son acceptation de la facture, à l'audition il y a eu diminution du montant de la facture après le contre-interrogatoire de Fhima. Le tribunal considère juste et équitable de déterminer à 52 219,56 $ le montant de la facture. Le tribunal considère donc que la demande de diminution est une demande d'amendement et que le montant apparaissant sur la facture P-1 A) produite à l'audience représente le montant en jeu.
[100] Le défendeur Soucy plaide qu'il y a eu un estimé des travaux à 26 955 $ plus taxes ( P-7 ). Le défendeur comprenait qu'il s'agissait d'un estimé et que la demanderesse n'était pas liée par cet estimé, sinon on l'aurait clairement indiqué sur la facture. Cet argument met de côté la signature de la facture le 28 février 2008, ce qui est fondamental dans l'analyse des questions en cause.
[101] Le défendeur présente cette signature de la facture P-1 comme s'il n'avait pas eu le choix de signer, puisque l'avocat de la demanderesse était présent. Il va même jusqu'à plaider que la signature de cette facture s'apparente à un contrat d'adhésion. Selon le tribunal, cette approche et cet argument sont sans fondement. Il n'y a eu aucun contrat d'adhésion. Selon la preuve, le défendeur a signé la facture P-1 sans aucune contrainte.
[102] Le défendeur doit donc payer à la demanderesse la somme de 52 219,56 $.
[103] Tel qu'il appert de la facture P-1, il est indiqué dans la section « Conditions particulières »:
« Pénalité
Au-delà de 30 jours, de la date de facturation, les montants impayés seront majorés d'un intérêt au taux de 2 % par mois de retard ou 24 % par année.
En cas de litige ou de recours aux tribunaux pour recouvrer des montants impayés, des frais de cour et extrajudiciaires correspondants à un minimum de 850 $ et /ou 25% de la facture totale seront ajoutés au montant de la facture. »
[104] La signature de Richard Soucy apparaît sur la facture P-1. La preuve n'a pas permis de connaître les circonstances entourant la signature de cette facture, ni de savoir s'il a porté attention à la teneur de l'engagement qu'il prenait au niveau de cette pénalité. Voyons ce que la jurisprudence et doctrine disent sur cette question.
[105] En
l’espèce, la clause imposant une pénalité est une clause pénale telle que
prévue à l’article
[106] Une clause pénale a deux vocations, la première, estimatoire, vise à compenser le créancier pour l’inexécution de l’obligation. La seconde, comminatoire ou dissuasive, vise à décourager le débiteur de ne pas l’exécuter. En l’espèce, la clause est stipulée à titre d’honoraires extrajudiciaires, elle veut pallier un éventuel conflit entre les parties et dissuader le débiteur à ne pas payer. Il arrive comme en l’espèce que :
« l'évaluation anticipée des dommages-intérêts ne présente pas le caractère punitif (ou comminatoire) propre à la clause pénale. En effet, rien n'empêche les parties de stipuler une clause par laquelle elles cherchent uniquement à évaluer à l'avance la valeur réelle d'une inexécution, de façon à réduire les coûts d'un litige éventuel et à des seules fins compensatoires. Dans ce cas, l'expression « clause pénale » n'est pas tout à fait exacte, bien qu'elle soit tout de même employée. Dans la pratique, on rencontre également l'expression « clause de dommages-intérêts liquidés », calquée sur l'expression anglaise liquidated damages. Il convient de souligner que ces clauses sont également régies par les dispositions consacrées aux clauses pénales dans la mesure où celles-ci sont compatibles. »[9]
[107] La jurisprudence fait elle aussi référence au terme dommages-intérêts liquidés dans de telles circonstances[10], Baudouin, dans son ouvrage, y fait aussi référence :
« Un certain type de clause pénale, importé de la common law, se rencontre fréquemment au Québec. Il s'agit de la stipulation selon laquelle le débiteur d'une somme d'argent doit payer un supplément (représenté en général par un pourcentage sur la somme due) si, en cas de non-paiement, le créancier est obligé d'intenter des poursuites en justice et de retenir les services d'un avocat. Ce montant est donc destiné à couvrir les frais encourus par le créancier pour le recouvrement de sa créance. […] Ces clauses doivent donc, à notre avis, être tenues pour valides tout en restant soumises à un contrôle judiciaire lorsqu'elles sont abusives. […] D'autre part, en ce qui a trait aux clauses dites à pourcentage, si on a pu émettre certaines réserves sur leur validité, nous sommes d'avis que ces réticences sont non fondées. Il s'agit en fait de véritables clauses pénales puisque la pénalité est payable sans égard aux honoraires véritablement déboursés. »
[108] La clause en l’espèce peut être considérée comme clause pénale et elle se doit d’être traitée comme telle, nonobstant l’absence de vocation comminatoire.
[109] Ainsi, comme le démontre la citation susmentionnée et comme l’affirment d’autres auteurs, la clause à pourcentage est valide et on la retrouve régulièrement en pratique[11], encore faut-il que le montant ne s’avère pas excessif et déraisonnable, ce qui rendrait la clause abusive.
[110]
Dans le litige actuel, il faut s’en remettre au remède de
l’article
[111]
À la lumière de l’article
[112] Dans la première, Grenier-Lacroix c. Lafond[12], une clause pénale de 25 % fut réduite par le tribunal à 15 %, puisqu’elle était jugée abusive. Le Tribunal s’est cependant justifié en spécifiant qu’elle avait eu lieu dans un contrat de bail et que ces contrats sont davantage protégés par la loi que les autres.
[113] Dans une seconde affaire, le juge Letarte, pour la Cour d’appel, n’a pas jugé bon de réduire une clause pénale prévoyant un taux de 19,2 %, bien qu’il ait soulevé quelques interrogations quant à l’importance du montant[13].
[114] Dans une autre décision, la Cour a jugé un taux de 20 % excessif et l’a réduit à 5 %, mais elle justifie son intervention en prétextant que le contrat prévoyait déjà un taux d’intérêt de 27 % pour la somme restée indue[14].
[115] Rappelons que dans le présent dossier, le contrat prévoit un taux d'intérêt de 24 % par année. Le tribunal considère aussi que la clause en question n'est pas très claire. En effet, lorsqu'il est écrit « à un minimum de 850 $ et/ou de 25 % de la facture totale », le lecteur sans explication peut être confondu. Est-ce qu'il faut comprendre que 850 $ est un minimum et ce qui peut être accordé se situe entre 850 $ jusqu'à un maximum de 25 % de la facture totale. Ce que propose la demanderesse est à l'effet que si ce n'est pas 850 $, la pénalité doit être automatiquement de 25 %. Le tribunal ne partage pas ce point de vue. L'imprécision de la rédaction de la clause permet au tribunal d'accorder un pourcentage inférieur qui sera fixé à 10 %. Aussi, s'il fallait retenir que la clause prévoit 25 % de pénalité au cas où le montant dépasserait 850 $, le tribunal considère subsidiairement que cette clause serait abusive et exerce sa discrétion pour en diminuer le pourcentage aussi à 10 %.
[116] Dans les circonstances, le tribunal utilise sa discrétion pour établir à 10 % le pourcentage qui sera accordé à ce titre, en l'occurrence 10 % de 52 219,56 $ soit : 5 219 $.
[117] CONDAMNE les défenderesses conjointement et solidairement à payer à la demanderesse la somme de 52 219,56 $, avec intérêt au taux de 24 % l'an, à compter du 7 février 2008;
[118] CONDAMNE les défenderesses conjointement et solidairement à payer à la demanderesse la somme de 5 219 $ à titre de pénalité, avec intérêts et indemnité additionnelle tels que prévus par la Loi;
[119] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Me David Banon |
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Nazem, Lévy-Soussan, Lauzon, Ratelle |
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Pour la demanderesse |
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Me Marc Lanteigne |
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De Grandpré Joli-coeur |
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Pour les défenderesses |
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Dates d’audience : |
Les 15 et 16 septembre 2010 |
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Date de prise en délibéré |
Le 21 décembre, après réception des dernières notes |
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[1] L'utilisation des patronymes ou prénoms dans le jugement vise à alléger le texte et non faire preuve de familiarité ou de manque de respect.
[2] Voir à ce sujet la pièce D-2.
[3] Voir à ce la pièce D-4.
[4] Voir à ce sujet la pièce P-1.
[5] Voir à ce sujet la pièce P-9.
[6] Voir à ce sujet la lettre du Groupe Solroc du 22 novembre 2007, déposée sous la cote P-17.
[7] Pierre-Gabriel JOBIN, avec la collaboration de Nathalie VÉZINA, Les obligations, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 484.
[8] Régie
d'assainissement des eaux du bassin de La Prairie c. Janin Construction (1987) ltée, REJB 1997-11611 (C.A.), mod.
[9] Natalie Vézina et Louise Langevin, La mise en œuvre du droit à l'exécution de l'obligation, Collection de droit 2010-2011, École du Barreau du Québec, vol. 5, Obligations et contrats, 2010, Droit civil en ligne (DCL), EYB2010CDD130, p. 33.
[10]
Potvin & Bouchard inc. c. 3127877 Canada inc., [1998], no
[11] Vitrerie A & E Fortin inc. c. Armtec inc., [1998] no
[12]
Grenier-Lacroix c. Lafond,
[13] Vitrerie A & E Fortin inc. c. Armtec inc., préc. note 14, p. 17.
[14] Potvin & Bouchard inc. c. 3127877 Canada inc., précité note 10
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.