Décision

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Gauthier c. R.

2011 QCCA 1395

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-10-002454-093

(150-01-025052-094)

 

DATE :

 26 juillet 2011

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

BENOÎT MORIN, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

CATHIE GAUTHIER

APPELANTE - accusée

c.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

INTIMÉE - poursuivante

 

 

ARRÊT

 

 

 

[1]           LA COUR; - Statuant sur le pourvoi de l'appelante à l'encontre d'un verdict de culpabilité prononcé le 24 octobre 2009 par un jury présidé par l'honorable Jean-Claude Beaulieu de la Cour supérieure, district de Chicoutimi, qui l'a déclarée coupable de trois chefs d'accusation de meurtre au premier degré (art. 235 C.cr.);

[2]           Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]           Pour les motifs du juge Bouchard, auxquels souscrivent les juges Rochette et Morin :

 

[4]           REJETTE le pourvoi.

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

BENOÎT MORIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

Me Dominic Bouchard

Cantin, Bonneau

Pour l'appelante

 

Me Sonia Rouleau

Procureure aux poursuites criminelles et pénales

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

25 janvier 2011


 

 

MOTIFS DU JUGE BOUCHARD

 

 

[5]           L'appelante se pourvoit contre un verdict de culpabilité prononcé par un jury à l'égard des trois chefs d'accusation suivants :

1)   Le ou vers le 31 décembre 2008, à Saguenay (Chicoutimi), district de Chicoutimi, a causé la mort de Joëlle Laliberté, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l'acte criminel prévu à l'article 235 du Code criminel;

2)   Le ou vers le 31 décembre 2008, à Saguenay (Chicoutimi), district de Chicoutimi, a causé la mort de Marc-Ange Laliberté, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l'acte criminel prévu à l'article 235 du Code criminel;

3)   Le ou vers le 31 décembre 2008, à Saguenay (Chicoutimi), district de Chicoutimi, a causé la mort de Louis-Philippe Laliberté, commettant ainsi un meurtre au premier degré, l'acte criminel prévu à l'article 235 du Code criminel;

[6]           En réalité, l'appelante est accusée d'avoir participé avec son conjoint au meurtre de ses trois enfants.

[7]           Au soutien de son appel, elle plaide que le juge de première instance a erré en droit dans ses directives au jury. Elle soulève cinq moyens que j'examinerai après avoir rappelé les faits de cette tragique histoire qui révèle la plus grande détresse qui soit.

Les faits

[8]           Le 1er janvier 2009, à 23 h 56, l'appelante compose le 9-1-1 à partir de son domicile. D'une voix faible et entrecoupée de sanglots, elle demande une ambulance. La standardiste lui demande quel est le problème. Elle lui mentionne qu'elle a le poignet ouvert. À la question suivante, « c'est une tentative de suicide? », elle répond : « c'était un pacte, mon mari a tué nos trois enfants ». Plus tard, elle dira :« on se l'était dit qu'on commencerait pas l'année 2009 mais… ».

[9]           Lors de cet appel téléphonique d'une durée d'environ 12 minutes, l'appelante mentionne également qu'elle s'est réveillée dans son lit, couchée avec ses trois enfants, le poignet tranché, son mari gisant par terre dans la chambre à coucher. Elle a alors secoué les enfants, mais n'a obtenu aucune réaction de leur part. Elle affirme que c'est son conjoint qui lui a coupé le poignet et qui les a tous drogués avec des somnifères. Elle s'est traînée jusqu'à la cuisine pour téléphoner et demander de l'aide. Elle a l'impression que ces événements sont survenus il y a 24 heures.

[10]        Comment un pareil drame a-t-il pu se produire? La réponse à cette question, pour être complète, m'oblige à remonter le fil du temps.

[11]        L'appelante est née en 1974 à Chibougamau. Parce que son père est décédé pendant la grossesse de sa mère et que cette dernière est bipolaire et incapable de s'occuper de sa fille, l'appelante est confiée dès son plus jeune âge à son oncle qui l'adopte, ce qui ne l'empêche pas de rester en contact avec sa mère biologique.

[12]        En 1996, l'appelante consulte pour des symptômes dépressifs. Elle s'automutile et a des idées suicidaires. On lui diagnostique un trouble de la personnalité limite.

[13]        Au mois de septembre de l'an 2000, l'appelante fait la connaissance de Marc Laliberté avec qui elle emménage peu de temps après. À partir de cette époque, son dossier médical révèle qu'elle n'a plus jamais consulté pour des gestes autodestructeurs ou suicidaires.

[14]        L'appelante a déjà une fille, Joëlle, d'une première union. L'année suivante, elle donne naissance à un garçon, Marc-Ange. En 2002, la famille déménage à Amos pour le travail de Marc Laliberté. En 2003, ce dernier subit un infarctus. En 2004, le couple a un second enfant, Louis-Philippe.

[15]        Il ressort des différents témoignages entendus lors du procès que les membres de cette famille sortent très peu. Ils vivent dans une bulle. Leur vie est centrée sur la famille.

[16]        À partir de l'été 2008, les choses se précipitent. Marc Laliberté sombre dans une profonde dépression. Sa mère décède. L'appelante se fait agresser sexuellement par son voisin, ce qui lui occasionne par la suite des crises de panique. Elle n'ose plus sortir. Elle veut déménager, s'éloigner d'Amos. Elle propose d'aller vivre à Saguenay là où habite son amie d'enfance, Kathie Ouellet, avec qui elle a repris contact en 2006 et qui offre de l'aider.

[17]        Marc Laliberté accepte même s'il doit quitter son emploi et vendre la résidence familiale. Au mois de septembre 2008, toute la famille se retrouve donc à Saguenay dans une maison que Marc Laliberté loue au coût de 1 250 $ par mois. À noter que ce dernier est sans emploi et qu'il sera onze semaines sans recevoir de prestations d'assurance-emploi. Quant à l'appelante, qui est atteinte de fibromyalgie, elle occupera bien quelques petits emplois, mais elle ne parvient pas à les conserver. Aussi, au mois d'octobre 2008, le couple doit se résoudre à faire faillite.

[18]        Le 6 décembre, à la suite du défaut de payer le loyer du mois courant, le propriétaire transmet un premier avis à Marc Laliberté qui est toujours sans emploi. Le 9 décembre, l'appelante perd le sien. Elle est congédiée. Ses collègues de travail la décrivent comme une personne triste et distante, peu avenante à l'endroit des clients. Dans les jours qui suivent, elle écrit aux propriétaires de la boutique où elle travaillait pour obtenir une attestation officielle de son congédiement de manière à pouvoir retirer des prestations d'assurance-emploi.

[19]        Le passage suivant mérite d'être cité, car il constitue un signe avant-coureur du drame qui s'en vient :

… Grâce à vous, ce sera le pire Noël pour mes enfants. Bien que ma vie privée ne soit pas votre affaire, sachez que nous perdons le peu qui nous restait…

[20]        De fait, l'appelante et Marc Laliberté prennent la décision de faire passer un beau Noël à leurs enfants malgré les problèmes financiers qui les accablent. Ils achètent non seulement des cadeaux pour leurs enfants, mais également pour ceux de Kathie Ouellet, l'amie de l'appelante.

[21]        Où trouvent-ils l'argent? En faisant l'économie du loyer du mois de décembre qu'ils refusent de payer. Voici un extrait de la lettre, datée du 19 décembre 2008, que Marc Laliberté transmet à son propriétaire[1] :

… Vous avez mentionnez à ma conjointe avec froideur que vous aviez rien à faire de nos problèmes et que c'était Noël pour tout le monde, de plus vous l'avez menacé de venir saisir des effets personnels et de vider notre logement, que même si ont est en hiver que sa ne vous empêcherais pas de nous mettre à la rue.

Mon épouse ne dors plus depuis votre conversation avec elle, suite à vos propos menaçant nous nous privons depuis 2 semaines et cela nous affectes beaucoup moralement et psychologiquement. Donc après réflexion j'ai décidé que vous aviez raison sur le fait que c'était Noël pour tout le monde, mes enfants et mon épouse compris.

Je vous avise que le chèque en date du 24 décembre 08 sera en arrêt de paiement. Je vous propose de déplacer le paiement de décembre 08 à la fin du bail en août 09. De plus soyez avisé que je n'accepterai plus aucun harcèlement verbal de votre part.

[22]        La même date, soit le 19 décembre, l'appelante porte plainte à la police au sujet de l'agression sexuelle dont elle a été victime l'été précédent, à Amos, de la part de son voisin.

[23]        Le 22 décembre suivant, le couple va chercher à Roberval la mère biologique de l'appelante qui est invitée à venir passer le temps des fêtes dans leur famille à Saguenay. Alors qu'elle devait rester jusqu'au 2 janvier, l'appelante et Marc Laliberté vont la reconduire chez elle dès le 26 décembre, et ce, après lui avoir donné deux grosses boîtes remplies de nourriture de toutes sortes.

[24]        Le lendemain, le 27 décembre, l'appelante se rend à la pharmacie afin de renouveler sa prescription d'Oxazepam, un antidépresseur, et celle de Marc Laliberté alors qu'il lui reste des médicaments pour encore une dizaine de jours. Elle explique à la pharmacienne que son conjoint vit des moments difficiles et qu'ils sont sur le point de partir en voyage. L'appelante achète également du Gravol même si elle en a à la maison ainsi que du Tylénol. La même journée, ils vont visiter la famille de Marc Laliberté à Normandin.

[25]        La journée du 28 décembre se déroule sans qu'il n'y ait rien à signaler. On peut néanmoins avoir une bonne idée de l'ambiance qui règne à la maison et de l'humeur de l'appelante en prenant connaissance du courriel qu'elle envoie à la Fondation Maman Dion le lendemain, le 29 décembre 2008, et qui s'intitule « un miracle s.v.p. » :

bonjour à vous, j'aimerais un miracle pour le 31 dec.2008. Nous sommes une jeune famille avec trois enfants, l'année 2008 a été très difficile. J'ai été agressé, ce qui a causé une suite d'évenement que je ne souhaite a personne. Pour assayer de refaire ma vie, j'ai dit a mon mari de quitter son travail et de vendre la maison pour pouvoir déménager. Je ne lui ai pas donner le choix, il suivait ou il nous perdait. Il a perdu sa mère en juillet, nous sommes déménager en aout.

Malheureusement, mon mari n'a pas été capable de se replacer, il est toujours sur le chômage. J'ai bien essayé de travailler, mais je fais de la fibromyalgie et depuis l'agression, je fait des crise de panique, j'ai dont été incapable de garder un emploi. Pour s'en sortir, nous avons fait faillite, mais se n'est pas assez. Pour offrir un noël descent a nos enfants, nous avons omi de payer le loyer de décembre. Nous avons du aussi mettre des pneus d'hiver sur la voiture, voiture que nous allons perdre pace que nous n'avons pas les moyen de faire les paiments, il en va de même pour l'hydro, le téléphone. Mon mari est cardiaque, j'ai un fils qui a un déficite d'attention avec un trouble de l'opposition sévère, nous sommes fatigué et sans ressource n'ayant personne pour nous aider vraiment. Je me tourne vers vous, peut-être que vous aurez une idée ou un très grand coeur. Ah oui, nous allons devoir déménager vue qu'ont ne peut pas payer le loyer.

Faite un miracle svp

une famille dans le besoins

[26]        Le soir du 29 décembre, l'appelante rend visite à son amie Kathie Ouellet. Selon cette dernière, elle sent que l'appelante veut lui parler. Cette dernière la suit pas à pas dans la maison. Comme le fils de Kathie Ouellet est très turbulent, les deux femmes n'arrivent pas véritablement à échanger. Kathie Ouellet rapporte néanmoins que l'appelante lui a dit qu'elle ne savait pas ce qu'elle ferait avec les enfants si son conjoint n'était pas là.

[27]        Les deux amies se revoient à nouveau le lendemain soir, le 30 décembre. Cette fois-ci c'est Kathie Ouellet qui se rend au domicile de l'appelante. Cette dernière insiste pour lui donner ses plus beaux vêtements sous prétexte qu'elle ne travaille plus. Kathie Ouellet accepte. Les deux femmes quittent ensuite la résidence de l'appelante en mentionnant à Marc Laliberté qu'elles vont prendre un café. En réalité, elles vont visiter des logements dans le but de trouver à la famille un moyen de se loger à moindre coût. L'appelante revient bredouille à la maison en fin de soirée.

[28]        Ceci nous amène à la journée du 31 décembre 2008, soit celle où les trois enfants de l'appelante et Marc Laliberté ont trouvé la mort.

[29]        Suivant ce que rapporte l'appelante, Marc Laliberté a passé la matinée devant son ordinateur. Chaque fois qu'elle s'approche, il ferme l'écran.

[30]        Sur l'heure du dîner, Marc Laliberté va retrouver l'appelante à la cuisine. Il lui mentionne qu'il a pris une décision, que toute la famille allait partir ensemble. Il lui remet papier et crayon et lui demande d'écrire ce qu'il lui dicte.

[31]        L'appelante s'exécute, mais rapporte avoir agi comme un automate. Elle a l'impression d'être sortie de son corps. Elle est incapable de se souvenir de ce qu'elle a écrit.

[32]        Par la suite, Marc Laliberté quitte la maison. Se retrouvant seule, l'appelante aurait alors soudainement pris conscience de ce qui se prépare. À son retour, elle lui signifie son désaccord et déchire les documents rédigés précédemment. Elle aurait alors compris de l'expression faciale de son conjoint qu'il abandonnait son plan. Apparemment, l'incident est clos. Ils n'en reparlent plus du reste de la journée.

[33]        Les documents déchirés ont été retrouvés dans la poubelle et reconstitués. Le premier, intitulé « Testament », est rédigé de la main de l'appelante. On y lit ce qui suit :

31 décembre 2008

Testament

Nous, sous-signé, Cathie Gauthier-Lachance et Marc Laliberté, saint de corps et d'esprit, désirons léguer tous nos avoir, meubles, vêtements, jouet, bijou, livres, ordi, vélo, outils, ensemble patio, trampoline, DVD, CD, vaisselle, enfin, tout ce que contient la maison et le garage à Kathie Ouellet, habitant

     le [...], Chicoutimi, Qc [...]

     418-[...]

Nous désirons que toute dette ou frais soit à la charge de mes parents adoptifs, Yvon Gauthier et Mariette Doucet, habitant le [...], Longueil Qc, [...], 450-[...]

Nous demandons que nos cinq (5) corps, soit les nôtres et ceux de nos trois enfants, Joëlle Laliberté, 12 ans, Marc-Ange Laliberté, 7 ans et Louis-Philippe Laliberté, 4 ans soit incinéré. Nous ne voulons pas être exposé de quelque façon qu'il soit et ne voulons pas de service funéraire. Nous laissons au gouvernement du Québec, de disposer de nos cendres.

Nous demandons, a ce que nos dernières volontée soit respectée et que le présent papier soit incontestable.

                                                                                    Cathie Gauthier-Lachance

                                                                                    Marc Laliberté

[34]        Le second document déchiré a été rédigé à l'ordinateur par Marc Laliberté. Il n'est pas signé[2]. Il raconte, en gros, sa vie parsemée de déboires et de déceptions. L'extrait suivant mérite d'être cité :

… Nous avons décidé de tout abandonner et de revenir au Saguenay, depuis tout va de travers, pas d'emploi depuis juin, juste un petit chômage et personne pour nous aider, faillite et pour couronnée le tout un propriétaire qui nous menace de nous mettre à la rue en plein hiver vu notre impossibilité de lui payé le loyer du mois de décembre, il n'a même pas voulu nous écoutés, il nous a dit que nos problèmes ne le regardais pas et qu'il se foutais de notre situation et que notre devoir était de lui payé le loyer.

Un mois de décembre 2008 triste et pauvre avec juste des soucis pour le début de l'année 2009. Donc C'est ainsi que nous avons prit la décision conjointement après de longue heure de discussion et de nuit blanche de quitter cette vie et d'apporté avec nous nos trois merveilleux enfants qui sont la seule et unique richesse de notre vie.

Je n'ai pas pris le temps d'écrire toutes les épreuves de notre courte vie de famille cars j'aurais du écrire des pages et des pages entières. Nous ne sommes plus capable d'avancer et de se battre pour juste survivre ont préfères parti pour un long voyage et ne plus avoir à vivre dans un monde si cruelle.

                        Marc Laliberté     vous demande de parler pour nous et non de nous juger comme étant des monstres.

[35]        Aux dires de l'appelante, le reste de la journée se déroule normalement. Vers 19 h, la famille s'installe devant la télévision pour visionner un film. Peu de temps après, Marc Laliberté sert du maïs soufflé aux enfants et apporte des breuvages à tout le monde, y compris à l'appelante.

[36]        Cette dernière se souvient que Louis-Philippe s'est endormi sur le divan. Elle garde également le souvenir de Marc-Ange qui mentionne que ses jambes le chatouillent. Puis, l'appelante rapporte qu'elle s'est sentie pesante et après, plus rien. Elle ne se souvient pas d'avoir couché les enfants.

[37]        Lorsqu'elle se réveille, il fait clair dehors. Elle est couchée dans son lit avec ses enfants à ses côtés. Voici comment l'appelante rapporte à son avocat, au procès, la suite des événements jusqu'à son appel au 9-1-1 :

R   Quand je me, quand je me suis réveillée, j'étais dans mon lit avec Louis-Philippe sur moi. J'avais Joëlle pis Marc-Ange couchés à côté. Là je me suis aperçue que mon bras était ouvert, j'ai…

Q   Quel bras Mme Gauthier?

R   Le bras droit.

Q   Il était placé de quelle façon ce bras là, à quel endroit?

R   Il, il pendait dans le vide. J'ai poussé Louis-Philippe pis Joëlle, mais ils se réveillaient pas. Pis j'avais, j'avais tellement froid là. C'était tout ce qui me venait en tête c'est ça, je voulais me réchauffer, j'étais ben gelée. Je sais pas comment que je me suis rendue à la salle de bain. Je suis allée me faire couler un bain chaud pour me réchauffer.

Q   Est-ce que vous remarquez à ce moment là au niveau de la, de la période de la journée des indices ou…

R   Quand j'ai, quand j'ai ouvert les yeux la première fois que j'ai brassé les enfants un peu, il faisait clair dehors, puis quand je me suis, je me suis réveillée dans le bain, il faisait noir.

Q   Est-ce que vous avez fait d'autres constatations lorsque vous êtes, vous êtes réveillée dans cet état là dans la chambre?

R   J'avais juste mes enfants, je voyais pas Marc.

Q   Après le, vous dites que le bain quand vous vous êtes réveillée, il faisait à ce moment là noir?

R   Hum…

Q   Est-ce que vous avez souvenir de comment vous vous sentiez à ce moment là?

R   Je me sentais faible, comme vidée.

Q   C'est quoi le, c'est quoi l'idée que vous avez à ce moment là?

R   Je me suis dit qu'il fallait que je trouve le téléphone pour appeler de l'aide, mais je savais pas il était où.

Q   C'est quoi l'aide que vous vouliez à ce moment là?

R   Ben je voulais peut-être appeler, faire le 911 caller l'ambulance. Je voulais, je voulais vivre, je voulais qu'on vienne sauver les enfants, moi j'étais pas capable de les réveiller mais je me disais que peut-être que eux autres ils seraient capables.

Q   Avez-vous voulu la mort de vos enfants?

R   Non, jamais de la vie, c'est ce que j'avais de plus précieux au monde. Je vivais juste pour eux autres.

Q   Le téléphone finalement Mme Gauthier vous l'avez, vous l'avez cherché, vous l'avez trouvé à quel endroit?

R   Sur la tablette de l'îlot dans la cuisine.

Q   Est-ce que vous avez souvenir de, de faire l'appel, qu'est-ce que vous vous souvenez de cet appel? Premièrement avant toute chose comment vous vous sentiez physiquement et dans votre tête?

R   Je, je suis faible, je suis con…, confuse un peu, je le sais pas trop ce qui se passe. Pis j'espère que tout le monde, tout le monde va s'en sortir.

Q   Est-ce que vous vous souvenez d'avoir, est-ce que vous vous souvenez combien de temps il va se passer entre l'appel, entre le moment de votre appel et le moment où les ambulanciers arrivent, est-ce que…

R   Non. J'ai, j'ai en…, entendu le bruit de la porte, quand ils ont ouvert la porte mais c'est à peu près tout. Je me rappelle un peu des ambulanciers quand ils m'ont emmenée sur la civière mais après ça là, je me souviens pas de grand-chose.

[38]        D'autres faits, très importants, mériteraient également d'être rapportés. Pour éviter les répétitions, ils seront plus commodément discutés lors de l'analyse des moyens de droit soulevés par l'appelante.

[39]        À ce stade-ci, il importe néanmoins de préciser que la cause du décès des trois enfants est une intoxication à l'Oxazepam et au Gravol. Quant à Marc Laliberté, son décès est attribuable à un ensemble de facteurs, soit la perte de sang résultant de son poignet tranché, son coeur malade et l'effet de l'Oxazepam.

[40]        Enfin, on pourra retenir que la preuve démontre que c'est Marc Laliberté qui a tranché le poignet de l'appelante chez qui on a également retrouvé des traces d'intoxication à l'Oxazepam.

Les plaidoiries et les directives

[41]        La thèse de la poursuite est que l'appelante a participé avec Marc Laliberté à un pacte de suicide et qu'elle a causé la mort de ses enfants. Comment?

1°  en planifiant la chose avec son conjoint, ce que démontrent les nombreux écrits incriminants, émanant de ces derniers, qui ont été versés en preuve;

2°  en fournissant l'arme du crime, soit les médicaments achetés le 27 décembre dans le but de les faire prendre aux enfants le moment venu;

3°  en omettant d'intervenir, le 31 décembre 2008, dans le but d'aider Marc Laliberté à donner aux enfants les breuvages empoisonnés.

[42]        En défense, l'avocat de l'appelante a soutenu, pour sa part, que sa cliente devrait être acquittée parce que :

1°  les médicaments achetés le 27 décembre 2008 n'étaient pas destinés à empoisonner les enfants;

2°  le 31 décembre, son état mental l'empêchait de formuler l'intention spécifique de commettre le meurtre de ses enfants;

3°  elle a abandonné le projet commun de tuer ses enfants et l'a clairement signifié à son conjoint.

[43]        Incidemment, Marie-Frédérique Allard, experte en psychiatrie médicolégale, a témoigné en défense pour soutenir le point de vue selon lequel l'appelante a éprouvé, le 31 décembre 2008, un épisode de dissociation. Face au choc provoqué par le projet de son conjoint, l'appelante aurait « gelé » et vécu une expérience de dépersonnalisation, une sorte de black-out, ce qui expliquerait qu'elle ne garde aucun souvenir du contenu des documents qu'elle a rédigés cette journée-là, lesquels ne peuvent donc servir à établir son intention coupable.

[44]        Enfin, le juge, dans ses directives, limite le choix du jury aux trois verdicts suivants : meurtre au premier degré, meurtre au second degré ou l'acquittement. Il donne des explications sur ces notions et celle de « participants à une infraction ». Traitant plus particulièrement de l'acte illégal mentionné à l'alinéa 222(5)a) du Code criminel, il précise que :

L'acte illégal reproché en l'espèce est d'avoir contribué en aidant, encourageant ou en omettant d'accomplir quelque chose afin de faire ingurgiter aux enfants une quantité de médicaments dont notamment l'Oxazepam et du Gravol sachant que la mort s'ensuivrait ou bien l'intention de causer des lésions corporelles qu'elle savait de nature à causer la mort et qu'elle était indifférente que la mort s'ensuive ou non.

[45]        Invités, hors jury, par le juge à commenter ses directives, aucun des deux avocats n'a rien trouvé à redire.

Les questions en litige

[46]        L'avocat de l'appelante soulève cinq moyens à l'encontre des directives du juge de première instance qu'il formule comme suit :

1°  L'honorable juge de première instance a erré en droit lors de ses directives sur la définition de « l'acte illégal » requis au paragraphe 222(5) du Code criminel, en élargissant considérablement la responsabilité pénale de meurtre afin de rendre coupable « l'omission d'agir, l'encouragement et l'omission d'accomplir quelque chose » par l'appelante si les meurtres ont été commis en sa présence par une tierce personne.

2°  L'honorable juge de première instance a erré en droit lorsqu'il a omis d'expliquer à nouveau « l'acte illégal » aux membres du jury suite à une question hâtive de ces derniers.

3°  L'honorable juge de première instance a erré en droit en refusant de soumettre au jury le verdict d'homicide involontaire et au surplus, en offrant un exposé des faits n'incluant que les éléments incriminant l'appelante-accusée au détriment des éléments explicatifs présentés en défense par cette dernière.

4°  L'honorable juge de première instance a erré en droit dans ses directives en appliquant indirectement les principes du paragraphe 21(2) du Code criminel à ceux du paragraphe 21(1) du Code criminel, créant ainsi une imputabilité pour meurtre sans intention spécifique de causer la mort, au moment précis où les meurtres auraient été commis par une tierce personne.

5°  L'honorable juge de première instance a erré en droit lorsqu'il a permis aux médias immédiatement après ses directives de diffuser une tentative de suicide par l'appelante qui était postérieure aux infractions reprochées, créant ainsi un potentiel tangible de contamination du jury.

[47]        Je me propose d'analyser ces arguments dans le même ordre.

Analyse

La définition donnée par le juge de l'acte illégal

[48]        L'alinéa 222(5)a) C.cr. énonce qu'une personne commet un homicide coupable lorsqu'elle cause la mort d'un être humain, notamment au moyen d'un acte illégal. Or, considérant que l'appelante a nié avoir planifié et voulu la mort de ses enfants, et qu'elle aurait ultimement signifié à Marc Laliberté son refus d'adhérer à son plan, cette dernière soutient que le juge se devait de restreindre la question de l'acte illégal à l'achat des médicaments le 27 décembre 2008.

[49]        Je ne suis pas de cet avis et je crois, au contraire, que c'est avec raison que le juge a incité le jury à considérer l'ensemble de la preuve dans la mesure où ce dernier devait déterminer si l'appelante, en vertu de l'alinéa 21(1)b) du Code criminel, a accompli ou omis d'accomplir quelque chose en vue d'aider Marc Laliberté à tuer les enfants.

[50]        Parlant tout d'abord de l'achat des médicaments le 27 décembre 2008, il importe de préciser que l'appelante a pu obtenir le renouvellement, dix jours à l'avance, de la prescription d'Oxazepam de son conjoint en mentionnant à la pharmacienne que ce dernier vivait une situation difficile et qu'ils partaient en voyage. Or, à part une visite au père de Marc Laliberté à Normandin, le même jour, et un brunch prévu au même endroit le 1er janvier 2009, l'appelante et son conjoint n'avaient pas de projet de voyage. Bref, le renouvellement de la prescription a été obtenu sous un faux prétexte.

[51]        Il y a ensuite toute une série d'agissements de la part de l'appelante qui laissent entrevoir que la date fatidique approche, que tout a été planifié et que c'est intentionnellement que l'appelante a laissé ses enfants boire le breuvage empoisonné que leur a apporté Marc Laliberté.

[52]        Alors que cette dernière et son conjoint viennent de faire faillite, que l'appelante vient de perdre son emploi le 9 décembre, que Marc Laliberté est sans emploi depuis environ six mois, ils achètent des cadeaux de Noël pour les enfants de Kathie Ouellet, une décision complètement irrationnelle compte tenu de l'état d'indigence chronique dans lequel ils se trouvent.

[53]        De même, alors que les relations entre l'appelante et sa mère biologique sont extrêmement tendues, non seulement elle l'invite à venir passer quelques jours à la maison pour la période des fêtes, mais elle lui remet deux grosses boîtes de nourriture avant d'aller la reconduire à Roberval, le 26 décembre, plus tôt que prévu.

[54]        Que penser du courriel transmis à la Fondation Maman Dion le 29 décembre[3]? L'avocat de l'appelante y voit là un signe d'espoir! Je considère qu'il s'agit plutôt d'un geste désespéré, annonciateur du fait que si un miracle ne se produit pas, tel que demandé, d'ici le 31 décembre, « ils ne commenceraient pas l'année 2009 » comme l'a mentionné l'appelante à la standardiste lors de son appel au 9-1-1[4].

[55]        Le 30 décembre 2008, la veille du meurtre, l'appelante donne à son amie Kathie Ouellet ses plus beaux vêtements sous prétexte qu'elle est sans emploi. C'est, là encore, un geste totalement irrationnel à moins de considérer que l'appelante a pris la décision de mettre fin à ses jours.

[56]        Venons en maintenant aux écrits rédigés par l'appelante le 31 décembre. Mis à part ceux discutés précédemment, que l'appelante a déchirés, il y a une lettre écrite par cette dernière à Kathie Ouellet, une autre à sa mère biologique et une autre au personnel de la dernière boutique où elle a travaillé. Comme ces écrits incriminent sérieusement l'appelante, il y a lieu d'en citer de larges extraits. Voyons tout d'abord la lettre à Kathie Ouellet :

Ma chère amie,

                        Je t'écris un petit mot avant de partir pour un voyage sans retour avec ma petite famille. Je ne te demande pas de comprendre, juste de nous pardonné. Comme tu le sais, notre vie est un véritable enfer. Je sais que tu nous croit responsable de cette situation, mais ce n'est pas entièrement de notre faute. Après autant d'année à bûcher, nous sommes épuisé. Nous n'avons plus la force de nous battre. Notre geste est planifié depuis plusieurs semaines déja. Personne ne souffrira, nous allons juste tous nous endormir et ne plus se réveiller. C'est dans l'amour et la sérénité que nous partons. Et c'est par amour que nous amenons nos enfants. […]

                        […] Je pars heureuse avec l'homme que j'aime et mes enfants. […]

                        […] Je suis heureuse du choix que j'ai fait avec Marc. Notre amour l'un pour l'autre et pour nos enfants est plus fort et perdurera au-delà de la mort. Nous quittons pour un monde meilleur et je te promet que je veillerai sur toi pour l'éternité. Tu es la seule personne pour qui j'ai eu un moment d'hésitation, tu es avec nous pour toujours.

                        […]

[57]        La lettre à sa mère biologique débute ainsi :

Bonjour maman,

                        En principe, quand tu vas lire ce mot, nous ne serons plus de se monde. En effet, nous avons choisi de ne pas commencer la nouvelle année. C'est dernière année et surtout c'est dernier mois, nous avons vécu l'enfer. Comme personne n'a voulu nous aidé nous nous somme épuisé. Je sais que tu auras beaucoup de peine, mais si tu veux, tu passeras à travers. Je te promet que personne n'a souffert. Nous nous somme endormi pour un sommeil éternel.

[58]        Ainsi, alors que l'avocat de l'appelante écrit dans son mémoire qu'aucune référence aux médicaments n'est faite dans les lettres du 31 décembre 2008, force est de constater que la référence au fait que les enfants se sont endormis et qu'ils n'ont pas souffert est en tout point compatible avec un empoisonnement à l'Oxazepam et au Gravol, les deux médicaments achetés par l'appelante le 27 décembre 2008.

[59]        Voici maintenant le contenu de la lettre adressée à son dernier employeur :

Guylaine et Elen,

                        Juste pour vous dire quels ont été la conséquence de mon renvoi injustifié.

                        Votre manque de coeur et de compréhension m'a fait beaucoup de peine, sa m'a démoli. Juste avant noël, faut vraiment être cruel. A cause de vous, nous ne sommes plus. Votre cruauté nous as plonger dans le plus grand désaroit. Nous avons mit fin a nos jours avec nos enfants. Vous avez provoqué le changement de couleurs de votre aura et changé votre carma. 2009 sera impitoyable vous souffrirez autant que nous avons souffert. Je veillerai personelement a ce que vous soyez détruite. Chaque fille de la boutique, à l'exeption du Lucie, vivra un calvère. La gentillesse et le grand coeur de Lucie sera récompenssé.

                        Pour les autres, je vous attend en enfer.

                                    Vous avez provoqué votre perte.

[60]        La lecture de ces écrits m'amène à discuter de l'épisode de dissociation qu'aurait vécu l'appelante, laquelle soutient ne garder aucun souvenir de ces écrits qui lui auraient été dictés par Marc Laliberté alors qu'elle était sous le choc après avoir été mise au courant du projet de ce dernier.

[61]        Cette théorie, développée par le Dr Allard, a été sévèrement critiquée lors du procès par le psychiatre Sylvain Faucher qui a témoigné en contre-preuve au bénéfice du ministère public.

[62]        Le Dr Faucher admet que la dissociation est un phénomène connu et documenté qui provoque des pertes de mémoire. Il constate cependant que les moments d'amnésie de l'appelante sont « choisis ». Alors que cette dernière ne prétend garder aucun souvenir du contenu de ses écrits, elle se souvient des paroles d'encouragement que Marc Laliberté lui prodigue en même temps qu'elle écrit.

[63]        Certes, convient le Dr Faucher, en cas de dissociation, l'amnésie peut, en théorie, être partielle, mais jamais sélective. L'appelante aurait dû se souvenir de certains passages de ses écrits et de certaines paroles de Marc Laliberté.

[64]        Le Dr Faucher va plus loin et affirme qu'on ne peut pas communiquer avec une personne en état de dissociation. La dissociation étant une perte de contact avec l'environnement, celui-ci ne peut donc pas nous influencer.

[65]        En conclusion, le Dr Faucher est d'avis qu'il n'y a pas eu dissociation.

[66]        Étant donné la preuve présentée au jury et de son caractère plus qu'incriminant à l'endroit de l'appelante, le juge devait inclure dans ses directives « l'omission d'accomplir quelque chose »[5]. En effet, l'acte illégal est autant d'avoir acheté des médicaments en vue de les administrer aux enfants pour entraîner leur décès que d'avoir omis d'accomplir quelque chose dans le but d'aider Marc Laliberté à faire prendre à ces derniers de l'Oxazepam et du Gravol tout en sachant que la mort s'ensuivrait ou que cette prise de médicaments leur occasionnerait des lésions corporelles qu'elle savait de nature à causer leur mort et qu'il lui était indifférent que la mort s'ensuive ou non.

[67]        Bref, il ne s'agissait pas ici pour l'appelante de s'être simplement retrouvée sur les lieux lors de la commission du crime comme le suggère son avocat, mais d'avoir bel et bien participé à celui-ci.

[68]        La thèse de l'intimée incluait une action positive d'aide de l'appelante, soit d'avoir fourni les médicaments, mais aussi d'avoir planifié les meurtres avec Marc Laliberté. De plus, l'inaction de l'appelante servait à l'intimée de preuve qu'elle adhérait à un plan visant à tuer les enfants et à se suicider. En laissant les enfants prendre les médicaments, l'appelante permettait la réalisation de ce plan.

[69]        Il est vrai que la seule preuve d'aide directe de l'appelante est l'achat des médicaments le 27 décembre 2008. Malgré tout, le jury pouvait analyser l'ensemble de la preuve afin de décider si l'appelante a fait l'achat de ceux-ci avec l'intention qu'ils soient utilisés pour commettre les meurtres. Il aurait été inapproprié que le juge demande au jury de restreindre son analyse de la preuve au seul achat de ces médicaments.

[70]        Ultimement, plaide l'avocat de l'appelante, si le jury ne croyait pas cette dernière ou avait un doute lorsqu'elle affirme ne pas avoir planifié le meurtre de ses enfants et vécu un état de dissociation, il pouvait néanmoins l'acquitter s'il donnait foi à son intention, signifiée à Marc Laliberté l'après-midi du 31 décembre 2008, de se retirer du pacte de suicide. Or, le juge, dans ses directives, n'a pas présenté ce moyen au jury, encore qu'il en fait état lorsqu'il résume la plaidoirie de l'avocat de la défense.

[71]        À mon avis, le juge a eu raison de ne pas attirer l'attention du jury sur ce moyen de défense. Je rappelle que, pour l'appelante, il n'y a pas eu de pacte de suicide, aucune planification et qu'elle était dans un état de dissociation lorsque son conjoint lui a fait part de son projet de partir tout le monde ensemble. Partant, elle ne saurait être admise à changer son fusil d'épaule si elle n'est pas crue et soutenir s'être retirée d'un plan qu'elle nie depuis le début. Prendre part à un pacte de suicide et se retirer par la suite est une chose plausible en soi. Ce n'est pas, toutefois, ce que plaide l'appelante. Elle nie plutôt l'existence d'un pareil pacte puis prétend pouvoir s'en retirer si elle n'est pas crue. Le juge n'avait pas à soumettre au jury ce moyen alternatif de défense incompatible avec la thèse principale de l'appelante, ainsi que le rappelle le juge Proulx dans l'arrêt Caron c. R.[6] :

Mais quelle est l'obligation du juge si l'alternative est réfutée par l'accusé dans sa propre défense? Dans un arrêt rendu en 1934, la Cour Suprême du Canada, sous la plume du juge Lamont, a affirmé que si la règle justifie que toute défense alternative soit soumise au jury par le juge dans ses directives en autant qu'elle s'appuie sur un fondement factuel, cela vaut dans la mesure où l'accusé, de par la nature même de sa défense, n'a pas spécifiquement écarté cette alternative en lui supprimant tout fondement factuel :

Under these circumstances I fail to see how any duty would rest on the trial Judge to instruct the jury to consider an alternative defense which the accused, by the defence he did set up, declared had no foundation in fact.

[72]        Le premier moyen que soulève l'appelante est donc rejeté.

L'omission du juge d'expliquer au jury, à la suite d'une question de ce dernier, l'acte illégal.

[73]        Lors de ses directives, le juge de première instance a instruit le jury sur la notion d'acte illégal énoncée à l'alinéa 222(5)a) C.cr.  Il a, au préalable, remis à chacun des jurés une chemise contenant les documents suivants :

Nous en arrivons Mesdames, Messieurs les jurés à cette partie essentielle de mes directives qui concernent l'acte d'accusation et les règles de droit qui s'y rattachent. Alors vous allez M. le huissier remettre une chemise à chaque membre du jury. Alors comme premier document vous avez une copie de l'acte d'accusation. Deuxième document une copie des articles 222, 222(5) a) et 231(2), 21(1) b) et c). Vous avez la liste des témoins. La liste des pièces produites à l'audience. La liste des admissions faites par les parties. La définition du doute raisonnable. Les éléments essentiels des infractions. Et je vous dis immédiatement que les verdicts possibles, il y a le meurtre au premier degré, meurtre au deuxième degré ou l'acquittement, et ce sur chacun des chefs.

[74]        Une fois l'affaire prise en délibéré par le jury, ce dernier a transmis au juge une demande portant, selon les dires de l'appelante, sur l'acte illégal. Cette dernière soutient que le juge n'a pas répondu adéquatement à la question du jury. En conséquence, celui-ci aurait délibéré en ayant une interrogation concernant un élément essentiel de l'infraction, ce qui a affecté l'équité du procès.

[75]        À y regarder de près, le jury n'a pas posé une question sur l'acte illégal, mais simplement sur le contenu de la chemise remise par le juge. En présence du jury, le juge est donc revenu sur le contenu de celle-ci pour préciser qu'il ne manquait aucun document. Il a aussi rappelé au jury qu'il avait, dans ses directives, défini l'acte illégal et demeurait disponible pour toute information supplémentaire :

[…] Alors ce sont les documents que je vous ai remis, il n'en manque aucun. Mais par contre dans mes directives, j'ai fait état qu'est-ce qu'était un acte illégal, qu'est-ce que la définition de l'intention spécifique de causer un meurtre et également de la préméditation et de propos délibérés, et j'ai élaboré sur ça. Advenant le cas où vous désireriez avoir à nouveau de l'information concernant chacun de ces événements, je vous prie de m'envoyer une note et me dire ce que vous voulez avoir et nous reviendrons à la Cour. Je rencontrerai les avocats à nouveau et je vous donnerai les directives qui s'imposent en pareille circonstance. Alors ça va? Je vous remercie. Bonnes délibérations.

[76]        L'argument de l'appelante est non fondé. Les membres du jury croyaient qu'il leur manquait un document, ce qui n'était pas le cas. Le juge se montrant par ailleurs disponible pour répondre à d'éventuelles questions sur le sujet, on peut donc en déduire que si le jury n'est pas revenu sur cette question, c'est qu'il n'entretenait aucune confusion ou interrogation.

Le verdict d'homicide involontaire coupable et le déséquilibre de la directive entre ses éléments incriminants et ses éléments disculpatoires.

-     Le verdict d'homicide involontaire coupable.

[77]        Selon l'appelante, le juge de première instance a erré en refusant de soumettre au jury le verdict d'homicide involontaire coupable qui demeurait ouvert si le jury concluait que, sans vouloir la mort de ses enfants, elle avait involontairement fourni les médicaments qui ont servi à causer leur mort.

[78]        Je cherche en vain comment pareille chose aurait pu se produire. Prenons les trois scénarios suivants.

[79]        Selon le premier, l'appelante achète les médicaments dans le but de les faire prendre aux enfants et, jusqu'à la fin, elle se rend complice des faits et gestes de son conjoint. C'est le scénario retenu par le jury, lequel a conduit au verdict que l'on connaît.

[80]        Selon un second scénario, écarté précédemment parce que ne pouvant pas être soumis à titre de défense alternative, l'appelante achète les médicaments dans le but de les faire prendre aux enfants, mais, en temps opportun, elle se retire du pacte et en avise formellement son conjoint. Si c'était là la version retenue par le jury, celui-ci aurait alors dû acquitter l'appelante.

[81]        Enfin, suivant un troisième scénario, l'appelante achète les médicaments sans arrière-pensée et, mise au courant des intentions criminelles de son conjoint, elle lui oppose un refus catégorique. Là encore, si c'est cette version des faits que le jury avait retenue, il aurait dû acquitter l'appelante.

[82]        Dans aucun de ces scénarios le jury ne pouvait trouver l'appelante coupable d'homicide involontaire. Il devait soit la déclarer coupable de meurtre, soit l'acquitter.

[83]        L'extrait suivant tiré des motifs de la Cour suprême dans l'arrêt R. c. Briscoe[7] illustre l'impossibilité pour le jury de conclure autrement :

15        Évidemment, accomplir ou omettre d'accomplir une chose qui a pour effet d'aider une autre personne à commettre un crime ne suffit pas à engager la responsabilité criminelle. Comme l'a soulignée la Cour d'appel de l'Ontario dans R. c. F. W. Woolworth Co. (1974), 3 O.R. (2d) 629, [TRADUCTION] "une [page 421] personne ne se rend pas coupable en louant ou en prêtant une voiture pour des activités commerciales ou récréatives légitimes simplement parce que la personne à qui elle a prêté ou loué la voiture décide au cours de l'utilisation de transporter des articles volés, ou en louant une maison à des fins résidentielles à un locataire qui l'utilise à son insu pour entreposer des drogues" (p. 640). La personne qui aide ou qui encourage doit aussi avoir l'état d'esprit requis ou la mens rea requise. Plus précisément, aux termes de l'al. 21(1)b), la personne doit avoir prêté assistance en vue d'aider l'auteur principal à commettre le crime.

[84]        Pour présenter le verdict d'homicide involontaire coupable, il fallait donc que le jury puisse conclure que l'appelante, sans avoir l'intention de causer la mort de ses enfants, ait néanmoins eu l'intention d'aider son conjoint à faire prendre aux enfants les médicaments, une proposition, à mon avis, intenable. Ce moyen doit donc être rejeté.

-     Le caractère débalancé et inéquitable des directives.

[85]        L'appelante reproche au juge d'avoir omis de présenter au jury ou minimisé des faits importants appuyant sa défense, affectant ainsi l'équité du procès.

[86]        À cet égard, je ne saurais faire mieux que de rappeler que le juge du procès n'a pas l'obligation d'exposer dans ses directives tous les faits allégués en défense. Ce qui importe, c'est que le jury comprenne bien les enjeux soulevés en défense. Quant aux avocats, ces derniers ont aussi leur mot à dire. Non seulement doivent-ils intervenir en relevant les aspects des directives qui leur semblent problématiques, mais le défaut de le faire pourra être pris en compte en appel. C'est là la teneur des propos que tenait le juge Bastarache dans l'arrêt R. c. Daley[8]:

56  Ainsi, le juge du procès n'est pas tenu de procéder à une revue exhaustive de la preuve. Dans certains cas, cela pourrait d'ailleurs embrouiller les jurés relativement à la question fondamentale. Il est souhaitable que l'exposé au jury soit concis. À cet égard, on peut se reporter au commentaire suivant du juge Proulx dans R. c. Girard, [1996] R.J.Q. 1585 (C.A.), p. 1598 :

      Au lieu de livrer au jury un résumé fastidieux et sans fin de chaque élément de preuve, le premier juge aurait été bien avisé de se limiter aux éléments de preuve dont le jury doit tenir compte pour trancher les questions en litige.

      Rien n'oblige un juge à exposer en détail l'ensemble de la preuve : c'est ce que rappelait le juge en chef du Canada d'alors, le juge Dickson, dans R. c. Thatcher, (1987) 1 R.C.S. 652 . Ce qui est essentiel, comme cela fut rappelé dans l'arrêt Cooper, consiste à exposer la position du ministère public et de la défense, les questions juridiques qui sont soulevées et les éléments de preuve qui peuvent être appliqués pour trancher les questions juridiques et, en fin de compte, pour déterminer la culpabilité ou l'innocence de l'accusé.

      Il est donc inutile de résumer la totalité de la preuve.

57  L'étendue de la récapitulation de la preuve [TRADUCTION] « variera en fonction des cas, et le critère à appliquer est celui de l'équité. L'accusé a droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière. Dans la mesure où l'exposé présente la preuve d'une façon qui permette au jury de bien comprendre les questions à trancher et la défense soumise, il est adéquat » : voir Granger, p. 249. dans R. c. Jack (1993), 88 Man. R. (2d) 93 (C.A.), conf. par [1994] 2 R.C.S. 310 , le juge en chef Scott a décrit succinctement l'obligation du juge du procès qui : [TRADUCTION] « consiste à expliquer les éléments de preuve déterminants ainsi que les règles de droit et à les rattacher aux questions fondamentales en des termes simples et intelligibles  » (par. 39).

58  Enfin, il faut se souvenir que l'exposé au jury ne constitue pas une étape isolée; il s'inscrit dans le déroulement général du procès. L'examen en appel de l'exposé au jury portera aussi sur les plaidoiries des avocats qui pourraient en combler les lacunes : voir Der, p. 14-26. En outre, on attend des avocats qu'ils assistent le juge du procès, en relevant les aspects des directives au jury qu'ils estiment problématiques. Bien qu'elle ne soit pas déterminante, l'omission d'un avocat de formuler une objection est prise en compte en appel. L'absence de plainte contre l'aspect de l'exposé invoqué plus tard comme moyen d'appel peut être significative quant à la gravité de l'irrégularité reprochée. Voir Jacquard, par. 38  : « À mon avis, l'omission de l'avocat de la défense de s'opposer à l'exposé est révélatrice quant à la justesse générale des directives au jury et à la gravité de la directive qui serait erronée. »

[87]        Invités par le juge du procès à formuler leurs commentaires à propos de ses directives, voici ce que les avocats, tant pour le ministère public que pour la défense ont répondu :

LA COUR :

Assoyez-vous. Commentaires sur les directives, Me Rouleau…

ME SONIA ROULEAU,

PROCUREURE DE LA COURONNE:

Rien à dire.

LA COUR:

… (inaudible) … commentaire, Me Bouchard?

ME DOMINIC BOUCHARD,

PROCUREUR DE L'INTIMÉE:

Pas de commentaire.

LA COUR:

Pardon?

ME DOMINIC BOUCHARD,

PROCUREUR DE L'INTIMÉE:

Pas de commentaire M. le Juge.

LA COUR:

Pas de commentaire. C'est bien alors je vous demande de demeurer à la disposition de la Cour. Et dès que nous aurons l'information de l'horaire qu'ils vont suivre, je vous en ferai part.

[88]        Ainsi, alors que l'avocat de l'appelante pouvait formuler une objection au juge du procès concernant le caractère soi-disant inéquitable de ses directives, force est de conclure qu'il n'a rien fait. C'est là un élément qui peut être pris en compte pour évaluer le sérieux ou la gravité des manquements qu'il fait maintenant valoir en appel.

[89]        Voyons donc plus en détail ce qui est reproché au juge de première instance.

[90]        Tel que mentionné précédemment, la thèse de la défense est qu'il n'y a eu aucun pacte de suicide, aucune planification et que l'appelante était dans un état de dissociation lorsque son conjoint lui a fait part de son projet de pacte de suicide. Au soutien de cette thèse, l'avocat de l'appelante a fait ressortir les éléments factuels suivants qui n'ont pas été repris par le juge dans ses directives :

-     la lettre écrite par l'appelante et adressée à son dernier employeur, à la mi-décembre, pour obtenir un certificat de cessation d'emploi;

-     la plainte déposée par l'appelante, le 19 décembre 2008, pour agression sexuelle contre son voisin à Amos;

-     la lettre « d'espoir » à la fondation Maman Dion, le 29 décembre 2008;

-     le fait que l'appelante visite des logements le 30 décembre 2008;

-     le fait qu'elle devait avoir un brunch chez le père de son conjoint le 1er janvier 2009;

-     le fait qu'elle avait déjà, dans le passé, renouvelé une prescription avant son expiration.

[91]        Selon l'avocat de l'appelante, tous ces éléments auraient mérité d'être soulignés par le juge au jury, car ils sont incompatibles avec l'état d'esprit d'une personne qui a planifié de mettre fin à ses jours et qui est sur le point de passer à l'acte. Dans le cas du renouvellement de la prescription, celui-ci rendait par ailleurs plausible que l'appelante se soit présentée à la pharmacie, le 27 décembre 2008, sans dessein criminel.

[92]        À n'en pas douter, ces éléments factuels, tels qu'interprétés par la défense, appuyaient sa thèse. Reste que l'avocat de l'appelante n'a pas manqué de faire valoir ces éléments au jury lors de sa plaidoirie, comblant ainsi, en partie du moins, cette lacune des directives[9].

[93]        De plus, l'exposé du juge au jury doit être considéré dans son ensemble et dans la mesure où il présente la preuve d'une façon qui permette au jury de bien comprendre les questions à trancher et la défense soumise, il est adéquat[10]. C'est le cas en l'espèce.

[94]        Je ne crois donc pas que l'appelante a été privée d'un procès équitable parce que le juge a omis de souligner au jury ces quelques éléments qui certes, pris isolément, peuvent donner du poids à la thèse de la défense, mais également révéler que l'appelante a dû vivre les pires tourments une fois prise la décision avec son conjoint de s'enlever la vie et d'empoisonner leurs enfants. Ceci pourrait venir expliquer alors la conduite, par moments, erratique de l'appelante qui tantôt se comporte comme une personne qui veut vivre et tantôt comme une personne qui est sur le point de mettre fin à ses jours.

[95]        Ce moyen d'appel doit être, lui aussi, rejeté.

L'article 21 du Code criminel

[96]        Selon l'appelante, le juge a induit en erreur le jury en appliquant indirectement les principes du second paragraphe de l'article 21 au premier paragraphe. Il importe de citer ici l'article 21 du Code criminel pour comprendre l'argument de l'appelante qui est loin d'être clair :

21. (1) [Participants à une infraction] Participent à une infraction:

a)   quiconque la commet réellement;

b)   quiconque accomplit ou omet d'accomplir quelque chose en vue d'aider quelqu'un à la commettre;

c)   quiconque encourage quelqu'un à la commettre.

(2)  [Intention commune] Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s'y entraider et que l'une d'entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d'elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l'intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l'infraction, participe à cette infraction.

[97]        Cette erreur du juge tiendrait dans les quatre lignes suivantes de ses directives qui comptent 78 pages :

[…]      la poursuite doit seulement prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusée a voulu les conséquences qui ont découlé de son aide ou de son omission à l'auteur de l'infraction et non pas qu'elle les a désirées ou approuvées.

[98]        Il est utile de replacer cet extrait des directives dans son contexte comme nous invite à le faire la Cour suprême dans l'arrêt Daley[11] :

30  En déterminant si le juge du procès a donné des directives adéquates sur ces éléments dans son exposé au jury, le tribunal d'appel ne doit pas oublier ce qui suit. La règle cardinale veut que ce qui importe soit le message général que les termes utilisés ont transmis au jury, selon toutes probabilités, et non de savoir si le juge a employé une formule particulière. Le choix des mots et l'ordre des différents éléments relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge et dépendront des circonstances.

31  Pour établir le message général qui a vraisemblablement été transmis au jury par les termes utilisés, le tribunal d'appel considérera l'exposé dans son ensemble. Le juge du procès n'est pas tenu à la perfection dans la formulation de ses directives. L'accusé a droit à un jury qui a reçu des directives appropriées, et non des directives parfaites : voir Jacquard, par. 2. C'est l'effet global de l'exposé qui compte.

[99]        Ainsi, il appert que, replacé dans son contexte, le juge expose au jury que celui qui aide à commettre une infraction en vertu de l'alinéa 21(1)b) C.cr. doit avoir l'intention d'aider l'auteur principal à commettre celle-ci sans avoir lui-même le désir que l'infraction soit perpétrée avec succès. Or, ceci est en tout point conforme à l'état du droit tel qu'exposé récemment par la Cour suprême dans l'arrêt Briscoe[12] :

16        L'exigence de la mens rea qui ressort de l'expression "en vue de" à l'al. 21(1)b) comporte deux éléments : l'intention et la connaissance. En ce qui concerne l'élément d'intention, il a été établi dans R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973 , que l'expression "en vue de" de l'al. 21(1)b) devrait être considérée comme étant essentiellement synonyme d'"intention". Le ministère public doit établir que l'accusé avait l'intention d'aider l'auteur principal à commettre l'infraction. La Cour a insisté sur le fait que les mots "en vue de" ne devaient pas être interprétés comme incorporant la notion de "désir" dans l'exigence de faute pour que la responsabilité du participant soit engagée. Il n'est donc pas nécessaire que l'accusé désire que l'infraction soit perpétrée avec succès (Hibbert, par. 35). […]

[100]     Je conviens avec l'avocat de l'appelante que les deux paragraphes de l'article 21 du Code criminel traitent de circonstances différentes que la Cour suprême, à l'occasion de l'arrêt R. c. Simpson[13], a bien fait ressortir :

17.       Tout en reconnaissant que les termes de l'art. 21 du Code criminel pourraient être interprétés dans les deux sens, et sans oublier que j'ai siégé dans les arrêts Wong et Miller and Cockriell, dont on dit qu'ils expriment des opinions incompatibles sur la question, je suis d'avis que le poids de la jurisprudence appuie l'opinion dissident du juge Seaton selon laquelle la fin illégale mentionnée au par. 21(2) doit différer de l'infraction qui est effectivement imputée. En arrivant à cette conclusion, j'adopte les termes du juge Craig, précités. La "fin illégale" et "l'infraction" commise lors de la poursuite de celle-ci diffèrent. Les deux paragraphes de l'art. 21 traitent de circonstances différentes. Le paragraphe (1) s'applique de façon à rendre partie à une infraction quiconque la commet ou aide ou encourage à la commettre. Le paragraphe (2) s'applique au cas où, bien qu'il n'y ait ni aide ni encouragement, une personne peut devenir partie à l'infraction commise par quelqu'un d'autre lorsqu'elle sait ou aurait dû savoir que l'infraction serait une conséquence probable de la poursuite d'une fin commune illégale avec celui qui l'a effectivement perpétrée. Je suis d'avis que le juge du procès a commis une erreur dans ses directives au jury au sujet du par. 21(2) du Code criminel.

[101]     Je suis cependant en profond désaccord avec l'avocat de l'appelante lorsqu'il suggère que le jury, à cause de l'extrait précité des directives du juge, a pu considérer l'écriture des lettres comme une "fin commune illégale" au sens du paragraphe 21(2) C.cr. et qu'ensuite, peu importe les infractions commises par son conjoint, il devait la tenir responsable de celles-ci. Ce n'est pas du tout ce que mentionne le juge. Ce n'est pas là, non plus, la thèse présentée par le ministère public qui, je le rappelle, consiste à soutenir que l'appelante faisait partie d'un pacte visant à tuer les enfants, que ce projet était planifié, qu'elle a fourni les médicaments afin d'aider à la réalisation de ce projet et que, la journée du drame, elle a laissé son conjoint exécuter celui-ci. Bref, je ne pense pas que le jury a pu être induit en erreur par le juge qui a, au contraire, appliqué correctement les principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Briscoe sans confondre les paragraphes (1) et (2) de l'article 21 C.cr. D'aucune façon ne peut-on soutenir qu'il aurait élargi la responsabilité criminelle de l'appelante en invitant le jury à la déclarer coupable d'un autre crime, non planifié, commis par son conjoint.

[102]     Il y a lieu de rejeter cet argument qui est non fondé.

La contamination du jury

[103]     Après que le jury se fut retiré pour délibérer, les médias ont diffusé une information selon laquelle l'appelante avait tenté de se suicider après avoir été mise en accusation. L'avocat de l'appelante a alors reproché au juge de première instance d'avoir autorisé les journalistes à diffuser cette nouvelle qui ne pouvait que contaminer le jury.

[104]     Cette prétention amène les commentaires suivants.

[105]     Tout d'abord, le juge n'a rendu aucune ordonnance autorisant les journalistes à publier ou diffuser quelque nouvelle que ce soit. Tout ce qui a été discuté hors jury devant lui devenant du domaine public en vertu du paragraphe 648 (1) C.cr., il n'avait pas, de toute façon, à le faire.

[106]     Quoi qu'il en soit, le juge a procédé à un voir-dire lors duquel la personne chargée de s'occuper du jury pendant ses délibérations a témoigné. Or, il ressort de son témoignage que le jury n'a d'aucune façon été contaminé par cette nouvelle :

      LA COUR:

      Assoyez-vous. Alors faites entrer M. Gilles Danis.

Q   Alors bonjour M. Danis?

R   Bonjour.

Q   Je crois comprendre que vous avez été assermenté pour vous occuper de la sécurité et du bien-être des membres du jury?

R   Effectivement oui.

Q   Est-ce que les membres du jury ont accès à des téléviseurs, radios ou d'autres formes de médias?

R   Non.

Q.  O.k. Exemple comme sur l'heure du midi, sans nous dire où vous êtes allés luncher ce midi, est-ce qu'ils ont accès, est-ce qu'il y a un, des téléviseurs?

R   Ben il y a un écran qui est RDS, il y a un écran qui annonces des, des sports.

Q   Des sports…

R   Je pense que tout le monde connaît le, le, le numéro trente-trois (33) de Vidéotron qui est RDS.

Q   RDS.

R   Il y a seulement des nouvelles de sports, c'est un réseau de sports.

Q   Et sur les rubriques?

R   Dans les carreaux en bas, c'est des nouvelles en même temps qu'on écoute une joute de hockey, ils nous donnent des nouvelles soit de, de baseball, de tennis de n'importe quoi mais c'est seulement que du sport.

Q   Ils ont aucune autre nouvelle?

R   Aucun RDI, aucun LCN.

Q   S'il y avait possibilité à l'avenir, même de sports d'en faire une, mettre ça de côté?

R   D'accord,

Q   D'accord?

R   D'accord je vais le demander à, au restaurant ce où qu'on va manger.

Q   Ce qu'on doit comprendre, ils ont pas accès à aucun téléviseur, aucune radio, il y a aucune source?

R   Jamais, même pas dans leur chambre, ils ont rien. Ils ont même pas de téléphone, ils ont pas de réveil-matin. On a cancellé les, les cellulaires ceux qui en avaient, c'est nous autres qui les a.

Q   Comme ça se fait dans tout procès avec jury. De toute façon vous avez des directives à cet effet?

R   Oui.

Q   Alors merci beaucoup, je vous remercie. La séance est levée.

[107]     Cet argument de l'appelante doit, lui aussi, être rejeté.


Conclusion

[108]     Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis que le juge de première instance n'a pas erré en droit dans ses directives au jury. Il en résulte que le verdict de culpabilité prononcé à l'égard des trois chefs d'accusation de meurtre au premier degré doit être maintenu. Je suggère en conséquence de rejeter l'appel.

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 



[1]     Cet extrait ainsi que ceux tirés des autres documents cités dans les présents motifs ne sont pas retouchés ou corrigés.

[2]     Le même document, signé par Marc Laliberté, a toutefois été retrouvé sur les lieux du drame.

[3]     Supra, paragr. [25].

[4]     Supra, paragr. [8].

[5]     Code criminel, al. 21(1)b).

[6]     Caron c. R., AZ-98011412 , p. 12 (C.A.).

[7]     2010 CSC 13 , paragr. 15.

[8]     2007 CSC 53 , paragr. 56 à 58.

[9]     R. c. Daley, supra, note 8, paragr. 58.

[10]    Ibid., paragr. 57.

[11]    Supra, note 8, paragr. 30 et 31 (j. Bastarache).

[12]    Supra, note 7, paragr. 16 (j.Charron).

[13]    [1988] 1 R.C.S. 3 , paragr. 17 (j. McIntyre).

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