COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575 |
Date : 20111130 Dossier : 33687 |
Entre :
Tommy Bouchard-Lebrun
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Procureur général du Canada et procureur général de l’Ontario
Intervenants
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell
Motifs de jugement : (par. 1 à 92) |
Le juge LeBel (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges Binnie, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell) |
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R. c. Bouchard-Lebrun, 2011 CSC 58, [2011] 3 R.C.S. 575
Tommy Bouchard-Lebrun Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Procureur général du Canada et procureur général
de l’Ontario Intervenants
Répertorié : R. c. Bouchard-Lebrun
2011 CSC 58
No du greffe : 33687.
2011 : 16 mai; 2011 : 30 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit
criminel — Moyens de défense — Troubles mentaux — Accusé a agressé deux
individus alors qu’il se trouvait dans une psychose toxique provoquée par la
consommation volontaire de drogues — Une psychose toxique dont les
manifestations sont causées par un état d’intoxication volontaire peut-elle
constituer un « trouble mental »? — L’article
B
a brutalement agressé deux individus alors qu’il se trouvait dans un état psychotique
provoqué par les drogues qu’il avait consommées quelques heures auparavant. À
la suite de ces événements, B a été accusé d’avoir commis des voies de fait
graves. Le juge du procès a conclu à la culpabilité de B parce que tous les
éléments de l’art.
Arrêt : Le pourvoi est rejeté.
Les
tribunaux doivent examiner l’applicabilité de l’art.
L’accusé
qui souhaite présenter avec succès une défense d’aliénation mentale doit
satisfaire aux exigences d’un test en deux étapes, d’origine législative. La
première étape concerne la qualification de l’état mental de l’accusé. La
question cruciale à trancher au procès est alors de savoir si l’accusé
souffrait de troubles mentaux au sens juridique au moment des faits reprochés.
La deuxième étape de la défense prévue à l’art.
Une psychose toxique ne résulte pas en toute circonstance d’un « trouble mental ». Dans l’arrêt Stone, le juge Bastarache a proposé une méthode pour distinguer les psychoses toxiques qui résultent de troubles mentaux de celles qui n’en résultent pas. Cette méthode est articulée autour de deux outils analytiques, soit le facteur de la cause interne et le facteur du risque subsistant, et de certaines considérations d’ordre public.
Le
facteur de la cause interne, qui constitue le premier outil analytique, place
l’accent sur la comparaison entre l’accusé et une personne normale. La
comparaison entre l’accusé et une personne normale s’effectuera sur une base
objective et peut reposer sur la preuve psychiatrique. Plus celle-ci
suggérera qu’une personne normale, c’est-à-dire une personne qui ne
souffre d’aucune maladie mentale, est susceptible de développer un tel état,
plus les tribunaux seront fondés à considérer que l’élément déclencheur possède
une nature externe. Ces constatations excluront la condition de l’accusé de la
portée de l’art.
En l’espèce, l’application du premier facteur suggère que la consommation de drogues représente une cause externe. Une personne normale semble effectivement susceptible de développer une psychose toxique à la suite de la consommation de drogues. Ce constat suggère fortement que B ne souffrait pas d’un trouble mental au moment de commettre les faits reprochés. D’ailleurs, l’apparition rapide des symptômes psychotiques indique généralement que les idées délirantes chez B étaient attribuables à un facteur externe. De plus, les symptômes psychotiques vécus par B ont commencé à s’estomper peu de temps après la consommation de drogues, et ce, de façon continue jusqu’à leur extinction complète. La Cour d’appel a jugé que cette rétrocession des symptômes révélait une concordance entre la durée de l’intoxication et les manifestations de la psychose toxique. La cour a pu donc affirmer que B ne souffrait d’aucune maladie mentale avant de commettre les crimes et une fois les effets de la consommation de drogues résorbés. Il n’y a aucune raison valable de s’écarter de cette conclusion.
La considération du facteur du risque subsistant, qui constitue le deuxième outil analytique, découle directement de la nécessité d’assurer la sécurité du public. En l’espèce, aucun élément de preuve n’indique que la condition mentale de B présente un quelconque niveau de dangerosité inhérente. Dans la mesure où B s’abstient à l’avenir de consommer de telles drogues, ce qu’il est en mesure de faire volontairement, il semble que sa condition mentale ne constitue pas une menace pour la sécurité du public.
Dans
ce contexte, B ne souffrait pas d’un « trouble mental » pour
l’application de l’art.
En
raison de la conclusion qui précède, il devient maintenant pertinent de
s’interroger sur l’applicabilité de l’art.
Jurisprudence
Arrêt
appliqué : R. c. Stone,
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 11d).
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 2, 16, 33.1, 266a), 268, 348(1)a), 463, partie XX.1.
Doctrine citée
Alexander, Larry, and Kimberly Kessler Ferzan with contributions by Stephen J. Morse. Crime and Culpability : A Theory of Criminal Law. New York : Cambridge University Press, 2009.
Barrett, Joan, and Riun Shandler. Mental Disorder in Canadian Criminal Law. Toronto : Thomson/Carswell, 2006 (loose-leaf updated 2011, release 2).
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 133, 1re sess., 35e lég., 22 juin 1995, p. 14470.
Parent,
Hugues. « Les Troubles psychotiques induits par une substance en
droit pénal canadien : analyse médicale et juridique d’un concept en
pleine évolution »
Parent, Hugues. Responsabilité pénale et troubles mentaux : Histoire de la folie en droit pénal français, anglais et canadien. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1999.
POURVOI
contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Thibault, Rochette et Gagnon),
Véronique Robert et Roland Roy, pour l’appelant.
Guy Loisel et Pierre DesRosiers, pour l’intimée.
Ginette Gobeil et François Joyal, pour l’intervenant le procureur général du Canada.
Robert E. Gattrell et Joan Barrett, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Le jugement de la Cour a été rendu par
Le juge LeBel —
I. Introduction
[1]
Dans ce pourvoi, la Cour doit décider si une psychose toxique résultant
d’un état d’intoxication dans lequel un accusé s’est volontairement placé en
consommant des drogues chimiques constitue un « troubl[e] menta[l] »
au sens de l’art.
[2]
L’appelant a brutalement agressé deux individus alors qu’il se trouvait
dans un état psychotique provoqué par les drogues chimiques qu’il avait
consommées quelques heures auparavant. Il a infligé des blessures graves à l’un
d’entre eux en lui assénant violemment un coup de pied à la tête. La victime
souffre de lésions graves et permanentes. Après avoir été condamné par la Cour
du Québec sous deux chefs de voies de fait graves et de voies de fait (
[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le jugement de la Cour d’appel est bien fondé en droit. En conséquence, je propose de rejeter le pourvoi.
II. Principaux faits
[4] La trame factuelle de ce dossier n’est pas contestée. Pour l’étude de ce pourvoi, il suffit de mentionner que l’appelant, M. Tommy Bouchard-Lebrun, et M. Yohann Schmouth, une de ses connaissances de longue date, avaient fumé de la marijuana et pris des amphétamines dans la journée du 23 octobre 2005. Au cours de la soirée, les deux compagnons ont décidé de se rendre à Amqui pour que l’appelant visite ses parents. Ils ont donc pris l’autobus à Rivière-du-Loup, où l’appelant résidait, en direction de Mont-Joli, au terminus du service. Au moment de prendre l’autobus, les deux compagnons étaient toujours intoxiqués.
[5] Une fois arrivés à Mont-Joli, dans la nuit du 24 octobre, l’appelant et son compagnon ont décidé de faire de l’auto-stop pour se rendre à Amqui. Vers 1 h 30 du matin, M. Gilles Tremblay, une vieille connaissance de la famille de l’appelant, les a fait monter dans son auto. À cette heure précise, le comportement de l’appelant ne laissait paraître aucun signe d’intoxication. Au procès, M. Tremblay a affirmé qu’il n’avait rien remarqué d’anormal chez l’appelant tout au long du trajet en voiture. Ses déclarations confirment le témoignage de M. Schmouth, selon lequel l’appelant était redevenu « correct » dans les environs de Val-Brillant, une municipalité située à une quinzaine de kilomètres d’Amqui. Ainsi, il semble que les drogues que l’appelant a consommées dans la journée du 23 octobre avaient cessé de faire effet avant qu’il arrive à Amqui avec M. Schmouth.
[6] À Amqui, les deux jeunes hommes ont acheté des comprimés d’ecstasy connus sous le nom de « poire bleue », qu’ils ont consommés dans la nuit du 24 octobre. Dans les heures qui ont suivi, l’appelant et M. Schmouth ont décidé d’aller administrer une correction à M. Dany Lévesque, surnommé « Pee-Wee », pour le motif réel ou imaginé que ce dernier portait une « croix à l’envers » au cou. Aux alentours de 5 h du matin, l’appelant et M. Schmouth ont pénétré illégalement dans l’immeuble habité par M. Lévesque. Réveillé par le bruit provenant du rez-de-chaussée, M. Roger Dumas, qui habitait au deuxième étage de l’immeuble, descendit à l’appartement de M. Lévesque afin de comprendre ce qui se passait. Les deux occupants de l’immeuble se rencontrèrent dans les escaliers et constatèrent à cet endroit la présence de l’appelant et de M. Schmouth. Aussitôt après avoir été aperçus, ces derniers s’attaquèrent à M. Lévesque sans ménagement en lui assénant de nombreux coups de poing et coups de pied.
[7] Voyant que M. Lévesque était incapable de se défendre contre ses deux agresseurs, M. Dumas tenta de s’interposer. L’appelant l’empoigna alors et le projeta violemment au bas de l’escalier. M. Dumas resta étendu sur le sol au bas des marches. L’appelant le rejoignit et lui porta un violent coup de pied à la tête. Cet assaut a rendu M. Dumas invalide et il devra passer le reste de sa vie dans une chambre d’hôpital.
[8] Au moment de l’agression, l’appelant était fortement intoxiqué en raison des effets du comprimé de « poire bleue » qu’il avait consommé quelques heures plus tôt. Au-delà des symptômes « normaux » reliés à un état d’intoxication découlant de la consommation de cette drogue, ce comprimé hautement toxique avait produit chez l’appelant un effet retentissant qu’il affirme ne pas avoir anticipé. En fait, la « poire bleue » a provoqué une dissociation complète entre les perceptions subjectives vécues par l’appelant et la réalité objective. Pour dire les choses sans détour, l’appelant était parvenu « sur une autre planète ». Deux témoins au procès ont d’ailleurs affirmé que l’appelant a « viré bizarre » et est devenu « capoté ben raide » après avoir ingurgité ce comprimé de « poire bleue ».
[9] Dans les faits, l’appelant a vécu un épisode que l’on pourrait qualifier de délire religieux, d’après ses manifestations. C’est à partir de la consommation de cette drogue que la « croix à l’envers » supposément portée par M. Lévesque a commencé à l’obséder. Pendant l’agression, l’appelant a tenu des propos à connotation religieuse qui étaient cohérents, mais foncièrement insensés. Ainsi, il a affirmé que l’Apocalypse s’en venait. Puis, à un certain moment, il a levé les bras en l’air en demandant aux victimes et aux témoins impuissants de l’agression s’ils croyaient en lui. Après quelques références à Dieu et au diable, il a béni la conjointe de M. Dumas en lui faisant un signe de croix sur le front après l’agression. Alors que M. Dumas gisait toujours sur le sol, l’appelant a ensuite quitté les lieux très calmement, comme si rien ne venait de se produire.
[10] Devant toutes les instances judiciaires, il n’a jamais été contesté que l’appelant se trouvait, au moment des actes criminels, dans un état psychotique sérieux dont les effets se sont progressivement estompés jusqu’à leur disparition le 28 octobre 2005. L’essence de ce pourvoi consiste plutôt à déterminer les effets de cette psychose sur la responsabilité criminelle de l’appelant. J’analyserai cette question plus loin dans les motifs. Dans l’immédiat, il suffit de souligner que, selon la preuve, l’appelant n’avait jamais traversé d’épisode psychotique de cette nature avant les événements en question. Il ne souffrait d’aucune maladie mentale sous-jacente ni de dépendance à une substance particulière. Bien qu’il se soit lui-même décrit au procès comme un « consommateur occasionnel » de drogues, la preuve ne permet pas de conclure qu’il en ait fait un « usage abusif » — si tant est qu’il soit possible d’affirmer qu’une consommation occasionnelle de drogues ne constitue pas un abus.
[11]
À la suite de ces événements, l’appelant a été accusé d’avoir commis des
voies de faits graves contre M. Dumas et M. Lévesque, en violation de l’al. 266a)
et de l’art.
III. Historique judiciaire
A.
Cour du Québec,
[12] Au cours d’un procès tenu devant un juge seul, l’appelant a présenté une défense. Bien qu’il ait admis avoir commis les actes à la base des chefs d’accusation, il a néanmoins affirmé qu’il se trouvait alors sous l’effet d’une psychose provoquée par l’influence spirituelle de M. Schmouth. Selon l’argument de la défense, cet état de psychose aurait empêché l’appelant d’évaluer avec discernement l’impact de la prise de drogues les 23 et 24 octobre 2005 (par. 31). En conséquence, il n’aurait pas engagé sa responsabilité pénale en commettant les actes qui lui sont reprochés.
[13] Deux psychiatres ont été entendus au procès, l’un pour le ministère public, l’autre pour la défense. Tous deux ont émis l’opinion que l’appelant, au moment de commettre les gestes reprochés, était atteint d’« une sévère psychose le rendant inapte à juger la distinction entre le bien et le mal » (par. 33). Par contre, les experts ont offert des opinions contradictoires quant à l’origine de la psychose. Pour le Dr Roger Turmel, assigné par la défense, la psychose résultait principalement de « l’atmosphère mystique » dans laquelle M. Schmouth avait plongé l’appelant. Selon lui, « même la décision de consommer des stupéfiants par Monsieur [Bouchard-]Lebrun n’était pas effectuée librement, mais d’une certaine façon influencée par l’esprit de contrôle qu’exerçait son ami sur lui » (par. 31). Cette thèse a été contredite par l’expert de la Couronne. D’après le Dr Sylvain Faucher, les circonstances d’une psychose résultant de l’influence exercée par un tiers n’étaient pas réunies en l’espèce. Il a plutôt conclu que l’appelant, au moment des faits, était atteint d’une psychose toxique, c’est-à-dire d’une psychose causée par la consommation de substances toxiques (par. 37).
[14]
Le juge Decoste a retenu l’opinion du Dr Faucher. Il a conclu
que l’appelant était atteint d’une psychose toxique au moment de commettre les
infractions reprochées (par. 41). À son avis, cet état d’intoxication extrême
devait entraîner l’acquittement de l’appelant relativement aux chefs d’accusation
d’introduction par effraction dans le but de commettre une infraction
criminelle et de tentative de s’introduire par effraction. Ensuite, en se
référant à l’art.
[15]
Dans un jugement distinct (
B.
Cour d’appel du Québec,
[16] L’appelant s’est pourvu devant la Cour d’appel du Québec contre le verdict de culpabilité et la sentence s’y rattachant. Dans le cadre de l’appel sur le verdict, sa défense et son argumentation ont changé. En effet, l’appelant a abandonné la prétention selon laquelle son état psychotique résultait de l’influence spirituelle exercée par M. Schmouth. Après avoir concédé qu’il avait agi sous l’effet d’une psychose toxique, il a plutôt plaidé que cet état aurait dû entraîner l’application de la défense de troubles mentaux, puisque la preuve au procès aurait révélé qu’il n’était pas en mesure de distinguer le bien du mal au moment des faits (par. 18).
[17]
De façon générale, l’appelant a reproché au juge de première instance
d’avoir confondu la défense d’aliénation mentale codifiée à l’art.
[18] La Cour d’appel a rejeté les prétentions de l’appelant. Au nom de la cour, la juge Thibault a d’abord exprimé son désaccord avec la prémisse sur laquelle l’argumentation de l’appelant était fondée, soit que le développement d’un état psychotique était « imprévisible » en l’espèce (par. 32). Elle a plutôt noté que le témoignage du Dr Faucher avait prouvé que 50 p. 100 des consommateurs du PCP, et 13 p. 100 de ceux qui consomment des amphétamines, sont susceptibles de développer un tel état (par. 32). Elle a ajouté que l’appelant a semblé être l’un de ces sujets, puisque les effets de sa psychose se sont fait sentir pendant une période correspondant à la durée de son intoxication (par. 34).
[19]
Ensuite, la juge Thibault a rappelé que la jurisprudence découlant de
l’arrêt R. c. Daviault,
[20]
Enfin, pour conclure son analyse, la juge Thibault a examiné le champ
d’application de l’art.
[21]
À ce propos, la juge Thibault a ajouté que l’appelant ne souffrait
d’aucune maladie mentale sous-jacente et qu’il était redevenu parfaitement sain
d’esprit après la résorption des effets de la « poire bleue ».
Finalement, la juge Thibault a exprimé l’avis que l’argumentation de l’appelant
tentait de contourner l’intention du législateur, en permettant à un accusé de
plaider l’intoxication volontaire afin d’échapper à sa responsabilité
criminelle relativement à une infraction contre l’intégrité physique d’autrui
(par. 79), alors que l’adoption de l’art.
[22] Par ailleurs, la Cour d’appel a rejeté l’appel sur la sentence au motif que les peines imposées par le juge de première instance, quoique sévères, n’étaient pas déraisonnables (par. 85).
IV. Analyse
A. Les questions en litige
[23] Le présent pourvoi soulève les questions suivantes :
1.
L’article
2.
Une psychose toxique dont les manifestations sont causées par un état
d’intoxication volontairement provoqué peut-elle constituer un « troubl[e]
menta[l] » en vertu de l’art.
B.
Comprendre la nature du problème soulevé dans le présent
pourvoi : les suites de l’arrêt Daviault et l’interaction entre les
art.
[24] L’appelant ne conteste pas le fait que la preuve versée au dossier indique que la psychose toxique dont il a souffert a exclusivement résulté de l’état d’intoxication dans lequel il s’est volontairement placé dans la nuit du 24 octobre 2005. Bien qu’il déplore que les tribunaux inférieurs n’aient pas tenu compte de ses prédispositions à développer un tel désordre psychique, il ne soutient pas spécifiquement que ceux-ci ont refusé à tort de reconnaître que son intoxication aurait constitué l’élément déclencheur d’une maladie mentale en phase latente. Lors de l’audition devant notre Cour, son avocate a d’ailleurs déclaré qu’elle n’invoquait pas cette prétention comme moyen d’appel (transcription, p. 4).
[25]
La position défendue par l’appelant conduit néanmoins au même résultat.
En substance, elle revient à prétendre qu’un épisode unique d’intoxication peut
constituer un « troubl[e] menta[l] » au sens de l’art.
[26]
On constate donc que l’appelant plaide indirectement que la psychose
toxique qu’il a développée après avoir consommé un comprimé de « poire bleue »
résulte d’une maladie mentale sous-jacente que l’intoxication a rendue
manifeste. En raison des obstacles que posent la preuve versée au dossier et
les conclusions de fait tirées par le juge de première instance quant à cette
prétention, l’appelant n’insiste cependant pas sur sa situation personnelle. Il
mise plutôt sur un argument à portée générale. D’après lui, toute
psychose toxique, même si elle résulte d’un épisode unique d’intoxication,
comme l’a conclu le premier juge, doit être considérée comme un « troubl[e]
menta[l] » au sens de l’art.
[27]
Le corollaire de cette prétention signifierait qu’une personne en état
de psychose ne devrait jamais, sur le plan juridique, être considérée comme
étant simplement intoxiquée (transcription, p. 11). L’appelant reproche ainsi à
la Cour d’appel d’avoir confondu la défense d’intoxication volontaire avec
celle de troubles mentaux, prévue à l’art.
[28]
L’appelant ajoute que ce passage serait mal fondé en droit puisque le
législateur fédéral, en adoptant l’art.
[29]
Avant de répondre à l’argument soulevé par l’appelant selon lequel
l’art.
(1) L’intoxication peut fonder une défense d’aliénation mentale si elle a causé une maladie mentale.
(2) La preuve de l’ivresse qui rend l’accusé incapable de former l’intention spécifique qui constitue un élément essentiel du crime doit être examinée, avec le reste de la preuve, pour déterminer s’il a eu ou non cette intention.
(3) Si la preuve de l’ivresse n’est pas suffisante pour établir que l’accusé était incapable de former l’intention nécessaire pour commettre le crime et ne fait qu’établir que son esprit était affecté par ce qu’il avait bu, de sorte qu’il s’est laissé aller plus facilement à un violent accès de passion, la présomption qu’une personne veut les conséquences naturelles de ses actes n’est pas repoussée.
[30]
L’arrêt Beard a ainsi énoncé le principe selon lequel
l’intoxication pouvait, en certaines circonstances, constituer une défense à
une accusation relative à une infraction exigeant une intention spécifique.
Sous réserve des nuances apportées dans l’arrêt R. c. Robinson,
[31]
Depuis l’arrêt Beard, la défense d’intoxication permet donc
d’acquitter un prévenu accusé d’une infraction d’intention spécifique ou, selon
la nature de l’infraction en cause, de réduire la condamnation à une
déclaration de culpabilité d’une infraction incluse pour laquelle seule une
intention générale est requise. Une autre question s’est par la suite posée,
soit celle de savoir si un accusé pouvait aussi présenter une défense
d’intoxication volontaire afin de soulever un doute raisonnable à l’égard de la
mens rea lorsque l’infraction reprochée n’exige qu’une intention
générale. Dans l’arrêt Leary c. La Reine,
[32] Dans l’arrêt Daviault, une majorité de la Cour a cependant jugé que la règle de la « mens rea substituée » mise de l’avant dans l’arrêt Leary était contraire à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte. Le juge Cory a affirmé qu’« [o]n ne peut prêter à la personne qui décide de boire l’intention de commettre une agression sexuelle » (p. 92). Il a ajouté que « le fait de nier qu’un élément moral même très minime est requis pour l’infraction d’agression sexuelle enfreint la Charte d’une manière tellement draconienne et tellement contraire aux principes de justice fondamentale qu’il ne peut être justifié en vertu de l’article premier de la Charte » (ibid.). L’arrêt Daviault a ainsi mis de côté la règle de l’arrêt Leary et a établi le principe que les accusés qui se trouvent, au moment de commettre un geste constituant une infraction d’intention générale, dans un « état voisin de l’automatisme ou de l’aliénation mentale » sont juridiquement admis à soulever un doute raisonnable quant à l’élément moral requis (p. 100).
[33] L’arrêt Daviault a fait l’objet d’une forte dissidence rédigée par le juge Sopinka. À son avis, aucune raison ne justifiait l’abandon de la règle de l’arrêt Leary puisque l’application de celle-ci ne libérait pas le ministère public de son obligation de prouver « l’existence d’une mens rea ou tout autre élément de l’infraction d’agression sexuelle qui est exigé par les principes de justice fondamentale » (p. 115). Le bien-fondé de la règle de l’arrêt Leary lui apparaissait également renforcé par de fortes considérations d’ordre public, notamment le droit d’une société « de punir ceux qui, de leur plein gré, s’intoxiquent à un point tel qu’ils constituent une menace pour les autres membres de leur collectivité » (p. 114).
[34]
Moins d’un an après la publication de l’arrêt Daviault, le
Parlement a adopté l’art.
33.1 (1) [Non-application du moyen de défense] Ne constitue pas un moyen de défense à une infraction visée au paragraphe (3) le fait que l’accusé, en raison de son intoxication volontaire, n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour la perpétration de l’infraction, dans les cas où il s’écarte de façon marquée de la norme de diligence énoncée au paragraphe (2).
(2) [Responsabilité criminelle en raison de l’intoxication] Pour l’application du présent article, une personne s’écarte de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne et, de ce fait, est criminellement responsable si, alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire qui la rend incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite, elle porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement à l’intégrité physique d’autrui.
(3) [Infractions visées] Le présent article s’applique aux infractions créées par la présente loi ou toute autre loi fédérale dont l’un des éléments constitutifs est l’atteinte ou la menace d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou toute forme de voies de fait.
[35]
De façon générale, l’appelant peut arguer raisonnablement que le
Parlement, en adoptant l’art.
[36]
Ceci étant dit, l’appelant a raison d’affirmer que l’art.
[37]
En premier lieu, il importe de comprendre que l’application des
art.
[38]
Ce principe général ne semble pas particulièrement litigieux. Dans un
contexte où l’accusé était intoxiqué et plongé dans un état psychotique au
moment des faits, les tribunaux rencontrent plutôt la difficulté de rattacher
sa condition mentale à une source particulière, l’intoxication volontaire ou la
maladie mentale, et de la situer dans le champ d’application de l’art. 33.1 ou
dans celui de l’art.
[39] L’état actuel du droit fournit un cadre plutôt général pour résoudre cette délicate question. Il faut partir de la notion juridique de la maladie mentale dans l’arrêt Cooper, qui constitue la décision de référence, où le juge Dickson a défini ainsi le concept de « maladie mentale » :
En bref, on pourrait dire qu’au sens juridique, « maladie mentale » comprend toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement à l’exclusion, toutefois, des états volontairement provoqués par l’alcool ou les stupéfiants, et des états mentaux transitoires comme l’hystérie ou la commotion. [Je souligne; p. 1159.]
[40]
Certes, il existe assurément une correspondance entre les « états
volontairement provoqués par l’alcool ou les stupéfiants », que l’arrêt Cooper
exclut de la définition du concept juridique de maladie mentale pour
l’application de l’art.
[41]
Ces observations nécessaires pour délimiter généralement les champs
d’application respectifs des art.
[42]
Il faut donc examiner de plus près la portée de l’exclusion, établie par
l’arrêt Cooper, des « états volontairement provoqués par l’alcool
ou les stupéfiants » du champ d’application de l’art.
[43]
L’enjeu fondamental de cette partie du débat consiste donc à déterminer
si la cour a commis une erreur de droit en concluant en l’espèce à
l’application de l’art.
C.
La défense prévue à l’art.
[44]
La défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles
mentaux, que le Parlement canadien a codifiée à l’art.
[45] En effet, une règle traditionnelle et fondamentale de common law subordonne l’imputabilité en matière pénale à la commission d’un acte volontaire par l’accusé. Cet important principe reconnaît qu’il serait injuste, dans une société démocratique, d’infliger les conséquences et les stigmates de la responsabilité pénale à un prévenu qui n’a pas accompli volontairement un acte constituant une infraction pénale.
[46]
Pour qu’un acte soit considéré comme volontaire en droit pénal, il doit
nécessairement être le produit de la volonté libre de l’accusé. Comme le juge
Taschereau l’a affirmé dans l’arrêt R. c. King, [1962] R.C.S. 746, [traduction] « il ne
peut y avoir d’actus reus à moins qu’il ne résulte d’un esprit apte à
former une intention et libre de faire un choix ou de prendre une décision bien
déterminée ou, autrement dit, il doit y avoir une volonté d’accomplir un acte,
que l’accusé ait su ou non qu’il était prohibé par la loi » (p.
749). Cela signifie qu’un acte involontaire ne peut engager la responsabilité
pénale de son auteur (voir les motifs dissidents du juge Dickson dans l’arrêt Rabey
c. La Reine,
[47]
La volonté d’un individu se manifeste par le contrôle conscient qu’il
exerce sur son corps (Perka c. La Reine,
[48]
La dimension morale de l’acte volontaire, que notre Cour a reconnue dans
l’arrêt Perka, renvoie ainsi à cette conception selon laquelle le droit
criminel considère les individus comme des êtres autonomes et rationnels. Cette
conception peut d’ailleurs être vue comme la pierre angulaire des principes de
l’imputation de la responsabilité pénale (L. Alexander et K. K. Ferzan avec la
contribution de S. J. Morse, Crime and Culpability : A Theory of
Criminal Law (2009), p. 155). Envisagé sous cet angle, un comportement
humain n’entraîne la responsabilité pénale que lorsqu’il représente le produit
d’un « choix véritable » ou du « libre arbitre » de son
auteur. Ce principe illustre toute l’importance que revêtent l’autonomie et la
raison au sein du régime de responsabilité pénale. Comme le rappelait la Cour
dans l’arrêt R. c. Ruzic,
Un principe directeur fondamental de notre droit criminel veut que les auteurs d’une infraction criminelle soient considérés comme des personnes douées de raison et autonomes qui font des choix. L’importance de ce principe se reflète non seulement dans l’exigence qu’un acte soit volontaire, mais aussi dans la condition que l’acte répréhensible demeure intentionnel pour justifier une déclaration de culpabilité. [. . .] À l’instar du caractère volontaire, l’exigence d’intention coupable tient au respect de l’autonomie et du libre arbitre de l’individu et elle reconnaît l’importance de ces valeurs dans une société libre et démocratique [. . .] La responsabilité criminelle dépend également de la capacité de choisir — la capacité de distinguer le bien du mal. [Je souligne; référence omise; par. 45.]
[49]
De ce fondement essentiel de l’imputation de la responsabilité pénale
découle donc une présomption que chaque individu dispose de la capacité de
distinguer le bien du mal. En effet, le droit pénal présume que toute personne
est un être autonome et rationnel dont les actes ou les omissions sont de
nature à engager sa responsabilité. Cette présomption n’est toutefois pas
absolue : elle peut être repoussée par la preuve que l’accusé n’avait pas,
au moment des faits reprochés, le niveau d’autonomie ou de rationalité requis
pour engager sa responsabilité pénale. Le droit pénal se refuse alors à
l’imputation de la responsabilité en raison d’une excuse pour le geste commis,
reconnue par notre société. En effet, celle-ci entretient « la conviction
fondamentale que la responsabilité criminelle n’est appropriée que lorsque l’agent
est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien
et le mal » (R. c. Chaulk,
[50]
L’aliénation mentale constitue une exception au principe général de
droit pénal selon lequel l’accusé est réputé être une personne autonome et
rationnelle. En effet, une personne atteinte de troubles mentaux au sens de
l’art.
[51]
En suivant la logique adoptée dans l’arrêt Ruzic, il est
également possible d’affirmer qu’une personne souffrant d’aliénation mentale
est incapable d’agir volontairement sur le plan moral. Les gestes qu’elle
accomplit ne résultent effectivement pas de son libre arbitre. C’est donc en conformité
avec les principes de justice fondamentale que le droit canadien écarte la
responsabilité pénale d’une personne dont la condition mentale au moment des
faits est visée par l’art.
[52] La défense de troubles mentaux conserve cependant une nature singulière. Elle ne conduit pas à l’acquittement de l’accusé, mais plutôt à un verdict de non-responsabilité criminelle. Ce dernier vise alors à engager l’application d’un processus administratif destiné à déterminer si l’accusé représente un risque important pour la sécurité du public, à prendre les mesures nécessaires pour contrôler ce risque et, le cas échéant, à lui prodiguer les soins nécessaires. Un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux donne ainsi effet au vœu sociétal de traiter, plutôt que de punir, un contrevenant moralement innocent, tout en assurant la protection du public le plus adéquatement possible.
[53]
En effet, un accusé déclaré non criminellement responsable devient
assujetti au régime mis en place par la partie XX.1 du Code criminel. Le
régime actuel a été adopté par le Parlement après que notre Cour a jugé, dans
l’arrêt R. c. Swain,
En résumé, l’objet de la partie XX.1 vise à remplacer le système établi en common law pour le traitement des personnes qui commettent des infractions alors qu’elles sont atteintes de troubles mentaux par un nouveau régime qui met l’accent sur l’évaluation individuelle et fournit la possibilité de recevoir un traitement approprié. Sous le régime de la partie XX.1, l’accusé non responsable criminellement n’est ni déclaré coupable ni acquitté. Le tribunal le déclare plutôt non criminellement responsable en raison des troubles mentaux dont il était atteint au moment de l’infraction. Il ne conclut pas à l’existence d’un danger potentiel, mais rend plutôt une décision qui entraîne l’évaluation pondérée du risque que peut représenter le contrevenant et la détermination des mesures thérapeutiques qui s’imposent à cet égard. Tout au long du processus, le contrevenant doit être traité avec dignité et jouir du maximum de liberté possible, compte tenu des objectifs de la partie XX.1, qui sont de protéger le public et de traiter équitablement l’accusé non responsable criminellement. [Je souligne; par. 43.]
[54]
À la lumière de ces considérations générales, j’étudierai maintenant les
conditions d’application de l’art.
D. Les conditions d’application de la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux
[55]
Le paragraphe
[56]
L’accusé qui souhaite présenter avec succès une défense de troubles
mentaux doit ainsi satisfaire aux exigences d’un test en deux étapes, d’origine
législative. La première étape concerne la qualification de l’état
mental de l’accusé. La question cruciale à trancher au procès est alors de
savoir si l’accusé souffrait de troubles mentaux au sens juridique au moment
des faits reprochés. La deuxième étape de la défense prévue à l’art.
[57]
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’appelant était incapable de
distinguer le bien du mal au moment des faits. Le juge de première instance a
écrit qu’« [a]u moment où les gestes criminels ont été posés, l’accusé ne
réalisait pas ce qu’il faisait et était dans un état de psychose sérieux; il
n’y a pas de contestation réelle sur cette question » (par. 2). Le seul
enjeu du pourvoi se limite donc à déterminer si cette psychose résulte d’un
« troubl[e] menta[l] » au sens de l’art.
(1) L’incapacité doit découler d’une maladie de l’esprit
[58]
Le Code criminel ne contient aucune définition précise de la
notion de « troubl[e] menta[l] » pour l’application de l’art.
[59] La jurisprudence découlant de l’arrêt Cooper confirme clairement la portée très large du concept juridique de « trouble mental ». Dans cette décision, le juge Dickson a mentionné que le concept de maladie mentale comprend « toute maladie, tout trouble ou tout état anormal qui affecte la raison humaine et son fonctionnement » (p. 1159). Dans l’arrêt Rabey, le juge Dickson a précisé que « [l]e concept est vaste : il englobe des troubles mentaux d’origine organique et fonctionnelle, guérissables ou non, temporaires ou non, susceptibles de se répéter ou non » (p. 533). En gardant à l’esprit qu’un verdict de non-responsabilité criminelle déclenche un mécanisme spécial de prise en charge de l’accusé, le caractère englobant de la définition des « troubles mentaux » peut notamment s’expliquer par le niveau élevé de protection que le législateur a souhaité conférer à la population contre les personnes qui peuvent représenter un danger pour autrui (J. Barrett et R. Shandler, Mental Disorder in Canadian Criminal Law (feuilles mobiles), p. 4-12).
[60]
Le concept de « troubles mentaux » demeure évolutif. Ce
caractère permet une adaptation continuelle aux progrès de la science médicale
(R. c. Simpson (1977), 35 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.)). En conséquence,
il ne sera sans doute jamais possible de définir et d’énumérer de façon
exhaustive les conditions mentales qui constituent une « maladie
mentale » au sens de l’art.
(2) La qualification d’une condition mentale comme « trouble mental » est un exercice juridique lié au substrat médical et scientifique
[61] En vertu du Code criminel, la maladie mentale représente un concept juridique qui comprend une dimension médicale. Bien que l’expertise médicale constitue une composante essentielle de l’exercice de qualification juridique, il est acquis depuis longtemps en droit positif que la qualification d’une condition mentale comme un « trouble mental » demeure une question de droit que le juge du procès doit trancher. Dans le cas d’un procès devant jury, elle ne relève pas de ce dernier, mais du juge. Comme le juge Martin l’a rappelé dans un extrait souvent cité de l’arrêt Simpson, [traduction] « [i]l appartient au psychiatre de décrire l’état mental de l’accusé et d’exposer ce qu’il implique du point de vue médical. Il appartient au juge de décider si l’état décrit est compris dans l’expression “maladie mentale” » (p. 350). Lorsque le juge conclut en droit que la condition mentale de l’accusé constitue un « trouble mental », il appartient éventuellement au jury de décider si, dans les faits, ce dernier souffrait d’un tel trouble mental au moment de l’infraction.
[62]
Ainsi, le juge du procès n’est pas lié par la preuve médicale puisque
celle-ci ne prend généralement pas en considération les éléments d’ordre public
qui font partie de l’analyse requise par l’art.
[63]
L’arrêt R. c. Stone,
Prise isolément, la question de savoir quels états mentaux sont englobés par l’expression « maladie mentale » est une question de droit. Toutefois, le juge du procès doit également déterminer si l’état dans lequel l’accusé prétend s’être trouvé satisfait au critère juridique de la maladie mentale. Il lui faut alors évaluer la preuve présentée dans l’affaire dont il est saisi, au lieu d’un principe général de droit, de sorte qu’il s’agit d’une question mixte de droit et de fait. [. . .] La question de savoir si l’accusé souffrait véritablement d’une maladie mentale est une question de fait qui doit être tranchée par le juge des faits. [Référence omise; par. 197.]
[64]
L’enjeu central du présent pourvoi soulève une question de droit au sens
de l’arrêt Stone. Il n’est pas contesté en l’espèce que l’appelant se
trouvait dans un état psychotique qui l’empêchait de distinguer le bien du mal.
La question principale est de savoir si une psychose toxique causée
exclusivement par un épisode unique d’intoxication constitue un « troubl[e]
menta[l] » au sens de l’art.
[65]
À ce stade, il est possible de constater la présence d’un problème
important avec la position défendue par l’appelant. L’argument voulant que
toute psychose toxique doive être considérée comme un « troubl[e] menta[l] »
revient à affirmer que l’exercice de qualification juridique qui doit être
effectué en vertu de l’art.
E. Le problème particulier de la psychose toxique résultant d’une consommation volontaire d’alcool ou de stupéfiants
[66]
Une raison additionnelle justifiant le rejet de la prétention centrale
de l’appelant concerne la réalité plurielle à laquelle réfère le terme
« psychose toxique ». En jurisprudence, ce terme réfère
habituellement aux symptômes de l’accusé tels que diagnostiqués par les
psychiatres. Or, la science médicale ne cerne pas toujours les causes de la
psychose toxique avec le niveau de précision requis en droit. Bien qu’elle
soit toujours liée à une exposition quelconque à une substance toxique, les
circonstances dans lesquelles elle peut se manifester peuvent varier
considérablement. Un examen de la jurisprudence en la matière permet de
percevoir aisément cette réalité (voir R. c. Oakley (1986), 24 C.C.C.
(3d) 351 (C.A. Ont.); R. c. Mailloux (1985), 25 C.C.C. (3d) 171 (C.A.
Ont.), conf. par
[67] Nombre de facteurs semblent susceptibles de contribuer au déclenchement d’un trouble psychotique induit par une substance (« substance-induced psychosis » en anglais). Parmi ceux-ci, on constate les symptômes actifs d’un trouble de la personnalité paranoïaque au moment de consommer des stupéfiants (Mailloux), l’effet combiné d’une exposition à des vapeurs toxiques et d’une période de stress intense (Oakley), la dépendance à certaines drogues telles que la cocaïne (Moroz et Snelgrove), une consommation excessive de drogues au cours des jours et des heures précédant la perpétration du crime (Lauv et Paul), ainsi qu’un sevrage suivant une période de consommation excessive d’alcool (R. c. Malcolm (1989), 50 C.C.C. (3d) 172 (C.A. Man.)). Cet éventail de circonstances semble être attribuable à la constitution et aux antécédents psychiques propres à chaque accusé ainsi qu’à la nature même de la consommation de stupéfiants ayant contribué au déclenchement de la psychose. À ce chapitre, la quantité et le niveau de toxicité des drogues consommées paraissent également jouer un rôle non négligeable. La réalité est donc que chaque nouvelle situation constitue un cas d’espèce qu’il n’est pas toujours facile de situer dans la jurisprudence existante.
[68]
En raison de l’hétérogénéité des circonstances dans lesquelles un
diagnostic de psychose toxique au moment des faits reprochés peut être porté
sur le plan médical, il ne m’apparaît pas sage d’adopter une approche aussi
large que celle proposée par l’appelant. L’arrêt Cooper invite plutôt
les tribunaux à faire preuve d’une prudence particulière lorsque la condition
mentale d’un accusé se trouve étroitement liée à un épisode d’intoxication
contemporain au crime commis. À mon avis, l’arrêt Cooper prescrit une
approche contextuelle destinée à assurer un juste équilibre entre la nécessité
de protéger le public contre les personnes dont l’état mental présente un degré
inhérent de dangerosité et le désir d’imputer une responsabilité pénale aux
personnes qui sont responsables de l’état dans lequel elles se trouvent au
moment du crime. Puisque cette approche contextuelle doit s’ancrer dans les
particularités de chaque dossier, je ne saurais retenir les décisions ou
opinions récentes qui semblent suggérer qu’une psychose toxique constitue en
toute circonstance une maladie mentale au sens du Code criminel (voir
notamment Snelgrove, par. 234; Lauv, par. 18; Fortin, par.
57; R. c. D.P.,
[69]
Lorsqu’aux prises avec des situations factuelles difficiles survenant
alors qu’une psychose toxique se manifeste durant l’intoxication de l’accusé,
les tribunaux devraient partir du principe général que la psychose temporaire
est visée par l’exclusion de Cooper. Ce principe n’est toutefois pas
absolu : l’accusé peut repousser la présomption établie par le par.
[70]
Dans l’arrêt Stone, le juge Bastarache a proposé une méthode
flexible articulée autour de deux outils analytiques et de certaines considérations
d’ordre public. Cette méthode veut aider les tribunaux à distinguer les
conditions mentales qui se situent dans le champ d’application de l’art.
[71]
Le facteur de la cause interne, qui constitue le premier outil
analytique décrit dans l’arrêt Stone, place l’accent sur la comparaison
entre l’accusé et une personne normale. Dans cet arrêt, le juge Bastarache a
noté que « le juge du procès doit examiner la nature de l’élément
déclencheur et décider si ce dernier était susceptible de plonger une personne
normale, se trouvant dans la même situation, dans l’état d’automatisme dans
lequel l’accusé allègue avoir sombré » (par. 206). La comparaison entre la
situation de l’accusé et celle d’une personne normale s’effectuera sur une base
objective et peut reposer sur la preuve psychiatrique. Plus celle-ci suggérera
qu’une personne normale, c’est-à-dire une personne qui ne souffre d’aucune
maladie mentale, est susceptible de développer un tel état, plus les tribunaux
seront fondés à considérer que l’élément déclencheur possède une nature
externe. Ces constatations excluront la condition de l’accusé de la portée de
l’art.
[72] Quoique l’élément déclencheur auquel le facteur de la cause interne réfère soit souvent associé à un « choc psychologique », rien n’empêche de considérer que celui-ci puisse être une consommation d’alcool ou de stupéfiants contemporaine au crime commis. Il s’agit alors de se demander dans quel état une personne normale aurait été susceptible d’être plongée si elle avait consommé les mêmes substances et les mêmes quantités que l’accusé. Puisque certains éléments tels que la fatigue et le rythme de la consommation peuvent avoir une incidence sur l’effet des drogues, cette comparaison doit prendre en considération l’ensemble des circonstances dans lesquelles l’accusé a consommé les drogues qui constituent l’élément déclencheur de son état psychotique. Dans la mesure où la personne normale aurait également été susceptible de développer une psychose toxique à la suite d’une telle consommation de stupéfiants, les tribunaux pourront plus facilement considérer que le désordre psychique dont a souffert l’accusé avait une origine purement externe (Rabey (C.S.C.), p. 519 et 533; voir également Moroz, par. 46) et ne constituait pas une maladie mentale au sens du Code criminel.
[73] La considération du facteur du risque subsistant, qui constitue le deuxième outil analytique, découle directement de la nécessité d’assurer la sécurité du public. Ce facteur tente d’évaluer la probabilité de récurrence d’un danger pour autrui. Un état qui comporte un risque vraisemblable de récurrence d’un tel danger se trouve davantage susceptible d’être assimilé à une maladie mentale. Pour évaluer ce risque, les tribunaux doivent prendre en considération, parmi d’autres facteurs, « les antécédents psychiatriques de l’accusé et la probabilité que l’élément qui aurait déclenché l’épisode d’automatisme se présente de nouveau » (Stone, par. 214).
[74]
Bien que les motifs du juge Bastarache ne soient pas explicites à cet
égard, il va de soi qu’un danger ne sera récurrent que s’il est susceptible de
se produire de nouveau indépendamment de la volonté de l’accusé. La récurrence
du danger n’est pas un élément qui dépend du comportement volontaire de
l’accusé. On rejoint ici l’idée voulant que la défense prévue à l’art.
[75] Dans l’arrêt Stone, le juge Bastarache a aussi mentionné qu’« une façon globale d’aborder la question de la maladie mentale doit aussi permettre au juge du procès de tenir compte des autres préoccupations d’ordre public qui sous-tendent cet examen » (par. 218). La principale de ces considérations d’ordre public demeure le besoin de protéger la société contre l’accusé par l’engagement de la procédure spéciale établie par la partie XX.1 du Code criminel. Ainsi, lorsque les circonstances d’un dossier suggèrent que la condition préexistante de l’accusé ne nécessite aucun traitement particulier et qu’elle ne constitue pas une menace pour autrui, les tribunaux devraient arriver plus facilement à la conclusion que l’accusé n’était pas malade mentalement au moment des faits reprochés.
[76] L’approche contextuelle que les tribunaux doivent appliquer selon l’arrêt Stone permet de délimiter la portée du présent pourvoi. Celui-ci ne vise pas à dégager une règle destinée à s’appliquer à tous les cas de psychose toxique. En raison des particularités propres à chaque dossier, il serait d’ailleurs contre-productif de tenter de définir de façon exhaustive les conditions mentales qui sont visées par l’exclusion établie dans l’arrêt Cooper à l’égard des « états volontairement provoqués par l’alcool ou les stupéfiants ». Le présent dossier ne concerne qu’un seul type de psychose toxique, c’est-à-dire celle qui résulte exclusivement d’un épisode unique d’intoxication volontaire.
[77] Tout en s’aidant de la jurisprudence existante, il est préférable que les tribunaux conduisent une analyse individualisée destinée à prendre en considération les circonstances particulières de chaque dossier. En conséquence, les tribunaux détermineront au cas par cas, en application de la « méthode plus globale » décrite dans l’arrêt Stone, si la condition mentale de l’accusé est incluse ou non dans la définition de la maladie mentale proposée par le juge Dickson dans l’arrêt Cooper. Cette approche s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence découlant de l’arrêt Rabey, dans lequel notre Cour a endossé l’opinion du juge Martin selon laquelle [traduction] « [c]ertains troubles mentaux momentanés pourraient [. . .] demeurer impossibles à catégoriser correctement, à partir d’une déclaration générale, lorsqu’il s’agit de déterminer s’ils constituent une “maladie mentale”; ils doivent donc être catégorisés au cas par cas » (p. 519-520).
F. Application des principes au présent pourvoi
[78]
Conformément à la méthode exposée ci-dessus, il s’agit maintenant de
déterminer si l’appelant souffrait d’un « troubl[e] menta[l] » au
sens de l’art.
[79] La preuve versée au dossier ne supporte pas la distinction effectuée par l’appelant entre « effets normaux » et « effets anormaux » de l’intoxication. Elle est aussi incompatible avec l’argument selon lequel seules les personnes prédisposées aux troubles mentaux sont susceptibles de développer une psychose toxique à la suite d’une consommation de stupéfiants. Par exemple, lors du procès, le Dr Faucher a témoigné qu’il rencontrait « à toutes les semaines » des cas de psychose toxique (d.a., p. 967). Comme la juge Thibault l’a noté, le même témoin a également mentionné que la moitié des sujets (50 p. 100) qui consomment des drogues contenant du PCP étaient susceptibles de développer un état psychotique alors qu’ils sont intoxiqués. Il appert donc que la psychose toxique constitue malheureusement un phénomène plutôt fréquent qui semble s’expliquer par le niveau élevé de toxicité des drogues chimiques.
[80] L’application du premier facteur décrit dans l’arrêt Stone suggère donc que la consommation d’un comprimé de « poire bleue » représente un facteur spécifiquement externe dont la présence milite contre la prétention de l’appelant. Une personne normale semble effectivement susceptible de développer une psychose toxique à la suite de la consommation d’un tel comprimé. Ce constat suggère fortement que l’appelant ne souffrait pas d’un trouble mental au moment de commettre les faits reprochés.
[81] L’apparition rapide des symptômes psychotiques indique généralement que les idées délirantes chez l’accusé étaient attribuables à un facteur spécifiquement externe. L’expertise du Dr Faucher, que le juge de première instance a préférée à celle du Dr Turmel assigné par la défense, a révélé qu’une rétrocession rapide des symptômes était caractéristique d’une psychose toxique causée par un épisode d’intoxication volontaire (d.a., p. 954-959). Comme le professeur Parent l’a également écrit à ce sujet, « des idées délirantes qui rétrocèdent au même rythme que la drogue laissent habituellement présager la présence d’une Intoxication par substance » (« Les Troubles psychotiques induits par une substance en droit pénal canadien : analyse médicale et juridique d’un concept en pleine évolution », p. 123 (en italique dans l’original)). De telles idées délirantes ne découlent alors pas d’une maladie mentale au sens du Code criminel.
[82] En l’espèce, les symptômes psychotiques vécus par l’appelant ont commencé à s’estomper peu de temps après la consommation du comprimé de « poire bleue », et ce, de façon continue jusqu’à leur extinction complète le 28 octobre 2005. La Cour d’appel a jugé que cette rétrocession des symptômes révélait une concordance entre la durée de l’intoxication et les manifestations de la psychose toxique. La juge Thibault a pu donc affirmer que « [l]’appelant ne souffrait d’aucune maladie mentale avant de commettre les crimes et une fois les effets de la consommation de drogues résorbés, il était tout à fait sain d’esprit » (par. 77). Je ne vois aucune raison valable de m’écarter de cette conclusion.
[83] En ce qui a trait à l’application du deuxième facteur décrit dans l’arrêt Stone, aucun élément de preuve n’indique que la condition mentale de l’accusé présente un quelconque niveau de dangerosité inhérente. Dans la mesure où l’appelant s’abstient à l’avenir de consommer de telles drogues, ce qu’il est en mesure de faire volontairement, il semble que sa condition mentale ne constitue pas une menace pour la sécurité du public. Sans exprimer une position définitive sur cette question, signalons qu’il pourrait en être autrement si l’appelant souffrait d’une dépendance aux stupéfiants ayant pour effet d’affecter sa capacité à cesser volontairement sa consommation. La probabilité de récurrence du danger pourrait alors être plus élevée.
[84]
Finalement, un examen de l’ensemble des circonstances du présent dossier
me convainc qu’il n’existe aucune raison valable d’engager la procédure
spéciale mise en place par la partie XX.1 du Code criminel. Un accusé dont
la condition mentale au moment des faits reprochés est exclusivement
attribuable à un état d’intoxication temporaire volontaire et qui ne représente
aucun danger pour autrui ne souffre pas d’un « troubl[e] menta[l] »
pour l’application de l’art.
[85]
Dans ce contexte, je conclus que l’appelant ne souffrait pas d’un
« troubl[e] menta[l] » pour l’application de l’art.
[86]
Cette conclusion prend en compte les considérations d’ordre public évoquées
par le juge Dickson dans l’arrêt Cooper. En considérant la teneur de
l’expertise du Dr Faucher au sujet de la fréquence des psychoses
toxiques dans des circonstances analogues à celles du présent dossier,
l’adoption de la position de l’appelant entraînerait des conséquences
difficilement acceptables pour l’intégrité du système de justice criminelle. Si
chaque individu qui commet une infraction violente pendant qu’il souffre d’une
psychose toxique devait, sans égard à l’origine ou à la cause de celle-ci,
échapper à la responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, la
défense prévue à l’art.
[87]
Certes, l’absence de preuve relative à la présence d’un trouble mental
sous-jacent chez l’appelant facilite l’exercice de qualification juridique qui
doit être effectué en vertu de l’art.
[88] Au regard de la jurisprudence existante, il est plausible de prévoir que les tribunaux auront à effectuer cet exercice de qualification juridique dans des circonstances beaucoup plus délicates que celles du présent dossier. Il en sera notamment ainsi lorsque la condition mentale révélera la présence d’un trouble mental sous-jacent mais que la preuve indiquera aussi que la psychose toxique a été déclenchée par une consommation de stupéfiants dont la nature et la quantité auraient pu provoquer le même état chez une personne normale. Dans de telles circonstances, il convient d’inviter les tribunaux à faire preuve d’une minutie particulière dans l’application de la « méthode plus globale » décrite dans l’arrêt Stone.
G.
L’article
[89]
En raison de la conclusion qui précède, il devient maintenant pertinent
de s’interroger sur l’applicabilité de l’art.
[90]
L’intoxication volontaire visée par l’art.
[91]
L’article
V. Conclusion
[92] Pour l’ensemble de ces motifs, le pourvoi doit être rejeté.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant : Roy & Robert, Montréal.
Procureur de l’intimée : Poursuites criminelles et pénales du Québec, Matane.
Procureur de l’intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Montréal.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.