Décision

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Droit de la famille - 123033

2012 QCCS 5855

JC 1839

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-12-302355-106

 

DATE :

26 OCTOBRE 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JUGE LOUIS CRÊTE J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

S… K…,

Demandeur/Défendeur reconventionnel,

c.

M… J…,

Défenderesse/Demanderesse reconventionnelle.

 

______________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

______________________________________________________________________

 

[1]           Dans le cadre d'une requête en divorce dont le motif - séparation des conjoints depuis plus d'un an - n'est pas contesté, les parties sont en désaccord sur certaines mesures accessoires, soit celle portant sur les calculs à effectuer en vue du partage du patrimoine familial et celle relative à la demande par l'épouse d'une somme globale de $150,000.00.

[2]           Les faits de l'affaire sont les suivants.

[3]           S... K... et M... J..., âgés aujourd'hui respectivement
de 73 et 67 ans, se sont mariés le 28 mai 1993. Au moment du mariage, ils étaient tous deux divorcés et avaient eu chacun des enfants issus d'unions antérieures.
Ensemble, les deux parties n'ont cependant pas eu d'autres enfants.

[4]           Les époux K.../J... avaient fait précéder leur union d'un contrat de mariage et le régime matrimonial adopté était celui de la séparation de biens.

[5]           Avant d'épouser M. K..., Mme J... avait commencé à vivre maritalement avec lui dans la maison qu'il possédait déjà sur l'avenue A à Ville A.
Cette maison n'était alors grevée d'aucune hypothèque.

[6]           De son côté, Mme J... avait vendu en octobre 1990 la maison qu'elle possédait sur la rue [...] à Ville B,[1] car l'un de ses enfants était déjà parti, tandis que l'autre étudiait à l'université et devenait de plus en plus autonome.

[7]           Un an après le mariage, soit le 30 mai 1994, M. K... a vendu sa maison
du [...], avenue A à Ville A[2] pour un montant net de $129,615.63.

[8]           Le même jour, le couple K.../J... se portait acquéreur, en copropriété indivise, d'une maison située au [...], chemin A [dans l’arrondissement A de Ville B]. Le prix d'achat était de $270,000.00 dont $70,000.00 ont été payés comptant et $200,000.00 ont été financés par un emprunt hypothécaire auprès de la Banque Royale du Canada.[3]

[9]           Une fois emménagées dans leur nouvelle maison, les parties y ont fait faire certaines rénovations: salles de bain, cuisine, planchers, peinture, etc.

[10]        En 1996, Mme J..., étant psychologue et voulant pouvoir recevoir ses clients à la maison, a fait aménager un petit bureau au sous-sol de la maison familiale du chemin A. Ces travaux lui ont coûté $16,000.00,
somme qu'elle a dû emprunter à la Banque de Montréal.[4]

[11]        En août 2002, le couple K.../J... vend la maison du [...], chemin A pour la somme de $495,000.00.[5] Après remboursement de l'hypothèque ($152,127.82) et le paiement des divers frais, les parties en recevront net la somme de $319,000.00 ($309,000.00 + dépôt initial de $10,000.00).[6]

[12]        À la suite de cette vente, les époux ont acquis un appartement (condo),
là encore en copropriété indivise entre eux, pour un montant de $314,000.00
qui a pu être payé comptant à partir des sommes dégagées lors de la vente de la maison du chemin A[7] ($309,000.00 + acompte initial
de $5,000.00 = $314,000.00). Le nouvel appartement (condo) était situé
au [...], chemin B [dans l’arrondissement A de Ville B], no [...].[8]

[13]        Les relations dans le couple se sont cependant graduellement détériorées et,
le 13 janvier 2010, M. K... a intenté contre Mme J... une requête introductive d'instance en divorce, alléguant séparation depuis plus d'un an au moment du prononcé éventuel du jugement de divorce.

[14]        Comme les époux K.../J... occupaient encore leur appartement
du [...], chemin B lors de l'introduction de l'instance, ils ont convenu de s'en départir.

[15]        Le 1er septembre 2010, les parties vendaient cet appartement pour la somme de $625,000.00, dont $591,340.00 ont pu être dégagés après paiement des divers frais.

[16]        Les parties ne s'entendaient cependant pas sur certains aspects relatifs au partage du patrimoine familial, plus particulièrement en ce qui concerne les calculs devant porter sur les apports de chacun, le remploi des sommes dégagées lors des diverses transactions immobilières intervenues depuis la vente du [...], avenue A à Ville A, etc.

[17]        Il a donc été convenu que M. K... recevrait immédiatement la somme non contestée de $295,000.00 et Mme J... la somme de $72,500.00.[9]
Pour ce qui est du reliquat net dégagé après la vente du [...], chemin B ($223,398.27 + $436.06),[10] la somme en question a été déposée de consentement dans le compte en fidéicommis de l'avocate de M. K..., en attendant le sort du partage que le tribunal est appelé à ordonner dans la présente instance.

 

LES PROCÉDURES

 

[18]        Hormis le divorce qu'il demande au tribunal de prononcer, le demandeur
S... K... requiert le partage égal du patrimoine familial, incluant celui des droits accumulés par chacun des époux auprès de la Régie des rentes du Québec pendant le mariage.

[19]        De son côté, Mme J... demande au tribunal de déclarer que M. K... a renoncé à l'application en sa faveur des règles de remploi prévues à la loi en raison de son acquiescement à acheter en copropriété indivise la maison du chemin
A en 1994.

[20]        De façon subsidiaire, la défenderesse requiert le partage du patrimoine familial, mais en faisant intervenir des calculs différents de ceux proposés par M. K....

[21]        Mme J... demande enfin le versement par M. K... d'une somme globale compensatoire de $150,000.00.

 

REMARQUES PRÉLIMINAIRES RELATIVES

AU PARTAGE DU PATRIMOINE FAMILIAL

 

[22]        Au chapitre du partage du patrimoine familial, les parties se sont entendues sur certains aspects qui s'y rapportent.

[23]        Dans leur "Convention sur mesures provisoires et convention partielle sur mesures accessoires (partage des meubles)" datée du 22 mars 2010 et déposée au dossier,
les parties ont prévu le partage à l'amiable de leurs meubles et "elles se donnent quittance complète, totale et finale à cet égard, et ce dans le cadre du partage du patrimoine familial". Dans ce contexte, le tribunal se contentera d'entériner cette convention.

[24]        Pour ce qui est du partage des fonds de retraite des parties, celles-ci ont soumis à l'audience un projet de conclusions qu'elles demandent au tribunal d'ajouter à titre de mesures accessoires aux conclusions du jugement de divorce. Le tribunal y fera droit.

[25]        Il ne reste au tribunal qu'à décider ici du partage du patrimoine familial en regard de la résidence familiale.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

1)      M. K... a-t-il renoncé à son droit de se prévaloir des règles du remploi prévues à l'article 418 C.C.Q. lors de l'achat par les deux parties en copropriété indivise de la résidence familiale du [...], chemin A?

 

2)      À quelle somme chacun aura-t-il droit au chapitre du partage du patrimoine familial des parties en rapport avec la résidence familiale?

 

3)      Mme J... est-elle fondée de réclamer une somme globale compensatoire de $150,000.00 de la part de M. K...?

 

ANALYSE

 

(1)

 

LA RENONCIATION PAR M. K... À SON DROIT AUX

BÉNÉFICES DU REMPLOI LORS DE L'ACHAT DE LA MAISON

DU [...], CHEMIN A EN MAI 1994

 

[26]        Dans sa défense et demande reconventionnelle amendée, Mme J... plaide que, dans le partage final de la valeur du patrimoine familial en rapport avec les maisons achetées et vendues par le couple entre 1994 et 2010, il ne soit pas tenu compte des règles de remploi prévues à l'article 418 C.C.Q.

[27]        À ce sujet, Mme J... soutient qu'en acquérant avec elle en copropriété indivise leur maison du [...], chemin A sans qu'il se fasse attribuer une part plus importante qu'elle dans cette maison, M. K... a ainsi manifesté son intention de renoncer à l'avantage du remploi qui lui était accordé par l'application de l'article 418 C.C.Q. en rapport avec ce qu'il avait reçu de la vente de sa maison de Ville A. Dans cette mesure, toutes les plus-values accumulées lors de la vente de la maison du chemin A et du condo du [...], chemin B leur reviendraient à chacun en parts égales.

[28]        De son côté, M. K... plaide qu'il n'a nullement renoncé à son droit au remploi du produit de la vente de sa maison de Ville A lorsqu'il a acheté celle du chemin A avec sa nouvelle épouse, car il ignorait l'existence et la nature des droits qui étaient les siens lors de cette transaction. Il n'a été mis au courant de ses droits à cet égard que lorsque son avocate lui en a parlé au moment de l'introduction de l'instance au début de 2010. Pour renoncer à un droit aussi important, soutient-il, encore fallait-il qu'il eût su ce qu'il en était à l'époque de l'achat de la maison du chemin A en 1994.

[29]        L'article 418 C.C.Q. prévoit que:

 

"Art. 418. Une fois établie la valeur nette du patrimoine familial, on en déduit la valeur nette, au moment du mariage, du bien que l'un des époux possédait alors et qui fait partie de ce patrimoine; on en déduit de même celle de l'apport,
fait par l'un des époux pendant le mariage, pour l'acquisition ou l'amélioration d'un bien de ce patrimoine, lorsque cet apport a été fait à même les biens échus par succession ou donation, ou leur remploi.

On déduit également de cette valeur, dans le premier cas, la plus-value acquise, pendant le mariage, par le bien, dans la même proportion que celle qui existait, au moment du mariage, entre la valeur nette et la valeur brute du bien et,
dans le second cas, la plus-value acquise, depuis l'apport, dans la même proportion que celle qui existait, au moment de l'apport, entre la valeur de l'apport et la valeur brute du bien.

Le remploi, pendant le mariage, d'un bien du patrimoine familial possédé lors du mariage donne lieu aux mêmes déductions, compte tenu des adaptations nécessaires."

 

[30]        Après certaines incertitudes, la Cour d'appel a maintenant fixé les
"principes cardinaux" devant être pris en considération lorsqu'il s'agit de décider s'il y a eu renonciation au bénéfice du remploi accordé à un époux dans le cadre de
l'article 418 C.C.Q.

 

"[29] Avant de répondre à cette question, je me permets de rappeler deux principes cardinaux relatifs à la déduction prévue à l’article 418 C.c.Q.
Le premier veut qu’un époux puisse renoncer à la déduction même si la renonciation au partage du patrimoine familial est interdite pendant le mariage. Le second exige que la renonciation soit claire et non équivoque.
Ces principes font l’objet d’une jurisprudence constante.

[30] Malgré cette dernière règle, qui exige la démonstration d’une renonciation claire et non équivoque à la déduction, on peut observer dans plusieurs jugements que les juges concluent à une renonciation à la déduction lorsqu’un bien du patrimoine familial est acquis en copropriété indivise et que l’un des époux investit, lors de l’achat ou après, une somme d’argent provenant d’un héritage ou de la vente d’un bien possédé avant le mariage sans indiquer qu’il revendiquera la déduction. En définitive, suivant cette approche,
l’achat en copropriété d’un bien du patrimoine familial serait constitutif d’une présomption de renonciation à la déduction de l’article 418 C.c.Q.

[31] À mon avis, et avec beaucoup d’égards pour l’opinion contraire,
la proposition selon laquelle l’acquisition en copropriété d’un bien du patrimoine familial accompagnée ou non du versement, lors de l’achat ou après,
d’une somme d’argent provenant d’un bien possédé avant le mariage ou d’un bien échu par testament constitue une renonciation au bénéfice de la déduction de l’article 418 C.c.Q. est erronée. L’achat d’une résidence en copropriété ne fait pas naître une présomption que l’un ou l’autre des époux a renoncé à se prévaloir de son droit à la déduction prévue à l’article 418 C.c.Q." [11]

 

[31]        Cette jurisprudence a été suivie depuis par la Cour d'appel elle-même[12]
et par la Cour supérieure.[13]

[32]        Ici, comme dans l'affaire Droit de la famille - 10304[14] en Cour d'appel,
aucun élément ne permet de conclure que M. K... a manifesté une intention de renoncer à l'application de la déduction de l'article 418 C.C.Q.

[33]        La seule preuve qui a été faite au sujet des circonstances entourant l'achat de la propriété du chemin A le 30 mai 1994 est que cette maison a été achetée par les deux conjoints en copropriété indivise. L'acte d'achat[15] est intervenu le même jour que la vente de la maison de M. K... sur l'avenue A
à Ville A[16] et il appert de la preuve que $70,000.00 des $129,615.63 dégagés de la vente du [...], avenue A ont servi comme acompte sur le prix d'achat ($270,000.00) de la nouvelle résidence [de l’arrondissement A de Ville B]. La documentation pertinente de l'époque ne souffre d'aucune ambiguïté à ce sujet.[17]

[34]        Enfin, hormis le fait qu'elle s'est portée codébitrice de l'hypothèque de $200,000.00 ayant servi à financer l'achat de la maison [e l’arrondissement A de Ville B
($270,000.00 - $70,000.00), rien n'indique que Mme J... ait à cette époque en 1994 affecté à cet achat quelque somme que ce soit en provenance de la vente de sa maison de la rue A en octobre 1990, vente effectuée deux ans et demi avant le mariage. Mme J... dira à ce sujet qu'elle avait utilisé l'argent ($30,000.00) pour ses dépenses de la vie quotidienne et pour s'acheter des meubles.

[35]        Dans ces circonstances et en l'absence de toute preuve crédible,
le tribunal ne peut pas conclure que M. K... ait renoncé à son droit au remploi consacré à l'article 418 C.C.Q.

 

"[42] Dans le présent dossier, sur la base des enseignements de la Cour
dans les affaires Droit de la famille - 1636 et Droit de la famille - 1893 précitées, je suis d’avis que la preuve n’a pas établi que l’appelant a renoncé au bénéfice de la déduction prévue à l’article 418 C.c.Q. Le fait que la résidence a été acquise en copropriété ne constitue pas, à lui seul, la preuve d'une renonciation à la déduction prévue à l’article 418 C.c.Q. […]"[18]

 

(2)

 

SOMMES D'ARGENT AUXQUELLES CHACUN

AURA DROIT DANS LE PARTAGE DU PRODUIT

DE LA VENTE DU CONDO DU [...], CHEMIN B

 

[36]        Comme on l'a vu plus haut dans la relation des faits, les parties ont acheté et revendu, à profit chaque fois, les résidences familiales dans lesquelles elles habitaient, d'abord le [...], avenue A à Ville A, puis le [...], chemin A [dans l’arrondissement A de Ville B] et, enfin, l'appartement no [...] du [...], chemin B [dans l’arrondissement A de Ville B].

[37]        Eu égard aux termes de l'article 418 C.C.Q.,[19] les parties se disputent les sommes auxquelles elles disent avoir chacune droit dans le reliquat du produit net de la vente du dernier immeuble qu'elles ont habité.

[38]        Dans le cas qui nous occupe, il est constant au débat que M. K... était seul propriétaire de sa maison du [...], avenue A à Ville A, et ce, depuis 1988. Au moment du mariage des parties en mai 1993, la maison n'était grevée d'aucune hypothèque.

[39]        Après le mariage, le couple K.../J... a habité cette maison jusqu'en
mai 1994 pour aller acheter, en copropriété indivise cette fois, la maison
du [...], chemin A [dans l’arrondissement A de Ville B].

[40]        Des $129,615.63 nets dégagés de la vente de la maison de Ville A $70,000.00 serviront comme acompte sur l'achat de la maison [e l’arrondissement A de Ville B],
laissant une hypothèque de $200,000.00 sur le prix d'acquisition total de $270,000.00. Des $59,615.63 restant de la vente de la maison de Ville A une portion servira à rénover certaines parties de la résidence nouvellement acquise (cuisine, salles de bain, chambre et peinture), le reste n'étant pas utilisé à cette fin, mais plutôt à l'achat de meubles.

[41]        Selon le témoignage de M. K..., $40,000.00 ont ainsi servi à rénover la nouvelle maison. De son côté, Mme J... soutient que la somme impliquée serait plutôt de l'ordre de $20,000.00 à $25,000.00.

[42]        Comme Mme J... souligne qu'elle ne faisait pas la comptabilité,
qu'elle ne signait pas les chèques et qu'elle n'est pas non plus celle qui avait embauché l'entrepreneur en rénovation, M. Ratté, le tribunal est porté à préférer les dires de
M. K... quant aux sommes dépensées par lui pour rénover cette maison [de l’arrondissement A de Ville B]. Les travaux impliqués, et qui sont attestés par les deux parties,
n'étaient ni mineurs ni purement cosmétiques. En effet, les parties ont fait modifier les lieux pour avoir deux salles de bain, on a fait tomber un mur pour agrandir la cuisine et une petite chambre a été condamnée pour y aménager une salle de douche,
une toilette et une salle de lavage. Les planchers ont été sablés sur deux étages et dans l'escalier, la cuisine a reçu un nouveau revêtement de sol et la peinture a été refaite.

[43]        Dans ce contexte, le chiffre de $40,000.00 avancé par M. K... est plausible et réaliste.

[44]        Il faut cependant déterminer quelle plus-value a été au départ apportée à la maison du fait de ces rénovations effectuées par M. K.... Comme il serait irréaliste de considérer que les $40,000.00 dépensés ont intégralement donné à la maison une plus-value identique à cette somme, le tribunal évalue à $30,000.00 ce en quoi les rénovations ont contribué à augmenter la valeur de la maison en question.
Le tribunal prend ici connaissance d'office du fait généralement admis que des rénovations à une cuisine et à des salles de bain confèrent une plus grande plus-value à une maison que, par exemple, de la nouvelle peinture, une nouvelle toiture ou une piscine.

[45]        Pour ce qui est maintenant du fait que Mme J... a, selon ses dires,
investi $16,000.00 à partir d’emprunts à la Banque de Montréal afin d’aménager un petit bureau au sous-sol de la résidence familiale du chemin A, rien dans la preuve n’a démontré que cet aménagement aurait donné quelque
plus-value que ce soit à l’immeuble en question.  Il s’agissait essentiellement d’un ajout motivé par les obligations professionnelles de la défenderesse comme psychologue qui désirait y recevoir ses clients à l’occasion.

[46]        Compte tenu par ailleurs du fait que la somme dégagée lors de la vente de la maison du chemin A a été employée pour acheter comptant et en totalité l'appartement du chemin B ($314,000.00) et compte tenu du fait que cet appartement a finalement été vendu pour la somme nette de $591,340.00,
la déduction totale à laquelle M. K... aura droit en sa faveur s'établit à $334,903.00 tel que l'indique le formulaire Patriforme annexé au présent jugement.[20]

[47]        Ainsi, la valeur nette partageable du bien s'établira à la somme de $256,437.00, somme qui devra être divisée en deux entre M. K... et Mme J...,
soit $128,218.50 pour chacun.

[48]        M. K... aura donc droit à un total de $463,121.50
($334,903.00 + $128,218.50) et Mme J... à $128,218.50.

[49]        Ayant déjà reçu $295,000.00, M. K... pourra toucher $168,121.50 ($463,121.50 - $295,000.00) à partir des sommes détenues présentement chez
Joli-Coeur Lacasse en fidéicommis.[21] Quant à Mme J..., elle aura droit d'en recevoir $55,718.50 en sus des $72,500.00 qu'elle a déjà touchés.[22]

 

(3)

 

RÉCLAMATION PAR MME J... D'UNE SOMME

GLOBALE COMPENSATOIRE DE $150,000.00

 

[50]        Dans les conclusions de sa défense et demande reconventionnelle amendée, Mme J... demande au tribunal de "condamner le demandeur à [lui] verser […] une somme globale de 150,000.00$ […]".

[51]        Cette demande s'appuie sur l'allégation suivante:

 

"38.   Toujours subsidiairement et dépendant des conclusions du tribunal quant au remploi et des calculs et des montants retenus la défenderesse est bien fondée de réclamer une somme globale compensatoire de 150,000.00$ sauf à parfaire, somme globale que le demandeur est en mesure de lui verser;"

 

[52]        Bien que la défenderesse identifie la somme qu'elle réclame comme étant une "somme globale compensatoire", le tribunal note que sa déclaration selon
l'article 274.1 C.P.C. identifie l'une des questions en litige comme une
"somme globale alimentaire". Tel que le paragraphe 38 de sa défense et demande reconventionnelle amendée l'indique, la somme globale demandée est réclamée sous forme d'alternative, au cas où le tribunal ne donnerait pas raison à Mme J... dans sa réclamation relative au partage du patrimoine familial. Nulle part n'y est-il formellement allégué qu'elle a besoin de cette somme à titre alimentaire[23] ou qu'elle la réclame à titre de prestation compensatoire au sens du Code civil du Québec.[24]

[53]        Les expressions "somme globale compensatoire" et "somme globale alimentaire" laissent penser que Mme J... réclame à la fois des aliments sous forme de somme globale et une compensation pour son apport en biens ou en services à l'enrichissement du patrimoine de son conjoint M. K....

[54]        Vu l'apparente ambiguïté des prétentions de la demanderesse reconventionnelle à cet égard, le tribunal traitera de ces deux aspects qui sont cependant conceptuellement et juridiquement bien distincts.[25]

 

(a)

 

DEMANDE DE SOMME GLOBALE ALIMENTAIRE

 

[55]        L'article 15.2 (1) de la Loi sur le divorce porte que:

 

"15.2 (1) Sur demande des époux ou de l’un d’eux, le tribunal compétent peut rendre une ordonnance enjoignant à un époux de garantir ou de verser,
ou de garantir et de verser, la prestation, sous forme de capital, de pension ou des deux, qu’il estime raisonnable pour les aliments de l’autre époux."

 


[56]        Le pendant de cet article au Code civil du Québec se retrouve à
l'article 589 C.C.Q.:

 

"Art. 589. Les aliments sont payables sous forme de pension;
le tribunal peut exceptionnellement remplacer ou compléter cette pension alimentaire par une somme forfaitaire payable au comptant ou par versements."

 

[57]        Comme on peut le voir, lorsqu'un ex-conjoint est appelé à verser des aliments à l'autre, le tribunal peut ordonner que le versement en question se fasse soit par voie de pension alimentaire périodique soit par le biais d'une somme forfaitaire appelée aussi somme globale ou, même encore, des deux manières à la fois comme le prévoit
l'article 15.2 (1) de la Loi sur le divorce.

[58]        Quelle que soit cependant la façon par laquelle un débiteur sera tenu d'acquitter son obligation à l'égard de l'autre, il s'agira dans tous les cas de l'exécution d'une prestation de nature alimentaire qui pourra certes parfois comporter une dimension compensatoire,[26] mais qui sera essentiellement justifiée par le fait que celui ou celle qui demande des aliments de l'autre conjoint subit des inconvénients économiques importants résultant du mariage et de sa rupture.

[59]        Qu'en est-il en l'espèce?

[60]        La preuve a révélé que, lorsque M. K... et Mme J... se sont rencontrés
en 1988, le demandeur avait déjà cessé de travailler comme professeur adjoint à l'Université A et il avait créé une petite entreprise, [la compagnie A] ("[...]"), laquelle oeuvrait dans la conception de programmes de formation et de stratégie de développement de ressources humaines. M. K... vivait alors dans la maison qu'il avait achetée sur l'avenue A à Ville A à l'été 1988 après son divorce d'une conjointe antérieure. Il y habitait avec sa fille qui était encore sous sa garde.

[61]        De son côté, Mme J... avait été pendant plusieurs années à l'emploi
de la [commission scolaire A] comme enseignante auprès d'enfants handicapés et autistes.
Elle avait par la suite entrepris des études en psychologie et elle était formellement devenue psychologue en juillet 1987. À partir de là, tout en conservant son emploi
à la [commission scolaire A], Mme J... a commencé à développer, comme psychologue,
une pratique avec des enfants en difficulté.

[62]        À cette même époque, la défenderesse vivait dans une maison qu'elle possédait sur la rue A à Ville B, maison où elle avait habité avec ses deux enfants issus d'un mariage antérieur.

[63]        Après sa rencontre avec M. K... en 1988, Mme J... est allée vivre avec lui à Ville A, et ce, à partir de juillet 1989. Par la suite, la défenderesse a démissionné de son emploi à la [commission scolaire A]. Elle dira qu'elle ne pouvait plus continuer. Selon les dires de M. K..., elle était devenue tendue et fatiguée.

[64]        En quittant la [commission scolaire A] en 1989-1990, Mme J... s'est fait remettre ce qui avait été accumulé par elle dans son fonds de retraite auprès de la CARRA
(plus ou moins $30,000.00).

[65]        De façon contemporaine à son départ de la [commission scolaire A], Mme J... a commencé à travailler avec M. K... chez [la compagnie A]. Sa formation en psychologie apportait,
dit-elle, une
"valeur ajoutée" à l'entreprise.

[66]        Comme elle vivait dans les faits chez M. K... et que ses enfants à elle étaient maintenant partis de la maison, Mme J... a décidé de vendre sa résidence de la rue A le 1er octobre 1990, ce qui lui a rapporté la somme nette de $30,000.00.[27] Cette somme et celle qu'elle avait obtenue de la CARRA seront utilisées par elle pour ses dépenses quotidiennes et pour l'achat de meubles.

[67]        Telle était en substance la situation lorsque les parties ont décidé de se marier
le 28 mai 1993.
[28] Elles ont fait précéder leur union d'un contrat de mariage prévoyant le régime de la séparation de biens.[29] Ce contrat de mariage incorporait également un inventaire signé par les parties et faisant état de leurs actifs respectifs.[30]

[68]        Au bout d'un an, les parties qui travaillaient toutes deux à Ville B décident d'y déménager. M. K... vend donc sa maison de Ville A pour la somme nette de $129,615.63 dont $70,000.00 serviront comme dépôt lors de l'achat de la résidence
du [...], chemin A.

[69]        Comme son travail pour [la compagnie A] ne l'occupait pas à temps complet,
Mme J... a continué à travailler comme psychologue, d'abord à partir des bureaux [de la compagnie A] sur la rue B puis, après le déménagement [de la compagnie A], dans un bureau que la défenderesse a fait aménager au sous-sol de la résidence familiale sur le chemin A.


[70]        En 1995, les affaires [de la compagnie A] ont singulièrement ralenti et Mme J... est alors partie travailler pour les Forces armées canadiennes à Ville C (septembre 1995
à septembre 1997), tout en continuant de recevoir ses clients à son bureau du chemin A [dans l’arrondisssement A de Ville B]. À son retour des Forces armées canadiennes, Mme J... ira de nouveau travailler chez [la compagnie A], devenue depuis
[la compagnie B], mais son implication à cet endroit cessera de façon définitive en 1998.

[71]        À partir de là, Mme J... travaillera à temps plein et à son compte comme clinicienne en psychologie avec une clientèle variée qui lui est propre:
CSST, IVAC et clientèle privée. Depuis ce temps, au-delà de ses déménagements tant de résidences que d'adresses professionnelles et après sa séparation d'avec M. K..., Mme J... a été en mesure de subvenir à ses propres besoins, même si ses revenus demeurent relativement modestes pour une professionnelle, si l'on se fie à ses déclarations de revenus. À titre indicatif, son formulaire III assermenté le 6 mars 2012 montre chez elle des revenus totaux de $40,026.62 par année. Le formulaire III de
M. K... fait, quant à lui, état de revenus de $32,132.40 par année.

[72]        L'écart entre les revenus des deux parties n'est pas à ce point significatif pour justifier le paiement d'une pension alimentaire d'un côté ou de l'autre.
On ne peut pas non plus conclure que Mme J... serait maintenant tombée dans une situation financière précaire qui pourrait résulter du mariage ou de son échec.

[73]        Nous ne sommes pas dans cette affaire en présence d'un mariage dit "traditionnel" où l'épouse aurait pendant longtemps renoncé à travailler à l'extérieur de la maison pour pouvoir s'occuper de ses enfants. Ici, les parties se sont mariées à un moment où M. K... avait 54 ans, où il était divorcé et où ses enfants allaient bientôt être autonomes. Quant à Mme J..., elle s'est mariée avec le demandeur à 47 ans, elle était également divorcée et ses enfants étaient eux aussi sur le point d'être autonomes.

[74]        Enfin, contrairement à une situation de mariage dit traditionnel,
les deux époux ont continué de travailler durant le mariage et si Mme J... a collaboré avec M. K... dans son entreprise [la compagnie A] sans rémunération significative à l'époque, ce fait n'a pas affecté à terme sa capacité de travailler, d'être autonome financièrement et de gagner décemment sa vie par la suite.

[75]        Dans ces circonstances, il est assez clair que Mme J... n'est pas dans une situation financière précaire telle qu'il y aurait lieu d'ordonner à M. K... de lui payer une somme globale pour tenir lieu d'aliments. Le tribunal note que Mme J... n'a pas demandé de pension alimentaire, sans doute parce qu'elle a estimé ne pas pouvoir en démontrer la justification.


[76]        De façon corollaire, le tribunal ne saurait ordonner à M. K... de verser à
Mme J... une somme globale qui, toutes choses normales par ailleurs,
serait destinée à combler les besoins alimentaires de la défenderesse dans une perspective plus large de rupture nette (
"clean break"). Les besoins alimentaires n'ont pas été démontrés.

[77]        La demande de somme globale alimentaire devra donc être rejetée.

 

(b)

 

SOMME GLOBALE À TITRE COMPENSATOIRE

 

[78]        S'il faut se fier au libellé du paragraphe 38 de la demande reconventionnelle de Mme J..., sa réclamation de $150,000.00 porterait sur une "somme globale compensatoire".

[79]        Il s'agira donc de déterminer ici si la défenderesse est justifiée de demander de M. K... une prestation compensatoire sous une forme ou une autre.

[80]        Les articles 427 et 428 C.C.Q. contiennent les dispositions suivantes:

 

"Art. 427. Au moment où il prononce la séparation de corps,
le divorce ou la nullité du mariage, le tribunal peut ordonner à l'un des époux de verser à l'autre, en compensation de l'apport de ce dernier, en biens ou en services, à l'enrichissement du patrimoine de son conjoint, une prestation payable au comptant ou par versements, en tenant compte, notamment,
des avantages que procurent le régime matrimonial et le contrat de mariage.
Il en est de même en cas de décès; il est alors, en outre, tenu compte des avantages que procure au conjoint survivant la succession.

Lorsque le droit à la prestation compensatoire est fondé sur la collaboration régulière de l'époux à une entreprise, que cette entreprise ait trait à un bien ou à un service et qu'elle soit ou non à caractère commercial, la demande peut en être faite dès la fin de la collaboration si celle-ci est causée par l'aliénation,
la dissolution ou la liquidation volontaire ou forcée de l'entreprise.

Art. 428. L'époux collaborateur peut prouver son apport à l'enrichissement du patrimoine de son conjoint par tous moyens."

 


[81]        À l'occasion de deux arrêts de principe, la Cour suprême du Canada a identifié six éléments pertinents pour pouvoir obtenir une prestation compensatoire.[31]

 

1.      l'apport du conjoint;

2.      l'enrichissement du patrimoine de l'autre conjoint;

3.      le lien de causalité entre les deux;

4.      la proportion dans laquelle l'apport a permis l'enrichissement;

5.      l'appauvrissement concomitant du conjoint qui a contribué;

6.      l'absence de justification à l'enrichissement.

 

[82]        Il importe de préciser que:

 

"[…] la prestation compensatoire n'a pas pour objet de partager ou d'équilibrer les actifs entre les ex-conjoints, comme semble vouloir le faire le premier juge. L'état des patrimoines respectifs ne constitue qu'un des facteurs à être appréciés dans la détermination de l'apport et appauvrissement de celui ou celle qui réclame une prestation compensatoire et de l'enrichissement de l'autre."[32]

 

[83]        À ce sujet:

 

"L'écart entre les valeurs des patrimoines respectifs des parties au moment du divorce ne saurait en soi et à lui seul permettre l'octroi d'une prestation compensatoire."[33]

 

[84]        Soulignons que:

 

"[…] c'est au moment de la séparation ou de la rupture du mariage qu'il faut se placer pour apprécier cet apport ou appauvrissement et l'enrichissement correspondant."[34]

 

[85]        Qu'en est-il ici?

[86]        Dans sa demande reconventionnelle amendée, Mme J... avance les allégations suivantes.

[87]        C'est à la demande de M. K... qu'elle aurait donné sa démission auprès
de la [commission scolaire A], et ce, afin d'aller travailler avec le demandeur chez [la compagnie A] (par. 17).

[88]        Après avoir retiré son fonds de retraite auprès de la CARRA,
Mme J... dit avoir investi dans [la compagnie A] et à la demande de M. K... les sommes de $4,800.00 en décembre 1991 et $4,500.00 en janvier 1992 (par. 18). En mai 1991, Mme J... est devenue actionnaire à hauteur de 30 % dans [la compagnie A] (par. 19)
et de 40 % par la suite (par. 20).

[89]        Malgré les déboires financiers [de la compagnie A] qui l'ont contrainte à aller travailler auprès des Forces armées canadiennes entre 1995 et 1997, Mme J... allègue avoir continué d'être active et présente dans l'entreprise [de la compagnie A], tout en poursuivant également sa pratique privée comme psychologue les samedis (par. 24).

[90]        En dépit de cette implication dans l'entreprise dirigée par son mari,
Mme J... dit avoir découvert tout récemment que si M. K... a déclaré à son profit des dividendes dans [la compagnie A], elle n'en a, quant à elle, jamais perçus (par. 30).

[91]        Enfin, Mme J... soutient avoir "investi pour les besoins du couple et de leurs enfants respectifs une somme d'environ 40,000.00$, soit 30,000.00$ (profits nets réalisés sur la vente de la résidence familiale et 10,000.00 provenant du retrait de son fonds de pension"
(par. 21). Plus particulièrement, Mme J... dit avoir été la principale pourvoyeuse de la famille de 1995 à 1997, alors que l'argent gagné par M. K... ne servait
"qu'à payer les frais fixes [de la compagnie A] afin de maintenir cette entreprise" (par. 26).

[92]        Comme on peut le voir, les prétentions de Mme J... s'articulent essentiellement sur deux axes: 1) sa participation non rémunérée dans l'entreprise de son mari ([la compagnie A]) et 2) "l'investissement" de ses économies antérieures dans les besoins du couple et de leurs enfants respectifs.

 

(i)

 

LA CONTRIBUTION DE MME J...

À L'ENTREPRISE DE M. K... ([LA COMPAGNIE A])

 

[93]        S'il faut en croire les allégations de Mme J..., elle aurait quitté son emploi
à la [commission scolaire A] pour aller rejoindre l'entreprise de son futur mari.

[94]        La preuve n'a pas permis d'étayer une telle prétention. En effet, tel qu'en ont témoigné à la fois Mme J... et M. K..., la défenderesse a quitté son emploi
à la [commission scolaire A] en 1989 parce que, disait-elle, elle
"ne pouvait plus continuer".
Elle avait travaillé à la [commission scolaire A] pendant plusieurs années comme enseignante auprès d'enfants handicapés et autistes et avait par la suite décidé de devenir psychologue,
ce qui s'est concrétisé en 1987. De son côté, M. K... dira que l'emploi de
Mme J... à la [commission scolaire A] était devenu taxant; elle était
"fatiguée, tendue".

[95]        Dans ce contexte, le tribunal ne peut retenir l'allégation de la défenderesse voulant qu'elle ait quitté un emploi stable et rémunérateur afin d'aller se joindre à une entreprise plus risquée. Au surplus, si tant est qu'elle l'ait fait, ce changement de cap au profit [de la compagnie A] s'est effectué trois ou quatre ans avant le mariage.

 

"Or, la jurisprudence est unanime à déclarer que pour déterminer la prestation compensatoire, on doit s'en tenir uniquement à la période écoulée entre la date du mariage et celle de la séparation des époux. On ne peut tenir compte des apports effectués avant le mariage, ce qui est le cas en l'espèce puisque la somme de 13 000,00 $ a été versée en 1987, soit trois ans avant cet événement."[35]

 

[96]        À cet égard, ces mêmes propos s'appliquent quant aux sommes de $4,800.00 et $4,500.00 que Mme J... dit avoir investies dans [la compagnie A] en décembre 1991
et janvier 1992. Ces sommes ont été investies avant le mariage et n'ont pas à être prises en considération aux fins de décider si la défenderesse peut s'en réclamer pour obtenir une prestation compensatoire.

[97]        Pour ce qui est maintenant de l'allégation voulant qu'elle ait contribué activement à l'entreprise [de la compagnie A] entre son mariage en mai 1993 et son départ de la firme pour aller travailler aux Forces armées canadiennes de 1995 à 1997, la preuve a effectivement permis d'apprendre par le témoignage de son fils que Mme J... s'est impliquée activement dans l'entreprise [de la compagnie A] en travaillant avec les clients tout en s'occupant de l'administration des dossiers. Par la suite, après son retour des Forces armées canadiennes, Mme J... est retournée travailler chez [la compagnie A] (1997-1998),
mais déjà l'entreprise se transformait au point où elle s'est fusionnée avec une autre, [la compagnie B], et Mme J... a quitté cette firme de façon définitive en 1998,
tout comme son fils d'ailleurs.

[98]        Deux constats ressortent de cette preuve.


[99]        Premièrement, l'implication de Mme J... dans l'entreprise de son mari pendant le mariage a été assez limitée dans le temps: deux ans et demi de mai 1993 à la fin 1995 et, peut-être, un an en 1997-1998. On ne retrouve là aucune contribution exceptionnelle ni même un apport particulier sortant de l'ordinaire.

[100]     Deuxièmement, il appert que la contribution de Mme J... à [la compagnie A]/[la compagnie B] a cessé douze ans avant l'introduction de l'instance et aucune preuve n'a démontré en quoi l'apport de la défenderesse aurait enrichi le patrimoine de M. K... et surtout comment cet enrichissement aurait subsisté au moment de la séparation du couple
en 2010. La preuve des conditions 2, 3 et 5 requises selon la Cour suprême du Canada pour l'octroi d'une prestation compensatoire n'a tout simplement pas été faite.

[101]     Les états des revenus et dépenses et bilans actuels des parties montrent certes une différence de valeur dans leurs patrimoines respectifs, mais ce fait ne justifie pas en soi l'attribution d'une prestation compensatoire en faveur du conjoint moins fortuné, car cette mesure d'équité n'est pas un mécanisme d'égalisation des patrimoines pour des parties qui ont choisi pour elles-mêmes le régime matrimonial de la séparation de biens.

 

(ii)

 

L'INVESTISSEMENT PAR MME J... DE SES

ÉCONOMIES ANTÉRIEURES POUR LES BESOINS

DU COUPLE ET DE LEURS ENFANTS RESPECTIFS

 

[102]     Tel qu'indiqué plus haut, Mme J... dit avoir investi $40,000.00 de ses propres économies pour les besoins du couple et de leurs enfants respectifs.
Cette somme provenait des $30,000.00 dégagés lors de la vente de sa maison en 1990 et de $10,000.00 puisés à même le fonds de retraite qu'elle s'était fait remettre
par la CARRA.

[103]     Mme J... soutient également qu'elle aurait été, de 1995 à 1997,
le principal soutien de famille, alors que les revenus de M. K... ne servaient qu'à maintenir à flot son entreprise [la compagnie A].

[104]     Pour ce qui est des $40,000.00 apparemment dépensés par Mme J... après la vente de sa maison en 1990 et l'encaissement de son fonds de retraite de la CARRA, rien dans la preuve n'a permis d'établir quand exactement ces fonds auraient été dépensés pour les "besoins de la famille". Était-ce avant ou après le mariage?
On sait seulement par elle que l'argent a été utilisé pour les dépenses de la vie quotidienne et pour l'achat de meubles pour la maison de l’avenue A.


[105]     Qui plus est, les dépenses encourues pour les besoins de la famille,
sans qu'il y ait démonstration d'enrichissement concomitant et injustifié du patrimoine de l'autre conjoint, ne constituent pas un motif pour attribuer une prestation compensatoire. Il n'y a en effet rien d'exceptionnel pour un couple ou des parents de dépenser pour leur famille. Rien n'indique ici que Mme J... aurait entretenu les enfants de M. K... alors que celui-ci les aurait négligés. On sait seulement que la fille du demandeur vivait chez lui sur l’avenue A, et ce, bien avant que Mme J... n'y emménage et entre dans la vie de M. K.... À Ville A, c'est le demandeur qui pourvoyait aux besoins de ses enfants et les hébergeait. On apprend finalement de la preuve que Mme J... a aidé financièrement sa fille à elle pendant ses études. Encore là, rien d'anormal.

[106]     Dans un couple marié, chacun a l'obligation de pourvoir aux besoins de la famille "à proportion de [ses] facultés".[36]

[107]     Rien dans la preuve ne saurait donc justifier le tribunal d'accorder à
Mme J... une prestation compensatoire.

[108]     Le tribunal devra dès lors rejeter cet aspect de la demande de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle.

[109]     POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[110]     ACCUEILLE la demande de divorce des deux parties;

[111]     PRONONCE le divorce des parties dont le mariage a été célébré à Ville D
le 28 mai 1993, ce jugement prenant effet le trente et unième jour à compter des présentes;

[112]     ORDONNE le partage des biens composant le patrimoine familial des parties;

[113]     À cet égard, DONNE ACTE aux parties de leur "Convention sur mesures provisoires et convention partielle sur mesures accessoires (partage des meubles)"
signée par les parties le 22 mars 2010, ENTÉRINE cette convention et ORDONNE
aux parties de s'y conformer;

[114]     ORDONNE au demandeur de transférer à la défenderesse une somme de $4,653.74, et ce, par roulement sans impact fiscal de part et d'autre (formulaire T-2220), le tout pour valoir partage des droits accumulés par les parties à titre de régimes de retraite pendant la durée de leur mariage, soit du 28 mai 1993 à la date d'introduction de la présente instance le 13 janvier 2010, et ORDONNE au demandeur de compléter les démarches nécessaires pour concrétiser tel transfert au plus tard dans les
trente (30) jours du présent jugement;

[115]     ORDONNE le partage égal des droits accumulés par le demandeur dans son fonds de retraite souscrit auprès de Watson Wyatt,[37] et ce, relativement à ceux accumulés pendant la durée du mariage, soit du 28 mai 1993 au 13 janvier 2010,
date d'introduction de la présente instance, le tout par roulement sans impact fiscal de part et d'autre (formulaire T-2220), et ORDONNE au demandeur de compléter les démarches nécessaires pour concrétiser tel transfert au plus tard dans les
trente (30) jours du présent jugement;

[116]     Pour ce qui est du produit net de la vente de la résidence familiale
du [...], chemin B [dans l’arrondissement A de Ville B], REFUSE de déclarer que le demandeur a renoncé à l'application des règles de remploi prévues à la loi quant à la résidence familiale;

[117]     DÉCLARE que le demandeur S... K... a droit de toucher, à même le prix de la vente de sa dernière résidence et à titre de remploi, la somme de $334,903.00;

[118]     DÉCLARE qu'à partir du reliquat de $256,437.00 chaque partie aura droit de toucher la somme de $128,218.50;

[119]     ORDONNE, en conséquence, que M. K... reçoive la somme de $168,121.50 de ce qui est détenu en fidéicommis chez Joli-Coeur Lacasse et Mme J...
la somme de $55,718.50 étant donné que M. K... a déjà reçu $295,000.00 et
Mme J... $72,500.00;

[120]     ORDONNE le partage selon la loi des gains inscrits au nom de chacun aux registres de la Régie des rentes du Québec pour la durée du mariage,
soit du 28 mai 1993 au 13 janvier 2010, date de l'introduction de l'instance;

[121]     REJETTE la demande de Mme J... pour l'attribution en sa faveur d'une somme globale alimentaire ou d'une somme globale compensatoire;

[122]     LE TOUT, sans frais.

 

 

 

__________________________________

LOUIS CRÊTE J.C.S.

 


 

Me Nicole Durand

Me Ada Wittenberger

Joli-Coeur Lacasse

Procureurs du demandeur/défendeur reconventionnel

 

Me Claude Lapointe

Kounadis Perreault

Procureurs de la défenderesse/demanderesse reconventionnelle

 



[1]     Pièce D-1

[2]     Pièce P-7

[3]     Pièce P-9

[4]     Pièce D-16

[5]     Pièce D-5

[6]     Id.

[7]     Pièce P-12

[8]     Id.

[9]     Pièce P-14

[10]    Pièce P-15

[11]    Droit de la famille — 10304, [2010] nº AZ-50609719 , par. 29 à 31 (C.A.)

[12]    Droit de la famille — 101332, [2010] nº AZ-50643318 (C.A.)

Droit de la famille — 103406, [2010] nº AZ-50701085 (C.A.)

[13]    Droit de la famille — 111222, [2011] nº AZ-50747871 (C.S.)

[14]    Préc., note 11.

[15]    Pièce P-9

[16]    Pièce P-7

[17]    Pièces P-7, P-8, P-9, P-10 et P-11

[18]    Droit de la famille - 10304, préc., note 11, par. 42.

[19]    Voir supra, par. 29.

[20]    Christian LABONTÉ, «L'article 418 C.c.Q., plaisir mathématique et maux de tête assurés»,
dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en droit familial (2002), Cowansville, Éditions Yvon Blais.

[21]    Pièces P-14 et P-15

[22]    Id.

[23]    Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, c. 3 (2e suppl.), art. 15.2 (1).

[24]    L.Q. 1991, c. 64, art. 427 à 430.

[25]    G.L. c. N.F., [2004] nº AZ-50253501 , par. 71 à 73 (C.A.)

[26]    Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813

Droit de la famille - 1688, [1992] nº AZ-92012154 (C.A.)

Bracklow c. Bracklow, [1999] 1 R.C.S. 420

[27]    Pièce D-1

[28]    Pièce P-3

[29]    Pièce P-4

[30]    Pièces P-4 et D-8

[31]    Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259

M. (M.E.) c. L. (P.), [1992] 1 R.C.S. 183

[32]    Droit de la famille - 2095, [1995] R.D.F. 1 , 6 (C.A.)

[33]    Droit de la famille - 2290, [1995] R.D.F. 759 , 763 (C.S.)

[34]    Droit de la famille - 2095, préc., note 32.

Voir aussi:  B.M. c. A.D., [2006] nº AZ-50371516 (C.A.)

[35]    C. (G.) c. H. (M.-C.), [2001] nº AZ-50187817 , p. 14 (C.S.)

[36]    Art. 396 C.C.Q.

[37]    Pièce P-20

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.