R. c. Sirois

2012 QCCM 302

COUR MUNICIPALE
DE SAINT-JÉRÔME

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE TERREBONNE

 

 

 

 

N° : 10CC010477

 

  

DATE :

13 DÉCEMBRE  2012

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JACQUES LAVERDURE J.C.M.

 

 

 

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LA REINE

Poursuivante

c.

 

PATRICK SIROIS

Défendeur

 

 

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JUGEMENT

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1.    INFRACTION REPROCHÉE

 

[1]        Le défendeur a subi son procès sur une dénonciation lui reprochant :

 

§  sur le premier chef,  d’avoir volé, le ou vers le 19 juillet 2010, des outils appartenant à Home Dépôt de Saint-Jérôme, d’une valeur de 1 645,00 $, commettant ainsi l’infraction sommaire prévue aux articles 322 (1) A) et 334 B) II) du Code criminel.

 

§  Sur un second chef, d’avoir eu en sa possession des outils appartenant à Home Dépôt de Saint-Jérôme, d’une valeur de 1 645,00 $, commettant ainsi l’infraction sommaire prévue aux articles 354 (1) A) et 355 B) II) du Code criminel.

 

       2.  LES FAITS

 

Preuve de la Poursuivante

 

[2]        Au soutien de sa preuve, le procureur de la Poursuite a fait entendre Monsieur Joël Bouchard, directeur de la sécurité chez Home Dépôt et Monsieur Bourgadèse, enquêteur chez Home Dépôt.

 

Témoignage de M. Joël Bouchard.

 

[3]        Le 19 juillet 2010, suite à une série de vol, M. Bouchard a décidé d’exercer une surveillance plus étroite de la cour arrière du magasin Home Dépôt.

 

[4]  L’arrière du magasin est entouré d’une clôture en broches d’une hauteur de 12 pieds et il y a une haie de cèdres derrière la clôture. Une distance de 5 pieds sépare la clôture en broches et la haie.

 

[5]  Monsieur Bouchard est posté, avec son assistant, à la banque Toronto Dominion et il surveille l’arrière du magasin à l’aide ses lunettes d’approche.

 

[6]  Vers midi, M. Bouchard aperçoit deux (2) boîtes jaunes qui sont projetées entre la clôture et la haie de cèdres.

 

[7]  M. Bouchard décide de rester sur place et demande à son assistant, M. Bourgadèse, de tenter de trouver la personne qui aurait lancé ces boîtes.

 

[8]   M. Bourgadèse est incapable de trouver la personne qui aurait lancé les boîtes de l’autre côté de la clôture.

 

[9]   Le témoin aurait aperçu, 4 à 5 heures plus tard, un camion de type pick-up de couleur rouge qui arrivait du stationnement face au magasin.

 

[10]    Un individu sort du camion se dirige vers la haie de cèdres et projette les deux (2) boîtes dans son camion.

 

[11]   Bouchard et son assistant interceptent le camion et mettent le conducteur en état d’arrestation.

 

[12]    L’individu répond alors  «C’est une erreur, je vais vous payer». Le défendeur aurait offert de payer 500 à 700 $ pour des outils qui valaient 1 645,00$.

 

[13]   Le défendeur aurait prétendu vouloir aller uriner mais M. Bouchard n’a jamais vu le défendeur poser un geste qui laissait croire qu’il était en train d’uriner

 

Témoignage de Monsieur J.-F. Bourgadèse

 

[14]    Monsieur Bourgadèse était, le 19 juillet 2010, enquêteur chez Home Dépôt et il procédait à une surveillance du magasin  suite à une série de  vols.

 

[15]  À la fin de l’après-midi, il a aperçu un camion pick-up rouge qui est arrivé rapidement et qui se stationne derrière la haie de cèdres.

 

[16]   Lors de l’interception du défendeur, celui-ci aurait proposé de payer 800,00$ pour que les enquêteurs n’appellent pas les policiers.

 

 

Preuve du Défendeur

 

[17]   Le défendeur admet s’être rendue au magasin Home Dépôt de Saint-Jérôme, à la date mentionnée à la dénonciation.

 

[18]   Il aurait effectué des achats (Pièce D-1) et il aurait chargé les marchandises dans son camion.

 

[19]  Alors qu’il se trouve dans le stationnement, à l’avant du magasin, il aurait eu une envie subite d’uriner.

 

[20]   Il se serait rendu à l’arrière du magasin pour se soulager et aurait débarqué rapidement de son camion. Alors qu’il urinait, il aperçoit les deux (2) boîtes et il décide de les mettre dans son camion.

 

[21]   Il est aussitôt encerclé par l’équipe de sécurité du magasin.

 

[22]  Il prétend que M. Bouchard lui aurait dit que les outils valaient 800,00$ et aurait offert de les acheter

 

 

 

[23]   Lors du contre-interrogatoire, il fut mis en preuve :

 

§  Que le défendeur est mécanicien et qu’il savait que les boîtes contenaient des outils puisqu’il y avait la marque «Dewalt» inscrite sur les boîtes;

 

§  Que, selon le défendeur, il y avait 25 à 30 boîtes entre la clôture et la haie de cèdres qui ont été ramassées par l’équipe de sécurité du magasin.

 

§  Que les enquêteurs ont attendu 30 à 45 minutes avant d’appeler les policiers et les policiers seraient arrivés vers 18h30,

 

§  Que son envie d’uriner a été subite et qu’il n’avait pas envie alors qu’il se trouvait à l’intérieur du magasin.

.

[24]    Lors de la contre-preuve, le policier Maxime Paquette a confirmé que l’appel des enquêteurs est entré à 17h44, que les policiers sont arrivés sur les lieux de l’infraction à 18h03 et que le défendeur a été mis en état d’arrestation à 18h07.

 

3.     ARGUMENTS

 

Arguments du Procureur du Défendeur

 

[25]     Selon la procureure du défendeur, la version du défendeur quant à sa présence à l’arrière du magasin est  vraisemblable. 

 

[26]     La preuve démontre qu’il avait effectué des achats chez Home Dépôt, donc qu’il s’est rendu chez Home Dépôt pour acheter des marchandises et non pour voler des marchandises.

 

[26]    Il est vraisemblable qu’alors qu’il quitte le stationnement, il a une envie subite d’uriner. Il se rend à l’arrière du magasin et alors qu’il urine, il aperçoit des boîtes d’outils. Il prend les boîtes qui semblent abandonnées à l’extérieur du terrain du magasin. Il se serait rendu à l’arrière du magasin pour uriner et non pour prendre les boîtes d’outils.

 

[27]     La mauvaise chronologie des évènements tel que relatées par le défendeur est explicable du fait que les évènements se sont produits depuis plus de deux (2) ans.

 

[28] Selon la procureure, la poursuite n’a pas prouvé que le défendeur avait l’intention de voler les outils ni qu’il avait connaissance quant au chef de recel que les outils étaient volés.     

 

Arguments du Procureur de la Poursuite

 

[29]   Selon la procureure de la poursuite, le Tribunal ne peut pas accorder de la crédibilité au défendeur qui prétend s’être rendu à l’arrière du magasin pour uriner.

 

[30]    La procureur ne croit pas le défendeur, un homme mature, sans problème particulier, qui prétend avoir eu une envie subite d’uriner. Il est difficile de croire qu’il avait envie dans le stationnement mais non à l’intérieur du magasin.

 

[31]   Pourquoi aller uriner à l’arrière du magasin au lieu de se rendre aux toilettes à l’intérieur du magasin ?

 

[32]   La procureure trouve invraisemblable la version du défendeur à l’effet qu’il y avait 25 à 30 boîtes qui aurait été ramassées par l’équipe de sécurité du magasin.

 

[33]   La procureure se demande pourquoi le défendeur aurait offert d’acheter les outils s’il n’avait rien à se reprocher.

 

4.     QUESTIONS EN LITIGE

 

[34]      La poursuite a-t-elle établi, hors de tout doute raisonnable, les éléments essentiels de l’infraction?

 

[35]      Et, dans l’affirmative, les explications du défendeur sont-elles suffisantes pour soulever un doute en sa faveur ?

 

 

 

5.    LE DROIT

 

[36]      L’infraction de vol est  définie de façon suivante à l’article 322 C.cr. :

«322. (1) Commet un vol quiconque prend frauduleusement et sans apparence de droit, ou détourne à son propre usage ou à l’usage d’une autre personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou inanimée, avec l’intention:

 

a)         soit de priver, temporairement ou absolument, son propriétaire, ou une personne y ayant un droit de propriété spécial ou un intérêt spécial, de cette chose ou de son droit ou intérêt dans cette chose;

 

b)         soit de la mettre en gage ou de la déposer en garantie;

 

c)         soit de s’en dessaisir à une condition, pour son retour, que celui qui s’en dessaisit peut être incapable de remplir;

 

d)         soit d’agir à son égard de telle manière qu’il soit impossible de le remettre dans l’état où elle était au moment où elle a été prise ou détournée.

 

(2)       Un individu commet un vol quand, avec l’intention de voler une chose, il la déplace ou fait en sorte qu’elle se déplace, ou la fait déplacer, ou commence à la rendre amovible.

 

(3)       La prise ou le détournement d’une chose peut être entaché d’une fraude, même si la prise ou le détournement a lieu ouvertement ou sans tentative de dissimulation.

 

(4)       Est sans conséquence, pour l’application de la présente loi, la question de savoir si une chose qui fait l’objet d’un détournement est soustraite en vue d’un détournement ou si elle est alors en la possession légitime de la personne qui la détourne.»

 

     6.  Analyse et discussion

 

[37]   Comme toute infraction criminelle, pour qu’il y ait vol, il faut la réunion de deux éléments essentiels, soit le fait objectif, « l’actus reus» et la «mens rea», i.e. l’état d’esprit avec l’intention coupable ou la faute subjective.

 

[38]      Selon cette disposition, une personne commet un vol lorsque, en toute connaissance de cause, elle prend une chose sans droit ou garde cette chose sans y avoir droit.

 

[39]      L’infraction de vol nécessite que la chose ait été  prise ou détournée frauduleusement et sans apparence de droit avec une intention bien précise.

 

[40]      Dans la présente cause, le tribunal est confronté à des versions contradictoires et devant une telle situation, la Cour suprême, dans l’affaire R.c. W (D.) [1991] 1 S.C.R.742  proposait de façon plus détaillée le cheminement analytique que les juges devaient suivre. Les étapes suggérées se formulaient ainsi :

 

1o  En premier lieu, il devait se demander s’il croyait ou non le témoignage de l’appelant et, dans l’affirmative, l’acquittement s’imposait;

 

2o  En second lieu, s’il ne croyait pas le témoignage de l’appelant, il devait néanmoins se demander si ce témoignage, même non cru, était de nature à soulever un doute raisonnable, en tenant compte également des éléments apportés par les autres témoignages de la défense et, dans l’affirmative, prononcer l’acquittement;

 

3o En dernier lieu, et si la réponse des questions précédentes est négative, il devait alors se demander si l’ensemble de la preuve présentée, même en mettant totalement de côté le témoignage de l’appelant, prouvait, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité de celui-ci.

 

[41]     Parlant de l’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages, la juge Dominique B. Joly de la Cour municipale de Montréal., dans l’arrêt La Reine c. Yves Lanctôt, CM Montréal no 106 139 744, faisant sien les propos de la juge Louise Baribeau dans l’arrêt R. c. Stellato, CM Montréal no 199 044 157 :

 «L’appréciation de la crédibilité des témoignages dépend des circonstances propres à chaque affaire. Le juge des faits cherche naturellement à apprécier la sincérité des témoins, l’exactitude de leurs observations, la fidélité de leur mémoire à partir de la teneur des dépositions, du comportement de chaque témoin et des recoupements ou des divergences qu’il peut observer dans l’ensemble de la preuve. Il est important de déterminer si le témoin essaie de bonne foi de dire la vérité, s’il est sincère et franc, s’il a des préjugés, s’il est réticent ou évasif.  Ces facteurs mentionnés par M. le juge Estey dans l’arrêt R. c. White, [1947] R.C.S. 268, comme étant des facteurs importants à considérer, réfèrent aux notions de crédibilité, mais également de fiabilité et de comportement du témoin. La crédibilité fait référence à une connotation d’honnêteté, alors que la fiabilité évoque la fidélité à la réalité. Quant au comportement du témoin, il doit être observé avec perspicacité, mais en corrélation avec l’ensemble du témoignage ou des déclarations faites antérieurement ainsi que des autres circonstances du dossier.»

 

[42]    Le témoignage du défendeur soulève-t-il un doute raisonnable ?

 

[43]   Dans la cause de R. c. Lifchus [1997] 3 RCS 320 ,  la Cour suprême définissait le doute raisonnable en ces termes :

 

«Un doute raisonnable est un doute fondé sur la raison et le bon sens et qui doit reposer logiquement sur la preuve ou l’absence de preuve».

 

.

[44]   Dans la présente cause, la preuve présentée par le défendeur démontre :

 

§  que le défendeur s’est rendu chez Home Dépôt pour acheter des marchandises;

§  qu’en quittant le stationnement, il a eu une envie subite d’uriner;

§  qu’il s’est rendu à l’arrière du magasin pour uriner;

§  qu’il a vu des boîtes d’outils et qu’il les a mises dans son camion;

§  qu’il a été intercepté par les enquêteurs du magasin;

§  qu’il a offert d’acheter les outils pour la moitié de leur valeur;

§  qu’il n’avait nullement l’intention de voler ces outils;

 

 

[45]     Le Tribunal n’adhère pas à  la version du défendeur qui prétend s’être retrouvé à l’arrière du magasin suite à une envie subite d’uriner.

 

[46]    À moins de souffrir d’une anomalie quelconque, d’une maladie ou d’une infection dont la preuve n’a pas été faite, le besoin d’uriner n’arrive pas à ce point subitement qu’il faille immédiatement se soulager. Il est invraisemblable que le défendeur n’ait pas ressenti cette envie à l’intérieur du magasin, quelques minutes avant de se rendre à l’arrière du magasin. Pourquoi se rendre à l’arrière du magasin et pourquoi ne pas retourner à l’intérieur du magasin pour aller aux toilettes?

 

[47]    Ces questions sont d’une importance capitale puisque l’envie d’uriner du défendeur justifie sa présence à l’arrière du magasin.

 

[48]   Le Tribunal ne croit pas le défendeur lorsqu’il prétend ne pas avoir eu l’intention de voler les outils. Il est pertinent de préciser que le défendeur est mécanicien et que les outils se trouvaient dans une boîte clairement identifiée «Dewalt» qui est une marque connue pour les outils.

 

[49]    Pourquoi le défendeur a-t-il mis ces boîtes dans son camion sachant que ces outils ne lui appartenaient pas ?

 

[50]   La version du défendeur est cousue de fis blancs et le Tribunal n’y accorde aucune crédibilité.

 

[51]   Le Tribunal n’est pas obligé d’adhérer à toutes les versions, même les plus farfelues, sous prétexte qu’elles soulèvent un doute raisonnable. Un minimum de vraisemblance s’impose.

 

[52]    Le Tribunal en vient à la conclusion que l’ensemble de la preuve démontre, hors de tout doute raisonnable, que le défendeur s’est rendu à l’arrière du magasin Home Dépôt pour y récupérer des boîtes d’outils.

 

 

6.       DISPOSITIF

 

[53]      Pour ces motifs,  le Tribunal déclare le défendeur coupable de l’infraction  reprochée.

 

 

 

 

 

 

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Jacques Laverdure j.c.m.

 

Me Annie Charron

Procureure de la Poursuivante

 

Me Anne-Marie Maisonneuve

Procureure du Défendeur

 

 

 

Jurisprudence citée

 

 

 

§  R.c. W ( D.) [1991] 1 S.C.R.742  

§  La Reine c. Yves Lanctôt, CM Montréal no 106 139 744,

§  R. c. Stellato, CM Montréal no 199 044 157

§  R. c. Lifchus [1997] 3 RCS 320

 

 

 

 

 

Date d’audience :

1er novembre 2012

 

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