Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville de) |
2012 QCCS 806 |
JP1124 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-36-001765-114 |
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DATE : |
1er mars 2012 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S. |
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LES IMMEUBLES JACQUES ROBITAILLE INC. |
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APPELANTE |
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c. |
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VILLE DE QUÉBEC |
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INTIMÉE |
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JUGEMENT |
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[1] Le 18 avril 2011, à la Cour municipale de la Ville de Québec, l'appelante a subi son procès sous l'accusation :
« Le ou vers le 11 juillet 2008, au 800-816, côte d'Abraham, à Québec, sur le lot 2481557 du cadastre du Québec, avoir permis ou toléré l'exercice d'un usage de stationnement dérogatoire dans la zone 347 CH 197.01, contrevenant ainsi aux articles 40, 83 et 359 du Règlement de l'arrondissement de la Cité sur le zonage et l'urbanisme, règlement VQZ-3 de la Ville de Québec. »
[2] Le 6 juin 2011, le juge municipal a trouvé l'appelante coupable de l'infraction et l'a condamnée à 200,00 $ plus les frais payables dans un délai de 30 jours;
Les faits
[3] L'appelante est propriétaire de l'immeuble portant le numéro 800-816, côte d'Abraham de la Ville de Québec. Antérieurement, on retrouvait à cette adresse, l'église St-Vincent-de-Paul et un Patro.
[4] Le 28 mars 2008, une technicienne en bâtiment de l'intimée a constaté que le terrain était occupé par un stationnement commercial. Elle a effectué une recherche sur le dossier de la propriété et n'a trouvé aucun permis pour l'usage de stationnement commercial.
[5] Le 1er avril 2008, elle fit parvenir un avis de contravention au propriétaire de bien vouloir cesser l'usage commercial non autorisé, le délai étant fixé au 15 avril 2008, puisque cet usage de stationnement commercial est en contravention aux dispositions du règlement de zonage en vigueur.
[6] Le 11 juillet, elle se rend de nouveau sur les lieux constatant que le stationnement est toujours en exploitation, elle donne un constat d'infraction en date du 1er décembre 2008.
[7] Les parties ont admis, en première instance, qu'en vertu du règlement de zonage, le stationnement n'était pas permis et que pour pouvoir continuer d'exercer, l'appelante devait prouver qu'il y avait droit acquis. Avant 1979, il n'y avait pas d'interdiction pour l'exploitation des stationnements commerciaux à cet endroit. Le règlement a été adopté le 18 juin 1979.
[8] En première instance, le directeur des services de permis d'inspection de l'intimée reconnaît qu'auparavant, il y avait un stationnement accessoire pour les employés et les personnes qui avaient accès à l'église St-Vincent-de-Paul ou au Patro.
[9] En défense, madame Nicole Liberdie s'est rendue au Patro St-Vincent-de-Paul en 1988 pour vérifier la possibilité de stationner des véhicules moyennant rémunération. Elle a réservé cinq (5) stationnements et elle se stationne toujours à cet endroit moyennant rémunération depuis ce temps.
[10] Monsieur Guy Vallière, religieux, trésorier des registres de St-Vincent de Paul depuis 1994, déclare qu'il fréquentait le Patro à titre d'étudiant et à titre d'usagé des activités. Les professeurs et les usagers stationnaient dans la cour arrière du Patro. Le Patro a cessé ses activités sportives en 1984 et l'église a été fermée en 1987.
[11] Selon les vérifications qu'il aurait effectuées auprès de quelques collègues, ceux-ci lui ont mentionné que depuis 1970, certains stationnements étaient loués de façon informelle à quelques employés travaillants chez Bell Canada.
[12] De plus, dans les états financiers de 1985 à 1996, il y a des entrées comptables qui font mention de revenus relevant du stationnement. Monsieur Vallière a écrit une lettre le 21 octobre 2009 (D-3) qui se lit comme suit :
« Il nous apparaît étrange que vous rencontriez des difficultés pour l'obtention de votre permis d'opération du stationnement situé derrière le Patro St-Vincent-de-Paul puisque pour nous, la congrégation des Religieux St-Vincent de Paul, la cour arrière du Patro a été utilisée comme stationnement sans que quiconque vienne remettre en question ce service.
Nous vous avions identifié l'année 84-85 comme étant les premiers moments où nous avions appliqué un tarif fixe mensuel, hebdomadaire, quoique moins fréquent, journalier, et ce, jusqu'au moment où nous vous avons confié la gestion en 95-96.
Cependant, nous avons offert bien avant les années 84-85 du stationnement dit de dépannage, et ce, dès le début des années 70, contre lequel une contrepartie était parfois exigée afin de couvrir les frais d'entretien. Ce service était offert aux différents locataires et employés de la maison. La centrale des patros qui deviendra la FQCCL (Fédération Québécoise de centre communautaire de loisirs.) a entre autres bénéficié de ce service.
Il nous fait plaisir d'apporter ces spécifications supplémentaires afin de vous permettre de compléter votre demande de permis telle que l'exige la Ville de Québec. »
[13] Depuis 1995, ce stationnement est opéré par un sous-traitant et il y stationne de 110 à 112 voitures. Finalement, l'actionnaire principal de l'appelante a témoigné qu'en vertu d'un contrat, l'intimée avait défrayé un montant de 3 240,00 $ pour des indemnités de relocalisation de l'espace de stationnement ainsi que fait à ses frais une entrée charretière pour accéder au stationnement à la suite de la vente d'une partie du terrain.
Décision de première instance
[14] Le juge municipal a relaté les faits et les prétentions de chacune des parties. Pour l'intimée, le règlement est clair, l'appelante n'a pas de permis d'exploiter un stationnement, donc sa preuve sur les éléments essentiels est faite. La prétention de l'appelante en première instance était qu'elle avait des droits acquis depuis les années 70 avant l'adoption dudit règlement en 1979.
[15] Le juge de première instance établit que la question en litige est de déterminer si l'appelante bénéficie ou non de droits acquis pour l'exploitation d'un stationnement commercial sur ce terrain. Il est bien établi que c'est le 18 juin 1979 que le nouveau règlement a été passé et c'est donc avant cette date que l'appelante doit prouver qu'elle avait des droits acquis.
[16] Le juge de première instance mentionne avec justesse que c'est l'appelante qui a le fardeau d'établir qu'elle a des droits acquis sur ledit terrain.
[17] Par la suite, il discute de l'usage accessoire et de l'usage principal et il écrit :
« [46] Sa preuve sur les faits et événements antérieurs à l'adoption du Règlement No 2613, repose essentiellement sur le témoignage du trésorier de la congrégation qui est le seul à témoigner à leur égard. Il puise ses informations auprès des collègues de sa congrégation sans préciser qui il a consulté et les fonctions qu'ils occupaient. Il n'a pas une connaissance directe des éléments se rapportant à la location d'aires de stationnement à des employés d'Hydro-Québec travaillant dans un immeuble distinct du Patro. »
[18] Le juge de première instance écrit qu'il doit tenir compte de cette preuve basée sur du ouï-dire, mais la valeur probante était atténuée par la généralité des éléments mis en preuve et du peu de fiabilité qui s'en dégage.
[19] Après avoir analysé tous ces faits, il conclut quant au stationnement loué à Bell Canada :
« Il n'y a rien dans la preuve qui démontre une application systématique. »[1]
[20] À la suite, se référant à la lettre de Guy Vallière (D-3), il conclut :
« [51] Les observations consignées dans cette lettre, selon le Tribunal, établissent un usage accessoire à l'immeuble principal, non pas un usage principal d'un stationnement commercial. Cela a peu d'incidence qu'un loyer soit chargé aux utilisateurs de l'immeuble. »
[21] Il parle ensuite d'un rapport d'inspecteur de l'intimée intervenu entre le 11 et le 14 février 1986 qui conclut qu'il s'agit, non pas d'un stationnement commercial, mais d'un stationnement privé pour les résidents et travailleurs du Patro St-Vincent-de-Paul, bien qu'il peut y avoir quelques cases de stationnement réservées à des gens de l'extérieur.
[22] Le tribunal se dit non lié par ces conclusions d'inspecteur et qu'il peut constater lui-même que l'intensité de l'activité de la location des cases de stationnement ne permettait pas alors d'établir un usage commercial avant l'entrée en vigueur du règlement en 1979.
[23] Il écrit également que la compensation versée par la Ville dans le cadre de travaux d'infrastructure ne constitue pas une reconnaissance formelle de droit acquis de l'intimée, de même de la reconstruction d'un escalier qui donnait accès audit stationnement.
[24] Il conclut que le stationnement en usage avant le 18 juin 1979 était un usage accessoire à un usage principal et que l'intimée n'a pas prouvé par prépondérance de preuve les éléments qui lui permettraient de qualifier une telle pratique avant 1979. La preuve est qu'il y avait un usage de stationnement accessoire au bénéfice du bâtiment principal du Patro et de l'église. Comme la doctrine le mentionne, l'usage accessoire ne peut accorder un droit acquis.
Prétention de l'appelante
[25] L'appelante reproche au juge de première instance de ne pas avoir retenu le témoignage du trésorier de la Congrégation à qui appartenait l'immeuble auparavant, monsieur Guy Vallière.
[26] Plus précisément, le fait que selon ce que monsieur Vallière avait entendu dire par d'autres religieux de la Congrégation, que les stationnements avaient été utilisés par des employés de Bell Canada dans les années 70. Même si cette preuve était par ouï-dire, celui-ci était permis puisqu'il était stable et crédible, et surtout, sans opposition de la part de l'intimée.
[27] Le juge de première instance a erré en exigeant de l'appelante un fardeau de preuves très précis quant à la qualification de l'usage de stationnement commercial avant l'entrée en vigueur du règlement au mois de juin 1979. L'appelante allègue que le juge a dû conclure qu'il s'agissait d'un usage de stationnement commercial même si un seul espace avait été mis à la disposition des employés de Bell Canada.
[28] Le juge de première instance n'avait pas à qualifier la pratique de stationnement commercial et en déterminer l'importance pour conclure à une utilisation de l'immeuble à titre de stationnement commercial avant l'entrée en vigueur du règlement.
[29] Le juge de première instance a erré en mentionnant que l'intensité de l'activité commerciale avait un impact sur la détermination de l'usage du stationnement commercial. Le juge de première instance a été à l'encontre de la Cour d'appel[2] à savoir que l'appelante n'avait pas à déterminer l'intensité de l'usage de stationnement commercial pour bénéficier des droits acquis.
[30] Finalement, le juge de première instance a erré en qualifiant uniquement de tolérance les différents actes posés par l'intimée reconnaissant les droits acquis soit :
· l'affiche d'une enseigne de stationnement posée par la Ville dans les années 2008;
· l'indemnité de perte de revenus pour les espaces de stationnement payés par la Ville en juillet 2001 (D-5);
· la reconnaissance explicite le 2 juillet 2006, dans un contrat (D-6, clause 8.5)
· la construction d'un escalier ainsi que d'une entrée charretière pour donner accès au stationnement.
[31] De plus, la théorie de préclusion appliquée en droit administratif devrait pouvoir également s'appliquer en droit pénal.
Prétention de l'intimée
[32] Le juge de première instance devait décider si l'appelante bénéficiait d'un droit acquis pour l'exploitation d'un stationnement commercial sur ledit terrain. Pour décider de cette question, le juge de première instance devait s'interroger sur la notion d'usage accessoire.
[33] La preuve a révélé, sans équivoque, que l'activité commerciale de stationnement n'a pas la même envergure qu'elle avait au moment de l'entrée en vigueur dudit règlement.
[34] Au moment de l'adoption du règlement, l'église St-Vincent-de-Paul était encore ouverte et il y avait un Patro. Ce n'est qu'après que l'activité de stationnement commercial a débuté avec l'ampleur qu'elle a actuellement.
[35] Le juge de première instance avait raison de se poser la question à savoir si l'activité de stationnement avant 1979 était un usage accessoire ou un usage principal. En se basant sur les critères établis par la jurisprudence, il conclut que ces critères, pour que le stationnement commercial soit considéré comme usage principal, n'ont pas été satisfaits. La preuve est qu'au moment de l'entrée en vigueur de la réglementation de stationnement commercial, le stationnement était accessoire au bâtiment du Patro et de l'église St-Vincent-de-Paul.
[36] Ce n'est que dans les années 90 que le stationnement est devenu du type commercial, soit bien après l'entrée en vigueur dudit règlement. Le droit acquis ne peut naître d'un usage accessoire, mais d'un usage principal. C'était à l'appelante de faire cette preuve par prépondérance, elle ne l'a pas fait.
Décision
[37] Le premier reproche de l'appelante est que le juge de première instance n'a pas tenu compte du témoignage de Guy Vallière qui lui rapportait les paroles de membres de la congrégation voulant que les stationnements avaient été utilisés dans les années 70 par des employés de Bell Canada.
[38] Il s'agit d'une appréciation de la crédibilité. Le juge de première instance est le mieux placé pour analyser la crédibilité. Il a la chance, comme on l'écrit souvent, de voir les témoins, d'entendre les différentes intonations de la voix en plus des silences. Tous ces éléments ne sont pas présents à la lecture des notes sténographiques.
[39] La jurisprudence est constante, le tribunal d'appel ne doit pas intervenir dans l'appréciation des témoignages puisque celui-ci n'a pas l'occasion, comme le juge de première instance, d'avoir les témoins devant lui.
[40] De plus, il s'agissait d'une preuve de ouï-dire qui n'était aucunement fiable et c'est avec raison que le juge de première instance n'a pas tenu compte de cette partie du témoignage de monsieur Guy Vallière qui rapportait les paroles de personnes non identifiées.
[41] Il ne faut pas oublier que c'est à l'appelante à établir par prépondérance de preuve son droit acquis avant l'entrée en vigueur du règlement. C'était donc à l'appelante de faire venir les témoins qui ont eu connaissance de ces événements et non pas quelqu'un qui vient rapporter leurs paroles. Ce premier reproche est rejeté.
[42] Le deuxième reproche porte sur la qualification de l'usage du stationnement commercial par le juge de première instance. La seule preuve d'usage de stationnement commercial avant 1979 est le ouï-dire rapporté par monsieur Guy Vallière.
[43] Comme le Tribunal a conclu que cette preuve n'était pas admissible ou fiable, le juge de première instance n'a pas pu faire d'erreur dans la qualification d'usage. De plus, lorsqu'il est question de la qualification d'usage, c'est au moment où le patro est utilisé par différents locataires. En aucun cas, la preuve de l'époque de cet usage n'a été faite. Est-ce avant 1979 ou après? La preuve est loin d'être claire sur le sujet. Il semble bien que cette utilisation par les locataires du stationnement était après 1979, donc après l'adoption dudit règlement.
[44] C'était à l'appelante de faire la preuve exacte de la période où cette utilisation a été faite, ce qu'elle n'a pas fait. Donc, sur cette question, même si le juge de première instance s'est trompé, cela n'a pas d'impact puisque ce fait était postérieur à l'adoption du règlement.
[45] Toujours concernant l'intensité du commerce de stationnement avant 1979, la seule preuve sur ce sujet est le témoignage de monsieur Vallières et sa lettre où il écrit « dans les débuts des années 70, il y avait un système de stationnement dit de dépannage », mais il accorde plus ou moins de crédibilité à ce témoignage et à cette lettre. Il n'y a pas de raison pour le Tribunal d'intervenir sur la question de la crédibilité à accorder à ce témoignage.
[46] Encore une fois, il ne faut pas oublier que c'est à l'appelante à prouver par prépondérance de preuve qu'elle a un droit acquis et non pas à créer un doute. Le juge de première instance n'a pas cru monsieur Vallière lorsqu'il a prétendu qu'il y avait du stationnement dans les années 70 et c'est la seule preuve que l'appelante a faite. Le juge, avec raison, a décidé que ce n'était pas suffisant pour établir des droits acquis.
[47] Concernant l'intensité du stationnement, le juge de première instance s'est bien dirigé en droit et l'appelante n'a pas réussi à démontrer une erreur dans l'application de la doctrine et de la jurisprudence dans ce domaine. Donc même si le juge s'est trompé dans son raisonnement en utilisant l'intensité du stationnement, cette erreur n'a pas d'impact puisque la preuve n'a pas été faite que ce stationnement était utilisé avant 1979 comme mentionné précédemment.
[48] Le dernier point soulevé par l'appelante est les différents actes posés par l'intimée dans les années précédant l'infraction. Sont-ils une reconnaissance des droits acquis ou un simple acte de tolérance? Est-ce que la théorie de préclusion s'applique?
[49] Rappelons ces actes posés par l'intimée. En février 1986, une inspection (D-1) a été faite et aucune infraction n'a été portée.
[50] En juillet 2001, l'intimée a payé l'appelante pour une perte de revenus de location. De même, lors d'un contrat (D-6) en juillet 2002, on retrouve les clauses suivantes :
« 8.5 La vente de l'immeuble ci-dessus est conditionnelle au maintien des droits actuels de la demanderesse, à l'égard de la partie résiduelle sur le lot 2 481 557 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Québec, et ne doit pas avoir pour effet de les réduire.
8.9 L'acquéreur s'engage à construire, à ses frais, une charretière pour donner accès au stationnement aménagé sur la partie résiduelle de l'immeuble appartenant à la demanderesse. » [Soulignés du soussigné]
[51] Toujours dans ce contrat, il était prévu que l'intimée construirait un escalier pour donner accès au stationnement à la rue Honoré-Mercier et l'intimée avait installé une pancarte indiquant qu'il y avait un stationnement à cet endroit. Ces faits, pour l'appelante, constituent une reconnaissance des droits acquis. Le juge de première instance a conclu qu'il s'agissait d'un acte de tolérance, et qu'un acte de tolérance ne peut fonder un droit acquis.
[52] Comme soumis par le procureur de l'appelante, le tribunal ne peut, comme le juge de première instance a conclu, arriver à la conclusion qu'il s'agit d'une reconnaissance des droits acquis. D'ailleurs, même si la ville est prête à le reconnaître, elle ne peut aller à l'encontre de ses règlements.
[53] Il reste donc la théorie de préclusion soulevée par l'appelante uniquement en appel, qui ne semble avoir été discutée en première instance. À l'appui de ses prétentions, il soumet une cause de la Cour d'appel[3] et il s'appuie sur la décision du juge Rochon.
[54] Par contre, dans ce jugement, le juge Chamberland s'est prononcé, quant à lui, sur la discrétion que le juge de la Cour supérieure a, en vertu de l'article 227[4] de la Loi sur l'aménagement d'urbanisme. Il écrit :
« [31] À mon avis, le recours de
l'article
[55] Quant au juge Rochon, il partage la même conclusion du juge Chamberland, mais cette fois en se basant sur la théorie de la préclusion en droit public (estoppel). Pour l'application d'une ou l'autre de ces deux théories, les juges sont d'accord à l'effet qu'il faut qu'il s'agisse d'une situation et de circonstances exceptionnelles pour que la Cour supérieure puisse appliquer cette discrétion.
[56] D'autres jugements de la Cour supérieure[5], dans des circonstances exceptionnelles, ont utilisé leur discrétion pour ne pas appliquer le remède demandé, même lorsqu'il y avait entorse à la Loi.
[57] Le juge Rochon, d'ailleurs écrit :
« [48] Les tribunaux canadiens insistent : la tolérance passée de la municipalité, sans acte positif, est insuffisante pour justifier le rejet du recours. Il doit y avoir une preuve de préjudice et d'injustice flagrante : »
[58] Dans le présent dossier, il y a eu des actes positifs de la Ville, soit les différents actes mentionnés précédemment : le contrat (D-6), le paiement pour la perte de stationnement, les travaux faits au profit de l'appelante, l'installation d'une pancarte de stationnement fait par la Ville.
[59] Si l'intimée avait pris un recours en Cour supérieure pour arrêter cet usage illégal, le juge de la Cour supérieure aurait eu à trancher s'il pouvait utiliser son pouvoir discrétionnaire pour refuser d'émettre une ordonnance interdisant l'utilisation de stationnement à cet endroit.
[60]
Par contre, comme l'intimée a choisi d'aller via une procédure pénale,
ce moyen n'est plus disponible à l'appelante. En effet, la discrétion que peut
exercer la Cour, a comme base l'article
[61] On est actuellement, ici, en matière pénale. L'intimée doit prouver, hors de tout doute raisonnable, l'infraction qu'on reproche à l'appelante.
[62] Est-ce qu'on peut dire, à cette étape, hors de tout doute raisonnable, que l'appelante n'a pas un moyen de défense valable qui aurait pu être soumis en Cour supérieure et qui lui aurait permis d'être acquittée devant la Cour municipale? Peut-on priver l'appelante de ce moyen de défense par un choix unilatéral de l'intimée d'aller en Cour pénale immédiatement plutôt que de faire vérifier le droit de l'appelante de continuer à user de son usage dérogatoire?
[63] Cela va à l'encontre d'une saine administration de la justice de priver l'appelante d'un moyen de défense par un choix unique de l'intimée, surtout tenant compte des actes positifs que celle-ci a faits dans le passé concernant l'appelante. N'aurait-il pas été plus raisonnable, moins drastique, d'aller devant la Cour supérieure pour faire décider si cette dérogation devra cesser ou non.
[64] Nous ne sommes pas ici dans un cas où un individu ou une corporation décide de ne pas respecter un règlement de zonage. Dans ces circonstances particulières de droits acquis, il est curieux que l'intimée ait décidé de procéder via la procédure pénale plutôt que par le biais d'une procédure civile.
[65] Qu'arrivera-t-il si l'appelante demande à la Cour supérieure de se prononcer et d'exercer sa discrétion afin qu'elle puisse continuer à utiliser le terrain comme stationnement? Est-ce qu'on peut être convaincu, hors de tout doute raisonnable, que cette discrétion ne sera pas exercée par la Cour supérieure si on lui demande? Il n'est pas assuré que la Cour supérieure exercera cette juridiction, mais il se peut qu'elle l'exerce tenant compte des actes posés par l'intimée antérieurement.
[66] Trouver l'appelante coupable à cette étape serait de lui enlever toute possibilité de demander à la Cour supérieure d'exercer sa discrétion puisqu'un Tribunal se serait déjà prononcé.
[67] Le juge de première instance ne s'est pas prononcé cette possibilité puisque l'appelante ne lui a pas soulevé comme moyen. Ce moyen de défense soulève un doute quant à la culpabilité hors de tout doute raisonnable de l'appelante.
[68] Donc, l'intimée n'a pas réussi à prouver, hors de tout doute raisonnable, que l'appelante n'avait pas le droit d'utiliser ce terrain comme un terrain de stationnement commercial. Il demeure un doute dans l'esprit du Tribunal que l'appelante ait cette possibilité à la suite d'une décision de la Cour supérieure. Ce n'est pas parce que l'intimée a décidé, de façon cavalière, d'aller en procédure pénale au lieu qu'en procédure civile, qu'on doit priver l'appelante de ce droit.
[69] Par contre, l'appelante n'est pas à l'abri de tout reproche. Elle aurait pu, dès 2008, prendre un recours devant la Cour supérieure pour obtenir le jugement qui lui permettrait de continuer son usage dérogatoire tenant compte de toutes les circonstances.
[70] À cette étape, il y a lieu de faire bénéficier l'appelante de ce doute raisonnable et de l'acquitter de l'infraction qui lui a été reprochée. Par contre, on ne peut pas obliger la Ville à faire des frais supplémentaires si l'appelante elle-même ne veut pas s'engager dans un débat civil.
[71] L'appelante devra, dans un délai de 90 jours des présentes, entamer des procédures pour faire valoir son droit. À défaut, elle sera présumée avoir abandonné ce moyen de défense et elle sera privée de la soulever lors de toute nouvelle poursuite au pénal.
[72] CONSIDÉRANT QUE le dernier point n'a pas été soulevé devant le juge de première instance et qu'il n'a pas eu à se prononcer sur ce point;
[73] CONSIDÉRANT QUE ce moyen crée un doute dans l'esprit du Tribunal en ce qui concerne la culpabilité hors de tout doute raisonnable de l'appelante;
[74] ACCUEILLE l'appel;
[75] INFIRME le jugement de première instance rendu le 6 juin 2011 dans le présent dossier;
[76] ACQUITTE l'appelante de l'infraction reprochée;
[77] DÉCLARE que l'appelante a quatre-vingt-dix (90) jours des présentes pour demander à la Cour supérieure de se prononcer sur son droit, à défaut, elle sera présumée abandonner ce moyen de défense;
[78] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ RAYMOND W. PRONOVOST, J.C.S. |
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Me David Bernier |
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Hickson Noonan |
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Procureur de l'appelante |
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Me Guy Bilodeau |
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Giasson & Associés |
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Procureur de l'intimée |
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Date d’audience : |
2 décembre 2011 |
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[1] Jugement du 6 juin 2011, paragraphe 48
[2]
Huot c. Municipalité de L'Ange-Gardien,
[3] Ville de Montréal c. Chapdelaine, 2003 CanLII 28303 (QC C.A.)
[4] 227. La Cour supérieure peut, sur requête du procureur général, de l'organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation :
1° d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec :
a) un règlement de zonage, de lotissement ou de construction;
b) un règlement prévu à l'un ou l'autre des articles 79.1, 116 et 145.21;
c) un règlement ou une résolution de contrôle intérimaire;
d) un plan approuvé conformément à l'article 145.19;
e) une entente visée à l'article 145.21, 165.4.18 ou 165.4.19;
f) une résolution visée au deuxième alinéa de l'article 145.7, 145.34, 145.38, 165.4.9 ou & 165.4.17 ou au troisième alinéa de l'article 145.42;
2° d'une intervention faite à l'encontre de l'article 150;
3° d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec les dispositions d'un plan de réhabilitation d'un terrain approuvé par le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs en vertu de la section IV.2.1 du chapitre I de la Loi sur la qualité de l'environnement (chapitre Q-2).
[5]
Blainville c. Taillon,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.