Décision

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S.P. c. Société de l'assurance automobile du Québec

2011 QCCS 5472

 JL2977

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N :

200-17-014524-110

 

DATE :

 Le 21 octobre 2011

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN LEMELIN, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

S... P...

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN RÉVISION JUDICIAIRE

______________________________________________________________________

 

[1]           S... P... demande la révision judiciaire d'une décision prononcée par le  Tribunal administratif du Québec (TAQ) le 2 mars 2011.

[2]           M. P... contestait devant le TAQ trois décisions en révision prononcées par la Société de l'assurance-automobile du Québec (SAAQ).

[3]           En raison d'admission et de désistement de la part de M. P..., la seule contestation devant le TAQ concernait le dossier SAS-Q-163837-1004.

[4]           À l'égard de cette décision, M. P... invoquait deux moyens. Quant au premier, il contestait le refus de la SAAQ de prolonger le délai requis pour demander la révision de la décision du 22 octobre 2007. Puisque le TAQ a fait droit à cette contestation, M. P... ne demande pas la révision de cette décision.

[5]           Le seul objet de la demande de révision est donc la décision du refus par la SAAQ, confirmée par le TAQ, de reconnaître un changement dans la situation de M. P... et donc, de rendre une nouvelle décision sur son indemnité de remplacement du revenu.

La décision attaquée

[6]           La toile de fond du débat devant la SAAQ et qui a été reprise devant le TAQ, est le fait que M. P... a reçu pour les années 2004, 2005 et 2006 des avis de cotisation émis par les autorités fiscales pour des revenus provenant d'un autre emploi et qui augmentaient sensiblement son revenu imposable.

[7]           Devant la SAAQ et le TAQ, M. P... a plaidé qu'il occupait deux emplois. Un premier emploi à titre de poseur d'enduit antirouille sur les véhicules. Cet emploi était connu de la SAAQ et c'est en fonction des revenus générés par cet emploi que son indemnité de remplacement du revenu a été fixée, vu son invalidité permanente et à vie.

[8]           Mais M. P... a aussi prétendu devant la SAAQ et le TAQ qu'il exploitait aussi un commerce de vente d'automobiles et que ce sont des revenus provenant de cette activité qui ont donné lieu aux avis de cotisation pour les années visées, soit 2004, 2005 et 2006.

[9]           Vu ce qui précède, M. P... avait demandé à la SAAQ de prendre en compte les revenus provenant de ce deuxième emploi en espérant que cela augmenterait son indemnité de remplacement du revenu.

[10]        En somme, M. P... a plaidé devant le TAQ que la SAAQ n'aurait pas dû considérer les revenus apparaissant à la grille des Repères, mais plutôt les revenus réels tels que révisés par les autorités fiscales, puisque ces derniers sont plus élevés que les premiers.

[11]        Dans la décision dont on demande la révision, le TAQ résume ainsi la position de la SAAQ:

«[37]     Pour sa part, la Société soutient qu'il n'y a pas de changement de situation dans le présent dossier, les montants révisés par les autorités fiscales n'étant que des montants hypothétiques, les revenus additionnels attribués à monsieur étant mentionnés à la ligne 154 des rapports visés d'impôt provioncial sous la rubrique "Autres revenus".

[38]       Elle ne retient que 3 des 11 transactions de véhicules relevés par les autorités fiscales au motif que ce sont les seules qui sont prouvées par des contrats de vente, alors que le dossier des immatriculations a été pris en compte pour les autres.

[39]       À l'aide d'un nouveau calcul qui tient compte non seulement des profits mais également des pertes encourues par monsieur, la Société établit à 67 862,96$ le total des revenus de monsieur reliés à ses activités de vente d'automobiles pour les années d'imposition 2004, 2005 et 2006, soit une moyenne de 22 620,98$, montant à retenir.

[40]       La différence avec les revenus retenus selon la grille de Repères en octobre 2007 s'élève ainsi à 630,98$, de sorte qu'il n'y a pas vraiment matière à reconsidération, selon ce qu'elle prétend.»

[12]        Après avoir reproduit l'article 83.44 de la Loi sur l'assurance-automobile[1], le TAQ indique que le fardeau de démontrer qu'il y a un changement de situation qui peut influer le montant de l'indemnité de remplacement du revenu, incombe à M. P....

[13]        Or, devant la preuve faite devant lui, le TAQ a conclu que cette preuve n'avait pas été faite de façon concluante.

[14]        Le TAQ conclut que la seule preuve fournie par M. P... consistait en les avis de cotisation des autorités fiscales.

[15]        À l'égard de ces avis, le TAQ conclut comme suit: 

«[48]     Les nouveaux avis de cotisation ne sont ici d'aucune utilité puisqu'ils résultent essentiellement de la constatation des déboursés effectués par monsieur, et qui ne semblaient pas compatibles avec les revenus déclarés.

[49]       Ces avis ne font que refléter ce que monsieur doit au fisc sans pour autant déterminer de façon précise quels étaient ses revenus réels, puisqu'il s'agit en somme d'une simple estimation de ces revenus en fonction de sa dette au fisc.»

[16]        Le TAQ réfère aussi au témoignage du comptable de M. P... en les termes suivants:

«[45]     Son comptable affirme que ces changements résultent de 11 transactions de véhicules que monsieur achetait et revendait, et dont certains détails apparaissent à l'annexe 2 comprise dans la pièce R-1, mais ne comprennent aucunement les prix de disposition de ces véhicules.

[46]       De ces 11 transactions, le Tribunal ne dispose de preuve convenable que pour trois transactions dont les contrats de vente et le détail des immatriculations apparaissent au dossier.

[47]       Avec raison, la Société refait son calcul des transactions qu'elle retient en tenant compte non seulement des gains, mais également des pertes résultant de ces trois transactions.»

[17]        Et le TAQ concluait ainsi:

«[51]     Le calcul effectué par la Société nous semble avoir été correctement fait selon les documents au dossier, et la différence qui en résulte en regard des revenus déclarés lors de la demande initiale de monsieur n'est pas significative au point de nécessiter une nouvelle décision en l'instance.»

La norme applicable

[18]        Avec l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[2], la Cour suprême saisit l'occasion de repenser la question de la norme de contrôle en matière de révision judiciaire.

[19]        De toute évidence, la Cour suprême cherchait à simplifier l'application des normes de contrôle:

«[43]      La Cour est passée d’un test d’emploi aisé axé sur la « compétence », à la fois artificiel et très formaliste, à un test fortement contextuel axé sur le caractère « fonctionnel », qui offre une grande souplesse, mais peu de repères concrets, et qui emporte l’application d’un trop grand nombre de normes de contrôle.  Il nous faut un test qui oriente bien la démarche, qui ne soit ni formaliste ni artificiel, et qui ne permette le contrôle que lorsque la justice l’exige.  La démarche doit être simplifiée.»

[20]        L'exercice avec les trois normes existantes, la décision correcte, la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable posait des difficultés d'ordre pratique et théorique, comme l'explique la Cour suprême dans le jugement.

[21]        Les difficultés découlaient surtout de la distinction à faire entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable. Il faut se rappeler que dans l'arrêt Southam[3], la Cour suprême avait introduit la norme de la décision raisonnable simpliciter dans le but de donner plus de souplesse au juge réviseur lorsqu’aucune des normes existantes ne convenait. La différence entre la nouvelle norme et la norme de la décision manifestement déraisonnable devait résider dans le caractère flagrant ou évident du vice qui entachait la décision attaquée.

[22]        Mais sous l'influence des opinions du juge Louis LeBel dans les arrêts Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79[4] et plus tard Voice Construction Ltd c. Construction & General Workers' Union, Local 92[5], il est apparu que l'exercice de choisir la norme appropriée pour les cours de révision était difficile, pour ne pas dire périlleux.

[23]         La Cour suprême a donc choisi d'écarter la norme de la décision manifestement déraisonnable pour ne retenir que les deux autres, mais en les inscrivant à l'intérieur de la nouvelle norme générale de la raisonnabilité.

[24]        Il ne s'agit pas pour les juridictions de révision d'intervenir ni même de faire preuve d'une retenue indue. L'outil à la disposition des instances de révision est une meilleure modulation de la notion de déférence.

[25]        La Cour suprême, toujours dans l'arrêt Dunsmuir, identifie les éléments qui, s'ils sont présents, permettent de conclure qu'il y a lieu d'appliquer la norme de la raisonnabilité et ne pas intervenir :

«[55]      Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

             Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

             La nature de la question de droit.  Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62).  Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents. »

[26]        Rappelons aussi que la Cour suprême n'exige plus que les instances de révision s'adonnent toujours à l'exercice de ce qu'elle appelle maintenant l'analyse relative à la norme de contrôle, démarche qui, par ailleurs, demeure inchangée. Si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier, l'instance de révision ne sera pas tenue de répéter l'exercice.

[27]        Sans reprendre ici l'analyse détaillée relative à la norme de contrôle, qu'il suffise de mentionner qu'une jurisprudence constante reconnaît que les décisions du TAQ sont protégées par une clause privative complète et qu'il jouit d'une expertise générale dans les matières qui relèvent de sa juridiction exclusive, comme celles qui découlent de la Loi sur l'assurance automobile. Ces deux facteurs imposent au tribunal réviseur un haut niveau de retenu. Les moyens invoqués par M. P... pour demander la révision de la décision du TAQ relèvent de l'administration de la preuve et de l'appréciation de sa valeur probante.

[28]        Le tribunal estime que la norme de la décision raisonnable est celle qui doit le guider. Il n'y a pas eu ici refus ou omission d'exercer une compétence.

La position des parties

[29]        Invoquant les articles 20 alinéa 3, 15 (2) et 83.44.1 de la Loi, M. P... plaide que la SAAQ a erré en ne concluant pas qu'il occupait effectivement deux emplois et surtout en ne prenant pas en compte les revenus d'un deuxième emploi pour établir son indemnité de remplacement du revenu. Puisque le TAQ confirme cette décision, il demande la révision de la décision prononcée par le TAQ le 2 mars 2011.

[30]        Pour sa part, le TAQ s'est limité à exposer devant le Tribunal les règles qui régissent la révision judiciaire d'une de ses décisions, sans intervenir ou faire des représentations sur le mérite de la demande de révision.

[31]        La SAAQ pour sa part, a représenté au Tribunal que c'était l'article 83.44 de la Loi qui s'appliquait, soit l'article qui est cité dans la décision du TAQ. Selon cet article, il s'agissait pour la SAAQ d'examiner s'il s'était produit un changement de situation dans le cas de M. P... qui affectait son droit à une indemnité ou qui pouvait influer sur le montant de celle-ci. Pour le TAQ, elle n'avait pas à se demander si elle devait rendre une nouvelle décision pour les motifs invoqués à l'article 83.44.1.

[32]        Pour le TAQ, M. P... n'a pas démontré qu'il y avait eu un changement dans sa situation puisqu'il n'a réussi qu'à prouver un revenu additionnel de l'ordre de 630,98$.

Décision

[33]        Dès le début, le TAQ a bien circonscrit le débat. Le litige ne concerne que le dossier SAS-Q-158253-0909 en rapport avec lequel deux questions étaient traitées:

·        Le refus de la SAAQ de prolonger le délai requis pour demander la révision originale. Cette question fut tranchée en faveur de M. P..., donc ne fait pas l'objet de la demande de révision judiciaire.

·        Le refus par la SAAQ et du TAQ de reconnaître un changement dans la situation de M. P... et donc, de rendre une nouvelle décision sur son indemnité de remplacement du revenu. C'est la seule question qui fait l'objet de la révision judiciaire.

[34]        La transcription des notes sténographiques de l'audition devant le TAQ, notamment les pages 11 et 12, nous indique que M. P... a privilégié deux avenues devant la SAAQ.

[35]        Il demandait un prolongement de délai pour contester la décision prononcée en octobre 2007. Cette prolongation lui a été accordée par le TAQ, comme nous venons de le voir.

[36]        L'autre approche était de démontrer un changement de situation. Mais les deux approches choisies par M. P... n'ont jamais concerné un objet autre que la reconnaissance par la SAAQ et le TAQ, d'un changement de situation pouvant affecter le montant de l'indemnité de remplacement du revenu.

[37]        Avec raison, la SAAQ plaide qu'il n'a jamais été question que la SAAQ rende une autre décision en vertu de 83.44.1 de la Loi.

[38]        Mais pour le Tribunal, cette divergence de vues n'est pas déterminante puisque s'il devait conclure que le TAQ s'est trompé en confirmant la décision de la SAAQ, il se considérerait justifié d'intervenir pour réviser sa décision.

[39]        Mais voilà que malheureusement, le Tribunal ne peut pas conclure que la décision du TAQ n'est pas raisonnable, et ce, pour quelques raisons.

[40]        D'abord, le Tribunal ne partage pas l'avis de M. P... que c'est ici la norme de la décision correcte qui s'applique. Ni la SAAQ, ni le TAQ n'ont refusé d'exercer leur compétence. Les deux organismes ont tranché la seule question devant eux: Y a-t-il ici un changement dans la situation de M. P...?

[41]        La demande de révision judiciaire introduite par M. P..., implique que le Tribunal refasse l'analyse de la preuve entendue par le TAQ. Pour cela, le Tribunal devrait conclure que le TAQ a erré gravement dans l'analyse de la preuve et les conclusions qu'il en tire.

[42]        Malheureusement, M. P... n'a pas démontré une telle erreur déterminante.

[43]        La conclusion à laquelle en vient le TAQ, est que les revenus additionnels provenant du commerce de vente d'automobile s'élèvent à 630,98$, d'où la conclusion qu'il n'y a pas de changement significatif.

[44]        Le procureur de la SAAQ a repris, pièces à l'appui, la démonstration faite devant le TAQ pour le convaincre de cette faible augmentation de revenus additionnels.

[45]        Cette démonstration convainc le Tribunal que la conclusion du TAQ est raisonnable. Seulement trois ventes d'automobiles ont été retenues par le TAQ.

[46]        Ces ventes ont généré des gains qui, ajoutés à ceux tirés du commerce de poseur d'enduits antirouille, représentaient des revenus totaux, sur 3 ans, de 67 862$.

[47]        Faisant une moyenne pour les trois années, le revenu moyen fut de 22 620,98$, soit de 630,98$ plus élevé que le revenu de 21 990$ retenu par la SAAQ.

[48]        En conclusion, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'intervenir pour réviser la décision du TAQ.

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[49]        REJETTE la requête en révision judiciaire;

[50]        SANS FRAIS.

 

 

__________________________________

JEAN LEMELIN, j.c.s.

 

Me Marc Bellemare

Bellemare avocats (casier 87)

Procureurs de la partie requérante

 

Me Nicholas Frenette-Béland

Baril et avocats

Tribunal administratif du Québec

455, rue du Marais, bureau 200

Québec (Québec) G1M 3A2

Procureurs da la partie intimée

 

Me Jean Renaud

SAAQ (casier 131)

Procureurs de la partie mise en cause

 

 

Date d’audience :

Le 7 octobre 2011

 



[1] L.R.Q., c.a-25.

[2]     2008 CSC 9 .

[3]     Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam inc., [1997] 1 R.C.S., 748.

[4]     [2003] 3 R.C.S. 77 .

[5]     [2004] 1 R.C.S. 609 .

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