Compagnie immobilière Gueymard & Associés ltée c. Entreprise A. & S. Tuckpointing Inc. |
2011 QCCS 2885 |
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JC2308 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-015932-034 |
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500-17-017374-037 |
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DATE : |
8 juin 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHANTAL CORRIVEAU, J.C.S. |
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500-17-015932-034 |
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COMPAGNIE IMMOBILIÈRE GUEYMARD & ASSOCIÉS LTÉE et CONSTRUCTIONS ARGUS INC. |
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Demanderesses et défenderesses reconventionnelles |
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c. |
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ENTREPRISE A & S TUCKPOINTING INC. |
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Défenderesse et demanderesse reconventionnelle |
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et |
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L'OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE MONTRÉAL |
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Mis en cause |
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500-17-017374-037 |
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ENTREPRISE A & S TUCKPOINTING INC. |
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Demanderesse |
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c. |
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AXA ASSURANCES INC. |
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Défenderesse et demanderesse en garantie |
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c. |
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COMPAGNIE IMMOBILIÈRE GUEYMARD & ASSOCIÉS LTÉE |
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Défenderesse en garantie |
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JUGEMENT |
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[1] À la suite de la résiliation d'un contrat de restauration de maçonnerie, A & S Tuckpointing Inc. («A&S») et Constructions Argus inc. («Argus») se réclament des dommages[1].
[2] Argus réclame d'A&S, son sous-traitant, des dommages à la suite de la résiliation du contrat lié aux coûts supplémentaires encourus pour compléter les travaux que cette dernière s'était engagée à effectuer. Argus demande aussi de déclarer compensation entre certaines réclamations formulées par A&S pour des travaux non payés.
[3] De son côté, A&S réclame d'Argus et du propriétaire du site, la Compagnie Immobilière Gueymard & Associés inc. («CIGAL») par demande reconventionnelle, le paiement de certains travaux, le remboursement des coûts supplémentaires liés aux travaux effectués ainsi que le profit manqué, vu la résiliation du contrat.
[4] CIGAL est intervenue pour contester l'hypothèque judiciaire inscrite par A&S sur ses édifices. De plus, elle est poursuivie par Argus afin d'assumer avec celle-ci tout paiement que cette dernière serait appelée à verser à A&S[2].
[5] Dans un dossier connexe[3], A&S formule contre AXA Assurances inc. («AXA») une réclamation semblable à sa réclamation contenue dans la demande reconventionnelle, AXA ayant émis un bon de cautionnement en faveur d'Argus.
LES REPRÉSENTANTS DES DIFFÉRENTES PARTIES
[6] CIGAL, propriétaire et donneur d'ouvrage, est représentée par M. Jean-Marie Adam («M. Adam»), architecte et gérant de projet. Sur le chantier, il est assisté par M. Bertrand Guégen («M. Guégen»).
[7] Argus est représentée par M. Jean-Louis Houle («M. Houle»), entrepreneur maçon de longue expérience.
[8] Du côté d'A&S, la présidente de la compagnie est madame Susan Savor («Mme Savor») responsable de l'administration de l'entreprise et l'épouse de monsieur Guri Alka («M. Alka»), vice-président d'A&S et maçon de longue expérience.
[9] A&S engage les services de M. Mardiros Baygin («M. Baygin») à titre de conseiller technique. Ce dernier est architecte et il travaille ponctuellement avec A&S sur différents chantiers. Dans ce cas en particulier, M. Baygin se rend sur les lieux quotidiennement et assiste aux réunions de chantier.
[10] Le Tribunal devra répondre aux questions suivantes:
1) À qui attribue-t-on la résiliation du contrat?
2) Quels sont les montants qui sont dus au terme du contrat original et quels dommages peuvent être attribués à la suite de la résiliation du contrat?
LES FAITS
[11] CIGAL est propriétaire de l'immeuble situé au 1750, rue St-Patrick qui comprend une dizaine de bâtiments. Les lieux sont maintenant connus sous la désignation Les Lofts Redpath («le projet»).
[12] Cette construction résidentielle a été complétée dans les anciens locaux de l'usine Redpath, alors abandonnée depuis une vingtaine d'années.
[13] En mars 2002, CIGAL invite, par appel d'offres privé, des entrepreneurs à soumettre leur prix forfaitaire pour réaliser les travaux sur le projet dans différentes spécialités.
[14] Le projet est divisé en trois phases. Les travaux qui nous intéressent aux fins du présent dossier ne concernent que la première phase, c'est-à-dire des travaux de maçonnerie à être effectués sur les bâtiments A, B, C, D et I.
[15] Argus fut l'un des entrepreneurs invités par CIGAL à soumettre un prix forfaitaire pour les travaux de nettoyage et de restauration de la maçonnerie du projet.
[16] Argus invite des entrepreneurs maçons à lui soumettre un prix afin d'effectuer en sous-traitance les travaux requis par CIGAL.
[17] Le 8 avril 2002, A&S remet à Argus sa soumission pour la réalisation des travaux de nettoyage et de restauration de la maçonnerie du projet. Le lendemain, Argus présente sa soumission à CIGAL.
[18] En date du 17 avril 2002, CIGAL retient la proposition d'Argus pour les travaux de maçonnerie du projet. Le lendemain, le 18 avril 2002, Argus avise A&S qu'elle retient sa proposition pour les mêmes travaux à titre de sous-traitant.
[19] Argus, agissant à titre d'entrepreneur, confie l'entièreté des travaux de restauration et de maçonnerie à la firme A&S pour la somme forfaitaire.
[20] Le 3 mai 2002, CIGAL signe avec Argus une convention pour la réalisation des travaux de nettoyage et de restauration de la maçonnerie du projet pour la somme de 901 748,96 $ (taxes en sus) (la convention CIGAL-Argus).
[21] Le 4 mai 2002, Argus signe avec A&S une convention pour la réalisation des travaux de nettoyage et de restauration de la maçonnerie du projet pour la somme de 712 000 $ (taxes en sus) (la convention Argus-A&S).
[22] La convention Argus-A&S comprend la même documentation que la convention CIGAL-Argus.
[23] Les documents de base de soumission, addenda, plans et devis du projet au terme de ces deux conventions prévoient que les travaux doivent débuter le 6 mai 2002 et être exécutés pour le 30 octobre 2002.
[24] A&S se mobilise au chantier à compter de la semaine du 6 mai et les premiers travailleurs apparaissent sur le chantier le 13 mai 2002.
[25] Dans le document de soumission accepté par Argus, A&S représente qu'elle mobilisera sur le chantier de 6 à 20 travailleurs aux fins d'exécuter ce contrat.
[26] Les travaux progressent plus lentement que prévu. À la fin juin, lors de sa première facturation, 14 % des travaux du contrat sont complétés par A&S, alors que selon l'échéancier d'exécution du contrat, 30 % desdits travaux devaient avoir été exécutés.
[27] Cinq mois après le début des travaux au 30 septembre 2002, A&S indique dans sa facturation qu'elle a complété 38 % des travaux du contrat, alors que selon l'échéancier convenu initialement entre les parties, 90 % dudit contrat devait alors être parachevé.
[28] A&S allègue que les travaux ont été retardés par des problèmes de disponibilité des aires de travail et suite à l'interférence des autres sous-traitants.
[29] Argus, pour sa part, soutient que le peu d'avancement des travaux résulte de la mauvaise gestion d'A&S, de son manque de personnel qualifié et du nombre insuffisant de travailleurs.
[30] Les 3 et 4 octobre 2002, les travailleurs et les représentants d'A&S ne se présentent pas au chantier. A&S allègue vouloir régler les problèmes de manque de sécurité pour les travailleurs, de coordination d'accès aux aires de travail avec les autres sous-traitants et de paiement d'une somme promise de 60 000 $ pour pallier au manque de productivité des derniers mois accumulés.
[31] Face à cet arrêt de travail sur le chantier, Argus et avec l'appui de CIGAL donnent un avis de résiliation du contrat à A&S lui sommant de quitter les lieux du chantier.
[32] A&S répond qu'elle est étonnée du ton entrepris par Argus, qu'elle souhaite tout simplement rectifier la situation et continuer les travaux au terme d'un arrêt de travail en vue de négocier la suite des événements.
[33] La preuve est contradictoire quant à savoir qui a finalement résilié le contrat. Nous y reviendrons en détail.
[34] Quoi qu'il en soit, à la suite de la résiliation du contrat, Argus est contrainte de trouver d'autres sous-entrepreneurs en maçonnerie pour exécuter les travaux. A&S quitte le chantier en sous-louant à Argus certains équipements déjà sur place.
[35] A&S réclame d'Argus un montant dû au terme du contrat initial ainsi qu'un montant dû relatif aux extras convenus, aux coûts additionnels issus de l'exécution du contrat et au manque à gagner.
[36] A&S enregistre une hypothèque légale sur l'immeuble pour l'ensemble de sa réclamation, soit pour un montant de 354 604,82 $. CIGAL et Argus contestent cette hypothèque légale et soutiennent que cette dernière aurait dû être limitée à 44 472,56 $.
[37] Les parties conviennent d'une entente qui est homologuée par le tribunal[4]. L'hypothèque légale est substituée par le dépôt auprès du cabinet d'avocats Borden, Ladner, Gervais, d'une somme de 354 604.82 $ pour tenir lieu d'une garantie au terme de l'hypothèque légale préalablement enregistrée. Grâce à l'entente, l'hypothèque légale est radiée afin de permettre la vente au public des unités d'habitation libres de toute charge.
[38] Argus demande compensation entre certains montants dus à A&S et ses propres réclamations. De plus, Argus poursuit en dommages A&S, elle réclame 75 000 $ pour les troubles et inconvénients causés par l'enregistrement d'une hypothèque légale qu'elle estime excessive et exagérée. Argus réclame également pour le manque à gagner issu des coûts supplémentaires liés à l'embauche des autres sous-entrepreneurs pour effectuer les mêmes travaux auxquels A&S s'était engagée initialement et pour la réfection de certains travaux qu'elle estime mal exécutés par A&S au moment où elle était sur le chantier.
· Déroulement des travaux jusqu'à la résiliation
[39] Du 13 mai 2002 à la mi-juin, A&S est le seul sous-traitant sur les lieux du projet.
[40] En date du 28 mai, CIGAL informe Argus que la Commission de la construction du Québec («CCQ») demande l'arrêt des travaux, parce que la licence d'A&S est échue depuis février 2002.
[41] Dès le 31 mai 2002, Argus avise la CCQ qu'elle transfère temporairement la main-d'œuvre d'A&S à son entreprise sœur Colba Construction de façon à éviter un arrêt des travaux.
[42] En effet, pour une durée limitée, les travailleurs d'A&S sont transférés sous l'égide de Colba Construction afin de continuer les mêmes travaux pendant qu'A&S régularisait sa situation auprès de la CCQ.
[43] Dès le 2 juin 2002, CIGAL avise Argus qu'elle estime que les travaux de maçonnerie ne progressent pas selon l'échéancier convenu et Argus avise par écrit A&S de cet état de fait. On demande dès lors à A&S d'augmenter le nombre de travailleurs sur le chantier pour accélérer la cadence de travaux.
[44] Le 19 juin 2002, après consultation de CIGAL, Argus remet un chèque de 10 000 $ à A&S à titre d'avance afin que cette dernière engage quatre maçons supplémentaires. À cette période, A&S annonce à Argus qu'elle travaillera durant les vacances de la construction prévues pour les deux dernières semaines de juillet et obtiendra les autorisations administratives à cet effet. A&S n'engage pas les quatre maçons, mais encaisse le chèque de 10 000 $.
[45] Vers le 20 juin 2002, Delson, le sous-traitant chargé de la démolition, arrive sur le chantier.
[46] En date du 3 juillet 2002, A&S informe Argus qu'elle procède à un arrêt de travail, puisque les conditions de travail ne sont pas sécuritaires, vu le manque de coopération avec la compagnie Delson chargée de la démolition et que le chantier manque de coordination. Une série de correspondances est échangée et mérite d'être citée au long.
[47] Voici le texte d'une première lettre écrite le 3 juillet 2002 par A&S à Argus:
Dear Jean-Louis,
The following is to advise that we will be stopping the job at noon because we can no longer work under the present conditions. We have tried to accommodate and co-operate with Delson but Delson is not co-operating with us. Debris is falling on our workers and littering our scaffollds. There is no organization of work as we are being toosed around from section to section. Our estaimation (sic) did not take into account this accommodation and now it is resulting into serious time loss and money. I urge you to take immediate action and you personally resolve this matter with urgency.
[48] Le même jour, A&S complète la lettre en énumérant une série de problèmes observés sur le chantier dans lequel elle formule des exigences pour la reprise du travail:
Dear Jean-Louis,
Following my letter this morning, I have had the opportunity to obtain additional information regarding our reasons for wanting to stop the work in order that there be a concerted effort in coordinating space and requirements of the various sub trades on-site.
The following is a partial list of our concerns:
1) We demand that the bottom area below our swingstage and scaffold be vacated of all debris deposited by Delsan. At the moment we can not load the swingstage with materials required for our workers (bricks and masonery) because the swingstage does not go to ground level due to the debris.
2) In order to serve our workers efficiently to minimize waiting time, we need our work area free of machinery and debris in order that we may set-up our materials (masonry) and machinery so that the laborers can provide the bricklayers with the materials they need.
3) This morning a spark from the cutting of metal at the roof area found its way under the bricklayers shirt consequently burning the worker. This is unacceptable and I refuse to take any responsibility for CSST compensation as a result of lack of safety procedures carried out by Delson.
4) As previously mentioned, dust and debris emanating from the demolition work has to be stopped. Our workers are complaining about the working conditions and are thinking of even leaving the job.
5) Our container was moved 50 feet way from its original position. We have asked Delsan numerous times to move it back, but they did not. We request that the container be moved back immediately so that we may fill it with discarded bricks.
6) At the present moment 2 scaffolds are laying idle due to excavation under our scaffold. This is delaying our work schedule.
7) Beams lifted with the cranes, above our workers, is unacceptable. No materials should be lifted above an area where workers are working. This is not being safety conscious at all.
We have made every effort to institute the appropriate safety precautions for our workers. The manner in which the work is being coordinated is presenting serious safety concerns.
We simply want to follow our work schedule in the manner in which we estimated the job. (i.e. without continual interruptions of the work schedule)
I truly hope we can resolve these issues in a time efficient manner so that we can reassure our workers that they can work in a safe and efficient environment.
[49] Argus écrit à CIGAL une lettre, également datée du 3 juillet 2002 dans laquelle elle appuie entièrement les récriminations de son sous-traitant, voici le texte au long reproduit tel quel:
Monsieur Adam,
Nous avons de sérieux problèmes sur le chantier, car nous ne pouvons produire selon notre cédule. Nous sommes obligés souvent de nous déplacer, le moral des hommes est la frustration pure et simple de l'ensemble des travailleurs:
À cause des événements suivants nous avons de sérieux problèmes et des pertes:
· Des débris de démolition ont tombés à plus d'une reprise sur les échafaudages au point d'en défoncer les planchers
· Pas plus tard qu'hier des débris ont tombés en plus sur des ouvriers et les échafaudages contrairement aux normes de sécurité et de votre programme de prévention.
· Ce matin un ouvrier s'est fait brûlé par un spark de soudure d'un autre sous-traitant
· On doit se déplacer continuellement et ou encore nos endroits pour travailler sont très restreints, cela nous cause des coûts additionnels non prévus.
· A l'avis de Monsieur Bertrand Guéguen au téléphone ce matin avec le soussigné, nous aurions dû être là sur le site, pas avant le mois de septembre?
· Nous ne pouvons plus continuer nos travaux et pouvoir produire paisiblement, nous sommes en train de perdre tous nos effectifs (il n'y a pas que la température); même si nos gens sont disposés à travailler. Nous assumons des pertes tous les jours.
· Notre containeur est maintenant à 50 pieds plus loin de nos travaux, et nous devons transporter nos débris de peine et misère.
· Si la situation ne change pas nous croyons que pour la sécurité des ouvriers il serait probablement mieux de sortir complètement tout le monde et équipements du chantier et laisser vos démolisseurs et soudeurs de structures, toitures ou autres œuvrés seuls.
· Pour l'instant, selon notre opinion, une compensation d'un minimum de 30% à 40% sur notre prix soumis, serait normale pour les problèmes de production que nous avons subis et à venir, si vous désirez nous garder sur le site.
· Dans un mot nous ne pouvons plus produire sans être dérangé ou avoir à nous déplacer d'un endroit à l'autre.
· Si nous revenons en fin septembre et ou octobre tel que suggéré comme idéal par Monsieur Guéguen, votre surintendant, en plus d'une compensation normale, nous ne sommes pas sûr d'avoir les mêmes effectifs que présentement. Il serait réduit.
· Nous n'avons pas prévu de conditions d'hiver dans notre prix soumis et selon notre cédule.
· Nous avons refusé de par et d'autres des appels d'offres sur invitation pour plus que le contrat que nous avons signé avec vous, à cause de notre mobilisation intense sur place. (Nous avons plusieurs lettres écrites et fax de refus à cet effet pour supporter ce que nous vous écrivons actuellement). Encore ce matin avec l'Université de Montréal, etc…
· Alors nous sommes dans une impasse, nous perdons actuellement sur toute la ligne.
· Nous ne pouvons suivre notre cédule et produire selon notre plan.
· Nous sommes de plus sur le point de perdre beaucoup de notre main-d'œuvre ce qui serait un tort irréparable pour nous, surtout avec les conditions de marché actuelle où la main-d'œuvre qui est très rare et encore moins disponible.
Salutations distinguées.
CONSTRUCTION ARGUS INC.
[50] A&S reprend les travaux sans amélioration de ses conditions de travail.
[51] En date du 1er août 2002, lors de la réunion de chantier, CIGAL annonce des changements importants concernant les bâtiments B et D. Les mezzanines commerciales seront transformées en lofts résidentiels.
[52] Un peu plus tard, en date du 10 septembre 2002, A&S annonce qu'elle arrête à nouveau les travaux, faute d'amélioration dans les conditions de travail. A&S indique vouloir reprendre le travail seulement lorsque les conditions seront favorables à son exécution.
[53] Le 11 septembre 2002, une rencontre intervient entre M. Baygin, M. Houle et M. Adam. Les versions relativement à la teneur de cette réunion sont divergentes. Selon M. Baygin, une entente intervient afin de reconnaître que la productivité d'A&S a été comprise par les conditions du chantier. CIGAL et Argus auraient accepté de payer à A&S une somme de 60 000 $ et plus tard de lui confier des travaux pour des extras de plus de 50 000 $. Le tout afin de permettre à A&S de réaliser une meilleure rentabilité dans l'exécution de ses travaux.
[54] M. Adam affirme ne pas avoir souscrit une telle entente ou à tout le moins, ne pas s'en souvenir. M. Houle nie formellement avoir pris quelque engagement que ce soit.
[55] Quoi qu'il en soit, le lendemain le 12 septembre 2002 lors d'une réunion de chantier, CIGAL demande à Argus une nouvelle cédule pour exécuter les travaux.
[56] Le 13 septembre 2002, A&S présente à Argus son plan d'action pour terminer le travail.
[57] A&S accepte de sous-contracter une partie des travaux sur la pierre. Par ailleurs, elle exprime ne pas être en mesure de finir les travaux dans un délai de sept semaines, mais pouvoir le faire dans un délai de dix semaines.
[58] Dans son plan d'action, A&S propose d'augmenter la participation de M. Baygin, de requérir les services d'un ingénieur, monsieur Sebastien Trampush («M. Trampush»), qui sera sur les lieux, en cas d'absence de M. Baygin pour faciliter la coordination. Soulignons que le plan d'action d'A&S daté du 13 septembre 2002 est silencieux à l'égard de la promesse d'un paiement de 60 000 $.
[59] En date du 17 septembre 2002, Argus accepte le plan d'action sous réserve de revoir le tout au fur et à mesure de la progression des travaux.
[60] À nouveau, le 18 septembre 2002, A&S demande à Argus de l'aider afin qu'elle ait accès à des aires de travail plus facilement, car elle se dit toujours victime d'interruption. Argus invite A&S à documenter par écrit toutes les causes d'interruption au fur et à mesure qu'elles se présentent.
[61] Argus transmet à CIGAL un avis résumant les récriminations de son sous-traitant A&S.
[62] M. Adam répond sèchement à la lettre du 18 septembre exigeant d'Argus qu'elle s'abstienne, car il déteste ce type de correspondance.
[63] Au cours de cette période, les parties échangent des écrits de même nature. CIGAL et Argus demandent à A&S d'augmenter la cadence, alors qu'A&S déplore les difficultés d'accès sans interruption des aires de travail.
[64] À nouveau, A&S exprime dans une lettre du 30 septembre 2002 ses récriminations qu'elle adresse à Argus dans laquelle elle souligne les difficultés éprouvées sur le chantier.
[65] M. Baygin écrit une lettre à M. Houle datée du 1er octobre 2002, mais transmise dans la nuit du 2 au 3 octobre. Le paragraphe 6 reproduit ci-après relate les difficultés auxquelles A&S est confrontée:
La priorité du client est peut-être de finir l'édifice "D", mais la priorité de A&S est sa survie. Donc il a besoin d'ouvrage pour ne pas perdre ses hommes et avancer son projet partout pour être capable de pouvoir facturer à la fin du mois. Vous savez que "édifice D" est une perte complète pour A&S. Il faut qu'il travaille sur l'autre édifice aussi pour être capable de faire la facturation. Malheureusement ce n'était pas possible jusqu'a aujourd'hui. Ils ont travaillé avec 12 à 14 personnes sur l'édifice "D" durant le mois de septembre; la facturation de ce mois n'est même pas assez importante pour couvrir le salaire des ouvriers.
[66] C'est ainsi qu'à nouveau, le 2 octobre 2002, Mme Savor communique avec M. Houle pour l'informer qu'il y aura un troisième arrêt de travail pour rediscuter des conditions du contrat concernant la sécurité, l'accès aux heures de travail et le paiement promis de 60 000 $.
[67] M. Houle témoigne qu'il est estomaqué par l'appel de Mme Savor et les exigences d'A&S.
[68] Argus répond le soir même par une lettre du 2 octobre qu'il convient de reproduire tel quel:
Subject: Contract signed 4th of May 2002, for "les travaux de maçonnerie incluant nettoyage et restauration pour le Projet" Les Lofts Redpath, 1751 St-Patrick, Montreal.
Mrs. Savor,
Following our telephone conversation of today at 13:30 hres, in which you mentionned to us clearly and officially as the President of your company, that you are walking out of the contract signed on the 4th of May 2002 with everybody from your crew by tomorrow morning. Also you were asking us, which we feel was a threat, to pay A&S Tuckpointing upfront right now the amount of $60,000.00 plus another guarantee of $50,000.00 in writing over the amount of your actual contract's firm price in order to overcome the walk out. You stated to me that if you did not receive this said amount, A&S Tuckpointing was walking out of the job site. We cannot and will not abide by this kind of threat from your part.
Therefore, please remove from the job site before noon tomorrow all your scaffolding, tools, materials, containers, etc., since it is your decision to walk out of the job with all your crew. Otherwise, because of your decision to walk out from this contract, we will have no choice by noon tomorrow to follow up, by removing at your own expenses everything (i.e. dismantling and sending back everything to your suppliers, etc…).
At least you took a decision. Any claims from both parties, A&S Tuckpointing and/or Argus Construction Inc., will be governed under the terms of the CCDC contract.
[69] Le 3 octobre, A&S conteste la réponse d'Argus et annonce qu'elle n'arrête le travail que pour la journée afin de résoudre le problème:
We are in receipt of your letter faxed to us late last night and we vigorously deny any and all allegations stated in your letter.
Following our request this morning to you (ARGUS) concerning our loss, damages and extra work occurred with respect to this project and your meeting with the General Contractor (GUEYMARD), we still have not received any concrete answer yet.
Starting this morning at 7:00 a.m until Friday 3:00 p.m, we will be temporarily putting the job on hold to give ARGUS and GUEYMARD the time to find a solution to respond to our request. You have to understand that the last thing we want to do is to walk out of the job, as we have mentioned to you numerous times. However, in non compliance to our request, we will be under the obligation to stop the work.
[70] Le 3 octobre, le rapport de la réunion de chantier numéro 13 indique que vu l'arrêt de travail complet, Argus doit corriger rapidement la situation et faire appel à d'autres sous-traitants.
[71] Une rencontre a lieu le 3 octobre 2002 pour laquelle la version des témoins est contradictoire. Pour M. Houle, dans un esprit de réconciliation, une entente est souscrite entre messieurs Alka, Baygin et Houle pour la poursuite des travaux. Le tout est accepté au restaurant Magnan et scellé par l'achat de deux rosbifs par M. Houle remis à M. Alka et M. Baygin. Selon M. Houle, A&S accepte de reprendre les travaux. Argus s'engage à obtenir de CIGAL le paiement immédiat des travaux acceptés en septembre et Argus s'engage à défrayer les coûts des salaires des employés d'A&S durant le mois d'octobre.
[72] Cependant, le lendemain matin, le 4 octobre, alors qu'ils sont attendus sur le chantier, aucun travailleur d'A&S ne se présente.
[73] C'est alors que CIGAL écrit à Argus la lettre du 4 octobre 2002 sommant cette dernière de trouver d'autres sous-traitants d'ici quelques jours, à défaut de quoi, des poursuites seront entreprises.
[74] Le 6 octobre, A&S confirme que suite à la demande de CIGAL, elle procède à l'arrêt des travaux.
[75] Pour établir à quelle partie le Tribunal attribue la résiliation, une revue des principes juridiques applicables suit.
PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES À LA RÉSILIATION
[76] Dans un premier temps, il y a lieu de déterminer les règles applicables à la résiliation de contrat, car les conséquences ne seront pas les mêmes.
[77]
Rappelons que le contrat est le fruit d'un accord de volonté par lequel
des parties s’engagent à exécuter certaines obligations (art.
[78]
L'interruption du contrat de façon anticipée est toutefois possible en
dérogation du principe de l’irrévocabilité des contrats[5].
Il ne faut pas confondre la résiliation découlant de l’inexécution des
obligations du débiteur (art
1590. L'obligation confère au créancier le droit d'exiger qu'elle soit exécutée entièrement, correctement et sans retard.
Lorsque le débiteur, sans justification, n'exécute pas son obligation et qu'il est en demeure, le créancier peut, sans préjudice de son droit à l'exécution par équivalent de tout ou partie de l'obligation:
1° Forcer l'exécution en nature de l'obligation;
2° Obtenir, si l'obligation est contractuelle, la résolution ou la résiliation du contrat ou la réduction de sa propre obligation corrélative;
3° Prendre tout autre moyen que la loi prévoit pour la mise en oeuvre de son droit à l'exécution de l'obligation.
2125. Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise.
2129. Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.
L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.
Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir.
[79]
Dans le premier cas, c'est la faute du débiteur qui est le fondement
même du droit du créancier de résilier, et ce, dans le but de sanctionner
l’inexécution (art. 1604 -
[80] Ainsi, la résiliation sanction est la conséquence choisie par le créancier suite à l’inexécution des obligations du débiteur ou à une exécution suffisamment fautive, qu'elle équivaut à une inexécution totale.
[81] La Cour d'appel a décidé dans l'arrêt Société de transport de Longueuil[6] que du moment où le créancier a des motifs valables de résilier le contrat, il n’exerce pas sa faculté de résiliation unilatérale, mais plutôt son droit de résilier pour faute, lorsque le Tribunal constate qu'il y a inexécution des obligations contractuelles.
[82]
Par ailleurs, selon l'arrêt Felvic[7],
le fait que l’entrepreneur ait quitté le chantier en refusant de respecter ses
obligations ou le fait que le client lui ait demandé de quitter le chantier
suite au manquement, entraîne la même conséquence juridique. C’est une
résiliation sanction. Ainsi, si c'est l’entrepreneur qui quitte le chantier en
ne respectant pas ses obligations, le client n’a aucune obligation de le mettre
en demeure, tel que prévu aux articles
[83] Le juge Dalphond au nom de la Cour d'appel dans Berlan Systems inc. c. F.L.S. Transportation Services inc.[8] résume les règles applicables à la résiliation de contrat:
[52]
Il y a donc lieu de distinguer entre la résiliation qui découle de
l'exercice par le client de sa faculté de rupture (art.
[53] En l'instance, l'intimée a invoqué les règles générales en matière d'inexécution par le cocontractant de ses obligations. Le premier juge a effectivement conclu que l'appelante avait fait défaut de remplir ses obligations et cette conclusion ne m'apparaît pas entachée d'une erreur manifeste et dominante.
[54]
La Cour a décidé dans Société de transport de Longueuil c. Marcel
Lusssier ltée,
[55]
En vertu de celle-ci, la résiliation peut avoir lieu sans poursuite
judiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit d'exécuter son
obligation ou ne l'a pas exécutée dans le délai fixé par la mise en demeure lui
intimant d'exécuter ses obligations conformément au contrat (art.
[56]
Le juge de première instance a référé aux articles
[84]
Dans la même veine, il est important de ne pas confondre l’indemnité de
rupture et l’indemnité de responsabilité, puisqu’en dépit de leurs apparentes
similitudes, ces deux concepts visent à compenser le préjudice selon des
objectifs différents[9].
L’indemnité de rupture (art.
[85] Les parties au présent dossier sont liées par deux contrats. Dans un premier temps, CIGAL a confié à Argus les travaux de maçonnerie par le contrat[10], soit la convention CIGAL-Argus. CIGAL est désignée comme le maître de l'ouvrage et Argus l'entrepreneur. De son coté, Argus a confié à A&S les mêmes travaux par un contrat[11], soit la convention Argus-A&S, dont les termes sont identiques. Argus y est désignée comme l'entrepreneur général et A&S le sous-traitant.
[86] Le contrat qui a été résilié est uniquement le second à savoir la convention Argus-A&S.
[87]
En l'espèce, malgré les moyens plaidés par les parties, les règles
applicables sont celles relatives à l'inexécution des obligations selon
l'article
[88] En effet, la notion du client visé par les dispositions relatives à la résiliation du contrat d'entreprise est celle du propriétaire ou à tout le moins celui qui commande les travaux et qui en est le destinataire[12].
[89] En application des règles régissant l'inexécution injustifiée d'une obligation contractuelle, le créancier de l'obligation pourra exiger l'exécution en nature, la résolution, la réduction des obligations et les dommages-intérêts[13].
ANALYSE DES CAUSES DE RÉSILIATION DE CONTRAT
[90] A&S et Argus s'accusent mutuellement d'avoir résilié le contrat.
[91] A&S soutient que c'est Argus qui a résilié le contrat de façon unilatérale et qu'en conséquence, elle doit être indemnisée des dommages qui en ont découlé.
[92] Argus soutient également que A&S a résilié le contrat par son arrêt de travail et absence sur le chantier à compter du 2 octobre 2002.
[93] De plus, au 3 octobre 2002, le travail complété par A&S n'avait pas atteint le niveau d'avancement auquel les parties s'attendaient. A&S allègue que le retard ne lui est pas imputable, mais est entièrement causé par les conditions du chantier décriées depuis le début de ce contrat.
[94] Tout au long du dossier, dans une abondante correspondance, A&S exprime ses récriminations à l'égard des problèmes rencontrés sur le chantier. Que ce soit en terme de difficulté d'accès continue aux aires de travail et de l'interférence des autres entrepreneurs, A&S éprouve énormément de difficulté à s'adapter à ces conditions de travail fortes exigeantes.
[95] En effet, A&S débute ses travaux à un endroit donné et doit aussitôt se déplacer afin de travailler sur une autre section des bâtiments. Paradoxalement, M. Guégen reproche à A&S de passer d'une surface à l'autre sans jamais terminer le travail accompli.
[96] Par ailleurs, Argus affirme que le peu d'avancement sur le chantier est issu de l'incompétence d'A&S, vu son manque de main-d'œuvre qualifiée et suffisante.
[97] Mais il y a tout de même des problèmes présents chez A&S. Il est clair qu'étant seule au chantier du 6 mai au 20 juin et du 14 juillet au 30 juillet, la progression déficiente des travaux sur le chantier doit lui être attribuable.
[98] Les nombreux mémos de Mme Savor confirment par ailleurs que la progression est déficiente. Est-ce que la main-d'œuvre était suffisamment qualifiée? Le Tribunal en doute.
[99] M. Alka doit tout faire et être partout à la fois, car il dirige un groupe d'apprentis sans expérience suffisante. De plus, d'août et septembre, il dirige deux chantiers de front.
[100] De son côté, M. Alka a témoigné avoir été là sept jours sur sept pour une quinzaine d'heures par jour à compter du mois de mai.
[101] Selon la preuve, de mai à juillet, M. Alka est présent sur le projet, entouré d'une équipe composée largement d'ouvriers sans expérience. En effet, les feuilles de travail jointes sur le rapport de la CCQ[14] le démontrent.
[102] Durant cette période, A&S est impliquée uniquement sur le chantier Redpath. Dès le mois d'août, A&S est active sur deux chantiers simultanément, à savoir le chantier Redpath et le chantier Girouard.
[103] À compter d'août, l'on ignore précisément la répartition des employés d'A&S entre les deux chantiers. L'on constate tout de même que le nombre d'apprentis de première année par rapport au nombre de maçons demeure extrêmement élevé[15].
[104] Une analyse des fiches de la CCQ permet de faire les constatations suivantes. Pour la période totale du chantier, il y avait tout au plus 5,6 % d'heures consacrées par des maçons; 10,7 % au niveau des maçons-apprentis niveau 3; 9,2 % par les maçons-apprentis niveau 2; 42,1 % par les maçons-apprentis niveau 1 et 32,4 % par les manœuvres.
[105] De plus, dans la soumission initiale, A&S avait déclaré qu'il y aurait présence de 6 à 20 hommes sur le chantier. Pourtant, au début des travaux, il n'y a que 3 ou 4 travailleurs par semaine sur le chantier. Vers le début juillet 2002, on retrouvera 11 hommes au maximum sur le chantier puis une douzaine en septembre.
[106] La correspondance de la fin septembre documente abondamment le fait qu'A&S n'avait pas terminé les travaux de la façade sud du bâtiment D, le bâtiment principal et ne voulait plus y consacrer d'employés, puisqu'elle avait épuisé son budget de facturation eu égard à cette façade. A&S cherchait donc à travailler ailleurs que sur le bâtiment D, bien que les travaux sur celui-ci n'étaient pas complétés.
[107] Le Tribunal ne peut retenir à cet égard les conclusions de l'expert d'A&S, M. Adel Attia («M. Attia») qui a élaboré un modèle théorique pour illustrer les causes de retard de cette dernière pour effectuer les travaux. Le Tribunal n'accepte pas la proposition de l'expert qui a identifié des éléments ponctuels pour déclarer les dates auxquelles les façades sont devenues disponibles pour travaux. En utilisant la correspondance et les photos, l'expert a déclaré que les façades n'étaient disponibles que postérieurement à ces évènements. Pourtant, cela ne peut permettre de conclure que la même façade ait été non accessible de façon continue depuis le début de l'accès au chantier.
[108] La preuve permet au Tribunal de conclure qu'A&S[16] a soumis un prix trop agressif pour réaliser ce contrat. A&S s'est épuisée financièrement avec des ressources insuffisantes, inexpérimentées et donc inefficaces. Elle n'a pas été à la hauteur des exigences de ce contrat.
[109] En l'instance, le Tribunal est d'avis qu'A&S a provoqué sa perte en décrétant un troisième arrêt de travail. Cela était inacceptable et Argus, sous la pression de CIGAL, a alors décidé de mettre fin à son contrat avec A&S.
[110] Pour le
Tribunal, Argus a résilié le contrat d'A&S en exerçant son droit de la
sanctionner, le tout en application des principes découlant des articles
LES RÉCLAMATIONS d'A&S ET ARGUS
[111] Le Tribunal procède maintenant à l'analyse des réclamations des parties.
[112] Le Tribunal analysera en premier la réclamation d'A&S, bien qu'elle se retrouve dans la demande reconventionnelle, compte tenu de l'ordre de présentation suivi à l'audience.
[113] Les détails de la réclamation d'A&S sont reproduits aux présentes. Ils sont tirés du paragraphe 55 de la défense et demande reconventionnelle datée du 18 février 2011:
RÉCLAMATION D'A&S |
MONTANT NET APPROUVÉ |
% COMPLÉTÉ |
MONTANT NET RÉCLAMÉ |
Décomptes progressifs |
|
|
|
Contrat original |
712,000.00 $ |
38.05% |
270,916.00 $ |
Travaux supplémentaires approuvés |
90,700.00 $ |
19.29% |
17,496.03 $ |
Total facturé |
|
|
288,412.03 $ |
Total payé |
|
|
225,006.50 $ |
Total à recevoir |
|
|
63,405.53 $ |
Montants non négociés |
|
|
|
Travaux supplémentaires non approuvés |
|
|
162,045.00 $ |
Équipements de construction additionnels |
|
|
15,127.00 $ |
Coordination Additionnelle |
|
|
36,850.00 $ |
Total réclamé |
|
|
214,022.00 $ |
Perte de profit anticipé |
|
|
|
Sur le solde du contrat original |
|
|
44,108.50 $ |
Sur le solde des suppléments approuvés |
|
|
10,980.90 $ |
Total réclamé |
|
|
55,089.40 $ |
Dommages et intérêts |
Par d'autres |
||
Grand Total réclamé excluant dommages, intérêts et taxes de vente |
|
|
332,516.93 $ |
[114] À ce montant de 332 516.93 $ des taxes de 49 960,67 $ doivent être ajoutées pour un grand total de 382 477,60 $.
[115] La réclamation d'Argus quant à elle porte sur deux sources distinctes. Dans un premier temps, elle réclame des dommages pour une somme de 363 466.16 $. En voici le détail tel qu'il ressort dans la dernière requête amendée et datée du 28 février 2011:
a) coût engagé pour la complétion des travaux (excluant les taxes) |
865 839,64 $ |
b) coût du contrat de la défenderesse Tuckpointing incluant les 3 changements négociés (excluant les taxes) |
(802 380,00 $) |
c) somme versée à la défenderesse Tuckpointing (excluant les taxes) |
191 807,75 $ |
d) paiement effectué auprès de la C.C.Q. par la demanderesse Argus |
33 198,77 $ |
e) troubles et inconvénients |
75 000.00 $ |
TOTAL (excluant les taxes) |
363 466,16 $ |
[116] De plus, Argus demande à la Cour de déclarer que l'hypothèque légale enregistrée par A&S aurait dû être limitée à 34 561,58 $, voici l'explication de ce chiffre:
a) Valeur des travaux de la défenderesse 259 568,10 $
Tuckpointing au 2 octobre 2002 mais
réajusté par l'architecte le 14 mais 2003
(excluant les taxes):
b) paiements effectués (excluant les
taxes):: (183,114,00 $)
c) avances versées (excluant les taxes):: (8 693,75 $)
d) paiement effectué auprès de la C.C.Q. (33 198,77 $)
par la demanderesse Argus
|
TOTAL 33 949,58 $[17]
[117] Enfin, Argus invite la Cour à lui attribuer les dommages réclamés et d'opérer compensation afin d'en déduire la somme de l'hypothèque légale qu'elle estime fondée afin d'ordonner une compensation de 329 516,58 $ en sa faveur.
A. Réclamation d'A&S
[118] La réclamation d'A&S se divise en trois volets: une réclamation pour décomptes progressifs de 63 405,53 $, une réclamation pour travaux non prévus au contrat de 242 302 $ et enfin, une réclamation pour son manque à gagner de 55 089 $.
1) Réclamation pour décomptes progressifs
[119] A&S réclame 63 405,53 $ à titre de décomptes progressifs. Argus, par le biais de son expert Mme Rosanna Eugéni («Mme Eugéni»), reconnaît le bien-fondé de 34 561,58 $ de cette réclamation, mais conteste le reste.
[120] La contestation repose sur l'opinion d'expert de M. Aurèle Cardinal («M. Cardinal»)[18] datée du 14 mai 2003 et reproduit tel quel:
La présente est pour confirmer que l'avancement des travaux de nettoyage et de restauration de maçonnerie exécutés au chantier Les lofts Redpath dans le contrat de Construction Argus Inc. avec la Compagnie Immobilière Gueymard et Associés était de 36% au 30 septembre 2002.
Ces travaux ayant été sous-traités entièrement à A.S. Tuckpointing par Construction Argus Inc., le pourcentage de travaux exécutés correspond aux valeurs indiquées sur le Rapport d'avancement de A.S. Tuckpointing en date du 3 octobre (2 pages, copies annexées), ce qui donnerait une valeur aux travaux exécutés par A.S. Tuckpointing de 288 409 $, excluant les taxes, selon sa demande.
Il faut cependant prendre en considération que l'approbation de décompte mensuel pour un contrat en cours d'exécution, correspond au % d'avancement global tout en sachant qu'il y a des détails et de la finition à terminer qui correspond normalement à la retenue de 10% sur le paiement. La valeur réaliste des travaux effectués par A.S. Tuckpointing au moment ou il a quitté et abandonné doit être révisée à la baisse de 10% pour diverses considérations, entre autres, mais non de façon exhaustive:
· Beaucoup de travail à effectuer sur les deux premiers niveaux en pierre du bâtiment "D";
· Aucun travail de fait sur les allèges de fonte et attaches métalliques de la maçonnerie;
· Un grand nombre d'ouvertures exécutées à cette date ont dû être corrigées et reprises parce que les dimensions, l'alignement et l'aplomb de ces ouvertures ne permettaient pas d'y installer les fenêtres
Pour ces raisons, nous sommes d'avis que les travaux exécutés par A.S. Tuckpointing au 30 septembre 2002 avaient une valeur qui ne dépasse pas 259 568.10 $ selon sa demande.
[121] L'évaluation faite par M. Cardinal a été faite neuf mois après la résiliation du contrat. Peut-elle établir ex post facto la responsabilité d'A&S, alors qu'au fur et à mesure de la facturation, les déficiences apparaissant dans la lettre de M. Cardinal ne sont pas soulevées?
[122] Est-ce à dire que la firme d'architectes émet des certificats de complaisance pour autoriser des paiements d'avancement des travaux qui soient erronés?
[123] Le Tribunal n'est pas nécessairement lié par ce témoignage d'expert.
[124] En premier lieu, rappelons que M.Cardinal est associé de la firme d'architecte qui a non seulement élaboré les esquisses de projet, mais qui s'est vue confiée la surveillance des travaux. L'indépendance de cet expert n'est pas acquise en l'instance, même si c'est Argus qui l'a présenté comme témoin et que les services d'architecte aient été fournis à CIGAL. Il demeure que les intérêts de CIGAL et Argus sont pratiquement les mêmes et en opposition à ceux d'A&S.
[125] M. Cardinal déclare dans sa lettre d'opinion qu'il faut déduire de la réclamation d'A&S 10 % de la valeur des travaux payés par rapport au 36 % des travaux déclarés qui ont été effectivement payés.
[126] En premier lieu, M.Cardinal fait erreur, car le taux d'avancement des travaux attribué à A&S, lors de la résiliation du contrat, a été de 38 % et non pas 36 %.
[127] Dans son témoignage, M. Cardinal précise qu'il reconnaît que l'avancement des travaux d'A&S a atteint le pourcentage retenu, mais qu'il faille déduire un 10 % compte tenu des travaux ayant dus être complétés à cause de déficiences à corriger, laissant un taux effectif de travaux complétés à 26 % ou 28 %.
[128] Pourtant, en octobre 2002, lors de la résiliation du contrat, aucune liste de déficience n'a été dressée. M. Cardinal n'est pas allé sur le chantier à cette époque. D'ailleurs, c'était un autre architecte de son bureau, M. Dennis Krause («M. Krause»), qui assistait aux réunions de chantier et s'y rendait environ deux fois pas semaine. M. Cardinal allait sur les lieux occasionnellement lors de problèmes particuliers. La résiliation du contrat d'A&S n'a pas nécessité une telle visite. Ce n'est qu'environ sept mois après la résiliation et aux fins de la rédaction de la lettre d'opinion que M. Cardinal est retourné sur le chantier.
[129] Il est vrai que d'autres témoins, soit messieurs Adam et Guégen, ont affirmé que les ouvertures de certaines fenêtres ont dû être refaites. Toutefois, on ignore combien.
[130] L'on sait également que du travail sur les allèges et les linteaux n'était pas fait. On ignore cependant le nombre d'heures requis par rapport aux travaux payés à A&S.
[131] L'on sait par ailleurs que du travail devait être effectué sur le bâtiment D. À cet égard, A&S le reconnaît tel qu'il ressort de la lettre du 1er octobre de M. Baygin[19] et du courriel du 1er octobre 2002 de M. Trampush à Mme Savor[20].
[132] Une quantification précise n'a pas été mise en preuve quant à ces éléments. Pour toutes ces raisons, le Tribunal rejette l'opinion de M. Cardinal.
[133] En conséquence, le Tribunal conclut que la réclamation d'A&S à l'encontre d'Argus doit être accueillie pour un montant de 63 405,53 $ au chapitre des décomptes progressifs, sans la déduction demandée par Argus.
[134] Précisons que ce montant tient compte de la demande de compensation requise par Argus afin que soit déduite une somme de 10 000 $ (soit 8 693 $ plus taxes) et une autre somme de 33 198,77 $ qui ont été payées à A&S pour son bénéfice.
[135] A&S reconnaît ici la justesse de cette demande de compensation et ses réclamations ont été ajustées en conséquence.
2) Réclamation pour les montants non prévus au contrat
[136] A&S réclame 214 022 $ au chapitre des montants non négociés au contrat original, soit parce que l'ampleur des travaux était plus importante que ce qui était dénoncé au contrat ou que CIGAL a fait des demandes en ce sens.
· Évidage des joints
[137] Cette réclamation a été abandonnée à l'audience lors du témoignage de l'expert d'A&S, M. Attia et les procédures ont été amendées.
· Couches de peinture en surplus sur le bâtiment D, façade sud
[138] A&S dit avoir effectué un travail supplémentaire non initialement prévu, puisqu'il y avait environ quatre à cinq couches de peinture sur cette façade alors que lors de la soumission, CIGAL avait annoncé qu'il avait deux couches de peinture et que des tests devaient être exécutés. A&S réclame 34 560 $ pour 576 heures de travail, cette réclamation a été évaluée par M. Attia.
[139] M. Adam a reconnu avoir approuvé le travail extracontractuel que cette tâche a requis.
[140] M. Adam a autorisé un bon de commande pour un montant de 18 500 $ payé à l'entreprise sœur d'Argus, Construction Colba, soit le bon de commande 10220. A&S réclame 23 040 $ pour 384 heures de travail supplémentaires à raison d'un taux horaire de 60 $.
[141] Étant donné que M. Adam a reconnu sa note manuscrite sur le bon de commande selon laquelle ces travaux ont été effectués en août et septembre 2002, alors que seule A&S était affectée à ces travaux sur le chantier, il y a lieu de reconnaître que cette somme est due à A&S. En effet, M. Adam a reconnu qu'il s'agissait d'un extra. Le Tribunal rejette la version de M. Houle à l'effet que ce bon de commande concerne des avances de fonds pour des travaux exécutés plus tard par un autre sous-traitant.
[142] Quant au montant dû à A&S pour ces travaux, le Tribunal lui attribue la somme de 18 500 $ vu l'approbation du donneur d'ouvrage CIGAL. Le Tribunal ne peut retenir la réclamation totale d'A&S à ce chapitre, vu l'absence d'élément de preuve justifiant le temps réclamé.
· Récupération des briques
[143] A&S réclame 21 600 $ pour la récupération des briques. Cette réclamation a été abandonnée à l'audience lors du témoignage de M. Attia et les procédures ont été amendées.
· Remplacement des briques de la façade sud sur bâtiment D
[144] A&S réclame une indemnité pour le remplacement de briques additionnelles sur la façade sud du bâtiment D. Les documents contractuels précisent que 10 % des surfaces apparentes de maçonnerie devront faire l'objet de remplacement par des briques récupérées sur le site ou par des nouvelles briques et que le coût associé à cela est inclus au contrat. Il est entendu que pour tout dépassement à ce 10 % initial, A&S chargera un prix unitaire de 21 $ du pied carré pour le remplacement de briques en surplus de ce qui était indiqué aux documents contractuels. Selon le devis P-25, section 04405, l'article 3.12 prévoit un paiement au-delà de "10 % des surfaces de maçonnerie".
[145] Argus refuse cette réclamation, car selon elle, il fallait que le travail ait été effectué sur toutes les surfaces et non pas par façade avant de faire ce calcul, le cas échéant.
[146] A&S allègue avoir remplacé des briques additionnelles sur plus de 10 % de la façade sud du bâtiment D et évalue l'ensemble de ce coût à 30 093 $ pour les quantités additionnelles basées sur le prix unitaire de 21 $ le pied carré pour les murs extérieurs et de 10,50 $ pour les murs intérieurs.
[147] Par ailleurs, en date du 8 août 2002, M. Baygin a fait parvenir à Mme Savor un document produit au dossier de la Cour sous la cote D-14 contenant un plan détaillé qui illustre son calcul du remplacement des briques au-delà des 10 % contractuellement convenus. Selon ce document et l'évaluation de M. Baygin, un extra de 11 760 $ devait être payé par Argus à A&S.
[148] Étant donné qu'il y avait une contestation de la part d'Argus et CIGAL quant à ces montants, M. Baygin a fait approuver par les représentants de CIGAL, M. Guégen et M. Krause, le croquis D-14. Ces deux personnes ont apposé leurs initiales sur le document de M. Baygin.
[149] À l'audience, les deux témoins interrogés ont reconnu leur griffe, mais n'avaient pas de souvenir précis de la discussion qui s'en était suivie.
[150] Par ailleurs, un bon de commande portant le numéro 10219 au montant de 21 450 $ a été approuvé par CIGAL concernant des modifications et des travaux additionnels d'agréage de la façade sud du bâtiment D. Ce montant est plus élevé que la réclamation d'A&S formulée dans la mise en demeure élaborée avec l'aide de M. Baygin en 2002.
[151] A&S allègue que c'est elle qui a réalisé ce travail supplémentaire et qu’Argus a négocié le prix de travail avec CIGAL en octobre 2002.
[152] Ici encore, le représentant de CIGAL, M. Adam, a inscrit sur ledit bon de commande que les travaux avaient été effectués en août et septembre 2002.
[153] À la lumière de la documentation ci-haut mentionnée, le Tribunal estime que le montant de 11 760 $ doit être accordé à A&S conformément à l'entente contractuelle et selon les travaux effectivement engagés par A&S en terme de remplacement de briques sur la façade sud du bâtiment D. Ce montant correspond à la réclamation d'A&S.
· Construction et modification d'une ouverture dans le bâtiment A
[154] Tel qu'il était prévu au contrat, A&S devait construire une ouverture dans le bâtiment A en forme de porte cochère. Cependant, selon A&S, CIGAL a demandé en cours de travail que la construction de l'ouverture soit modifiée afin de permettre à l'équipement d'un autre entrepreneur de pénétrer dans le bâtiment.
[155] A&S réclame 2 880 $ pour avoir procédé aux travaux de construction d'une ouverture plus large qu'initialement prévue.
[156] La réclamation d'A&S est basée sur une réclamation de travaux d'une durée de 48 heures pour la modification de l'ouverture en question.
[157] En contestation, Argus allègue avoir demandé à A&S de lui fournir un prix pour ce changement le 29 juillet, mais refuse de payer quoique ce soit, car elle n'a pas reçu de réponse à sa demande. Dans ce cas en particulier, M. Alka a témoigné ne pas avoir eu le temps de faire une facture, vu que le travail était extrêmement pressant.
[158] Par ailleurs, Argus reconnaît qu'A&S a fait le travail demandé, mais elle l'a jugé inadéquat.
[159] En effet, Argus a produit une facture de Delson datée du 19 novembre 2002 pour refaire un support plus adéquat.
[160] Le Tribunal conclut que ces travaux ont bel et bien été effectués par A&S à la demande d'Argus à la suite d'une modification contractuelle et qu'elle devrait être compensée par A&S pour ces travaux. Le Tribunal accorde 2 880 $ à A&S.
· Démolition de la partie supérieure du bâtiment D
[161] A&S réclame les travaux de démolition pour la partie supérieure du bâtiment D à la demande de CIGAL afin qu'une nouvelle structure, soit un penthouse, puisse être érigée sur le toit.
[162] Elle réclame 64 heures de travaux de démolition et ainsi, formule une réclamation de 3 840 $.
[163] Argus, pour sa part, conteste cette réclamation. Bien qu'elle ait eu connaissance qu'A&S ait démoli la partie supérieure du bâtiment D à la demande verbale de CIGAL, elle affirme qu'une telle démolition aurait dû nécessiter tout au plus 16 heures de travail.
[164] N'ayant pas reçu de soumission d'A&S et sans preuve documentaire, Argus refuse la réclamation.
[165] M. Adam, a reconnu avoir demandé à A&S d'effectuer cette réparation. Le Tribunal accorde à A&S cette réclamation de 3 840 $, malgré l'absence de facture préalable à la mise en demeure.
· Perte de productivité
[166] A&S allègue avoir subi une perte de productivité causée par des retards, des travaux supplémentaires et plus spécifiquement les conditions suivantes:
a) Arrêt des travaux par le maître d'œuvre;
b) Non-accès aux aires de travail;
c) Équipement en attente au bâtiment D, façade sud;
d) Équipement endommagé;
e) Déplacement d'équipement;
f) Non-disponibilité des bâtiments contrairement à ce que le contrat prévoyait;
[167] Selon M. Attia, A&S a droit à une compensation pour perte de productivité. Étant donné qu'il déclare que le projet était exécuté en mode "fast track", soit en mode accéléré, les retards dans l'établissement des exigences et l'élaboration de la documentation des ingénieurs sous différentes formes ont causé une baisse de productivité des travailleurs.
[168] De plus, l'expert affirme que les causes d'inefficacité suivantes ont contribué à cette perte de productivité, à savoir:
a) Surpopulation et congestion des corps de métiers;
b) Interruption;
c) Accès limité au site, lieu de travail;
d) Les effets de la propagation;
[169] M. Attia appuie son étude sur un document intitulé "Factors affecting productivity" pour ces quatre causes d'inefficacité cumulées et il conclut à une perte à 42 % de productivité.
[170] En multipliant ce facteur de 42 % de perte de productivité de la main-d'œuvre par le nombre d'heures totales consacrées au contrat, l'expert retient que 1670 heures ont été perdues. En multipliant ce nombre d'heures par 68,04 $ au taux horaire, il établit une perte de productivité subie par A&S à 113 627 $.
[171] Par ailleurs, A&S invoque à l'appui de cette réclamation la lettre du 3 juillet 2002[21] d'Argus à CIGAL où M. Houle déclare qu'une compensation minimum de 30 % à 40 % pour la perte de productivité serait normale dans les circonstances du chantier en question.
[172] Malgré le texte de la lettre précitée, Argus conteste avec vigueur cette réclamation. Selon elle et son expert, les travaux du projet devaient être réalisés en parallèle avec ceux des autres entrepreneurs. Il fallait prévoir qu'il y aurait interférence entre eux.
[173] Au cours des travaux, Argus a invité A&S à l'aviser de toute perturbation et de noter les incidents. Ainsi, deux mémos ont été adressés à Argus où des interruptions dans un cas de trois quarts d'heure et dans l'autre d'une heure ont empêché trois ou quatre hommes de travailler pour cette période. Cela ne justifie aucunement une réclamation pour perte de productivité selon Argus.
[174] Dans un premier temps, les témoins en défense et leurs experts ont nié que le projet était exécuté en mode "fast track". Ce contrat ayant été précédé d'esquisses précises avant sa réalisation.
[175] L'expert d'Argus, Mme Eugéni, critique l'utilisation par M. Attia de texte de doctrine lié à l'industrie de la mécanique pour lesquels le contexte est fort différent d'un chantier civil. Les causes d'inefficacité d'un chantier mécanique ne sont pas comparables à celles d'un chantier civil, ce dernier regroupant traditionnellement un nombre important de différents corps de métiers se chevauchant.
[176] De plus, elle conteste les choix de catégories retenues par M. Attia qui les additionne. Pour l'expert, tout au plus, si on devait retenir ce guide, la perte de productivité pourrait découler du facteur congestion sur le chantier où elle retiendrait tout au plus un pourcentage de 5 %.
[177] La documentation contractuelle au contrat, rappelons le, prévoyait le chevauchement des différents corps de métiers.
[178] Mme Eugéni conteste également le chiffre de 1670 heures perdues, alors que dans sa mise en demeure du 20 décembre 2002, A&S avait évalué une perte de productivité à 642 heures.
[179] Finalement, Mme Eugéni questionne le choix de s'appuyer sur un taux horaire de 68,00 $, lequel inclut les frais généraux, d'équipement, de matériaux et profit qu'A&S allègue avoir perdu au moment de sa soumission.
[180] En effet, Argus ajoute que la perte de productivité est davantage liée à une main-d'œuvre non expérimentée sur les lieux.
[181] Argus allègue que le Règlement sur la formation professionnelle de la main-d'œuvre de l'industrie de la construction[22] exige que des équipes de maçons soient formées d'au plus un apprenti pour cinq maçons. Cependant, la réalité de la proportion sur le chantier était plutôt de l'ordre de 11 apprentis pour un maçon. Le manque de main-d'œuvre qualifiée expérimentée a contribué, selon Argus et CIGAL, au manque de productivité d'A&S sur le chantier.
[182] Pour sa part, A&S rétorque que le Règlement sur la formation professionnelle n'exige pas le ratio de cinq maçons pour un apprenti pour des travaux de restauration de maçonnerie.
[183] Par ailleurs, A&S a également mis en preuve, par le témoignage de M. Alka, qu'il a constitué ses équipes de travail après consultation de différentes personnes, soit des représentants des syndicats et ceux de la CCQ qui venaient régulièrement sur le site vérifier les cartes de compétence des différentes personnes impliquées sur le projet. Deux poursuites ont été initiées, malgré des dizaines d'avis d'infraction. Une poursuite a été réglée et l'autre a été plaidée, il y a trois ans. Les parties demeurent dans l'attente du jugement[23].
[184] Selon la preuve, une partie importante des employés d'A&S sur le projet, soit tous les apprentis de première année, ont été affectés à ce contrat à titre de toute première expérience sur un chantier dès leur sortie de l'école. Le manque d'encadrement et d'outils a également été mis en preuve par ces deux employés.
[185] À la lumière de l'abondante correspondance d'A&S tout au long du dossier et en particulier de la lettre du 3 juillet 2002 précitée[24], le Tribunal retient qu'A&S a été confrontée à des problèmes de chantier qui ont eu un impact sur sa productivité.
[186] Cependant, le Tribunal estime que cette perte de productivité découle principalement des difficultés d'adaptation d'A&S aux conditions du chantier. Par ailleurs, A&S évalue dans sa mise en demeure du 20 décembre 2002 sa perte de productivité à 642 heures. Alors que M. Attia établit la perte de productivité à 1670 heures. Le Tribunal ne peut à l'instar de la critique formulée par l'expert en défense, Mme Eugéni, accepter ces chiffres.
[187] Le Tribunal retient les éléments soulevés par Mme Eugéni pour contester l'évaluation de M. Attia des causes de perte de productivité. En effet, le Tribunal conclut que la perte de productivité d'A&S découle principalement de son manque de main-d'œuvre qualifiée, de ses difficultés de coordonner son travail sur le chantier en présence des autres corps de métiers et à un manque d'équipement de travail adéquat.
[188] De plus, le Tribunal rejette l'argument d'A&S à l'effet que le chantier était mené en mode "fast track". En l'espèce, l'on ne peut, même à la lumière des changements de travaux requis en cour de route, conclure qu'il s'agit d'un tel projet. Il s'agit d'un projet où des esquisses précises ont permis aux soumissionnaires d'évaluer l'ampleur des travaux, et ce, même si des changements sont survenus en cour d'exécution, pour lesquels des ajustements monétaires ont suivi.
[189] Le Tribunal estime que la preuve établit que la perte de productivité ne provient pas d'Argus ou CIGAL. En conséquence, la réclamation d'A&S pour perte de productivité est rejetée.
· Coûts additionnels du personnel, supervision et support technique
[190] A&S réclame une somme de 36 850 $ pour la compenser des heures supplémentaires de différents intervenants.
[191] Ainsi, A&S réclame 20 400 $ pour les heures supplémentaires effectuées par M. Alka afin de coordonner et planifier les travaux retardés. Ce dernier a témoigné à l'effet qu'il devait être sur le chantier de façon continuelle du matin ou soir sept jours semaine, puisque sa présence était requise, compte tenu de la désorganisation en général du chantier.
[192] Également, A&S réclame 11 050 $ pour les heures additionnelles effectuées par M. Baygin pour planifier et coordonner les travaux avec les autres entrepreneurs. Ce dernier était sur les lieux du chantier les matins afin de faciliter la coordination du contrat. Cependant, dès le mois de juin, compte tenu des difficultés rencontrées sur le chantier, M. Baygin a augmenté sa présence sur le chantier et A&S en réclame les heures, puisque cette présence a été requise par CIGAL.
[193] En effet, l'on retrouve des mentions dans les réunions de chantier et dans la correspondance à l'effet qu'une présence prolongée de M. Baygin est souhaitée, notamment pour pallier à l'unilinguisme anglophone de M. Alka qui avait de la difficulté à communiquer avec ses propres employés unilingues francophone ou avec les autres sous-traitants sur le chantier.
[194] M. Baygin a effectivement augmenté ses heures de présence sur le chantier pour tenter de venir en aide à la coordination.
[195] Dans la même veine, étant donné que M. Baygin n'était pas disponible à temps plein, A&S a dépêché sur le chantier M. Trampush, ingénieur, pour qui elle réclame 5 400 $.
[196] Le montant réclamé pour les heures supplémentaires de M. Alka et de M. Baygin n'a pas été défrayé par A&S, mais celle-ci s'est engagée à le faire sur réception des sommes à l'issue du jugement à intervenir.
[197] Par ailleurs, M. Baygin a émis des factures à cet égard qui demeurent impayées.
[198] Enfin, la facture de M. Trampush a été acquittée par du troc, étant donné qu'A&S a effectué des travaux de rénovation et restauration sur sa résidence personnelle.
[199] Argus conteste cette réclamation et refuse de l'acquitter. Aucune entente n'a été souscrite entre les parties aux fins de payer du temps supplémentaire pour M. Alka dont c'était de toute façon la responsabilité.
[200] D'ailleurs, Argus n'a reçu aucune facture pour les heures et la réclamation de M. Alka.
[201] En ce qui concerne la réclamation pour les heures supplémentaires de M. Baygin et les services de M. Trampush, M. Alka a reconnu à l'audience qu'aucune entente n'était intervenue entre les parties à cet égard.
[202] De plus, Argus ajoute qu'il y va de la responsabilité d'A&S de fournir sur le site le personnel qualifié pour mener à terme son projet.
[203] Le Tribunal estime que la réclamation pour les heures supplémentaires est mal fondée, car A&S doit nécessairement absorber tous frais qu'elle a décidé d'encourir aux fins de rendre disponible du personnel pour mener à bien sa tâche.
[204] Les heures effectuées par M. Alka, bien qu'elles aient été nombreuses, devaient faire partie de l'estimation préliminaire du dossier, de même que celles de M. Baygin.
[205] Quant à l'ajout des heures supplémentaires pour M. Baygin et M. Trampush, elles résultent d'une décision d'A&S afin de tenter d'améliorer la situation sur le terrain du chantier et de tenter de préserver ses relations avec Argus et CIGAL. La réclamation est refusée.
· Réclamation pour les équipements et matériaux additionnels ou non récupérés
[206] A&S détaille dans sa mise en demeure du 20 septembre 2002 les coûts des équipements et matériaux qu'elle réclame.
[207] Nous les commentons:
a) Support temporaire pour bâtiment A et location additionnelle du mois de septembre à la réalisation du contrat 2 800 $;
[208] Ces frais sont issus d'un extra demandé par CIGAL et ajoutés au contrat original. Selon la preuve, cette location est issue de travaux additionnels requis par CIGAL. Ils sont donc accordés à A&S. Le Tribunal accorde à A&S cette réclamation de 2 800 $.
b) Trois conteneurs;
[209] A&S allègue avoir loué trois conteneurs additionnels, car ses propres conteneurs ont été utilisés par d'autres sous-traitants sans son autorisation. Ces trois conteneurs ont coûté chacun 350 $ pour une réclamation de 1 050 $. La preuve a démontré que des conteneurs loués par A&S ont été utilisés par d'autres sous-entrepreneurs et remplis de débris de démolition. Le Tribunal retient qu'A&S a été contraint de louer des conteneurs additionnels.
[210] La réclamation d'A&S est donc bien fondée pour 1 050$.
c) Cornières et vérins;
[211] A&S réclame, pour l'achat de cornières et la location de vérins supplémentaires pour exécuter les travaux extracontractuels de l'ouverture du bâtiment A, soit un montant de 500 $. Il s'agit de coûts reliés à un extra qui doivent être compensés à A&S. Le Tribunal accorde un remboursement de 500 $ à A&S.
d) Location d'une grue;
[212] A&S réclame 3 837 $ pour les coûts de location d'une grue à la demande de CIGAL pour compléter les travaux aux étages supplémentaires du bâtiment D. Cette réclamation est liée aux travaux exécutés par d'autres entrepreneurs à la structure et au toit, ayant forcé A&S à louer une grue pour avoir accès à ces aires de travail, étant donné qu'elle ne pouvait uniquement utiliser ses échafaudages volants qui devaient être suspendus à partir de ce même toit.
[213] Le Tribunal estime qu'A&S devait fournir les équipements pour les travaux qu'elle s'était engagés de réaliser. Dans les plans originaux, le toit du bâtiment D devait être démoli dès le début du contrat, de sorte qu'il n'a jamais été possible, selon les documents contractuels, d'accrocher des échafaudages pour effectuer des travaux. Cela entraînerait nécessairement la location d'une grue pour pouvoir travailler sur les étages supérieurs.
[214] Il s'agit, selon le Tribunal, d'une dépense relevant de la responsabilité d'A&S, celle-ci doit absorber ces coûts, compte tenu des travaux qu'elle devait effectuer.
e) Matériaux et équipements laissés sur le chantier;
[215] A&S réclame pour le solde d'inventaire des produits chimiques achetés au début du contrat pour couvrir les besoins des travaux à savoir: 15 sceaux de Dietrich à 106 $ et 11 sceaux de Aquatrich à 100 $ pour un total de 3 140 $.
[216] Les témoignages sont contradictoires quant aux équipements laissés sur place. Cependant, selon la preuve, à part certains équipements demandés par Argus lors de la résiliation du contrat, Argus a invité A&S à venir chercher l'ensemble de ses biens et matériaux sur le terrain dans un délai très court.
[217] Mme Savor a déclaré que les produits chimiques n'auraient pas pu être réutilisés ailleurs sur un autre chantier. Cependant, aucune autre preuve n'a été apportée à cet égard. Le Tribunal estime qu'il en était de la responsabilité d'A&S de récupérer ses matériaux. Cette réclamation est donc refusée.
[218] A&S réclame 1 000 $ pour du bois acheté et laissé sur le site. Tel qu'indiqué plus haut, le Tribunal estime qu'il en revenait à A&S de venir récupérer les matériaux laissés sur le chantier une fois que le contrat était résilié. La réclamation est refusée.
[219] A&S formule une autre réclamation non précise pour de l'équipement laissé sur les lieux du chantier et non récupéré pour un montant de 2 000 $. Le Tribunal maintient son approche et refuse cette réclamation, faute de preuve.
f) Location de roulotte;
[220] Location d'une roulotte pour une période de quatre mois qui, selon A&S, était à la charge d'Argus de 1 600 $. Contrairement à ce qu'allègue A&S, le contrat prévoyait que les roulottes devaient être fournies par A&S. La réclamation est donc refusée.
[221] En résumé, le Tribunal accorde un montant total de 41 330 $ à A&S pour les réclamations d'A&S pour les montants non prévus au contrat.
3) Réclamation pour perte de profits anticipés
[222] A&S réclame 55 089,40 $ pour la perte des profits anticipés à la suite de la résiliation du contrat.
[223] Le Tribunal ne peut accorder à A&S sa perte de profit réclamée.
[224] A&S a échoué dans ce projet, largement à cause de son inefficacité. Pour réclamer sa perte de profit, il aurait fallu qu'A&S convainque le Tribunal qu'elle pouvait compléter le contrat conformément à la soumission, c'est-à-dire dans les délais et en complétant les travaux requis. À l'échéance, seulement 38 % du contrat était complété. Le non-accomplissement de plus de 60 % des travaux envisagés n'est pas dû à l'inefficacité d'Argus, mais à celle d'A&S. En conséquence, le Tribunal rejette cette réclamation.
[225] En résumé, le Tribunal accorde à A&S la somme de 104 735,53 $.
B. La réclamation d'Argus
[226] Dans un premier temps, Argus réclame d'A&S les sommes supplémentaires qu'elle a dû verser à ses nouveaux sous-traitants à la suite de la résiliation du contrat. En effet, Argus a établi sa réclamation en tenant compte des sommes qu'elle aurait été appelée à verser à A&S, si cette dernière avait complété les travaux selon l'entente unilatérale.
[227] Argus réclame des montants d'A&S au motif qu'à la suite de la résiliation du contrat, elle a dû engager d'autres sous-traitants. Ces réclamations ont été formulées dans le cadre de l'action entreprise par Argus contre A&S.
[228] Dans un premier temps, pour plus de clarté, il faut reprendre les montants réclamés pour les expliquer.
[229] La réclamation totale d'Argus est de 363 466,16 $. Cette somme est composée de quatre réclamations.
[230] Argus poursuit pour la différence entre le coût du contrat confié à A&S et les coûts engagés pour la complétion des travaux, soit la somme de 63 459,64 $.
[231] En effet, Argus a déboursé 865 839,64 $ à titre de coûts engagés pour la complétion des travaux, alors qu'elle s'était initialement engagée envers A&S à lui débourser l'équivalent de 802 380 $. Ce dernier montant tient compte du contrat initialement confié à A&S et des travaux extracontractuels qui ont été confiés à cette dernière avant sa résiliation.
[232] À ce montant, Argus ajoute la somme de 191 807,75 $ qu'elle réclame d'A&S. Cette dernière somme est composée elle-même de deux montants. Dans un premier temps, la retenue contractuelle de 10 % conservée par Argus tout au long de l'exécution du contrat d'A&S qui se chiffre au montant de 183 114 $.
[233] À cela s'ajoute un montant de 8 693,75 $ qui fut remis à A&S à titre d'une avance de 10 000 $, soit le montant précité avec taxes, afin qu'A&S en juin 2002 engage quatre maçons supplémentaires pour accélérer la cadence des travaux, ce qui ne fut pas fait.
[234] De plus, Argus réclame le remboursement effectué par elle à la CCQ au bénéfice d'A&S pour la période précédant la résiliation contractuelle. Cette somme de 33 198,67 $ est également reconnue par A&S comme étant due à Argus.
[235] Enfin, Argus réclame 75 000 $ au chapitre des troubles et inconvénients. L'ensemble de la réclamation d'Argus excluant les taxes est donc de 363 466,16 $.
[236] Dans le cadre de la réclamation d'A&S, le Tribunal a déjà tranché le sort réservé à quelques-unes de ces réclamations.
[237] Ainsi, le Tribunal a disposé de la réclamation ayant trait à la réclamation d'Argus de payer le montant de 183 114 $ équivalant à la valeur de 10 % des travaux dans le cadre de l'analyse de la réclamation d'A&S pour ses paiements progressifs. De plus, le Tribunal a également tenu compte de la réclamation d'Argus pour le 10 000 $, soit le 8 693,75 $ plus taxes et le remboursement dû par A&S pour une obligation acquittée à la CCQ de 33 198,67$[25]. Il ne reste qu'à trancher la réclamation d'Argus pour son profit manqué et pour sa réclamation au chapitre des dommages-intérêts pour troubles et inconvénients de 75 000$.
· Réclamation de 63 459,64 $ pour le profit manqué
[238] Cette réclamation provient des calculs de Mme Eugéni.
[239] Pour établir ses chiffres, l'expert d'Argus a suivi une méthodologie qu'il convient d'expliquer. Dans un premier temps, Mme Eugéni établit la proportion des travaux prévus au contrat initial exécutés par les autres sous-traitants. Elle établit que par rapport à l'entièreté du contrat, la proportion de travaux initialement prévus confiés à A&S qui a dû être complétée par d'autres sous-traitants est de 78 % par opposition à 22 % de l'ensemble des travaux postrésiliation qui ont été ajoutés au contrat initial.
[240] En retenant cette proportion, Mme Eugéni avance un calcul où elle détermine que les coûts postrésiliation contractuels des matériaux confiés à d'autres sous-entrepreneurs excluant les coûts extra-contractuels ont été de 73 771,68 $.
[241] Les coûts de location postrésiliation contractuels ont été établis à 71 417,11 $ par l'expert, Mme Eugéni. À cela, elle ajoute le coût de 19 333,45 $ pour les services d'un représentant sur les lieux, monsieur Guy Arès, embauché pour faire la supervision des différents sous-traitants. Elle ajoute également les coûts des travaux postrésiliation de 701 317,40 $.
[242] C'est ainsi que le total de l'ensemble de ces montants est de 865 839,64 $, soit le chiffre retenu dans la déclaration d'Argus à titre des coûts engagés pour la complétion excluant les taxes[26].
[243] Le Tribunal doit décider si dans ce cas, il est possible pour Argus d'être compensée pour son manque à gagner par rapport aux coûts supplémentaires engagés afin de faire compléter par d'autres sous-traitants les travaux initialement confiés à A&S. En l'occurrence, le profit aurait été plus important pour Argus si A&S avait exécuté son contrat selon les termes initialement convenus. C'est d'ailleurs sur cette base qu'Argus a formulé sa soumission auprès de CIGAL.
[244] Ainsi, Argus se croyait assurée de réaliser une marge de profit d'environ 10 %. Ayant eu recours à une série de sous-traitants qui lui a coûté plus cher qu'A&S lui aurait coûté, si cette dernière avait complété ses travaux. Argus allègue avoir grugé sa marge de profit et l'avoir réduite de façon substantielle. Elle réclame donc la différence, soit 63 459,64 $.
[245] En l'instance, au moment de la résiliation, c'est Argus qui a choisi de mettre fin à sa relation avec A&S, et ce, sous la pression de CIGAL. Bien que le Tribunal estime que l'arrêt de travail d'A&S était inapproprié et qu'en conséquence, la résiliation était justifiée, il demeure qu'Argus a fait le choix de se débarrasser d'A&S en la sommant de quitter le chantier plutôt que de continuer avec elle.
[246] En effet, lorsqu’Argus décide de mettre fin au contrat, elle sait qu'elle devra faire affaire avec d'autres sous-traitants et que la main-d'œuvre qualifiée est rare. Elle sait aussi que l'hiver approche et que le temps est compté pour que la maçonnerie soit terminée afin que les fenêtres puissent être installées pour faciliter le travail à l'intérieur du bâtiment au cours de l'hiver.
[247] Ainsi, le Tribunal retient de la preuve que lorsqu’Argus met fin au contrat d'A&S, elle sait que des conséquences économiques allaient en découler. À cette époque, Argus avait encore le choix de mettre fin ou non au contrat.
[248] Le Tribunal refuse en conséquence d'accorder à Argus sa réclamation pour le manque à gagner issu de sa perte de profit.
· La réclamation de 75 000$ pour dommages
[249] Argus réclame un montrant de 75 000 $ pour dommages causés à la suite de l'inscription de l'hypothèque judiciaire dans ce dossier.
[250] Argus soutient que l'hypothèque judiciaire inscrite sur l'ensemble des immeubles composant le projet Redpath pour un montant de 354 604,82 $ était déraisonnable et a causé des dommages à Argus.
[251] Soulignons que tant CIGAL qu'Argus ont contesté le montant de l'hypothèque légale, alléguant que la plus value des travaux d'A&S était d'au plus 34 561,58$[27].
[252] Ce débat n'a pas eu lieu, vu l'entente homologuée par jugement selon laquelle un cautionnement a été versé et est demeuré en fidéicommis jusqu'au présent jugement.
[253] La réclamation de 75 000 $ a été étayée par le témoignage de M. Houle qui a expliqué avoir été contraint de souscrire une hypothèque sur sa résidence familiale dont il est copropriétaire avec son épouse qui n'est nullement impliquée dans ce dossier. Ce besoin de financement lui a causé beaucoup de stress, dont il se serait volontiers passé.
[254] La preuve n'a pas démontré qu'Argus ait subi un préjudice lié à des difficultés d'obtenir du financement par la suite. Argus n'a pas été empêché de soumissionner ou d'obtenir d'autres contrats.
[255] Ainsi, les troubles et inconvénients exprimés par M. Houle ne peuvent être recouvrés par Argus, alors que ni M. Houle ni son épouse ne sont parties à cette instance.
[256] En conséquence, la réclamation d'Argus pour dommages ne peut être accueillie. À tout évènement, le Tribunal ne conclurait pas que l'hypothèque légale est exagérée au point de condamner A&S à des dommages-intérêts. Dans le cas sous étude, ce n'est qu'a posteriori et avec un jugement final que les parties peuvent connaître avec certitude le montant approprié d'hypothèque légale. Ici, il n'y a pas eu démonstration que le montant d'hypothèque légale était dénudé de fondement d'autant plus que les représentants des parties ont souscrit une entente pour substituer cette garantie par un dépôt.
RÉCLAMATION D'A&S CONTRE AXA
[257] En conséquence d'une garantie déposée par CIGAL relativement à des sommes dues par cette dernière à Argus, il n'y a pas lieu pour le Tribunal de donner suite à la réclamation formulée par A&S à l'encontre d'AXA.
[258] En effet, les sommes déposées dans le cadre du dépôt sont largement suffisantes pour couvrir les montants réclamés par A&S. C'est ainsi que le Tribunal rejette la réclamation d'A&S à l'encontre d'AXA, mais sans frais, vu le sort réservé aux réclamations des différentes parties dans le dossier joint et le fait qu'AXA ait été représentée par les procureurs d'A&S, les moyens de contestation soulevés par AXA étant identiques aux moyens soulevés par Argus.
LES DÉPENS
[259] En dernier lieu, le Tribunal doit se prononcer quant aux dépens et aux frais d'experts réclamés.
[260] Dans l'attribution des dépens, le Tribunal doit tenir compte du résultat de l'action instituée par Argus et de la demande reconventionnelle instituée par A&S.
[261] Un arrêt récent de la Cour d'appel a donné l'occasion à la juge Thibault de refaire le point sur cette question dans Michaud c. Équipement ESF Inc. [28].
[262] Dans cet
arrêt, la Cour d'appel discute du remboursement des frais d'experts dans le
cadre de l'attribution des dépens. En vertu de l'article
[263] Le juge doit alors évaluer l'utilité de l'expertise en se plaçant dans la position de l'avocat qui a commandé l'expertise au moment où la décision a été prise et non pas a posteriori, lorsque le résultat final est connu.
[264] Dans le cas sous étude, tant A&S que Argus ont retenu les services d'ingénieurs pour les appuyer dans leurs réclamations respectives et pour soutenir leurs défenses respectives.
[265] Les expertises comptables ont été nécessaires et utiles dans ce dossier.
[266] Les coûts
des expertises sont par ailleurs extrêmement élevés dans les deux cas. Il
s'agit d'un dossier où une ordonnance a été rendue afin que les experts se
rencontrent et rédigent un rapport sous l'article
[267] Par ailleurs, le Tribunal a décidé des dossiers réunis en donnant raison en partie tant à A&S qu'à Argus. En effet, la réclamation d'A&S formulée dans sa demande reconventionnelle a été accueillie partiellement et la position d'Argus à l'effet qu'il y avait eu résiliation de contrat à cause du comportement fautif d'A&S a également été accueillie ainsi que sa demande de compensation.
[268] En conséquence, le Tribunal estime justifié de faire supporter à chacune des parties ses frais d'experts et dépens. Du côté de CIGAL, son rôle au dossier a été limité à contester la valeur de l'hypothèque légale inscrite sur sa propriété. La substitution de l'hypothèque légale par un dépôt en fidéicommis a pour ainsi dire mis fin à l'opposition entre A&S et Argus. N'eut été de la demande reconventionnelle formulée par A&S contre CIGAL, cette dernière n'aurait sans doute pas pris de part active dans ce procès. Le Tribunal accorde donc à CIGAL ses dépens qu'elle ordonne à A&S de compenser.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
Dossier: 500-17-015932-034
[269] ACCUEILLE en partie la demande ré-ré-ré-réamendée de Constructions Argus inc., en ce qui concerne la demande de compensation;
[270] ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle de Entreprise A & S Tuckpointing inc.;
[271] CONDAMNE Constructions Argus inc. à verser, à même les sommes détenues en fidéicommis par le cabinet Borden, Ladner, Gervais, la somme de 104 735,53 $ avec intérêt et indemnité additionnelle depuis la date de mise en demeure du 13 décembre 2002. En conséquence, le Tribunal libère le solde du montant détenu en fidéicommis par le cabinet Borden, Ladner, Gervais pour qu'il soit remis à Construction Argus inc.;
[272] CONDAMNE Entreprise A & S Tuckpointing inc. à payer les dépens judiciaires de Compagnie Immobilière Gueymard & Associés Ltée, excluant les frais d'experts;
[273] En ce qui concerne A & S Tuckpointing Inc. et Constructions Argus inc., chaque partie payant ses frais et assumant ses frais d'experts.
Dossier: 500-17-017374-037
[274] REJETTE la réclamation à l'encontre de AXA Assurances inc.;
[275] LE TOUT sans frais.
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_________________________________ CHANTAL CORRIVEAU, j.c.s. |
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Me Yvan Houle et Me Marie-Eve Léveillé |
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Borden, Ladner, Gervais |
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Avocats de Compagnie Immobilière Gueymard & Associés inc. |
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Me Mathieu Turcotte |
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Miller, Thomson, Pouliot |
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Avocat de Constructions Argus inc. et AXA Assurances inc. |
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Me Roland-Yves Gagné |
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Gagné, Toboloewski |
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Avocat de Entreprise A & S Tuckpointing Inc. |
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Dates d’audience : |
Du 9 au 25 février 2011, à l'exception du 15 |
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[1] Ces réclamations sont formulées dans la requête et la demande reconventionnelle que l'on retrouve au dossier 500-17-015932-034.
[2] Une déclaration de règlement hors cour a été déposée en début d'audience mettant fin au litige entre CIGAL et Argus.
[3] Cette réclamation se retrouve dans le dossier 500-17-017374-037.
[4] Selon le jugement rendu le 2 décembre 2003 par l'honorable Jean-Jacques Croteau.
[5]
JUTRAS, Daniel, La résiliation unilatérale du contrat
ou les joies de l'exégèse,
[6]
Société de transport de Longueuil c. Marcel Lussier ltée,
[7]
Felvic Inc c. A & A Démolition (Québec) ltée,
[8]
2 juin 2004,
[9] GAUDET S., Réflexions sur le droit de l'entrepreneur au gain manqué en cas de résiliation unilatérale du contrat d'entreprise ou de service, Conférence Meridith, 1998-1999, Faculté de droit de l'Université McGill, 2000, Cowansville, les Éditions Yvon Blais inc., p.127.
[10] Pièce P-11.
[11] Pièce P-12.
[12] KARIM Vincent, Les contrats d'entreprise, de prestations de service et de l'hypothèque légale, Montréal, Wilson et Lafleur, 2003, p.14 à 16; Voir aussi LAMONTAGNE Denys-Claude, Droit spécialisé des contrats, vol.2, Les contrats relatifs à l'entreprise, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc,1999, p.112.
[13] BAUDOUIN, J.-L., JOBIN P.G., Les Obligations, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 6ième édition, no 801 et suivants.
[14] Pièce D-27.
[15] L'on constate par ailleurs que les apprentis sur le projet ont peu d'expérience étant, pour la plupart, nouveaux dans le domaine.
[16] La lettre de M. Baygin adressée à M. Houle qui est datée du 1er octobre 2002, dont un extrait est reproduit au paragr. 65 et le courriel de M. Trampush à Mme Savor daté du 1er octobre 2002, pièce P-30, réfèrent spécifiquement à l'épuisement financier d'A&S.
[17] Ce montant apparaît dans la Re-amended defense to the re-amended motion to institute proceedings and cross-demand, mais est erroné. Le montant qu'on devrait y lire est 34 561,58 $.
[18] Pièce P-5.
[19] Voir le texte reproduit au paragr. 65.
[20] Pièce P-30.
[21] Dont le texte est cité au long au paragraphe 49.
[22] L.R.Q., c. R-20, r. 6.2.
[23] Il s'agit du dossier portant le numéro 500-61-164743-032.
[24] Voir paragr. 49.
[25] Ces montants ont été pris en compte dans l'analyse du premier volet de la réclamation d'A&S pour le paiement des décomptes progressifs, voir les paragr. 118 et suivants.
[26] Ce qui équivaut à 995 932,05 $ en y ajoutant les taxes. Cependant, la réclamation a été formulée sans taxes.
[27] Selon la requête ré-ré-ré-réamendée datée du 28 février 2011.
[28]
[29] Le total des coûts d'expert d'A&S est de 85 524,92 $ (incluant les taxes). Le total des coûts d'expert d'Argus est de 93 938,39 $ (incluant les taxes).