Décision

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2963-0456 Québec inc. c. Performance Guarantees (Québec inc.)

2011 QCCS 1460

JN0235

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-05-008333-930

 

 

 

DATE :

29 mars 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

RICHARD NADEAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

2963-0456 QUÉBEC INC., corporation dûment constituée en vertu des lois de la Province de Québec, ayant son principal établissement au 1440, rue de Jaffa, Fabreville, Laval, district de Laval, Province de Québec J7P 4K9 et agissant pour les fins des présentes à titre de commandité de Société en commandite AGAGUK et à titre de cessionnaire des droits de la Société en commandite AGAGUK;

Demanderesse

c.

PERFORMANCE GUARANTEES (QUÉBEC INC.)

et

MARK OPPENHEIM;

et

V.W. BROAD UNDERWRITING AGENCIES LTD, V.W. BROAD AND OTHERS SYNDICATE  370 AND V.W. BROAD SYNDICATE;

et

DOMINIC ADAMS;

           Co-défendeurs

 

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]           Le 7ième art, comme il est souvent appelé, est un monde extraordinaire, merveilleux, mais aussi trompeur.

[2]           Qui soupçonne, en effet, tout ce qui s'est passé derrière les rideaux ou dans les coulisses avant que ne soit enfin ficelée et livrée au public une histoire cohésive et rythmée qui dure 100 ou 120 minutes à l'écran?

[3]           Sait-on qu'à partir d'un roman ou d'une idée, on a dû s'assurer de la participation de centaines ou même de milliers de personnes pour faire vivre les personnages, leur donner des traits, les placer dans un ou des environnements physiques, en harmoniser la présence avec celle d'animaux qui deviendront aussi acteurs, sans le savoir, bref, produire un film en espérant qu'il plaira.

[4]           Et pour que tout cela se fasse, il faut, d'abord et avant tout, trouver le financement qui permettra  de réaliser ce rêve du producteur et de son équipe. 

[5]           C'est en substance de tout ceci, ou d'une partie de ceci, dont il sera question dans le jugement qui suit et qui traite de certains déboires des producteurs du film  AGAGUK, tourné au début des années 1990 et mis en circulation trop tard, en 1992, pour qu'il puisse devenir populaire et enrichir ceux impliqués dans sa production, de près ou de loin.

[6]           Avant toute autre chose, il y a lieu de décrire les "joueurs" dans la partie qui nous concerne, soit le financement de la production, puis les dépassements de coûts qui sont à l'origine de la présente affaire.

[7]           Ainsi, ceux dont les noms suivent et qui seront mentionnés, parfois par acronyme ou par abréviation, ont été présents à diverses époques avant, pendant et après la production d'Agaguk et ont participé à ce qui a amené la poursuite.

Les acteurs:

[8]           Claude Léger (Léger): Était jeune producteur de films en 1989, ayant déjà à son actif une trentaine de films, en plus de la réalisation de centaines d'annonces commerciales de toutes sortes (P-24). Il sera le producteur et, à certains égards, le financier grâce auquel Agaguk pourra voir le jour. Nous y reviendrons.

[9]           Charles Smiley (Smiley): Était avocat à Montréal depuis le début des années 1970, ayant entre-temps concentré ses énergies sur le droit fiscal puis sur la mise sur pied d'abris fiscaux pour la production de films, ce que les deux niveaux de gouvernement encourageaient à cette époque, surtout depuis le milieu des années 1970. Il sera engagé pour Agaguk comme avocat et co-producteur, ce film étant un des derniers à être financé sous les anciennes règles fiscales.

[10]        Lévesque, Beaubien, Geoffrion (L.B.G.): Courtiers en valeurs mobilières, filiale de la Banque Nationale (B. Nat.) dont le rôle était ici de placer l'investissement dans Agaguk auprès de clients désirant profiter de rabais fiscaux importants (166 2/3 %, au provincial, du montant acheté,  62% au Fédéral: P-2) Ces souscripteurs ont tous été trouvés par L.B.G. qui s'étaient constitués "preneur ferme" de la totalité de l'investissement de 23,000,000$ canadiens, représentant 80% du budget, l'autre 20% étant la part française de cette co-production.

[11]        L.B.G. étaient représentés pendant le montage financier et jusqu'à la clôture par Me  Jean-marc Fortier (Fortier). Il viendra témoigner devant le soussigné.

[12]        Performance Guarantees Québec Inc. (P.G.Q.I.): Cette compagnie est une filiale de Performance Guarantees Inc. (P.G.I.) laquelle est à l'époque spécialisée dans la gestion externe de budgets et de production de films depuis plusieurs années, un peu partout dans le monde. Elle agit en effet comme Garant de Bonne Fin (G.B.F.), c'est à dire comme représentant d'investisseurs ou de bénéficiaires et son rôle est de participer activement, agressivement au besoin, à toute la production, du début à la fin, d'un film que ces personnes ont financé: une sorte de chien de garde dont nous verrons plus loin les vastes pouvoirs.

[13]        Lawrence Vanger: Aurait d'abord travaillé avec un des pionniers dans le monde des garanties de bonne fin, Sidney Kaufman, et aurait continué les affaires comme G.B.F. au décès de ce dernier. Actionnaire de p.g.i., il aurait été présenté à Adams par Hayward et se serait fait accorder une "line", soit une sorte d'approbation continue, ensuite ajustée ("slipped") selon chaque production agréée par Adams, selon les représentations à lui faites par Hayward et Vanger sur tel ou tel projet de film. Malheureusement, il décédera en août 1991, au milieu des problèmes d'Agaguk. Il sera remplacé à pied levé par son fils Jonathan (Jonathan) qui tentera bien de régler les problèmes mais sans succès.

[14]        Gerry Arbeid (Arbeid): Il sera le représentant sur place, du moins fréquemment, de Vanger et P.G.Q.I., chargé de la surveillance de toutes les phases de la production d'Agaguk. Smiley a  témoigné à l'effet  qu'Arbeid et Léger auraient eu des difficultés de communications importantes sur le plateau, ce qui expliquerait certaines lettres négatives. Arbeid serait décédé à une époque non déterminée et n'a donc pas  témoigné devant le soussigné.

[15]        Lloyd's Underwriters: Il s'agit des fameux Lloyd's, mais la partie Non-Maritime. Les Lloyd's regroupent depuis des siècles des «Names» (Noms) qui peuvent être des individus ou des Syndicats et ceux-ci font essentiellement dans le commerce des assurances ou cautionnements d'à peu près tout risque, moyennant évidemment commission ou prime. Ils sont ici plusieurs Syndicats des Lloyd's ou de l'extérieur (Company underwriters) sur le risque, étant cependant menés par un "Lead Underwriter", dont les décisions lient les autres. Nous y reviendrons.

[16]        Dominic Adams (Adams): Il est à l'époque l'un des plus expérimentés dans le domaine des productions cinématographiques, ayant couvert, comme "Lead Underwriter" pour son syndicat Vic. Broad Underwriting et al., et ses anciens employeurs, de nombreuses productions de films, sur une période de 25 ans. C'est lui qui décide si un film va être produit ou non, en autorisant ou non une assurance/cautionnement à un G.B.F. dont le producteur a un besoin vital, sauf s'il s'agit d'une grande maison de production qui peut se permettre de financer ses films par ses propres ressources. Il serait décédé (il a été poursuivi comme co-défendeur mais on a pas fait ou produit de reprise d'instance au dossier). On a produit la transcription de son interrogatoire hors cour de décembre 1993 dans le cadre de poursuites en parallèle d'ABN (C.S.M. 500-05-001825-932 et C.S.M. 500-05-019842-928), sur lesquelles nous reviendrons brièvement plus loin.

[17]        Hayward and Company Ltd courtiers: Fred Hayward (Hayward) est le courtier, par l'entremise de sa compagnie, qui place des risques liés à la production de films et ce, en faveur de G.B.F., surtout par les Lloyd's. Il devra, à l'occasion, placer des pourcentages de ces risques à l'extérieur des Lloyd's, comme nous le verrons ici. En pratique, il est le conduit, le chaînon essentiel entre un G.B.F. et Adams, celui qui prépare la police et tout autre document d'attestation de couverture d'assurance ou de cautionnement, celui qui négocie les pourcentages de commissions ou de prime, celui qui prend ses instructions de Adams, celui qui détient toute la documentation pertinente, celui qui place le risque, souvent auprès de dizaines de syndicats ou d'autres à l'extérieur des Lloyd's. Bref, c'est l'homme-orchestre puisque personne ne peut approcher directement ou communiquer ou parler à Adams sauf par son entremise et avec le consentement de Adams, apparemment rare! Lui aussi est décédé mais on a produit la transcription de son interrogatoire par commission rogatoire à Londres en avril 1994 dans le cadre des mêmes dossiers.

[18]        Sylvain Proulx: Il était le comptable (C.A.) de Léger à l'époque, tout en pratiquant sa profession en parallèle dans un cabinet de comptables. Il se spécialisera dans la comptabilité de films. Il est le seul actionnaire de la demanderesse 2963-0456 Québec Inc., incorporée pour remplacer Film Acquisitions Ltd., elle-même constituée au départ pour procéder au rachat des commanditaires investisseurs, selon le prospectus (P-2). Nous y reviendrons.

[19]        Sheila Simison (Simison): Avocate spécialisée en assurances, elle travaille en 1992 pour la firme d'avocats Clyde and Co. (Clyde) qui recevra un mandat de Vic. Broad (Broad), "Underwriter-chef" du syndicat éponyme et employeur de Adams, après qu'on eut signifié à Broad qu'il y aurait poursuite par les producteurs d'Agaguk pour des dépassements de coûts importants dans la réalisation du film, lequel n'est toujours pas sorti, parce qu'on n'a plus de sous et que les copies à faire ne sont pas faites, ce qui empêche la distribution du film. Elle interviendra au dossier de la façon dont il sera traité plus loin.

[20]        Banque ABN Canada (ABN): Banque d'affaires qui a financé différents aspects d'Agaguk, nous le verrons.

Le Montage Financier:

[21]        Vers 1985 ou 1986 Léger, qui a lu les œuvres et romans d'Yves Thériault, dont le roman Agaguk, décide d'approcher l'auteur et négocie l'achat des droits de reproduction cinématographique, en déboursant ceux-ci de ses propres goussets, comme le veut la pratique.

[22]        Il paiera pour ces droits  une somme de 100,000$, puis engagera des scénaristes et dialoguistes pour obtenir une version cinéma qu'il pourra utiliser pour la suite des choses. Ces frais seront par la suite répartis éventuellement avec le co-producteur français.

[23]        Il explique d'ailleurs que les co-productions sont devenues nécessaires à la suite de l'accaparement presque total du marché du film par les américains dès l'instauration du Plan Marshall après la 2ème Guerre Mondiale. Les américains sont devenus tellement importants dans le monde cinématographique que tous les autres aspirants, dont les Européens, les Canadiens, les Australiens ont dû s'entendre sur des co-productions pour pouvoir profiter de l'aide de leurs gouvernements et en recevoir des visas et certifications.

[24]        Il a aussi fallu modéliser les films autres qu'américains sur leur façon de faire, attirante pour le public.

[25]        C'est donc avec cette idée en tête que Léger a commencé à élaborer le concept du film Agaguk, soit une co-production "canado-française", acceptable pour Téléfilm-Canada et Société générale des industries culturelles - Québec (SOGIC) et pour sa contrepartie française. Un film à gros budget pour l'époque (25,000,000$ +/-) de facture "américaine", mais produit ici principalement.

[26]        Il fera donc une entente de co-production avec un producteur français, Jacques Dorfmann, qui injectera 20% du budget, soit environ 5,000,000$ Can., et qui deviendra également réalisateur du film.

[27]        Comme il avait déjà travaillé avec L.B.G. par le passé, Léger est retourné les rencontrer pour mettre en place le montage financier basé sur un abri fiscal, tel qu'autorisé par les deux niveaux de gouvernement. Après une présentation avec "story-board" et esquisse de budget, les représentants de L.B.G. ont accepté de participer et ont donc mis en branle le montage financier, pour la portion canadienne, et, pour les fins de l'abri fiscal, la préparation d'un prospectus, tel que  requis par les Lois fiscales et sur les Valeurs Mobilières.

[28]        Le prospectus, P-2, sera émis le 5 septembre 1990. Il s'agit de la feuille de route, avec le plus de détails possibles, de ce qui est envisagé, tant du point de vue financier que du point de vue réalisation de ce qui deviendra un film.

[29]        Du point de vue de l'investissement recherché, on vendra 23,000 parts à des investisseurs (minimum 5 parts par investisseur) qui seront appelés à débourser une somme initiale de 430$ par part et à qui une institution bancaire prêtera la solde de 570$ et ce, jusqu'au 15 janvier 1992, à laquelle date un tiers, Film Acquisitions Ltd, s'engage à racheter leurs parts en déboursant pour chacune d'elles une somme de 680$ au minimum, coût du solde avec intérêts accumulés, ce qui totalise, à la fin, une somme de 15,640,000$.

[30]        En somme, pour un déboursé de 430$ par part, l'investisseur obtenait des crédits d'impôts totalisant 166 1/3 % au provincial et +/- 62 % au fédéral, soit 2,266$ de dégrèvements.

[31]        Parmi toutes les autres informations qui se trouvent au prospectus, il faut noter le budget sommaire, sujet à changements selon  "les modifications dans les plans, les circonstances et les coûts" mais précisant que les honoraires payables au producteur canadien, au co-producteur français, au scénariste (sic) et au réalisateur n'excèderont pas les montants mentionnés à ces postes.

[32]        On mentionne également que le film a été financé jusqu'à ce jour (le 5 septembre 1990) sur une base intérimaire par les producteurs à hauteur de 2,200,000$ à un taux d'intérêts de 15% (c'était dans les taux de l'époque!).

[33]        Et pour ficeler le tout, le prospectus indique qu'on a créé une société en commandite (La société en commandite Agaguk "la Société ") dont les commanditaires souscriront la totalité des parts et dont le commandité sera Société de gestion cinématographique (R.G.) Inc. qui agira comme gérant de la Société et mandataire des commanditaires.

[34]        On verra plus tard que le nom du commandité changera pour devenir ultimement la demanderesse, compagnie à numéros, tant comme commandité pour la Société en commandite que pour elle-même, aux droits des commanditaires.

[35]        On prévoit également que le film sera produit par une entité incorporée, Les Films Agaguk Inc. qui sera plus tard remplacée par Les Films du Grand Nord Inc. (Grand Nord), compagnie incorporée uniquement  pour la production du film, Léger ne conservant Films Agaguk que pour les droits de reproduction, comme le voulait, témoigne-t-il, la pratique.

[36]        Le prospectus mentionne également qu'une convention de garantie de bonne fin est intervenue entre la Société et P.G.Q.I. pour le motif décrit, et qu'on verra plus loin.

[37]        On réfère également à une garantie de complétion du film (Motion Picture Completion Agreement) intervenue concurremment entre Grand Nord et P.G.Q.I. et dont les articles importants se lisent:

 

«A-2 Performance of Guarantee:

Guarantor may perform it's undertaking to the Beneficiary (ies) by (i) advancing to Production Company any sums in excess of the Approved Going-In Budget required to meet the costs of Completion of the Picture, (ii) taking over production of the Picture, (iii) appointing any other person(s) or company to complete the production and delivery of the Picture and/or (iv) abandoning production of the Picture or by any combination of the foregoing, and, in addition to any take-over or abandonment rights, as defined herein, Guarantor shall have the right to foreclose its security interest in the Picture and any collateral appertaining thereto. For purposes of this paragraph, the following words or phrases shall have the following meanings:

(a) "Approved Going-In Budget": The estimated cost (including contingency) of producing the Picture, as set forth in the budget therefore in effect at the time when this Agreement is executed, dated September 5 1990 as approved by Production Company and Guarantor.

(b) "Completion of the Picture": Delivery of the Picture on or before Dec. 31, 1991.

A.3

A.4

A.5 Take-Over Rights:

(b) If Guarantor takes over production, it shall be deemed to do so, to the extent that it so elects, as the agent of Production Company. Upon takeover of production by Guarantor, Production Company shall place at Guarantor's disposal and under its control all persons and equipment employed or used by Production Company in connection with the Picture. For such purpose, Production Company hereby irrevocably constitutes and appoints Guarantor Production Company's attorney-in-fact, with full power of substitution and revocation, if Guarantors hall exercise its takeover rights in the name of the Production Company or otherwise to make withdrawals from and otherwise deal with the Production Account or any Subsidiary Production Account (both as described below) to expend Production Company's funds in and in connection with the production of the Picture, to borrow money, to apply for, receive and receipt for advances under the Production Financing Agreement(s), any distribution agreement(s) or any other similar agreement for financing the production of the picture…. »

[38]        Il y est également mentionné que La Société compte sur des redevances de distribution du film d'au minimum 10,000,000$ US (On mentionnera plus tard un maximum de 12,500,000$ US en D-55) (15,640,000$Can.), sur contrat signé avec un distributeur, Goldcrest Films and Television Ltd de Londres U.K. (Goldcrest) dans les six mois de la livraison du film, prévue à l'origine pour le 1er octobre 1991, avec possibilité d'extension. (Pièce D-4)

[39]        C'est donc vraisemblablement avec cet argent, qui viendra de la distribution du film, qu'on rachètera la dette des commanditaires, tel que promis au prospectus.

[40]        Il est aussi mentionné au prospectus que du 23,000,000$ provenant de financement par le preneur ferme, L.B.G., une somme de 1,955,000$ lui sera donnée comme rémunération, ce qui, déduction aussi faite de divers frais, laissera une somme disponible à la production de 20,268,000$ pour la partie canadienne.

[41]        Le budget provisoire prévoit certains coussins financiers, comme par  exemple, des contingences de +/- 1,500,000$, le coût de la GBF de +/- 760,000$, les honoraires du producteur +/- 1,400,000$, soit, ici, environ 3,750,000$ qui pourront toujours dépêtrer la production au cas de pépins imprévus, et il y en a toujours, selon Léger.

[42]        Le prospectus mentionne également, concernant le GBF, que celui-ci, aux fins d'assurer l'exécution par lui de ses obligations aux termes de la Convention de Garantie de Bonne Fin, a obtenu un cautionnement conjoint et solidaire de ses obligations par un membre des assureurs de "la Lloyd de Londres…" (sic)

La séance de Clôture:

[43]        Le prospectus prévoyait enfin que la séance de clôture et le déboursement, de même que la signature de multiples autres documents se ferait le 21 septembre 1990 (on mentionne : "date approximative"). C'est dire que tout devait en principe être ficelé et signé pour cette date. La défense produira les documents faisant partie du livre de clôture sous D-30, un assemblage de centaines de pages de divers documents sur certains desquels nous reviendrons, au total, trois gros cahiers.

[44]        Le 21 septembre, aux bureaux des procureurs de L.B.G., soit Fortier, plus particulièrement, se retrouvent une quinzaine de personnes représentant Film Agaguk, Film Acquisitions, La Société en commandite, le commandité, L.B.G., le fiduciaire, la B. Nat., ABN et de nombreux avocats pour chaque partie, tel que constaté à l'ordre du jour.

[45]        Il appert toutefois qu'il y a un gros pépin: Les représentants de la B.Nat. ne se sont pas entendus sur l'énoncé d'une lettre de crédit que devait leur remettre une Banque anglaise, "Unibank"', pour garantir le paiement de la somme de 15,640,000$ au 15 janvier 1992 pour le rachat des soldes dus par les commanditaires à la B. Nat. et selon l'entente de rachat. (D-2, D-25, D-34).

[46]        Comme c'est un élément essentiel de la transaction de financement du film, tous les participants s'entendent pour reporter la clôture de 5 jours, pour donner la chance à Léger et surtout Smiley de régler l'affaire. On signera une convention dite d'en- tiercement par laquelle le Fiduciaire, Compagnie Trust Central Guaranty Inc. détiendra tous les documents de clôture jusqu'au 26 septembre 1990, date à laquelle tout deviendra nul "ab initio" advenant le défaut de fournir la lettre de crédit. (D- 31)

[47]        Après des négociations ardues par Smiley, il convaincra ABN, laquelle devait participer avec B. Nat. à hauteur de 50%, d'y aller seule et de garantir le montant nécessaire au rachat des commanditaires, soit le 15,640,000$. Toutefois, contrairement au scénario envisagé où Unibank escompterait l'entente de distribution avec Goldcrest pour émettre sa lettre de crédit irrévocable, et comme des doutes s'étaient entre-temps soulevés quant à ladite Goldcrest, (D-17) Smiley et Vanger durent convenir de donner en garantie à ABN, en contrepartie de sa lettre irrévocable, un chèque tiré sur le compte de P.G.Q.I., à la Banque de Montréal, pour un montant de 13,546,334$ à titre de "cash collateral" (D-39, D-40, D-41) cette somme pouvant être remplacée par une garantie de Unibank ou d'une autre institution financière ayant escompté les droits et redevances de distribution de Goldcrest. (D-46)

[48]        Ainsi, plutôt que de voir le résultat net du financement prévu au prospectus aller directement au compte de la production du film, la somme de 13,546,334$ sera utilisée pour garantir le rachat éventuel des commanditaires et non pour la  production qui ne recevra à la clôture du 26 septembre qu'un chèque de 4,781,886$ (D-44), puis, subséquemment, d'autres sommes.

[49]        En effet, après avoir continué les négociations avec les représentants d'ABN, celle-ci acceptait de remettre à la production du film (Grand Nord) le 13,546,334$ par différents déboursements s'étalant sur une période de fin novembre 1990 à fin janvier 1991 (D- 33, document identifié C.L-12, préparé par Proulx), et ce, après avoir accepté d'escompter les redevances  de distribution  dues par Goldcrest pour un maximum de 12,500,000$ US (D-58) sur la foi d'une garantie de P.G.Q.I. (underwritten from 1st dollar by Lloyd's) et d'un cautionnement de type "Cut Through Endorsement" émis par Dominic Adams, directement en faveur d'ABN:

«Production Agaguk

If Performance Guarantees (Quebec) Inc., shall fail to perform its obligations for any reason, Lloyd's and/or Company Underwriters who subscribe to this insurance will accept their obligations up to but not exceeding US$12,500,000 for any amounts which should have been paid by Performance Guarantee (Quebec) Inc., (always in excess of their (Performance Guarantee Quebec Inc.'s) self insured retention) pursuant to the terms and conditions of Performance Guarantee Quebec Inc.'s guarantee letter (the Letter) dated November 20th 1990.

In such a situation, such Lloyd's and/or Company Underwriters agree that ABN Bank Canada with whom Performance Guarantees (Quebec) Inc., has signed the letter may proceed immediately against such Lloyd's and/or Company Underwriters as if such Lloyd's and/or Company Underwriters were the guarantors.

If Performance Guarantees (Quebec) Inc., shall fail to perform its obligations under this Agreement then ABN bank Canada shall give such Lloyd's and/or Company Underwriters prompt telephone or written notice of such failure of performance, such notice to be given to Lloyd's and/or Company Underwriters through Hayward and Company Limited 60 Mark Lane London EC3R 7NE Facsimile 71 265 1485.

The deductible and self insured retention under the bond have been covered internally by Performance Guarantees (Quebec) Inc., and shall not affect ABN Bank Canada's rights to the cut through.

Policy subject to the Laws of the Province of Quebec and the Laws of Canada applicable therein, for such purposes Underwriters who subscribe to this policy agree to elect Domicile in Montreal, Quebec at the office of Lloyd's attorney in Canada Mr E.W. Tinmouth.»

[50]        Ainsi, et malgré un léger détour, l'argent souscrit par le financement s'est finalement retrouvé dans le compte de la production du film et a été utilisé au fur et à mesure de la réalisation de celui-ci.

Les Problèmes:

[51]        Le financement s'étant réglé, la mise en chantier de la production s'est précipitée, en accord constant avec P.G.Q.I. qui à d'abord reçu les argents du financement et qui les a remis à la production tel que vu, même si une grosse somme est passée par le chemin que nous avons décrit. Léger confirme avoir constamment consulté Vanger, à différentes étapes, tant pour des modifications au budget que pour y faire des substitutions de sommes prévues pour certains postes pour les utiliser à d'autres, ce qui est également pratique courante puisque le budget de départ n'est qu'un estimé.

[52]        Qui plus est, en cas de problèmes non prévus, on a toujours le poste des contingences et les autres vus plus haut pour trouver les sous nécessaires pour y remédier.

[53]        C'est ainsi qu'après le dépôt du budget préliminaire pour les fins du prospectus, Léger a pensé offrir un rôle secondaire à l'acteur canadien bien connu, Donald Sutherland, avec lequel il avait déjà tourné des films dans le passé. Il acceptera de paraître dans Agaguk moyennant un cachet de 400,000$ non prévu au départ mais qu'on trouvera dans d'autres aspects du budget. Léger calculait qu'il améliorerait les chances de succès du film en Europe et au canada, où l'acteur était avantageusement connu.

[54]        En somme, des ajustements normaux, toujours négociés avec le G.B.F., Vanger, qui, selon son contrat de garantie de bonne fin, possédait des droits quasiment de vie ou de mort sur le film si quelque chose ne tournait pas à son goût, ou s'il n'était pas d'accord avec des dépenses non prévues ou non acceptées par lui. De fait, et malgré quelques lettres de Arbeid à Vanger, rarement communiquées à la production, jamais n'y a-t-il eu de reproches de Vanger à Léger, de remontrances sur quelque sujet que ce soit, ni lettres de menace de prise de contrôle pour défaut de respecter quelque obligation contractuelle que ce soit.

[55]        Au contraire, selon Léger, Smiley et Proulx, tout le scénario de production et toutes les informations requises ont été fournies en temps opportun au G.B.F, qui n'a manifesté aucun reproche, sauf ceux de Arbeid dont les relations avec Léger étaient mauvaises (selon Smiley) pendant les premiers mois de production.

[56]        Par contre, les véritables problèmes ont débuté en février 1991, lors d'un dégel imprévu qui a littéralement fait fondre tout le décor qu'avaient construit des centaines d'ouvriers dans une carrière près de Montréal qui avait été louée pour y ériger des faux icebergs, un village d'igloos, une fosse creusée pour y installer des rails sur lesquels figurerait, pour des scènes d'action, une fausse baleine qui serait attaquée par Agaguk!

[57]        Dans un redoux dont on n'avait pas vu d'exemple depuis une cinquantaine d'années, la température s'est tenue au-dessus de zéro pendant trois semaines, faisant tout fondre, inondant tout sous plusieurs pieds d'eau, bref, causant un vrai désastre.

[58]        Il en coûtera plus de 3,000,000$ pour refaire en partie les décors, pour continuer de payer les 1200 employés, ouvriers de divers métiers, gens de cinéma, artistes, figurants etc. arrêtés par la chaude température, au risque de les perdre si on les avait mis au chômage, même temporairement.

[59]        Il aura fallu repartager le travail, re-séquencer les prises de vues, reporter la post-production pour faire les adaptations nécessitées par la modification de certains des décors, sans parler des problèmes causés par le climat intense lors des prises effectuées dans l'Arctique (Léger parlera de -70 o C).

[60]        Il y aura aussi des problèmes de figurants animaux et un accident d'hélicoptère qui retarderont la production et entraîneront d'autres coûts additionnels importants.

[61]         Et pendant tout ce temps, le G.B.F. était présent ou avisé presque quotidiennement par Léger des dépassements importants des coûts. Il a participé activement, selon Léger, à tenter de trouver des solutions et d'explorer toutes les avenues possibles pour que le film soit complété et que les investisseurs soient protégés.

[62]        Et Vanger lui-même, et/ou P.G.Q.I. avaient tout intérêt à trouver des solutions pour que le film soit complété et livré, sous peine de se trouver au premier rang, avec sa caution personnelle et celle des Lloyd's, advenant l'abandon de la production, comme en faisaient foi son contrat de Garantie de complétion du film et celui de Garantie de bonne fin (D-6, D-7).

[63]        Toutefois, malgré des appels répétés à Vanger et demeurés sans réponse autrement que pour gagner du temps, et le temps passant rapidement, ce qui mettait à risque la livraison du film terminé pour projection partout dans le monde, Léger en vint à réaliser qu'il devait y aller de ses propres moyens sans quoi c'était la calamité.

[64]        En effet, nous le verrons, Vanger, malgré des efforts déployés pour trouver des sous, n'a pas réussi à le faire avant de décéder très rapidement, après une courte maladie, en juillet 1991. Son fils Jonathan, arrivé à la rescousse peu de temps avant, tentera désespérément, mais sans succès, de convaincre les Lloyd's d'aider Léger, après avoir lui-même tenté de trouver des fonds disponibles, comme son père l'avait fait, pour éviter une réclamation aux Lloyd's.

[65]        Léger investira donc, au-delà de ses honoraires de producteur et de ceux de Smiley comme producteur associé, dont une partie demeure impayée à ce jour, un montant d'environ 1,000,000$ de ses propres avoirs, en plus d'obtenir, par l'aide d'un ami, un prêt de 2,000,000$ par la Columbia Films ou une de ses filiales. L'associé et réalisateur Dorfmann a aussi été d'un grand secours financier.

[66]        Au procès, Léger dira qu'il a tout remboursé, seul, (lui ou ses compagnies) les argents qu'il a dû emprunter un peu partout pour terminer le film. Sauf les gouvernements pour des D.A.S. impayées dont nous traiterons plus loin, tous les créanciers de la production d'Agaguk ont été payés.

[67]        On fera également à l'époque, pendant le tournage, une réclamation à l'assureur/biens/responsabilité,  la Chubb,  qui indemnisera  la production à hauteur de 1,135,000$ (P-5).

[68]        Le résultat final est que le film, après avoir été retardé à au moins deux reprises, a finalement pu être complété plusieurs mois après la date prévue, des copies faites, avec la contribution financière (ex gratia, selon le témoin Simison) des Lloyd's, et acheté par des distributeurs, mais pas par le distributeur Vision, qui a laissé tomber, après avoir pris la relève de Goldcrest, en difficultés financières.

[69]        Malheureusement, le succès de Agaguk a été très mitigé. S'il avait connu un grand succès commercial, nul doute que tous les joueurs, de près ou de loin, se seraient emplis les poches éventuellement et ne se seraient pas présentés devant le Tribunal dans ce qui est peut-être la dernière "scène", ou l'avant-dernière, le cas échéant.

Les Procédures Judiciaires:

[70]        Avant d'aborder celles dont le soussigné est saisi, il y a lieu de faire un rapide examen de procédures parallèles lancées en 1992 pour un dossier et en 1993 pour l'autre par ABN, dont il a été question plus tôt, pour la partie financement sur escompte des droits de distribution de Goldcrest par elle à la production, un prêt de 12,5000,000$ US (D-55 et D-58) et en contrepartie de quoi les Lloyd's avaient émis un "Cut Through Endorsement" directement en faveur d'ABN. (D-58).

[71]        Ayant apparemment essuyé un refus d'indemnisation par les Lloyd's, ABN entamait ses procédures, tel que vu, pour se faire dresser un barrage de contestations, similaires à celles soulevées dans le présent dossier.

[72]        Sans aller dans le détail, et en paraphrasant, on parlera de fraude, de négligence du courtier, d'abus d'autorité du "Lead Underwriter"  Adams, de mensonges et de réticences de l'assuré P.G.Q.I., de défauts d'aviser de difficultés en temps utile, de problèmes d'avis à ou aux personnes autorisées à les recevoir, bref, tous les arguments qu'on a pu imaginer, y incluant presque  "l'évier de la cuisine" pour utiliser l'expression courante.

[73]        Il se fera une myriade d'interrogatoires, dont quelques-uns de témoins maintenant décédés et qu'on a versés dans le présent dossier, une quantité de requêtes de toutes espèces, des jugements intérimaires nombreux, jusqu'à ce que le Juge en chef désigne la Juge Carole Julien comme responsable du dossier, elle qui y consacrera beaucoup d'énergies. Le dossier a fait l'objet d'appels, même à la Cour Suprême du Canada.

[74]        Finalement, 7 ans plus tard, il sera réglé hors cour, selon l'avocat Me M. Green (Green), qui représentait les Lloyd's et qui, relevé de son secret professionnel par le soussigné, a admis que la part des Lloyd's avait été réglée pour 8,000,000$, représentant une contribution de 65% approximativement. Il a aussi déclaré ne pas connaître le montant déboursé par les autres défenderesses, mais tout porte à croire qu'elles ont dû contribuer proportionnellement de la même façon, soit un montant global probablement très près du montant capital (12,500,000$ US) avancé par ABN à la production d'Agaguk.

[75]        Dans le présent dossier, l'action a été introduite par bref et déclaration le 15 juin 1993, avant même que les Lloyd's ne confirment par écrit les raisons pour lesquelles ils refusaient d'indemniser leur bénéficiaire pour les  dépassements de coûts subis lors de la production et la réalisation du film Agaguk. C'est le témoin Simison qui l'avouera au procès, disant que la prise de procédures avait justifié de n'en point donner!

[76]        Ces raisons seront explicitées dans la première défense inscrite au dossier en…2003! Puis elles seront "enrichies" en 2007 puis à l'été 2010, après la prise en charge du dossier par le soussigné.

[77]        Pire encore, et malgré une Déclaration Conjointe de gestion d'instance requise par le soussigné en août 2010 pour servir de "carte routière" du procès devant durer 25  jours à compter du 10 janvier 2011, la défense présentait en début d'audition, une requête verbale, non-annoncée d'aucune façon ni au procureur de la demande, ni au soussigné, demandant le rejet de l'action pour défaut d'intérêt de la demanderesse.

[78]        Ce "coup bas", comme d'autres durant le procès, a entraîné le report de l'audition de quelques jours, question de permettre au procureur de la demande de préparer une réplique. Après avoir entendu les représentations des parties, le soussigné rendait jugement intérimaire décidant, sous certaine réserve, de permettre la continuation du procès, ce qui fut confirmé par jugement du juge Dalphond de la Cour d'appel quelques jours plus tard.

[79]        La demande ayant par ailleurs complété sa chaîne documentaire expliquant la présence de la demanderesse tant comme commandité de la Société qu'en son propre nom, à titre de cessionnaire de tous les droits de Film Acquisitions ayant elle-même racheté tous les droits et intérêts de tous les commanditaires d'origine, le soussigné lui  permettait d'amender sa déclaration pour qu'on y lise sa désignation définitive: (Voir la désignation ci-haut).

[80]        Ainsi, et malgré tous les arguments soulevés tant sur la requête dont appel que par la suite pendant le procès et concernant des formalités administratives comme la dissolution de la Société à la date du rachat des commanditaires en janvier 1992, comme la dissolution de la Société en décembre 1999 (P-2), comme la dissolution de Film Acquisitions par la Jersey Financial Services Commission avant décembre 1998 (D-89), comme la non- immatriculation de la Société en 1994 (P-25) le Tribunal estime que tous ces arguments techniques et, surtout, très tardifs, ce qui constitue à leur égard une fin de non-recevoir,  n'ont aucun poids que ce soit devant la cession des droits faite en faveur de la demanderesse avant qu'elle n'intente ses procédures en juin 1993, à l'intérieur des délais de prescription de l'époque.

[81]        Cette cession, enregistrée au Greffe de la Cour Supérieure de Montréal ( P-16 ) constitue, selon le soussigné, l'équivalent d'une signification à tous, incluant les défenderesses, s'étant assujetties à la juridiction des Lois du Québec (Voir Cut Through relatif à la police OFH 9095 (D-2) et OFH 9664 (D-3)). Le témoin Green dit d'ailleurs avoir vérifié dès l'institution de la procédure l'identité de la demanderesse, ce qu'il fait "toujours", dit-il.

[82]        Ayant fait défaut de soulever des questions à cet égard s'il avait des doutes sur la relation de cette compagnie à numéros avec le film Agaguk, et n'ayant posé aucune question à cet effet aux procureurs de la demanderesse, ses clientes sont forcloses de le faire 18 ans plus tard. Il faut rappeler sa présence au dossier depuis 1992, tant dans les dossiers ABN que dans celui-ci.

[83]        La demanderesse, dont le seul actionnaire est Proulx, a été constituée en 1992 aux fins d'instituer les présentes procédures contre les défenderesses et ce, en remplacement de Film Acquisitions dont le statut de compagnie "off-shore" aurait sans aucun doute impliqué l'obligation d'un cautionnement pour frais frisant les 75,000$ (Le tarif et le célèbre 1% de l'excédent de 100,000$). Étant donnée la proximité de Proulx et de Léger, (ils travaillent encore ensemble après toutes ces années),  il a été entendu entre eux que tout résultat positif échoirait à Léger ou à ses compagnies, puisque c'est lui ou elles qui ont financé les dépassements, tel que vu.

[84]        La demanderesse réclame donc une somme de 6,717,339$ avec intérêts et indemnité additionnelle (P-5). Ce document a été préparé par Proulx à une date postérieure à la période à laquelle il a décidé d'arrêter les chiffres, même si d'autres dépenses ont pu être faites par après. On sait que les Lloyd's paieront environ 450,000$ pour que des copies du film soient faites et qu'il puisse être distribué (P-17). Ce sera un paiement "ex gratia" (témoin Simison)

[85]        Elle réclame aussi, depuis son amendement autorisé du 13 janvier 2011, une condamnation additionnelle de 2,000,000$ contre les défenderesses subsistantes, P.G.Q.I. n'ayant jamais plaidé et étant absente depuis le début. La déclaration re-amendée de janvier 2011 mentionne que P.G.Q.I. aurait même admis sa responsabilité. Elle demande cette condamnation à titre de dommages pour abus de procédures et autres reproches. Nous y reviendrons.

[86]        Elle réclame enfin, à titre de dommages punitifs, une somme de 20,000$ des procureurs des défenderesses, Mes Robinson, Sheppard, Shapiro (RSS) à raison de leur conduite surprise au début du procès devant le soussigné. Nous y reviendrons également.

[87]        Les défenderesses autres que P.G.Q.I., soulèvent, ici aussi, une multitude de motifs selon lesquels elles ne devraient pas payer quoi que ce soit, entre autres: la nullité "ab initio" de la police, les défauts multiples de l'assuré P.G.Q.I., les réticences et/ou mensonges et/ou fausses représentations  de P.G.Q.I. et de Hayward, le fait que Hayward n'a  jamais été leur représentant ou mandataire, les contraventions d'Agaguk et de ses producteurs aux exigences des contrats de Garantie de Bonne Fin et autres, l'exclusion de couverture, si tant est qu'une police a pu être valablement émise, les tricheries et tromperies de Léger, de Smiley et de Vanger, bref, encore une fois, tout, y incluant " l'évier de la cuisine"!

[88]        Nous examinerons ces multiples reproches plus loin. Mais avant toute autre chose, il y a lieu qualifier les "Cut Through" émis par les défenderesses en faveur de la Société. S'agit-il d'une police d'assurance ou plutôt d'un cautionnement (1929, 1941, 1958 C.c.B.C.), de la nature de ce que l'on appelait à l'époque, une convention de "porte fort"  (1028 C.c B.C.)?

[89]        Bien que les défenderesses et certaines expressions contenues dans les "polices" OLH 9665, 9664 et 9095 laissent croire qu'il s'agit d'"insurance", le soussigné estime que la relation de droit entre les parties ici est basée sur un contrat de cautionnement (on parlera de "bond"), ce qui enlève à la caution plusieurs arguments de droit qu'elle aurait pu opposer à son cautionné, mais dont elle ne peut se prévaloir à l'encontre du bénéficiaire. Ses droits comme assureurs auraient aussi pu être plus mordants, comme la revendication de la nullité "ab initio" qu'elle a tenté de faire valoir à la fin du procès. Pour plus de latitude toutefois, le soussigné continuera de parler de contrat d'assurance/cautionnement[1].

Historique:

La demande:

[90]        Voyons maintenant la situation vue, comprise et vécue par Léger, à l'époque, et présentée par la demande.

[91]        Lors de ses discussions visant le montage financier du futur film Agaguk avec les représentants de L.B.G. en 1989 ou 1990, il avait été question d'obtenir une garantie de bonne fin, protection peu connue ou utilisée à l'époque, bien que Léger en ait obtenu une  antérieurement pour au moins un film tourné en Chine. C'est à cette occasion qu'il aurait connu Vanger.

[92]        Il en fut donc question avec L.B.G. et, selon Léger, ceux-ci et leurs avocats, ayant jugé Vanger capable d'agir comme G.B.F., auraient demandé que celui-ci ouvre une filiale au Québec, et qu'il obtienne, pour Agaguk, un "Cut Through" des Lloyd's pour protéger les investisseurs. Assurés que cela serait fait, ils l'incorporeront dans le Prospectus ( P-2 ).

[93]        Le "Completion Guarantee" (P-3, D-7) entre P.G.Q.I., le G.B.F., et la Société, comme bénéficiaire, a été signé le 5 septembre 1990. Il prévoit, entre autres, les obligations et pouvoirs suivants:  la garantie du  G.B.F.  au bénéficiaire,  qui a avancé 20,268,000$ à la compagnie de production (Grand Nord), que le Film sera complété et ce, au besoin, soit par avance de fonds s'il y a des dépassements de coûts par rapport au budget initial estimé, comprenant la portion "contingences", soit en prenant charge de la production, ou en abandonnant celle-ci, ou une combinaison des trois. Il prévoit la livraison  du  film  le  ou  avant le  31 décembre 1991.  Il s'engage à  un maximum  de 23,000,000$. Il prévoit aussi que la somme de 20,268,000$ sera déposée auprès de la production, en conformité avec le contrat "Motion Picture Completion Agreement" signé concurremment (D-6). Ces contrats sont assujettis aux Lois du Québec.

[94]        Suivront une lettre datée du 21 septembre 1990 du Fondé de pouvoir au Canada des Lloyd's (M. Tinmouth, devenu Mark Oppenheim par la suite) accompagnée d'une lettre de Adams qui confirme la couverture des obligations de P.G.Q.I. (P-1) sont également annexés les trois "Cut Through", OFH 9095, 9664 et 9665, couvrant différentes tranches de protection, à hauteur finale de 23,000,000$ (P-4).

[95]        Les "Cut Through" prévoient également que les déductibles et la portion auto-assurée de P.G.Q.I. ne pourront affecter le droit du bénéficiaire de poursuivre directement les Lloyd's pour le plein montant que P.G.Q.I. aurait fait défaut de lui rembourser après demande sous le "Motion Picture Agreement (sic) (D-6) du 5 septembre 1990, tout comme si les Lloyd's étaient eux-mêmes le garant du film. Ils prévoient également que tout avis de réclamation suite à un défaut de P.G.Q.I. devra être donné à Hayward et Co.

[96]        Or, bien que ce contrat prévoit que les sommes destinées à la production du film soient versées dès que disponibles dans le "compte de production", Léger et Vanger, au su et avec l'approbation de tous les participants et avocats à la clôture, décidèrent de déposer cet argent dans le compte de P.G.Q.I. qui, elle, ferait les déboursés nécessaires à la production, au fur et à mesure de ses besoins. On a vu précédemment que la somme de 13,546,334$ sera versée par chèque de P.G.Q.I. à ABN (D-39) pour obtenir la lettre irrévocable de crédit pour garantir le rachat des commanditaires, mais cette somme reviendra dans le compte de production par tranches entre novembre 1990 et janvier 1991. Proulx témoigne du fait qu'il n'y a jamais eu manque de sous à cet égard, sauf, bien sûr, pour les dépassements postérieurs.

[97]        Après le démarrage de la production, tel que mentionné plus haut, Léger a témoigné de certains changements rendus nécessaires par les évènements, tout en affirmant, et il n'est pas contredit sur cet aspect de son témoignage, avoir toujours et constamment discuté de tout changement ou modification avec Vanger pour obtenir l'approbation de celui-ci, véritable maître de la situation, soit de lui-même présent à Montréal, soit par l'entremise de Arbeid, avec lequel les relations étaient plus difficiles.

[98]        Léger dit que tout s'est passé normalement sur la production jusqu'à l'écrasement d'un hélicoptère en Russie, où l'on tournait des scènes. Il confirme toutefois que jusqu'au dégel de février, on avait réussi à colmater certaines zones problèmes en faisant des déplacements de sous d'un poste à un autre, en coupant à certains endroits pour ajouter à d'autres, le tout, à l'intérieur du budget et de la contingence qu'il contenait.

[99]        C'est véritablement lors des évènements de février que tout cet équilibre fragile s'est écrasé. On a parlé plus haut de coûts de plus de 3,000,000$ uniquement pour reprendre l'aménagement du terrain et les décors perdus ou détruits et autre frais. C'est à partir de ce moment que, selon Léger, les problèmes ont déboulé et qu'il a commencé à harceler Vanger pour qu'il lui trouve de l'argent pour continuer la production.

[100]     La preuve révèle que Vanger avait beaucoup de projets en marche simultanément et qu'il se débattait de son mieux pour trouver les sous nécessaires pour colmater les problèmes d'argent de quelques-unes de ses productions garanties. Comme en témoigneront Jonathan, Hayward et Adams plus tard, c'était du..."Tout pour ne pas faire appel aux Lloyd's"…En effet, ils expliqueront que si un G.B.F. avait présenté une réclamation pour le moins importante, cela aurait provoqué soit un resserrement important des disponibilités d'assurance ou de cautionnement ou, même, aurait complètement fermé ce marché fragile où seuls les Lloyd's, sauf une autre compagnie américaine qui arrivait dans le domaine, étaient présents.

[101]     Il fallait donc à tout prix éviter de solliciter l'aide financière des Lloyd's, au risque pour les G.B.F. de voir se terminer leur entreprise, n'ayant évidemment pas eux-mêmes les moyens financiers de garantir des millions à des bénéficiaires, dans un domaine aussi aléatoire que la production cinématographique.

[102]     D'ailleurs, à l'époque, seul Adams et son patron Vic. Broad,  à peu de personnes près, connaissaient le monde du cinéma de cette perspective, Adams en ayant "assuré" pour le compte de Syndicats des Lloyd's depuis 25 ans avec la collaboration du courtier Hayward, en lequel il avait grande confiance.

[103]     Vanger aurait parlé et avisé Hayward et Adams des problèmes de dépassements de coûts, en leur représentant toutefois qu'il n'était pas question de faire appel à la caution (The Bond). Il proposait plutôt à Léger de lui trouver les argents nécessaires par le refinancement, qu'il essayait de mettre en place, d'un film "Barr Sinister" dont il était le producteur. (P-6, lettre du 12 avril 1991).

[104]     On a vu que Léger, désormais sans espoir de rentrées de fonds imminentes, et voulant à tout prix compléter Agaguk, a dû alors  financer une partie des dépassements et emprunter pour la presque totalité du reste, celui-ci augmentant à mesure que le film progressait. Il dira que la post-production, le mixage et le montage sonore (le son original s'étant avéré problématique, on l'a refait en studio avec les acteurs) durent être réalisés en France, avec son argent et de l'argent de Dorfmann puisque les sous prévus au budget avaient été utilisés pour payer une partie des dépassements, le tout, tel qu'autorisé par Vanger.

[105]     Ainsi, avec un budget initial provisoire de près de 25,000,000$ (P-2) et un budget révisé à 25,260,000$ (P-5) et des coûts totaux, exclusion faite du paiement ex gratia de 450,000$, de 31,976,000$, (P-5), la demande réclame la différence, que les chiffres démontrent totaliser 6,717,000$ au 31 juillet 1992.

[106]     C'est Jonathan qui viendra expliquer ce qui s'est passé entre la lettre de son père à Léger du 12 avril 1991 (P-6) et la suite, négative pour la demanderesse, du point de vue de la réclamation de son auteur, la Société et son commandité, à l'égard des dépassements de coûts garantis par P.G.Q.I. et sa caution, les Lloyd's.

[107]     Jonathan a commencé bien tôt dans le monde du film, aidé par son père, déjà G.B.F. Il a agi en Afrique du Sud, en Australie, aux  U.S.A. comme superviseur du G.B.F. sur quantité de films. En 1989, il a ouvert une succursale de P.G.I. en Angleterre où il a travaillé jusqu'à ce que son père devienne malade en 1991, époque à laquelle il a déménagé à Los Angeles pour seconder Lawrence, son père..

[108]     Il dit que P.G.I. agissait alors comme G.B.F. sur 10 à 15 films par an, dont le film canadien "Béthune", réalisé par Léger.

[109]     Alors qu'il était en Angleterre, il dit qu'il rencontrait Hayward et Adams deux ou trois fois par an, ce qui est devenu une rencontre mensuelle après le décès de son père et sa prise en charge de P.G.I..

[110]     Il s'est impliqué plus particulièrement dans le dossier Agaguk dès mai 1991.

[111]     Questionné sur P-6, il explique que son père avait mis en place un système depuis 1988 ou 89 par lequel il tentait différentes manœuvres pour éviter des réclamations aux Lloyd's. Il dira: "On essaie toutes les possibilités avant de se tourner vers les assurances pour faire ou présenter un claim".

[112]     Il confirme que Hayward et Adams étaient au courant des déboires de Agaguk dès avril 1991 puisque son père avait passé mars et avril en Angleterre et avait rencontré les deux, avec lui-même, à plusieurs reprises pour parler de différents problèmes dans certains dossiers et de projets à venir.

[113]     Après le décès de son père, il a envisagé toutes sortes de scénarios pour trouver des argents pour compenser Agaguk, au su de Hayward et de Adams, selon lui, allant même jusqu'à essayer de trouver des banquiers qui accepteraient d'escompter les "Cut Through", déjà émis par les Lloyd's, pour  débourser les argents nécessaires pour aider à combler les dépassements dans Agaguk.

[114]     On voit des lettres P-7 et D-84 différents scénarios envisagés par Jonathan et soumis à Hayward, avec l'expression de sa frustration devant l'immobilisme des Lloyd's et leur absence de support pour lui permettre de payer les dépassements d'Agaguk à même d'autres productions. Ces échanges infructueux se termineront lorsque Jonathan a reçu une lettre de Simison datée du 13 octobre 1992, annonçant  la nomination "sans préjudice" de l'ajusteur Taylor et demandant que toute la documentation soit expédiée à Londres, ce qui s'est avéré impossible puisque les documents devaient rester au Canada pour les approbations fiscales et les visas de Téléfilm Canada et la SOGIC (Qué.) (P-8).

[115]     Simison, avocate chez Clyde and Co., engagés directement par Vic. Broad, retiendra les services d'une comptable de Montréal, Nicole Martin (Martin), afin qu'elle examine tous les chiffres de Agaguk, ce qu'elle a fait sur plusieurs semaines, avec l'aide et les réponses de Proulx. Martin préparera au moins trois rapports dont deux seulement ont été produits (P-13, P-14). Elle conclura, confirmant avoir vérifié toute la documentation justificative, sauf ses commentaires à l'égard surtout des dépenses françaises, à une perte (dépassements) de 6,427,235$.

[116]     C'est à partir de ce montant, vraisemblablement, que Taylor et Simison sont venus à Montréal pour discuter avec Léger ou Smiley ou Proulx, apparemment sans préjudice, et c'est à la suite de longues négociations que Taylor, d'un coté, et Léger et Smiley de l'autre, en seraient venus à un chiffre "acceptable" de 3,700,000$ que Taylor devait proposer aux Lloyd's, affirmant que son "track record" à cet égard était de 100%. Léger dira au procès que cette somme lui était parue acceptable à l'époque parce qu'il voulait payer ses créanciers et sa propre créance à l'égard de la production d'Agaguk, même si ce n'était que pour partie.

[117]     Cette recommandation ne fut pas acceptée, ce qui entraînera la prise de procédures en juin 1993, après qu'on eut attendu une réponse et des explications qui ne  viendront que 10 ans plus tard, lors du dépôt de la première défense des Lloyd's au dossier en 2003.

La défense:

[118]     Tel que déjà mentionné, la défense a pris la position, dès l'automne 1992, soit après les appels au secours répétés de Jonathan, qu'elle ne se sentait aucunement responsable de quoi que ce soit, tant à l'égard de Agaguk que de ABN, nonobstant le défaut de P.G.Q.I. de trouver des fonds pour que le film soit terminé et distribué, en temps prévu.

[119]     Elle tergiversera pendant près d'un an, faisant des enquêtes financières, comptables et légales, son mandataire ajusteur négociant un montant sur une entente possible, toujours "sans préjudice", de 3,700,000$ qu'il se disait confiant de pouvoir faire accepter, ce qui ne le sera pas, mais sans explication dans un sens ou dans l'autre, puis allant jusqu'à tenter de réduire sa responsabilité en payant "ex gratia" une somme de 450,000$ pour que le film soit distribué, en espérant que la "mouche" ne se lasse et qu'elle finisse par disparaître.

[120]     On a vu plus haut que tous les moyens possibles de contestation, tant de la poursuite éventuelle de ABN que de la présente affaire, subséquente, ont été soulevés et, dans les dossiers ABN, en Cour d'Appel et même en Cour Suprême du Canada, sur une période d'environ 7 ans.

[121]     Ayant épuisé ses contestations multiples, la défense règlera les dossiers ABN hors cour et pour ce qui semble avoir été le montant capital réclamé, sans que les détails de ces poursuites aient été plaidés ou soumis au soussigné par la demande.

[122]     Or, plutôt que de s'aligner sur le sort de la poursuite ABN, et pour des raisons qui n'ont pas été données, la présente affaire n'a pas été réglée et s'est continuée sur une autre période de 11 ans, ce que le soussigné estime avoir été négligent du coté de la demande, du moins pour un certain nombre d'années dont il sera tenu compte plus loin.

[123]     Qu'en est-il donc des nombreux moyens soulevés par les défenses amendées dans le présent dossier dont certains seulement ont été plaidés?

[124]     Après avoir nié ou commenté les allégués de la demande, la défense (version 2010) soulève par la suite ses nombreux arguments qu'il y a lieu de résumer:

[125]     Elle explique d'abord sa vision du marché de couverture Assurance/cautionnement dans le domaine des garanties de bonne fin (Par.15 à 22), ce qu'elle qualifie ensuite d'assurance contre dépenses additionnelles (Par.29 à 29), l'émission par les Lloyd's d'un contrat type dans ce domaine, le "line slip" (Par. 30 à 41, incluant l'énoncé au complet de D-1) puis enfin, le développement et l'usage de la garantie directe des Lloyd's à l'égard des bénéficiaires/investisseurs, le "Cut Through Endorsement" (Par. 42).

[126]     Vient ensuite sa version des faits concernant l'historique dans le dossier Agaguk et ses conclusions que si elle avait été avisée des évènements qu'elle décrit comme violant les dispositions des différents contrats, dont D-6 et D-7, et les fausses représentations de Léger, Smiley et P.G.Q.I. ( Par. 43 ii,t,u,v,) elle n'aurait jamais émis les "Cut Through" D-2, D-3 D-9 ( Par. 43 ii w, ee ).

[127]     Elle plaide ensuite les violations d'Agaguk de produire ses budgets, états des coûts, scripts etc. (par. 46, 47), elle ajoute ensuite que la prime due n'a pas été payée (par. 50).

[128]     Elle poursuit en soulevant des fausses représentations, autant avant qu'après l'émission des "Cut Through", concluant en une nullité "ab initio" des contrats d'assurance émis, en fonction des critères du Code Civil de Bas Canada qui régissait alors les parties (par 51 à 59). Elle ajoute que la réclamation est et doit être exclue (par. 64 à 68). Elle conclut enfin à une responsabilité partielle, à la seule hauteur des souscriptions des syndicats Lloyd's seulement (environ 65%), advenant une condamnation.

[129]     Elle soulèvera aussi au procès l'absence d'intérêt de la demanderesse à poursuivre, la dissolution, à des époques différentes, de la Société et donc son incapacité  de  continuer,  directement ou par son commandité, la procédure, les défauts  et réticences répétés de son "assurée" P.G.Q.I., ceux de Hayward, courtier de l'"assurée" et non agent des défenderesses, sa responsabilité potentielle uniquement pour la portion canadienne des dépassements (80%), l'acquiescement de Léger à ne pas poursuivre les Lloyd's pour ses dépassements dans Agaguk, le défaut d'avoir avisé les ajusteurs en temps utile de dépassements pouvant entraîner une contribution des Lloyd's, le financement initial déficitaire, et quoi d'autre encore!

[130]     Sur le quantum, elle produira un premier rapport concluant à une réclamation à zéro ou presque, mais au procès, elle révisera ses chiffres pour admettre une valeur potentielle de 1,088,274$ ( D-82-2 ). Nous y reviendrons.

Discussion:

[131]     En 1988 ou 1989, quand Léger a commencé à penser trouver du financement pour produire Agaguk dont il avait acquis les droits de reproduction au cinéma, il a discuté avec les représentants de L.B.G. avec lesquels il avait déjà fait des affaires,  pour qu'on mette en place un moyen de financement acceptable, et pour un budget acceptable, pour permettre l'organisation, le tournage et la distribution éventuelle du film.

[132]     Travaillant avec Smiley, L.B.G. et une batterie d'avocats et de banquiers, on décidera d'utiliser la société en commandite et des commanditaires pour financer le film.

[133]     Les avocats de L.B.G., plus particulièrement Fortier, maintenant chez R.S.S avocats, prépareront un prospectus conforme aux exigences de la Loi sur les Valeurs mobilières et, éventuellement, celles de Téléfilm Canada et la SODIC (Qué.), qui permettra de vendre des participations avantageuses fiscalement pour les investisseurs, L.B.G. devenant au départ "preneur ferme", c'est à dire, se rendant responsable du plein montant de la souscription à l'égard de la Société. Elle en tirera d'ailleurs une rémunération de 1,955,000$.

[134]     Pour sécuriser les commanditaires et autres financiers et conformément à une coutume qui s'installait à l'époque, on décida de recourir à une garantie de bonne fin en retenant les services de P.G.I., avantageusement connue dans le domaine depuis quelques années. Celle-ci incorporera au Québec une filiale, P.G (Québec).I..

[135]     P.G.I. profitant de son ouverture d'une "line" avec les Lloyd's, soumettra ce projet, parmi d'autres, aux Lloyd's (Adams comme Lead Underwriter) par l'entremise de la seule porte ouverte pour le faire, tel que décidé par les Lloyd's, soit le courtier accrédité Hayward.

[136]     Celui-ci présentera la proposition à Adams, comme à leur habitude, et une acceptation sera émise (Déclaration no.2, D-3 acceptée (scratched) par Adams le 20 sept 1990 (OFH9664) et no.6 acceptée par Adams le 24 sept 1990 (OFH 9095) D-2). On émettra trois "Cut Through" pour différentes couches de couvertures, deux de 5,750,000$ et le troisième pour le solde nécessaire à combler le 23,000,000$ de couverture requise (P-4).

[137]     Essentiellement, ces "Cut Through" confirment la responsabilité des Lloyd's de rembourser la Société pour tout manquement de P.G.Q.I. de rencontrer ses obligations, pour quelque raison que ce soit, à l'égard de la complétion et autres responsabilités assumées par P.G.Q.I. aux termes du "Motion Picture Guarantee Agreement" (sic) du 5 septembre 1990. Ils acceptent d'être considérés comme s'ils étaient eux-mêmes le garant de bonne fin et ce, depuis le premier dollar, nonobstant la franchise de P.G.Q.I.. L'avis de défaut (s) doit être donné aux Lloyd's par l'entremise de Hayward et Co. Les souscripteurs qui participeront à la présente police élisent domicile au bureau du représentant des Lloyd's au Canada, M. Tinmouth, les Lois du Québec s'appliquant.

[138]      Comme nous l'avons déjà vu, à la suite de complications de dernière heure à la mise en place d'une lettre de garantie par Unibank pour garantir à la B. Nat. le rachat par Film Acquisitions des soldes de participations des commanditaires en janvier 1992, la clôture prévue pour le 21 septembre 1990 dut être reportée de quelques jours.

[139]     ABN acceptera d'émettre la lettre mais exigera un collatéral en argent comptant qui sera retourné à la production quelques semaines plus tard, quand ABN escomptera les garanties de distribution prévues, lesquelles ne se matérialiseront pas cependant. Les défenderesses en font grand cas, mais le soussigné estime que l'accord de P.G.Q.I. de procéder de cette façon constitue, à l'égard de la Société, toute la légitimité qu'il fallait et engage les Lloyd's et autres puisque ces derniers ont laissé ce pouvoir à leur assuré/cautionné.

[140]     La preuve révèle que par la suite, certains changements dans le scénario,  dans certains postes budgétaires, dans l'engagement de D. Sutherland, les coupures à certains postes et les ajouts à d'autres, tout cela sur acceptation de P.G.Q.I., ont fait en sorte que, et cela se produit toujours comme en ont témoigné sans contestation Léger, Jonathan et le témoin Fisk, le budget initial, une feuille de route, a pu changer, ce qui ne constitue et ne peut constituer un manquement ou une ou des fausses représentations que pourraient soulever les Lloyd's comme elles l'ont fait ici.

[141]     Il est normal qu'il y ait des changements, selon les experts dans le domaine qui ont témoigné, non seulement dans les attributions budgétaires mais dans toutes les nombreuses phases de la production d'un film et sa sortie. C'est pour ces raisons imprévisibles que les budgets comportent des provisions pour aléas, soit au niveau des honoraires des producteurs, au poste des contingences, éventuellement aux honoraires pour le G.B.F. qui peuvent revenir à la production sous forme de ristournes ou bonus de non-réclamation, d'ailleurs encouragés par les Lloyd's eux-mêmes, comme indiqué par les témoins Hayward et Adams.

[142]     En somme, tout ce qui a été décrit par Léger, Smiley et Proulx comme s'étant passé avant février 1991, bien que pouvant diverger du budget initial, était néanmoins normal et n'aurait pas nécessité une réclamation, n'eut été le dégel fatidique qui allait retarder la production, chambouler les budgets, détruire la grande majorité des décors et forcer les producteurs à recommencer une grande partie de ce qui avait été réalisé jusqu'alors le tout, à frais s'élevant à plus de 3,000,000$ dont une partie sera remboursée par l'assureur Chubb, vraisemblablement certains des dommages directs.

[143]     Mais on devra reconstruire les décors, garder et payer tout le personnel, essayer de les utiliser à des choses profitables, reprendre beaucoup de travail, faire preuve d'imagination pour pouvoir imbriquer les acquis du passé à un futur modifié, bref, un recul de plusieurs millions de dollars.

[144]     Il y aura aussi des problèmes importants dans les prises de vues dans le grand Nord, des difficultés coûteuses à tourner des scènes avec des animaux "sauvages" mais pas très "collaborateurs", un accident d'hélicoptère et d'autres imprévus qui amèneront des dépassements de budget assez importants, toujours au su et avec l'entière approbation de Vanger, jusqu'à son décès en août 1991, à laquelle époque le film était presque complété mais restait à assembler, la trame sonore à refaire en studio et autres travaux de finition.

[145]     On a vu qu'à cette époque, Vanger essayait de trouver des argents dans d'autres productions dont il était responsable et il en avait avisé Léger qui, pas content, a dû faire appel à ses propres moyens financiers et à ceux d'autres personnes ou corporations amies pour continuer de payer les frais grandissants et que Vanger ne lui procurait pas, nonobstant les engagements de D-6 et D-7.

[146]     Il semble certain que Vanger voulait éviter à tout prix une demande aux Lloyd's et c'est ce qui explique les gestes qu'il a posés ou amorcés puisque P.G.Q.I. était au premier rang d'une responsabilité financière à l'égard de la Société vis-à-vis ceux-ci, lui qui risquait de perdre tout si une réclamation était faite. Comme l'ont dit Hayward et Adams, et le soussigné paraphrase : "The whole market would have dried up if there had been a substantial claim".

[147]     Il faut donc conclure que et Hayward et Adams ont été mis au courant de tout le portrait de la situation d'Agaguk dés le printemps 1991 par Vanger qui leur aurait dit qu'il n'y aurait pas de réclamation et qu'il règlerait le tout lui-même. Il faut se rappeler qu'il y avait plusieurs productions en marche en même temps, et dont il était le garant, dont au moins une de Vanger lui-même, Barr Sinister, dont il escomptait se servir dans un refinancement pour payer Léger.

[148]     C'est la seule conclusion à laquelle on peut arriver si on accorde croyance au témoignage de Jonathan qui dit avoir rencontré Hayward et Adams à quelques reprises à Londres en 1991 et antérieurement, et qui témoigne de façon non contredite que lors de ces rencontres assez fréquentes, son père faisait un rapport détaillé de la situation de tous les films cautionnés par les Lloyd's, ce qui devait aussi couvrir Agaguk.

[149]     Ainsi, malgré qu'aucun document formel d'avis aux Lloyd's de problèmes ou de défaut de P.G.Q.I. n'ait été produit au procès, le soussigné estime qu'on ne saurait soulever, à l'encontre de la Société, un avis tardif. D'ailleurs, la preuve révèle qu'après le décès de son père, Jonathan a tout fait pour tenter de trouver des argents pour dédommager Agaguk, étant en fréquents contacts (mensuellement, dira-t-il) avec Hayward et Adams, mais sans succès. (Voir, entre autres, P-7 en liasse), ayant entre-temps dû fermer les portes de P.G.I. et ayant dû former une autre entité, Vanger Brothers Entertainement, puis Production Bonding Co., lesquelles n'iront nulle part.

[150]     Ces avis et les informations communiquées directement par les Vanger, père et fils, aux représentants des Lloyd's, tant Adams que Hayward, seul conduit accepté, doublé de la preuve que c'est Hayward qui seul possédait toute la documentation concernant les cautionnements et la répartition des participations au risque de syndicats des Lloyd's et d'autres de l'extérieur, amène à la conclusion que Hayward doit être, à cet égard, considéré comme un représentant ou agent des Lloyd's susceptible de les lier, tant au point de vue de l'émission des couvertures, du suivi des dossiers que des avis de problèmes. On ne saurait donc soulever quelque défaut de la part de la Société, le bénéficiaire ultime, que de la part de l'assurée/cautionnée, P.G.Q.I. qui semble avoir respecté ses obligations envers le "Lead Underwriter", pour le compte de tous les participants au risque.

[151]     À cet égard, il y a lieu de disposer de suite de l'argument soulevé par la défense prétendant que, de toute façon, et advenant une condamnation, elle ne saurait être responsable que d'environ 65% de ladite condamnation, vu son engagement aux polices émises en faveur de P.G.Q.I. et, ultimement, de la Société comme bénéficiaire.

[152]     Rappelons que le bref signifié en 1993 ne l'a été qu'à Montréal, aux bureaux de M. Tinmouth, depuis remplacé comme fondé par M. Oppenheim, et ne mentionne comme défenderesses que le Syndicat Broad et Adams, sans autres désignations pour tous les autres participants au risque, dont les noms et pourcentages de souscription au risque sont indiqués à chaque police "line " annuelle (D-2 et D-3).

[153]     Or, non seulement n'y a-t-il aucune preuve au dossier que ces polices et leur mot à mot aient été communiqués à la Société bénéficiaire, il n'y a qu'une lettre de Tinmouth datée du 21 septembre 1990 et adressée au bureau de Fortier ( P-1 ) qui spécifie qu'il est autorisé à recevoir signification de procédures intentées contre des Underwriters des Lloyd's seulement mais pas pour les autres assureurs qui auraient participé au risque assumé par Adams. Ce document contredit les termes précis des "Cut Through" (P-4). On y parle de "Lloyd's and/or Company underwriters", ce qui inclut les autres participants non-Lloyd's, et on prévoit à la fin du libellé: Policy subject to the Laws of the Province of Quebec….for such purposes Underwriters who subscribe to this policy agree to elect domicile in Montréal…at the offices of Lloyd's attorney in Canada Mr. E.W.Tinmouth.

[154]     Le soussigné estime donc que la signification au "Lead Underwriter" à Montréal, pour le compte de tous les souscripteurs à la police et aux "Cut Through" a été faite valablement et que la défense ne saurait tenter de faire échapper les souscripteurs non-Lloyd's à une participation à une condamnation éventuelle. Les défenderesses ici présentes devront acquitter la totalité du montant qui sera déterminé par le soussigné, nonobstant leur entente de partage avec d'autres souscripteurs.

[155]     Ainsi, il est clair que la défense ne peut prétendre à une nullité "ab initio" de la police/cautionnement en se basant sur des réticences de son assuré/cautionné, P.G.Q.I.. Il est acquis que Vanger a donné toutes les informations requises par Hayward et Adams de sorte qu'une acceptation du film Agaguk soit valablement donnée, et des "Cut Through" émis. Il est également incontestable que Vanger a tenu les représentants des souscripteurs au fait des problèmes de production du film Agaguk et qu'aucun défaut d'avis de perte ne puisse être attribué ni à la Société, ni à P.G.Q.I..

[156]     On a également vu que puisque tous les gestes posés par la production, tant pour obtenir la lettre de crédit de ABN avant la clôture, qu'après pour faire des ajustements nécessités par les évènements ou par les aléas de la nature ont tous été soumis à et approuvés par P.G.Q.I., comme elle en avait la responsabilité et le devoir en vertu de D-6 et D-7. Il faut conclure que la Société avait le droit d'être dédommagée par P.G.Q.I. de ses dépassements de coûts et, à défaut par P.G.Q.I. de le faire, d'en demander paiement des souscripteurs aux "Cut Through".

[157]     Tel qu'énoncé plus haut, il semble que l'intervention de Vic. Broad en 1992 ait provoqué une levée de protection (faut-il dire de boucliers). La nomination de Clyde et Co., avocats, et de Taylor, ajusteur ont été faites de façon normale, semble-t-il, tout comme l'approche "sans préjudice" qu'on peut comprendre dans l'enquête des circonstances et l'examen de toute la situation.

[158]     La comptable Martin examinera tous les chiffres et leur justification et conclura à des dépassements de 6,427,235$ (P-14), tout en donnant certains commentaires à Taylor au sujet de certains postes.

[159]     Sur la foi de cette détermination, Taylor viendra à Montréal rencontrer Léger et Smiley. Après plusieurs heures de discussions avec eux, il fera entente sans préjudice avec eux et dira qu'il entend recommander à ses mandants de régler pour la somme de 3,700,000$, plus un montant de 100,000$ en intérêts, en leur disant qu'il avait une "moyenne au bâton" dans ce genre d'affaires avec les Lloyd's de 100%.

[160]     Cette proposition ne fut pas acceptée!

[161]     Que s'est-il donc passé?

[162]     C'est le témoin Simison qui dira au soussigné qu'alors qu'elle attendait des instructions de son mandant Broad, pour le compte des «Names» (Lloyd's ou non) souscripteurs sur le risque, les évènements se sont précipités lorsque ABN a institué une première poursuite, suivie d'une seconde, on l'a vu. Les souscripteurs ont alors retenu les services de Green de RSS à Montréal.

[163]     C'est lui qui dira à Simison, et vraisemblablement aux assureurs/cautions qu'il y avait de nombreux motifs de nullité de la police et des obligations des Lloyd's, les autres souscripteurs ayant retenu les services de d'autres procureurs dans ces autres dossiers. Sans se prononcer, le soussigné croit que les "Cut Through" en faveur de ABN étaient différents de ceux qui nous concernent: quoiqu'il en soit, ABN n'a pas pris de chance et a poursuivi tous les «Names».

[164]     Les motifs trouvés par Green et transmis à Simison à l'époque étaient les suivants:

 

164.1.  Avis tardif des dépassements;

164.2.  Non paiement de la prime;

164.3.  Budget de départ inadéquat;

164.4.  Budget déjà dépassé lors de l'émission des "Cut Through";

164.5.  Les souscripteurs n'ont pas été informés des problèmes financiers de la production par P.G.Q.I.;

164.6.  P.G.Q.I. recommandaient de prendre charge de la production;

164.7.  Aucune réclamation à l'époque des dépassements principaux (1991);

164.8.  Le courtier n'avait pas placé entièrement la dernière tranche de couverture, sans le dire au "Lead Underwriter";

164.9.  P.G.Q.I. n'a pas divulgué les problèmes de d'autres productions lors de l'émission des "Cut Through" dans Agaguk.

 

[165]     Elle fit donc la recommandation de refuser d'indemniser, laquelle fut acceptée.

[166]     Malheureusement, ces motifs ne seront pas donnés avant l'institution des procédures en juin 1993 et ne seront donnés que lors de la production de la défense en…2003.

[167]     Avec le recul du temps et après avoir entendu une preuve complète, comme en ont décidé les procureurs au dossier, le soussigné estime que tous ces motifs, quant à la Société bénéficiaire, n'ont aucun fondement, pour toutes les raisons données dans le présent jugement.

[168]     Les assureurs/cautions se sont entièrement fiés à Green pour refuser, sans droit, d'honorer la réclamation bien fondée de la Société et de son ayant droit, la demanderesse. Ils doivent donc payer!

Le quantum:

[169]     La demande, simpliste, s'est contentée de produire un sommaire au 31 juillet 1992 des coûts de production du film Agaguk (P-5). Cette pièce s'inspire du budget initial du prospectus (P-2 pages 19 et 20), mais regroupe la totalité des prévisions budgétaires, tant canadiennes (19,127,000$) que françaises (2,960,000$), ce qui totalisait à P-2 la somme arrondie de 22,090,000$ excluant les imprévus et la G.B.F., soit 15% du total. P-5 nous donne un total, pour les mêmes postes de 22,393,000$, ce qui est très près du chiffre initial et peut s'expliquer par des changements de peu d'importance.

[170]     Puis, P-2 fait l'ajustement nécessaire pour rencontrer l'autorisation de co-production (80% / 20%) en faisant un transfert sur papier de 1,456,000$ en faveur du coté français, ce qui donnera le fameux 20,268,000$ dont parlent le prospectus et les différentes conventions de garantie et "Cut Through".

[171]     On a parlé de différents évènements qui ont augmenté les coûts, de façon imprévue, à un total, pour les deux partenaires canadien et français, de 31,730,000$ qui, après ajustements, laisse la somme réclamée de 6,717,000$ qui apparaît à la déclaration.

[172]     La mandataire des Lloyd's et autres souscripteurs, la comptable Martin, arrivera, après avoir tout vérifié la comptabilité et les preuves, à un montant déficitaire de 6,427,000$ (P-14).

[173]     Au procès, les procureurs des défenderesses feront une admission à l'effet que les dépassements de la Société doivent totaliser seulement 80% des chiffres avancés, soit la somme de 5,171,900$ dont leur expert déduira différents montants pour conclure, tel qu'amendé au procès, à un résidu de 1,088,200$, sous réserve de la responsabilité des défenderesses (D-82-2).

[174]     Il y a d'abord lieu de régler cette prétention voulant que seulement 80% des dépassements puissent être réclamés. Les défenderesses se fondent uniquement sur le budget initial dans P-2 pour étayer leur argument: le financement de la partie canadienne était de 23,000,000$ dont les honoraires de L.B.G., laissant un résidu de 20,268,000$ sujet à la garantie de bonne fin et aux "Cut Through", on le voit au dossier.

[175]     Ainsi, puisque seule la partie canadienne a été assurée/cautionnée par les défenderesses, elles ne sauraient être tenues de rembourser que la partie proportionnelle des dépassements.

[176]     Or, le budget initial P-2 mentionne pourtant clairement que la part française a aussi  payé  sa part de la garantie de bonne fin,  soit 191,000$ du  budget  initial total  de  955,000$.  On reverra  ce chiffre à  P-5.  Mais  on  y verra  qu'il a été  augmenté  à 1,380,000$ représentant le chiffre réel qu'on voit tout de suite après la clôture du 26 septembre 1990, laissant un dépassement inscrit à P-5 de 424,000$ à ce poste, et qui est réclamé parmi les autres dépassements.

[177]     Le soussigné  estime  que les prétentions des  défenderesses à cet égard sont mal  fondées.  La protection acquise  contre les  dépassements  ne pouvait  dépasser 20,268,000$, sauf au cas d'abandon du projet, ce qui pouvait hausser le risque à un maximum de 23,000,000$, (somme que réclamera Smiley dans une lettre de mise en demeure adressée en novembre 1992 à P.G.Q.I. et copiée à Hayward P-9). C'est vraisemblablement en réponse à cette lettre que les défenderesses accepteront de  payer pour l'émission des copies du film à Sonolab à hauteur de près de 450,000$ pour éviter que le film ne soit jamais mis en circulation, ce qui aurait pu provoquer une responsabilité pour le 23,000,000$ (P-14, P-17, P-18).

[178]     La police et la protection obtenue par le G.B.F. pour la production du film auprès des Lloyd's visait le complétion et la distribution d'un film complet et prêt à être remis aux distributeurs, tel que le prévoient les conventions produites au dossier. On ne saurait donc plaider que seule une partie des dépassements pourrait être réclamée des défenderesses, d'autant plus que la preuve non contestée ici démontre que c'est Léger, ses compagnies et alliés qui ont absorbé et financé tous les dépassements.

[179]     Partons donc du chiffre déterminé par la comptable des défenderesses Martin, soit 6,427,000$ représentant son évaluation des dépassements du film Agaguk.

[180]     De cette somme, il faut maintenant enlever ou extraire certains montants:

 

180.1.  13,094$ admis au procès par la demande comme représentant des dépenses personnelles;

 

180.2.  1,380,000$ soit les honoraires du garant de bonne fin. Le soussigné ne voit pas comment on pourrait justifier cette somme ou partie d'icelle dans un calcul de dépassements. Il s'agit d'un coût qui n'a rien à voir avec la production comme telle;

 

180.3.  312,000$ représentant les émoluments nets de l'acteur D. Sutherland, engagé après l'émission du prospectus, donc, non prévu dans le budget initial. Ce n'est donc pas un dépassement comme tel;

 

180.4.  500,000$ solde des argents dus au producteur. La preuve révèle que la pratique en matière de garanties de bonne fin est à l'effet qu'en cas de dépassements, les émoluments et du G.B.F. et ceux du producteur sont toujours utilisés avant d'avoir recours aux "Cut Through". Il n'y a donc pas de raison de ne pas suivre la coutume;

 

180.5.  Ces déductions forment un total de 2,205,100$ qui doit être enlevé du montant de 6,427,000$ précité, laissant un solde à payer de 4,222,000$.

 

[181]     Selon le soussigné, tous les autres montants décrits dans P-5 et analysés par l'expert de la défense doivent être considérés comme des dépassements "réclamables", y inclus les coûts du "making of", projeté pour les participants en salle d'audience, devant le Tribunal, et qui démontre de façon on ne peut plus explicite les nombreux problèmes et déboires subis par la production du film. Ajoutons pour information que les coûts de confection de ce "making of" ont été entièrement récupérés par sa vente et distribution éventuelle (Proulx).

[182]     Quant aux déductions à la source impayées (D.A.S.) de 388,488$ et probablement prescrites à ce jour, le Tribunal ne voit pas comment les défenderesses en profiteraient et pourquoi elles devraient être déduites du montant attribué par le soussigné, spécialement au vu de l'engagement de Proulx de les payer, sur réception des argents, question d'honneur, de conscience et de morale sociale.

Les délais inhabituels:

[183]     L'action a été intentée en juin 1993.

[184]     Ce ne sera qu'en 2003 que des défenses sont produites par les défenderesses, la défenderesse P.G.Q.I. ayant fait défaut de comparaître.

[185]     Ces défenses seront modifiées en février 2007 alors qu'on produira sous 403 C.p.c. en décembre 2007 plus de 397 pièces (D-1 à D-397), un véritable "tsunami"!

[186]     À la suite de la prise en charge du dossier par le soussigné à l'été 2010, la défense produira une défense amendée qu'elle accompagnera d'exhibits réduits à 82 pièces qui seront augmentées d'autres documents jusqu'à D-103, plusieurs de ces documents additionnels ayant présumément toujours été en la possession des avocats des défenderesses. Les lapins sortaient régulièrement du chapeau!

[187]     Ajoutons la requête surprise au début projeté de l'enquête, la décision interlocutoire du soussigné et l'appel rejeté qui ont retardé le procès d'au moins trois semaines, ce qui aurait pu et dû être évité par le respect des dispositions du Code de procédure et des Règlements de procédure civile de la Cour et ce, pour des motifs de fraude alléguée qui n'ont pas été démontrés par la défense.

[188]     Par ailleurs, comme aucune justification du délai initial de près de 10 ans n'a été offerte, encore qu'on puisse présumer que la demanderesse a dû choisir d'attendre de voir ce qui se passerait dans les dossiers d'ABN, plus fortunée qu'elle, il y a lieu ici, en toute justice pour la demande, de considérer que les intérêts et l'indemnité additionnelle doivent lui être accordés sur le montant de la condamnation à partir du 1er juin 1999, en considération du fait du règlement intervenu avec ABN en mars ou avril 1999. Le soussigné estime qu'il aurait pu y avoir règlement dans le présent dossier dans les semaines suivant le règlement des dossiers ABN, les défenderesses possédant depuis longtemps tous les chiffres de Agaguk.

Les dommages punitifs:

[189]     Par  amendement   au  procès,   la   demande  requiert  une  condamnation  de  2,000,000$ contre les défenderesses à raison de leurs agissements et pendant les discussions subséquentes à la réclamation faite et par la suite, pendant de longues années, y incluant au procès, tant de leur fait que du fait de leurs procureurs dont les agissements au procès feront l'objet de commentaires plus loin.

[190]     Le simple passage du temps et les agissements des procureurs d'une partie à un dossier judiciaire ne sauraient entraîner une condamnation en soi, une punition par l'attribution de dommages-intérêts dits "punitifs".

[191]     Le retard d'agir vient de toutes les parties à un litige, autant celle qui ne pousse pas l'autre à remplir ses obligations judiciaires que celle qui traîne la patte par toutes sortes de manœuvres. La partie qui veut qu'on respecte les délais du Tribunal a les moyens d'agir.

[192]     Ici, il y a un délai non expliqué ni justifié devant le soussigné pour le retard initial à soumettre le litige à la cour. Mais dès qu'on a pu ou aurait pu ou dû avancer, ici en juin 1999, le défaut des défenderesses d'agir correctement envers la demande quand elle aurait dû le faire, dans la foulée du règlement des dossiers ABN, fait en sorte qu'elle doit subir la punition des intérêts et indemnité additionnelle à compter du 1er juin 1999. Cela est suffisant comme pénalité!

[193]     Il faut maintenant parler de la conduite des avocats des défenderesses,  Robinson, Sheppard, Shapiro.

[194]     La demande prie le Tribunal de les condamner personnellement à une somme de 20,000$, à raison de leur requête surprise du départ laquelle a occasionné des honoraires additionnels qu'elle doit payer à son procureur.

[195]     Avant de disposer de cette demande, le Tribunal estime qu'il est utile d'examiner la conduite, en général, des procureurs des défenderesses, et ce, depuis le début du dossier et de celui d'ABN.

[196]     Comme on l'a déjà vu, c'est Green qui semble avoir pris les devants dès réception du mandat des Lloyd's. C'est lui qui examinera la documentation, qui fera les procédures, les interrogatoires et probablement les appels dont il a été question lors de son témoignage.

[197]     C'est lui qui donnera à Simison les arguments contre la Société, P.G.Q.I.  et les courtiers, tous mis dans le même panier, ce qui amènera ses clientes à nier couverture, si tant est qu'il s'agisse d'une assurance, et indemnisation. Mais, malgré tous ses efforts, il devra recommander à ses clientes de régler ABN, sans apparemment faire de même dans le présent dossier. Le Tribunal n'a pas été avisé des pourparlers qui ont pu avoir lieu, mais nul doute qu'une offre à 3,700,000$ telle que discutée avec Taylor en 1993 aurait été acceptée.

[198]     Est-ce lui qui prendra la décision de ne pas donner de motifs de refus à la demanderesse ou à la Société avant l'institution des procédures ou Simison? Il n'en demeure pas moins que la Société avait le droit de se faire dire pourquoi on refusait sa réclamation. La réponse et les détails de ce refus ne viendront que 10 ans plus tard!

[199]     Or, malgré que les dossiers d'ABN aient été réglés en mars/avril 1999, une défense-marteau était déposée en 2003, comportant tous les moyens déjà examinés, et encore, accompagnée de pièces presque innombrables, tout pour décourager même les plus coriaces adversaires. Ces pièces, nouvelles et inconnues de la demanderesse pour la plupart, seront élaguées pour le procès, mais pas tant que cela.

[200]     De plus, au procès, on sortira un subpoena "Duces Tecum" signifié quelques semaines auparavant à Proulx, le sommant d'apporter à la cour des documents vieux de 20 ans et, pour la plupart, déjà vérifiés et attestés par la comptable Martin pour le compte des défenderesses en 1992! Et on aura l'audace de demander au soussigné de ne pas accorder quelque montant que ce soit pour ces différentes dépenses "non supportées" par la meilleure preuve.

[201]     On fera aussi témoigner un avocat québécois, Peter Casey, dont la pratique antérieure à sa retraite touchait les financements et le droit des compagnies, qui dira comment les gestes de la Société étaient contraires à la pratique, illégaux, contraires à la législation sur les Valeurs mobilières…De toute évidence, un quart-arrière du lundi! Il a rempli la commande reçue de Green et a préparé un rapport somme toute inutile pour le soussigné.

[202]     Mieux encore, les procureurs ont aussi fait témoigner Fortier, avocat représentant à l'époque de L.B.G., le preneur ferme, qui est venu dire que s'il avait su tout ce qu'on lui a dit par la suite, il aurait conseillé à ses clients de ne pas conclure le marché du financement de la Société. Pourtant, comme un des principaux joueurs à l'époque, il a su que la première clôture devait être reportée et les motifs de ce report. Il a aussi dû savoir qu'on tentait de trouver un nouvel émetteur de la fameuse lettre de crédit pour garantir le rachat des commanditaires. Il est difficile de croire qu'il n'a pas demandé ou eu des détails sur ce qui s'est passé entre le 21 et le 26 septembre, date à laquelle on a complété la documentation pour aller de l'avant.

[203]     Comment croire qu'il n'a pas été mis au courant de l'émission d'un chèque à ABN d'environ 13,000,000$ au lieu que toute la somme de la souscription ne se retrouve dans le compte de la production du film …!

[204]     Et ce qui inquiète encore plus, c'est que les procureurs de la défense fassent témoigner ce nouveau membre de leur société d'avocats, tout comme ils feront témoigner Green!

[205]     Malgré les protestations justifiées du procureur de la demande pour empêcher cette violation de la règle du conflit d'intérêts bien connue qui châtie ces digressions en expulsant tout le cabinet d'avocats du dossier, le soussigné a pris sous réserve pour éviter une remise de la cause, déjà vieille de 18 ans depuis les évènements. Il faut maintenant dire qu'il y a eu abus ici aussi!

[206]     En somme, même s'il est de bonne guerre de représenter des clients au meilleur de son talent d'avocat et en utilisant les moyens mis à sa disposition par la loi ou la procédure, il n'est pas justifié ni acceptable d'agir avec rudesse et déloyauté comme on l'a fait à quelques reprises dans le présent dossier, tant avant que pendant le procès.

[207]      Est-ce toutefois suffisant pour accorder des dommages punitifs, sous 54.1 et suivants C.p.c.?

[208]     Avec hésitation, le soussigné estime que non, étant acquis que les commentaires précédents feront  impression autant que ne le ferait une condamnation monétaire.

[209]     Toutefois, il y a lieu de condamner les procureurs des défenderesses personnellement au paiement des frais taxables de la requête pour rejet présentée au début de l'enquête de même que ceux de l'appel rejeté par le juge Dalphond.

 

Pour ces motifs, le Tribunal:

 

[210]     Maintient l'action en partie;

[211]     Condamne les défenderesses à payer à la demanderesse la somme de 4,222,000$ avec intérêts et indemnité additionnelle depuis le 1er juin 1999;

 

[212]     Condamne les procureurs des défenderesses, personnellement,  aux dépens en Cour Supérieure et en Cour d'Appel sur la requête en rejet pour défaut d'intérêt à l'encontre de la demanderesse;

[213]     Avec entiers dépens;

 

 

__________________________________

RICHARD NADEAU, J.C.S.

 

 

 

Me Eric Oliver

LA ROCHE ROULEAU & ASSOCIÉS

Procureurs de la demanderesse

 

Me Marc Prévost

Me Katherine Delage

ROBINSON SHEPPARD SHAPIRO

Procureurs des défendeurs Mark Oppenheim, V.W. Broad Underwriting Agencies Ltd, V.W. Broad and others syndicate 370, V.W. Broad Syndicate et Dominic Adams

 

 

Dates d’audience :

10, 13, 19, 27, 28, 31 janvier et 1, 2, 7, 8, 9, 10, 14, 16, 17, 24, 25 février 2011

 



[1]     Droit: Articles 1929, 1941 et 1958 C.c.B.C.;

      Doctrine: Ciotola, Pierre, Droit des sûretés, 3e édition, Themis, Montréal, 1999, pp. 21, 44 et 45; Poudrier-Lebel, Louise, Le Cautionnement par compagnie de garantie, Yvon Blais, Cowansville, 1986 p. 80;

Jurisprudence:

Finances-Film Canada Ltée c. Banque Nationale du Canada, [2001] J.Q. no. 4067; National Bank of Canada v. Intertainment Licensing GMBH, 2002 Cal. App. Unpub. Lexis 11507; Union Generale Cinematographique S.A. v. Motion Picture Guarantors Inc., [1985] O.J. No. 284; Compagnie d'assurances London Garantie c.Girard & Girard Inc., J.E. 2004-415 (C.A.).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.