Guimont c. RNC Média inc. (CHOI-FM)

2012 QCCA 563

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-007189-100

(200-17-011421-096)

 

DATE :

26 mars 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

 

ROCH GUIMONT

APPELANT - Demandeur

c.

 

RNC MÉDIA INC. (CHOI-FM)

COGECO DIFFUSION INC. (CJMF-FM 93)

INTIMÉES - Défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure du 21 septembre 2010, district de Québec (l’honorable Martin Dallaire), qui a accueilli la requête en rejet des procédures présentée par les intimées en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c. et rejeté sans frais sa requête introductive d'instance.

[2]           Les faits sont bien expliqués par le juge de première instance :

les faits

[4]        De l'ensemble des faits soumis au tribunal, le tribunal comprend que la vie du demandeur bascule lors d'un moment d'égarement. En effet, en 2001, le demandeur Roch Guimont est arrêté et accusé d'agression sexuelle à l'égard d'une serveuse, rencontre d'un soir. À l'époque, le demandeur était aspirant policier à l'Institut de police de Nicolet. Suite à cette accusation, son rêve de faire carrière comme policier est interrompu et il lui est impossible de continuer ses études.

[5]        Son attente a duré tout près de trois ans et suite à un procès devant juge et jury, il a été acquitté de cette accusation.

[6]        Malgré son acquittement, sa vie s'est complètement modifiée, il devient chauffeur de taxi et occupe divers emplois résultant en une situation passablement difficile.

[7]        Or, il va sans dire que profondément vexé de cette poursuite qu'il jugeait comme abusive et frivole, il poursuivit la Ville de Québec et la prétendue victime pour dommages (670 000 $) et dont une atteinte à la réputation (100 000 $).

[8]        Par un jugement prononcé le 13 avril 2007, le juge Yvan Godin rejette le recours de Roch Guimont contre la Ville de Québec puisque ce recours est prescrit n'ayant pas introduit son recours dans les six mois prévus à l'article 586 de la Loi sur les cités et villes.

[9]        Le jugement du juge Godin a été confirmé par la Cour d'appel le 5 novembre 2007. La poursuite personnelle contre la prétendue victime est abandonnée en raison de sa faillite personnelle, le 16 octobre 2008.

[10]      Mécontent de son sort et se disant victime d'une injustice, celui-ci publie une page Web sur Internet intitulée « www.injusticecanada.ca » et reprend ses malheurs. Il étale sa frustration en écrivant à plusieurs personnalités politiques et corps publics.

[11]      Se nourrissant de cette frustration et s'abreuvant de sa rancune, il rencontre, au cours d'un soir de décembre 2008, un serveur dans un bar et il lui confie ses malheurs. Il l'invite à venir à son domicile. Sur place, il lui exhibe une série d'armes qu'il entreposait, entre autres, soit un fusil de calibre 12 à pompe avec crosse repliable, deux couteaux dont un de style de commando, deux vestes pare-balles, deux paires de lunettes de style vision nocturne, un casque d'acier militaire américain, des contenants de répulsifs (poivre de Cayenne) masques à gaz, un laser vert à longue distance et lui remet un CD de son site.

[12]      Le serveur Pascal Gagnon s'étonne de voir tous ces objets intimidants et dangereux et mentionne au demandeur qu'il n'aura guère d'autre choix que de dénoncer cette situation à la police. À ces propos le demandeur réplique qu'il est bien conscient de l'impact de sa situation et fanfaronnant, il déclare « tu vas voir que tu vas avoir un show ».

[13]      Le lendemain, le serveur Pascal Gagnon porte plainte auprès du corps de police de Québec et celui-ci, en raison des événements et des propos tenus par le demandeur, déclenche une opération musclée pour son arrestation en ayant recours au service de l'Escouade G.I.T. (Groupe d'intervention tactique).

[14]      Suite à son arrestation, autant les journaux que la radio, soit les défenderesses en l'instance, ont été appelés à commenter l'arrestation de Roch Guimont en raison de l'aspect spectaculaire et musclé de cette intervention.

[15]      En raison de ces articles, le demandeur reproche aux médias de ne pas avoir traité adéquatement l'information en inscrivant des propos généraux et inexacts et plus particulièrement, ne pas avoir prêté foi à sa propre version des faits.

[3]           Le 3 décembre 2008, l'appelant a donc fait l'objet d'une arrestation musclée par l'Escouade d'intervention tactique. Les médias écrits de même que certaines stations radiophoniques ont commenté l'affaire. En première instance, plusieurs médias étaient poursuivis en diffamation. L'appelant n'a toutefois porté en appel que la décision visant les intimées qui exploitent deux stations radiophoniques.

[4]           À la suite d'un interrogatoire avant défense de l'appelant, les intimées présentent leur requête. Elles invoquent le caractère abusif de son recours. Selon elles, il ne cherche pas à obtenir compensation pour les dommages prétendument subis à la suite de son arrestation en décembre 2008. Il désire plutôt être indemnisé pour les dommages subis en raison de sa première arrestation en 2001.

[5]           Les intimées ajoutent qu'aucun reproche ne peut être formulé à leur égard puisque l'appelant a lui-même provoqué les évènements qui ont mené à son arrestation en décembre 2008. Il utilise son recours contre elles non pas pour obtenir compensation, mais bien pour publiciser et faire avancer sa thèse du « complot » qui a mené à une accusation d'agression sexuelle contre lui en 2001. En fait, il détourne les fins de la justice.

[6]           Le juge de première instance leur donne raison et est d'avis que l'appelant se livre à une quête incessante pour assouvir sa soif de justice en lien avec l'accusation d'agression sexuelle de 2001 qui est à l'origine de tous ses malheurs. Par ailleurs, il estime que les dommages réclamés, soit 9 000 000 $[1] au total, sont déraisonnables pour des blessures à l'estime de soi.

[7]           En ce qui concerne les propos des intimées qui pourraient être diffamatoires, le juge retient que l'appelant est incapable de les préciser. Selon ce dernier, tous les propos sont diffamatoires.

[8]           Le juge conclut que l'appelant cherche à nourrir la controverse et à se battre pour rétablir sa réputation. Il détourne les fins de la justice pour assouvir sa frustration.

[9]           Les intimées ayant établi de façon sommaire le bien-fondé de leur requête en vertu de l'article 54.1 C.p.c., le juge s’attarde ensuite à déterminer si l'appelant a fait la démonstration que son recours n'est pas excessif. Il estime qu'il ne s'est pas déchargé de ce fardeau et que son recours n'a aucune chance de succès.

[10]        L’appelant reproche au juge de première instance d’avoir fondé sa décision sur l’examen de la suffisance de la preuve de diffamation et l’analyse des moyens de défense des intimées. Or, il aurait dû s’en tenir à vérifier si l’interrogatoire révèle que tout ce qui est invoqué dans la procédure n’a pas de fondement dans les faits et n’est pas suffisant pour soutenir avec succès une prétention en droit. Selon l’appelant, la transcription des propos tenus lors des émissions radiophoniques des 4 et 5 décembre 2008 démontre clairement qu’il a été victime d’une campagne de diffamation et de dénigrement. L’argument selon lequel il a été l’artisan de son propre malheur devra être débattu au fond et non au stade d’une requête en rejet.

[11]        Les intimées font pour leur part valoir qu’une décision rendue en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c. repose sur l’appréciation des faits, ce qui relève du domaine privilégié du juge de première instance à l’égard duquel une cour d’appel doit faire preuve de déférence. Elles reprochent à l’appelant de ne pas avoir déposé au dossier d’appel toute la preuve dont disposait le juge de première instance pour trancher la requête. La Cour devrait donc rejeter l’appel puisqu’elle n’est pas en mesure de déterminer si le juge a eu tort de conclure au caractère abusif du recours après analyse du dossier[2].

[12]        En outre, la requête en rejet a été présentée après la tenue de l’interrogatoire avant défense de l’appelant et la communication de nombreux engagements qui ont permis au juge de première instance de conclure que le recours était abusif. Les intimées plaident que l’appelant a été l’artisan de son propre malheur, qu’il n’est toujours pas en mesure de préciser quels propos étaient diffamatoires, que le quantum des dommages réclamés (4 000 000 $) est abusif et que le seul but de son recours est de faire connaître le complot dont il a été victime en 2001. Ce dernier élément constitue un motif distinct, soit le détournement des fins de la justice, qui justifie le rejet de sa procédure.

[13]        La Cour rappelle, dans Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation[3], que la jurisprudence découlant des articles 75.1 et 75.2 C.p.c. demeure pertinente pour trancher une requête en vertu de l'article 54.1 C.p.c. Entre autres, un juge doit faire preuve d'une grande prudence avant de rejeter sommairement un recours. Par ailleurs, notre collègue le juge Vézina s'exprime ainsi sur cette question dans un arrêt récent :

[67]      Les nouvelles dispositions pour « sanctionner les abus de procédure » exigent du doigté et de la finesse de la part des juges qui doivent décider sommairement des droits des parties alors que leur rôle est d’abord et avant tout de trancher en pleine connaissance de cause après avoir entendu pleinement les parties et leurs témoins.

[68]      Confrontés à une poursuite-bâillon, ils doivent intervenir sans délai, mais dans le cas d’actions traditionnelles où il n’y a pas d’urgence, ils doivent se hâter lentement.[4]

[14]        Dans le cadre d’une requête en rejet d’un recours, en vertu de l’article 54.1  C.p.c., un juge doit donc être prudent et s’abstenir de mettre fin prématurément à un recours avant d’avoir entendu les parties sur le fond de l’affaire, surtout s’il ne s’agit pas d’une poursuite-bâillon, comme en l’espèce.

[15]        En effet, il s'agit ici d'un recours en diffamation contre deux stations radiophoniques. La transcription des propos tenus par les animateurs, les 4 et 5 décembre 2008, ne fait pas voir qu'à sa face même le recours de l'appelant est manifestement mal fondé. Même si ce dernier n'a pas pu, dans son interrogatoire ou dans son affidavit, cerner précisément les propos qu'il reproche aux intimées, il a identifié plusieurs éléments dans sa requête introductive d’instance, au paragraphe 52. Par ailleurs, si des précisions s’avéraient nécessaires, d'autres mesures que le rejet de son recours devaient être envisagées, au besoin, pour cerner le débat.

[16]        Quant au montant des dommages que le juge de première instance considère exagéré, il ne peut entraîner non plus le rejet du recours.

[17]        Il est vrai que l'appelant a intenté de nombreux recours depuis 2001 et qu'aucun n'a été accueilli. Il faut toutefois préciser qu’une première poursuite contre la Ville de Québec l’a été en raison de la courte prescription qui s’applique aux municipalités, alors que celle contre la personne qui a porté plainte contre lui pour agression sexuelle, en 2001, a simplement été abandonnée puisqu’elle a fait cession de ses biens. De toute façon, le fait que des recours aient préalablement échoué n'a pas pour effet que celui qui est l'objet du présent appel est automatiquement manifestement mal fondé.

[18]        En outre, on ne peut pas, en matière de diffamation, reprocher à l'appelant, comme le fait le juge de première instance, que son recours ne vise qu'à établir sa réputation puisque c'est justement un des objectifs de ce type de procédure que d'être indemnisé pour une atteinte à la réputation.

[19]        En ce qui concerne l’argument des intimées fondé sur le défaut par l’appelant de produire toute la preuve dont le juge de première instance disposait pour trancher la requête (arrêt Pateras), la Cour est d’avis qu’il ne peut être retenu. Le juge, comme le soulignent les intimées, fait effectivement référence à plusieurs reprises à l’ensemble des documents et interrogatoires déposés en première instance. Toutefois, il appert de son jugement qu’il utilise ces pièces pour trancher des questions qui relèvent du fond du litige plutôt que d’une analyse en regard de l’article 54.1 C.p.c.

[20]        L’article 507 C.p.c. prévoit que chaque partie doit joindre à son mémoire une copie des pièces et des extraits de la preuve nécessaires à la détermination des questions en litige. En l’espèce, l’appelant a déposé l’interrogatoire mené par l’avocat des intimées ainsi que plusieurs pièces, dont la transcription des propos tenus par les animateurs radiophoniques les 4 et 5 décembre 2008. Ces pièces permettent à la Cour de constater que le recours n’est pas manifestement mal fondé et qu’il doit être tranché au fond.

[21]        En conclusion, la Cour est d’avis que le juge de première instance, pour décider de la requête, s’est intéressé avant tout aux moyens de défense soulevés par les intimées. Ce faisant, il a tranché le fond du litige, ce qu’il ne pouvait pas faire à ce stade des procédures dans la présente affaire. Il n’a pas fait preuve de la prudence requise en rejetant prématurément le recours de l'appelant.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[22]        ACCUEILLE l'appel avec dépens;

[23]        INFIRME le jugement de première instance et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être prononcé en première instance :

 

REJETTE la requête pour rejet d'action des défenderesses RNC Média inc. et Cogeco Diffusion inc., avec dépens.

 

 

 

 

ANDRÉ ROCHON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

Me Olivier Chi Nouako

Pour l'appelant

 

Me Éric Mongeau

Stikeman, Elliott

Pour les intimées

 

Date d’audience :

15 mars 2012

 



[1]     Une réclamation de 4 000 000 $ contre les médias dans le présent dossier et 5 000 000 $ dans un autre dossier qui implique la Ville de Québec. La requête introductive d'instance a été rejetée dans cette affaire le 5 mars 2012 (Guimont c. Québec (Ville de), 2012 QCCS 808).

[2]     Pateras c. M.B., [1986] R.D.J. 441 (C.A.).

[3]     Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, 2010 QCCA 1369 .

[4]     Développements Cartier Avenue inc. c. Dalla Riva, 2012 QCCA 431 .

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