Décision

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Leblond c

Leblond c. Dionne

2006 QCCA 341

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-004988-041

(235-05-000106-998)

 

DATE :

1er MARS 2006

 

 

CORAM:

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE J.C.A.

FRANÇOIS PELLETIER J.C.A.

JULIE DUTIL J.C.A.

 

 

THÉRÈSE LEBLOND

APPELANTE - INTIMÉE INCIDENTE - Demanderesse en reprise d'instance

c.

 

GHISLAIN DIONNE,

GÉRARD GRENIER,

RENAUD GRENIER

INTIMÉS - APPELANTS INCIDENTS - Défendeurs

et

NORMAND COSSETTE

MIS EN CAUSE - Demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 7 octobre 2004 par la Cour supérieure, district de Frontenac (l'honorable Rita Bédard), qui a accueilli en partie l'action de l'appelante, avec dépens, et condamné les intimés à lui payer 8 476 $ avec l'intérêt et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation;

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs du juge Rochette, auxquels souscrivent les juges Pelletier et Dutil;

[4]                REJETTE l'appel, avec dépens;

[5]                ACCUEILLE l'appel incident, avec dépens;

[6]                REJETTE l'action de l'appelante, avec dépens.

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL J.C.A.

 

Me Jean-Claude Chabot

CHABOT, CORRIVEAU & ASSOCIÉS

Pour l'appelante - intimée incidente

 

Me Geneviève Cotnam

DESJARDINS, DUCHARME, STEIN, MONAST

Pour les intimés - appelants incidents

 

Date d’audience :

22 et 25 novembre 2005



 

 

MOTIFS DU JUGE ROCHETTE

 

 

[7]                Les parties appelante et intimée sont toutes deux insatisfaites de la décision de première instance qui a accueilli en partie l'action de l'appelante et condamné les intimés à lui verser 8 476 $, plus l’intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle depuis l’assignation de même que les dépens, y compris les frais d'expertise et d'assistance technique au procès.

[8]                L'appelante s’attaque au calcul du quantum et soutient que la condamnation devrait s'élever, en capital, à 112 340,30 $; les intimés répliquent que l'appel principal n’est pas fondé et ajoutent, par appel incident, que l'action de l'appelante aurait dû être rejetée.

 

I

[9]                À l'automne 1996, le conjoint de l'appelante, maintenant décédé[1], M. Normand Cossette [le demandeur], a conclu un bail[2] avec la société en nom collectif Les Immeubles Rédige [le bailleur] dont les intimés étaient sociétaires.

[10]           Tel que stipulé au bail, le bailleur loue au demandeur un local commercial situé au rez-de-chaussée et au sous-sol d'un immeuble situé rue Sauvageau, à Thetford-Mines, pour une durée de trois ans débutant le 1er décembre 1996 et se terminant le 30 novembre 1999, avec prise de possession le 1er novembre 1996.

[11]           Le coût du bail est de 14 400 $ par année, soit 1 200 $ par mois.  Le demandeur utilisera les lieux loués pour exploiter un magasin de vente au détail de vêtements usagés et restaurés et d'accessoires qualifiés au bail de produits connexes.  Le commerce est nommé «La petite fripouille».

[12]           Outre le rez-de-chaussée et le sous-sol occupés par le demandeur, l'immeuble compte un étage où sont aménagés trois logements résidentiels.  Le chauffe-eau de l'un des logements est situé au sous-sol, à l'intérieur du local loué par le demandeur, bien que l'entrée électrique afférente au logement soit installée à l’étage.

[13]           Le 25 août 1998, en fin de journée, un incendie se déclare dans le plancher du rez-de-chaussée, soit dans le local loué par le demandeur; il détruit ou endommage par le feu et par l’eau les biens qui se trouvaient dans le magasin exploité par le demandeur et l'appelante, cela est admis.

[14]           De la preuve faite, la première juge retient que les intimés ont fait des rénovations importantes à l'immeuble acquis de la municipalité en 1996 - il était alors vacant - pour le remettre en état[3].  C’est ainsi qu’ils ont, en 1997, installé un chauffe-eau au sous-sol pour desservir un logement:

[37]  Le chauffe-eau a été installé à la fin de l'année 1997, par monsieur Grenier et ses frères.  Celui-ci, dans son interrogatoire du 18 septembre 2000, explique qu'ils ont remplacé deux des trois chauffe-eau existants dont celui qui alimentait le logement de monsieur Rivard.  Son frère Renaud confirme, dans son interrogatoire du même jour, que les trois frères ont fait ce travail un samedi matin.  Les anciens chauffe-eau avaient une tuyauterie de cuivre.  Le cuivre a été remplacé par du plastique (Poly B).  La photo 21 du rapport Juneau [l’expert des intimés] montre la tuyauterie reliée au chauffe-eau dont un des joints a été retrouvé débouté à l'arrivée des pompiers et d'où l'eau giclait.

[15]           Or, cette fuite d’eau a atteint un joint électrique artisanal localisé au-dessus du chauffe-eau, dans le plancher du rez-de-chaussée, ce qui a produit un arc électrique et provoqué l’incendie.  La première juge écrit:

[32]  Si la preuve sur cet aspect du problème dégage les défendeurs, en ce que les défauts n'étaient pas apparents, il faut retenir que la cause de l'incendie, selon monsieur Verreault [capitaine du service des incendies de la municipalité], est l'arrivée du jet d'eau provenant du réservoir à eau chaude sur le joint défectueux.  Dans le rapport P-10, il conclut à un incendie accidentel causé «par le surchauffement du fil du chauffe-eau qui a été provoqué par la fuite d'eau du tuyau qui s'est rupturé» (conclusion #15).

[16]           Au regard de la responsabilité, la première juge conclut:

[43]  La preuve est claire que l'installation du chauffe-eau, même si elle remonte à près d'un an de l'incendie, n'a pas été faite par un spécialiste en la matière.  Les défendeurs effectuaient eux-mêmes réparations et entretien et ce sont eux qui ont changé les chauffe-eau et remplacé l'ancienne tuyauterie de cuivre par des conduits en plastique.  Ils n'ont aucune expérience en la matière si ce n'est d'être bricoleur, comme l'a indiqué Gérard Grenier.  Or, la preuve non contredite révèle qu'il y a eu bris du tuyau et que l'eau giclait, ce qui a entraîné un arc électrique sur les fils défectueux.  Même l'expert Juneau l'admet.  En ce sens, les défendeurs n'ont pas démontré que l'accident ne peut raisonnablement être relié à leur comportement.  Ils n'ont pu repousser la présomption de faute s'appliquant à leur égard et la soussignée les tient responsables des dommages.

[17]           L'on constate, à la lecture de ce paragraphe, que la première juge fait jouer la présomption de faute édictée à l’article 1465 C.c. à l'égard des intimés, disposition à laquelle elle s’était référée d’entrée de jeu[4], de même qu’à l’article 1854 du Code.  Cela étant, la juge d’instance conclut nécessairement de la preuve que le préjudice subi par l’appelante a été causé par le fait autonome du bien dont les intimés avaient la garde.

[18]           Dans la seconde partie de son jugement, la première juge s’attarde aux dommages réclamés et octroie un montant de 15 726 $ pour la perte des biens soit une indemnité nette de 5 726 $ vu l'indemnisation à hauteur de 10 000 $ accordée au demandeur par son assureur.  Un montant de 2 750 $ est aussi octroyé pour compenser la perte d'affaires, les inconvénients généraux et le travail d'inventaire effectué par le demandeur, l'appelante et leur fille.

[19]           L'appelante réclame maintenant des dommages totalisant 112 340,30 $ alors que les intimés demandent le rejet de l'action car ils reviennent sur les déterminations de droit de la première juge.  Ils prétendent que leur responsabilité ne peut être que contractuelle, que la présomption de l'article 1465 C.c. ne reçoit pas application et que des clauses du bail les exonèrent de toute responsabilité pour les pertes de marchandises ou de biens encourues par le locataire sur les lieux loués.

[20]           Bien que ces moyens de droit aient été plaidés dans le cadre de l'appel incident, ils doivent, en toute logique, être examinés et tranchés avant que l’on s’arrête aux dommages puisque l’indemnisation du préjudice en dépend.

[21]           Il y a donc lieu d’aborder, dans un premier temps, le cadre juridique applicable en l’espèce, pour tirer ensuite les conséquences qui en découlent au regard des autres prétentions des parties en appel.

 

II

[22]           Lorsque la responsabilité civile d’une personne est engagée au plan contractuel, l’individu ou l’entité qui est lésé ne peut se prévaloir d’une règle de droit qui lui serait plus profitable.  En d’autres mots, il n'est plus possible, depuis la réforme du Code civil, d'opter pour le régime de responsabilité civile de son choix.  L'article 1458 C.c. est formel:

1458.  Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.

[23]           Les commentaires du ministre de la Justice ajoutent, au sujet de cette disposition:

Cet article complète le précédent quant aux conditions générales de la responsabilité civile.

Le premier alinéa et la première phrase du second alinéa énoncent les principes généraux applicables à la responsabilité civile, lorsque celle-ci résulte de l'inexécution d'une obligation contractuelle, tels qu'ils sont dégagés par la doctrine et la jurisprudence, que cette obligation soit de moyens, de résultat ou de garantie.  Y sont ainsi reconnues l'existence du devoir général qu'a toute personne de respecter les engagements qu'elle a contractés de même que, la sanction usuelle applicable en cas de manquement à un tel devoir, à savoir l'obligation de la personne qui a manqué à ce devoir et a ainsi causé, par sa faute, un préjudice à son cocontractant, de réparer le préjudice dont elle est responsable.

Le reste de l'article est de droit nouveau et concerne les difficultés qui résultent de l'existence de régimes distincts de responsabilité, extracontractuels ou contractuels, selon que la responsabilité résulte de l'inexécution de l'obligation légale de respecter des règles de conduite ou d'une obligation contractuelle.

On y énonce ainsi le refus de toute immixtion de la responsabilité extracontractuelle dans le domaine réservé à la responsabilité contractuelle, en introduisant la règle appelée, improprement, du non cumul.  Cette règle dénie au créancier d'une obligation contractuelle, lorsqu'il réclame à son débiteur réparation du préjudice résultant de l'inexécution de cette obligation, la possibilité d'opter pour le régime extracontractuel; a fortiori, elle dénie au créancier la possibilité d'invoquer de façon cumulative les règles des deux régimes de responsabilité.

L'introduction de cette règle vient donc, désormais, empêcher qu'une personne puisse, sous prétexte que l'inexécution d'une obligation contractuelle qu'elle reproche à son débiteur peut aussi constituer l'inexécution du devoir légal de se bien comporter à l'égard d'autrui, éviter l'application normale des règles de la responsabilité contractuelle, pour demander plutôt l'application des règles de la responsabilité extracontractuelle, si cette option lui est plus favorable, ou encore l'application cumulative des règles qui lui sont les plus favorables[5].

(…)

[24]           L’article 1854 C.c., auquel se réfère d’ailleurs la première juge, impose au locateur l’obligation de procurer une jouissance paisible des lieux au locataire:

1854.  Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

[25]           Que l’on parle ici de garantie d’aptitude ou d’obligation d’entretien, la responsabilité contractuelle du locateur est engagée lorsqu’il ne répare pas un vice sérieux qu’il connaissait ou aurait pu découvrir à la formation du contrat et que ce vice n’est pas imputable au locataire[6].

[26]           En l'espèce, un bail de location d'un espace commercial liait les parties et le chauffe-eau dont le bris a été à l’origine de l’incendie était situé dans les lieux loués par le demandeur, bien qu'il desservît un logement situé à un étage supérieur de l'immeuble.  Ces circonstances ne laissent, à mon avis, aucune place à un possible litige dont le fondement serait extracontractuel[7].

[27]           Les obligations entre un locataire et un locateur sont d’abord régies par les clauses de leur bail et, en cas de silence de celui-ci, par les dispositions supplétives applicables au contrat de louage.  Or, le bail convenu comporte des clauses d’exonération en faveur du locateur.  Elles devraient, de l’avis des intimés, recevoir application.  Examinons-les sans plus attendre puisque si elles exonèrent valablement les intimés de toute responsabilité, point n’est besoin d’aller plus loin.

 

III

[28]           Les clauses pertinentes du bail, dont la validité n’est pas questionnée par l’appelante, sont ainsi rédigées:

4.  Pendant toute la durée du présent bail, le LOCATAIRE prendra et maintiendra en vigueur une police d'assurance-incendie et tous risques et une police d'assurance-responsabilité d'au moins UN MILLION (1 000 000.00 $) en sa qualité de LOCATAIRE des lieux loués et il devra fournir des copies certifiées de telles polices d'assurances au BAILLEUR avec preuve satisfaisante du paiement effectif des primes.

(…)

14.  Le BAILLEUR ne sera responsable d'aucun dommage occasionné par le défaut d'entretenir les lieux loués en bon état de réparation.

(…)

18.  Le BAILLEUR n'aura aucune responsabilité pour toutes marchandises ou autres biens du LOCATAIRE sur les lieux loués, qui pourraient être avariés ou endommagés pour une raison indépendante de la volonté du BAILLEUR.

[29]           L’intention des parties paraît claire.  Le locataire avait l’obligation d’assurer ses biens et sa responsabilité, dans le premier cas pour la couverture de son choix, et il exonérait le locateur de toute responsabilité pour tout dommage à ses biens sur les lieux loués «pour une raison indépendante de la volonté du BAILLEUR».  Le locataire a fait le choix d’assurer ses biens à hauteur de 10 000 $ seulement.

[30]           Rappelons les dispositions suivantes du Code civil applicables aux clauses exonératoires:

1474.  Une personne ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde; la faute lourde est celle qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières.

Elle ne peut aucunement exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui.

1475.  Un avis, qu'il soit ou non affiché, stipulant l'exclusion ou la limitation de l'obligation de réparer le préjudice résultant de l'inexécution d'une obligation contractuelle n'a d'effet, à l'égard du créancier, que si la partie qui invoque l'avis prouve que l'autre partie en avait connaissance au moment de la formation du contrat.

[31]           Comme le notent les auteurs Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, le législateur reconnaît la validité des clauses exonératoires contractuelles:

927 - Réforme du Code civil -  Le Code civil, aux articles 1472, 1474 à 1476, codifie le droit antérieur dans l'ensemble.  Il reconnaît donc la validité de ces clauses exonératoires, sauf lorsqu'elles s'appliquent au préjudice corporel ou moral (article 1474 du Code civil), ce qui est nouveau.  En outre, dans tous les cas, il impose comme condition qu'elles ne puissent pas servir à exclure ou limiter le dommage résultant de la faute lourde ou intentionnelle (article 1474 du Code civil).  Enfin, il précise aux articles 1475 et 1476 du Code civil la portée des avis de limitation ou d'exclusion de responsabilité.  Il est donc possible aujourd'hui, sous ces importantes réserves, d'exclure ou de limiter la responsabilité de son chef, ou du chef de ses agents, préposés ou employés, sauf pour certains contrats où la loi s'y oppose de façon particulière ou générale[8].

(…)

[32]           Seul le préjudice matériel est en cause ici et le bail liant les parties est commercial.  Les clauses d’exonération sont valides et à moins que la faute reprochée aux intimés puisse être qualifiée de lourde, ce à quoi réfère - de façon maladroite, il faut en convenir - la clause 18 du bail en utilisant les mots «la volonté du BAILLEUR», l'on doit leur donner plein effet.

[33]           Or, il n’y a, en l’espèce, ni allégation de faute intentionnelle ni preuve établissant une faute lourde[9].

[34]           En réponse aux moyens avancés par les intimés sur l’appel incident, l’appelante leur reproche d’avoir été négligents en ne faisant pas faire les travaux de plomberie par des gens de métier qui avaient toutes les compétences requises, ce qui aurait évité, selon elle, une rupture prématurée et anormale de la tuyauterie.  De la même façon, l’état du câblage électrique au sous-sol démontrerait la négligence des intimés.  Dans l’un et l’autre cas, ces fautes ou négligences ne peuvent être qualifiés de fautes lourdes.

[35]           Revenons au concept de «faute lourde».  Baudouin et Jobin écrivent à ce sujet:

929 - Faute lourde ou intentionnelle -  (…)  Pour être plus précis, on peut dire que, sans être malicieuse, une telle faute ne serait pas commise «même par la personne la moins soigneuse» - un concept tout de même un peu moins restrictif que celui de Pothier («le fait de ne pas apporter aux affaires d'autrui le soin que les personnes les moins soigneuses et les plus stupides ne manquent pas d'apporter à leurs propres affaires»).  Les tribunaux ont eu maintes fois l'occasion d'appliquer cette règle, qui leur laisse un large pouvoir d'appréciation.

Admettre la possibilité d'exclure les conséquences d'un acte malicieux, prémédité, ou d'une négligence très grave, serait une incitation sociale à la fraude ou à l'incurie grossière à l'égard d'autrui et irait contre l'ordre public.  Il est en effet socialement concevable que l'on puisse se prémunir contre des erreurs de jugement ou de conduite, mais non contre les conséquences d'un acte volontaire ou d'une négligence si grave qu'on peut se demander si elle n'est pas intentionnelle, d'autant plus qu'en matière contractuelle, la bonne foi doit présider à l'exécution de l'obligation et aux rapports des parties (article 1375 du Code civil).  (…)[10]

[Références omises]

[36]           Mais l’appelante ajoute que le joint électrique défectueux était visible puisque:  deux pompiers «ont vu l’eau gicler sur le joint dès qu’ils sont descendus au sous-sol»[11]; un autre joint de fabrication artisanale était visible à son entrée dans le plancher du rez-de-chaussée, vis-à-vis le secteur d’origine de l’incendie[12].

[37]           La première juge relate méthodiquement la preuve administrée au procès.  Elle n’est pas d’accord avec cette prétention:

[22]..La preuve démontre que d'autres fils électriques, dans le secteur d'origine de l'incendie, étaient aussi joints de façon artisanale, c'est-à-dire recouverts de rubans adhésifs.  Par contre, selon monsieur Gérard Grenier, comme ces fils étaient situés dans l'entreplancher, ils n'étaient pas visibles.

(…)

[25]..Monsieur Mercier fait aussi des inspections dans des immeubles, depuis 1993-1994.  Son rapport pour l'immeuble en cause (D-1), daté du 12 novembre 1997, est à l'effet que «Le filage électrique après vérification semble conforme au Code d'électricité du Québec».  Selon lui, aucun fil électrique ne pendait, comme on le voit sur les photos 3 et 4 de P-9.  Il confirme, à partir des photos P-15 et P - 16 que normalement les fils doivent être fixés sur le bois avec des crampons et affirme qu'il n'a jamais vu de fils pendre, comme on le voit sur les photos 11 et 13 du rapport Juneau.  Il n'est pas retourné sur les lieux après 1997.

[26]..Monsieur Normand Cossette a été interrogé avant défense, le 23 mars 2000 (D‑5).  Il indique, lors de cet interrogatoire, qu'un fil rouge, dans le coin de la «tank» à eau chaude, n'avait pas de boîte de jonction et qu'il y avait de vieux fils après les fluorescents (p.32).  Son frère, électricien, lui avait fait remarquer que «des fils de même, c'est un vrai nique à feu» (p. 33) mais il n'a rien dénoncé aux propriétaires. (…)

(…)

[28]..Nancy Cossette, fille des demandeurs, a travaillé au magasin, de l'ouverture jusqu'à l'incendie.  Elle confirme elle aussi les problèmes rencontrés et elle affirme qu'au sous-sol, un fil électrique pendait.  Elle dit avoir vu des fils joints avec du «tape» dans l'entreplancher (P-9, photo 4).  Par contre, elle n'en a jamais parlé aux propriétaires.

(…)

[30]..À l'exception de Nancy Cossette, personne n'a vu de fils avec un joint artisanal et la soussignée conclut que ceux-ci, situés dans l'entreplancher, n'étaient pas visibles.  De tels fils apparaissent sur des photos (P-16 et certaines photos du rapport Juneau) mais ces photos ont été prises après l'incendie et de la manipulation a eu lieu à cet endroit.

[31]..Il ressort donc de la preuve faite que le mauvais état des circuits électriques n'était pas décelable.  Gérard Grenier dit être allé à quelques reprises dans le secteur du chauffe-eau, ne pas avoir vu de tels fils «tapés» et que personne ne lui a jamais dénoncé cette situation.  Monsieur Cossette, lors de son interrogatoire, indique qu'il y avait du «raboudinage» dans le coin du réservoir à eau chaude, que le fil rouge n'avait pas de boîte de jonction mais il ne dit pas avoir vu de fils joints par du ruban adhésif.  Il parte de vieux fils et de vieux fluorescents mais par contre, il n'a jamais informé les propriétaires que cela pouvait être dangereux.

[38]           L’appelante répond à cela qu’il «n’y a pas de preuve à l’effet que les lieux à cet endroit, avaient été manipulés pour rendre les fils visibles» mais elle reconnaît aussi que «les pompiers peuvent avoir vérifié sur les lieux s’il y avait du feu à cet endroit».

[39]           Enfin, l’appelante soutient que les intimés ou leurs préposés ont nécessairement vu des joints artisanaux puisqu’ils ont travaillé «dans ce trou où entrait le fil à l’origine du feu».

[40]           Gérard Grenier, qui témoigne avoir fait des travaux au sous-sol, affirme ne pas avoir fait de réparation à l’endroit où était situé le fil en question ni vu de joints artisanaux.  La première juge retient son témoignage.  L’appelante ne nous démontre pas, au regard de l’appréciation de la crédibilité des témoins et plus largement de la preuve, d’erreur manifeste et déterminante qui seule pourrait fonder notre intervention[13].

[41]           Effectuer la rénovation d’un immeuble sans vérifier le caractère adéquat des circuits électriques non visibles ne peut être assimilé à de la négligence.  J’ajoute que même si un joint artisanal avait été observé, sans être réparé, il n’en aurait pas résulté pour autant un vice dangereux comportant un risque très élevé de causer un incendie, celui-ci ayant été rendu possible, en l’espèce, parce qu’un jet d’eau provenant du tuyau d’alimentation brisé d’un chauffe-eau a éclaboussé l’endroit où passait le fil raccordé de façon artisanale.

[42]           Somme toute, les allégations et moyens avancés par l’appelante ne permettent pas de soutenir que les intimés ont commis une faute lourde, une négligence très grave ou une faute que n’aurait pas commise «même par la personne la moins soigneuse».

[43]           Notons d'ailleurs qu’en conclusion du mémoire de l’appelante sur l’appel incident, c’est encore un comportement négligent qui est reproché aux intimés:

Ils ont été négligents en ne faisant pas faire pareils travaux de plomberie par des personnes compétentes, et en ne faisant pas réparer les fils défectueux.

[44]           Les clauses d’exonération doivent jouer ici.

[45]           Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens, d’accueillir l’appel incident avec dépens et de rejeter l’action de l’appelante, avec dépens.

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE J.C.A.

 



[1]    L’appelante a repris l’instance en novembre 2002.

[2]    Il s'agit de la pièce P-1.

[3]    Au paragraphe 4.  Gérard Grenier affirme, à l’occasion de son interrogatoire après défense, qu’entre 40 000 $ et 50 000 $ ont été investis dans la réparation et l’entretien de l’immeuble.

[4]    Voir le paragr. 19 du jugement.

[5]    Commentaires du ministre de la Justice, Tome 1, Publications du Québec, 1993, p. 888.

[6]    Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 412 ss.

[7]    Voir La Mauricienne société mutuelle d'assurance générale c. 9020-3886 Québec inc. & Al, EYB-2004-81911 (C.A.).; voir aussi Truchon c. St-Gelais et al, AZ-05019029 (C.A.); Hoeveler c. Assurances générales des Caisses Desjardins, REJB 2000-16408 (C.A.).

[8]    Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, no 927, p. 949 et 950.

[9]    Voir par exemple Nasifoglu c. Complexe St-Ambroise inc., SOQUIJ AZ-50315505 (C.A.), motifs du juge Forget, paragr. 46 à 48.

[10]   Cit supra, p. 951 et 952.

[11]   L’appelante se réfère au témoignage de Michel Verreault et de Robert Bourret.

[12]   Photos 16 et 17 du rapport d’expertise de Gaétan Juneau, pièce D-6.

[13]   Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254 ; Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377 ; P.(D.) c. S.(C.), [1993] 4 R.C.S. 141 ; Geffen c. Succession Goodman, [1991] 2 R.C.S. 353 .

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