Décision

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COUR SUPÉRIEURE

 

 

 

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-17-005863-055

 

 

 

DATE :

 8 juillet 2005

______________________________________________________________________

 

EN PRÉSENCE DE :  L’HONORABLE YVES ALAIN, J.C.S.

(JA 0593)

 

______________________________________________________________________

 

 

CASOT LTÉE, 1275, chemin Sainte-Foy, bureau 120, Québec (Québec) G1S 4S5

 

Demanderesse

 

c.

 

SOBEYS QUÉBEC INC., 11281, boulevard Albert-Hudon, Montréal-Nord (Québec) H1G 3J5

 

Défenderesse

et

 

9120-2986 QUÉBEC INC., 845, route Marie-Victorin, Saint-Nicolas (Québec) G7A 3S8

 

Mise en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

ORDONNANCE DE SAUVEGARDE

______________________________________________________________________

 

[1]    Dans le cadre d'une requête en injonction interlocutoire et demande en justice en injonction permanente, Casot ltée (Casot) demande au Tribunal d'émettre une ordonnance de sauvegarde dont les conclusions sont les suivantes:

ÉMETTRE une ordonnance de sauvegarde, pour valoir jusqu'à jugement sur la requête en injonction interlocutoire, enjoignant à la défenderesse Sobeys Québec inc. et à la mise-en-cause 9120-2086 Québec inc., leurs administrateurs, officiers, directeurs, représentants, agents et mandataires de:

a)                   se conformer, à tous égards, à leurs obligations légales et contractuelles envers la demanderesse et plus spécifiquement:

b)                   maintenir ses activités de supermarché d'alimentation de manière continue et active dans toute la superficie du local visé par la convention de Bail P - 8 de Place Saint-Nicolas, et ce, pendant les heures d'affaires pratiquées par le passé, à savoir de 8 h à 22 h du lundi au dimanche;

c)                   ne pas retirer, vendre ou enlever du local visé par la convention de Bail P‑8 de Place Saint-Nicolas les meubles, l'inventaire et les stocks s'y trouvant autrement que dans le cours normal des affaires;

d)                   maintenir de façon continue un inventaire suffisant de marchandise dans le local visé par la convention de Bail P‑8 de Place Saint-Nicolas et tel que la défenderesse et/ou la mise-en-cause l'ont fait jusqu'à présent ou le font dans les autres magasins de la province de Québec, et ce, de manière à ce que le magasin soit opéré de façon normale, active et continue;

e)                   ne pas formuler et ne pas faire verbalement ou par écrit, aucune déclaration ni publicité d'aucune sorte adressées à toute personne et plus particulièrement, aux clients du IGA de Place Saint-Nicolas à l'effet que:

                                                                           i.      la défenderesse et/ou la mise-en-cause entendent mettre fin à l'exploitation du supermarché IGA de Place Saint-Nicolas ou à réduire le niveau de cette exploitation notamment par l'affichage de messages publicitaires ou autre;

                                                                         ii.      la défenderesse et/ou la mise-en-cause entendent encourager le magasinage de leurs clients à un autre supermarché de leurs bannières.

ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir sur la présente demande d'ordonnance de sauvegarde, notamment en raison de l'urgence qui existe nonobstant appel;

PERMETTRE à la demanderesse de signifier les procédures et l'ordonnance de sauvegarde en dehors des heures légales et même les jours non juridiques en laissant copie sous l'huis et/ou dans la boîte aux lettres et/ou sur le perron en l'absence de la défenderesse et/ou de la mise-en-cause ou en cas de refus de répondre ou d'accepter signification;

DISPENSER la demanderesse de fournir caution vu l'absence d'autre recours utile.

Les faits

[2]    Casot et Sobeys Québec inc. (Sobeys) sont liées par un bail commercial intervenu le 11 septembre 1989 entre la compagnie d'Immeubles Allard ltée et Coopérative Régionale des consommateurs de Tilly relativement à un espace de 15 435 pieds carrés situé à l'intérieur d'un centre commercial dont l'adresse civique est le 845, route Marie-Victorin, Saint-Nicolas Est.

[3]    Casot est propriétaire de l'espace loué depuis 1991. L'espace loué est occupé par un supermarché IGA opéré par 9120-2986 Québec inc. (9120-2986) dont le locataire est Sobeys. L'espace commercial est opéré sous le nom de Supermarché Raymond Martin (P-7). L'espace loué par Sobeys occupe 20% de la superficie totale de l'immeuble appartenant à Casot qui comprend 86 000 pieds carrés. En plus du marché d'alimentation, le centre commercial est occupé par une vingtaine de commerces de superficie diverse dont aucune n'est aussi importante que le IGA.

[4]    Selon les allégations de la requête et les affidavits à son appui, le supermarché IGA constitue l'espace commercial le plus important du centre d'achat et génère en grande partie la clientèle des autres commerces.

[5]    Tel qu'il appert des documents P-15 et P-16, le bail initial consenti pour une période de dix (10) ans commençant le 1er septembre 1988 et se terminant le 31 août 1998 a été renouvelé jusqu'au 31 août 2008 avec possibilité pour le locataire, à son entière discrétion, de résilier le bail au 1er septembre 2006.

[6]    Or, au cours du mois de mai 2005, M. Raymond Martin, président de 9120‑2986, avise Casot de son intention de fermer définitivement le supermarché IGA du 845, route Marie-Victorin en date du 9 juillet 2005.

[7]    M. Stanislas Malecki, directeur principal de la gestion immobilière de Sobeys, confirme par lettre du 15 juin 2005 "que l'exploitation du magasin IGA situé dans les lieux mentionnés en titre cessera effectivement le ou vers le 9 juillet prochain"[1]. Il ajoute cependant que Sobeys entend continuer à respecter ses obligations en vertu du bail en vigueur.

[8]    Alléguant qu'il s'agit-là d'une contravention aux termes de la convention de bail P‑8 et de l'article 1856 du Code civil du Québec qui se lit comme suit:

"1856.  Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué.",

Casot présente une requête en injonction interlocutoire et permanente invoquant que Sobeys ne peut changer la destination des lieux loués sans le consentement préalable de la demanderesse.

[9]    Elle signifie donc, le 5 juillet 2005, à Sobeys et 9120-2986 une requête en injonction interlocutoire et en injonction permanente présentable en chambre de pratique le 7 juillet 2005 et demande au Tribunal d'émettre une ordonnance de sauvegarde, tel que prévu à l'article 754.2 C.p.c.

[10]            Tant Sobeys que 9120-2986 contestent la demande de Casot.

ANALYSE ET DISCUSSION

 

1-         GÉNÉRALITÉS

[11]            Le Tribunal trouve inhabituel qu'une partie qui se prévaut d'un recours en justice pour l'émission d'une ordonnance d'injonction interlocutoire et permanente signifie sa procédure avec avis de présentation de l'injonction interlocutoire deux (2) jours plus tard sans demander d'abréger le délai de présentation avec le but évident de requérir une ordonnance de sauvegarde à la date de présentation sans préalablement requérir du juge en chambre l'émission d'une ordonnance d'injonction interlocutoire provisoire. Même si l'ordonnance de sauvegarde prévue à l'article 754.2 C.p.c. est de la nature d'une injonction provisoire, il s'agit d'une mesure discrétionnaire émise pour des fins conservatoires dans une situation d'urgence pour une durée limitée dans le cas où les parties ne peuvent procéder à la date de présentation de la demande d'injonction interlocutoire lorsque le dossier est incomplet.

[12]            Le Tribunal réfère aux commentaires de M. le juge Bernard Godbout dans la décision Informatique EBR inc. c. Hewlett-Packard (Canada) cie[2] qui fait une étude et les distinctions qui s'imposent entre l'ordonnance de sauvegarde prévue à l'article 46 C.p.c. et celle prévue à l'article 754.2 C.p.c. Le Tribunal reproduit les paragraphes 20 à 29 de ce jugement:

[20] L'amendement apporté à l'article 46 C.p.c. démontre manifestement qu'une «ordonnance de sauvegarde» est une notion juridique distincte de «l'injonction» qui ne se limite pas à une simple question de délai.

[21] Cette distinction subsiste au chapitre portant sur l'injonction, au-delà de la question du délai de dix jours prévu à l'article 753 C.p.c.

[22] À ce sujet, il est intéressant de relire ce qu'écrivait l'honorable Paul-Arthur Gendreau de la Cour d'appel:

«Or, à mon avis, l'ordonnance de sauvegarde de l'article 754.2 C.p., malgré son nom, est de la nature d'une injonction provisoire:  elle est une mesure judiciaire, discrétionnaire, émise pour des fins conservatoires, dans une situation d'urgence, pour une durée limitée et au regard d'un dossier où l'intimé n'a pu encore introduire tous ses moyens. […]

Par ailleurs, si l'ordonnance de sauvegarde est de la même nature que l'injonction provisoire, il va de soi que le requérant devra rencontrer pour son émission les mêmes critères d'apparence de droit, d'urgence et de balance des inconvénients.

Enfin, la formulation de l'ordonnance devrait être faite de manière à minimiser les inconvénients de celui contre qui elle est prononcée car, au risque de me répéter, elle s'inscrit dans le cadre d'un dossier incomplet et se veut le redressement nécessaire d'une situation qui devra, plus tard mais tout de même dans un court délai, être réévaluée.»[3]

[23] Sur cet aspect de la question, l'honorable Louise Otis de la Cour d'appel écrivait quelques années plus tard:

«[…] selon la volonté du législateur, l'ordonnance de sauvegarde intervient dans le cadre de la présentation de la requête en injonction interlocutoire lorsque le dossier ne peut être soumis au tribunal, pour adjudication, vu son caractère imparfait. […]

L'ordonnance de sauvegarde revêtira les couleurs du litige qui la suscite.  Tantôt elle sera de nature purement administrative, tantôt elle contiendra des conclusions mandatoires ou prohibitives susceptibles de déterminer provisoirement les droits des parties jusqu'à ce que le sort de la requête soit définitivement scellé.  L'appréciation du caractère raisonnable de l'ordonnance de sauvegarde dépendra de la nature de la protection qu'elle assure et de la durée de ses effets.»[4]

[24] On remarque que M. le juge Gendreau précise que «l'ordonnance de sauvegarde de l'article 754.2 C.p., malgré son nom, est de la nature d'une injonction provisoire… émise à des fins conservatoires, dans une situation d'urgence» et que Mme la juge Otis écrit «Tantôt elle sera de nature purement administrative, tantôt elle contiendra des conclusions mandatoires ou prohibitives susceptibles de déterminer provisoirement les droits des parties».  [soulignements ajoutés]

[25] Appelé à se prononcer sur une demande d'ordonnance de sauvegarde, l'honorable Claude Larouche de notre Cour écrivait:

«Il faut envisager la demande de sauvegarde quant à la nature et à l'objet de cette ordonnance et également quant à sa durée.  Et cela, à notre avis, soit dit avec égard, avec l'objectif, en attendant qu'une décision différente soit rendue, de préserver le statu quo».[5]

[26] Le Tribunal partage sans réserve cette opinion.

[27] C'est parce qu'elle est de la même nature de l'injonction provisoire que l'ordonnance de sauvegarde est sujette pour son émission aux mêmes critères d'urgence, d'apparence de droit, de la balance des inconvénients et du préjudice grave ou irréparable requis pour l'émission d'une injonction interlocutoire provisoire.

[28] Toutefois, étant donné que l'ordonnance de sauvegarde vise avant tout à préserver les droits des parties dans le contexte d'un dossier incomplet, ces critères doivent être à ce stade des procédures sommairement analysés à la lumière des faits allégués tenus pour avérés, ce qui doit le cas échéant favoriser le maintien du statu quo.

[29] Bref, le dossier étant incomplet, ce n'est pas la solution du litige qui est à cette étape recherchée mais seulement «les ordonnances nécessaires à la sauvegarde des droits des parties pour le temps et aux conditions (que le tribunal) détermine».

[13]            Tel que mentionné dans cet extrait, "l'ordonnance de sauvegarde est sujette pour son émission aux mêmes critères d'urgence, d'apparence de droit, de la balance des inconvénients et du préjudice grave ou irréparable requis pour l'émission d'une injonction interlocutoire provisoire".

[14]            Le Tribunal doit donc examiner chacun des quatre critères en tenant pour avérées les allégations de la requête et en examinant les documents produits à son appui ainsi que les déclarations solennelles produites tant par Casot que Sobeys.

a)                  L'urgence

[15]            Casot sait depuis la mi-mai que Sobeys ou 9120-2986 ont l'intention de cesser l'opération du marché d'alimentation IGA situé au 845, route Marie-Victorin à Saint-Nicolas. Le Tribunal considère que même s'il n'existe pas de lien de droit direct entre Casot et 9120-2986, cette dernière a des obligations à son égard puisqu'elle opère le commerce pour Sobeys.

[16]            Ce n'est cependant que lors de la réception de la lettre du 15 juin 2005 de M. Stanislas Malecki (P-18), directeur principal gestion immobilière de Sobeys, que Casot reçoit la confirmation officielle qu'on entend cesser l'exploitation du supermarché IGA de Place Saint-Nicolas le 9 juillet 2005.

[17]            Sobeys reproche à Casot de ne pas avoir réagi immédiatement et plaide l'inexistence du caractère d'urgence pour l'émission de l'ordonnance de sauvegarde.

[18]            Le Tribunal est d'avis qu'un délai de trois semaines pour recueillir toutes les informations suffisantes à la préparation d'une requête en injonction interlocutoire et permanente, obtenir copie des pièces qui doivent être déposées et rencontrer les témoins afin de recueillir leur version pour préparer des déclarations solennelles et les faire assermenter constitue un délai raisonnable.

[19]            Le fait que l'exploitation du commerce IGA doit cesser le 9 juillet revêt un caractère d'urgence qui permettrait à un juge en chambre d'émettre une injonction interlocutoire provisoire ou au juge siégeant en chambre de pratique une ordonnance de sauvegarde, le cas échéant.

[20]            Le Tribunal rejette l'argumentation de Sobeys qu'il s'agit ici d'une urgence artificielle créée par Casot.

b)                 Apparence de droit

[21]            Casot appuie sa demande sur les articles 8.1 et 8.2 a) i) du bail P-8, lesquels se lisent comme suit:

8.1 Exploitation

Le locataire, à son entière discrétion pendant toute la durée du présent Bail, aura le droit absolu d'exploiter tout commerce dans les Lieux Loués, pour toutes fins légales et de la manière qu'il jugera convenable. Le Bailleur reconnaît qu'il n'aura aucun droit de s'immiscer dans l'exploitation du commerce du Locataire, de se plaindre ou de tenir le Locataire responsable de tout dommage résultant de la façon dont le Locataire exploitera son commerce.

8.2  Activités prohibées

a)   i)    La portée de l'engagement prévu à la présente clause 8.2 vise tous les Terrains et tous agrandissements ou additions de ceux-ci et tout autre terrain se trouvant dans un rayon de cinq (5) milles du Centre Commercial, qui sont ou peuvent devenir la propriété ou être sous le contrôle du Bailleur ou de toute Personne sous le contrôle du Bailleur ou qui contrôle le Bailleur ou est associé ou affiliée avec lui, que lesdits agrandissements, additions ou autres terrains soient séparés ou non des Terrains ou du Centre Commercial par une ruelle, une route, une rue ou une autoroute ou autrement, pendant la Durée. Le Bailleur convient et s'engage à ne pas occuper ou utiliser, ni tolérer ou permettre l'occupation ou l'utilisation de lieux dans le Centre Commercial ou de l'un des terrains ci-dessus mentionnés (autre que les Lieux Loués) pour les fins, en tout ou en partie, d'y exploiter un commerce de vente de denrées alimentaires et de produits, de quelque nature que ce soit, généralement vendus dans un commerce d'alimentation, sans avoir obtenu au préalable le consentement écrit du Locataire, lequel peut être sans motif raisonnable.

[22]            Les décisions de jurisprudence citées par Casot font généralement référence à des baux contenant des clauses stipulant des heures d'opération minimales et une obligation spécifique d'exploitation d'une entreprise durant la durée du bail.

[23]            Plusieurs décisions réfèrent également à l'article 1618 C.c.b.C. dont le texte est similaire à celui de l'article 1856 C.c.Q.

[24]            Selon cette jurisprudence, le locataire ne peut, en cours de bail, changer la destination de la chose. L'inoccupation prolongée d'un espace peut constituer un changement de destination[6].

[25]            Le Tribunal réfère également aux décisions suivantes: Propriétés Cité Concordia ltée c. Banque Royale du Canada, [1981] C.S. 812 , Compagnie de construction Belcourt ltée c. Golden Griddle Pancake House ltd, [1988] R.J.Q. 716 et Navarro Investment Company c. Aimé Mignault inc., [1998] R.D.I. 596 .

[26]            Selon le Tribunal, même si le bail (P-8) ne contient pas une clause d'occupation continue ou d'heures minimales d'ouverture, le locataire se doit (prima face) de respecter ses obligations contractuelles et occuper le local loué.

[27]            Un locataire qui occupe une superficie de plus de 15 000 pieds carrés sur un total de 86 000 et qui le laisse vacant peut avoir pour conséquence de laisser entrevoir que tout l'immeuble est abandonné et décourager des locataires éventuels ou nuire considérablement aux opérations commerciales des autres occupants.

[28]            Il ne faut pas oublier qu'un locateur peut forcer son locataire à exécuter son obligation en nature, tel que le prévoit l'article 1863 C.c.Q.:

1863.  L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

 

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.

[29]            Le Tribunal est d'avis qu'il y a apparence de droit prima face pour Casot d'obliger Sobeys à respecter son bail et 9120-2986 à opérer le commerce d'alimentation IGA jusqu'à ce que le Tribunal puisse entendre les parties.

c)                  Balance des inconvénients

[30]            Il ne fait aucun doute que dans le présent dossier, la balance des inconvénients favorise Casot. La fermeture du commerce d'alimentation IGA au 845, route Marie-Victorin à Saint-Nicolas et l'ouverture prochaine d'un marché IGA-Extra à Saint-Rédempteur (P-21) démontre clairement que la balance des inconvénients favorise Casot.

d)                 Préjudice grave ou irréparable

[31]            Comme le mentionnent les juges Robert Lesage et Danielle Grenier dans les décisions Steinberg et Imasco, il ne fait aucun doute qu'une grande surface occupée par un marché d'alimentation est une attraction pour la clientèle et que sa fermeture cause une perte substantielle d'achalandage au Centre commercial diminuant d'autant la valeur locative.

[32]            Dans Steinberg, M. le juge Lesage indique à la page 7:

(…) Une grande surface, comme le supermarché loué à Steinberg, était une attraction pour la clientèle du centre commercial. Sa fermeture a causé une perte substantielle d'achalandage à ce centre commercial. La valeur locative des lieux s'en est trouvée diminuée.

 

 

[33]            Dans Imasco, Mme la juge Grenier s'exprime ainsi à la page 21:

Comment peut-on soutenir qu'un centre commercial comprenant un ou plusieurs locaux vides, sans éclairage, et aux vitrines comportant en soi des signes évidents que les affaires ne vont pas aussi bien qu'on voudrait par ailleurs le laisser entendre, ne subit aucun préjudice et ne risque pas en pleine période de récession de se retrouver avec une série de locataires qui ne demanderaient pas mieux d'en faire autant et de mettre fin à leur bail. Il n'est pas nécessaire d'attendre qu'une catastrophe survienne avant de tenter d'en parer les coups. Un montant d'argent ne saurait constituer une compensation adéquate s'il s'avérait que les pronostics pessimistes de Place Bonaventure se réalisent. Permettre à Imasco de quitter les lieux avec un dédommagement monétaire risquerait d'avoir un effet d'entraînement plus que probable.

[34]            Le Tribunal est d'avis que la cessation des opérations du marché IGA au 845, route Marie-Victorin cause un préjudice grave et irréparable à Casot et que le quatrième critère à considérer est présent.

[35]            Il y a donc lieu à l'émission d'une ordonnance de sauvegarde.

2-         L'ORDONNANCE DE SAUVEGARDE ET LA DISPENSE DE CAUTIONNEMENT

[36]            Le Tribunal considère que la demande formulée par Casot dans ses conclusions est trop large et déborde les obligations contractuelles liant les parties.

[37]            Il y a lieu d'accorder une ordonnance de sauvegarde qui respecte la clause 8.1 du bail P‑8 sans ingérence dans la façon d'opérer le commerce et ce pour une période limitée.

[38]            S'agissant d'une ordonnance qui vise à empêcher Sobeys et 9120‑2986 à cesser leurs opérations dans un local dont le bail se termine en 2008 avec possibilité d'y mettre un terme en 2006, le Tribunal est d'avis qu'il y a lieu de dispenser Casot de fournir caution vu que l'ordonnance vise à faire respecter le bail liant les parties et que les dommages appréhendés affectent Casot.

[39]            PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[40]            ÉMET une ordonnance de sauvegarde, pour valoir jusqu'au 18 juillet 2005 à 17 h, enjoignant à Sobeys Québec inc. et à 9120-2086 Québec inc., leurs administrateurs, officiers, directeurs, représentants, agents et mandataires de:

a)     maintenir ouvert le commerce d'alimentation IGA situé au 845, route Marie-Victorin à Saint-Nicolas;

 

b)     maintenir ses activités de supermarché d'alimentation de manière continue et active dans le local visé par la convention de Bail P‑8 et ce, pendant les heures d'ouverture normales du Centre commercial;

c)      ne pas retirer, vendre ou enlever du local visé par la convention de Bail P‑8 de Place Saint-Nicolas les meubles, l'inventaire et les stocks s'y trouvant autrement que dans le cours normal des affaires;

d)     maintenir un inventaire suffisant de marchandise dans le local visé par la convention de Bail P‑8 de Place Saint-Nicolas tel que Sobeys et 9120-2986 Québec inc., opérant sous la raison sociale Supermarché Raymond Martin, l'ont fait jusqu'à présent et ce, de manière à ce que le magasin soit opéré de façon normale, active et continue;

[41]            ORDONNE l'exécution provisoire de la présente ordonnance de sauvegarde nonobstant appel;

[42]            PERMET à Casot ltée de signifier l'ordonnance de sauvegarde en dehors des heures légales et même les jours non juridiques en laissant copie sous l'huis de la porte et/ou dans la boîte aux lettres et/ou sur le perron en l'absence de la défenderesse ou de la mise en cause ou en cas de refus de répondre ou d'accepter la signification;

[43]            DISPENSE Casot ltée de fournir caution.

[44]            LE TOUT, frais à suivre.

 

 

 

__________________________________

YVES ALAIN, J.C.S.

 

Me Marc Paradis

Ogilvy Renault (casier 92)

Procureurs de la demanderesse

 

Me Annie Turcotte

Gowling Lafleur Henderson(1, Place Ville-Marie, 37e étage, Montréal (Qc) H3B 3P4)

Procureurs de la défenderesse et de la mise en cause

 

Date d’audience :

7 juillet 2005

 

 

Domaine de droit :

Ordonnance de sauvegarde

 



[1]    P-18.

[2]    J.E. 2004-922 .

[3]    Turmel c. 3092-4484 Québec Inc., [1994] R.D.J. 530 , 534 (C.A.).

[4]    Natrel Inc. c. F. Berardini Inc., [1995] R.D.J. 383 , p. 387-388 (C.A.).

[5]    Convergia Networks inc. c. Bell Canada, [2002] AZ-50137630 , p. 4.

[6]    Centre d'achat Duberger inc. c. Steinberg inc., J.E. 85-108 (C.S.).

      Centre d'achat Duberger inc. c. Steinberg inc., J.E. 87-500 (C.A.).

      124298 Canada inc. c. Banque d'épargne de la Cité et du district de Montréal, J.E. 86-329 (C.S.).

      Place Bonaventure inc. c. Imasco R.I. inc.  [1993] R.J.Q. 2895 (C.S.).

      Imasco R.I. inc. c. Place Bonaventure inc.,   J.E. 93-1787 (C.A.).

      126232 Canada inc. c. 2957-8705 Québec inc. [2002] R.D.I. 307 (C.S.)

      126232 Canada inc. c. 2957-8705 Québec inc., J.E. 2004-491 (C.A.).

     

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