Décision

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Carrefour Laval Leaseholds inc

Carrefour Laval Leaseholds inc. c. Jean Bleu inc.

2010 QCCS 1403

JB3984

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre de pratique civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-052995-092

 

DATE :

7 avril 2010

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

LE CARREFOUR LAVAL LEASEHOLDS INC.

Demanderesse

 

c.

 

LE JEAN BLEU INC.

Défenderesse

 

 

 

 

TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT

RENDU SÉANCE TENANTE le 1er AVRIL 2010

sur deux requêtes pour ordonnance de sauvegarde

 

 

 

1.       CONTEXTE

[1]                Le Jean Bleu inc. (« JEAN BLEU ») loue un local de Le Carrefour Laval Leaseholds inc. (« CARREFOUR LAVAL ») en vertu d'un bail (« le BAIL ») conclu en mars 2002, amendé en 2003, et prolongé en octobre 2006.

[2]                Le 22 septembre 2008, les parties amendent et prolongent à nouveau le bail[1] (« Le NOUVEAU BAIL »). En vertu de cette entente, Carrefour Laval déplace Jean Bleu dans un autre espace en raison de rénovations importantes dans l'aile de son ancien local.

[3]                Selon le nouveau bail, les lieux loués présentent une superficie « d'environ 3 123 pi2 ». Toutefois, les parties reconnaissent que Jean Bleu a avisé Carrefour Laval de sa position selon laquelle la superficie se chiffre plutôt à 2 930 pi2. À ce jour, cette question demeure litigieuse.

[4]                Jean Bleu accepte le nouveau local dans l'état où il se trouve, et convient de le rénover en conformité avec les dispositions du bail, cela avant le 2 avril 2009. Ainsi, Jean Bleu s'engage à exploiter son commerce dès le 1er avril 2009.

[5]                En contrepartie de cette remise précoce de l’ancien local et de cette relocalisation, Carrefour Laval s'engage à indemniser Jean Bleu. Les clauses 6 et 7 du nouveau bail énoncent les modalités de cette indemnité et ses conditions d'octroi :

6.          In consideration for the Tenant agreeing to the early surrender of the Existing Premises and the relocation of its business operations in the New Premises and provided that the Tenant is not in default under the Lease, the Landlord agrees to pay to the Tenant as financial compensation (in addition to the inducement as defined in paragraph 7 hereof), the amount of TWO HUNDRED AND FIFTY THOUSAND DOLLARS ($250,000.00), plus Q.S.T. and G.S.T. (after deducting any amounts owing to the Landlord, if any), in the following manner (i) ONE HUNDRED AND TWENTY-FIVE THOUSAND DOLLARS ($125,000.00), plus Q.S.T. and G.S.T., on the Effective Date of Relocation; (ii) SEVENTY-FIVE THOUSAND DOLLARS ($75,000.00), plus Q.S.T. and G.S.T., on the first anniversary of the Effective Date of Relocation, and (iii) FIFTY THOUSAND DOLLARS ($50,000.00), plus Q.S.T. and G.S.T., on the first anniversary of the Effective Date of Relocation, and (iii) FIFTY THOUSAND DOLLARS ($50,000.00), plus Q.S.T. and G.S.T., on the second anniversary of the Effective Date of Relocation.

7.          As further consideration to induce the Tenant to enter into this Lease Extension and Amending Agreement and to assist the Tenant with the cost of relocation and fixturing the New Premises provided the Tenant is not in default under the Lease, the sum of SEVENTY-FIVE DOLLARS ($75,00) per square foot of the GLA of the New Premises, plus the G.S.T. and Q.S.T., (the "Inducement") shall be payable by the Landlord to the Tenant (after deducting  any amounts owing to the Landlord, if any) in the following manner :

a)         fifty percent (50%) of the inducement shall be payable by the Landlord to the Tenant seven (7) days after the earlier of (i) the date of possession of the New Premises by the Tenant and (ii) the date of execution by the Tenant of this Lease Extension and Amending Agreement, to the Landlord's satisfaction; and

(b)        the balance of the inducement shall be payable by the Landlord to the Tenant seven (7) days after the last to occur, of

            (i) the opening by the Tenant of its business in the whole of the New Premises after the complete renovation of the New Premises;

            (ii) compliance by the Tenant in the opinion of the Landlord's Architect with the Tenant's obligations under Schedule "C" of the Lease

            (iii) the delivery of the Declaration referred to in Section 3.03(a) of the Schedule "C" of the Lease, and

            (iv) the delivery to the Landlord, if the Landlord requests it, of a clearance certificate issued under any workers compensation legislation in force in the Province in respect of the contractor who did work in connection with the Tenant's Work with respect to the Premises.

(…). (Le Tribunal souligne).

[6]                En vertu de ces clauses 6 et 7, l'indemnité de relocalisation, liée à la superficie du nouveau local, s'élève donc à quelque 530 000 $.

[7]                Le 1er avril 2009, Jean Bleu cesse le paiement du loyer et du loyer additionnel. Elle admet avoir opéré compensation car, à cette date, Carrefour Laval est en défaut de lui verser la totalité de l’indemnité convenue.

[8]                Le 16 septembre 2009, Carrefour Laval institue une requête introductive d’instance en paiement des loyers et éviction. Le 15 octobre 2009, elle demande par requête en ordonnance de sauvegarde d'ordonner à Jean Bleu de consigner à la Cour les loyers échus et à échoir.

[9]                Le 23 octobre 2009, jour de sa présentation, le Tribunal reporte cette requête au 15 janvier 2010 pour permettre à Jean Bleu d’interroger sur affidavit la représentante de Carrefour Laval.

[10]            Le 24 décembre 2009, Jean Bleu loge sa propre requête pour ordonnance de sauvegarde. Elle demande au Tribunal d'opérer compensation entre l'indemnité que lui doit Carrefour Laval, et qu'elle estime se chiffrer à 208 677 $, et les loyers échus. Subsidiairement, elle demande d'ordonner à Carrefour Laval de déposer cette somme à la Cour.

[11]            En outre, Jean Bleu offre de consigner à la Cour les loyers dus de janvier à août 2010, soit 27 491,24 $ par mois.

[12]            Le 15 janvier 2010, la Cour ordonne à Jean Bleu de verser le loyer mensuel de 27 291,324 $ le 1er jour de chaque mois, à compter du 1er janvier 2010, sous peine de forclusion.

[13]            À ce jour, Jean Bleu n'a pas versé les loyers échus avant l'institution de la requête introductive d'instance, ni ceux à échoir entre cette date et le 31 décembre 2009; ainsi, sa dette s'élève à 230 826,07 $.

 

2.       QUESTION EN LITIGE

[14]            Les requêtes respectives des parties en ordonnance de sauvegarde sont-elles fondées?

 

3.       ANALYSE

[15]            Le Tribunal évaluera concurremment le bien-fondé des deux requêtes à la lumière des critères élaborés par la jurisprudence[2] : le droit clair ou l'apparence de droit, le préjudice irréparable, la balance des inconvénients en l'absence d'un droit clair, et l'urgence.

·        L’apparence de droit

[16]            En vertu du nouveau bail, Carrefour Laval bénéficie du droit au paiement du loyer. Quoique occupant les lieux et y exploitant son commerce, Jean Bleu refuse de s’acquitter de son obligation au motif que Carrefour Laval néglige de lui verser l'indemnité convenue. Invoquant les clauses 6 et 7 du nouveau bail, elle souhaite opérer compensation.

[17]            Le droit de Jean Bleu à la compensation apparaît douteux vu le texte des clauses 6 et 7. Ces dispositions contractuelles permettent à Carrefour Laval de retenir certaines sommes que lui devrait Jean Bleu, mais ne semblent pas prévoir le même droit pour Jean Bleu. De plus, les clauses 4.02 et 4.11 du bail stipulent que le loyer et le loyer additionnel sont dus « without deduction, abatement, set off or compensation ».

[18]            Soulignant divers manquements, Jean Bleu avance que Carrefour Laval refuse de respecter intégralement ses propres obligations découlant du bail. Peut-être, mais elle ne bénéficie pas d'un droit apparent au remède recherché, car ni le bail ni le nouveau bail ne prévoient la compensation en sa faveur. En outre, Jean Bleu devra administrer au procès la preuve des gestes qu’elle reproche à Carrefour Laval pour que le jugement final en dispose.

[19]            Que dire de l'argument voulant que le Tribunal opère compensation selon la théorie de la compensation en « equity »[3]? Ce concept de common law ne trouve pas application en la présente instance de nature civile.

[20]            Ainsi, l'apparence de droit favorise Carrefour Laval.

·        Le préjudice irréparable

[21]            Selon la jurisprudence, le fait de laisser une dette croître périodiquement peut mener à un préjudice irréparable[4]. En outre, un locataire ne saurait exiger d'un propriétaire de financer ses activités commerciales en retenant le loyer tout en occupant les lieux loués[5].

[22]            Or, Jean Bleu recherche cette conclusion. Carrefour Laval assume des frais d'exploitation alors que Jean Bleu exploite son commerce dans le local loué. L'ordonnance de sauvegarde vise à rétablir l'équilibre entre les parties. Carrefour Laval a démontré un préjudice découlant du non-paiement du loyer.

[23]            Quant à l'indemnité compensatoire, Jean Bleu ne parait pas y avoir droit. Dans les circonstances, ordonner à Carrefour Laval de la déposer lui causerait un préjudice irréparable.

·        La balance des inconvénients

[24]            En présence du droit clair de Carrefour Laval au paiement du loyer, l’analyse de son recours sous l’angle du critère de la balance des inconvénients devient superflue.

[25]            Toutefois, s'il était nécessaire de l'appliquer, le Tribunal conclurait que ce critère favorise Carrefour Laval, car Jean Bleu bénéficie des lieux loués sans payer de loyer, rompant l'équilibre entre les parties. En outre, les sommes déposées à la Cour retourneront à l'une ou l'autre des parties selon l’issue du litige.

·        L'urgence

[26]            Ni Jean Bleu ni Carrefour Laval ne contestent que ce critère est satisfait.

[27]            Carrefour Laval a institué sa requête pour ordonnance de sauvegarde environ un mois après sa requête introductive d'instance. Le délai entre l'institution de sa requête pour ordonnance de sauvegarde et son audition tient aux délais de l'appareil judiciaire et à la mise en œuvre du droit de Jean Bleu d’interroger la représentante de Carrefour Laval.

[28]            Le critère de l’urgence s’avère donc satisfait.

[29]            Ainsi, le Tribunal accueillera en partie la requête de Carrefour Laval, et rejettera celle de Jean Bleu.

[30]            L'ordonnance visera les loyers échus entre le 1er avril et le 30 septembre 2009. Quant à ceux à échoir jusqu'au 31 décembre 2009, Jean Bleu ne sera pas tenue de les verser, car la sauvegarde des droits des parties et le rétablissement de l'équilibre entre elles ne le requièrent pas[6]. Les loyers dus depuis le 1er janvier 2010 sont déjà consignés à la Cour et continueront de l'être.

[31]            En outre, l'ordonnance de sauvegarde sera exécutoire, nonobstant appel[7].

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[32]            ACCUEILLE en partie la requête de la demanderesse pour l'émission d'une ordonnance de sauvegarde, AVEC DÉPENS;

[33]            PRONONCE une ordonnance de sauvegarde pour valoir jusqu'à jugement final;

[34]            ORDONNE à la défenderesse de déposer au dossier de la Cour les loyers échus entre les 1er avril et 30 septembre 2009 - soit la somme de 142 078,11 $ - dans les dix jours du présent jugement;

[35]            CONFIRME l'ordonnance de cette Cour du 15 janvier 2010;

[36]            DONNE ACTE des loyers déposés à la Cour par la défenderesse pour janvier, février et mars 2010;

[37]            ORDONNE à la défenderesse de déposer à la Cour le loyer de 27 291,24 $ le premier jour de chaque mois, à compter du 1er mai 2010;

[38]            Quant au loyer d'avril 2010, ORDONNE à la défenderesse de déposer à la Cour la somme de 27 291,24 $ au plus tard le 10 avril 2010;

[39]            ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel;

[40]            REJETTE AVEC DÉPENS la requête pour ordonnance de sauvegarde de la défenderesse.

 

 

__________________________________

GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s.

 

 

Me François Viau

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocat de la demanderesse

 

Me Bernard Lévy-Soussan

Nazem, Lévy-Soussan, Lauzon, Ratelle

Avocat de la défenderesse

 

Date d’audience : 1er avril 2010

 

 



[1]     Pièce JB-1.

[2]     Gestion Nomic inc. c. Les Immeubles Polaris (Canada) ltée, J.E. 97-1129 (C.A.).

[3]     Dans l'affaire de la faillite de Pierre-Damien d'Auteuil et Malette Benoît et cie ltée et Motokov Canada inc, REJB 1999-11931 (C.A.).

[4]     Riocan Holdings (Québec) inc. c. 9160-8356 Québec inc., 2009 QCCS 2251.

[5]     3072291 Canada inc. c. 2970-2404 Québec inc., AZ-97021872 (C.S.).

[6]     Trizechahn Place Ville Marie inc. c. 2959-6319 Québec inc., REJB 1997-02627 .

[7]     Centre commercial Plaza Centennial (2001) inc. c. 9146-8934, 2009 QCCS 792 .

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