Gendreau c. Mailloux |
2013 QCCQ 4106 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
705-22-011448-113 |
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DATE : |
17 avril 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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RENÉ GENDREAU, |
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Demandeur |
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c. |
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MARCEL MAILLOUX, -et- FLOREEN DAIGLE, |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Où s'arrêtent les droits?… Et où débutent les obligations de nos voisins?
[2] Le demandeur reproche aux défendeurs des actes de nudité, d'indécence, d'intimidation et de harcèlement pour leurs faits et gestes commis à l'intérieur des limites de leur propriété.
[3] Il leur réclame 54 661,38 $ en dommages-intérêts, stress, inconvénients, perte de jouissance de sa résidence, dommages moraux et punitifs et les déboursés pour le remplacement d'une clôture.
[4] D'autre part, la défenderesse, Floreen Daigle, se défend en alléguant que le codéfendeur, Marcel Mailloux, était un locataire et qu'elle ne pouvait empêcher celui-ci d'agir comme il l'a fait et de pratiquer le nudisme chez elle.
[5] Se portant demanderesse reconventionnelle, elle réclame 50 000 $ à René Gendreau pour ses gestes, comportements et attitude à l'encontre des règles de bon voisinage. Elle allègue son excès d'exercice de ses droits civils et des dommages punitifs.
[6] Le défendeur, Marcel Mailloux, prétend également qu'il est poursuivi illégalement et injustement et que ses gestes de nudité sont tout à fait normaux et acceptables dans le cadre d'une société libre et démocratique.
LES QUESTIONS EN LITIGE:
[7] Les principales questions en litiges sont les suivantes:
1. Les défendeurs ont-ils commis une faute en s'exposant nus ou presque nus à l'extérieur de leur résidence ou devant les fenêtres à l'intérieur de celle-ci à la vue du voisinage?
2. Les défendeurs ont-ils commis des gestes de harcèlement, d'intimidation ou de nudité causant des dommages au demandeur?
3. Le demandeur a-t-il droit à réparation? Et si oui, pour combien?
4. La défenderesse, Floreen Daigle, est-elle injustement poursuivie? Le cas échéant, doit-on prévoir une indemnisation?
LES FAITS:
[8] Les faits les plus pertinents retenus par le Tribunal sont les suivants.
[9] Dans le but d'alléger la lecture de la présente décision, chacun des témoins sera désigné directement par son nom de famille.
Témoin René Gendreau:
[10] Monsieur Gendreau, le demandeur, est âgé de 71 ans et demeure depuis 40 ans à Repentigny. Il a élevé ses trois enfants en compagnie de son épouse à cet endroit. Ils sont maintenant les grands-parents de neuf petits enfants qui les visitent régulièrement.
[11] La défenderesse, madame Daigle, a acquis la résidence voisine en 1997.
[12] Depuis mai 2008, le défendeur, monsieur Mailloux, habite avec Daigle dans la résidence de cette dernière. Ils habitent un bungalow.
[13] La maison de Gendreau compte deux étages. De l'arrière, on peut voir le côté gauche de la cour arrière de la résidence de Daigle.
[14] Selon Gendreau et tous les autres témoins en demande, Daigle et Mailloux forment un couple.
[15] Avant la venue de Mailloux à cet endroit, les relations de voisinage étaient excellentes. Daigle, étant infirmière de formation, s'occupait même de conseiller et de prodiguer certains soins aux voisins et à leurs enfants.
[16] Tout était très paisible, voire même plus que cordial jusqu'en 2008. Dès que Mailloux fit son apparition dans le voisinage, les choses se sont littéralement détériorées.
[17] La problématique principale vient du fait que Mailloux s'exhibe nu au vu de tous à l'intérieur et à l'extérieur de la propriété de Daigle.
[18] En fait, les témoins de la demande sont unanimes pour décrire les faits et gestes de Mailloux comme étant dérangeants, osés et de nature à perturber leur quiétude.
[19] Tel que les témoignages qui vont suivre le décrivent, Mailloux, lorsqu'il est à l'intérieur de la résidence, s'exhibe nu devant les fenêtres. Aussi, lorsqu'il est à l'extérieur, il s'y promène nu. Il effectue toutes ses activités en costume d'Adam, que ce soit pour lire, écouter de la musique, se baigner, faire du jardinage, du bricolage et même réparer sa voiture. Il vit nu!
[20] Gendreau a mis en preuve des photographies. Certaines montrent Mailloux à proximité de son véhicule-moteur sur la cour asphaltée, nu (ou presque), à y faire certaines réparations. En fait, l'entrée asphaltée est sur le côté gauche de la résidence de Daigle vers l'avant.
[21] D'autres photos exhibent Mailloux avec des sous-vêtements descendus à la hauteur des genoux.
[22] Gendreau explique qu'il a vu Mailloux nu à de multiples reprises de la fenêtre de sa cuisine, de la fenêtre du deuxième étage et lorsqu'il est à l'extérieur de sa résidence.
[23] Il a souvent téléphoné aux policiers dans le simple but que Mailloux respecte son entourage et se vêtisse convenablement.
[24] Gendreau reproche à Mailloux de lui faire vivre un stress important compte tenu de la situation.
[25] En fait, le demandeur ne peut plus recevoir ses invités paisiblement comme il le faisait auparavant. Ses petits enfants sont trop jeunes pour faire la part des choses et il tente de les soustraire à cette situation. Ses visiteurs sont de plus en plus rares.
[26] Gendreau, à certains moments, a également vu madame Daigle nue dans la cour arrière à proximité de leur piscine.
[27] Il estime que le comportement des défendeurs est dérangeant et qu'il constitue, à la limite, une forme de harcèlement puisque malgré plusieurs avis, ils s'exhibent encore nus.
[28] Voyant que Gendreau avait fait appel aux forces policières, Mailloux l'a menacé. Il lui aurait dit: «Viens icitte que je t'arrange la face!» le menaçant avec une planche de bois qu'il pointait vers lui.
[29] À plusieurs reprises, Gendreau décrit que Mailloux l'intimide surtout entre 2008 et 2010. En effet, Mailloux marche dans la rue face à la résidence de Gendreau. Cependant, il prend sa marche de façon très particulière, en ce qu'il effectue de nombreux allers-retours que Gendreau estime à 50, 100 ou 200 reprises par jour entre chacune des deux limites de la façade avant de sa propriété. Mailloux ne cesse alors de regarder en direction de la résidence de Gendreau et le prend en même en photo. Gendreau trouve cela insupportable.
[30] À un certain moment, compte tenu que Gendreau avait porté plainte pour grossière indécence, Daigle est venue le voir et l'a mis en garde. Elle a dit à Gendreau qu'il ne connaissait pas Mailloux, qu'il serait encore, dans l'avenir, plus agressif et insistant à cause de sa plainte. Depuis ce temps, Gendreau a vu sa peur, son stress et son anxiété décupler.
[31] Gendreau a dû prendre des vacances à l'extérieur à plusieurs reprises pour tenter d'oublier ses voisins, les défendeurs. En fait, lorsqu'il s'endort, il a peur que Mailloux se dirige chez lui et s'en prenne à lui. À son âge, il dit ne plus être en mesure de se défendre adéquatement.
[32] Un matin de 2008, Gendreau constate que Mailloux et Daigle ont installé des panneaux de bois sur la clôture séparant leur limite de terrains respectifs. Ces panneaux sont à plus de huit ou neuf pieds dans les airs. Ils sont irréguliers et ne sont pas fixés solidement. C'est une autre forme de harcèlement pour lui. Des photos démontrent bien la situation.
[33] Mailloux tente d'intimider, de harceler et de provoquer Gendreau. Il déambule avec une enregistreuse et prend des photos de Gendreau et de sa résidence.
[34] À un certain moment, Gendreau voit Mailloux en compagnie d'un enfant en bas âge. Ils sont nus tous les deux et jouent à l'extérieur.
[35] Le 18 juin 2008, Mailloux expédie une lettre à Gendreau. Nous pouvons y lire (pièce P-2):
Monsieur,
Dimanche le 15 Juin 2008, je me suis rendu a votre domicile situé au (…) a Repentigny.
Mon but etait de savoir de vous si vous avez entendu parler de moi votre voisin a l effet que je me baignais nu dans ma piscine.
Vous m'avez dit que la police était allé vous voir a cet effet. Aucune accusation n'a été formulé.
Ainsi vous m'avez entre autre accusé de me montrer le cul, selon vos mots devant les enfants du voisinage. Vous m'avez aussi dit que j'étais un hosti de cochon.
Vous avez aussi rencontré entre le 2 et le 15 Juin 2008 madame Charest demeurant au (…) a Repentigny et vous lui avez dit que le gars en arrière de chez elle se promenait le cul a l'air dans sa cour tout en l'avisant de prendre soin de surveiller ses enfants attentivement.
Je vous informe que nos conversations ont été prises sur bande magnétique.
Vos propos haineux et méprisant m'ont fait perdre l'estime et la confiance de mon voisin, ce qui constitue un acte fautif et punissable par la loi.
A compter de cette date, si d'ici 10 jours vous ne m'avez présenté des excuses formelles, une action en justice au montant de 7,000.00$ sera intentée contre vous-memes sans autre avis ni délais.
Veuillez agir en consequence (…).» (sic)
[36] À de multiples reprises, Mailloux a suivi Gendreau lorsqu'il sortait à l'extérieur ou prenait une marche dans le parc, tout juste à proximité de leurs résidences. Il prenait des photos de lui et l'injuriait.
[37] Un soir, en regardant la télévision, Gendreau constate que Mailloux participe à l'émission de l'animateur Denis Lévesque sur les ondes de LCN.
[38] À l'intérieur des quatre jours qu'a duré le procès, le Tribunal a autorisé la diffusion de cet enregistrement télévisuel.
[39] L'animateur interroge Mailloux qui, à de multiples reprises, explique que s'il a décidé d'être nu à l'extérieur, il allait l'être. Personne, ni aucune loi ne pouvaient l'arrêter!
[40] Mailloux dit qu'il s'agit d'une question de «liberté de la personne» et que si son voisin (en faisant référence à Gendreau) n'était pas content, il n'avait qu'à ne pas le regarder. Mailloux prétend que la vie de ses voisins n'est pas en danger et qu'il ignore si c'est moral ou immoral d'être nu devant les gens. En visant Gendreau, il déclare: «Si t'es pas d'accord, regarde et sniffe ailleurs!» Cette émission est d'une durée de quelques minutes.
[41] Au procès, questionné sur sa réaction en regard de cette émission, Gendreau explique que depuis, son stress a encore augmenté. En fait, il déclare: «Lorsqu'on écoute la télé et qu'on est visé, c'est stressant.»
[42] Depuis, tous ses voisins lui posent des questions à ce sujet et il est identifié à cette situation bien malgré lui.
[43] Le 18 septembre 2008, Gendreau constate que Mailloux a retiré les panneaux de bois qu'il avait antérieurement installés sur la clôture. Il les a remplacés par une clôture en treillis.
[44] Suivant des démêlés avec le Service d'inspection de la ville de Repentigny, le 27 octobre 2008, Mailloux retire les treillis et les remplace par une autre clôture. Mailloux a peint cette clôture de l'intérieur du terrain de Daigle seulement. L'autre côté est resté couleur bois vieilli.
[45] Gendreau dit à la Cour: «Il fait toujours ce qu'il veut, je ne suis plus chez nous.»
[46] Il a porté plainte aux policiers contre Mailloux et Daigle à quelques reprises.
[47] Sa réclamation se détaille ainsi:
- Travaux de réfection de la clôture : 2 466,32 $
- Coût pour la confection du plan: 395,06 $
- Coût d'Achat de la clôture Frost : 800,00 $
- Travaux d'installation de clôture : 1 000,00 $
- Dommages, stress, inconvénients : 15 000,00 $
- Perte de jouissance de sa résidence 15 000,00 $
- Dommages moraux : 15 000,00 $
- Dommages punitifs 5 000,00 $
TOTAL : 54 661,38 $
[48] Gendreau a déposé une estimation pour des travaux correctifs à la clôture de sa résidence. Il réclame 2 466,32 $ pour les travaux de réfection de sa clôture basés sur l'estimation de Multi-Service Marc Dinel. Ce document du 5 mai 2009 se lit ainsi (pièce P-14):
«(…) Enlever feuille de vinyle et remplacer (arrière du garage) 175,00 $
Remplacer panneaux de cloture et poteaux
Creuser et solidifier poteaux dans sonotube et ciment 2 010,00 $
SOUS
TOTAL 2 185,00 $ TPS 109,25 $
TVQ 172,07 $
Total: 2 446,32 $»
(sic)
[49] Gendreau a également mis en preuve une lettre du 24 novembre 2008 adressée à Daigle, laquelle se lit ainsi (pièce P-15):
«(…) Madame Daigle,
Après vérification auprès des autorités compétentes de la Ville de Repentigny, nous avons appris qu'aucune demande ou consultation n'a été faite auprès de la Ville ou auprès de vos voisins immédiats et concernés avant l'exécution de vos travaux. Également, nous constatons que vous n'avez pas respecté les normes et règlements municipaux en lien avec les travaux que vous avez effectués. De plus, cette clôture a été érigée sans que les cadastres des lots impliqués ne soient consultés. Celle-ci n'est en effet pas conforme, empiétant sur le lot du (…). Nous réalisons donc qu'en plus d'avoir modifié une infrastructure qui n'était pas seulement sur votre terrain, vous avez effectué des travaux sans autorisation.
Nous remarquons également que les travaux que vous avez effectués ont occasionné des dommages aux installations déjà en place avant le début de vos travaux et au revêtement du garage au (…).
Il s'avère également important de souligner que nous sommes très préoccupés par le fait que votre clôture, en plus de ne pas être esthétique, ne semble pas sécuritaire du fait que le matériel utilisé ne semble pas suffisamment solide pour les éventuelles conditions climatiques qui pourraient survenir. Nous sommes inquiets des bris supplémentaires que votre clôture pourrait occasionner.
Nous sommes donc dans l'obligation de vous informer que nous vous tenons responsable des dommages actuels et de tout autre dommage futur qui pourrait se produire en lien avec l'installation ou les modifications des clôtures déjà en place.
Nous vous mettons donc en demeure, de réparer les dommages et de modifier vos installations de façon à ce qu'elles respectent les normes en vigueur dans notre Ville ainsi que les cadastres du lot (…), et ce, dans un délai de 10 jours. Vous pouvez consulter le site internet de la ville (…) pour connaître ces normes (…).»
[50] Cette lettre est signée par René Gendreau, Claude Labonté, Chantal St-Cyr, Danielle Charest et Roger Leduc.
[51] Le 14 septembre 2009, Gendreau expédie par son procureur, Me Alain Séguin, une mise en demeure où nous retrouvons l'extrait suivant (pièce P-16):
«(…) Aussi, en l'année 2008, vous avez pris l'initiative d'exécuter certains travaux dans le but d'ériger une nouvelle clôture laquelle prend assise sur l'ancienne clôture existante.
À cet effet, notre client a pu constater que les travaux effectués ont occasionnés des dommages importants aux installations déjà en place séparant les deux terrains ainsi qu'au revêtement de son garage. En conséquence, nous désirons vous informer que les dommages causés s'élèvent à la somme de 2 466,32 $, dont vous trouverez copie de la facture d'une évaluation des travaux de réfection.» (sic)
[52] Le 16 août 2010, Claude Labonté et Gendreau expédiaient une autre correspondance à Daigle. Celle-ci se lit comme suit (pièce P-18):
«(…) Madame Daigle,
Par la présente nous désirons vous aviser que les travaux de remplacement de la clôture en lien avec les lots (…) débuteront le 21 août prochain.
Puisque que vous ne nous avez pas fait parvenir de réponse dans un délai de 10 jours, suivant la réception de la lettre du 25 juin dernier, la nouvelle clôture sera donc érigée à l'intérieur des limites de nos terrains et ce, selon nos certificats de localisation respectifs.
De plus, la fixation du panneau arrière réalisée lors de l'installation de votre clôture existante, laquelle fait le lien entre le lot (…) risque de causer certains problèmes, lors de l'exécution des travaux d'installation de notre nouvelle clôture.
Il s'avère également important de mentionner que nous sommes préoccupés par le fait que votre clôture existante ne semble pas sécuritaire et suffisamment solide en regards des éventuelles conditions climatiques qui pourraient survenir. Nous sommes inquiets des dommages supplémentaires que votre clôture pourrait alors occasionner.
Nous sommes donc dans l'obligation de vous informer que nous vous tiendrons responsable des dommages qui pourront se produire sur notre nouvelle clôture.» (sic)
[53] Le demandeur a obtenu de l'arpenteur Gilles Dupont la confection d'un plan suite aux travaux d'arpentage qu'il a effectués afin de délimiter les propriétés respectives des parties et l'emplacement exact de la clôture. Il réclame 395,06 $, soit le coût des honoraires de l'arpenteur.
[54] Il a mis en preuve une facture du 30 août 2010 de Clôtures Citadelle établissant à 800 $ les déboursés pour l'installation de la nouvelle clôture.
[55] Le 22 novembre 2010, le demandeur recevait de l'avocat des défendeurs la correspondance suivante (pièce P-22):
«(…) Monsieur,
La présente fait suite à la mise en demeure du 30 mars dernier se rapportant à vos relations de voisinage avec madame Floreen Daigle, propriétaire du (…) Repentigny, et monsieur Marcel Mailloux, occupant des lieux.
Malgré la demande de ma cliente vous enjoignant de cesser tout trouble de voisinage et/ou abus de droit, il appert que vous continuez par vos faits, gestes, paroles et votre comportement, soit directement ou indirectement (par des plaintes à la Ville de Repentigny service de l'urbanisme, service de police) de le faire.
En effet, vous avez posé dans le passé et jusqu'à ce jour des actes et gestes qui bien qu'ils soient à la limite de l'exercice de votre droit de propriété et de voisinage font en sorte que vous en usez dans le dessein de nuire à madame Daigle et à monsieur Mailloux avec le droit de voisinage (…).»
[56]
Le procureur reprend par la suite les articles
Témoin Claude Labonté:
[57] Monsieur Labonté est propriétaire d'une résidence voisine de celles de Gendreau et Daigle. Il y habite avec ses deux enfants et sa conjointe, Chantal St-Cyr, depuis 1995.
[58] En fait, la résidence des défendeurs se situe tout juste à l'arrière de celle de Labonté.
[59] Avant l'arrivée de Mailloux, le climat de voisinage était paisible, tous ayant accès au parc à l'avant. Il faisait bon y vivre.
[60] De sérieux problèmes débutent à l'hiver 2008.
[61] Labonté voit alors Mailloux déneiger l'entrée de la résidence de Daigle. Il projette la neige à l'aide d'une souffleuse sur le garage de Labonté. Lorsqu'il tente d'interroger Mailloux sur cette façon de faire, ce dernier lui répond: «Si ça fait pas ton affaire, envoie une lettre d'avocat!» Il s'agissait de leur première discussion!
[62] Un peu plus tard, en mars de la même année, lors d'un congé scolaire, le plus jeune enfant de Labonté informe ce dernier, à l'heure du dîner, qu'il voit Mailloux se promener nu à l'intérieur de sa maison.
[63] Labonté raconte qu'il s'agit du début de multiples événements de nudité qui se sont déroulés en 2008, 2009 et 2010.
[64] En effet, à de multiples reprises, alors qu'il était dans sa cour arrière ou sur son patio, il a vu Mailloux se promener nu à l'extérieur et à l'intérieur de la résidence de Daigle. En fait, c'est que l'après-midi, lorsque le soleil est en direction de la résidence de Daigle, les rayons projetés à l'intérieur de la maison éclairent directement Mailloux.
[65] Le 18 juin 2008, Labonté voit Mailloux lancer des mégots de cigarette sur son terrain. Il tente d'aviser ce dernier, mais Mailloux lui répond par de multiples injures et des menaces. À deux reprises à ce moment-là Mailloux a craché sur la poitrine de Labonté.
[66] À une ou deux occasions par la suite, Mailloux a simulé de le frapper avec un colombage (2" X 4"). À un autre moment, Mailloux l'a invité à aller se battre avec lui dans la rue.
[67] Labonté reproche à Mailloux de marcher devant son domicile de long en large à des dizaines de reprises.
[68] Plus tard, Mailloux voulait enregistrer les paroles de Labonté alors qu'ils discutaient de sa nudité.
[69] Depuis ces événements, le climat s'est évidemment détérioré. Mailloux a même, à de multiples reprises, demandé aux enfants du voisinage de ne pas passer devant son domicile.
[70] Labonté a même envisagé déménager.
[71] À un autre moment, Mailloux a stationné son véhicule tout juste devant l'entrée accessoire du domicile de Labonté pour l'empêcher de sortir son véhicule de son stationnement. Ce sont les policiers qui ont dû intervenir pour faire déplacer le véhicule de Mailloux. Labonté a d'ailleurs déposé des photographies en ce sens.
Témoin Denis Marsolais:
[72] Monsieur Marsolais habite avec sa femme et sa fille depuis mai 1973 face à la résidence de Daigle.
[73] À la fin 2007, Daigle lui a dit que son nouveau conjoint, Marcel Mailloux, emménageait avec elle. Ils étaient amoureux.
[74] Les voisins avaient une vie paisible avant l'arrivée de Mailloux.
[75] Il considère le comportement de Mailloux inapproprié pour ce genre de quartier.
[76] À de multiples reprises, il a vu Mailloux nu ou avec les sous-vêtements abaissés jusqu'aux genoux.
[77] Il s'exprimera ainsi : «Ce n'est pas ce que mes enfants et mes petits-enfants s'attendent à voir.»
[78] Il explique que Mailloux intimide tout le monde.
[79] Le ou vers le 13 juin 2008, Mailloux s'est rendu au domicile de Marsolais. Il a discuté avec ce dernier et lui a remis une copie d'une lettre que Mailloux avait expédiée au Service de police de Repentigny. Nous pouvons y lire (pièce P-27):
«(…)Monsieur le Directeur,
Le 12 juin 2008 vers 13 heures, j'ai reçu dans mon entrée de cour au (…) à Repentigny, la visite de deux policiers à savoir, l'agent S. S., l'agent C. R. tous deux à l'emploi de ladite municipalité.
Lors de cette visite inattendue et dont le but était nul autre d'obtenir, par le chantage, par l'intimidation, par la menace que je me couvre d'un pantalon.
Je déclare que l'agent C. R. s'est comporté de façon respectueuse et honorable. Quant à l'agent S. S., ce dernier a eu à mon égard des remarques assassinantes, inutiles et blessantes. Ce voyou à l'emploi de la police n'a fait preuve d'aucun respect et d'aucune tolérance.
Ainsi, j'orienterai mes démarches afin de savoir s'il m'est possible de porter des accusations au criminel envers cet individu. De plus, une plainte sera formulée à la Déontologie policière contre S. S. ainsi qu'une poursuite civile au montant (…) sera entreprise contre ce même policier, le Service de police et la Ville de Repentigny.» (sic)
[80] Par la suite, Mailloux prenait des photos de la résidence des voisins, dont celle de Marsolais.
[81] Aussi, Mailloux a déposé une action en justice contre sa fille, Catherine Marsolais, parce qu'il estimait qu'elle était de connivence avec le demandeur, Gendreau.
Témoin Catherine Marsolais:
[82] Madame Marsolais a vécu chez ses parents jusqu'en avril 2012. Avant l'arrivée de Mailloux, le quartier était calme et paisible. Tout le monde s'entraidait alors qu'aujourd'hui, c'est la frustration, l'intimidation et les actes de nudité de Mailloux qui sont venus complètement perturber la situation.
[83] À de multiples reprises, elle a vu Mailloux nu ou presque nu à l'intérieur et à l'extérieur de la maison de Daigle.
[84] C'est elle qui a pris les photographies déposées sous la cote P-1. En fait, ces photos exhibent Mailloux nu ou avec les sous-vêtements descendus jusqu'aux genoux à effectuer des travaux de réparations sur son véhicule-moteur. Il est situé à la gauche de la résidence de Daigle, sur la partie asphaltée vers la voie publique.
[85] Au cours des étés 2008, 2009 et 2010, elle a vu Mailloux nu tous les jours de beau temps à l'extérieur.
[86] Aussi, elle l'a vu souvent prendre des photos des voisins et tenter de capter leurs conversations à l'aide d'une enregistreuse.
[87] Le 12 janvier 2009, Mailloux expédiait la mise en demeure suivante à Marsolais (pièce P-28).
«(…) Madame,
Le 8 Juin 2008 vous avez porté plainte contre ma personne en vertu de l'article 173/174 du code criminel.
Dans une déclaration signé de votre main vous déclarez ce qui suit à l'agent (…) du service de police de Repentigny. Je vous cite au texte:
MON VOISIN SE PROMÈNE EN PETITE TENUE... LES FESSES A L'AIR... SUR LE COTÉ ET DEVANT LA MAISON EN J STRING.
J'AI PRIS SA PHOTO QUAND JE REVENAIS DE TRAVAILLER ET IL ÉTAIT HABILLÉ COMME C'A. J'AI FAIT SES PHOTOS POUR LES GARDER EN SOUVENIR DE SON ATTITUDE ( 4 PHOTOS ).
AU TRAVAIL J'EN AI DISCUTÉ AVEC MA BOSS ET ELLE M'A DIT ELLE AUSSI QU'ELLE AVAIT UN VOISIN SPÉCIAL.
ENTRE 5 HEURES ET 5 HEURES VINGT DU MATIN JE PARTAIS POUR LE TRAVAIL ET IL ÉTAIT DANS SON SALON TOUT NU AVEC UNE TASSE DE CAFÉ EN MAIN. C'EST LA SEULE FOIS QUE JE L'AI VU NU.
En veru
de l'article
Ainsi, a compter de cette date il vous est strictement interdit de regarder à l'intérieur de mon domicile par quelques moyens que ce soit et il vous strictement interdit de prendre des photos de ma personne.» (sic)
[88] En septembre 2009, elle reçoit une autre lettre de Mailloux qui se lit comme suit (pièce P-3):
(…) Madame,
Le 17 Juin 2008 vous avez porter plainte au service de police de Repentigny à l'effet que, selon vous, j'aurais commis une infraction criminelle.
Le 18 juin 2009 j'ai été acquitté de cette affaire par l'honorable juge (…) de la cour municipale de Repentigny.
Dans votre plainte vous déclarez m'avoir vu nu debout à cinq heures du matin, un café en main, à l'intérieur de chez nous.
Vous déclarez aussi que le 13 octobre 2007 vers 14.30 avoir pris des photos de ma personne à l'intérieur de ma cour.
À la lecture de votre plainte, je constate que celà fait parti de vos us et coutumes de m'épier.
Nous avons des droits qui nous sont reconnus par le Code civil du Québec, art. 947 et 946 mais également par la Charte des droits et libertés de la personne qui prévoit le droit à l'intégrité de la personne art.1, à la dignité art.4, au respect de la vie privée art.5, à la jouissance paisible de notre résidence, art.6, et au respect de la vie privé.
Vous avez joint votre plainte à celle des Gendreau, St-Cyr, Labonté, Charest dans le but de me faire condamner.
En conséquence je vous réclame la somme de 4,000.00$ en dommages moraux et dépens (…).» (sic)
[89]
Il fut mis en preuve (pièce P-4) le procès-verbal du jugement prononcé à
la Cour municipale de Repentigny le 18 juin 2009. Mailloux y était accusé en
vertu des articles
[90] Le 17 février 2010, la défenderesse, Daigle, expédiait une mise en demeure à Marsolais qui se lit comme suit (pièce P-29):
«(….) Entre le 11 juin 2008 et le 27 juillet 2009, vous avez déposé au Service de police de Repentigny des déclarations sur mon mode de vie, ainsi que sur celui de monsieur Marcel Mailloux qui habite à la même adresse.
Ces déclarations ont donné lieu à des accusations criminelles portées contre monsieur Marcel Mailloux pour lesquelles il a été acquitté en Cour municipale de Repentigny.
Malgré cet acquittement, vous avez continué illégalement et sans motif valable à faire des déclarations et autres au voisinage et à des tierces personnes pour porter un jugement de valeur sur mon mode de vie et me causer des préjudices, alors que celui-ci ne porte atteinte pas à l'ordre public et aux bonnes mœurs.
[…]
Par vos paroles, faits et gestes, déclarations et votre comportement, vous avez porté atteinte à l'exercice des droits qui me sont conférés par la loi entraînant votre responsabilité extracontractuelle (…).
En conséquence, je vous réclame la somme de 7 000,00 $ à titre de dommages-intérêts pour la violation de mes droits mentionnés précédemment.»
[91] Marsolais a ainsi été poursuivie par Daigle à la Division des petites créances de la Cour du Québec dans le dossier de Cour portant le numéro 730-32-006933-100.
[92] Daigle réclamait à Marsolais 7 000 $ en ces termes (pièce P-30):
«1) La partie défenderesse a porté plainte contre le conjoint de la partie demanderesse à la police de Repentigny pour indécence, tel que démontré sur la plainte déposée sous la cote P-1;
2) Le conjoint de la partie demanderesse a été acquitté, telle que preuve en sera faite lors de l'audition;
3) Suite à cet événement, la partie demanderesse a subi du stress et des médisances véhiculées par la partie défenderesse à son sujet ont circulés dans son voisinage, telle que preuve en sera faite lors de l'audition;
4) La partie demanderesse a donc mis en demeure la partie défenderesse de lui verser la somme de 7000.00$, tel que démontré sur la mise en demeure déposée sous la cote P-2. La partie défenderesse refuse et/ou néglige de payer ladite somme. La partie demanderesse réclame donc la somme de 7000.00$ à titre de dommages et intérêts reliés à la situation.» (sic)
(Soulignements du Tribunal)
[93] Le 8 juin 2010, Marsolais recevait du greffier de la Division des petites créances la lettre suivante (pièce P-31):
«(…) Madame,
La partie demanderesse s'est désistée de sa demande devant la Division des petites créances, mettant ainsi fin aux procédures entreprises contre vous (…).»
[94] De plus, Mailloux a entrepris un recours à la Division des petites créances contre Marsolais.
[95] Dans le cadre du jugement du 23 décembre 2010 de notre confrère l'honorable Richard Landry, nous pouvons lire:
«[1] À l'origine, monsieur Mailloux
poursuivait madame Marsolais pour la somme de 4 000 $ en lui
reprochant d'avoir porté plainte contre lui pour exhibitionnisme en vertu des articles
[2] À l'encontre de cette poursuite, madame Marsolais produit une contestation et demande reconventionnelle de 7 000 $ en alléguant que la poursuite de monsieur Mailloux constitue un abus de procédure qui lui a causé préjudice. Le présent jugement porte donc sur le bien-fondé de cette demande reconventionnelle.
LES FAITS
[3] En juin 2008, monsieur Mailloux a fait l'objet d'une enquête policière suite à des plaintes de voisins lui reprochant de se promener nu sur sa propriété à la vue de ces derniers.
[4] Dans le cadre de leur enquête, les policiers ont rencontré madame Marsolais, qui réside en face de la propriété où demeure monsieur Mailloux pour recueillir une déclaration de sa part.
[5] Dans cette déclaration, madame Marsolais confirme que monsieur Mailloux se promenait en petite tenue sur le côté et à l'avant de la maison lorsqu'il fait chaud. Notamment, sur des photographies du 13 octobre 2007, on voit monsieur Mailloux vêtu uniquement d'une petite culotte qu'il porte en bas des fesses (pièce D-4).
[6] La déposition de
madame Marsolais a été utilisée par les policiers dans des poursuites
criminelles déposées contre monsieur Mailloux. De fait, le 12 mai 2010,
monsieur Mailloux a été reconnu coupable d'avoir été nu et exposé à la vue du
public sur une propriété privée, en contravention de l'article
[7] À l'époque, après avoir pris connaissance de la déposition de madame Marsolais, monsieur Mailloux lui transmet 3 mises en demeure en plus de la poursuite à l'étude. Une autre poursuite avait également été déposée par lui et sa conjointe mais elle a été retirée par la suite.
[8] Dans ses mises en demeure, monsieur Mailloux reproche à madame Marsolais de l'avoir épié et d'avoir atteint à ses droits fondamentaux, d'où ses recours en dommages.
[9] Madame Marsolais témoigne que toutes ces mises en demeure et ces poursuites lui ont causé des stress, inquiétudes, voire insomnies, puisqu'elle n'est pas familière avec le système judiciaire. Elle s'est sentie intimidée, a éprouvé le besoin de consulter un avocat et s'est privée de recevoir des gens à la maison en redoutant les agissements de monsieur Mailloux.
ANALYSE ET DÉCISION
[10] Il ne fait pas de doute dans l'esprit du soussigné que monsieur Mailloux a agi de manière à intimider et harceler madame Marsolais qui était l'une des témoins à charge dans les poursuites criminelles dirigées contre lui.
[11] Il y a lieu de souligner que, contrairement aux allégations de monsieur Mailloux, madame Marsolais n'a jamais porté plainte contre lui mais a uniquement souscrit une déposition à la demande des policiers.
[12] Pour avoir gain de cause dans sa poursuite, monsieur Mailloux aurait dû démontrer les éléments suivants :
1) que des procédures ont été engagées par la plaignante contre lui;
2) que le tribunal lui a rendu une décision favorable;
3) qu'il y avait absence de motifs raisonnables et probables supportant la plainte;
4) que la plaignante était animée d'une intention malveillante ou d'un objectif autre que celui de l'application de la Loi.
[13] Or, ici madame Marsolais n'était pas la plaignante, la décision a été défavorable à monsieur Mailloux, madame Marsolais aurait eu des motifs raisonnables et probables de se plaindre de la conduite de monsieur Mailloux et elle n'avait aucune intention malveillante.
[14] En conséquence, la poursuite de monsieur Mailloux à son égard était abusive et madame Marsolais est bien fondée de demander réparation pour le préjudice subi.
[15] De plus, monsieur Mailloux a fait preuve d'un manque de respect flagrant envers ses voisins en général et envers madame Marsolais en particulier en s'exhibant comme il l'a fait.
[16] Cela contrevient
notamment à l'article
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
[17] Pour toutes ces raisons, le Tribunal fixe à 1 500 $ l'indemnité à laquelle madame Marsolais a droit en raison du comportement abusif du demandeur.
[…]
[21] CONDAMNE monsieur
Marcel Mailloux à payer à madame Catherine Marsolais la somme de
1 500 $, avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle
prévue à l'article
(Références omises)
[96] Lors de son témoignage, Marsolais précise qu'elle n'a jamais reçu de Mailloux les sommes prévues au jugement de l'honorable Richard Landry.
Témoin Marcel Germain:
[97] Monsieur Germain est âgé de 70 ans et habite à Repentigny depuis 1973. Sa résidence est voisine (par la cour arrière) de celle de Daigle.
[98] Tout comme les témoins précédents, il explique le climat harmonieux qui existait avant l'arrivée de Mailloux. Par la suite, Daigle et son nouveau conjoint n'ont cessé de les intimider, les harceler et les provoquer.
[99] Il décrit un événement où Mailloux et Daigle ont sorti à l'extérieur une radio portative. Ils l'ont installée en direction de la propriété voisine, à haut volume, à proximité de la clôture délimitant leur terrain pour leur nuire. Il y avait une réunion familiale chez ce dernier.
[100] Aussi, il fait état de plusieurs gestes de nuisance et d'intimidation de Mailloux. Par exemple, ce dernier, à des dizaines d'occasions, utilisait sa scie à chaîne en soirée, sans nécessairement avoir d'arbres à abattre à ces occasions.
[101] Il confirme en tous points les événements décrits par les autres témoins.
Témoin Patrick Durand:
[102] Monsieur Durand est sergent pour la police de Repentigny depuis 2004. Il effectue la supervision des équipes, des patrouilleurs et des enquêteurs.
[103] Il explique son intervention du 11 juin 2008 au domicile de Daigle.
[104] Les voisins ont contacté les policiers afin de demander à Mailloux de se couvrir. À son arrivée, Mailloux se promenait nu à l'extérieur du domicile.
[105] Lorsque les policiers ont discuté avec Mailloux et Daigle, ces derniers ont admis leurs gestes de nudité, mais estimaient être dans leurs droits.
[106] Ce sont les policiers qui ont exigé que Mailloux se vêtisse à ce moment-là. Il a obtempéré en partie seulement en s'entourant la taille d'une serviette. Mailloux et Daigle avaient un enregistreur pour l'occasion. Mailloux prétendait qu'il était chez lui, qu'il pouvait faire ce qu'il voulait et que les policiers n'y pouvaient rien.
[107] C'est suite à cet événement que des plaintes criminelles ont été déposées pour des actions indécentes et de nudité en vertu du Code criminel. À quelques reprises par la suite, les policiers ont dû intervenir. Par exemple, le 13 août 2008, une autre plainte d'une voisine a été portée pour actions indécentes. Ce dossier ainsi que celui du 11 juin précédent ont fait l'objet d'un acquittement en faveur de Mailloux auprès de la Cour municipale de Repentigny.
[108] Une autre plainte fut portée le 23 mai 2009 pour plusieurs événements de nudité, de menaces et de harcèlement.
[109] La dénonciation se lit comme suit (pièce P-32):
«(…) Concernant Marcel MAILLOUX (001)
1. Entre le 11 mai 2009 et le 5
juin 2009, à Repentigny, district de Joliette, était nu et exposé à la vue du public sur une propriété
privée, soit: (…) commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration
sommaire de culpabilité prévue à l'article
[….]
Concernant Marcel MAILLOUX (001)
2. Entre le 24 mai 2009 et le 5 juin 2009, à
Repentigny, district de Joliette, a agi à l'égard de Chantal St-Cyr dans
l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en
posant un acte interdit par l'alinéa
[…]
Concernant Marcel MAILLOUX (001)
3. Entre le 23 mai 2009 et le 5 juin 2009, à Repentigny, district de
Joliette, a agi à l'égard de René Gendreau dans l'intention de le harceler ou
sans se soucier qu'il se sente harcelé, en posant un acte interdit par l'alinéa
[110] Le 26 mai 2010, Mailloux fut reconnu coupable du premier chef d'accusation de cette dénonciation et on prononça alors une sentence suspendue de deux ans, avec une probation pour la même période.
[111] Le 10 août 2009, Mailloux fut à nouveau arrêté, détenu et accusé de bris de conditions de remise en liberté provisoire dans le cadre d'une nouvelle dénonciation. Celle-ci se lit ainsi (pièce P-33):
«(…) Concernant Marcel MAILLOUX (001)
1. Entre le 1 août 2009 et le 10
août 2009, à Repentigny, district de Joliette, a omis de se conformer à une
condition d'une promesse remise à un agent de la paix ou à un fonctionnaire
responsable, soit: ne pas se trouver à 100m du (…) commettant ainsi
l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à
l'article
[…]
Concernant Marcel MAILLOUX (001)
2. Entre le 1 août 2009 et le 10
août 2009, à Repentigny, district de Joliette, a omis de se conformer à une
condition d'une promesse remise à un agent de la paix ou à un fonctionnaire
responsable, soit: ne pas importuner Chantal St-Cyr, commettant ainsi
l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue à
l'article
[…]
Concernant Marcel MAILLOUX (001)
3. Le ou vers le 4 août 2009, à
Repentigny, district de Joliette, étant nommément désigné dans une promesse de comparaître
confirmée par un juge de paix, a omis de comparaître aux lieu et date indiqués
pour l'application de la Loi sur l'identification des criminels en conformité
avec ce document, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration
sommaire de culpabilité prévue à l'article
[…]
Concernant Marcel MAILLOUX (001)
4. Entre le 9 juillet 2009 et le
10 août 2009, à Repentigny, district de Joliette, a omis de se conformer à une
condition d'une promesse remise à un agent de la paix ou à un fonctionnaire responsable, soit:
ne pas se trouver à 100m du (…) commettant ainsi l'infraction punissable sur
déclaration sommaire de culpabilité prévue à l'article
[112] Le 26 mai 2010, Mailloux fut reconnu coupable aux premier et troisième chefs de cette deuxième dénonciation. Il fut condamné à une amende de 100 $ avec une probation de six mois sans surveillance.
[113] Le policier Durand décrit qu'à plusieurs reprises, il a contacté Daigle ou Mailloux pour les mettre en garde contre ce genre de comportement.
[114] Par exemple, le 20 juillet 2009, alors que St-Cyr et Gendreau avaient téléphoné au Service de police, Mailloux en fut informé et mis en garde. Mailloux a alors précisé aux policiers qu'il allait continuer à se promener nu aussi longtemps que cela lui plairait, qu'il était chez lui et qu'il allait faire ce qu'il voulait.
[115] Aussi, les 1er, 3 et 10 août 2009, Mailloux a enfreint ses conditions de remise en liberté à trois reprises en neuf jours. C'est ce qui explique son arrestation et son incarcération du 10 août 2009.
[116] Mailloux fut par la suite accusé de bris de probation, de voies de fait et de harcèlement pour des faits et gestes d'août et septembre 2010. Il en fut acquitté par la suite.
[117] Le policier décrit que Mailloux a déposé plusieurs plaintes contre le Service de police de Repentigny qui n'ont pas été retenues.
[118] Enfin, le policier exhibe son journal d'enquête du 17 août 2009. Il y est noté (pièce P-41):
«20h40 Je rappelle Mme St-Cyr chez elle. Elle me mentionne qu'elle a eu droit à un spectacle de M. Mailloux mardi soir vers 17h00 lorsque M. Mailloux est revenu chez lui suite à son incarcération. M. Mailloux se promenait encore nu dans sa fenêtre et il était très à la vue de la plaignante. Il a fait de même le jeudi 13 août, mais cette fois-ci, Mme Daigle, la conjointe ou locateure du suspect était elle aussi nue. Je lui mentionne de continuer à prendre des notes et que je vais lui donner un retour lorsque j'en aurai au niveau des conditions.
21h00 Je discute avec Mme Floreen Daigle, l'amie de M. Mailloux, suite à une plainte qu'elle a voulu porter en fin de semaine. Elle m'a parlé de ses accusations face aux voisins et aussi de ce qu'elle voulait faire. Elle a dit qu'elle n'en resterait pas là avec ce dossier. Je lui ai parlé des conditions de M. Mailloux, et elle m'a dit que je ne réussirais pas à le faire habiller. Pour le reste, il s'agit d'une grande chicane de voisin, dans laquelle j'ai deux versions totalement contradictoires et chacun dit du mal de l'autre. Qui croire, je ne le sais pas. Cependant, j'ai demandé à Mme Daigle si elle allait garder M. Mailloux chez elle, car elle dit que ce n'est qu'un ami, et elle me dit que oui, qu'elle ne le fera pas quitter la maison, qu'il quitterait s'il le voulait. Elle le décrit comme étant lunatique, distrait et très entêté. Je raccroche en la remerciant de son écoute, malgré que cette heure de discussion n'est probablement rien changé à la situation, car elle dit qu'ils ne changeront rien à leurs habitudes.» (sic)
[119] Le 18 août 2009, Daigle écrit au policier Durand en ces termes (pièce P-45) :
«(…) Suite à ce que je qualifie de menaces, de chantage et d'intimidation de votre part et suite à votre manque de rigueur intellectuelle, je songe très sérieusement à demander les services d'une agence privée pour surveiller 24 heures par jour, non seulement ma résidence mais aussi nos personnes. J'entretiens de sérieux doutes tant qu' à l'honnêteté et la transparence de ce corps de police dont vous faites partie.
Il m'est permis de croire que c'est vous-même qui poussez dans le dos de madame St-Cyr pour prendre en faute monsieur Mailloux (…).
Il ne vous reste qu'à vous magasiner un juge qui forcera monsieur Mailloux à se vêtir et à baisser nos toiles et nos rideaux (…). » (sic)
[120] Le policier Durand dépose également en preuve les «cartes d'appels» reçus par le Service de police. Nous pouvons résumer celles-ci ainsi (pièce P-46):
«(4 juin 2009)
SON VOISIN EST ENCORE NU DEVANT LA FENÊTRE…(…)
DES PLAINTES ONT DÉJÀ ÉTÉ PRISES L'ANNÉE PASSÉE ET UNE NOUVELLE PLAINTE A ÉTÉ PRISE (…) EN DATE DU 24 MAI 2009 (…).
[…]
(…) LES AGTS ONT TRÈS BIEN VU M. MAILLOUX TOUT NU DANS SA CUISINE À LUI - LES RIDEAUX SONT TOUT GRANDS OUVERTS (…).
M. MAILLOUX A RÉPONDU NU AUX AGTS - ET MENTIONNE QUE C'EST AUX AUTRES A FERMER LEURS RIDEAUX QU'IL A PLEINEMENT LE DROIT DE SE PROMENER NU (…).
IL N'A AUCUNE COLLABORATION DE LA PART DE M. MAILLOUX.
[…]
(5 juin 2009)
LA DAME NOUS RAPPELLE CAR M. SE PROMENE TOUJOURS NU MAIS CETTE FOIS IL Y A UN ENFANT DE 2 ANS ENVIRON SUR PLACE.
[…]
ASSURER QUE LE JEUNE
ENFANT VA BIEN ET QU'IL EST EN SÉCURITÉ.
PAS DE COLLABORATION DE LA PART DES PARENTS DE L'ENFANT - M. MAILLOUX FAIT SON
SHOW - FILM LES AGENTS (…).
[…]
(2 décembre 2009)
FAIT DU JOGGING DEVANT SA FENÊTRE EN G-STRING» (sic)
Témoin Chantal St-Cyr:
[121] Madame St-Cyr est la conjointe de Labonté. Elle réside à cet endroit depuis 1995 avec leurs deux enfants nés en 1996 et 1999.
[122] À plusieurs reprises, Daigle lui a mentionné que Mailloux était son conjoint.
[123] Elle confirme ce que Labonté a dit précédemment quant au fait que leurs enfants ont vu Mailloux nu devant la fenêtre à l'intérieur de la résidence de Daigle.
[124] Après cela, de multiples événements de nudité se sont succédé. À plusieurs reprises en mai, juin, juillet et août 2009, elle a vu Mailloux nu chez lui. Elle a déjà vu Daigle nue à l'extérieur de la résidence également, mais dans la cour arrière.
[125] Elle considère que les faits et gestes des défendeurs constituent du harcèlement et de la provocation puisqu'à de multiples reprises, tous les voisins leur ont fait part de leur mécontentement.
[126] Elle réitère qu'à plusieurs reprises, Mailloux les provoque en marchant devant leur résidence de long en large en épiant à l'intérieur, son appareil photo et son enregistreuse à la main.
[127] Elle ne peut plus sortir à l'extérieur de sa maison sans être vraiment inquiète du comportement des défendeurs. À plusieurs reprises elle s'est fait escorter, d'ailleurs.
Témoin Danielle Charest:
[128] Madame Charest habite les lieux depuis avril 2002. Elle y réside avec ses deux filles de 10 et 12 ans (en 2007) et dit avoir vécu de grandes inquiétudes.
[129] Elle a déjà porté plainte en 2008 pour grossière indécence contre Mailloux. C'est Daigle qui, quelques mois avant, lui avait présenté comme étant son nouveau conjoint.
[130] À plusieurs reprises elle a cordialement demandé à Daigle d'intervenir pour que la situation cesse, mais cette dernière a toujours refusé. Leurs deux propriétés sont séparées en partie par une haie de cèdres. En fait, Mailloux s'assoyait au soleil, nu, directement là où la haie de cèdres est inexistante de façon à ce que, selon Charest, elle et ses enfants puissent le voir. Il savait très bien que cela l'embêtait. Elle a produit des photos d'ailleurs à cet effet.
[131] Le 17 août 2008, elle a acheté un très grand «gazébo» muni d'un mur à l'arrière et l'a installé de façon à cacher le trou situé dans la haie de cèdres afin d'éviter de voir les défendeurs nus.
[132] À plusieurs reprises, elle a vu Mailloux marcher de gauche à droite dans la rue, tout juste devant les propriétés des voisins de façon à les intimider. Elle explique que tous vivent sous une grande tension. Elle dira en ces termes: «Nous sommes tout le temps sur le qui-vive.» Aussi, elle corrobore les témoins précédents, notamment quant aux panneaux de bois installés par les défendeurs sur la clôture.
Témoin Raymond Masse:
[133] Monsieur Masse est inspecteur pour la ville de Repentigny depuis 37 ans. Il voit à l'application des règlements d'urbanisme.
[134] Il nous explique les innombrables démarches qu'il a effectuées visant les défendeurs.
[135] Sans reprendre intégralement chacune de ces étapes, nous pouvons notamment retenir ce qui suit.
[136] À certains moments, les inspecteurs de la ville de Repentigny ont tenté d'avoir accès à la cour arrière de la résidence de Daigle, ce qui leur a été refusé. Des constats d'infraction ont été émis à ce chapitre.
[137] Aussi, toute l'implication du Service d'urbanisme de la ville de Repentigny visait le fait que les parois de bois installées par les défendeurs sur la clôture ne respectaient pas la réglementation municipale. Elles étaient trop hautes, dans un mauvais matériau, non conformes quant à la distance où elles étaient apposées par rapport à la voie publique, etc.
[138] Enfin, à de multiples reprises, on a indiqué aux défendeurs la non-conformité de la clôture.
[139] Cependant, un jugement de la Cour supérieure, prononcé par l'honorable André Vincent le 26 octobre 2012, a statué que la dernière version de la clôture telle qu'installée était conforme à la réglementation municipale.
Témoin Floreen Daigle:
[140] Madame Daigle, la défenderesse, est âgée de 67 ans au moment de l'audience.
[141] Elle est divorcée depuis 1997 et a eu la garde de ses deux enfants.
[142] Au départ, lorsqu'elle s'est installée à Repentigny, tout allait très bien avec ses voisins. Elle confirme les dires des témoins en demande voulant qu'elle les ait aidés à plusieurs reprises et que le quartier vivait en parfaite harmonie.
[143] C'est en 2007 qu'elle fait la connaissance de Marcel Mailloux. Ce ne sera qu'à compter du 3 mai 2008 que ce dernier viendra habiter à temps plein chez elle à Repentigny. Auparavant, il avait son logement à Saint-Lambert.
[144] Elle qualifie Mailloux de «chambreur». Elle lui avait cependant attribué la plus grande chambre au rez-de-chaussée de sa résidence.
[145] Ce sera à la fin de l'été 2010 qu'il quittera les lieux.
[146] C'est elle qui voyait au paiement de toutes les dépenses de la résidence. Mailloux ne lui versait qu'un loyer mensuel et assumait seul son téléphone et son internet.
[147] Elle confirme le fait que lorsqu'elle prenait des marches dans la rue en compagnie de Mailloux, ce dernier lui tenait le bras, mais pas parce qu'ils étaient conjoints, mais tout simplement parce qu'elle avait peu d'équilibre.
[148] Dès le début de leur cohabitation, elle constate que Mailloux aime le nudisme.
[149] Souvent, il était nu à l'intérieur de la résidence ou à l'extérieur. Elle lui a déjà mentionné que le tout devait faire l'objet de discussions avec ses deux garçons. Mailloux lui a mentionné qu'il en discuterait directement avec eux. Daigle a toujours, par la suite, accepté la situation.
[150] Depuis leur séparation en 2010, Mailloux retourne assez souvent chez elle. Il est là pour des périodes de 24 à 48 heures. Elle confirme le fait que Mailloux «est nu du lever au coucher du soleil». Parfois, seulement sur la galerie, parfois couché sur le gazon, parfois dans l'entrée asphaltée, dans le cabanon, à la piscine, en fait, partout à l'extérieur de la maison. Il passe des heures et des journées entières nu également à l'intérieur de la maison. Pour elle, il n'y a aucun mal au nudisme.
[151] Elle a d'ailleurs déjà pratiqué le nudisme avec Mailloux en 2008 ou 2009. Lorsqu'on lui demande si elle a déjà été nue à l'extérieur de sa résidence, elle dira: «Je ne me souviens pas vraiment.»
[152] Daigle s'explique mal la frustration vécue par Gendreau. Elle considère que jamais ses enfants ou ses petits enfants ne lui rendent visite de toute façon. À quoi bon se plaindre de la situation?
[153] Elle considère que depuis l'arrivée de Mailloux chez elle, ce sont les voisins qui les harcèlent et les importunent. Chacun ne cesse de regarder en direction de son domicile, ce qui lui cause un énorme préjudice. Elle minimise énormément les récits factuels décrits par les témoins en demande. Pour elle, ils se plaignent inutilement.
[154] À l'été 2008, alors qu'elle était absente pour une semaine, elle constate à son retour que Mailloux a procédé à l'installation en hauteur de morceaux de bois directement sur l'ancienne clôture. Elle ne s'est pas objectée à cette situation, estimant qu'ainsi, les voisins ne pourraient plus les épier.
[155] Elle estime que ses voisins Labonté et St-Cyr sont très perturbants. Ils crient beaucoup et se disputent souvent. Elle considère que tous les voisins parlent trop fort.
[156] Le voisinage n'a pas accepté la venue de Mailloux. Elle estime qu'ils sont jaloux puisqu'ils ne pouvaient plus alors compter sur ses services d'infirmière. Elle s'est sentie trahie. Elle décrit le comportement de Mailloux ainsi: «La nudité a débuté doucement, ça a pris de l'ampleur un peu. Je n'ai pas pu garder le contrôle là-dessus.»
[157] Lorsqu'on lui demande pour quelle raison elle n'a tout simplement pas expulsé Mailloux de sa résidence, elle explique que c'est pour des raisons de santé puisqu'il est «cardiaque». Compte tenu que Mailloux n'est pas violent et n'est pas méchant, elle a accepté la situation.
[158] Les nombreux travaux effectués par elle-même et Mailloux à la clôture ne visaient qu'à leur procurer une intimité. Certes, il y a eu plusieurs avis, plusieurs démarches par les voisins et la ville. C'est pour cette raison qu'il y a eu de multiples versions de la clôture. Elle estime qu'ils ont toujours tenu compte des contraintes de la réglementation municipale et c'est pourquoi, d'ailleurs, ils ont diminué la hauteur de la clôture.
[159] Dans le cadre de sa défense et demande reconventionnelle, elle écrit:
«40. Tous les faits allégués concernent exclusivement le codéfendeur, Marcel Mailloux, puisqu'ils se rapportent à son comportement, son mode de vie et non la codéfenderesse, Floreen Daigle, de quelque manière que ce soit et qu'elle n'a aucun contrôle sur celui-ci;
[…]
42. Les plaintes répétées du demandeur auprès des autorités de la Ville de Repentigny lui ont causées un stress, inconvénients et une perte de jouissance de la vie de son immeuble.
[…]
44. Elle réclame au demandeur pour ses faits et gestes, comportement et attitude tant à l'encontre des règles de bon voisinage, d'excès dans l'exercice de ses droits civils allant à l'encontre de la bonne foi, la somme de 45 000,00 $ et la somme de 5 000,00 $ à titre de dommages punitifs pour un total de 50 000,00 $.
45. La requête introductive d'instance du demandeur est mal fondée en faits et en droit;
46. La présente défense et demande reconventionnelle est bien fondée en faits et en droit.» (sic)
[160] Elle estime que seule sa demande reconventionnelle de 50 000 $ est bien fondée compte tenu du harcèlement et de l'intimidation qu'elle a vécus de tout le voisinage et de Gendreau. Ce dernier la poursuit injustement.
[161] En contre-interrogatoire, Daigle admet que Mailloux se rend encore régulièrement chez elle. D'ailleurs, il y a toujours sa chambre, malgré le fait qu'il ne paie plus de loyer.
[162] Lorsqu'on lui demande pourquoi, dans des correspondances ou la demande judiciaire aux petites créances, elle qualifie Mailloux de «conjoint», elle ne sait pas pourquoi elle a utilisé ce terme. Elle dit avoir choisi ce mot sans raison particulière, puisqu'elle n'était pas obligée de dire qu'il était simplement son locataire.
[163] Malgré le fait que Mailloux était simplement un locataire, elle dit: «On doit accepter ça et composer avec ça.» en faisant référence, bien sûr, à sa nudité. Elle ajoute: «On s'entendait bien sur tous les autres points, je me suis ajustée, j'avais une évolution à faire, j'ai accepté ça.»
[164] Elle a déjà demandé à Mailloux de se vêtir pour faire diminuer les tensions avec le voisinage et les policiers. Il n'a pas accepté de le faire et elle n'a pas insisté davantage.
[165] Lorsqu'elle fut questionnée sur l'absence de rideaux dans sa maison, faisant en sorte que les voisins voyaient les défendeurs s'y promener nus à l'intérieur, elle répond qu'elle n'a jamais eu conscience de cette situation et que c'est seulement à la Cour qu'elle a appris ces faits. Elle ajoute : «C'est Gendreau qui aurait dû mettre un rideau dans sa fenêtre au deuxième.»
[166] Elle admet finalement qu'elle a déjà accédé à sa piscine nue. Il n'était pas question de changer cette piscine gonflable d'endroit dans la cour arrière de sa propriété de façon à ce que Gendreau ne puisse plus les voir nus parce que c'est là que le soleil était à son maximum.
[167] Un peu plus tard, elle indique, contrairement à ce qu'elle avait dit un peu plus tôt, qu'elle ne croit pas avoir été nue à l'extérieur de sa résidence et ajoute «Je n'ai pas de mémoire de ça.»
Témoin Marcel Mailloux:
[168] Monsieur Mailloux, le défendeur, est âgé de 65 ans. À l'audience, il n'est pas représenté par procureur.
[169] En fait, le 23 mars 2011, il a déposé une comparution personnelle. Aucun avocat ne l'a représenté par la suite.
[170] Le 6
juillet 2011, il a déposé une déclaration en vertu de l'article
«À l'encontre de la requête introductive d'instance du demandeur, le codéfendeur, Marcel Mailloux, déclare s'en rapporter à la justice.»
[171] Malgré tout, le Tribunal a permis à Mailloux d'agir et de défendre ses intérêts au procès.
[172] Le Tribunal s'est adressé à lui comme s'il était réellement partie au litige. Marcel Mailloux fut entendu et son témoignage se résume ainsi.
[173] Il explique au Tribunal qu'il a toujours eu une très bonne relation avec les jeunes. L'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) a décrété que l'année 1984 était l'année internationale de la Jeunesse. C'est pourquoi il leur a dédié un livre.
[174] De 1986 à 1988, il a fait du scoutisme et il en retient une très bonne expérience avec les jeunes, mais une beaucoup moins facile avec leurs parents.
[175] Il admet qu'il a un mauvais caractère, mais qu'il n'est pas criminalisé, outre, bien sûr, la déclaration de culpabilité décrite ci-avant pour des plaintes qu'il estime mal fondées.
[176] Il considère d'ailleurs que le juge l'ayant condamné en matière criminelle n'a pas bien complété son travail. Il estime avoir été victime «d'une entourloupette judiciaire».
[177] Selon sa propre vision des choses, il ne se préoccupe pas des voisins et ce, «fort probablement pas assez». Il se «balance» des gens, selon ses dires. Il vit actuellement à plusieurs endroits, chez des amis à Sherbrooke, à Saint-Lambert et à Repentigny. Pour lui, le quartier où vit madame Daigle à Repentigny est un «poulailler». Il s'agit de maisons construites en rangées rapprochées où chacun épie les autres.
[178] Il explique que Gendreau a des stores partout dans sa maison, sauf dans la fenêtre située au deuxième étage. C'est justement par cette fenêtre-là qu'il a une vue directe dans la cour arrière de madame Daigle. Il n'a «qu'à se poser des stores». D'ailleurs, Gendreau ne reçoit pratiquement jamais de visiteurs et encore moins ses petits-enfants. Il ne les a vus qu'à la période de Noël à quelques reprises seulement.
[179] Il a l'habitude de prendre des marches à l'extérieur. Il est exact qu'il peut, de long en large pendant une heure ou une heure et demie, marcher et y faire 300 ou 400 allers-retours devant une même résidence. Il ne vise aucunement la résidence de Gendreau ou de ses autres voisins. Il les choisit au hasard! Il écoute de la musique et il décrit son comportement de la façon suivante: «Je ne suis mentalement pas là.»«Pourquoi devrais-je changer de place?» C'est une coïncidence qu'il se soit souvent retrouvé devant celle de Gendreau.
[180] Il estime qu'il n'impose sa nudité à personne. Chacun est libre de regarder ailleurs. Ce n'est «qu'une nudité fortuite, sans être artistique». Il est pour la paix sociale.
[181] En contre-interrogatoire, il admet qu'il ne sait pas si sa nudité cause des ennuis à ses voisins. Étrangement et malgré les plaintes reçues, il ne s'est jamais posé de questions à savoir si les voisins avaient une réaction négative par rapport à sa nudité. Il n'a pas à se soucier de cela.
[182] Il ne sait pas depuis quel moment sa nudité ennuie ses voisins. Il ne s'est pas arrêté à ce point-là, puisqu'il n'y croit pas. Il y a de la nudité partout, à la télé, dans les magazines et sur internet. La sienne est complètement anodine.
[183] À la fin du procès, il reproche au présent Tribunal d'avoir mal interprété la preuve et notamment, l'une des photographies. Selon lui, il n'est pas complètement nu sur cette photo. Nous devrions apercevoir ses sous-vêtements abaissés aux genoux. D'ailleurs, il a exhibé, séance tenante, les sous-vêtements qu'il portait au moment de cette photographie.
[184] En résumé, Mailloux considère avoir des droits et que ses voisins ne sont aucunement importunés par la situation. Il estime qu'il n'a jamais agi de façon à intimider, importuner ou harceler qui que ce soit.
[185] En fait, il importe de souligner qu'il ne contredit pas avec précision les témoignages en demande. C'est un déni général qu'il nous offre.
[186] C'est là l'essentiel des témoignages entendus au procès.
DROIT APPLICABLE ET ANALYSE:
[187] Le demandeur prétend que les défendeurs lui ont causé préjudice et dommages-intérêts. En fait, il estime qu'ils ont commis une faute civile et enfreint les règles de bon voisinage.
[188] Les défendeurs ont-ils ainsi commis des gestes fautifs à l'endroit du demandeur?
[189] Le fait pour les parties de se sentir épiées, menacées, intimidées, harcelées ou importunées est une question de perception. Cette perception est en fonction d'une multitude de facteurs qui peuvent provenir tant de la personne qui les subit, qu'à l'autre à qui on attribue des torts.
[190] Les parties ont-elles posé des gestes dans le but précis de nuire à l'autre? Les gestes de nudité commis par les défendeurs l'ont-ils été de façon à nuire au demandeur? Les faits et gestes des parties ont-ils porté atteinte à la vie privée et engagent-ils leur responsabilité civile? Y a-t-il en l'espèce troubles de voisinage?
[191] Toute cette cause peut se résumer par la question suivante: Où s'arrêtent les droits et où débutent les obligations de chacun?
Le fardeau de la preuve:
[192] Tant Gendreau, dans le cadre de sa demande principale, que Daigle, dans le cadre de sa demande reconventionnelle, doivent remplir leur fardeau de preuve.
[193] Le Tribunal considère donc important de décrire les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve.
[194] Le rôle
principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver
les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La
preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est
suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[195] Les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit. Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion. Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.
[196] En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.
[197] La partie demanderesse doit présenter au juge une preuve qui surpasse et domine celle de la partie défenderesse.
[198] La partie qui assume le fardeau de la preuve doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable.
[199] La probabilité n'est pas seulement prouvée par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences qu'il est raisonnablement possible d'en tirer.
[200] Le niveau d'une preuve prépondérante n'équivaut donc pas à une certitude, ni à une preuve hors de tout doute.
[201] La Cour suprême du Canada, dans la décision de Parent c. Lapointe[2], sous la plume de l'honorable juge Taschereau, précise:
«C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établies.»
[202] Dans leur traité de La preuve civile (4e Édition)[3], les auteurs Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée précisent:
«Il n'est donc pas requis que la preuve offerte conduise à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.»
[203] Les auteurs rappellent la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Dubois c. Génois[4] où le juge Rinfret s'exprime comme suit:
«Il aurait pu également s'appuyer sur les décisions citées par M. le juge Taschereau dans Rousseau c. Bennett, pour appuyer la théorie que "les tribunaux doivent souvent agir en pesant les probabilités. Pratiquement rien ne peut être mathématiquement prouvé."»
[204] Ces mêmes auteurs écrivant quant à l'appréciation de la prépondérance mentionnent:
«Pour remplir son obligation de convaincre, un plaideur doit faire une preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais bien qualitatif. La preuve produite n'est pas évaluée en fonction du nombre de témoins présentés par chacune des parties, mais en fonction de leur capacité de convaincre. Ainsi, le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Dans l'appréciation globale d'une preuve, il n'est pas toujours facile de tracer la ligne de démarcation entre la possibilité et la probabilité.»
[205] Pour les Tribunaux, plusieurs règles peuvent aider un juge à décider de la suffisance ou non de la preuve entendue lors d'un procès.
[206] Par exemple, une preuve directe est préférée à une preuve indirecte, la preuve d'un fait positif est préférée à celle d'un fait négatif. La corroboration est une preuve qui renforce un témoignage de façon à inciter le juge à le croire, et l'attitude d'un témoin lors d'un procès peut même influencer le Tribunal.
2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal.
[207] Plus récemment, l'honorable juge Rothstein de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire F.H. c. Mc Dougall[5], rappelle les critères applicables suivants de la preuve en matière civile:
«[45] […]Il n’existe qu’une seule règle de droit : le juge du procès doit examiner la preuve attentivement.
[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour
satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète,
aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment.
[…]Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un
juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour
acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour
conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.»
[208] Le Tribunal doit, à la lumière de tous les éléments de la preuve, soit la preuve matérielle, documentaire et la preuve testimoniale reçue lors du procès, déterminer si la partie demanderesse a réussi à le convaincre selon la règle des probabilités.
[209] Le
Tribunal souligne l'article
2811. La preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel, conformément aux règles énoncées dans le présent livre et de la manière indiquée par le Code de procédure civile (chapitre C-25) ou par quelque autre loi.
[210] L'honorable Pierre Nollet, j.c.s., écrit, dans l'affaire El Jarmak c. Alimentation Pierre Côté inc.[6]:
«[31] Une récente décision de la Cour d'appel nous rappelle les diverses règles applicables quant au fardeau de preuve:
La partie qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Dans une affaire comme la nôtre, la partie demanderesse avait le fardeau de prouver la faute, le préjudice et le lien de cause à effet entre la faute et le préjudice. La règle de la prépondérance s'applique dans les causes civiles, c'est-à-dire que la preuve doit rendre l'existence d'un fait plus probable que son inexistence. Notre regretté collègue Vallerand écrivait à ce sujet :
[…] Et notre droit civil m'apparaît bien fixé : On ne retient de relations causales que celles qui sont directes; n'est prouvé que ce qui est certain, voire ce qui est probable, mais jamais ce qui n'est que possible et encore moins ce qui est imaginé.
La preuve peut être faite par présomption de faits, mais ces présomptions sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit considérer que celles qui sont graves, précises et concordantes. Le juge du procès possède un large pouvoir dans son appréciation des présomptions et des indices pertinents.»
(Références omises)
[211] Dans la décision Eustache c. La Cie d'assurance Bélair inc.[7], notre Cour écrit relativement à la qualité du témoignage:
«[40] Les critères retenus par la jurisprudence pour jauger la crédibilité, sans prétendre qu'ils sont exhaustifs, peuvent s'énoncer comme suit:
1. Les faits avancés par le témoin sont-ils eux-mêmes improbables ou déraisonnables?
2. Le témoin s'est-il contredit dans son propre témoignage ou est-il contredit par d'autres témoins ou par des éléments de preuve matériels?
3. La crédibilité du témoin a-t-elle été attaquée par une preuve de réputation?
4. Dans le cours de la déposition du témoin, y a-t-il quoi que ce soit qui tend à le discréditer?
5. La conduite du témoin devant le Tribunal et durant le procès révèle-t-elle des indices permettant de conclure qu'il dit des faussetés?
[41] Ces critères d'appréciation de la crédibilité doivent être utilisés pour l'appréciation d'un témoignage en tenant compte non seulement de ce qui est dit devant le Tribunal, mais aussi en regard des autres déclarations que le témoin a pu faire ailleurs.»
Troubles de voisinage:
[212] En fait, tant Gendreau que Daigle appuient leur réclamation sur les principes des troubles de voisinage.
[213] La
réclamation pour troubles de voisinage doit satisfaire aux exigences de
l'article
976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.
[214] De plus, le Code civil du Québec prévoit que toute personne doit exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
[215] Aucun
droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive
et déraisonnable. Les articles
6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
7. Aucun
droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive
et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
[216] De même,
il prévoit que chacun a droit à son intégrité (art.
10. Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité.
Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son
consentement libre et éclairé.
[217] Les
articles
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que
celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.
36. Peuvent être notamment considérés
comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:
1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve
dans des lieux privés;
4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute
autre fin que l'information légitime du public;
6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres
documents personnels.
[218] De même,
en matière du droit relatif à la propriété, l'article
947. La propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.
Elle est susceptible de modalités et de démembrements.
[219] L'honorable Jean-Louis Baudouin, dans son ouvrage intitulé La responsabilité civile, 7e Édition[8], écrit ce qui suit:
«1-230 (…) Le Code civil définit le droit de
propriété comme étant le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien
sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi. Cette définition individualiste du droit
de propriété reflète peu la réalité sociale d'aujourd'hui puisque, et depuis
déjà longtemps, de nombreux textes ont posé des limites importantes aux
facultés d'usage, de jouissance et de libre disposition du propriétaire. La
jurisprudence a évolué parallèlement. L'exercice du droit de propriété est
limité par l'exercice correspondant du droit des autres, nul ne pouvant user de
son droit d'une manière incompatible avec celui d'autrui. Comme l'exprime
l'article
1-231 (…) La jurisprudence sur le sujet est abondante, et son étude est d'autant plus intéressante qu'elle permet d'identifier certains courants juridiques précis. Un certain nombre d'arrêts répriment, tout d'abord, l'usage du droit de propriété accompli uniquement de mauvaise foi et dans l'intention arrêtée de nuire au voisin (…).
[…]
1-240 (…) Lorsque l'exercice du droit de
propriété cause préjudice à autrui, c'est parce qu'aux termes de l'article
1-245 (…) Une analyse attentive de la jurisprudence sur l'abus du droit de propriété révèle une évolution intéressante. Seules, au départ, les atteintes malicieuses où l'intention de nuire était évidente ont été sanctionnées. Puis, les atteintes fautives résultant de la simple négligence ou imprudence le furent. Enfin, celles qui dépassent la mesure ordinaire de tolérance, qu'il y ait faute ou non, l'ont été. Le conflit sur la question de savoir si l'abus de droit est basé ou non sur la faute reste quelque peu artificiel parce que lié à une question de qualification juridique du contenu de la notion même d'abus du droit de propriété. On peut, en théorie juridique, prétendre qu'utiliser son droit de propriété et causer préjudice au voisin en dépassant la tolérance des inconvénients normaux est une faute en soi, une faute objective. On peut aussi soutenir que l'utilisation du droit de propriété emporte un risque pour les autres propriétaires relativement aux effets négatifs que son exercice peut entraîner pour l'autre. Si ce risque se réalise, indépendamment du caractère fautif ou non de l'acte, il donne alors naissance à compensation lorsque les inconvénients normaux ont été dépassés(…).»
(Références omises)
[220] Tel que nous rappelle l'honorable Richard Laflamme, dans la décision Birt c. Aubin[9], les troubles de voisinage répondent à plusieurs critères.
«[22] La mesure applicable est le caractère anormal et exorbitant des inconvénients. Le propriétaire devient responsable de plein droit, sans qu'il y ait faute, dès que l'utilisation de son droit a pour effet de causer à autrui un préjudice qui dépasse les inconvénients normaux que chacun est tenu de subir. La jurisprudence a déterminé que le Tribunal n'a pas à rechercher de faute spécifique dans le cas d'un trouble de voisinage; il n'a qu'à déterminer si l'usage fait par l'un des voisins de son droit de propriété est incompatible avec la jouissance du droit de propriété de l'autre.»
(Références omises)
[221] L'honorable Jean-Pierre Gervais, dans la décision Moreau c. Québec (Procureur général) (Ministère des Transports)[10], décrit la situation juridique des troubles de voisinage en ces termes:
«[41] Depuis, les tribunaux ont régulièrement pu s’attarder sur le sens exact de cette disposition qui, à première vue, semble créer un régime de responsabilité, même en l’absence de fautes, lorsque les inconvénients, résultat du voisinage, dépassent ce qui est normalement prévisible et tolérable.
[42] Bien qu’une jurisprudence abondante se soit développée autour de cet article, un arrêt clé en la matière est l’affaire Ciment du St-Laurent inc. c. Barrette, décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2008.
[43] Ce jugement est venu définir de façon précise quelle était la nature exacte du concept juridique véhiculé par celui-ci et en déterminer les paramètres.
[44] On retient essentiellement des enseignements de la Cour suprême qu’il n’est pas nécessaire de prouver une faute pour que le régime de responsabilité prévu à l’article 976 puisse être mis en œuvre.
[45] Il découle directement du simple voisinage et des effets qui inévitablement en résultent.
[46] Tout comme la jurisprudence antérieure, cette disposition du Code civil du Québec consacre le fait que la proximité et la vie en société peuvent entraîner certains désagréments, même si toutes les personnes concernées respectent toutes les règles qui leur sont applicables, n’entretiennent aucune intention de nuire et ne commettent aucune faute de quelque nature que ce soit.
[47] Ce n’est donc pas le comportement à proprement parler d’un individu, d’une société ou d’un organisme que l’on examine, mais plutôt les conséquences que son activité a eues sur son entourage. À cet égard, tel que mentionné plus avant, la vie en collectivité, et plus précisément le voisinage, apportera inévitablement son lot d’inconvénients. Il faudra par conséquent faire preuve d’une certaine tolérance face aux désagréments qui peuvent et vont immanquablement résulter de la cohabitation.
[48] Ce degré de tolérance devra forcément s’ajuster à l’environnement et aux circonstances propres à chaque situation.
[49] En effet, à titre d’illustration, il est aisé de comprendre que les attentes peuvent varier considérablement selon que l’on soit en milieu rural, urbain ou industriel.
[50] Tout individu doit, jusqu’à un certain point du moins, accepter les conséquences liées aux choix qu’il pose, notamment en ce qui a trait à l’environnement du lieu où il décide de vivre.
[51] Le régime de responsabilité prévu à l’article
(Références omises)
[222] Le Tribunal estime que l'érection des différentes versions de la clôture telles qu'aménagées par les défendeurs constitue dans ces circonstances l'exercice déraisonnable du droit de propriété et un abus de droit.
[223] Le Tribunal conclut notamment ici que les agissements des défendeurs ne découlent pas d'un simple et normal voisinage.
[224] Certes, le fait de vivre à proximité dans une municipalité où les résidences sont construites les unes près des autres peut entraîner certains désagréments. Fort probablement, un voisin a déjà pu en voir un autre peu vêtu, d'une façon impromptue ou même occasionnelle. Le Tribunal estime cependant que lorsqu'un voisin s'exhibe à de multiples reprises nu à l'extérieur de son domicile ou devant les fenêtres dénudé à l'intérieur, cela n'est plus un inconvénient habituel ou normal même pour la société actuelle.
[225] Les gestes de nudité répétés des défendeurs constituent un comportement inapproprié et contraire à la loi.
[226] Rappelons d'ailleurs que Mailloux a été reconnu coupable après un procès de nature criminelle.
[227] Il ne s'agit pas ici d'inconvénients normaux auxquels pouvaient s'attendre leurs voisins et notamment le demandeur.
[228] Le Tribunal a été à même de constater que tous les témoins entendus en demande savent faire la part des choses.
[229] Ils sont tous capables d'une certaine tolérance face aux désagréments de la vie en société. Le demandeur n'a pas paru aux yeux du Tribunal comme étant vraiment différent de toute autre personne dotée de la bonne foi et placée dans les mêmes circonstances.
[230] Le demandeur a fait preuve de toute la tolérance usuelle en semblable matière. Ce sont plutôt les comportements répétés et inappropriés des défendeurs qui lui ont causé des dommages.
[231] Le demandeur n'avait pas, dans ces circonstances, à s'ajuster au comportement reprochable des défendeurs. C'est plutôt le contraire qui aurait dû se faire.
[232] Ici, de la preuve très hautement prépondérante, le Tribunal en vient à la conclusion que les inconvénients vécus par le demandeur, compte tenu des faits et gestes des défendeurs, excèdent ce qui est normalement toléré eu égard aux circonstances propres à chaque situation.
[233] Après une
étude approfondie de la jurisprudence, le Tribunal en vient donc à la
conclusion que des dommages ont été causés au demandeur en vertu des principes
contenus à l'article
[234] En effet, les faits et gestes de Mailloux constituent une atteinte au bon voisinage.
[235] Les faits et gestes de Daigle le sont tout autant puisqu'elle ne s'y est pas opposée…En vérité, elle les a cautionnés et pratiquement encouragés.
[236] Rappelons que Daigle est seule propriétaire de cette résidence unifamiliale. De toute la preuve, il ressort très clairement que Daigle n'a rien fait de valable pour que cessent les agissements inappropriés de son conjoint, Mailloux.
[237] D'ailleurs sur ce point, le Tribunal estime effectivement que Mailloux et Daigle étaient conjoints. Rappelons qu'ils l'ont eux-mêmes mentionné dans des correspondances. Ils formaient un couple!
[238] Le fait que Mailloux n'ait été qu'un locataire n'est pas crédible et les défendeurs ont tenté de mettre cet élément en preuve sans grande conviction. Le Tribunal estime qu'ils étaient des conjoints, qu'ils fassent chambre à part ou non.
[239] En fait,
les agissements de Daigle sont particulièrement répréhensibles en vertu de
l'article
La responsabilité civile:
[240] Il importe
également de préciser ici que les faits et gestes des défendeurs engagent aussi
leur responsabilité civile suivant l'article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir,
responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de
réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui
par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a
sous sa garde.
[241] La jurisprudence constante établit que le demandeur, en pareilles circonstances, doit prouver l'existence d'une faute, d'un dommage et du lien de causalité entre la faute et le dommage.
[242] Ainsi,
même si le Tribunal n'en était pas venu à la conclusion que les faits et gestes
des défendeurs ont outrepassé les règles du bon voisinage, il en serait venu au
même résultat suivant les règles habituelles de la responsabilité civile,
notamment par l'article
[243] Toujours dans l'ouvrage intitulé La responsabilité civile, 7e Édition[11], l'honorable Jean-Louis Baudouin écrit ce qui suit:
«1-159 (…) Nombreux sont les auteurs tant québécois que français qui se sont efforcés de donner une définition précise de la notion de faute, tâche particulièrement difficile étant donné la diversité des perspectives d'analyse et la nécessité de tenir compte, d'une manière à la fois claire et synthétique, d'un ensemble d'éléments abstraits. D'une façon générale, la plupart des définitions données par la doctrine se regroupent autour de deux idées maîtresses: le manquement à un devoir préexistant et la violation d'une norme de conduite.
1-160 (…) Pour certains, est en faute la personne qui fait défaut de se conformer aux devoirs généraux ou spécifiques de conduite imposés par le législateur. Lorsque aucune norme particulière de comportement n'est prévue, il y a faute quand, volontairement ou par simple imprudence, l'individu transgresse le devoir général de ne pas nuire à autrui (…).
1-161 (…) La conception de la faute basée sur l'erreur de conduite est plus proche de la réalité jurisprudentielle, parce qu'elle correspond au modèle classique d'analyse des tribunaux. Est en faute quiconque a un comportement contraire à celui auquel on peut s'attendre d'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. L'erreur de conduite est donc appréciée par rapport à la norme générale d'un comportement humain socialement acceptable, même si toute transgression de la norme sociale n'est pas constitutive de faute civile. La conduite reprochée doit avoir été contraire soit au standard imposé par le législateur, soit à celui reconnu par la jurisprudence. C'est donc la violation d'une conduite jugée acceptable législativement ou jurisprudentiellement qui emporte l'obligation de réparer le préjudice causé (…).
1-162 (…) La faute reste la violation, par une conduite se situant en dehors de la norme, du devoir de se « bien » comporter à l'égard d'autrui, tel que fixé par le législateur ou évalué par le juge. La notion de faute, constamment façonnée et définie par la loi et la jurisprudence à travers chaque cas d'espèce, est ainsi soumise à une évolution dynamique, fonction des transformations de la société elle-même. Elle est le reflet relativement fidèle de la norme de conduite socialement acceptable à un moment précis de l'histoire d'un peuple (…). L'analyse de la faute est donc centrée autour de l'examen du comportement de l'auteur du dommage, par rapport au standard et à la mesure fixés par les tribunaux et le législateur à un moment particulier de l'évolution sociale.»
(Références omises)
[244] L'auteur Vincent Karim, dans son ouvrage intitulé Les obligations, Volume 1[12], écrit ce qui suit quant à la notion de la faute:
4. La faute
(…) Il importe cependant de préciser qu'une conduite conforme à une disposition statutaire ou réglementaire peut être tout de même fautive si cette conduite ne correspond pas à celle attendue d'une personne raisonnable, prudente et diligente dans les circonstances de l'espèce (…). Ainsi, sera considérée fautive la conduite contraire à celle attendue d'une personne raisonnable, dans de pareilles circonstances, selon les critères établis par la législation ou la jurisprudence.
[…]
La jurisprudence et la doctrine définissent la faute comme un manquement à la conduite attendue d'une personne raisonnablement prudente et diligente placée dans des circonstances similaires. La prévisibilité du préjudice par une telle personne raisonnable, n'a pas à être absolue mais tout simplement relative. En d'autres termes, la loi n'exige pas d'une personne prudente et diligente de prévoir toutes les éventualités possibles, mais elle s'attend à ce qu'une telle personne se prémunisse contre les éventualités probables et normalement prévisibles par toute personne placée dans des circonstances similaires.
[…]
En général, la faute civile peut être définie comme l'erreur de conduite qui n'aurait pas été commise par une personne avisée placée dans les mêmes circonstances externes. La faute est appréciée selon une norme de conduite abstraite, donc objective, laquelle norme doit être relativisée à la lumière des caractéristiques particulières tenant à l'auteur de la conduite reprochée ainsi qu'aux faits extérieurs avant entouré cette dernière. Ainsi, une conduite ne sera pas nécessairement uniformément appropriée en toutes circonstances (…).
[…]
Le critère applicable pour déterminer l'existence d'une faute est donc la conduite acceptée par la société au moment précis de la survenance de l'acte reproché. Ce critère constitue ainsi le reflet de l'évolution sociale. L'existence d'une faute dans des conditions données doit être déterminée selon le critère de défaut de prudence et d'attention moyennes qui marquent la conduite d'une personne raisonnable (…).
L'omission, l'abstention ou la négligence d'agir, tout comme l'acte positif fautif, peut aussi constituer une faute civile lorsqu'elle résulte d'une imprudence qu'une personne raisonnablement prudente et diligente, placée dans les mêmes circonstances, n'aurait pas commise (…). La tolérance et l'inaction face à certains éléments, pouvant constituer un danger potentiel pour autrui, peuvent également tuer une omission fautive.»
[245] Le
Tribunal conclut que les faits et gestes des défendeurs constituent une faute
commise par ces derniers au sens de la loi (art.
[246] Dans l'affaire Oeuvre des terrains de jeux de Québec c. Cannon[13] le juge Rivard mentionnait:
«Le plus sûr critère de la faute, dans des conditions données, c'est le défaut de prudence et de cette attention moyennes qui marquent la conduite d'un bon père de famille; en d'autres termes, c'est l'absence de soins ordinaires qu'un homme diligent devrait fournir dans les mêmes conditions. Or, cette somme de soins varie selon les circonstances, toujours diverses, de temps, de lieux et de personnes.»
[247] Dans l'arrêt Ouellet c. Cloutier[14], la Cour suprême du Canada écrivait quant aux devoirs de prévisibilité de la personne prudente ce qui suit:
«Il se peut qu'il était possible qu'un accident semblable arriva. Mais ce n'est pas là le critère qui doive servir à déterminer s'il y a eu oui ou non négligence. La loi n'exige pas qu'un homme prévoie tout ce qui est possible. On doit se prémunir contre un danger à condition que celui-ci soit assez probable, qu'il entre ainsi dans la catégorie des éventualités normalement prévisibles. Exiger davantage et prétendre que l'homme prudent doive prévoir toute possibilité et quelque vague qu'elle puisse être rendrait impossible toute activité pratique.»
[248] Les faits et gestes des défendeurs sont répréhensibles et ils engagent leur responsabilité.
[249] Le fait de s'exhiber nu à répétition, malgré que les voisins leur aient manifesté à de multiples reprises leur mécontentement, constitue une nuisance puisqu'il s'agit là de gestes intentionnels posés cavalièrement, intentionnellement et contre la volonté des voisins. C'était clairement de la provocation.
[250] Le défendeur, Mailloux, n'était aucunement justifié de poursuivre ses gestes répétitifs de nudité dans un quartier résidentiel, en face d'un parc où il était nettement de sa connaissance que même les enfants en étaient témoins.
[251] Rappelons que des photos démontrent qu'en 2008, Mailloux s'affairait à réparer son véhicule, nu, dans l'entrée asphaltée. Le fait que Mailloux porte ses sous-vêtements aux genoux n'a aucune importance dans les circonstances. Être nu désigne:
a) selon le Multidictionnaire[15]: «Qui n'est couvert d'aucun vêtement»;
b) selon le Petit Larousse[16]: «Qui n'est pas vêtu»;
c) selon le Grand Druide des synonymes et des antonymes[17]: «Sans vêtements.»
[252] Le Tribunal tient compte du comportement global de Mailloux. En fait, ce dernier se plaît à provoquer les gens par sa nudité. Les articles de journaux mis en preuve, sa participation à une émission télévisée, son comportement au procès, ses nombreuses lettres, plaintes et ses multiples agissements sont tous de nature à prouver qu'il ne se préoccupe nullement des autres. Le fait qu'il leur nuise ainsi par sa nudité ne le dérange nullement. Il y trouve même un certain plaisir.
[253] Les gestes de nudité répétés du défendeur Mailloux constituent nettement une faute en pareilles circonstances.
[254] Toujours dans l'ouvrage intitulé La responsabilité civile, 7e Édition[18], l'honorable Jean-Louis Baudouin écrit ce qui suit:
«1-280 (…) Une question importante se pose relativement au critère applicable à l'analyse du caractère non désiré des attitudes à connotation sexuelle. Quel modèle doit être adopté? Le critère classique de la responsabilité civile, qui est celui d'analyser le tout sous l'angle du défendeur, en se demandant si une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait su que ses attitudes étaient non désirées, s'avère inapproprié en raison de la nature particulière de l'atteinte. D'autres critères doivent plutôt être envisagés, par exemple, celui de la victime raisonnable. Une auteure a proposé de laisser de côté tout critère centré sur la raisonnabilité et de cantonner l'analyse à la seule opinion de la victime. La jurisprudence fait toutefois preuve d'une plus grande souplesse dans l'appréciation de la preuve.»
(Références omises)
[255] Mailloux est également coupable de harcèlement, d'injures, de menaces et d'intimidation envers le demandeur. Rappelons le fait qu'il l'ait injurié et s'est porté à des voies de fait à son endroit.
[256] Au surplus, le fait de le photographier, de l'enregistrer et de l'épier constitue aussi du harcèlement.
[257] Le juge Baudouin poursuit en ces termes quant au caractère continu et répétitif ou grave du harcèlement[19]:
1-281 (…) Le harcèlement suppose une répétition des actes répréhensibles. D'ailleurs, pour la jurisprudence, un acte isolé même s'il peut être répréhensible ne confère pas à la situation un caractère harcelant. Cette constatation doit être nuancée. On peut ainsi considérer qu'un acte, même pris isolément, s'avère fautif lorsqu'il a eu pour effet de traumatiser la victime pendant une longue période. C'est pourquoi la gravité des actes est un aspect tout aussi important à prendre en compte, qui s'évalue en considérant la nature des actes, la personnalité et la sensibilité de la victime.
1-282 (…) Comme en toute matière civile, le fardeau de prouver le harcèlement est celui de la balance des probabilités (…).»
(Références omises)
[258] Le fait que Mailloux puisse faire 200, 300 ou 400 allers-retours devant le domicile du demandeur (selon la déclaration de Mailloux lui-même) constitue un autre élément répréhensible de harcèlement. Il s'agit dans l'ensemble d'une faute civile reprochable à Mailloux.
[259] Le
Tribunal estime également que les comportements de Floreen Daigle sont
contraires à l'article
[260] En permettant que son conjoint (ou qu'une personne habitant sous son toit) nuise ainsi et de façon délibérée et répétée au voisinage, cela constitue une faute.
[261] Au-delà du
régime de responsabilité sans faute en matière de troubles de voisinage prévu à
l'article
[262] Rappelons qu'elle peut engager sa responsabilité en abusant de son droit de propriété et en violant certaines normes de comportement édictées par la loi ou la réglementation.
[263] Cependant, madame Daigle ne peut se soustraire à sa responsabilité civile en jouant, comme elle l'a fait, à la victime. En effet, elle a plutôt adopté la thèse voulant qu'elle ne pouvait pas expulser Mailloux de sa résidence parce qu'il était «cardiaque». Cela est inconcevable et la preuve est nettement insuffisante d'ailleurs à cet effet.
[264] Si Mailloux est demeuré aussi longtemps dans la résidence de Daigle, c'est qu'elle endossait les comportements hautement répréhensibles de Mailloux. D'ailleurs, Mailloux s'y rend encore très souvent.
[265] Le Tribunal estime que la preuve en défense présentée par Daigle est de nature à excuser les gestes de son conjoint plutôt que d'avoir tenté de véritablement les atténuer. Elle n'a rien fait pour que cessent ces comportements de nuisance et en prémunir ses voisins.
[266] Au surplus, le Tribunal retient qu'elle a, elle aussi, été vue nue à l'intérieur de sa propriété devant les fenêtres et à l'extérieur près de la piscine. D'ailleurs, les nombreuses correspondances au dossier appuient les conclusions du Tribunal.
[267] Le Tribunal ne retient pas que les faits allégués par le demandeur concernent exclusivement le codéfendeur, Mailloux. En fait, les faits et gestes se rapportent aux comportements et à la manière de vivre des deux défendeurs.
[268] Le fait que Daigle estime n'avoir aucun contrôle sur Mailloux est contraire à ses propres obligations.
[269] En effet, les défendeurs ne cessent de proclamer haut et fort qu'ils ont des droits. Mais, à de multiples reprises, ils ont également oublié qu'ils avaient des obligations.
[270] Comment peuvent-ils, en pareilles circonstances, reprocher aux policiers et à leurs voisins de ne pas avoir agi avec respect et tolérance?
[271] À
plusieurs reprises, les défendeurs ont invoqué les articles
6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
49. Une atteinte illicite à un droit ou à
une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit
d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou
matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre
condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
[272] Cependant, à la lumière de la preuve très hautement prépondérante, les défendeurs ont oublié que leurs voisins avaient eux aussi les mêmes droits, notamment le droit de vivre en paix.
[273] Le
demandeur, en voyant ses voisins s'exhiber nus à tout moment, à tout endroit,
tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de la résidence, est justifié de s'être
senti importuné, harcelé et intimidé. Ainsi, Gendreau a vu ses droits garantis
par l'article
[274] Le demandeur est victime des comportements hautement répréhensibles et contraires tant au Code civil du Québec qu'à la Charte des droits et libertés de la personne des défendeurs et a droit d'obtenir réparation.
Dommages pécuniaires:
[275] Le demandeur réclame à titre de dommages matériels 2 466,32 $ pour les travaux de réfection de la clôture, 395,06 $ pour les coûts de confection du plan, 800 $ pour l'achat de la clôture et 1 000 $ pour les travaux d'installation de la clôture, ce qui totalise 4 661,38 $.
[276] Le Tribunal estime que les défendeurs ont causé des dommages à la clôture existante. Certes, celle-ci n'était pas neuve, mais elle était suffisante pour les besoins du demandeur.
[277] Compte tenu que les défendeurs y ont apposé des planches, du treillis et plusieurs sortes de matériaux, le demandeur était justifié de procéder à l'installation d'une nouvelle clôture. Usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe à 2 000 $ les dommages-intérêts matériels auxquels a droit le demandeur à ce chapitre. Les défendeurs, Marcel Mailloux et Floreen Daigle, sont conjointement condamnés à payer cette somme au demandeur.
Dommages non pécuniaires:
A) Stress et inconvénients:
[278] Le demandeur réclame 15 000 $ pour dommages, stress et inconvénients.
[279] En effet, le demandeur estime qu'il a subi un préjudice moral découlant de l'atteinte illicite à ses droits par les défendeurs.
[280] Le Tribunal a été à même de constater que ces événements ont effectivement causé au demandeur un stress et des inconvénients très importants tels qu'angoisse, anxiété, peur, insécurité et humiliation.
[281] Le Tribunal conclut que ceux-ci sont vraiment sérieux. Usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe à 10 000 $ les sommes auxquelles a droit le demandeur à ce chapitre.
[282] Compte tenu des conclusions précitées, le Tribunal condamne Marcel Mailloux et Floreen Daigle, conjointement, à verser cette somme au demandeur.
B) Perte de jouissance de sa propriété:
[283] Le demandeur réclame 15 000 $ pour la perte de jouissance de sa résidence.
[284] Compte tenu que la preuve hautement prépondérante démontre que les défendeurs, Mailloux et Daigle, sont responsables des préjudices subis par le demandeur, le Tribunal estime que le demandeur a, par les faits et gestes des défendeurs, aussi subi une perte de jouissance de sa résidence.
[285] Compte tenu que le degré de responsabilité des défendeurs est différent, le Tribunal accueille en partie ce chef de réclamation de la façon suivante:
a) condamne Marcel Mailloux à verser au demandeur, René Gendreau, la somme de 12 500 $ à ce chapitre;
b) condamne Floreen Daigle à verser au demandeur, René Gendreau, la somme de 2 500 $ supplémentaires pour perte de jouissance de propriété;
Pour un total de 15 000 $.
Dommages moraux:
[286] Le demandeur réclame 15 000 $ à titre de dommages moraux.
[287] Le Tribunal estime que les dommages moraux ont été ici compensés par ceux accordés sous la rubrique «stress et inconvénients». En effet, l'ensemble de la preuve démontre que pour le demandeur, tous ces dommages sont, en fait, inclus dans les désagréments vécus tels que stress, angoisse, anxiété, insécurité et humiliation.
Dommages punitifs et exemplaires:
[288] Enfin, le demandeur réclame 5 000 $ à titre de dommages punitifs.
[289] Les dommages punitifs ou exemplaires n'ont aucun lien de droit avec les dommages compensatoires accordés dans le cadre d'une poursuite en responsabilité civile sanctionnant les comportements sociaux inappropriés ou répréhensibles et qui portent atteinte aux droits fondamentaux des individus.
[290] Tel que l'a souligné la Cour d'appel dans Association des professeurs de Lignery (A.P.L.) c. Alvetta-Comeau[20], leur but est double. D'une part, ils existent pour sanctionner la conduite de l'auteur d'un acte jugé répréhensible et enfin, à montrer publiquement la réprobation à l'égard de celle-ci.
[291] Pour avoir gain de cause à ce chapitre, le demandeur devait prouver que les défendeurs ont porté une atteinte illicite à un droit reconnu par l'une ou l'autre des chartes. En regard de la charte québécoise, c'est plus spécifiquement une atteinte ayant un caractère intentionnel, c'est-à-dire que les défendeurs ont voulu les conséquences de leurs comportements fautifs.
[292] Y a-t-il une telle preuve en l'instance? Le Tribunal est convaincu que oui.
[293] Les comportements à l'origine de la faute des défendeurs ont amplement été décrits ci-avant. Entre autres, le fait de ne pas se soucier de ses voisins, de commettre des gestes répétitifs de nudité alors qu'on sait très bien qu'ils en sont choqués, le fait de photographier ses voisins à répétition, de marcher de long en large devant leur propriété en sont seulement quelques exemples.
[294] Le Tribunal estime que la somme de 5 000 $ est parfaitement justifiée dans les circonstances.
[295] Compte tenu que l'implication de chacun des défendeurs est différente, le Tribunal estime que:
a) le défendeur, Marcel Mailloux, devra verser 3 500 $ au demandeur à ce chapitre;
b) la défenderesse, Floreen Daigle, devra verser 1 500 $ supplémentaires au demandeur à ce chapitre.
Demande reconventionnelle:
[296] Compte tenu de l'analyse et des conclusions auxquelles en arrive le Tribunal, le lecteur aura compris que la demande reconventionnelle de Floreen Daigle est rejetée.
[297] Ce sont notamment ses propres omissions qui sont en partie à l'origine de toute cette affaire.
[298] Tel que l'a mentionné le Tribunal, si Marcel Mailloux avait adopté un certain mode de vie, il a été illégalement cautionné par Floreen Daigle. Pour sa part, le demandeur n'a jamais agi de façon à enfreindre les règles de bon voisinage envers Floreen Daigle et n'a qu'exercé ses droits civils d'une façon très valable, de bonne foi et courageusement.
[299] La demande reconventionnelle est donc rejetée, avec dépens.
[300] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[301] ACCUEILLE en partie la réclamation.
[302] CONDAMNE les défendeurs, Floreen Daigle et Marcel Mailloux, conjointement, à payer au demandeur, René Gendreau:
A) 2 000 $ pour dommages matériels et pécuniaires (par. #277);
B) 10 000 $ pour troubles, stress et inconvénients (par. #281);
[303] CONDAMNE Marcel Mailloux, personnellement, à payer à René Gendreau les sommes supplémentaires suivantes:
C) 12 500 $ pour perte de jouissance de sa propriété (par. #285 a));
D) 3 500 $ pour dommages punitifs et exemplaires (par. #295 a));
[304] CONDAMNE Floreen Daigle, personnellement, à payer au demandeur, René Gendreau, les sommes supplémentaires suivantes:
E) 2 500 $ pour perte de jouissance de sa propriété (par. #285 b));
F) 1 500 $ pour dommages punitifs et exemplaires(par. #295 b));
[305] ORDONNE
que tous ces montants portent intérêts au taux légal de 5 % l'an majoré de
l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[306] REJETTE la demande reconventionnelle.
[307] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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Me Mario Prieur |
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BOUCHER, PRIEUR & ASSOCIÉS |
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Procureurs du demandeur |
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Me Daniel Champagne |
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CHAMPAGNE, PERREAULT |
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Procureurs de la défenderesse |
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Monsieur Marcel Mailloux |
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Personnellement |
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Date d’audience : |
10, 11, 12 et 18 décembre 2012 |
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[1] L.R.Q. chapitre C-12.
[2] [1952] 1 R.C.S., 376.
[3]
Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE,
[4]
[5]
[6]
[7] [2003], CanLII 3294 (QCCQ).
[8] Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, pp. 193 et ss.
[9]
[10] 2012 QCCQ 6426 .
[11] Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, pp. 150 et ss.
[12] Vincent KARIM, Les obligations, Vol. 1, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, pp. 834 et ss.
[13] [1940], 69 B.R., 112, 114.
[15] Marie-Éva DE VILLIERS, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Éd. Québec Amérique, 2009.
[16] Le Petit Larousse, Paris, Éd. Larousse, 2008.
[17] Geneviève TARDIF, Jean FONTAINE et Jean SAINT-GERMAIN, Le grand Druide des synonymes et des antonymes, Montréal, Éd. Québec Amérique, 2006.
[18] Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, pp. 150 et ss.
[19] Supra p. 244 et ss.
[20]
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.