Sasseville c. Therrien Legault |
2009 QCCS 4072 |
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JG2163
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-029571-067 |
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DATE : |
9 septembre 2009 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GÉRARD DUGRÉ J.C.S. |
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YVES SASSEVILLE |
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Demandeur |
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c. |
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LUCILLE THERRIEN LEGAULT |
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Défenderesse |
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et |
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Me JACQUES PÉRIGNY |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur, Monsieur Yves Sasseville (Yves)[1], colégataire universel et liquidateur de la succession de son père, Feu Jean Sasseville (Jean), sollicite l’annulation d’un legs universel consenti à la défenderesse, Madame Lucille Therrien Legault (Lucille) ou, subsidiairement, l’annulation du testament notarié instituant la défenderesse colégataire universelle.
[2] Yves allègue que Lucille est indigne et qu’elle s’est livrée à des manœuvres captatoires à l’égard de Jean, le testateur. En conséquence, il soutient que le legs universel qui lui a été consenti devrait être annulé.
[3] Lucille conteste cette demande et conclut à son rejet parce qu’elle n’est aucunement indigne et qu'elle n'est intervenue d’aucune façon dans l’expression des dernières volontés de Jean.
[4] La requête introductive d’instance, intentée le 10 février 2006, conclut à l’annulation du legs universel consenti à Lucille dans le dernier testament de Jean signé le 17 janvier 2005 ou, subsidiairement, d’annuler ce testament notarié.
[5] Le 28 mai 2005, le juge Pierre Jasmin de cette Cour ordonne la radiation des paragraphes 8, 9, 10, 24, 25 et 27 de la requête introductive d’instance ainsi que la radiation de la conclusion subsidiaire demandant d’annuler le testament signé le 17 janvier 2005. Il n’y a pas eu d’appel de ce jugement.
[6] Au paragraphe 25 de sa requête introductive d’instance, Yves alléguait :
« 25. Dans ce testament[2], le Demandeur était nommé effectivement liquidateur de la succession de son père et unique légataire universel. »
[7] Au début du procès, le procureur du demandeur fait une demande d’amendement, accordée séance tenante, afin d’ajouter à la requête introductive d’instance le paragraphe 23.1 qui se lit comme suit :
« Qu’un testament antérieur daté environ du 12 mars 2003, avait été préparé par le notaire Périgny et dans lequel, le seul héritier était le demandeur, Yves Sasseville. Cette information a été trouvée par le procureur du demandeur le ou vers le 10 avril 2009. »
[8] À la fin de l’audition, le procureur d’Yves amende à nouveau sa requête introductive d’instance pour y ajouter une nouvelle conclusion subsidiaire, à savoir d’annuler le testament P-2 pour cause de captation et d’indignité.
[9] Jean est né le [...] 1934 et est décédé le 29 octobre 2005. Il avait alors 71 ans.
[10] Lucille a 69 ans et elle était une amie de Jean depuis plus de 15 ans. Elle l’avait rencontré en 1989 et a emménagé chez lui en 1991.
[11] Le samedi 29 octobre 2005, Jean se sent d’attaque. Il termine son petit déjeuner en compagnie de son amie Lucille. Il décide de faire des travaux sur son système de chauffage (sa « fournaise ») au sous-sol en prévision de la période hivernale.
[12] Pendant que Jean s’affaire à réaliser ces travaux en compagnie de son amie Lucille, il est atteint d’un malaise. Il est environ 11 h.
[13] Lucille appelle immédiatement l’ambulance qui transporte Jean d’urgence à l’hôpital.
[14] Une fois Jean en route pour l’hôpital, Lucille appelle Yves pour l’informer de la situation.
[15] Lucille se rend ensuite au chevet de son ami Jean à l’hôpital Fleury. Yves les rejoindra durant l’après-midi.
[16] Jean décède vers 18 h ce même jour.
[17] Le notaire Jacques Périgny témoigne qu’il connaît Jean depuis longtemps. Au début du mois de janvier 2005, il reçoit un appel de Jean l'avisant qu’il veut modifier son testament.
[18] Le 17 janvier 2005, Jean se présente seul au bureau du notaire Périgny pour lui faire part de ses dernières volontés. Le notaire Périgny prépare immédiatement le nouveau testament de Jean qui le signe ce même jour.
[19] La preuve révèle que le testament notarié daté du 17 janvier 2005 est le dernier testament signé par Jean.
[20] Le notaire Périgny décrit l’état dans lequel se trouve Jean lorsqu’il l’a rencontré à son bureau le 17 janvier 2005. Il est utile de reproduire en partie son témoignage :
« Me St-Pierre :
Quand vous avez rencontré, M. Jean Sasseville, le père, pour la rédaction du testament, le 17 janvier 2005, dans quel état était-il?
Me Périgny :
Bien, il était bien! Je veux dire, on voyait qu’il avait été, c’était un homme qui avait été marqué par la vie. Vous savez, on se connaissait depuis longtemps or, je pense que… Bien là, il m’avait parlé que dans son métier, entre autres, il avait des grues. Il s’occupait des grues, votre père?
Yves Sasseville:
En dernier, il travaillait pour une autre équipe.
Me Périgny :
En tout cas, il a vu des gens qui, un moment donné, sont tombés, etc. Alors, il était normal. Je n’ai pas hésité, je veux dire, il avait tout son esprit. Il était calme et puis il savait ce qu’il voulait. D’ailleurs, il m’avait appelé dès le début de janvier, il avait pensé à son affaire dans le temps des fêtes, certain! »
[21] Le testament notarié[3] daté le 17 janvier 2005 prévoit un legs particulier de 10 000 $ à Yves. De plus, par ce testament Jean lègue l’universalité de tous ses biens à Yves et à Lucille. L’article V de ce testament se lit ainsi :
« ARTICLE V
Sujet aux legs particuliers susdits, je lègue l’universalité de tous mes biens meubles et immeubles, y compris le produit des polices d’assurance sur ma vie sans bénéficiaire désigné, à mon fils Yves SASSEVILLE et à une amie Dame Lucille LEGAULT résidante au [...], à Montréal, Québec, lesquels je fais et institue mes seuls et uniques légataires universels.
Au cas où l’un de mes légataires ci-dessus nommés me prédécède, décède en même temps que moi, ou dans les trente (30) jours suivant la date de mon décès, alors sa part appartiendra à son colégataire, il n’y aura pas de représentation. »
[22] Le notaire Périgny a ensuite produit deux testaments notariés qu’il a reçus antérieurement et qui sont signés par Jean.
[23] Premièrement, un codicille daté du 24 septembre 2003[4] dans lequel il lègue l’universalité de tous ses biens à Yves et à Dame Monique Bélair-Panneton[5], en parts égales.
[24] Deuxièmement, un autre testament daté du 12 mars 2003[6] par lequel Jean lègue 10 000 $ à son fils et l’universalité de tous ses biens à ses amies, Lucille et Dame Monique Bélair-Panneton. Lucille et Dame Bélair-Panneton sont désignées comme liquidatrices de la succession de Jean. Son fils est institué légataire universel advenant que les deux légataires universelles prédécèdent Jean.
[25] Il est utile de noter que dans ce testament du 12 mars 2003, Jean désigne Lucille comme une amie « résidante au [...], ville de Montréal » tout comme dans son testament signé le 17 janvier 2005.
[26] Yves témoigne qu’il est le liquidateur de la succession de son père. Celle-ci comprend un triplex dont la valeur est d’environ 300 000 $ et dont les trois logements sont actuellement loués. Le patrimoine de la succession inclut aussi une somme d’environ 30 000 $ investie dans des REER.
[27] Selon Yves, son père aurait fréquenté Madame Monique Bélair-Panneton de 2000 à 2003.
[28] De plus, selon ce dernier, Lucille aurait résidé avec son père durant la période de 1996-1997.
[29] Yves témoigne qu'en décembre 2004, son père lui aurait affirmé que tous ses biens lui seraient légués parce qu’il était son seul garçon.
[30] Ainsi, à la lumière du dernier testament de son père, Yves conclut que Lucille aurait forcé son père malade à lui léguer la moitié de ses biens.
[31] Yves admet que le divorce de son père et de sa mère a entraîné un froid entre lui et son père qui a duré plusieurs années.
[32] En octobre 2004, Jean est hospitalisé et tant Yves que Lucille lui rendent visite.
[33] Quant à Madame Monique Bélair-Panneton, elle témoigne qu’elle a rencontré Jean en novembre 1999. Elle et Jean se sont fréquentés jusqu’en 2004. Ils sont demeurés amis et se sont parlé sporadiquement par la suite.
[34] Elle produit plusieurs photos prises lorsqu’elle fréquentait Jean.
[35] Madame Bélair-Panneton confirme qu’elle n’a jamais résidé avec Jean.
[36] Madame Bélair-Panneton explique que Jean lui avait relaté l’histoire de sa sœur qui était décédée seule. On avait retrouvé son corps plusieurs jours après son décès. En conséquence, Jean désirait que quelqu’un veille sur lui pour ne pas mourir seul lui aussi.
[37] En 2003, elle et Jean se rendent ensemble chez le notaire Périgny. Lors de cette visite, Jean signe un nouveau testament en faveur de son fils et de Lucille leur léguant tous ses biens en parts égales. Un mandat d'inaptitude est aussi signé par Jean et les désignent mandataires.
[38] Madame Bélair-Panneton affirme être allée chez le notaire Périgny le 12 mars 2003. Cependant, l’examen des testaments produits[7] et le contenu des mandats d’inaptitude signés ces mêmes dates indiquent qu’il est probable, voire certain, que le 24 septembre 2003 est la date où elle s’est rendue avec Jean chez le notaire Périgny.
[39] Selon Madame Bélair-Panneton Jean était parfaitement apte et capable de se débrouiller seul. Il était un homme d’affaires averti.
[40] Jean lui a téléphoné au cours de la semaine précédant son décès. Il lui a relaté le problème relié au fonctionnement de sa « fournaise ».
[41] Madame Bélair-Panneton affirme dans son témoignage que Jean était un homme très propre et ordonné et que sa résidence était impeccable.
[42] Jean lui disait qu’il ne voulait pas que Lucille hérite de lui parce qu’elle n’en voulait qu’à son immeuble et à son argent.
[43] Monsieur Malik Makri est venu spécialement de Vancouver pour témoigner lors du procès.
[44] Il relate qu’il a connu Jean de 2002 à 2005 alors qu’il habitait le logement au-dessus de l’appartement du testateur. Son témoignage est cependant contredit sur plusieurs points par le témoignage d’un autre voisin, Monsieur Florian Dulude qui habite sur l’avenue Camille-Paquet depuis 38 ans. Entre le témoignage de Monsieur Makri et de celui de Monsieur Dulude, le Tribunal retient celui de Monsieur Dulude qui a témoigné de façon crédible et a relaté les faits avec précision.
[45] À tout événement, le témoignage de Monsieur Makri est complètement silencieux quant aux gestes indignes et aux manœuvres captatoires que Lucille aurait posés, selon Yves, à l’égard de Jean.
[46] Les procureurs de chacune des parties, après avoir communiqué avec le notaire Périgny, ont consigné au procès-verbal d’audience du 16 avril 2009 une admission à savoir que le testateur a signé trois (3) mandats d’inaptitude qui portent les mêmes dates que les trois (3) testaments notariés[8] produits en preuve, soit :
[47] Lucille relate avec précision et de façon crédible sa relation avec Jean, laquelle a duré plus de quinze ans. Elle affirme n’avoir posé aucun geste pour influencer Jean relativement à ses dernières volontés exprimées dans son dernier testament.
[48] Les enfants de Lucille venaient la visiter chez Jean, soit à la résidence de ce dernier située sur l’avenue Camille-Paquet.
[49] En décembre 2004, Lucille passe une partie du temps des fêtes avec Jean à sa résidence et elle y reçoit la visite de ses enfants et petits-enfants.
[50] Selon Lucille, elle n'a jamais eu de compte conjoint ni de REER conjoint avec Jean puisque les deux administraient leurs biens de façon distincte et autonome.
[51] Cependant, Lucille et Jean partageaient les dépenses de la résidence sur Camille-Paquet. Lucille s’occupait de préparer les baux pour les deux logements du triplex où demeurait Jean.
[52] Après le décès de Jean, Yves s'occupe des funérailles.
[53] Le vendredi 4 novembre 2005, pendant que Lucille est partie jouer aux quilles, Yves fait débrancher le téléphone et change les serrures de la résidence de son père.
[54] Lucille témoigne qu’elle fut surprise et déçue, puisqu’il aurait été facile pour Yves de lui demander tout simplement la remise des clefs.
[55] Le samedi 5 novembre 2005, Yves prend connaissance du dernier testament de son père en présence de Lucille. C’est alors qu’elle apprend qu’elle est colégataire universelle avec le demandeur.
[56] Yves retrouve aussi une enveloppe contenant 200 $ dans le classeur où son père conservait ses papiers. Il partage cette somme avec Lucille en lui remettant 100 $.
[57] Ensuite, les deux filles de Lucille, Sylvie et Marie-Josée, témoignent de façon crédible sur les relations de leur mère avec le testateur.
[58] Elles affirment que leur mère leur a toujours présenté Jean comme son conjoint. Elles allaient la visiter sur une base régulière à la résidence de Jean sur l’avenue Camille-Paquet.
[59] Enfin, Monsieur Dulude s'est rendu à la résidence de Jean en fin d’après-midi le 29 octobre 2005 pour compléter la réparation de la « fournaise » sur laquelle le testateur travaillait au moment de son malaise cardiaque, parce qu’il y avait des fils électriques de déconnectés.
[60] Selon lui, Lucille et Jean formaient un couple normal. L’appartement du testateur était propre, le réfrigérateur rempli et Lucille aidait Jean à prendre soin de sa résidence.
[61] Une grande partie de la preuve, tant testimoniale que documentaire, a été consacrée, tant en demande qu’en défense, à la question de savoir si Lucille résidait chez Jean au [...], à Montréal, ou au [...] à Montréal.
[62] Lucille témoigne qu’elle s’était loué un appartement au début de l'an 2000 à la suite d’une querelle passagère avec Jean.
[63] Elle avait, par la suite, conservé cet appartement où elle y gardait ses vêtements et ses meubles.
[64] Sur cette question, le Tribunal conclut dans le même sens que Jean qui désigne à deux reprises Lucille comme résidant à son appartement situé au [...] à Montréal. C’est donc là que, dans l’esprit de Jean, Lucille résidait.
[65] Les parties ont aussi consacré une bonne partie de leur preuve à la question de savoir si Lucille avait pris soin de Jean jusqu'à son décès.
[66] Quant à cette question, le Tribunal retient le témoignage de Lucille qui est d’ailleurs corroboré par plusieurs témoins.
[67] Jean était un homme d’affaires indépendant, propre et ordonné qui était parfaitement en mesure de prendre soin de lui et de sa résidence.
[68] Il est demeuré sain d’esprit et en pleine possession de ses moyens jusqu’à son décès.
[69] Jean a eu certes des problèmes de santé, dont des problèmes cardiaques et des problèmes de mobilité à cause de ses jambes, mais ses problèmes de santé n’ont jamais affecté ses facultés mentales.
[70] Jean et Lucille étaient deux adultes indépendants qui se fréquentaient, mais qui conservaient chacun leurs résidences respectives.
[71] L’analyse des modifications apportées par Jean à ses divers testaments est révélatrice sur son état d’esprit et sur ses dernières volontés.
[72] Le 12 mars 2003, Jean institue, Lucille et Madame Bélair-Panneton ses légataires universelles. Dans ce testament notarié, il ne lègue que 10 000 $ à son fils, Yves.
[73] Le 24 septembre 2005, Jean modifie son testament et remplace Lucille par son fils Yves, à titre de colégataire universel conjointement avec Madame Monique Bélair-Panneton. Madame Bélair-Panneton témoigne que c’est elle qui a insisté auprès de Jean pour qu’il institue son fils colégataire universel, puisqu’il n’était pas raisonnable, selon elle, que Jean lui lègue tous ses biens et ne laisse rien à son propre fils.
[74] Le 17 janvier 2005, Jean modifie une nouvelle fois son testament et remplace Madame Bélair-Panneton par Lucille à titre de colégataire universelle avec son fils Yves.
[75] Comme on l’a souligné ci-dessus, la preuve révèle que Jean avait une crainte maladive de mourir seul et de n’être retrouvé que plusieurs jours après sa mort. Cette crainte résultait du décès de sa sœur qui était décédée seule et que l’on avait retrouvée plusieurs jours après sa mort.
[76] Ainsi, la présence de Lucille le 29 octobre 2005 aura donc permis à Jean d’éviter de mourir seul comme il le craignait tant.
[77] La preuve révèle aussi que la relation de Jean avec son fils Yves était plutôt difficile. Yves avait cessé toute relation avec son père lors du divorce de ses parents dans les années 80 et ce n’est qu’au début des années 2000 que les relations entre les deux hommes avaient reprises de façon sporadique.
[78] Le Tribunal croit l’ensemble du témoignage de Lucille, particulièrement son affirmation voulant qu'elle n’a jamais vu le dernier testament daté du 17 janvier 2005, et qu’elle ignorait qu’elle était colégataire universelle avec Yves jusqu’à ce qu’elle l’apprenne après le décès du testateur.
[79] Il convient, par souci de commodité, de reproduire les dispositions du Code civil du Québec pertinentes à la solution du présent litige :
« 621. Peut être déclaré indigne de succéder :
1° Celui qui a exercé des sévices sur le défunt ou a eu autrement envers lui un comportement hautement répréhensible;
2° Celui qui a recelé, altéré ou détruit de mauvaise foi le testament du défunt;
3° Celui qui a gêné le testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament.
703. Toute personne ayant la capacité requise peut, par testament, régler autrement que ne le fait la loi la dévolution, à sa mort, de tout ou partie de ses biens.
704. Le testament est un acte juridique unilatéral, révocable, établi dans l'une des formes prévues par la loi, par lequel le testateur dispose, par libéralité, de tout ou partie de ses biens, pour n'avoir effet qu'à son décès.
Il ne peut être fait conjointement par deux ou plusieurs personnes.
706. Personne ne peut, même par contrat de mariage ou d'union civile, si ce n'est dans les limites prévues par l'article 1841, abdiquer sa faculté de tester, de disposer à cause de mort ou de révoquer les dispositions testamentaires qu'il a faites.
732. Le legs universel est celui qui donne à une ou plusieurs personnes vocation à recueillir la totalité de la succession.
735. L'exception de biens particuliers, quels qu'en soient le nombre et la valeur, n'enlève pas son caractère au legs universel ou à titre universel.
750. Le legs est caduc, sauf s'il y a lieu à représentation, lorsque le légataire n'a pas survécu au testateur.
Il est aussi caduc lorsque le légataire le refuse, est indigne de le recevoir, ou encore lorsqu'il décède avant l'accomplissement de la condition suspensive dont le legs est assorti si la condition a un caractère purement personnel.
1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence. »
[80] Les questions en litige sont les suivantes :
[81] Cette question découle de la preuve faite lors du procès.
[82] La preuve révèle en effet que le testament du 24 septembre 2003[9], soit celui qui précède le testament contesté en l’espèce, institue Yves et Dame Monique Bélair-Panneton légataires universels, en parts égales entre eux.
[83] Or, dans sa requête introductive d’instance[10], Yves affirme que ce testament le nommait « unique légataire universel ». Cette affirmation est donc manifestement contredite par la preuve.
[84] Il faut donc déterminer, en l'instance, si Yves conserve l'intérêt[11] nécessaire pour continuer son recours.
[85] La procureure de Lucille argue que la requête vise à faire déclarer nul un legs universel en faveur de sa cliente. Ainsi, en assumant qu’Yves a raison, c’est le testament précédent qui devrait régir la dévolution successorale. En conséquence, c’est Monique Bélair-Panneton qui a un intérêt juridique à obtenir l’annulation du legs en faveur de Lucille et non pas Yves, comme il le prétend erronément dans sa requête introductive d’instance.
[86] La réponse à cette question dépend de l’objet de la demande et de la nature du legs attaqué.
[87] Yves demande, d’une part, la révocation du legs à Lucille pour cause d’indignité et, d’autre part, l’annulation de ce legs pour cause de captation. Dans les deux cas, les conséquences juridiques peuvent être limitées au legs consenti à Lucille sans pour autant entraîner l’annulation du testament[12].
[88] En l’espèce, dans le testament contesté, Lucille est désignée légataire universelle, mais conjointement avec Yves :
« … je lègue l’universalité de tous mes biens meubles et immeubles, … à mon fils Yves SASSEVILLE et à une amie Dame Lucille LEGAULT …, lesquels je fais et institue mes seuls et uniques légataires universels.[13] »
[89] En conséquence, la solution de cette question en litige réside dans l’application de la règle de l’accroissement au sein d’un legs conjoint[14].
[90] Yves conserve un intérêt juridique suffisant pour continuer son recours puisqu’à titre de colégataire universel, il a vocation à recueillir la totalité de la succession de Jean advenant que le legs à Lucille soit déclaré caduc ou nul[15].
[91] Yves prétend que Lucille s’est montrée indigne de succéder à Jean et que le legs qui lui a été consenti devrait être déclaré caduc.
[92] Il fonde sa demande sur le motif que Lucille aurait eu envers Jean un « comportement hautement répréhensible »[16].
[93] Lors de l'audition, le Tribunal a demandé au procureur d'Yves de lui indiquer, dans la preuve, les gestes qu’aurait posés Lucille et qui constitueraient un comportement hautement répréhensible à l’égard du défunt. Le procureur d’Yves a indiqué qu’il s’agissait, en fait, des manœuvres captatoires alléguées en l’espèce.
[94] Le Tribunal traitera de la captation et particulièrement de la preuve des manœuvres captatoires alléguées, dans le cadre de la troisième question en litige. Il convient cependant de trancher immédiatement cet argument fondé sur l’indignité successorale de Lucille.
[95] Pour les raisons suivantes, le Tribunal conclut que, selon la preuve, Lucille n’a pas été indigne à l’égard de Jean.
[96] En droit, il existe une distinction fondamentale entre un comportement indigne et des manœuvres captatoires.
[97] En l’espèce, l’argument du demandeur fondé sur la captation comporte deux volets : a) de prétendues manœuvres captatoires antérieures à la signature du testament le 17 janvier 2005; et, b) de soi-disant manœuvres captatoires faites entre le 17 janvier 2005 et le décès de Jean le 29 octobre 2005.
[98] Quant aux manœuvres captatoires alléguées, antérieures au 17 janvier 2005, elles ne revêtent pas, en droit, ce caractère « hautement répréhensible », hautement blâmable[17] requis par l’article 621 C.c.Q.[18]
[99] Aucun des actes reprochés n’a un caractère intentionnel, blâmable, malicieux et public. Dans les faits, Jean, jouissant de ses pleines capacités physiques et mentales, décrit Lucille comme son amie et l’institue légataire universelle avec son fils dans son testament du 17 janvier 2005. Il ne s’agit sûrement pas de propos émanant d’une personne qui a été victime de sévices ou d’actes indignes de la part de Lucille.
[100] En
ce qui concerne les manœuvres captatoires alléguées avoir été faites durant la période
du 17 janvier au 29 octobre 2005, la même conclusion s’impose. Ces manœuvres
alléguées ne peuvent être qualifiées de comportements hautement répréhensibles
au sens de l’article
[101] Dans les faits, Lucille n’a pas eu un comportement indigne à l’égard de Jean durant cette période. En effet, il est raisonnable d’inférer de la preuve que si tel avait été le cas, Jean aurait pu facilement communiquer avec le notaire Périgny pour modifier son testament et déshériter Lucille. Or, Jean ne l’a pas fait malgré qu’il ait eu, selon la preuve, le temps et la capacité physique et mentale de le faire.
[102] En conséquence, le Tribunal conclut que l’argument fondé sur la prétendue indignité de Lucille est mal fondé en droit et, au surplus, n’est pas étayé par la preuve.
[103] Il convient maintenant de répondre à la troisième question en litige.
[104] Selon Yves, son père a été victime de manœuvres captatoires commises par Lucille et c’est à cause de ces manœuvres qu’il l’a instituée légataire universelle dans son testament du 17 janvier 2005. Selon lui, ce legs doit donc être annulé pour cause de captation.
[105] L’argument du demandeur fondé sur la captation comporte deux volets : les soit-disant manœuvres captatoires précédant la signature du testament le 17 janvier 2005, et celles qui auraient été faites par la suite.
[106] Avant d’entreprendre l’analyse de l'argumentation d’Yves, il est utile de faire un bref rappel des règles applicables à la captation en matière testamentaire.
[107] C’est celui qui allègue la captation qui a le fardeau de la prouver. La preuve peut être faite par tout moyen et les présomptions de fait revêtent une importance certaine[19].
[108] La captation est une forme de dol. Il s’agit de manœuvres frauduleuses dans le but d’amener une personne à consentir une libéralité qu’elle n’aurait pas autrement consentie. Il faut que ces manœuvres aient réellement provoqué la décision du testateur.
[109] À titre d’exemple de manœuvres captatoires, on peut citer :
« (…) inciter la haine envers les héritiers présomptifs, aviver une ancienne aversion, agir de façon à s’assurer un empire absolu sur la volonté du testateur, comme intercepter sa correspondance, éloigner la famille et les amis d’une personne malade retenue à la maison, s’ingérer dans ses affaires, refuser de faire venir un notaire pour préparer un codicille ou un nouveau testament; en un mot, la tromperie ou la coercition sous toutes leurs formes. (…) Les mots « suggestion et captation » illustrent assez bien de quoi il s’agit : quelqu’un s’empare de la volonté du testateur et lui suggère comment il doit tester. Mais ce qui doit être considéré comme suggestion et captation pourra varier d’un cas à l’autre, selon les circonstances particulières propres à l’affaire soumise. [20] »
[110] Un élément pertinent, mais non nécessairement déterminant, est le caractère raisonnable des dispositions testamentaires attaquées[21] eu égard aux circonstances. Chaque cas dépend de ses propres circonstances qui doivent être évaluées en fonction de l’ensemble de la preuve.
Manœuvres captatoires alléguées précédant le 17 janvier 2005, date de la signature du testament contesté
[111] L’analyse de l’ensemble de la preuve amène le Tribunal à conclure que le legs universel consenti par Jean en faveur de Lucille, dans son dernier testament du 17 janvier 2005, a été fait librement, volontairement et en pleine connaissance de cause et qu’il représente fidèlement ses dernières volontés.
[112] Le notaire Périgny confirme que le 17 janvier 2005, Jean est bien, parfaitement normal et qu’il avait tout son esprit. Selon lui, il était calme et savait ce qu’il voulait. Il avait pensé à son affaire pendant le temps des fêtes.
[113] Il se présente seul chez le notaire Périgny; Lucille ne l’accompagne pas.
[114] Dans son testament signé le 17 janvier 2005, Jean désigne Lucille comme « une amie … résidante au [...] à Montréal ».
[115] Ainsi, le testament contesté répond en soi à l’argument d’Yves voulant que Lucille ne résidât pas avec son père. En effet, Jean affirme que Lucille ne réside pas avec lui au [...] à Montréal, mais il la désigne tout de même légataire universelle conjointement avec son fils Yves. Il ne s’agissait donc pas d’un fait pertinent aux yeux de Jean, le testateur.
[116] La preuve, dans son ensemble, établit que Jean a, jusqu’à sa mort, eu la capacité intellectuelle et mentale de comprendre et de gérer seul ses affaires, donc de tester validement.
[117] Lucille est une amie de Jean depuis plus de 15 ans, l’ayant rencontré en 1989.
[118] Les des deux testaments antérieurs, datés respectivement des 12 mars 2003 et 24 septembre 2003, représentent des faits graves, précis et concordants faisant naître des présomptions de fait importantes et pertinentes en l’espèce.
[119] En effet, il est manifeste que Jean n’hésite pas à modifier son testament quand il le désire.
[120] De plus, il appert de ces testaments que Jean a toujours voulu avantager une de ses amies en lui léguant la moitié de ses biens.
[121] En conséquence, le legs universel consenti à Lucille dans le testament du 17 janvier 2005 est parfaitement raisonnable.
[122] Yves affirme qu’en novembre 2004, son père lui a dit qu’il serait son seul légataire puisqu’il était son seul fils. La preuve révèle cependant qu'il ne l'avait pas fait antérieurement et que ce n’est pas ce que Jean a décidé de faire le 17 janvier 2005.
[123] Les faits prouvés peuvent expliquer le comportement de Jean. En effet, depuis son divorce dans les années 1980, il s’était créé un froid avec son fils Yves, et par la suite les relations entre les deux hommes ne se sont jamais véritablement rétablies.
[124] En matière testamentaire, visites régulières et statut de légataire vont souvent de pair.
[125] En somme, la preuve ne révèle aucune manœuvre captatoire de Lucille jusqu’au 17 janvier 2005.
Manœuvres captatoires alléguées pendant la période du 17 janvier 2005 jusqu’au décès survenu le 29 octobre 2005
[126] Yves allègue que c’est en contrepartie de la présence continue de Lucille au domicile de Jean que ce dernier l’aurait instituée légataire universelle dans son dernier testament.
[127] Or, selon lui, puisque Lucille ne s'est pas acquittée de son engagement à résider continuellement avec Jean et à en prendre soin, son legs devrait être révoqué.
[128] D’emblée, un commentaire s’impose. Sur le plan juridique, il ne s’agit manifestement pas de captation.
[129] Le procureur d’Yves invoque, en fait, que Lucille n’aurait pas respecté une charge que Jean lui aurait imposée pour qu’elle puisse bénéficier de son legs.
[130] L’argument du procureur d’Yves est rare, mais pas inconnu en droit civil québécois : une charge imposée au légataire entre la date du testament et celle du décès du testateur.
[131] Rare, parce que les tribunaux ne sont pratiquement jamais saisis de litiges imputant la violation d’une telle charge, le testateur demeurant libre de modifier son testament en tout temps[22].
[132] Cette condition n’est pas non plus inconnue[23]. La révocation judiciaire d’un legs pour inexécution d’une charge apparaît juridiquement possible[24]. En l’espèce, cependant, la demande de révocation se heurte à des obstacles légaux et factuels insurmontables.
[133] D’abord, le legs universel conféré à Lucille ne comporte aucune charge. Or, le Tribunal peut certes interpréter le testament de Jean, mais il n’a pas le pouvoir de le modifier[25].
[134] De plus, Jean allègue dans sa requête un « engagement » de Lucille[26]. Évidemment, cet « engagement », eut-il été prouvé, qu'il aurait été nul et n’aurait en rien engagé Jean en tant que testateur[27].
[135] En outre, la prépondérance de la preuve démontre que Jean était satisfait tant de son dernier testament que du comportement de Lucille. En effet, pendant les 10 mois qui ont suivi la signature de son dernier testament le 17 janvier 2005, il n’a pas cru bon de le modifier, même s’il en a eu et le temps et la capacité.
[136] Enfin, Lucille était la personne présente aux côtés de Jean le matin du 29 octobre lorsqu’il a eu un malaise et elle lui a prêté main-forte. C’est donc Lucille qui lui a permis, finalement, de ne point mourir seul et ainsi de réaliser un de ses souhaits les plus chers.
[137] La liberté de tester est fondamentale en droit civil québécois.
[138] Un testament est un acte de pure volonté essentiellement révocable. Le Tribunal doit respecter les volontés exprimées par le testateur dans un testament valide, à moins qu’il ne soit convaincu que le testateur n’a pas exprimé ses dernières volontés de façon libre et volontaire ou qu’il était incapable de le faire.
[139] En l'espèce, le Tribunal est d’avis qu’Yves a l’intérêt voulu de demander l’annulation du legs universel consenti à Lucille dans le testament du 17 janvier 2005, et ce, malgré le testament précédent signé le 24 septembre 2003 qui institue colégataires universels Yves et Madame Monique Bélair-Panneton, en parts égales. Le Tribunal conclut, cependant, que Lucille n’est aucunement indigne et qu’elle ne s'est pas rendue coupable de captation à l’égard du testateur, Jean.
[140] La preuve étaye amplement la conclusion que le dernier testament notarié de Jean, signé le 17 janvier 2005, représente fidèlement ses dernières volontés exprimées librement et volontairement et qu'il est valide. Le Tribunal doit donc lui donner effet.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[141] REJETTE la requête introductive d'instance amendée du demandeur;
[142] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ GÉRARD DUGRÉ, J.C.S. |
Me Claude F. Archambault |
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Avocat du demandeur |
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Me Johanne St-Pierre |
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Avocate de la défenderesse |
[1] L’emploi des prénoms dans le jugement vise à alléger le texte et non à faire preuve de familiarité.
[2] Comme la preuve le révélera lors du procès, et à la surprise d’Yves, il s’agit du codicille daté le 24 septembre 2003 dans lequel Jean lègue l’universalité de tous ses biens à Yves et à Dame Monique Bélair-Panneton, en parts égales.
[3] Pièce P-2.
[4] Pièce P-5.
[5] En fait, le testament réfère à « Panneron », mais tous sont d’accord pour conclure qu’il s’agit d’une erreur typographique et qu’il faut lire « Panneton ».
[6] Pièce P-4.
[7] Pièces P-4 et P-5.
[8] Pièces P-2, P-4 et P-5.
[9] Pièce P-5.
[10] Voir par. [6] du jugement.
[11]
Art.
[12]
BRIÈRE G.,
[13] Art. V du testament du 17 janvier 2005, pièce P-2.
[14] BRIÈRE, op. cit., note 12, pp. 263-264, par. 476-477.
[15] Art.
[16] Art.
[17] Voir définition de « répréhensible », Le Nouveau Petit Robert, Paris, Le Robert, 2010.
[18] ARMSTRONG M.-C., PINAR E. et GENDRON C., L’annulation de testaments pour motif de captation et de caducité de legs pour motif d’indignité, Fiducies personnelles et successions, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2007, EYB 2007DEV1336, par. 2.2.
[19]
Art.
[20]
Stoneham et Tewkesbury c. Ouellet,
[21] ARMSTRONG M.-C., PINAR E. et GENDRON C., L’annulation de testaments pour motif de captation et de caducité de legs pour motif d’indignité, Fiducies personnelles et successions, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2007, EYB 2007DEV1336, par. 2.1.
[22]
BRIÈRE, Op.cit., note 12, p. 292, par. 544-545; art.
[23]
Cournoyer-Mottet c. Champagne et Larochelle, C.S. Richelieu,
[24] BRIÈRE, Op.cit., note 12, p. 292, par. 544-545.
[25]
Nixon c. Pinelli,
[26] Requête introductive d’instance, par. 13 et 14.
[27]
Art.