DaimlerChrysler Canada inc. c. Automobile Cordiale ltée |
2011 QCCA 2066 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No: |
500-09-020393-104 |
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(500-05-056758-004) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE: |
26 octobre 2011 |
CORAM: LES HONORABLES |
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q. |
FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. |
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JACQUES DUFRESNE, J.C.A |
APPELANTE |
AVOCAT(S) |
DAIMLERCHRYSLER CANADA INC. |
Me Simon Grégoire Me Mathieu Piché-Messier BORDEN, LADNER, GERVAIS
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INTIMÉES |
AVOCAT(S) |
AUTOMOBILE CORDIALE LTÉE GROULX AUTO INC.
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Me Denis Cloutier CAIN, LAMARRE, CASGRAIN, WELLS
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En appel d'un jugement rendu le 11 janvier 2010 par l'honorable Johanne Mainville de la Cour supérieure, district de Montréal. |
NATURE DE L'APPEL: |
Contrats spéciaux |
Greffière: Marcelle Desmarais |
Salle: Antonio-Lamer |
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AUDITION |
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9 h 30 Argumentation par Me Simon Grégoire. |
10 h 57 Suspension de la séance. |
11 h 24 Reprise de la séance. |
11 h 24 Suite de l'argumentation de Me Simon Grégoire. |
12 h 28 Fin de l'argumentation de Me Simon Grégoire. |
12 h 28 Suspension de la séance. |
14 h 02 Reprise de la séance. |
14 h 02 Argumentation par Me Denis Cloutier. |
15 h 28 Réplique par Me Simon Grégoire. |
15 h 47 Fin de l'argumentation de part et d'autre. |
15 h 48 Suspension de la séance. |
16 h 10 Reprise de la séance. |
PAR LA COUR: |
Arrêt - voir page 3. |
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Marcelle Desmarais |
Greffière d'audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Pour des motifs qui seront déposés dans les jours à venir;
LA COUR:
[2] ACCUEILLE l'appel à la seule fin de réduire de 31 683,92 $ le montant octroyé en capital en première instance, avec dépens contre l'appelante sur la base d'un appel rejeté.
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NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q. |
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FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. |
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JACQUES DUFRESNE, J.C.A |
DaimlerChrysler Canada inc. c. Automobile Cordiale ltée |
2011 QCCA 2066 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(500-05-056758-004) |
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DATE DE L'ARRÊT : DATE DU DÉPÔT DES MOTIFS : |
LE 26 OCTOBRE 2011 LE 9 NOVEMBRE 2011 |
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DAIMLERCHRYSLER CANADA INC. |
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APPELANTE - Défenderesse |
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c. |
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AUTOMOBILE CORDIALE LTÉE |
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INTIMÉE - Demanderesse |
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et |
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GROULX AUTO INC. |
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INTIMÉE - Demanderesse en reprise d'instance |
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MOTIFS D'UN ARRÊT RENDU SÉANCE TENANTE LE 26 OCTOBRE 2011 |
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[1] L'arrêt de la Cour a été rendu à l'audience, motifs à suivre. Les voici.
[2] En premier lieu, l'appelante a soutenu que la première juge se serait trompée sur l'existence d'une faute contractuelle.
[3] Ce moyen doit échouer.
[4] En effet, la preuve démontre amplement que l'appelante a fait défaut de faire respecter par trois de ses concessionnaires situés à proximité de l'établissement de l'intimée Cordiale la bannière exclusive Jeep conférée à cette dernière. L'appelante a, par son comportement, confirmé l'interprétation que faisait l'intimée Cordiale du contrat P-1, interprétation qu'elle ne saurait maintenant renier, puisque ce serait renier, par le fait même, des obligations contractuelles dont elle a constamment, selon la preuve, reconnu l'existence.
[5] Par ailleurs, la juge de première instance est allée jusqu'à affirmer que le comportement de l'appelante avait été empreint de mauvaise foi, et il s'agit là d'une inférence qu'elle pouvait légitimement tirer de la preuve, d'autant plus que l'appelante versait des rabais directement aux concessionnaires concurrents de l'intimée Cordiale sur leurs ventes de véhicules Jeep, et finançait ces ventes à des taux d'intérêt inférieurs au marché. L'appelante était pleinement au courant de ces ventes, qu'elle entrait dans un Daily Tracking Report, mais qu'elle omettait les données aux fins des statistiques de ventes de véhicules neufs distribuées à ses concessionnaires.
[6] S'attaquant ensuite à la causalité, l'appelante plaide l'absence de preuve que les ventes effectuées par les concessionnaires en question, qui ne détenaient pas la bannière Jeep, auraient pu être réalisées par l'intimée Cordiale. Cependant, la juge de première instance a qualifié ces ventes de concurrence déloyale à bas prix :
[136] En l'espèce la situation est la suivante :
· Les trois concessionnaires en se livrant à une concurrence déloyale ont vendu environ 250 véhicules;
· De façon à s'attirer la clientèle, ils ont vendu les véhicules à très bas prix en réduisant leur marge de profit;
· Pour sa part, DaimlerChrysler a bénéficié de ces ventes interdites. Il n'y a pas de preuve que le prix de vente du fabricant a été affecté par les agissements des trois concessionnaires;
· Durant cette période Cordiale a vu ses ventes fondre de moitié.
[7] Par ailleurs, ainsi que le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, cités par la juge de première instance, le lien de causalité est essentiellement une question de fait :
[120] Dans Multi Portions inc. c. Fullum[1], le juge Pierre C. Gagnon de notre cour, écrit ce qui suit :
Baudouin et Deslauriers commentent longuement les difficultés de discerner dans la jurisprudence québécoise, des lignes directrices claires et précises permettant au juge du procès de discerner ce qui est la cause directe et immédiate, plutôt que la simple occasion, du préjudice de la victime, particulièrement quand il faut choisir entre plusieurs facteurs qui ont tous contribué à la réalisation de ce préjudice.
Ces auteurs éminents parviennent tout de même à dégager des règles dont le Tribunal doit ici faire usage :
· Le lien de causalité est essentiellement une question de fait, confiée à l'appréciation du juge.
· L'approche de la causalité adéquate invite à distinguer la cause véritable, des simples circonstances ou occasions du préjudice.
· L'approche de la prévision raisonnable, également valable, demande d'identifier quels faits ont rendu objectivement prévisible la création du préjudice, dont les conséquences aient été normalement prévisibles par l'auteur de la faute.
· Il peut y avoir rupture du lien de causalité, en cas d'événement fautif ou non fautif subséquent qui, lui, est en lien direct avec le préjudice
· Il faut envisager un partage de responsabilité quand il y a deux ou plusieurs acteurs fautifs (la victime pouvant être l'un d'entre eux).
· La jurisprudence est moins exigeante, au stade de la vérification du lien de causalité, en présence d'une faute lourde. (Références omises)
[8] Ajoutons que l'appréciation du caractère direct et immédiat des dommages relève aussi de l'appréciation des faits :
L'étude des principales décisions sur la question révèle que la règle du caractère direct du préjudice est principalement utilisée pour limiter le champ de la réparation selon les circonstances particulières à chaque espèce, rendant ainsi toute généralisation difficile, sinon impossible. En définitive, il faut bien avouer que l'appréciation de cette condition reste plus une question de fait que de droit et que la marge discrétionnaire des tribunaux en la matière est fort large.
884 - Préjudice prévisible - En matière contractuelle, le Code civil exige que le préjudice réparable soit non seulement direct, mais aussi prévisible - sauf exception, examinée dans un instant. Cette condition de prévisibilité se fonde sur la volonté présumée des parties. La loi présume que celles-ci, ayant pu, lors de la formation du contrat, fixer exactement le contenu de leur engagement, étaient également en mesure de prévoir l'étendue des conséquences d'une éventuelle inexécution[2].
[9] L'approche de la prévisibilité est celle retenue par la première juge, qui a amplement justifié sa constatation d'un lien de causalité entre la faute et les dommages réclamés en l'espèce, constatation qui ne peut, ici, être qualifiée que de factuelle. Les paragraphes suivants du jugement entrepris sont révélateurs à ce sujet :
[121] DaimlerChrysler plaide que Cordiale n'a pas démontré de lien causal entre la faute et le préjudice. Elle fait valoir qu'il ne suffit pas de démontrer une baisse dans les profits nets de l'entreprise, il faut prouver un lien direct et immédiat entre la faute et le préjudice. Notamment Cordiale aurait dû démontrer qu'il y a eu migration de sa clientèle vers les trois concessionnaires, qu'elle aurait vendu elle-même les véhicules Jeep qui l'ont été par ceux-ci, que les personnes ayant acquis des véhicules chez ces derniers les auraient achetés de Cordiale, etc.
[122] Or, ajoute-t-elle, non seulement une telle preuve n'existe pas, mais il appert de celle-ci que la majorité des personnes ayant acquis un véhicule Jeep sont des membres de la famille, amis ou connaissances des représentants ou employés d'Impact, Inter-Auto et Blainville ou encore n'habitent pas la région de St-Jérôme ou les environs.
[123] En l'espèce, il y a lieu d'appliquer l'approche de la prévision raisonnable plutôt qu'une preuve directe difficile à établir, sinon impossible. À cet égard, les faits suivants révélés par la preuve rendent objectivement prévisible l'existence d'un préjudice :
· DaimlerChrysler a elle-même défini des territoires de ventes en accordant des bannières à ses concessionnaires afin de protéger ses marques. Toutefois, à partir de 1996 elle met de l'avant son Plan Canada 2000 visant à l'unification de ses bannières.
· Cordiale détenait une bannière unique Jeep pour le territoire de St-Jérôme et Groulx refusait de s'en départir.
· Inter-Auto et Impact, des concessionnaires localisés dans le territoire de St-Jérôme et Blainville située à l'extérieur du territoire de St-Jérome, mais dans la zone d'influence du territoire de Cordiale, ont vendu et loué des véhicules Jeep, environ 250 véhicules, alors qu'ils ne détenaient pas la bannière et effectué des réparations sous garantie de véhicules Jeep.
· Les agissements contraires aux droits de Cordiale des trois concessionnaires se sont échelonnés de 1996 à 2002/2003, période pendant laquelle le nombre de ventes de véhicules Jeep chez Cordiale a diminué de moitié.
· DaimlerChrysler connaissait ces agissements et a laissé Cordiale faire face seule à la concurrence que lui livraient les trois autres concessionnaires, sans lui apporter le soutien qu'elle était en droit de recevoir.
· DaimlerChrysler, recevant l'information des trois concessionnaires, ne pouvait pas ignorer que ces derniers vendaient à très bas prix les véhicules Jeep, en grugeant sur leur marge de profit, et brûlaient ainsi le marché de vente de ces véhicules dans la région de St-Jérôme.
· La publicité dans les journaux et l'internet, que ce soit par un des concessionnaires ou par DaimlerChrysler, même si celle-ci a été corrigée ultérieurement, créait de la confusion dans l'esprit des acheteurs potentiels.
· Le fait qu'aucun autre facteur n'a été mis en preuve pour expliquer la baisse des ventes chez Cordiale durant les années en litige comme, par exemple, un changement dans la façon d'exercer les activités, l'accroissement de ressources humaines, l'acquisition de nouveaux produits ou d'un nouveau système informatique, l'intégration de nouveaux associés, etc. tant chez Inter-Auto, Impact et Blainville que chez Cordiale.
[124] Le Tribunal est d'avis qu'un lien de causalité découle raisonnablement de ces faits et que les conséquences résultant de ceux-ci, soit les pertes de volume des ventes de Cordiale, étaient prévisibles.
[10] L'appelante ne fait apparaître dans ces énoncés aucune erreur que l'on pourrait qualifier de manifeste et déterminante.
[11] Somme toute, Chrysler, ayant permis une concurrence déloyale et y ayant participé, doit rembourser à l'intimée Cordiale les dommages subis.
[12] Sur le quantum, l'appelante, retranchant ligne par ligne divers items, voudrait faire réduire, soit à 47 311 $, soit à 71 403 $, le montant des dommages accordés en première instance (598 111, 39 $). L'appelante répète en cela l'exercice qu'elle a fait en première instance et que la juge n'a pas retenu.
[13] En un premier temps, l'appelante veut éliminer des calculs de l'expert des intimés, dont le rapport a été accepté par la juge, toutes les ventes et réparations effectuées par le concessionnaire Blainville, soutenant que ce concessionnaire, bien qu'il n'ait pas détenu de bannière Jeep, aurait pu l'obtenir en tout temps et ne fait pas partie du territoire concédé à l'intimée Cordiale. Or, la juge de première instance fait à ce sujet la constatation factuelle suivante :
[142] En demandant à Blainville de cesser de vendre ou de publiciser des véhicules Jeep, DaimlerChrysler reconnaît elle-même que Blainville est dans la zone d'influence de Cordiale. Cela se manifeste aussi par le fait que Blainville convoitait la bannière Jeep depuis des années, et ne l'a pas obtenue.
[14] Il convient d'ajouter que le consentement de Cordiale était requis pour accorder une bannière Jeep à Blainville, ce qui démontre que les concessionnaires de territoires adjacents devaient respecter l'exclusivité conférée par l'appelante à la concessionnaire Cordiale.
[15] En un deuxième temps, l'appelante veut éliminer les ventes dites amicales, faites à des amis ou connaissances, ainsi que les réparations en découlant.
[16] Cette approche ne sied pas en l'espèce.
[17] En effet, considérant l'ensemble de la preuve, l'on constate que bien qu'il n'y ait pas corrélation parfaite, les ventes réalisées déloyalement par les concessionnaires adjacents correspondent à une baisse des plus significatives des ventes de Cordiale et qu'il y a concordance dans le temps.
[18] Dans ces circonstances, l'évaluation des dommages par la juge de première instance ne comporte pas d'erreur justifiant l'intervention de la Cour.
[19] En troisième lieu, l'appelante soutient que toutes les réparations devraient être exclues des dommages, puisque les clients étaient libres de faire réparer leur véhicule chez n'importe quel concessionnaire Chrysler.
[20] La position de l'appelante est sur ce point contradictoire. D'une part, elle veut considérer comme un tout à distraire des dommages accordés les ventes - et réparations en découlant - effectuées chez le concessionnaire Blainville, mais insiste pour opérer une ségrégation entre ventes et réparations lorsqu'il s'agit d'indemniser Cordiale.
[21] Ce que la juge de première instance retient, c'est que les trois succursales concurrentes « se sont attiré et créé une clientèle de détenteurs de véhicules Jeep en vendant des véhicules alors qu'il n'était pas autorisés à le faire ».[3]
[22] Il n'est pas nécessaire de reprendre ici chacun des autres moyens énoncés dans le mémoire de l'appelante. Qu'il suffise de dire que le jugement de première instance est particulièrement soigné, et que sur tous ces moyens, l'appelante invite la Cour à substituer son analyse des faits à celle de la juge de première instance sans être parvenue à identifier une erreur manifeste et dominante dans le jugement de cette dernière.
[23] Rappelons ici les propos de la Cour dans Ford du Canada c. Automobiles Duclos :
[76] Sauf pour la première
question qui en est une de droit, pour laquelle le juge doit fournir une réponse
correcte, les autres questions sont liées à l'appréciation de la preuve quant à
la qualification des réclamations et à la conduite de l'appelante. Les
questions mixtes de fait et de droit supposent l'application d'une norme
juridique à un ensemble de faits (Canada (Directeur des enquêtes et des
recherches) c. Southam Inc.,
[24] En ce qui concerne la demande des parties intimées de déclarer l'appel abusif, la Cour constate que la juge de première instance, qui a pourtant tenu de durs propos à l'endroit de l'appelante en constatant sa mauvaise foi, n'en a pas pour autant déclaré sa défense abusive. Il n'y a pas lieu non plus de déclarer l'appel abusif.
[25] L'appel aurait été rejeté n'eût été la nécessité d'une rectification concédée par les deux parties, à seule fin de réduire de 31 683,92 $ le montant octroyé en capital en première instance. Par conséquent, la Cour accordera des dépens contre l'appelante sur la base d'un appel rejeté.
[1]
Multi Portions inc. c. Fullum,
[2] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6e éd., par Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, no 880, p. 886 et no 884, p. 890-91.
[3] Jugement a quo, par. 115.
[4]
Ford du Canada c. Automobiles Duclos,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.