Décision

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Béton Provincial ltée c. Beaulieu

2013 QCCS 2196

JB4487

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GASPÉ

 

N° :

110-17-000541-111

 

 

 

DATE :

Le 22 mai 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DANIEL BEAULIEU, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

BÉTON PROVINCIAL LTÉE, personne morale de droit privé et société par actions légalement constituée en vertu des dispositions de la Partie 1A de la Loi sur les compagnies (L.R.Q., c. C-38), maintenant régie par la loi sur les sociétés par actions (L. Q. 2009, c. 52) ayant son siège social au  1825, avenue du Phare Ouest, P.O., casier postal 160, Matane, province de Québec, G4W 3N1 et une place d'affaires sise au 203, Montée Sandy Beach, case postale 456, Gaspé, province de Québec, G0C 1R0

 

Demanderesse

c.

 

CLÉMENT BEAULIEU, résidant et domicilié au […], Chibougamau, province de Québec, […]

 

Défendeur

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN INJONCTION PERMANENTE

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[1]           La demanderesse s'adresse au Tribunal afin d'obtenir une ordonnance d'injonction permanente visant principalement l'enlèvement de cadenas et l'accès à une carrière où elle prétend détenir des droits suivant une convention intervenue avec le défendeur.

[2]           Ce dernier soumet que cette convention est résiliée, d'où son droit d'interdire l'accès à la carrière.

Les faits

[3]           Le 31 janvier 2003, une convention (P-4) intervient entre la demanderesse, Béton Provincial ltée (Béton) et le défendeur Clément Beaulieu (Beaulieu).

[4]           Cette convention accorde à Béton des droits d'achat, d'exploitation, de mise en réserve et de transport dont Beaulieu est titulaire en vertu d'un bail exclusif d'exploitation de substances minérales de surface avec le ministère des Ressources naturelles.  Ce bail porte le numéro BEX229 et la carrière visée est située à l'Alverne soit une petite municipalité près de Pointe-à-la-Croix, aux limites de la frontière du Nouveau-Brunswick.

[5]           Cette convention accorde également des droits accessoires à Béton, dont un droit de passage et le droit d'installer la machinerie nécessaire aux opérations de concassage.

[6]           Celle-ci est valide pour une durée de 20 ans où jusqu'à l'extraction totale des matériaux existants sur le site, selon la première des éventualités.

[7]           L'une des clauses qu'elle comporte, prévoit que Béton peut y mettre fin avant terme pour toutes raisons jugées valables.  Cette avenue n'est toutefois au bénéfice que de Béton.

[8]           En contrepartie des agrégats «sortis de la carrière», Béton doit verser un montant de 0,40 $ par tonne métrique pour l'année 2003, 0,45 $ pour l'année 2004 et 0,50 $ pour l'année 2005 et les suivantes.  En sus, Béton doit payer au ministère des Ressources naturelles les redevances requises.

[9]           Finalement, s'il y a vente, l'entente prévoit que Beaulieu s'engage à faire respecter cette convention auprès du nouveau propriétaire, bien qu'un droit de premier refus soit stipulé en faveur de Béton.

[10]        La demanderesse, Béton Provincial ltée, est une compagnie d'envergure et son actionnaire principal, Béton Provincial Finance ltée, est également actionnaire de plusieurs autres compagnies associées, dont Béton Brunswick ltée (D-21).

[11]        En 2003 et 2007, Béton effectue du sautage dans la carrière afin d'y réaliser des opérations de concassage.

[12]        Béton doit divulguer à Beaulieu les quantités de matériel qui sont sorties de la carrière afin que ce dernier puisse, de son côté et de façon trimestrielle, faire rapport au ministère des Ressources naturelles.  Beaulieu a logiquement besoin des quantités sorties de la carrière avant qu'il produise lui-même son rapport au ministère.  Certains retards de Béton ont entraîné quelques frictions entre les parties notamment en 2007 et 2010.  Suite aux demandes adressées en ce sens, Béton a toutefois fait le nécessaire pour que les choses rentrent dans l'ordre.  Elle a notamment remboursé à Beaulieu une pénalité assumée par lui auprès du ministère en raison de tels retards.

[13]        En 2011, rien ne va plus entre les parties.  Le 9 mai de cette même année, Beaulieu adresse une mise en demeure à Béton (P-5) dans laquelle il lui indique que la convention P-4 est résiliée.  Il reproche alors à Béton de ne pas avoir respecté ses obligations et plus spécifiquement de ne pas lui avoir déclaré la totalité des agrégats exploités, d'où des redevances impayées.

[14]        Dès le 24 mai, Béton répond à cette lettre (P-6), nie les prétentions de Beaulieu et réserve notamment ses droits dans l'éventualité où celui-ci refuserait l'accès à la carrière.

[15]        En juin 2011, Beaulieu met ses menaces à exécution, installe chaînes, cadenas et blocs empêchant ainsi l'accès à la carrière par Béton.

[16]        Dans une nouvelle mise en demeure du 13 juillet 2011 (P-7), Beaulieu réitère ses prétentions quant aux quantités soustraites de la carrière et afin de valider celles-ci, son avocat précise alors avoir demandé à son client de mandater un expert.

[17]        Lors de l'audience, Beaulieu n'a toutefois pu soutenir ses prétentions puisque de fait, il n'a jamais mandaté un tel expert.  Il croit sincèrement que du matériel sorti de la carrière ne lui a pas été déclaré mais il ne peut le prouver.

[18]        La preuve présentée par Béton a plutôt démontré que s'il existe un écart entre le matériel déclaré et le matériel sorti, il n'est au plus que de 2%.  Ce différentiel proviendrait pour bonne part de la méthode de mesurage adoptée par les parties et du matériel utilisé comme «fond de carrière», lequel sert notamment de zone tampon sous les empilements afin d'éviter la contamination des matériaux.  Évidemment, ce dernier matériel n'est pas «sorti» de la carrière.

[19]        Malgré les mises en demeure qui ont été adressées par Béton à Beaulieu (P-6, P-9 et P-10) et le fait que Béton demeure propriétaire d'un important empilement de criblure de pierre sur les lieux, Beaulieu n'a jamais voulu rouvrir l'accès au lieu, d'où cette demande d'injonction permanente adressée au Tribunal.

 

 

 

Analyse

[20]        Afin de pouvoir statuer sur la demande d'injonction permanente qui lui est adressée, le Tribunal se doit de répondre aux questions suivantes :

-            Au stade de l'injonction permanente, le Tribunal doit-il tenir compte de la balance des inconvénients?

-            Béton a-t-elle un droit valable à faire valoir - la convention intervenue entre les parties en 2003 (P-4) est-elle résiliée?

Au stade de l'injonction permanente, le Tribunal doit-il tenir compte de la balance des inconvénients?

[21]        La requête initiale présentée par la demanderesse comporte des conclusions de nature interlocutoire et permanente.  Le Tribunal n'est toutefois saisi que des conclusions en injonction permanente.

[22]        À ce stade, il n'a pas à tenir compte du test de la balance des inconvénients, ni de l'existence ou non d'un autre recours approprié.  Le Tribunal s'attardera donc à vérifier si la demanderesse a réellement des droits à faire valoir suivant la convention intervenue entre les parties et vérifiera si, comme le prétend le défendeur, cette même convention doit être considérée comme «résiliée»[1].

Béton a-t-elle un droit valable à faire valoir - la convention intervenue entre les parties en 2003 (P-4) est-elle résiliée?

[23]        Dans sa défense, Beaulieu prétend que l'injonction permanente demandée par Béton est irrecevable puisque le droit sur lequel se fonde Béton, soit la convention intervenue en 2003 (P-4), est résilié.

[24]        Beaulieu a toujours prétendu, dès sa mise en demeure de 2011, que cette convention était résiliée de plein droit, puisque Béton n'aurait pas respecté son obligation de déclarer les quantités de pierre sorties de la carrière.

[25]        Comme le Tribunal le mentionne précédemment, Beaulieu n'a pas réussi à démontrer que les quantités déclarées par Béton sont inexactes.

[26]        Il reproche aujourd'hui à Béton la méthode de mesurage utilisée soit celle du «godet de chargeuse».  Celle-ci implique nécessairement une certaine marge d'erreur, puisqu'elle nécessite la transformation d'une mesure de volume en mesure de poids, soit la tonne métrique.  Évidemment, pour mieux comprendre l'imprécision de cette méthode, il suffit simplement de penser au foisonnement occasionné aux matériaux lors des opérations de concassage.

[27]        Or, Beaulieu a accepté cette méthode.  Il a également accepté d'être payé suivant le matériel «sorti de la carrière» et il n'a mis en place aucune méthode de contrôle, dont l'utilisation d'une balance.  De même, tout le matériel dynamité qui ne sort pas de la carrière, puisque utilisé comme fond de pile ou contaminé, constitue une perte pour Beaulieu puisque ce matériel n'est effectivement pas sorti de l'emplacement.

[28]        Comme la preuve a été faite par Béton que le différentiel de mesurage pouvait être négligeable, il n'y a donc pas lieu de retenir cet argument comme motif de résiliation de la convention P-4.

[29]        En conférence de gestion et lors de l'audience, Beaulieu a toutefois fait valoir un argument supplémentaire, soit l'utilisation de la carrière par un tiers, et ce, sans autorisation de sa part.

[30]        Dans le cadre de sa preuve, Beaulieu a en effet démontré que le matériel sorti de la carrière a presque exclusivement été utilisé par Béton Brunswick ltée, une compagnie associée à Béton mais qui, sur le plan légal, n'est pas sa filiale.  Ce matériel a principalement été utilisé sur des sites d'exploitation de Béton Brunswick ltée ou vendu à des tiers, dans la province du Nouveau-Brunswick.

[31]        Beaulieu soumet donc que Béton a dérogé à son contrat puisque la convention du 31 janvier 2003 (P-4) prévoit que c'est à Béton Provincial ltée qu'il accorde des droits d'achat, d'exploitation, de mise en réserve et de transport et non à des tiers.

[32]        Pour le Tribunal, cet argument ne tient pas la route, et ce, pour deux raisons.

[33]        Premièrement, rien dans la convention P-4 n'interdit à Béton de vendre ou autrement céder des droits et du matériel provenant de la carrière concernée à des tiers;

[34]        D'autre part, la preuve a amplement démontré que Beaulieu a toujours su que Béton Brunswick ltée utilisait du matériel provenant de cette carrière, puisque les royautés payables sur la base des tonnes métriques sorties lui ont effectivement été versées par Béton Brunswick ltée avec des chèques provenant de cette compagnie   (D-16, D-17 et D-18).  Il n'a jamais contesté cette façon de faire, sauf lors de l'audience.

[35]        Le Tribunal tient finalement à souligner que même s'il avait été démontré un écart réel dans les quantités sorties de la carrière ou une contravention à la convention en raison du matériel dont a bénéficié Béton Brunswick ltée, il n'aurait tout de même pas conclu que Beaulieu était en droit de résilier de plein droit la convention intervenue et ainsi se faire justice lui-même en cadenassant la carrière visée.

[36]        L'article 1605 du Code civil du Québec précise en effet que :

« La résolution ou la résiliation du contrat peut avoir lieu sans poursuite judiciaire lorsque le débiteur est en demeure de plein droit d'exécuter son obligation ou qu'il ne l'a pas exécutée dans le délai fixé par la mise en demeure. »

[37]        La mise en demeure qui est envoyée pour le compte de Beaulieu, le 9 mai 2011, (P-5) évoque que le mesurage de Béton n'est pas adéquat et que pour cette raison, la convention est résiliée.  Jamais Béton n'est mis en demeure d'apporter des correctifs dans sa méthode de mesurage ou de cesser l'approvisionnement en faveur de Béton Brunswick ltée, et qu'à défaut, le contrat sera résilié.

[38]        Le Tribunal en vient donc à la conclusion que la convention intervenue entre les parties le 31 janvier 2003 (P-4) est toujours valide et qu'elle confère notamment à la demanderesse le droit d'accès au lieu visé.

[39]        C'est donc sans droit et en contravention de celle-ci que Beaulieu empêche aujourd'hui Béton d'avoir accès à la carrière.  Le Tribunal se doit donc de faire droit à la demande d'injonction permanente qui lui est adressée par Béton.

[40]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]        ACCUEILLE la requête introductive d'instance en injonction permanente;

[42]        ORDONNE au défendeur, ainsi qu'à toute personne ayant reçu signification de l'ordonnance d'injonction permanente, de ne poser aucun geste empêchant ou restreignant de quelque manière que ce soit, le droit de la demanderesse, ses employés ou toute autre personne à se rendre à la carrière sise dans le Canton Mann, circonscription foncière de Bonaventure, numéro 2, et plus précisément désigné au bail exclusif d'exploitation de substances minérales de surface émis par le Gouvernement du Québec le 15 février 2011( P-2);

[43]        ORDONNE au défendeur ou à toute personne ayant connaissance de la présente injonction permanente d'enlever immédiatement tout cadenas, serrure ou autre effet de la même nature installés au portail d'entrée de la carrière, à défaut, PERMET à la demanderesse ou toute autre personne autorisée par celle-ci, de faire enlever tout tel cadenas, serrure ou autre aux frais du défendeur;

[44]        ORDONNE au défendeur ou à toute autre personne ayant connaissance de la présente ordonnance d'injonction permanente, de ne poser aucune entrave ou de n'intimider d'aucune façon la demanderesse, l'un de ses représentants ou autres relations d'affaires, qui accède à la carrière;

[45]        DÉCLARE que la convention P-4 intervenue entre la demanderesse et le défendeur est valide;

[46]        DISPENSE la demanderesse de fournir un cautionnement;

[47]        ORDONNE l'exécution provisoire, nonobstant appel, du présent jugement;

[48]        RÉSERVE à la demanderesse ses recours en dommages contre le défendeur, s'il y a lieu;

[49]        PERMET la signification de la présente ordonnance en dehors des heures légales et durant les jours non-juridiques, par tout moyen, incluant sous pli cacheté, sous l'huis de la porte, dans la boîte aux lettres de la résidence du défendeur en cas d'absence de ce dernier, de même qu'à son procureur;

[50]        AVEC DÉPENS

 

 

__________________________________

DANIEL BEAULIEU, j.c.s.

 

Me Kathy Bergeron

Beauvais Truchon

Procureurs de la demanderesse

 

Me Nérée Cormier

Procureur du défendeur

 

 

Date d’audience :

9 et 10 mai 2013

 



[1] Paul-Arthur GENDREAU et al, L'Injonction, Cowansville, Éditions Yvon Blais 1998, p. 296

AVIS :
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