Lalonde c. Chassé |
2013 QCTP 36 |
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TRIBUNAL DES PROFESSIONS |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-07-000029-124 |
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DATE : |
17 mai 2013 |
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CORAM : |
LES HONORABLES |
JACQUES PAQUET, J.C.Q. JEAN-R. BEAULIEU, J.C.Q. RENÉ DE LA SABLONNIÈRE, J.C.Q. |
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CLAUDE LALONDE |
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APPELANT-plaignant |
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c. |
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LISE-ANNE CHASSÉ |
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INTIMÉE-intimée et NICOLE BOUCHARD, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec MISE EN CAUSE |
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JUGEMENT RECTIFICATIF |
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[1] Une erreur d’écriture s’est, par inadvertance, glissée dans le jugement rendu en l’espèce par le Tribunal le 22 avril 2013. Ainsi, au paragraphe [39] du jugement, à la première phrase il est écrit « L’appelant est syndic de l’Ordre professionnel des optométristes », alors qu’il aurait fallu lire « L’appelant est syndic de l’Ordre professionnel des opticiens d’ordonnances ».
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
RECTIFIE le paragraphe [39] du jugement rendu le 22 avril 2013 et REMPLACE la première phrase de ce paragraphe par la suivante :
« L’appelant est syndic de l’Ordre professionnel des opticiens d’ordonnances. »
SANS DÉBOURSÉS.
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__________________________________ JACQUES PAQUET, J.C.Q.
__________________________________ JEAN-R. BEAULIEU, J.C.Q.
__________________________________ RENÉ DE LA SABLONNIÈRE, J.C.Q. |
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Me Jean Lanctot et Me Alexandre Racine |
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Pour l’APPELANT-plaignant |
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Me Marie-Josée Corriveau et Me Vincent Généreux-Deguise |
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Joli-Coeur Lacasse, S.E.N.C.R.L. |
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Pour l’INTIMÉE-intimée |
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Mme Nicole Bouchard Secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec
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Date d'audition :
C.D. No : |
24 janvier 2013
28-10-02631
Décision rendue le 9 février 2012 |
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Lalonde c. Chassé |
2013 QCTP 36 |
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TRIBUNAL DES PROFESSIONS |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-07-000029-124 |
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DATE : |
22 avril 2013 |
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CORAM : |
LES HONORABLES |
JACQUES PAQUET, J.C.Q. JEAN-R. BEAULIEU, J.C.Q. RENÉ DE LA SABLONNIÈRE, J.C.Q. |
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CLAUDE LALONDE |
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APPELANT-plaignant |
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c. |
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LISE-ANNE CHASSÉ |
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INTIMÉE-intimée et NICOLE BOUCHARD, en qualité de secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec MISE EN CAUSE |
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JUGEMENT |
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[1] Il s’agit de l’appel d’une décision du Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec (le Conseil) qui rejette la plainte[1] suivante, portée par l’appelant contre l’intimée :
Lise-Anne Chassé, optométriste de St-Sauveur, régulièrement inscrite au Tableau de l’Ordre des optométristes du Québec, a commis les infractions suivantes au Code des professions (L.R.Q., c. C-26), à la Loi sur l’optométrie (L.R.Q., c. O-7) et au Code de déontologie des optométristes (L.R.Q., c. O-7,r.2.2), à savoir :
1. À
Lachenaie, le ou vers le 13 novembre 2007, ne s’est pas assurée du respect de
la Loi sur l’optométrie et du Code des professions par une
personne non-membre de l’Ordre des optométristes du Québec ou de l’Ordre des
opticiens d’ordonnances du Québec qui travaille dans un de ses lieux d’exercice
de la profession, à savoir Mme Véronique Bergeron, cette dernière ayant
procédé à l’ajustement de lentilles ophtalmiques par la prise de mesures lors
de l’achat sur la personne de M. Richard Lépine, le tout, contrairement à
l’article
2. À
Lachenaie, le ou vers le 22 novembre 2007, ne s’est pas assurée du respect de
la Loi sur l’optométrie et du Code des professions par une
personne non-membre de l’Ordre des optométristes du Québec ou de l’Ordre des
opticiens d’ordonnances du Québec qui travaille dans un de ses lieux d’exercice
de la profession, à savoir Mme Véronique Bergeron, cette dernière ayant
procédé à l’ajustement de lentilles ophtalmiques lors de la livraison sur la
personne de M. Richard Lépine, le tout, contrairement à l’article
[2] Pour compléter l’énoncé des deux chefs de la plainte, il convient de reproduire les dispositions législatives et réglementaires auxquelles l’appelant rattache les infractions alléguées :
- Code de déontologie des optométristes[2] :
14. L’optométriste doit exercer sa profession suivant les principes généralement reconnus dans sa profession.
L’optométriste doit s’assurer du respect de la Loi sur l’optométrie (chapitre O-7), du Code des professions (chapitre C-26) et des règlements pris en leur application par les personnes, employés, étudiants, stagiaires, actionnaires ou associés qui collaborent avec lui dans l’exercice de la profession.
L’optométriste qui exerce ses activités professionnelles au sein d’une société au sens du Code civil ou d’une société visée par le paragraphe VI.3 du Code des professions doit veiller au respect par la société de la Loi sur l’optométrie, du Code des professions et des règlements pris en leur application.
Les devoirs et les obligations qui découlent de la Loi sur l’optométrie, du Code des professions et des règlements pris en leur application ne sont aucunement diminués du fait qu’un optométriste exerce ses activités professionnelles au sein d’une société.
- Loi sur l’optométrie[3] :
16. Constitue l’exercice de l’optométrie tout acte autre que l’usage de médicaments qui a pour objet la vision et qui se rapporte à l’examen des yeux, l’analyse de leur fonction et l’évaluation des problèmes visuels, ainsi que l’orthoptique, la prescription, la pose, l’ajustement, la vente et le remplacement de lentilles ophtalmiques.
[…]
25. Sous réserve des droits et privilèges expressément accordés par la loi à d’autres professionnels, nul ne peut poser l’un des actes décrits à l’article 16, s’il n’est pas optométriste.
Le premier alinéa ne s’applique pas aux actes posés par une personne faisant partie d’une classe de personnes visée dans un règlement pris en application du paragraphe a du premier alinéa de l’article 10, pourvu qu’elle les pose suivant les conditions qui y sont prescrites.
De plus, le premier alinéa ne s’applique pas aux
actes posés par une personne en conformité avec les dispositions d’un règlement
pris en application du paragraphe h de l’article
Rien au présent article n’empêche une personne de vendre des lunettes de lecture unifocales prêtes à porter dont la puissance, uniquement sphérique, est la même dans les deux lentilles et se situe entre + 0,50 et + 3,25 dioptries.
Rien au présent article n’empêche une personne qui, le 1er juillet 1974, était membre en règle de l’Association des orthoptistes du Québec, d’exercer l’orthoptique sous la surveillance d’un médecin ou d’un optométriste.
Rien au présent article n’empêche de vendre, fournir, ajuster ou remplacer des lentilles ophtalmiques :
a) un détaillant qui, avant le 1er décembre 1971, exploitait un rayon d’optique dont l’administration était confiée à un optométriste, tant que ce détaillant continue l’exploitation de ce rayon d’optique en en confiant l’administration soit à un optométriste soit à un opticien d’ordonnances agissant sur ordonnance d’un médecin ou d’un optométriste;
b) une personne qui, avant le 1er décembre 1971, posait ces actes sur un territoire municipal local où il n’y avait pas d’optométriste ou d’opticien d’ordonnances ni dans un rayon de 40 km de ce territoire, tant qu’il n’y a pas d’optométriste ou d’opticien d’ordonnances sur ce territoire ni dans un rayon de 40 km de celui-ci;
c) une personne physique qui, avant le 1er avril 1961, s’occupait de l’ajustement de verres de contact et qui effectue l’ajustement de tels verres sous la surveillance d’un médecin ou d’un optométriste.
- Code des professions[4] :
59.2. Actes incompatibles. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’ordre, ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession.
[3] Le Conseil conclut au rejet de la plainte parce que, selon lui, l’appelant n’a pas l’intérêt requis pour la porter.
[4] La même décision est rendue à l’égard de trois plaintes de même nature portées par l’appelant contre trois autres optométristes. Il s’agit des dossiers suivants qui ont été réunis au présent dossier et ont fait l’objet d’une audition commune :
- Claude Lalonde, APPELANT c. Chantal Brisson, INTIMÉE (450-07-000001-125);
- Claude Lalonde, APPELANT c. Line Coulombe, INTIMÉE (540-07-000062-125);
- Claude Lalonde, APPELANT c. Danielle Hardy, INTIMÉE (500-07-000758-122).
[5] Bien que les faits ne soient pas en tous points identiques dans les quatre dossiers, les mêmes points en litige s’y soulèvent. Dans ce contexte, le présent jugement contiendra les motifs applicables aux trois autres dossiers pour lesquels les jugements ne feront que référer au jugement rendu sur l’appel dans le dossier sous étude.
LE CONTEXTE
[6] L’appelant est syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances depuis 1986.
[7] À ce titre, il est mandaté en novembre 2007 par son ordre professionnel, conformément au second alinéa de l’article 121.2 du Code des professions[5], pour mener des enquêtes relativement à l’exercice illégal de la profession d’opticien d’ordonnances à l’intérieur de bureaux opérés par des optométristes.
[8] Ces enquêtes sont menées dans des cliniques de neuf optométristes qui sont parmi les officiers de l’Ordre des optométristes du Québec, dont Mme Line-Anne Chassé, présidente à l’époque de l’Ordre des optométristes du Québec, Mme Chantal Brisson, membre du Comité d’inspection professionnelle et Mmes Line Coulombe et Danielle Hardy, membres du Conseil de discipline de l’Ordre.
[9]
Au terme de ces enquêtes et considérant les éléments de preuve
recueillis, l’Ordre des opticiens d’ordonnances dépose des plaintes de nature
pénale contre les personnes qui, alors qu’elles étaient assistantes des
optométristes, auraient illégalement exercé la profession d’opticien
d’ordonnances en contrevenant à l’article
15. Sous réserve des droits et privilèges expressément accordés par la loi à d’autres professionnels, nul ne peut poser l’un des actes décrits à l’article 8, s’il n’est pas opticien d’ordonnances.
[10] Il importe de souligner que certains actes reliés à l’optométrie peuvent être posés à la fois par des opticiens d’ordonnances et par des optométristes. À cet égard, il faut référer aux articles 8 de la Loi sur les opticiens d’ordonnances[7] et 16 de la Loi sur l’optométrie[8] qui prévoient :
- Loi sur les opticiens d’ordonnances :
8. Constitue l’exercice de la profession d’opticien d’ordonnances tout acte qui a pour objet de poser, d’ajuster, de remplacer ou de vendre une lentille ophtalmique.
- Loi sur l’optométrie :
16. Constitue l’exercice de l’optométrie tout acte autre que l’usage de médicaments qui pour objet la vision et qui se rapporte à l’examen des yeux, l’analyse de leur fonction et l’évaluation des problèmes visuels, ainsi que l’orthoptique, la prescription, la pose, l’ajustement, la vente et le remplacement de lentilles ophtalmiques.
[11] Les plaintes pénales s’avèrent fondées et des jugements déclarant les personnes concernées coupables d’avoir exercé illégalement la profession d’opticien d’ordonnances sont rendus.
[12] Considérant la preuve présentée dans le cadre des auditions en matière pénale et les jugements rendus, l’Ordre des opticiens d’ordonnances s’adresse à l’Ordre des optométristes pour que des plaintes disciplinaires soient portées contre les optométristes qui auraient permis l’exercice illégal de la profession d’opticien d’ordonnances.
[13] La demande de l’Ordre des opticiens d’ordonnances auprès de l’Ordre des optométristes est demeurée sans suite satisfaisante. Lors de son témoignage devant le Conseil le 18 novembre 2011, l’appelant s’exprime ainsi à ce sujet[9] :
À peu près à la même époque, en novembre 2007, on a rapporté des faits dans un autre dossier à la syndic des optométristes puis on a eu une réponse en février, je pense, je veux pas trop… je veux pas me tromper, là, je pense que c’est février 2008, comme quoi ils poseraient pas de… ils feraient rien. Il y aurait pas de suite dans un dossier de tolérance d’exercice illégal qui concernait un optométriste. […]
[14] Vu le refus de l’Ordre des optométristes, l’Ordre des opticiens d’ordonnances demande à l’appelant, à titre personnel, de déposer des plaintes contre les optométristes en cause.
[15] L’instruction de la plainte dans le présent dossier et dans les trois autres identifiés précédemment, s’étend sur une période de 16 jours.
[16] Au cours de l’instruction de plainte portée contre l’intimée, Mme Lise-Anne Chassé, l’avocate de cette dernière demande à l’appelant qui a pris l’initiative de porter la plainte; celui-ci répond[10] :
Au sens du mandat, si je peux le comprendre comme ça, parce qu’en réalité, moi je prends pas d’initiatives de cette nature-là, sauf en matière disciplinaire quand ça me concerne. Mais là, ici, on est dans un contexte différent. Je le fais pas comme syndic, je suis le plaignant privé. Donc, en principe, j’ai pas à le faire si on me le demande pas. Pour moi, mon canal de communication, c’est madame Samson qui nous demande de le faire. Bien, en fait, « nous demande », demande à moi, à mon personnel.
[17] Par ailleurs, lors de l’instruction de la plainte concernant Mme Chantal Brisson (dossier 450-07-000001-125) le président du Conseil soulève d’office la question de l’intérêt de l’appelant au regard de la plainte portée[11] :
Q On est devant, vous avez porté ça non pas en tant que syndic, mais en tant que plaignant privé. Quel était votre intérêt en tant que plaignant privé de porter une plainte contre madame Brisson?
R Je ne peux pas… j’ai aucun intérêt à déposer une plainte privée contre…
Q Aucun intérêt.
R … madame Brisson. Je réponds, je réponds à une demande du Bureau de direction de l’Ordre.
Q Une demande faite par le Bureau de direction. Et vous-même, personnellement, en tant que plaignant privé - il y a toute une jurisprudence qui veut qu’on ait un intérêt, qu’on ait subi un préjudice, ça, c’est le plaignant privé, ce n’est pas le syndic - vous êtes plaignant privé.
R J’ai pas de… j’ai lu sur le sujet à plusieurs reprises, sur la question des plaignants privés, il y a peut-être même des développements récents sur des questions comme ça, mais je n’ai pas la capacité de vous répondre directement, à savoir…
Q D’accord.
R Pas assez de connaissance, si vous voulez, sur cette question-là.
Q D’accord. Merci, Docteur.
[18] Compte tenu de la réponse formulée par l’appelant dans le dossier relatif à Mme Brisson, une requête en réouverture des débats[12] est présentée par chacun des optométristes concernés par les autres dossiers.
[19] L’appelant formule également une « requête en réouverture d’enquête »[13] dans le dossier de Mme Chantal Brisson, afin de lui permettre « de compléter son témoignage concernant son intérêt à déposer une plainte devant le présent conseil de discipline ».
[20] Ces demandes sont accueillies et le Conseil procède à une réouverture des débats. Dans ce cadre, le 18 novembre 2011, l’appelant témoigne et précise[14] :
R Au niveau personnel, je n’ai aucun intérêt à déposer une plainte disciplinaire contre docteure Chassé ou docteure Brisson.
Q Ou docteure Coulombe, c’est la même chose?
R Ou docteure Coulombe.
Q Docteure Hardy, c’est la même chose?
R Docteure Hardy, c’est la même chose.
Q Bien. Je n’ai pas d’autre question.
[…]
Q Quand vous entendez « personnellement », « intérêt personne », vous visez la personne? C’est ce que vous dites?
R C’est ça, c’est ça que je comprends de la question.
Q C’est quoi votre préoccupation quand vous déposez la plainte?
R Ma préoccupation c’est, elle est beaucoup plus comme opticien par rapport au fait que dans ce qu’on a constaté dans ces dossiers qu’on a faits au pénal, bien, qu’effectivement, qu’il y a pas de résultat, qu’il y a pas d’action du côté des optométristes par rapport à ce qui s’est passé au niveau pénal. Et tout ça, ça fait partie de la suggestion qu’on fait à la présidente de l’Ordre, qu’on fait, en fait, indirectement au Bureau de direction, on leur suggère les plaintes privées. Alors, quand…
Q Qui suggère les plaintes privées?
R C’est moi qui suggère les plaintes privées à la présidente de l’Ordre.
Q À quel moment?
R Comme je l’ai dit tantôt, quelque part en janvier 2010.
Q Expliquez-nous le contexte.
R En janvier 2010, on nous pose la question, c’est clair, on nous pose la question : Qu’est-ce qu’on fait? C’est quoi la suite des choses? Parce qu’on a complété au niveau pénal, on est en, oui, effectivement, en janvier 2010, puis on a fait aussi d’autres dossiers au pénal dans… en fait, qui étaient nombreux aussi contre des chaînes de bureaux d’optométristes. Mais par rapport aux responsables, par rapport aux gens qui étaient identifiés comme étant en lien avec les personnes qui ont été trouvées coupables ou qui ont plaidé coupable, il se passe rien. Il se passe rien du côté de l’Ordre des optométristes, il y a pas de plaintes de déposées. Il y a peut-être des enquêtes, mais ça, on n’est pas au courant. Mais on comprend que tout ça a commencé en 2007 puis là, on est trois (3) ans plus tard puis on a - c’est pour ça qu’on fait la suggestion de déposer des plaintes privées. […]
(Reproduction intégrale)
LA DÉCISION DU CONSEIL
[21] Après avoir entendu les parties, le Conseil rend une « décision sur requête pour réouverture d’enquête afin de décider si le plaignant privé a un intérêt suffisant »[15], au terme de laquelle il conclut que l’appelant n’a pas cet intérêt et, conséquemment, rejette la plainte déposée contre l’intimée sans apporter quelque commentaire que ce soit au regard du fond du litige. La même décision est rendue dans les trois autres dossiers[16].
[22] Le Conseil affirme que l’appelant n’a aucun intérêt direct, personnel et particulier, pas plus qu’il n’a un intérêt public pour porter la plainte contre l’intimée. Selon le Conseil, « il est clair de la preuve présentée que le plaignant privé n’a aucun intérêt direct, personnel et particulier »[17].
[23] Au regard de l’intérêt public, le Conseil écrit[18] :
[30] Le fait que le plaignant Lalonde soit un citoyen et qu’à ce titre il ait un intérêt à ce que le public soit protégé, ne lui confère pas nécessairement l’intérêt requis pour porter une plainte disciplinaire.
[24] Après avoir discuté de jugements rendus en la matière par le Tribunal des professions, le Conseil conclut ainsi en ce qui a trait à l’intérêt de l’appelant[19] :
[35] Dans le présent dossier, comment peut-on créditer le plaignant d’un intérêt quelconque même éloigné?
[36] Poser la question, c’est y répondre par la négative;
[37] De plus, permettre à un syndic d’agir comme plaignant privé sans motif pour des gestes commis par des membres de divers Ordres reviendrait à dénaturer complètement la fonction de syndic;
LES QUESTIONS EN LITIGE ET LE RÔLE DU TRIBUNAL
[25] Dans leurs mémoires respectifs, les parties argumentent sur les questions en litige proposées par l’appelant dans les termes suivants[20] :
A. Le
Conseil de discipline a-t-il commis une erreur de droit en décidant que
l’Appelant/plaignant ne possédait pas l’intérêt requis par le deuxième alinéa
de l’article
B. Le Conseil de discipline a-t-il commis une erreur de droit en ne motivant pas suffisamment ses décisions?
C. Le Conseil de discipline a-t-il commis une erreur de droit en soulevant lui-même la question de l’intérêt du plaignant, alors que les Intimées n’avaient jamais référé à cet argument?
D. Le Conseil de discipline a-t-il commis une erreur de fait et de droit dans son interprétation du rôle de l’Appelant/plaignant en l’associant à la fonction de syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec alors que celui-ci n’a jamais agi en cette qualité dans le dossier?
E. Le Conseil de discipline a-t-il commis une erreur de droit en condamnant le plaignant privé aux frais alors que les Intimées n’ont pas été acquittées des infractions et que les présentes plaintes n’ont pas été déclarées abusives, frivoles ou manifestement mal fondées?
[26] Le Tribunal retient ces questions aux fins du présent jugement, étant acquis que la nécessité de répondre à certaines d’entre elles est tributaire des réponses données à d’autres.
[27] Au regard de ces questions, le rôle du Tribunal est déterminé en fonction de la nature de chacune d’elles. Dans Parizeau c. Barreau du Québec[21], la Cour d’appel écrit :
[81] La Cour suprême et notre cour ont rappelé sans cesse l’enseignement suivant : l’instance d’appel peut en principe corriger toute erreur de droit entachant la décision dont appel ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou dans l’application du droit (s’il a été correctement déterminé) aux faits57. Cette norme vaut tout aussi bien pour les appels formés auprès de tribunaux administratifs et la norme d’intervention développée en matière d’appel judiciaire est certainement transposable à l’appel quasi judiciaire, avec les réserves et les adaptations qu’imposent la loi particulière de chaque espèce ainsi que les règles générales du droit administratif.
(Référence omise)
[28] Lors de l’étude de chacune des questions, le Tribunal identifiera préalablement la norme d’intervention qui doit s’appliquer.
DISCUSSION
A. Le Conseil de discipline a-t-il commis une erreur de droit
en décidant que l’Appelant/plaignant ne possédait pas l’intérêt requis par le
deuxième alinéa de l’article
[29] Pour cette question le Conseil devait appliquer le droit aux faits du litige. Dans ce contexte, ce n’est qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante que le Tribunal pourra intervenir.
[30] L’article 128 du Code des professions[22] est ainsi libellé :
128. Plainte portée par syndic. Un syndic doit, à la demande du Conseil d’administration, porter contre un professionnel toute plainte qui paraît justifiée; il peut aussi, de sa propre initiative, agir à cet égard.
Plainte portée par autre personne. Une plainte peut être portée, par ailleurs, par toute autre personne. Cette personne ne peut être poursuivie en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de ce pouvoir.
(Soulignement ajouté)
[31] Au moment de décider si l’appelant a l’intérêt requis pour porter plainte contre l’intimée aux termes du second alinéa de l’article 128 précité, il faut tenir pour avérés les faits allégués dans la plainte. En somme, il faut considérer que les infractions énoncées ont été commises par le professionnel visé.
[32] Il faut aussi garder à l’esprit que cet intérêt peut être personnel et/ou public et que la finalité du droit disciplinaire est la protection du public. De surcroît, il importe de distinguer l’intérêt de la motivation.
[33] En l’espèce, il faut de plus constater que le syndic de l’Ordre professionnel des optométristes n’entendait pas saisir le Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec d’une plainte pour les infractions alléguées par l’appelant.
[34] Les actes posés par Mme Véronique Bergeron, dont le nom est mentionné dans les deux chefs de la plainte, sont :
- L’ajustement de lentilles ophtalmiques par la prise de mesures lors de l’achat … (chef 1);
- L’ajustement de lentilles ophtalmiques lors de la livraison … (chef 2).
[35] Or, comme mentionné précédemment, ces actes doivent être posés exclusivement par des optométristes, suivant ce que prévoit l’article 16 de la Loi sur l’optométrie[23], ou par des opticiens d’ordonnances, selon ce qui est prévu à l’article 8 de la Loi sur les opticiens d’ordonnances[24].
[36]
Par ailleurs, les codes de déontologie des deux ordres professionnels
renferment des dispositions qui obligent les membres à s’assurer du respect des
lois qui les concernent. L’article 14 du Code de déontologie des
optométristes[25]
le prévoit au regard des membres de cet ordre, alors que l’article
[37] C’est dans ce cadre légal que s’inscrit la plainte portée contre l’intimée et l’évaluation qui doit être faite de l’intérêt de l’appelant.
[38] Le Tribunal souligne que l’emploi répandu de l’expression « plainte privée » pour désigner la plainte portée en vertu du second alinéa de l’article 128 du Code des professions[27], est une création de la jurisprudence et ne se retrouve pas dans le libellé de cette disposition législative. Il s’agit d’une formulation visant à distinguer une telle plainte de celle portée par le syndic. Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit essentiellement de plaintes.
- L’intérêt personnel
[39] L’appelant est syndic de l’Ordre professionnel des optométristes. C’est à ce titre qu’il a dirigé les enquêtes qui ont mené au dépôt de plaintes pénales suivies de condamnations contre les personnes qui ont exercé illégalement la profession d’opticien d’ordonnances, sans toutefois que les optométristes concernés aient été atteints par cette démarche.
[40] Comme les infractions sont commises alors que les personnes visées travaillent avec des optométristes, l’appelant ne pouvait à titre de syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances porter une plainte contre un optométriste. S’il voulait le faire, il ne pouvait le faire qu’à titre personnel.
[41] L’appelant demeure par ailleurs un opticien d’ordonnances qui a intérêt à ce que les dispositions de la loi qui gouvernent sa profession soient respectées. De surcroît, comme syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances informé de dérogations à la loi qui le concerne, n’y va-t-il pas de sa crédibilité et de son autorité auprès des membres de sa profession de porter plainte?
[42] D’ailleurs, le Code de déontologie des Opticiens d’ordonnances[28], auquel est assujetti l’appelant, précise :
4.02.01. En
outre des actes dérogatoires mentionnés aux article
[…]
q) Ne pas prendre les moyens raisonnables pour faire cesser un acte dérogatoire à la dignité de la profession causés par une autre personne qui y exerce ses activités professionnelles et porter à sa connaissance depuis plus de 30 jours ou pour empêcher la répétition d’un tel acte.
[43] De plus, la même disposition réglementaire prévoit qu’est dérogatoire à la dignité de la profession d’opticien d’ordonnances le fait de :
g) Participer ou contribuer à la commission d’une infraction au Code des professions ou à la Loi sur les opticiens d’ordonnances (c. O-6) ou profiter sciemment de la commission de telle infraction, notamment en ce qui concerne l’exercice illégal de la profession ou l’usurpation de titres.
[44] Il est vrai que l’appelant mentionne devant le Conseil qu’il n’aurait pas personnellement pris l’initiative d’une plainte contre l’intimée si son ordre professionnel ne l’avait pas appuyé.
[45] Cette situation se comprend fort bien si l’on considère le temps, l’énergie et l’argent qu’il aurait dû consacrer pour une telle démarche.
[46] Sans l’appui de son ordre professionnel, il n’avait pas la motivation pour porter plainte, ce qui ne lui enlève toutefois pas l’intérêt pour le faire.
[47] Le membre d’un ordre professionnel a certes intérêt à ce que les exigences posées dans le code de déontologie d’un autre ordre professionnel soient respectées, si le non-respect de l’une ou l’autre des dispositions qui y sont contenues se répercute sur sa profession.
[48] Que les autres membres de la profession aient le même intérêt n’enlève pas à l’appelant son intérêt direct, personnel et particulier.
[49] Mais il y a plus, l’appelant a aussi l’intérêt public pour le faire.
- L’intérêt public
[50] Dans Dunn c. Katz[29], à propos de l’article 128 du Code des professions[30], le Tribunal des professions écrit :
[99] Il conviendrait donc de donner à cette expression un sens suffisamment large pour permettre le dépôt d’une plainte par toute personne qui veut dénoncer à un ordre professionnel le comportement d’un professionnel qui lui paraît être contraire au Code de déontologie.
[51] Plus récemment, dans Engel c. Lack[31] une autre formation du Tribunal des professions écrit :
[37] Il n’est de
surcroît pas requis que « toute autre personne » dont il est question
à l’article
[52] L’intérêt en droit disciplinaire s’évalue en prenant en compte que la finalité de ce droit est la protection du public.
[53] L’article 23 du Code des professions[32] précise qu’il s’agit de la principale fonction d’un ordre professionnel; il est aussi prévu, au deuxième alinéa de cette disposition législative, que chaque ordre « doit notamment contrôler l’exercice de la profession par ses membres ».
[54] Une plainte disciplinaire vise à faire évaluer par un conseil de discipline la conduite d’un professionnel dans l’exercice de sa profession.
[55] Les lois professionnelles et les codes de déontologie existent principalement pour la protection du public. Le public a droit de recevoir des services dispensés par des personnes compétentes et habilitées à le faire. Si tel n’est pas le cas, sa protection risque d’être compromise.
[56] Ne pas reconnaître à l’appelant l’intérêt pour porter plainte aurait pour effet de faire en sorte que des infractions à ce stade-ci tenues pour avérées, demeurent non sanctionnées d’un point de vue déontologique.
[57]
Bien que le droit disciplinaire emprunte à l’occasion au droit civil et
au droit pénal, il demeure un droit sui generis et la situation prévue
au second alinéa de l’article
128
du Code des professions[33]
lui est propre. Une disposition semblable se retrouve à l’article
263. Le conseil [de la magistrature] reçoit et examine une plainte portée par toute personne contre un juge et lui reprochant un manquement au code de déontologie.
(Soulignement ajouté)
[58] Dans Ruffo c. Conseil de la magistrature[35], alors qu’il rejette l’argument de la partie appelante voulant que le juge en chef de la Cour du Québec ne puisse pas porter une plainte contre un juge de cette Cour, le juge Gonthier écrit :
« De fait, la simple lecture des dispositions législatives en cause ne tolère pas l’interprétation que cherche à lui conférer l’appelante. La LTJ, en effet, prévoit que le juge en chef de la Cour du Québec est membre d’office du Conseil, dont il est le président (par. 248 a)). Elle prescrit également que toute personne peut porter plainte devant le Conseil (art. 263)… »
(Le soulignement est celui du juge Gonthier)
[59] En l’espèce, même si de toute évidence il existe un conflit entre les deux ordres professionnels concernés et que les plaintes ciblent volontairement des officiers d’un de ces ordres, il n’est pas possible de conclure que les plaintes sont portées à des fins uniquement vexatoires ou de propagande.
[60] Vu ce qui précède, le Conseil a eu tort de conclure que l’appelant n’avait pas l’intérêt requis pour porter la plainte énoncée précédemment contre l’intimée. La décision du Conseil à cet égard comporte donc une erreur manifeste et dominante justifiant l’intervention du Tribunal.
[61] En terminant, le Tribunal note de surcroît que les parties intéressées se sont déjà présentées devant le juge Louis-Paul Cullen de la Cour supérieure qui, le 17 janvier 2011, rend un jugement dans l’affaire Chassé c. Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec[36]. Or, sans que cela constitue une décision formelle au regard de l’intérêt de l’appelant, il demeure que selon ce qui ressort du jugement du juge Cullen, les intimés concernés par les plaintes portées par l’appelant ne contestaient pas le droit de ce dernier de porter de telles plaintes. Au paragraphe [62] du jugement il est écrit :
[62] Les demandeurs ne contestent d’ailleurs pas le droit de M. Lalonde de porter des plaintes disciplinaires contre eux devant le Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes. Ils ne prétendent pas davantage que ces plaintes sont dépourvues de fondement, ni qu’elles sont prescrites. Ils admettent au contraire la possibilité que toutes soient fondées.
[62] Le Tribunal conclut donc que l’appelant a non seulement un intérêt personnel, mais il peut également revendiquer un intérêt public pour porter la plainte contre l’intimée et les trois autres intimées mentionnées au début du jugement.
[63] Vu la réponse positive à la première question en litige, il n’est pas requis de discuter des quatre autres.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE l’appel;
INFIRME la décision du Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec du 9 février 2012;
RENVOIE le dossier devant le Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec pour qu’il soit disposé de la plainte sur le fond;
LE TOUT, avec déboursés contre l’intimée.
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__________________________________ JACQUES PAQUET, J.C.Q.
__________________________________ JEAN-R. BEAULIEU, J.C.Q.
__________________________________ RENÉ DE LA SABLONNIÈRE, J.C.Q. |
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Me Jean Lanctot et Me Alexandre Racine |
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Pour l’APPELANT-plaignant |
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Me Marie-Josée Corriveau et Me Vincent Généreux-Deguise |
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Joli-Coeur Lacasse, S.E.N.C.R.L. |
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Pour l’INTIMÉE-intimée |
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Mme Nicole Bouchard Secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec |
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Date d'audience :
C.D. No : |
24 janvier 2013
28-10-02631
Décision rendue le 9 février 2012 |
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[1] D.C., vol. 1, p. 28.
[2] L.R.Q., c. O-7, r.5.
[3] L.R.Q., c. O-7.
[4] L.R.Q., c. C-26.
[5] Id.
[6] L.R.Q., c. O-6.
[7] Id.
[8] Précitée, note 3.
[9] D.C., vol. 5, p. 1291 et 1292.
[10] D.C., vol. 4, p. 637.
[11] Id., p. 905-906.
[12] D.C., vol. 1, p. 83; D.C., vol. 2, p. 201 et 262.
[13] D.C., vol. 2, p. 144.
[14] D.C., vol. 5, p. 1280-1282.
[15] D.C., vol. 1, p. 16.
[16] D.C., vol. 1, p. 124; D.C., vol. 2, p. 157; D.C., vol. 2, p. 217.
[17] Précité, note 15, p. 22.
[18] Id., p. 23.
[19] Id., p. 24.
[20] M.A., p. 6.
[21]
[22] Précité, note 4.
[23] Précité, note 3.
[24] Précité, note 6.
[25] Précité, note 2.
[26] L.R.Q., c. O-6, r.3.
[27] Précité, note 4.
[28] Précité, note 26.
[29]
[30] Précité, note 4.
[31]
[32] Précité, note 4.
[33] Id.
[34] L.R.Q., c. T-13.
[35]
[36]
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