CONSEIL DE DISCIPLINE

 

Ordre professionnel des optométristes du Québec

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N° :

28-10-02631

 

 

 

DATE :

 9 février 2012

 

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LE CONSEIL:

Me SIMON VENNE, avocat

Président

DRENÉ ASSELIN         

Membre

DCLAUDE BEAULNE

Membre

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CLAUDE LALONDE, plaignant privé, [...], Montréal, province de Québec, [...];

 

Plaignant privé

 

c.

 

LISE-ANNE CHASSÉ, optométriste, exerçant sa profession au 2, chemin des Tourterelles, St-Sauveur, province de Québec, J0R 1R1;

 

Partie intimée

 

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DÉCISION SUR REQUÊTE POUR RÉOUVERTURE

D’ENQUÊTE AFIN DE DÉCIDER SI LE PLAIGNANT PRIVÉ

A UN INTÉRÊT SUFFISANT

 

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[1]      La plainte portée à l’encontre de l’intimée se lit comme suit :

1.        À Lachenaie, le ou vers le 13 novembre 2007, ne s’est pas assurée du  respect de la Loi sur l’optométrie et du Code des professions par une personne non-membre de l’Ordre des optométristes du Québec ou de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec qui travaille dans un de ses lieux d’exercice de la profession, à savoir Mme Véronique Bergeron, cette dernière ayant procédé à l’ajustement de lentilles ophtalmiques par la prise de mesures lors de l’achat sur la personne de M. Richard Lépine, le tout, contrairement à l’article 14 du Code de déontologie des optométristes, aux articles 16 et 25 de la Loi sur l’optométrie et à l’article 59.2 du Code des professions;

2.      À Lachenaie, le ou vers le 22 novembre 2007, ne s’est pas assurée du respect de la Loi sur l’optométrie et du Code des professions par une personne non-membre de l’Ordre des optométristes du Québec ou de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec qui travaille dans un de ses lieux d’exercice de la profession, à savoir Mme Véronique Bergeron, cette dernière ayant procédé à l’ajustement de lentilles ophtalmiques lors de la livraison sur la personne de M. Richard Lépine, le tout, contrairement à l’article 14 du Code de déontologie des optométristes, aux articles 16 et 25 de la Loi sur l’optométrie et à l’article 59.2 du Code des professions;

 

[2]      Les auditions  se sont tenues les 3 et 22 mars 2011, les 19 et 24 mai 2011, le 4 juillet 2011 et  sur la présente requête le 18 novembre 2011;

[3]      Au cours de ces auditions, la partie plaignante est représentée par Me Jean Lanctôt et Me Marie-Josée Corriveau agit pour l’intimée;

[4]      Lors de l’audition du 18 novembre 2011, Me Marie-Josée Corriveau présente une requête en réouverture d’enquête afin que le Conseil puisse décider si le plaignant privé, M. Claude Lalonde,  a l’intérêt requis pour porter une plainte à l’encontre de l’intimée;

[5]      La partie plaignante n’a point d’objection à la présentation de cette requête;

[6]      Le plaignant privé, M. Claude Lalonde, est syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec, depuis de nombreuses années;

[7]      C’est en son nom personnel et non à titre de syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances qu’il a porté une plainte contre l’intimée;

[8]      Le plaignant, Claude Lalonde, a déclaré lors de son témoignage qu’il n’aurait jamais porté plainte contre l’intimée si la présidente de l’Ordre ne lui avait pas demandé;

[9]      Il a toutefois exigé que le conseil d’administration de l’Ordre des opticiens d’ordonnances adopte une résolution pour le mandater;

[10]   Le 5 mars 2010, le conseil d’administration de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec a adopté une résolution mandatant M. Claude Lalonde à se porter plaignant privé devant le Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec;

[11]   C’est ainsi que lors de son témoignage devant le Conseil le 19 mai 2011, le plaignant Lalonde déclare ce qui suit (notes sténographiques p. 94, 95 et 96);

            Le président :             Qui a pris l’initiative de porte une plainte? Est-ce que c’est le syndic monsieur Lalonde ou qui?

            M. Claude Lalonde :  Au sens du mandat, si je peux le comprendre comme ça, parce qu’en réalité, moi je prends pas d’initiatives de cette nature-là, sauf en matière disciplinaire quand ça me concerne.  Mais là, ici, on est dans un contexte différent.  Je le fais pas comme syndic, je suis le plaignant privé.  Donc, en principe, j’ai pas à le faire si on me le demande pas.  Pour moi, mon canal de communication, c’est madame Samson qui nous demande de le faire.  Bien, en fait, «nous demande», demande à moi, à mon personnel.

            Le Président :             Qui vous le demande à vous.

            M. Claude Lalonde :  À moi, puis elle va dire : «Écoutez, préparez ça.» Et nous, on questionne pas si effectivement….. On questionne pas.  On fait ce qu’elle nous demande de faire.

            Le Président :             C’est ce qui est arrivé dans le cas du docteure Chassé et dans tous les autres cas.

            M. Claude Lalonde :  Oui. Mais la seule peut-être restriction que j’ai peut-être, la seule chose que j’ai peut-être dite à madame Samson, c’est de dire : «Assurez-vous d’avoir une résolution.» Moi personnellement, je pense pas que - j’aurais pas accepté de faire ça s’il n’y avait pas de résolution.  Probablement que comme individu, je me serais opposé.  Mais j’ai pas à questionner tout le temps si mon patron principal sait ce qu’elle fait.  On exécute.  On est un exécutant.

[12]   Le 29 septembre 2011 dans le dossier Claude Lalonde c. Dr Chantal Brisson (28-10-02629), M. Claude Lalonde déclare n’avoir aucun intérêt pour porter une plainte privée à l’encontre de l’intimée Chantal Brisson;

[13]   Les parties ont convenu de verser dans le présent dossier le témoignage de M. Lalonde rendu le 19 mai 2011 dans le dossier Claude Lalonde c. Lise-Anne Chassé (no. 28-10-02631) et celui rendu le 27 septembre 2011 dans le dossier  Claude Lalonde c. Chantal Brisson (no : 28-10-02629);

[14]   Enfin, le 18 novembre 2011 le témoin Claude Lalonde modifie quelque peu son témoignage du 27 septembre 2011 en déclarant que c’est lui-même qui avait demandé que l’on porte une plainte privée contre l’intimée et qu’il avait un intérêt public ou de responsabilité publique puisque c’était sa profession qui était exercée illégalement par certaines personnes;

DÉCISION

[15]   L’article 128 du Code des professions permet à un plaignant privé de porter une plainte contre un professionnel:

128.  Plainte portée par syndic - Un syndic doit, à la demande du Conseil d’administration, porter contre un professionnel toute plainte qui paraît justifiée; il peut aussi, de sa propre initiative, agir à cet égard.

Plainte portée par autre personne -  Une plainte peut être portée, par ailleurs, par toute autre personne.  Cette personne ne peut être poursuivie en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de ce pouvoir.

 

[16]   Or, même si l’article 128 du Code des professions n’en fait pas mention, une abondante jurisprudence exige que le plaignant privé ait un intérêt direct, personnel et particulier pour porter une plainte, à défaut de quoi celle-ci sera rejetée;

[17]   Essentiellement, l’intérêt suffisant tient à l’avantage que retire le plaideur qui exerce un recours en supposant qu’il soit fondé;

[18]   Dans l’affaire Biron c. Coallier et al[1] la plainte disciplinaire portée contre des avocats est rejetée car les gestes reprochés concernaient le frère jumeau du plaignant et non le plaignant lui-même;

[19]   Dans cette cause, le Tribunal des professions s’inspire de l’article 55 du Code de procédure civile pour trancher la question :

            Art. 55 :             Celui qui forme une demande en justice, soit pour obtenir la sanction d’un droit méconnu, menacé ou dénié, soit pour faire autrement prononcer sur l’existence d’une situation juridique, doit y avoir un intérêt suffisant.

 

[20]   Dans l’affaire Ferengy c. Adler[2] le Tribunal des professions rejette aussi la plainte privée portée par le mari de la victime des actes des médecins poursuivis au motif qu’il n’avait pas d’intérêt direct, personnel et particulier;

[21]   Dans la cause Dunn c. Katz[3] le Tribunal des professions reconnaît au plaignant l’intérêt pour agir;

[22]   Il s’agissait d’un chiropraticien, directeur d’une association de chiropraticiens, qui se plaignait à titre personnel de l’attitude d’un médecin  "à l’endroit des chiropraticiens en général" et, par voie de conséquence, à son endroit;

[23]   Le Tribunal conclut alors  "qu’en tant que chiropraticien",  il a un intérêt personnel à porter une plainte contre un médecin qui dénigrait sa profession auprès de la population;

[24]   Soulignons que la plainte du plaignant décrivait en détail en quoi il était interpellé par les propos du médecin;

[25]   Dans le dossier Blais c. Barrette[4], le Conseil de discipline rejette la plainte portée par un collègue médecin au motif qu’aucun élément de la plainte telle que libellée ne permet de conclure à un intérêt direct, personnel et particulier;

[26]   Dans le présent dossier, il est clair de la preuve présentée que le plaignant privé n’a aucun intérêt direct, personnel et particulier;

[27]   C’est ce que déclare le plaignant Lalonde dans le dossier Lalonde c. Dr Chantal Brisson (28-10-02629) et dont le témoignage est versé dans le présent dossier;

[28]   Par la suite, soit le 18 novembre 2011, le témoin Lalonde témoigne avoir un intérêt public pour porter une plainte contre l’intimée;

[29]   Or, le Conseil est d’avis qu’il n’est pas opportun de reconnaître au plaignant Lalonde la qualité pour agir dans l’intérêt public, notamment en ce qu’il n’allègue, encore une fois, aucun élément qui permettrait de conclure qu’il possède un intérêt véritable au sens de la jurisprudence, cet intérêt devant être " dans tous les cas supérieur à celui auquel pourrait prétendre un individu simplement désireux de faire respecter la légalité" [5];

[30]   Le fait que le plaignant Lalonde soit un citoyen et qu’à ce titre il ait un intérêt à ce que le public soit protégé, ne lui confère pas nécessairement l’intérêt requis pour porter une plainte disciplinaire;

[31]   Enfin, le 26 janvier 2012, les parties ont fait parvenir au Conseil leurs commentaires sur une décision récente du Tribunal des professions touchant à l’interprétation qu’il faut donner à l’article 128.2 du Code des professions[6];

[32]   Dans ce jugement, le Tribunal réitère qu’il faut donner au second alinéa de l’article 128 du Code des professions une interprétation large et libérale3;

 

[33]   S’appuyant sur une telle interprétation, le Tribunal en vient à la conclusion que l’appelante plaignante Hanna Engel avait un intérêt à porter plainte contre l’intimé;

[31]       ̎L’appelante est la sœur de feu Abraham Greenbaum dont le testament, signé le 8 mars 1989, n’avait pas été enregistré par l’intimé.  À ce titre, elle n’est pas complètement désintéressée au regard de l’omission qu’elle reproche à l’intimé, d’autant que feu Abraham Greenbaum n’avait pas été informé de cette omission et que ses héritiers se sont totalement désintéressés de la succession de leur père.̋

 

[32]       ̎Lui refuser de porter plainte contre l’intimé, sur la base d’une absence d’intérêt plus spécifique aurait pour effet d’inclure à l’article 128 du Code des professions une exigence que le législateur n’a pas prévue.̎

 

[34]   C’est donc dire que l’appelante avait un intérêt qui, sans être particulièrement spécifique, était présent;

[35]   Dans le présent dossier, comment peut-on créditer le plaignant d’un intérêt quelconque même éloigné?

[36]   Poser la question, c’est y répondre par la négative;

[37]   De plus, permettre à un syndic d’agir comme plaignant privé sans motif pour des gestes commis par des membres de divers Ordres reviendrait à dénaturer complètement la fonction de syndic;

[38]   Compte tenu de l’absence d’intérêt du plaignant privé, il n’y a pas lieu pour le Conseil de se prononcer sur les autres motifs soulevés par les parties;

[39]   POUR CES MOTIFS, le Conseil :

39.1     DÉCLARE que le plaignant privé Lalonde n’a pas l’intérêt requis pour porter une plainte contre l’intimée;

39.2     REJETTE la plainte privée déposée par M. Claude Lalonde contre l’intimée;

39.3     Le tout avec frais.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               _________________________

Me Simon Venne

avocat

Président du Conseil de discipline

 

 

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Dr René Asselin

Membre du Conseil de discipline

 

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Dr Claude Beaulne

Membre du Conseil de discipline                   

Me Jean Lanctôt

Avocat

Procureur du plaignant privé

 

 

Me Marie-Josée Corriveau

Avocate

Procureure de l’intimée

Dates d’audience :

3 et 22 mars 2011

19 et 24 mai 2011

4 juillet 2011

 

 

 

 



[1] Biron c. Coallier et al, 1998, Q.C.T.P. 1622 ;

[2] Ferengy c. Adler, 2001, Q.C.T.P. 39 (CANL II)

[3] Dunn c. Katz, 2005, Q.C.T.P. 14 ;

[4] Blais c. Barrette, 2008, CANLII 59564 (Qc CDCM)

[5] Trudeau, Hélène, L’intérêt à agir des regroupements de citoyens au Canada et en France, cité dans Dunn c. Katz (Médecins) 2005 QCTP 14 , page 22;

[6] Hanna Engel c. Peter Robert Lack, no. 500-07-000668-107, 10 janvier 2012.

 

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