Droit de la famille — 131294

2013 QCCA 883

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022261-119

(540-04-011110-118)

 

DATE :

LE 14 MAI 2013

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

 

A... A...

APPELANT - défendeur

c.

 

S... Y...

INTIMÉE - demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Laval (l'honorable Marie-Anne Paquette), qui, le 21 novembre 2011, rejette l'exception déclinatoire opposée à l'action en séparation de corps intentée par l'intimée.

[2]           Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Léger et Fournier, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l'appel, sans frais.

[4]           ACCUEILLE pour partie la « requête du défendeur en exception déclinatoire », sans frais;

[5]           DÉCLARE que la Cour supérieure devait décliner compétence sur l'action en séparation de corps de l'intimée, y compris au chapitre de la garde des enfants, et REJETTE cette action, sans frais.

[6]           ORDONNE que le dossier soit toutefois renvoyé à la Cour supérieure pour que celle-ci statue sur l'opportunité ou l'inopportunité d'une ordonnance de renvoi des enfants des parties en Algérie et, le cas échéant, qu'elle statue sur les conditions et modalités d'une telle ordonnance.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

Me Imane Ben Bahri

IMANE BEN BAHRI AVOCATE

Pour l'appelant

 

Me Anne Thibeault

AIDE JURIDIQUE DE MONTRÉAL

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

Le 4 octobre 2012



 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[7]           L'appelant se pourvoit contre le jugement du 21 novembre 2011 par lequel la Cour supérieure, district de Laval (l'honorable Marie-Anne Paquette), refuse de décliner compétence sur l'action en séparation de corps intentée par l'intimée, action qui demande au tribunal québécois, entre autres choses, de statuer accessoirement sur la garde des enfants des parties.

[8]           Le pourvoi soulève de délicates questions de droit international privé, dans le contexte d'une affaire familiale elle-même fort délicate.

* *

[9]           Les parties sont d'origine algérienne et elles ont toujours résidé en Algérie, où elles se marient en décembre 2003. De cette union naissent deux enfants, l'une le [...] 2005 et l'autre le [...] 2007. Jusqu'aux événements décrits dans les paragraphes suivants, ces deux enfants, comme leurs parents, vivent en Algérie et l'aînée y fréquente l'école.

[10]        Selon l'intimée, ses relations avec l'appelant sont mauvaises depuis longtemps. L'appelant, peu après le mariage, aurait en effet pris une seconde épouse, et ce, sans l'accord de l'intimée, ce qui aurait marqué pour celle-ci le début d'une existence ponctuée de sévices physiques et moraux aggravés par la constante immixtion de la famille de l'appelant et le dédain de ce dernier pour ses propres enfants. Désireuse d'échapper à cette situation, l'intimée, le 9 décembre 2010, fuit l'Algérie pour le Canada en compagnie des enfants, à l'insu et sans le consentement de l'appelant. Notons à ce propos que, selon le droit algérien dont la preuve a été faite, c'est le père qui est le tuteur des enfants mineurs et qui peut donc autoriser leur déplacement à l'étranger.

[11]        Lors de son témoignage[1], l'intimée a laissé entendre qu'elle avait prévenu l'appelant de son départ ou, du moins, de son désir de quitter l'Algérie, mais ses propos sont flous et, d'ailleurs, la juge de première instance a conclu le contraire sans équivoque[2].

[12]        Arrivée au Canada, l'intimée, en compagnie de ses enfants, s'installe d'abord chez son frère. Elle loue ensuite un appartement à Ville A, fin janvier ou début février 2011. Elle inscrit sa fille aînée à l'école du quartier et le cadet à la garderie.

[13]        Le 6 janvier 2011, l'appelant écrit à l'ambassadeur du Canada en Algérie et requiert son intervention afin de l'aider « à faire regagner à ma femme et à mes enfants le domicile paternel à Alger » (c'est une démarche qu'il réitérera en mars 2011). Le même jour, il met l'intimée en demeure de rentrer avec les enfants en Algérie et lui indique qu'il se réserve le droit d'entreprendre les poursuites judiciaires appropriées si elle n'est pas de retour à la fin du mois. De fait, mais en mars 2011 seulement, c'est ce qu'il fera, à la suite de quoi un jugement sera prononcé par défaut, le 30 mai 2011, par la Cour de Blida, Tribunal de Cheraga, section des affaires familiales, ordonnant à l'intimée de réintégrer le domicile conjugal. On doit signaler que, quelques jours plus tôt, la section correctionnelle de la même cour avait déclaré l'intimée coupable du délit d'abandon de famille et l'avait condamnée à un emprisonnement de deux mois et une réparation monétaire de 50 000 DNA. Lors de l'audience devant la Cour supérieure, dans le présent dossier, l'avocat de l'intimée admet que cette condamnation pénale a été obtenue à l'initiative du personnel de l'école que fréquentait à Alger la fille des parties et non à la demande de l'appelant[3]. C'est d'ailleurs ce qu'a retenu la juge de première instance au paragraphe 11 de son jugement.

[14]        Dans l'intervalle, le 3 février 2011, après avoir reçu la mise en demeure de l'appelant, l'intimée présente aux autorités compétentes une demande visant à obtenir le statut de réfugiée au Canada. Elle y allègue notamment que :

Les raisons pour lesquelles je demande la protection du Canada sont que je suis menacée de représailles et de mauvais traitements à mon encontre et celui de mes enfants en particulier ma fille, provenant de mon mari polygame et autoritaire et qui me persécute moralement et physiquement en utilisant son pouvoir en tant qu'homme d'affaires fortuné, d'une part et de sa famille (ses frères) qui m'en veulent à mort car je n'ai cessé de me révolter contre leur introduction dans ma vie de couple ainsi que dans l'éducation de mes enfants d'autre part.

En effet, j'ai quitté mon pays pour fuir un mari polygame qui me fait vivre dans la peur, l'humiliation et la menace de me dessaisir de mes enfants et de leur infliger la vie primaire d'une mentalité islamique extrémiste basée sur le port du hidjab et le respect de la charia où la femme doit toujours se plier à l'autorité du mari et de sa famille.

[15]        Suit une description des mauvais traitements dont elle aurait été victime, y compris une tentative de la contraindre à subir un avortement et, quelques années plus tard, un avortement forcé. Elle y explique également que c'est sans son consentement et malgré son opposition que l'appelant a contracté son second mariage.

[16]        En mai 2011, l'intimée institue contre l'appelant, devant la Cour supérieure (district de Laval en l'occurrence), une action en séparation de corps. Elle y réclame les conclusions propres à ce type de recours (y compris le partage du patrimoine familial), mais aussi la garde des enfants ainsi qu'une pension alimentaire pour ceux-ci et pour elle-même.

[17]        L'appelant présente alors une exception déclinatoire à l'encontre de l'action en séparation de corps de l'intimée. S'appuyant sur l'article 3140 C.c.Q., il y réclame de surcroît que la Cour supérieure ordonne le retour des enfants en Algérie.

[18]        L'audition de cette requête a lieu le 15 novembre 2011. L'appelant est représenté par avocat et témoigne, de l'Algérie, par voie téléphonique. L'intimée, également représentée par avocat, est sur place et témoigne elle aussi. Témoignera également une jurisconsulte versée en droit algérien et reconnue comme experte par le tribunal, Me Soumeya Bensalem, dont le rapport a été admis par l'intimée, en même temps que le contenu du droit algérien, le tout conformément à l'article 2809 C.c.Q.

[19]        Inutile de préciser que les témoignages de l'appelant et de l'intimée sont contradictoires, le premier niant avoir jamais maltraité la seconde ou leurs enfants. Il reconnaît cependant avoir, en effet, contracté mariage avec une seconde épouse, comme le droit algérien l'y autorise. Il explique qu'il partage ordinairement son temps entre Alger, où il travaille et où il réside durant la semaine avec l'intimée et leurs enfants, et une autre ville, où il réside avec sa seconde épouse, principalement durant les week-ends. Il affirme que son travail l'oblige à voyager fréquemment, y compris hors du pays. De son côté, l'intimée explique que la situation réelle est tout à l'inverse de ce que décrit l'appelant, qui passe plutôt la majeure partie de son temps avec la seconde épouse (de laquelle il a deux enfants); il ne vient à Alger que deux week-ends par mois pour visiter l'intimée et leurs enfants et les délaisse presque complètement au profit de son autre foyer.

[20]        L'appelant déclare avoir fait plusieurs voyages à l'étranger avec l'intimée. Celle-ci l'admet (encore que les témoignages ne s'accordent pas sur le nombre exact de ces voyages), tout en précisant avoir suivi son mari à l'occasion de déplacements d'affaires. Les deux parties s'entendent aussi sur le fait suivant : en juin 2010, l'appelant a offert et payé à l'intimée un voyage au Québec afin qu'elle puisse rendre visite à son frère (celui-là même qui l'a hébergée à son retour au Canada en décembre 2010). Les enfants ont accompagné leur mère lors de ce séjour qui a duré deux mois au terme desquels ils sont revenus en Algérie[4], à temps pour la rentrée des classes. Dans la déclaration qu'elle adresse à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, cependant, l'intimée écrit à propos de ce voyage que c'est à ce moment-là qu'elle a réalisé que l'appelant voulait se débarrasser d'elle et des enfants puisqu'il aurait été réticent à la faire revenir en Algérie, ce qu'il n'aurait accepté qu'à la suite de l'intervention de son beau-frère et de ses beaux-parents. L'appelant nie cela, soutenant qu'il a acheté des billets aller-retour à l'intimée, qui est partie et revenue du Canada de son plein gré[5]. À son retour, elle aurait plusieurs fois essayé de le convaincre d'aller s'installer au Canada, ce qu'il ne voulait pas.

[21]        Un autre élément mérite d'être noté. L'intimée soutient n'avoir pas consenti au second mariage de l'appelant, mariage qu'il ne lui aurait annoncé que trois mois après le fait[6], alors qu'elle en était au sixième mois de sa première grossesse (elle était enceinte de sa fille). Il l'aurait forcée à donner son accord à ce mariage (notons que, dans la déclaration faite à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, elle écrit qu'elle a dû accepter la situation résultant de ce second mariage et le désintérêt de son mari « à cause de la pression imposée par mes parents qui refusaient l'idée du divorce »[7]). On trouve en outre, en annexe à l'exposé de l'appelant, un document intitulé « Notification d'un contrat de mariage » faisant état de ce que le 30 octobre 2004 (donc, quelques mois avant la naissance de l'aînée des enfants, effectivement), un huissier de justice, conformément à la loi alors en vigueur, a signifié personnellement à l'intimée un « avis de contrat de mariage avec une deuxième épouse ». Ce document ne porte pas la signature de l'intimée, cependant. Il ressort de la preuve relative au droit algérien que, depuis 2005, l'on exige du mari désireux de contracter un second mariage qu'il obtienne une autorisation judiciaire préalable. Ce n'était toutefois pas le cas auparavant, alors que le mari était simplement tenu d'en informer sa première épouse[8]. Il paraît bien que ç'ait été là, justement, l'objet de la notification faite à l'intimée le 30 octobre 2004.


[22]        Signalons enfin que, selon ce qu'indiquent la preuve et le jugement de première instance[9], l'intimée n'a jamais formulé de plainte auprès de quelqu'autorité que ce soit en Algérie ni intenté de procédure quelconque, notamment en vue d'obtenir le divorce, ce que lui permet le droit algérien à certaines conditions.

* *

[23]        Le 21 novembre 2011, la juge de première instance rejette l'exception déclinatoire présentée par l'appelant. Son analyse peut être résumée de la manière suivante, à très grands traits :

-           L'article 3146 C.c.Q. énonce que les tribunaux québécois peuvent se saisir de l'action en séparation de corps lorsque l'un des époux a son domicile ou sa résidence au Québec à la date de l'introduction de l'action.

-           En l'espèce, l'intimée, selon ce que révèle la preuve, réside au Québec et y est même désormais domiciliée au sens des articles 76 et 77  C.c.Q., ayant clairement manifesté son intention de faire de ce lieu son principal établissement.

-           Par conséquent, les tribunaux québécois ont compétence sur l'action de l'intimée en séparation de corps, instituée après ce changement de domicile.

-           Il n'y a pas lieu d'appliquer la règle du forum non conveniens et de décliner compétence en vertu de l'article 3135 C.c.Q.

-           L'arrêt de la Cour suprême dans W. (V.) c. S.(D.)[10] permet de confirmer cette conclusion.

* *

[24]        Trois commentaires s'imposent avant d'aborder le fond de l'affaire.

[25]        Tout d'abord, on comprend des mémoires des parties que leur préoccupation centrale se rapporte aux enfants et à leur garde. C'est le cœur véritable du débat qui les oppose.

[26]        Ensuite, il appert que si l'intimée a intenté une action en séparation de corps, c'est parce qu'au moment de s'adresser aux tribunaux québécois, elle ne résidait pas dans la province depuis une année, comme l'exige l'article 3 de la Loi sur le divorce[11], mais seulement depuis quelques mois[12]. Ce choix qu'elle a fait, comme on le verra plus loin, n'est pas ici sans conséquence.

[27]        Enfin, et dans un tout autre ordre d'idées, le litige qui oppose les parties n'est pas régi par la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants[13], qui met en œuvre au Québec la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, convention à laquelle l'Algérie n'est pas partie. Ce sont donc les règles ordinaires du droit international privé québécois qui régissent l'affaire.

* *

[28]        Le débat en appel tourne autour des articles 3142 et 3146 ainsi que des articles 3135 , 3138 et 3140 C.c.Q., qu'il convient de reproduire immédiatement pour la bonne compréhension du litige :

3142.   Les autorités québécoises sont compétentes pour statuer sur la garde d'un enfant pourvu que ce dernier soit domicilié au Québec.

3142.   A Quebec authority has jurisdiction to rule on the custody of a child provided he is domiciled in Quebec.

3146.   Les autorités québécoises sont compétentes pour statuer sur la séparation de corps, lorsque l'un des époux a son domicile ou sa résidence au Québec à la date de l'introduction de l'action.

3146.   A Québec authority has jurisdiction to rule on separation from bed and board when one of the spouses has his domicile or residence in Québec at the time of the institution of the proceedings.

3135.   Bien qu'elle soit compétente pour connaître d'un litige, une autorité du Québec peut, exceptionnellement et à la demande d'une partie, décliner cette compétence si elle estime que les autorités d'un autre État sont mieux à même de trancher le litige.

3135.   Even though a Québec authority has jurisdiction to hear a dispute, it may exceptionally and on an application by a party, decline jurisdiction if it considers that the authorities of another country are in a better position to decide.

3138.   L'autorité québécoise peut ordonner des mesures provisoires ou conservatoires, même si elle n'est pas compétente pour connaître du fond du litige.

3138.   A Québec authority may order provisional or conservatory measures even if it has no jurisdiction over the merits of the dispute.

3140.   En cas d'urgence ou d'inconvénients sérieux, les autorités québécoises sont compétentes pour prendre les mesures qu'elles estiment nécessaires à la protection d'une personne qui se trouve au Québec ou à la protection de ses biens s'ils y sont situés.

3140.   Where a Québec authority has jurisdiction to rule on the principal demand, it also has jurisdiction to rule on an incidental demand or a cross demand.

[29]        Selon l'appelant, la compétence des autorités québécoises sur la garde des enfants des parties serait fonction de l'article 3142 C.c.Q., tel qu'interprété et appliqué par la Cour dans Droit de la famille — 3451[14]. Selon cet arrêt, en cas de déplacement illicite de l'enfant, le domicile de celui-ci, au sens de l'article 3142, est celui qui était le sien avant le déplacement illicite, en l'occurrence l'Algérie. Autrement dit, le déplacement illicite ferait échec au changement de domicile et celui-ci ne pourrait être que le lieu où les enfants étaient domiciliés avant le déplacement en question. Le fait que la garde des enfants soit demandée accessoirement à une instance en séparation de corps dont les tribunaux québécois pourraient valablement se saisir ne saurait changer cette règle, l'appelant soutenant que la question doit dans tous les cas être décidée conformément à l'article 3142 C.c.Q. Seuls les tribunaux algériens seraient donc compétents en l'espèce pour statuer sur la garde des enfants.

[30]        Subsidiairement, à supposer que les autorités québécoises soient compétentes, a priori, en vertu de l'article 3146 C.c.Q., selon une théorie qui ferait de la garde des enfants un accessoire de l'instance en séparation de corps, il y aurait lieu qu'elles déclinent cette compétence conformément à l'article 3135  C.c.Q. et ordonnent en conséquence le retour des enfants en Algérie, comme le leur permettent les articles 3138 ou 3140 C.c.Q.

[31]        De son côté, l'intimée, qui partage l'avis de la juge de première instance, estime que l'article 3142 C.c.Q. ne peut s'appliquer à la présente affaire qui serait régie exclusivement par l'article 3146 C.c.Q. La première de ces dispositions s'appliquerait en effet uniquement lorsque la garde des enfants est le seul sujet de la dispute judiciaire opposant les parties, ce qui n'est pas ici le cas. La seconde s'appliquerait à la demande de garde d'enfants introduite dans le cadre d'une instance en séparation de corps, cette garde étant alors considérée comme un accessoire de l'instance et ne pouvant en être dissociée. En l'espèce, la situation correspond à ce second cas de figure. Le déplacement illicite des enfants n'y changerait rien, et d'autant moins que les enfants se trouvent physiquement au Québec. Conformément à l'article 80 C.c.Q., ils auraient par ailleurs leur domicile chez l'intimée, auprès de laquelle ils résident habituellement et qui a elle-même son domicile et sa résidence au Québec.

[32]        Qu'en est-il?

* *

[33]        Rappelons d'abord qu'il n'y a pas lieu de faire l'économie du débat relatif à la détermination de la règle de compétence applicable, et ce, en faveur d'une recherche immédiate du for qui serait le mieux à même de trancher le litige, selon l'article 3135  C.c.Q. Agir de cette façon serait ignorer la volonté du législateur en neutralisant pratiquement les dispositions régissant la compétence des autorités québécoises. L'article 3135 C.c.Q. est en effet une mesure supplétive. Comme le soulignent le juge Louis LeBel et sa coauteure Geneviève Chabot dans un article récent :

Cependant, le Code civil québécois n'autorise pas la recherche systématique par le juge saisi du tribunal hypothétiquement placé en meilleure position pour trancher le litige. Le Code civil du Québec impose en principe la recherche de facteurs de rattachement déterminés pour établir l'existence de la compétence de ses autorités. […]

[…]

[…] L'établissement de la compétence normale dans le système de droit international privé du Code civil du Québec repose toujours en principe sur la reconnaissance des règles d'attribution de compétence qu'il indique. Le tribunal examine d'abord celles-ci et n'étudie la question du forum non conveniens que si la partie intimée la soulève. […][15].

[34]        En somme, il faut d'abord vérifier l'existence de la compétence, en fonction des règles spécifiques prévues par le législateur. Ce n'est qu'ensuite qu'il conviendra de se demander s'il y a lieu d'exercer cette compétence ou, au contraire, de la décliner en vertu de l'article 3135 C.c.Q.

[35]        Il faudra donc résoudre ici la question de savoir si la compétence des autorités québécoises est régie ici par l'article 3142 ou par l'article 3146 C.c.Q. Il faudra voir aussi ce qu'il en est de l'application de celle de ces dispositions qui devra être appliquée. Advenant que les autorités québécoises soient compétentes, l'on pourra alors considérer la question du forum non conveniens.

* *

 

[36]        Une remarque préliminaire peut être utile avant d'entreprendre la discussion relative aux articles 3142 et 3146 C.c.Q. L'intérêt de l'enfant, qui doit, selon l'article 33  C.c.Q., être considéré en toute circonstance, permet-il de décider laquelle de ces deux dispositions doit s'appliquer à une situation comme celle de l'espèce? Je ne le crois pas. Comme on le verra ci-dessous, les deux thèses en présence ont leurs avantages et leurs inconvénients et l'« intérêt de l'enfant », qui pourrait certes, dans l'abstrait, être un principe interprétatif, ne permet pas, en l'occurrence, de choisir l'une de ces thèses plutôt que l'autre. Par ailleurs, l'intérêt particulier des enfants qui sont ici au cœur du débat n'est pas celui qu'il faut examiner, puisque la compétence des tribunaux québécois ne saurait dépendre des espèces, du moins dans une affaire comme celle-ci, où l'on se demande si la garde des enfants (de manière générale) est régie par l'article 3142 ou par l'article 3146 C.c.Q.

* *

[37]        On peut concéder que les autorités québécoises, en l'occurrence la Cour supérieure, paraissent de prime abord compétentes, selon l'article 3146  C.c.Q., pour statuer sur la séparation de corps des parties, en tant que telle. L'intimée, en effet, résidait au Québec à l'époque de l'institution de l'action, ainsi que le constate la juge de première instance, celle-ci concluant même au changement de domicile.

[38]        Rien dans ce qu'a fait valoir l'appelant ne permet de contester le fait que l'intimée réside au Québec et y résidait à l'époque pertinente, ce qui enclenche, du moins dans un premier temps, l'application de l'article 3146 C.c.Q. Le fait que l'intimée soit en attente d'une décision sur son statut de réfugiée ne peut être considéré comme un obstacle à ce que, dans l'intervalle, elle établisse sa résidence au Québec[16]. Conclure autrement la placerait, judiciairement parlant, dans les limbes, ce qui ne serait pas acceptable.

[39]        La question se pose toutefois de savoir si la compétence de la Cour supérieure sur la séparation de corps s'étend également à la détermination de la garde des enfants des parties, dont l'intimée, dans sa requête introductive d'instance, réclame qu'elle lui soit confiée.

[40]        À la seule lecture des articles 3142 et 3146 C.c.Q., on aurait pu être tenté de répondre à cette question par la négative. L'article 3142 est en effet une disposition qui porte spécifiquement sur la garde des enfants, ce qui n'est pas le cas de l'article 3146, qui parle simplement de la séparation de corps et ne précise pas ce qu'il en est de la demande de garde d'enfants qui pourrait se greffer à l'affaire. Il est vrai qu'une demande de ce genre fait partie de ce que l'on qualifie de « mesures accessoires » à la séparation de corps, conformément à l'article 514 C.c.Q. (sur lequel je reviendrai). Mais l'on pourrait justement penser que si le législateur, qui sait cela, avait voulu que la compétence des tribunaux québécois sur la séparation de corps s'étende à ce type de mesures accessoires, il l'aurait précisé, pour faire en sorte que l'article 3142 C.c.Q. ne s'applique pas. Par exemple, il aurait pu indiquer, à l'article 3142 C.c.Q., que celui-ci s'appliquait sous réserve de l'article 3146 C.c.Q.; il aurait tout aussi bien pu prévoir explicitement, à l'article 3146 C.c.Q., que la compétence des tribunaux s'étend aux mesures accessoires à la séparation. Or, il n'a fait ni l'un ni l'autre : l'article 3146 est muet à ce propos et ne parle que de la séparation de corps; de même, aucune mention ne subordonne expressément l'article 3142 à l'article 3146.

[41]        On aurait donc pu croire - et c'est ce que suggère l'appelant - que l'article 3142 exprime une règle applicable en toutes circonstances, peu importe qu'il existe ou non une instance en séparation de corps. Autrement dit, même si, dans nombre de cas, les articles 3142 et 3146 C.c.Q., malgré des facteurs de rattachement différents (le domicile des enfants dans le premier cas, le domicile ou la résidence d'un parent dans l'autre) convergeront et désigneront le même for, le premier devrait l'emporter lorsque le domicile des enfants ne coïncide pas avec le domicile ou la résidence du parent qui intente par ailleurs l'action en séparation de corps.

[42]        Cette façon de voir les choses aurait trois avantages.

[43]        D'une part, elle ferait en sorte que tous les enfants, peu importe qu'ils soient issus d'un mariage, d'une union civile ou d'une union de fait, seraient assujettis à la même norme (ce qui n'est pas le cas d'une solution fondée sur l'article 3146 C.c.Q., qui ne s'applique pas aux unions de fait). Elle uniformiserait aussi le traitement de la garde des enfants, en ne distinguant pas le cas où cette question se pose de manière incidente à une séparation de corps ou de manière indépendante (je reviendrai brièvement sur ce point).

[44]        D'autre part, elle ferait aussi en sorte d'exclure d'emblée la possibilité que, par le biais d'une action en séparation de corps, les tribunaux québécois, par une extension de leur compétence sur celle-ci, se trouvent à avoir compétence sur la garde d'enfants qui ne sont pas domiciliés au Québec, n'y résident pas ou, même, ne s'y trouvent pas.

[45]        Enfin, et c'est ce que sous-entend l'argumentaire de l'appelant, la primauté de l'article 3142 C.c.Q. sur l'article 3146 C.c.Q. respecterait la volonté d'un législateur qui souhaite décourager le déplacement illicite des enfants, qui ne saurait en principe fonder la compétence d'un tribunal québécois. Car, si, comme l'affirme l'intimée, la compétence des tribunaux québécois sur la séparation de corps s'étend en quelque sorte nécessairement et automatiquement à la question de la garde des enfants, alors, soutient l'appelant, on se trouve à faire fi du déplacement illicite qui s'est produit en l'espèce.

[46]        La Cour, en effet, a déjà eu l'occasion d'écrire qu'un déplacement illicite ne saurait fonder la compétence d'un tribunal québécois en vertu de l'article 3142 C.c.Q. Dans Droit de la famille — 3451[17], le juge Chamberland écrit ce qui suit :

            Le pourvoi soulève essentiellement la question de la compétence de la Cour supérieure de statuer sur la garde d'un enfant dont la fixation du domicile est perturbée par son déplacement récent vers le Québec, sans le consentement de son autre parent.

[…]

            D'aucuns, à l'instar du premier juge, pourraient prétendre qu'au moment où la Cour supérieure est saisie du dossier la résidence habituelle de l'enfant coïncide avec celle de l'intimée puisque celle-ci est maintenant établie à St-J…, qu'elle s'occupe bien de l'enfant et qu'elle n'a clairement pas l'intention de retourner en Ontario. Avec égards pour les tenants de cette position, je ne crois pas qu'il puisse en être ainsi lorsque, comme en l'espèce, la situation actuelle a été créée par le déplacement illicite de l'enfant. En effet, jusqu'à ce que l'intimée décide d'emmener W… au Québec, le 28 janvier 1999, les deux parents en exerçaient conjointement la garde. Le déplacement de l'enfant s'est fait sans le consentement de l'appelant, hors même sa connaissance. Il n'a pas non plus acquiescé à ce déplacement, une fois informé des événements; ses actions le prouvent. Il s'agit donc d'un déplacement illicite, fait en violation du droit de garde de l'appelant.

            S'agissant d'un déplacement illicite, je crois qu'il serait tout à fait inapproprié de tenir compte des faits postérieurs à ce déplacement pour déterminer le lieu de la « résidence habituelle » de l'enfant. Le déplacement illicite d'un enfant ne peut pas fonder un changement légal de domicile. La proposition contraire ne ferait qu'encourager les parents insatisfaits d'une juridiction à prendre la justice entre leurs mains et de changer de juridiction dans l'espoir, conscient ou non, d'y avoir une oreille plus attentive de la part des tribunaux. La Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants vise à décourager ce type de comportement; l'article 3142 C.c.Q. et, par ricochet, le deuxième alinéa de l'article 80 C.c.Q. vont dans le même sens et permettent également aux autorités judiciaires québécoises de décourager ces comportements [renvoi omis], même dans le cas où la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants ne s'applique pas.[18]

[47]        Bref, le déplacement illicite de l'enfant fait obstacle à son changement de domicile ou de résidence habituelle au sens des articles 76 et 80 C.c.Q. et c'est en fonction du domicile antérieur à un tel déplacement que l'on doit appliquer l'article 3142 C.c.Q.

[48]        Cela étant, avance l'appelant, il serait très facile de contourner cette volonté législative, qui s'incarne notamment dans l'article 3142 C.c.Q., si l'on interprétait la compétence dévolue aux tribunaux québécois par l'article 3146 C.c.Q. comme s'étendant à la garde des enfants, et ce, sans égard à leur déplacement illicite. Pour l'appelant, la solution serait donc de faire primer l'article 3142 C.c.Q., qui s'appliquerait dans tous les cas où la garde d'un enfant est en jeu, que la question se pose dans le cadre d'une instance en séparation de corps ou de manière indépendante.

[49]        L'interprétation que propose ainsi l'appelant, on peut en convenir, n'est pas déraisonnable, même si elle comporte certains inconvénients au premier chef desquels la segmentation de ce qui, en réalité, constitue une même instance. Une telle segmentation pourrait signifier que les diverses composantes de cette même instance pourraient relever de fors différents. Cela est certainement peu commode, mais l'inconvénient n'est pas insurmontable.

[50]        Il ne serait pas déraisonnable non plus d'interpréter l'article 3146 C.c.Q. comme attribuant ordinairement aux tribunaux québécois saisis d'une instance en séparation de corps la compétence de statuer sur la garde des enfants, avec une exception toutefois. Lorsque les enfants en cause ont fait l'objet d'un déplacement illicite, celui-ci ferait obstacle à la compétence du tribunal. Car, en effet, adhérer sans réserve à la thèse voulant que la compétence sur l'instance en séparation de corps emporte inéluctablement et en toutes circonstances la compétence sur la garde des enfants, signifie - et c'est bien là ce que veut l'intimée - qu'il ne serait aucunement tenu compte du déplacement illicite des enfants. Or, cette solution, au regard des principes qu'exprime le juge Chamberland dans le passage précité, ne paraît pas entièrement convaincante. Si elle doit s'imposer, ne peut-on craindre que, justement, elle encourage « les parents insatisfaits d'une juridiction à prendre la justice entre leurs mains et de changer de juridiction dans l'espoir, conscient ou non, d'y avoir une oreille plus attentive de la part des tribunaux »[19]? Reconnaître que le déplacement illicite des enfants fait obstacle à la compétence qu'aurait ordinairement le tribunal accessoirement à sa compétence sur la séparation serait donc un compromis interprétatif envisageable.

[51]        Une telle interprétation, cependant, qui rapprocherait l'interprétation de l'article 3146 C.c.Q. des règles adoptées par le législateur dans la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, aurait cependant le défaut de n'en pas comporter les exceptions. Cela serait fâcheux puisque certains déplacements illicites n'ont en effet pas à être sanctionnés. Évidemment, l'on pourrait toujours, de manière prétorienne, intégrer des exceptions analogues au régime d'exception de l'article 3146, de manière à ce qu'il soit interprété comme suit : en principe, la compétence sur la séparation de corps s'étend à la garde des enfants, sauf en cas de déplacement illicite de ces derniers, à moins que ne puisse jouer alors une exception modelée sur celles que l'on trouve dans la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants. À mon avis, cependant, cette manière d'interpréter la disposition, même si elle reflète un objectif louable, va trop loin. Sans doute le législateur ne s'exprime-t-il pas toujours en termes exprès, d'où la nécessité de reconnaître l'implicite et de le rendre visible, mais l'on dépasse ici les limites d'un exercice qui, même s'il doit être souple et généreux, n'a plus guère de rapport avec le texte de la disposition. Or, ce texte demeure tout de même le fondement de l'exercice interprétatif. Elle a en outre le désavantage de n'offrir aucune certitude au justiciable. Enfin, elle introduit dans la construction de l'article 3146 des considérations qui se rapprochent de celles des articles 3136 et 3140 C.c.Q. (ou même 3135), ce qui n'est pas opportun.

[52]        À la réflexion, je conclus donc que ces deux interprétations (c'est-à-dire : soit la primauté de l'article 3142 C.c.Q. dans tous les cas de garde d'enfants, soit l'exception à la compétence accessoire issue de l'article 3146 C.c.Q. dans les cas de déplacement illicite des enfants), même si elles ne sont pas déraisonnables, ne sont pas celles qu'il faut retenir. Je m'explique.

[53]        L'idée que la compétence des autorités québécoises sur la séparation de corps implique accessoirement la compétence sur la garde des enfants repose manifestement sur un objectif d'efficacité et de juste économie des ressources judiciaires, de même que sur un souci d'éviter la multiplication des procédures - et des fors - entre parties impliquées dans ce qui est, en définitive, un seul et même litige. L'on s'accorde ainsi à la logique juridique afférente à une telle séparation et à ses effets. Car, lorsque des enfants (encore mineurs) sont issus du mariage des parties, l'instance en séparation de corps requiert une décision sur la garde de ces enfants et la pension alimentaire qui peut leur être due (tout comme elle requiert une décision sur le patrimoine familial[20], le régime matrimonial[21] ou l'obligation alimentaire entre époux[22]). C'est ce que prescrit expressément l'article 514 C.c.Q.[23], que j'ai déjà évoqué (voir supra, paragr. [40]) :

514.     Au moment où il prononce la séparation de corps ou postérieurement, le tribunal statue sur la garde, l'entretien et l'éducation des enfants, dans l'intérêt de ceux-ci et le respect de leurs droits, en tenant compte, s'il y a lieu, des accords conclus entre les époux.

514.     The court, in granting separation from bed and board or subsequently, decides as to the custody, maintenance and education of the children, in their interest and in the respect of their rights, taking into account the agreements made between the spouses, where such is the case.

[54]        Par ailleurs, cette manière d'interpréter l'article 3146 C.c.Q. va également dans le sens de l'article 3139 C.c.Q., qui énonce une règle générale en faveur d'un forum unique, règle à laquelle il n'y a pas de raison de déroger dans le cas des instances en séparation de corps[24]. L'article 3139, qui fait partie des dispositions générales coiffant le titre troisième du livre dixième du Code civil du Québec, énonce que :

3139.   L'autorité québécoise, compétente pour la demande principale, est aussi compétente pour la demande incidente ou reconventionnelle.

3139.   Where a Québec authority has jurisdiction to rule on the principal demand, it also has jurisdiction to rule on an incidental demand or a cross demand.

[55]        L'on doit avoir le souci d'interpréter les dispositions législatives d'une même loi ou, comme en l'espèce, d'un même titre du Code civil du Québec, d'une manière cohérente et en tenant compte de toutes et chacune[25]. Ceci, en l'occurrence, tend à indiquer que la compétence dévolue aux tribunaux par l'article 3146 C.c.Q. doit, en vertu du principe général que consacre l'article 3139 C.c.Q., s'étendre aux accessoires de la séparation de corps, c'est-à-dire aux demandes qui lui sont incidentes et intimement liées, comme c'est le cas de la demande de garde d'enfants.

[56]        Il est exact de dire que l'article 3139 C.c.Q. doit être interprété de manière restrictive, ainsi que l'explique la Cour suprême dans l'arrêt GreCon Dimter[26] :

29                L’article 3139 C.c.Q. étend essentiellement la compétence de l’autorité québécoise, compétente pour la demande principale, à la demande incidente ou reconventionnelle.  Cette disposition prévoit donc une exception au principe que la compétence du tribunal québécois se détermine pour chaque demande en particulier : Talpis et Castel, p. 905.  Elle élargit aussi considérablement la portée potentielle de la compétence des autorités québécoises, puisqu’elle est susceptible de s’appliquer à une multitude de demandes incidentes sans aucun lien avec le Québec : Goldstein et Groffier, p. 337.  Cette portée élargie suggère une interprétation restrictive de l’art. 3139 C.c.Q. afin de ne pas étendre indirectement la compétence internationale des autorités québécoises au mépris des dispositions spécifiques portant sur la définition des compétences de ces dernières et des principes généraux qui les sous-tendent : Talpis et Castel, p. 906; Goldstein et Groffier, p. 339.

30                Une telle interprétation ne contredit pas les principes mis en œuvre par l’art. 3139 C.c.Q., mais respecte la hiérarchie des normes établies par le Code civil en cette matière.  Cette disposition vise en effet l’économie des ressources judiciaires et l’efficacité de l’administration de la justice en favorisant la réunion d’instances : Birdsall inc. c. In Any Event inc., [1999] R.J.Q. 1344 (C.A.);  J. A. Talpis, If I am from Grand-Mère, Why Am I Being Sued in Texas?  Responding to Inappropriate Foreign Jurisdiction in Quebec-United States Crossborder Litigation (2001), p. 37.  Ces principes relèvent de considérations procédurales d’ordre interne, semblables à celles de l’art. 71 du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25 (“C.p.c.”), et qui doivent être évaluées dans un contexte de droit international privé où d’autres impératifs prévalent, telles l’autonomie de la volonté, la sécurité juridique des transactions internationales et la nécessité de ne pas étendre indûment la compétence des États.

31                Même si l’art. 3139 C.c.Q. ne mentionne pas expressément ce facteur, il doit exister un élément de connexité entre les actions principale et incidente.  Le critère de connexité provient de la jurisprudence établie sous le régime de l’art. 71 C.p.c.  On sait que cette disposition s’appliquait en droit international privé avant la réforme du Code civil et imposait la jonction des demandes principale et incidente, pourvu qu’un lien de connexité existe entre celles-ci : Goldstein et Groffier, p. 336; Commentaires du ministre de la Justice, p. 2002.  La jurisprudence appliquant l’art. 3139 C.c.Q. centre généralement son analyse sur la détermination de l’existence du lien de connexité dans les actions en garantie : Crestar Ltd. c. Canadian National Railway Co., p. 1200; Guns N’Roses Missouri Storm inc. c. Productions musicales Donald K. Donald inc., [1994] R.J.Q. 1183 (C.A.), p. 1187.  La nécessité de porter attention au critère de connexité constitue une indication supplémentaire de la portée limitée de l’art. 3139 C.c.Q. En effet, cette disposition laisse, comme dans le cas de l’art.  222 C.p.c., un pouvoir discrétionnaire au juge qui peut décider de dissocier le recours principal du recours en garantie.

[Je souligne.]

[57]        En l'espèce, cependant, la condition de la connexité sur laquelle insiste ce passage est remplie, l'obligation pour le tribunal de statuer sur la garde des enfants découlant de la loi (art. 514 C.c.Q.), qui établit ainsi le caractère incident d'une demande qui, par sa nature même, est liée au réaménagement des arrangements familiaux consécutifs à une séparation. Il paraît donc naturel d'interpréter l'article 3146  C.c.Q. dans un sens qui concorde avec l'article 3139 C.c.Q. et de conclure que la compétence sur l'instance en séparation de corps s'étend à cet accessoire indissociable qu'est la garde des enfants. On pourrait difficilement nier l'opportunité, en principe, de faire en sorte que cette question (comme les autres mesures accessoires) soit décidée par le tribunal qui doit statuer sur la séparation de corps.

[58]        C'est d'ailleurs l'avis qu'on retrouve dans les commentaires du ministre de la Justice sur le Code civil du Québec, à propos de l'article 3146 :

Cet article, de droit nouveau, ajoute à la compétence fondée sur le domicile, déjà prévue par l'article 3141, celle fondée sur la résidence.

L'autorité saisie de l'action principale a également compétence sur les mesures accessoires telles la dissolution du régime matrimonial, l'obligation alimentaire et la garde des enfants.

L'article retient l'idée que la séparation de corps est un moyen destiné à organiser les rapports d'un ménage désuni; aussi, paraît-il normal que des époux qui résident au Québec puissent s'adresser aux autorités québécoises, même s'ils n'y ont pas établi leur domicile.[27]

[Je souligne.]

[59]        C'est également ce qu'écrit le professeur Glenn :

85.       […] L'autorité saisie de l'action principale [en séparation de corps] aura également compétence sur les mesures accessoires telles la dissolution du régime matrimonial, l'obligation alimentaire et la garde des enfants.[28]

[60]        Le professeur Emanuelli adopte le même point de vue :

182.     En matière de séparation de corps, l'article 3146 prévoit la compétence des autorités québécoises lorsque l'un des époux est domicilié ou réside au Québec au moment de l'introduction de l'action. […] Les autorités québécoises compétentes pour connaître de l'action principale en séparation seront également compétentes pour adopter des mesures accessoires en matière d'aliments ou de garde. […][29]

[Renvois omis.]

[61]        Parallèlement, le ministre explique que l'article 3142 C.c.Q. ne vise que les demandes de garde d'enfants présentées en dehors du cadre d'une instance en séparation[30]. Il écrit là-dessus que :

Cet article, de droit nouveau, s'inspire de la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants de La Haye qui a été mise en œuvre au Québec par le chapitre A-23.01 des Lois refondues. Il établit une concordance, en ce qui concerne la compétence juridictionnelle, avec l'article 3093 relatif à la loi applicable à la garde. Il ne vise que les demandes de garde indépendantes des actions en séparation de corps ou en divorce.

[…][31]

[Je souligne.]

[62]        Le professeur Glenn opine dans le même sens :

81.       […] L'article 3142 ne vise, cependant, que les demandes de garde indépendantes des actions en séparation de corps ou en divorce.[32]

[Je souligne.]

[63]        On peut noter que les professeurs Castel et Talpis[33] de même que Goldstein et Groffier ont exprimé quelques doutes sur la question de savoir si la garde des enfants peut être considérée comme un accessoire ou un incident de la séparation de corps au sens de l'article 3146  C.c.Q.[34]. L'on peut voir en effet une difficulté dans le fait que si la compétence reconnue par cette disposition s'étend à la garde des enfants, il se pourrait techniquement que le tribunal ait compétence sur la garde d'enfants qui ne résideraient pas avec le parent demandeur, mais avec l'autre, dans un état étranger ou qui ne seraient pas domiciliés ici quoiqu'ils puissent s'y trouver physiquement (ce qui, on le verra plus tard, est le cas en l'espèce). Cela dit, le tribunal pourrait en pareil cas user de l'article 3135  C.c.Q. pour décliner compétence sur la question de la garde.

[64]        La jurisprudence sur le sujet des articles 3142 et 3146 C.c.Q. n'est pas très abondante, mais la tendance, en Cour supérieure, va dans le sens des propos du ministre, encore que de façon parfois implicite : la demande de garde indépendante, qui se fait hors du contexte de l'action en séparation, est réglée par l'article 3142  C.c.Q., tandis que la demande formulée dans le cadre d'une telle action l'est par l'article 3146  C.c.Q.[35]. Le point de vue n'est pas unanime (encore que les discussions à ce sujet soient rares)[36], mais il paraît dominer. Il a du reste été avalisé dans Droit de la famille — 3507[37], paragr. 15, où, parlant des articles 3093 et 3142  C.c.Q., notre cour écrit en obiter (et sans discussion autre qu'un renvoi aux commentaires du ministre et aux écrits du professeur Glenn) que « [c]es articles[38] […] visent les demandes de garde indépendantes des actions en séparation de corps ou en divorce ». La chose est sans doute encore discutable en ce qui concerne l'article 3093  C.c.Q., mais l'affaire paraît entendue en ce qui concerne l'article 3142 C.c.Q.

[65]        Finalement, il faut noter aussi que la jonction de la compétence principale sur la séparation de corps et de la compétence accessoire sur la garde des enfants (ou les autres mesures accessoires) fait écho à la situation qui existe en matière de divorce[39] (voir notamment les articles 3 et 4 de la Loi sur le divorce), étant entendu que le tribunal peut déférer la question de la garde au tribunal d'une autre province, à certaines conditions (art. 6, la situation s'apparentant à une sorte d'exception de forum non conveniens, encore que de façon limitée[40]). Le législateur québécois n'ayant pas légiféré dans un vacuum, on peut en inférer que, pour des raisons de cohérence juridictionnelle, il avait l'intention de suivre le modèle de la Loi sur le divorce, ne serait-ce que pour éviter la fragmentation de ce qui constitue, ainsi que je l'indiquais plus haut, une même instance (voir supra, paragr. [49]).

[66]        Bref, pour toutes ces raisons, je suis d'avis que l'article 3146 C.c.Q., implicitement mais nécessairement, confère aux tribunaux québécois, dans la foulée de leur compétence sur la séparation de corps (dont le facteur de rattachement est le domicile ou la résidence de l'un des époux), une compétence sur la garde des enfants. Cela signifie que, dans les cas où les articles 3142 et 3146 ne désignent pas un même for, la compétence des autorités québécoises sur la garde peut découler de l'article 3146 seulement.

[67]        Cette interprétation, qui a l'atout de la simplicité, n'est pas sans soulever quelques difficultés, on l'a vu : ainsi, elle pourrait avoir pour effet d'étendre la compétence québécoise à des enfants qui ne seraient pas domiciliés au Québec et qui n'y résideraient pas ou, même, pourraient ne pas s'y trouver; par ailleurs, elle occulte la question du déplacement illicite des enfants. Je crois cependant que ces problèmes, qui sont réels, doivent se résoudre par le recours à la théorie du forum non conveniens, que consacre l'article 3135 C.c.Q.

[68]        Il faut d'ailleurs aborder maintenant cette question, que l'appelant a expressément plaidée.

* *

[69]        La juge de première instance a disposé en ces termes de l'argument lié au forum non conveniens :

[24]      Ainsi, Monsieur plaide que dans ces circonstances, même si les tribunaux québécois ont compétence, ils devraient décliner compétence. Selon lui, les autorités algériennes sont mieux à même de trancher le litige. Il invoque l'article 3135  C.c.Q. :

3135. Bien qu'elle soit compétente pour connaître d'un litige, une autorité du Québec peut, exceptionnellement et à la demande d'une partie, décliner cette compétence si elle estime que les autorités d'un autre État sont mieux à même de trancher le litige.

[Soulignements du Tribunal]

[25]      Le Tribunal rejette cette proposition. Les tribunaux québécois sont en mesure de trancher les questions soulevées par le présent litige.

[26]      Il est vrai que Madame n'a pas tenté de s'adresser aux tribunaux algériens. Elle a fui. Elle affirme qu'elle ne voyait aucun espoir pour elle et ses enfants dans ce pays. Elle rapporte que Monsieur menaçait toujours de la mettre à la rue et lui répétait qu'elle n'était rien sans lui. Il est vrai aussi que Madame, Monsieur et les enfants sont nés et ont vécu en Algérie jusqu'au départ non autorisé de Madame.

[27]      Le Tribunal ne peut en conclure pour autant que les tribunaux algériens sont en meilleure position que les tribunaux québécois pour connaître du litige.

[70]        Soit dit très respectueusement, je me permets de ne pas partager ce point de vue.

[71]        L'article 3135 C.c.Q., que je reproduis de nouveau par commodité, dispose que :

3135.   Bien qu'elle soit compétente pour connaître d'un litige, une autorité du Québec peut, exceptionnellement et à la demande d'une partie, décliner cette compétence si elle estime que les autorités d'un autre État sont mieux à même de trancher le litige.

3135.   Even though a Québec authority has jurisdiction to hear a dispute, it may exceptionally and on an application by a party, decline jurisdiction if it considers that the authorities of another country are in a better position to decide.

[72]        On connaît les règles et critères qui président à l'exercice par le tribunal du pouvoir exceptionnel et discrétionnaire que lui confère cette disposition : ils ont été exposés dans l'arrêt Oppenheim Forfait GmbH c. Lexus Maritime inc.[41] et avalisés par la Cour suprême dans Spar Aerospace ltée c. American Mobile Satellite[42]. Il n'est d'ailleurs pas inutile de citer ici les commentaires du juge LeBel, au nom de la Cour, qui montrent bien la perspective dans laquelle doit être considéré l'article 3135  C.c.Q. :

69                Sous réserve de l’obligation pour la partie qui invoque la doctrine de présenter une demande de rejet d’action, deux éléments essentiels ressortent du texte de l’art. 3135 : sa nature exceptionnelle et l’exigence qu’un autre État soit mieux à même de trancher le litige  (voir E. Groffier, La réforme du droit international privé québécois : supplément au Précis de droit international privé québécois (1993), p. 130).

70                Ces deux caractéristiques de la doctrine du forum non conveniens, énoncées à l’art. 3135, sont conformes à l’exigence de common law énoncée par la Chambre des lords dans l’arrêt de principe Spiliada Maritime Corp. c. Cansulex Ltd., [1987] 1 A.C. 460, p. 476, et par notre Cour dans les arrêts Amchem, précité, p. 919-921, et Holt Cargo, précité, par. 89.  Dans l’arrêt Holt Cargo, notre Cour a interprété l’art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, lequel comporte essentiellement les deux mêmes exigences. Voici le texte :

50. (1)  La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a)  au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b)  lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

En l’espèce, je reconnais, comme l’intimée, que la juge des requêtes n’a pas commis d’erreur en concluant qu’aucune autre juridiction n’était manifestement plus appropriée que le Québec et que l’exercice exceptionnel de ce pouvoir n’était pas justifié.

71                S’agissant de la première exigence, de nombreuses décisions ont établi les critères pertinents dont il faut tenir compte pour décider si les autorités d’un autre État doivent être mieux à même de trancher le litige.  La juge des requêtes (au par. 18) s’est reportée aux dix critères que la Cour d’appel du Québec a énumérés récemment dans l’arrêt  Lexus Maritime inc. c. Oppenheim Forfait GmbH, [1998] A.Q. no 2059 (QL), par. 18, dont aucun n’est déterminant en soi :

1)     le lieu de résidence des parties et des témoins ordinaires et experts;

2)     la situation des éléments de preuve; 

3)     le lieu de formation et d’exécution du contrat;

4)     l’existence d’une autre action intentée à l’étranger;

5)     la situation des biens appartenant au défendeur;

6)     la loi applicable au litige;

7)     l’avantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi;

8)     l’intérêt de la justice;

9)     l’intérêt des deux parties;

10)    la nécessité éventuelle d’une procédure en exemplification à l’étranger.

[…]

75                Les appelantes Motient et Viacom prétendent néanmoins qu’il n’est pas opportun que les tribunaux appliquent un raisonnement qui oblige le requérant à établir l’existence du « tribunal le plus approprié », puisque de cette manière il est pratiquement impossible de modifier le ressort choisi par le demandeur.  Je ne peux admettre la prémisse de l’argument des appelantes.  Aux pages 911-912 de l’arrêt Amchem, précité, le juge Sopinka a admis qu’en matière de commerce international, il arrive souvent que plusieurs tribunaux soient également commodes ou appropriés pour connaître de l’action, sans qu’aucun ne se démarque avantageusement.  Il a semblé admettre, à la p. 931, qu’il existe alors une présomption en faveur du tribunal choisi par le demandeur, qui l’emporte par défaut si aucun autre tribunal n’est nettement préférable.

76                La jurisprudence québécoise récente confirme cette analyse.  Dans l’arrêt Lexus Maritime, précité, par. 19, la Cour d’appel du Québec a conclu que :      « … s’il ne se dégage pas une impression nette tendant vers un seul et même forum étranger, le tribunal devrait alors refuser de décliner compétence particulièrement lorsque les facteurs de rattachement sont contestables » (notes en bas de page omises) (cité dans Matrox Graphics Inc. c. Ingram Micro Inc., C.S. Montréal, no 500-05-066637-016, 28 novembre 2001, AZ-50116899, J.E. 2002-688, par. 23, la juge Morneau; Consortium de la nutrition ltée c. Aliments Parmalat inc., [2001] J.Q. no 104 (QL) (C.S.), par. 18, le juge Tessier; et Encaissement de chèque Montréal ltée c. Softwise inc., [1999] J.Q. no 200 (QL) (C.S.), le juge Grenier, par. 34).

77                Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que dans l’application de l’art. 3135, le pouvoir discrétionnaire de refuser de connaître de l’action selon le forum non conveniens ne doit être exercé par le juge des requêtes ou du procès que de manière exceptionnelle.  Ce caractère exceptionnel se retrouve dans le libellé de l’art. 3135 et ressort également de la jurisprudence.  Notamment dans Amchem, précité, p. 931, le juge Sopinka a souligné que la première étape du critère applicable à une demande d’injonction contre les poursuites énoncé dans SNI Aérospatiale c. Lee Kui Jak, [1987] 3 All E.R. 510 (C.P.), qui consiste à se demander si le tribunal interne est le tribunal logique, doit être modifié lorsque le tribunal est saisi d’une demande de suspension fondée sur le motif du forum non conveniens :

Selon ce critère, [le critère du forum non conveniens] le tribunal doit décider si un autre tribunal est nettement plus approprié.  Cette modification a pour effet dans les cas de demande de suspension que lorsque aucun tribunal n’est le plus approprié, le tribunal interne l’emporte ipso facto et refuse la suspension, à la condition d’être un tribunal approprié.  [Je souligne.]

78                Le raisonnement du juge Sopinka est compatible avec l’analyse des tribunaux du Québec dans l’affaire Lamborghini (Canada) Inc. c. Automobili Lamborghini S.P.A., [1997] R.J.Q. 58 , p. 67-68, où la Cour d’appel a décrit la nature de l’art. 3135 :

L’article  3135 C.C.Q. n’établit pas une règle souveraine de discrétion judiciaire, celle-ci demeurant subordonnée aux règles de compétence fixées par la loi et accessoire à celle-ci.

Cependant, le mécanisme mis sur pied établi par l’article 3135 reste souple.  Il n’énumère pas spécifiquement des facteurs immuables ou limitatifs, mais laisse le tribunal juger les circonstances. S’il conclut que le défendeur a établi clairement que l’ensemble des circonstances de l’affaire permettent de conclure qu’une cour étrangère ou celle d’une autre province constitue un forum mieux approprié, il pourra arrêter la poursuite au Québec en décidant qu’elle doit être plutôt engagée ou continuée à l’extérieur du ressort territorial des tribunaux québécois.  L’application de l’article  3135 C.C.Q. suppose que le défendeur a été correctement assigné devant le for québécois.  Une fois ceci fait, il lui laisse une occasion de se soustraire à cette compétence en quelque sorte naturelle, établie selon les facteurs de rattachement légaux, pour réclamer le renvoi devant un tribunal extérieur, s’il peut démontrer la plus grande convenance de celui-ci.  Elle ne permet toutefois pas la création d’une compétence qui n’existerait pas autrement, mais plutôt des restrictions ponctuelles à la compétence résultant de l’application des facteurs de rattachement reconnus par la loi.

(Cité également dans la décision Barré c. J.J. MacKay Canada ltée, C.S. Longueuil, no 505-17-000355-984, 28 septembre 1998, J.E. 99-27, p. 6.)

79                La doctrine est aussi d’avis que la règle du forum non conveniens ne doit s’appliquer que de manière exceptionnelle.  Dans « Interprétation des règles du droit international privé », loc. cit., les professeurs Talpis et Castel font remarquer à la p. 902 :

Il faut partir du principe que le choix du tribunal par le demandeur ne doit être écarté qu’exceptionnellement, lorsque le défendeur serait exposé à subir une injustice sévère à la suite de ce choix.  Le tribunal québécois doit s’efforcer de rechercher un équilibre entre les avantages et les inconvénients pour les parties qui résultent du choix fait par le demandeur du tribunal québécois.  Ce n’est que si cet équilibre est rompu en faveur du tribunal étranger qu’il doit décliner sa compétence.  [Je souligne.] 

80                En l’espèce, comme je ne trouve aucune erreur de la part de la juge des requêtes, je ne vois donc aucune raison d’intervenir dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Comme le juge Binnie l’a fait observer dans l’arrêt Holt Cargo, précité, par. 98 :

En résumé, le juge de première instance a tenu compte des facteurs pertinents pour conclure que la Cour fédérale était le tribunal compétent pour régler la réclamation de l’intimée. Il n’a commis aucune erreur de principe et n’a pas refusé « de tenir compte d’un élément prépondérant en l’espèce » : Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561 , p. 588; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 , p. 77.  En l’absence d’erreur, nous n’avons pas le droit d’intervenir dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Voir également Sam Lévy & Associés Inc. c. Azco Mining Inc., [2001] 3 R.C.S. 978 , 2001 CSC 92 , par. 58, et Lexus Maritime, précité, par. 16, où la Cour d’appel du Québec a fait remarquer : « . . . le tribunal de première instance possède une large discrétion ».

81                J’insiste sur la nature exceptionnelle de la doctrine du forum non conveniens. Comme les auteurs J. A. Talpis et S. L. Kath l’ont indiqué dans leur article intitulé « The Exceptional as Commonplace in Quebec Forum Non Conveniens Law : Cambior, a Case in Point » (2000), 34 R.J.T. 761, en n’accordant aucune considération à l’exigence du « caractère exceptionnel », les tribunaux peuvent involontairement créer de l’incertitude et de l’inefficacité dans les affaires où des questions de droit international privé se posent, entraînant du coup des frais plus élevés pour les parties.  À mon avis, une telle incertitude pourrait gravement compromettre les principes de courtoisie, d’ordre et d’équité, principes mêmes dont les règles du droit international privé sont supposées favoriser la mise en œuvre.

82                Vu la nature exceptionnelle de la doctrine qui ressort du libellé de l’art.  3135 C.c.Q., et compte tenu que les décisions discrétionnaires ne sont pas facilement modifiées, j’estime que les appelantes n’ont pas établi les conditions qui auraient pu forcer la Cour supérieure du Québec à décliner sa compétence en raison du forum non conveniens.

[73]        L'article 3135 C.c.Q. est donc d'usage exceptionnel et discrétionnaire; il autorise l'autorité québécoise à décliner compétence dans le seul cas où 1° il ressort clairement de l'application des dix critères développés dans l'arrêt Lexus Maritime qu'un autre tribunal est nettement mieux à même de trancher le litige et 2° le caractère exceptionnel de la situation milite également en ce sens. Ces deux conditions sont cumulatives - voir à ce propos l'étude que fait la Cour dans Stormbreaker Marketing and Productions Inc. c. Weinstock[43]. L'on constate donc que la voie du forum non conveniens, mesure dérogatoire à la compétence ordinaire des autorités québécoises, est étroite. J'estime cependant qu'en l'espèce, il y a lieu de l'emprunter et de conclure que les tribunaux québécois doivent décliner compétence en faveur des tribunaux algériens. L'examen des critères désigne nettement ce seul et même forum étranger, la situation étant par ailleurs exceptionnelle.

 

[74]        Reprenons d'abord les critères en question :

1)         le lieu de résidence des parties et des témoins ordinaires et experts;

2)         la situation des éléments de preuve;

3)         le lieu de formation et d'exécution du contrat qui donne lieu à la demande;

4)         l'existence et le contenu d'une autre action intentée à l'étranger et le progrès déjà effectué dans la poursuite de cette action;

5)         la situation des biens appartenant au défendeur;

6)         la loi applicable au litige;

7)         l'avantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi;

8)         l'intérêt de la justice;

9)         l'intérêt des deux parties;

10)      nécessité éventuelle d'une procédure en exemplification à l'étranger.

[75]        Ces critères, dont la liste est assez complète sans être exhaustive, sont applicables aux affaires familiales, comme l'a déjà décidé la Cour dans G.M. c. MA.F.[44], mais nécessitent quelques adaptations, bien sûr, les litiges de cette nature se distinguant des litiges commerciaux dont il était question dans Lexus Martime ou Spar Aerospace. C'est ce qui ressort d'ailleurs de l'arrêt de la Cour dans M.I.B. c. M.-P.L.[45]. Il en va ainsi particulièrement des critères 3 (« lieu de formation et d'exécution du contrat »), 5 (« situation des biens appartenant au défendeur ») et 9 (« intérêt des deux parties »). Quant à ce dernier critère, on peut immédiatement souligner que s'y ajoute la question de l'intérêt des enfants, qui doit assurément être considéré. C'est un critère que la Cour a déjà reconnu lorsque le problème de la garde surgit dans le contexte d'une instance en divorce impliquant conflit de fors[46] et, à mon avis, il n'y a pas lieu de décider autrement lorsqu'elle se pose, comme ici, dans le contexte d'une instance en séparation de corps.

 

[76]        Il va de soi par ailleurs que l'examen de ces critères repose sur le constat préliminaire que le tribunal étranger, dont on allègue qu'il serait le forum le plus approprié, est lui-même compétent sur le litige en vertu des règles qui le régissent (on verra à ce propos l'arrêt M.I.B. c. M.-P.L.[47], paragr. 36 à 39).

[77]        Qu'en est-il ici?

[78]        Rappelons d'abord que, ainsi que l'écrit le professeur Goldstein, « [l]'objectif fondamental que reflète la nature de tous ces facteurs consiste à favoriser une bonne administration de la justice au plan procédural, sans toucher la justice de fond »[48], ajoutant : « c'est donc aussi dans cette perspective procédurale que l'on doit envisager tous les critères énumérés plus haut »[49].

[79]        Ensuite, sous réserve de ce que j'indiquerai plus loin à propos de l'inexistence de l'institution de la séparation de corps en droit algérien, constatons que les tribunaux algériens auraient compétence sur toute affaire matrimoniale entre les parties, incluant la garde des enfants. Cela n'est pas contesté.

[80]        Par ailleurs, quant au lieu de résidence des parties et de leurs témoins, si ce n'est de l'intimée elle-même, tous résident en Algérie, là où s'est déroulée la vie conjugale et familiale jusqu'en décembre 2010. L'intimée, qui invoque certains mauvais traitements auxquels des tiers ont été mêlés, voudra peut-être faire témoigner ceux-ci ou faire témoigner ses propres parents. Ces personnes sont en Algérie. Même chose du côté de l'appelant, qui est lui-même domicilié en Algérie tout comme les témoins qu'il voudrait faire entendre. L'intimée a un frère au Québec, mais rien dans le dossier n'indique que celui-ci aurait été témoin de faits qu'il puisse rapporter au tribunal et qui soient pertinents au litige, c'est-à-dire à la séparation ou à la garde des enfants. Ce qui paraît sûr est que si les parties, qui elles-mêmes résident d'un côté et de l'autre de l'Atlantique, veulent faire entendre des témoins, ceux-ci seront en Algérie.

[81]        Les nouvelles techniques de communication permettent-elles de pallier cet éloignement?

[82]        Le juge Riordan soulignait récemment, dans Droit de la famille -  114039[50], que « grâce à la technologie moderne, l'éloignement des témoins ne crée aucun obstacle pour nos tribunaux, qui acceptent l'administration de la preuve par internet et visioconférence » (c'est d'ailleurs par téléphone qu'a témoigné l'appelant en l'instance). Cela est vrai. Toutefois, ce mode de témoignage n'est pas l'idéal quand il s'agit d'apprécier la crédibilité des parties, surtout dans un dossier comme celui-ci, où elle est de toute première importance. Le téléphone, en particulier, a des faiblesses notoires pour toutes sortes de raisons qu'il n'est pas nécessaire d'expliquer[51]. Et puis, si l'on doit recourir à la technologie des communications à distance que sont l'Internet (même en usant du logiciel « Skype ») ou la visioconférence, encore faut-il que l'on soit équipé pour le faire de l'autre côté, ce qui n'est nullement démontré en l'espèce et pourrait créer des difficultés dont nous n'avons aucune idée.

[83]        De même, s'il est des éléments de preuve documentaire ou matérielle, c'est en Algérie qu'ils se trouvent et, dans le cas des premiers, ils nécessiteraient une traduction pour pouvoir être produits et compris des tribunaux québécois.

[84]        Quant « au lieu de formation et d'exécution du contrat », adaptant l'exigence aux circonstances, je dirai simplement que la preuve révèle ce qui suit, sans contestation du reste : le mariage a été contracté en Algérie, où les parties et leurs enfants sont nés et ont toujours vécu jusqu'à ce que l'intimée, sans prévenir l'appelant, déménage au Canada et y déplace illicitement les enfants. Sur ce dernier point, la situation tranche nettement avec celle des parties dans G.M. c. M.A.F.[52]. Dans cette affaire (qui concerne un divorce), la mère s'était établie au Québec (d'où elle était originaire) avec les enfants (nés au Québec), et ce, avec le consentement du père. Elle tranche également avec la situation sur laquelle se penchait la Cour suprême dans W. (V.) c. S. (D.)[53], où il ne s'agissait pas d'un déplacement illicite de l'enfant, dont le père, déménagé au Québec, avait la garde en vertu d'un jugement américain (cet arrêt de la Cour suprême concerne par ailleurs des règles antérieures à l'entrée en vigueur du Code civil du Québec).

[85]        Malgré certaines ressemblances, l'espèce se distingue aussi de celle qui était en cause dans Droit de la famille - 2223[54]. Dans cette affaire, la mère, québécoise d'origine qui désire se réétablir au Québec (elle résidait auparavant au Pérou, pays qui n'adhère pas à la Convention de la Haye sur l'enlèvement international d'enfants), la mère, donc, craignant le refus, la confrontation et la violence du père, revient ici à l'insu de ce dernier, avec les enfants. Elle y intente une action en séparation de corps et demande la garde des enfants. Le père demande de son côté à la Cour supérieure de décliner compétence. Comme en l'espèce, le juge conclut que Madame est désormais domiciliée au Québec, que les enfants, qui résident avec elle, le sont également et qu'en conséquence, les tribunaux québécois ont compétence sur l'action en séparation de corps et la garde des enfants. Le juge examine ensuite l'article 3135 C.c.Q. et conclut au rejet de l'exception déclinatoire, en insistant sur le fait que les parties se sont mariées au Québec et y ont signé leur contrat de mariage; il souligne aussi que leurs enfants, citoyennes canadiennes et détentrices d'un passeport canadien, sont nées au Québec et y ont vécu pendant quelques années après leur naissance avant de déménager au Pérou, d'où la mère les avait ramenées. Ce n'est pas le cas dans le présent dossier.

[86]        Enfin, a contrario, on peut citer aussi le jugement de la Cour supérieure dans Droit de la famille - 114039[55]. Le juge refuse de décliner compétence sur l'action en divorce intentée par le père, qui demande également la garde des enfants, alors que c'est la mère qui a déplacé les enfants illicitement au Rwanda. Dans cette affaire, les enfants, nés au Québec alors que leurs parents s'y étaient établis, y avaient vécu pendant plus d'une dizaine d'années avant leur déplacement illicite au Rwanda. Comme on le voit, la situation est bien différente ici, alors que les parties et leurs enfants n'avaient aucun rapport avec le Canada ou le Québec avant décembre 2010 et n'y étaient même jamais venus.

[87]        Quant au quatrième critère, qui concerne l'existence et le contenu d'une autre action intentée à l'étranger et le progrès déjà effectué dans la poursuite de cette action, voici ce qu'on peut en dire. À ce que l'on sache, l'appelant n'a intenté aucune procédure de divorce en Algérie et n'a accompli aucune autre démarche de divorce. Aucune action n'est pendante en Algérie relativement à la situation matrimoniale ou familiale des parties. Par contre, on sait qu'à la demande de l'appelant (voir supra, paragr. [13]), jugement a été prononcé par un tribunal algérien ordonnant à l'intimée de « réintégrer le domicile habituel aux diligences du demandeur […] personnellement »[56]. Les conclusions de ce jugement (dont on imagine mal qu'il puisse être rendu exécutoire ici, vu les termes de l'article 3155 C.c.Q.) ne visent pas les enfants. L'existence de ce jugement, ici, n'a pas d'effet particulier.

[88]        Qu'en est-il cependant du jugement pénal prononcé par les tribunaux algériens, déclarant l'intimée coupable du délit d'abandon de famille et lui infligeant une peine de deux mois de prison assortis d'une réparation monétaire envers l'appelant? Comme on l'a vu précédemment (voir supra, paragr. [13] in fine), l'intimée a reconnu et la juge de première instance a conclu que ce jugement pénal avait été obtenu à l'initiative des autorités de l'école que fréquentait l'aînée des enfants. Le texte du jugement et la réparation civile qui y est ordonnée pourraient cependant laisser croire le contraire, au premier abord, mais j'estime qu'il y a lieu de s'en tenir ici à la détermination factuelle de la juge de première instance, ne serait-ce qu'en raison de l'admission de l'intimée.

[89]        Cela dit, que l'appelant ne soit pas à la source de ce jugement ne change pas le fait que l'intimée est sous le coup de ce jugement pénal. Cependant, selon ce qu'explique l'experte Bensalem[57], elle pourrait en demander la rétractation, encore que dans un délai assez court dont le point de départ n'est pas précisé clairement.

[90]        Quoi qu'il en soit, l'existence de ce jugement n'a pas à être considérée dans le cadre de l'examen du quatrième critère applicable, bien qu'il soit pertinent au chapitre du critère 9 (intérêt des parties).

[91]        Bref, quant à ce quatrième critère, il n'indique pas grand-chose, que ce soit dans un sens ou dans l'autre, sachant tout de même que les tribunaux algériens auraient compétence sur tout litige familial entre les parties.

[92]        Le cinquième critère concerne « les biens du défendeur » et, en l'occurrence, les biens des parties. Celles-ci, selon les allégations de la procédure d'instance, sont mariées sous le régime de la société d'acquêts et tous leurs biens, incluant ceux du « patrimoine familial » dont on réclame le partage dans l'action en séparation de corps, sont en Algérie (à l'exception des quelques biens que l'intimée a acquis depuis la séparation et son arrivée au Canada).

[93]        Ceci nous amène au sixième critère, qui concerne la loi applicable au litige. Comme on le verra, ce facteur revêt ici une importance particulière.

[94]        Il faut considérer en effet que la séparation des parties sera, sur le fond, même si elle est entendue par la Cour supérieure du Québec, régie par le droit algérien, conformément à l'article 3090 C.c.Q. :

3090.   La séparation de corps est régie par la loi du domicile des époux.

            Lorsque les époux sont domiciliés dans des États différents, la loi du lieu de leur résidence commune s'applique ou, à défaut, la loi de leur dernière résidence commune ou, à défaut, la loi du tribunal saisi.

            Les effets de la séparation de corps sont soumis à la loi qui a été appliquée à la séparation de corps.

3090.   Separation from bed and board is governed by the law of the domicile of the spouses.

            Where the spouses are domiciled in different countries, the applicable law is the law of their common residence or, failing that, the law of their last common residence or, failing that, the law of the court seised of the case.

            The effects of separation from bed and board are subject to the law governing the separation.

[Je souligne.]

 

[95]        En l'espèce, les parties n'ayant plus de domicile ni de résidence commune et étant maintenant domiciliées (ou au moins résidante, dans le cas de l'intimée) dans des états différents, c'est la loi de leur dernière résidence commune, c'est-à-dire celle de l'Algérie, qui régira la séparation de corps et ses effets, conformément au second alinéa de l'article 3090[58]. Je note en passant que si l'on devait considérer que l'intimée, à cause de son statut précaire au pays, ne peut y être domiciliée et que cela l'empêche d'avoir, sur le plan juridique, l'intention d'y faire son principal établissement, de sorte qu'elle serait toujours domiciliée en Algérie, la solution serait la même, puisque le premier alinéa de l'article 3090 C.c.Q. dicterait alors également l'application du droit algérien.

[96]        En outre, la question de la garde des enfants appelle elle aussi l'application du droit algérien, que ce soit à titre d'« effet de la séparation de corps », selon l'interprétation que certains (dont le ministre de la Justice du Québec[59]) donnent au troisième alinéa de l'article 3090 C.c.Q., soit en vertu de l'article 3093 C.c.Q., selon l'interprétation que d'autres suggèrent[60] :

3093.   La garde de l'enfant est régie par la loi de son domicile.

3093.   Custody of the child is governed by the law of his domicile.

[97]        Il va de soi que le domicile des enfants est celui qui précède leur déplacement illicite.

[98]        Voilà qui s'ajoute aux éléments qui, déjà, favorisent le for algérien, et plus encore quand on constate que, selon ce qui ressort de la preuve, la séparation de corps n'existe pas en droit algérien, qui ne connaît pas cette institution juridique. C'est ce que confirment les parties à l'audience devant notre cour. C'est donc dire que l'action en séparation de corps de l'intimée est vouée à l'échec et que les autorités québécoises, en l'occurrence la Cour supérieure, ne pourront que la rejeter et rejeter tous ses accessoires. Si tant est que subsiste alors la demande de garde des enfants, celle-ci deviendrait alors une demande indépendante, ce qui commanderait alors immédiatement que la Cour supérieure, non par application de l'article 3135 C.c.Q. mais en raison de l'article 3142 C.c.Q., décline compétence en faveur des autorités de l'Algérie, lieu du dernier domicile des enfants avant leur déplacement illicite. Et si, pour une raison ou une autre (par exemple l'article 3136 C.c.Q.), la Cour supérieure décidait malgré tout d'entendre le litige sur la garde, elle devrait appliquer alors le droit algérien.

[99]        Or, bien qu'un tribunal québécois n'ait pas à décliner compétence pour l'unique raison que le droit étranger s'applique devant lui[61], il doit tout de même tenir compte de cet élément dans son examen de l'opportunité d'user de l'article 3135 C.c.Q. En l'espèce, on devra convenir qu'il y a à cet égard une circonstance qu'on peut qualifier d'exceptionnelle et qui, sans nécessairement l'emporter à elle seule, fait certainement pencher la balance du côté du for algérien. Et cela sans compter que le droit algérien comporte des spécificités qui sont étrangères au droit québécois et que ne manieront pas aisément les tribunaux de la province. Cette absence de familiarité avec le droit étranger ne peut être ignorée.

[100]     Qu'en est-il maintenant de « l'avantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi »? Là encore, cet avantage est surtout de nature procédurale ou pratique. Or, selon le rapport et les explications fournies par l'experte Bensalem, le droit algérien, quoiqu'il ne reconnaisse pas la séparation de corps, reconnaît le divorce, que l'épouse peut réclamer en justice pour diverses raisons, dont un « désaccord persistant entre les époux »[62], ce qui paraît certainement être le cas ici. Elle aurait également le droit de réclamer le divorce - et de l'obtenir -, sans l'accord de son conjoint et sans motif particulier, à condition de verser un montant (dit « khol'â ») qui ne peut dépasser celui de sa « dot de parité ». Selon ce qu'on comprend du témoignage de l'experte Bensalem, la procédure suivie en pareil cas par le tribunal offre les garanties d'équité requises à l'épouse et serait similaire à celle du système français[63]. Aucune preuve contraire n'a été faite.

[101]     Pèse bien sûr sur la tête de l'intimée le jugement pénal prononcé contre elle (voir supra, paragr. [13] et [90]), mais dont elle aurait cependant la possibilité de demander la rétractation, comme on l'a vu précédemment (encore que l'on ne sache pas précisément ce qui subsiste de cette possibilité au moment où le présent arrêt sera rendu ni ce que sont, réalistement, ses chances de succès, la seule preuve au dossier faisant tout simplement état de l'existence d'un droit de demander la rétractation).

[102]     Il est certain qu'il est plus facile pour l'intimée, qui réside au Québec, d'intenter ici ses procédures plutôt que de retourner en Algérie. De plus, compte tenu de son statut précaire au Canada, qu'elle pourrait perdre si elle quitte ce pays, même temporairement, elle a tout intérêt à ester en justice sur place. Comme elle semble avoir peu de moyens, cela paraît également plus avantageux. On peut supposer en effet qu'elle bénéficiera ici de l'aide juridique (dont rien n'indique qu'elle existe, sous une forme ou une autre, en Algérie - en fait, nous en ignorons tout). Ce sont là tous des facteurs que la Cour a considérés dans M.I.B. c. M.-P.L.[64], refusant de décliner compétence en vertu de l'article 3135 C.c.Q.(je reviendrai ultérieurement sur cet arrêt - voir infra, paragr. [132]).

[103]     Cela dit, considérant le fait que son action en séparation est vouée à l'échec pour les raisons que j'ai déjà expliquées, cet avantage du for paraît bien artificiel. Et si subsistait néanmoins sa demande relative à la garde des enfants, elle n'y gagnerait rien, puisque, conformément à l'article 3142 C.c.Q., tel qu'interprété par la jurisprudence, les autorités québécoises ne seraient pas compétentes.

[104]     Cet avantage risque aussi d'être neutralisé complètement, en ce qui concerne les mesures pécuniaires afférentes à la séparation de corps, par le fait que (et je considère ici immédiatement le dixième critère) toute ordonnance prononcée par un tribunal québécois enjoignant à l'appelant, par exemple, de partager des biens avec l'intimée ou de lui payer une pension alimentaire ou de payer une pension alimentaire pour les enfants ne serait pas exécutoire localement et devrait, pour être exécutée contre le débiteur, faire l'objet d'une reconnaissance en Algérie (l'appelant n'ayant aucun bien de quelque sorte au Québec). Cela nécessiterait que des procédures soient entreprises là-bas, ce qui, en vérité, fait que l'on tourne en rond (notons qu'aucune preuve n'a été faite en première instance de la nature des procédures de reconnaissance par les autorités algériennes des jugements étrangers, s'il en est, ce dont il n'est pas possible de prendre commodément connaissance).

[105]     On peut dès lors passer à la question de l'intérêt des parties et des enfants de même que de l'intérêt de la justice.

[106]     Essentiellement, l'intimée souhaite agir au Québec pour les raisons suivantes : elle soutient qu'elle ne pourrait pas obtenir justice dans une société patriarcale comme celle de l'Algérie et qu'elle le pourrait encore moins maintenant qu'elle a été condamnée au pénal, vu par ailleurs la disproportion de ses moyens et de ceux de l'appelant. Ce dernier fait de son côté valoir qu'il est fortement défavorisé, sur le plan procédural et pratique, par la saisine des tribunaux québécois, ce qui est incontestable. Il plaide en outre que l'intimée, qui n'a jamais porté plainte auprès de quelqu'autorité que ce soit en Algérie, pouvait (et pourrait toujours) y demander et y obtenir le divorce. Aucune preuve contraire n'a été faite. Elle pourrait aussi, selon le témoignage non contredit de la jurisconsulte Bensalem, demander la rétractation du jugement pénal prononcé contre elle par défaut (et peut-être même en appeler, encore que la preuve ne soit pas claire sur ce point[65]). Enfin, l'intimée, toujours selon l'expertise non contredite de la jurisconsulte, bénéficiera auprès des tribunaux algériens d'une protection qui paraît adéquate.

 

[107]     Dans un autre ordre d'idées, parlant de l'intérêt de l'intimée, on ne peut pas ignorer ses allégations au sujet des mauvais traitements que lui aurait infligés l'appelant, y inclus une tentative d'avortement et un avortement forcé. Ces allégations, on l'a vu précédemment, sont niées par l'appelant. On comprend que la preuve, en première instance, a été sommaire de part et d'autre sur ce point, mais il n'en reste pas moins qu'elle comporte des aspects qui ébranlent sérieusement la thèse de l'intimée.

[108]     D'une part, on comprend mal que l'intimée, victime des sévices qu'elle explique, soit revenue en Algérie après son voyage de deux mois au Canada, en compagnie des enfants, à l'été 2010 (alors que la situation malheureuse qu'elle décrit aurait existé depuis déjà plusieurs années). On le comprend d'autant moins que, selon sa propre version des faits, elle aurait dû insister lourdement auprès de son mari (et solliciter l'appui de son frère et de ses parents) pour le convaincre de les laisser revenir, elle et les enfants[66]. Pourquoi être rentrée en Algérie si c'était pour s'enfuir quatre mois plus tard, en secret et sans argent[67]? La preuve ne permet pas de le savoir. On l'aurait compris si les enfants étaient restés en Algérie lors de son séjour de l'été au Canada, mais ce n'était pas le cas : ils étaient auprès d'elle. La preuve montre aussi qu'elle a attendu deux mois avant de faire sa demande du statut de réfugié, déposée quelques jours après l'envoi de la mise en demeure de l'appelant.

[109]     D'autre part, au sujet de la tentative d'avortement et de l'avortement, on remarquera que l'intimée, selon son témoignage, a néanmoins tenu à continuer à avoir des contacts intimes avec son mari (dont elle prétend par ailleurs qu'il l'avait abandonnée ou presque au profit de sa seconde épouse) parce qu'elle voulait avoir des enfants et que « [c]'est ça, c'est l'instinct de la femme. C'est… Je voulais bien avoir des enfants. Lui qui ne voulait jamais en avoir avec moi »[68]. Compte tenu du reste du témoignage de l'intimée, cette réponse étonne et jette un doute (qui aurait mérité d'être dissipé, mais ne le fut pas) sur ses prétentions. Il est intéressant de noter, d'ailleurs, que la juge de première instance ne se prononce pas sur ces allégations de mauvais traitements de l'intimée, si ce n'est pour les rapporter de façon très générale, sans même mentionner les avortements, malgré le caractère peu banal de l'accusation. On peut penser qu'elle n'aurait pas manqué de le faire si elle y avait cru.

[110]     Quant à l'intérêt des enfants, l'état de la preuve reproduite au dossier d'appel ne permet pas de conclure que le for algérien serait inadéquat, au contraire. De manière générale, on le sait, le droit québécois, qui place l'intérêt des enfants au sommet de la hiérarchie des normes qui leur sont applicables ou les affectent, postule qu'il est dans cet intérêt que leur sort soit décidé par les autorités du lieu de leur domicile. En cas de déplacement illicite, le droit québécois[69] favorise clairement le renvoi aux autorités du domicile qui était le leur antérieurement, et ce, précisément parce qu'un tel déplacement leur cause préjudice. Dans Droit de la famille — 091664[70] (affaire de divorce impliquant un déplacement illicite non soumis à la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, le pays étranger étant le Liban, qui n'est pas membre de la Convention de la Haye sur l'enlèvement international d'enfants), le juge Gagnon écrit que :

[24]      En l'espèce, Mme M... s'est livrée à l'enlèvement international de ses deux enfants, acte gravement préjudiciable à ceux-ci, et réprouvé par les lois du Québec et du Canada ainsi que par les traités et conventions de la communauté internationale.

[111]     Je fais miens ces propos.

[112]     Il est vrai que les enfants sont maintenant installés au Québec depuis plus de deux ans (six mois au moment où l'appelant a annoncé son exception déclinatoire, elle-même formulée dans les quelques semaines qui ont suivi la signification de la procédure introductive d'instance en séparation de corps), mais la situation résulte d'abord et avant tout d'un déracinement aussi brusque qu'illicite qui ne pouvait être dans leur intérêt. Ils sont depuis ce temps privés de voir leur père, encore qu'ils lui parlent à l'occasion, par téléphone.

[113]     Les allégations de mauvais traitements de l'intimée étant fragiles, et plus encore en ce qui concerne les enfants, on ne peut pas non plus conclure sur cette base que le for algérien serait contraire à leur intérêt. Bien sûr, on pourrait sur ce point être tenté de faire une comparaison avec l'exception de « situation intolérable » à laquelle risquerait d'être exposé un enfant si son retour dans un pays était ordonné malgré le sort qui y attend sa mère, exception prévue par l'article 21, paragr. 2, de la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants. C'était le cas dans Droit de la famille — 111062[71], où l'on écrit que :

[5]        In the instant case, the evidence shows that the mother, who has taken primary responsibility for the care of the child since her birth, was subject to physical abuse (some in presence of the child), verbal abuse and threats by the father whose hostility towards his former wife, for reasons unlikely to disappear, is clearly demonstrated. At one point, the father even kidnapped the child and there is no indication that a recurrence could be prevented. Relatives, including some of the mother herself, have participated in her mistreatment and the local authorities have shown an unwillingness or inability to respond and to protect the mother.

[6]                Thus, the exception to the return of the child provided at s. 21(2) of the Act, which corresponds to s. 13(b) of the Hague Convention as interpreted in Pollastro v. Pollastro, (1999), 43 O.R. (3d) 485 (Ont. C.A.), applies. In other words, if returned to her habitual place of residence, there is a grave risk that the child would be exposed to an intolerable situation.

[114]     Cette preuve, cependant, n'a pas été faite dans la présente affaire. Sans doute y aura-t-il lieu de se poser de nouveau la question lorsque la Cour se demandera si le retour des enfants en Algérie doit être ordonné ou non, mais, pour le moment, s'agissant de décliner compétence en vertu de l'article 3135 C.c.Q., l'absence de preuve du péril dans lequel se trouverait l'intimée et qui se répercuterait sur les enfants si elle retournait en Algérie ne milite pas en faveur du for québécois.

[115]     Par ailleurs, le rapport de la jurisconsulte Bensalem établit que l'intérêt des enfants est une composante essentielle du droit algérien de la famille et du processus décisionnel en la matière. Cette preuve n'a été contredite d'aucune manière et la Cour peut difficilement l'écarter et se renseigner elle-même sur le droit algérien ou encore recourir à une connaissance d'office qui, en l'espèce, a des limites (et pourrait ressembler à un préjugé).

[116]     Évidemment, l'on ne contestera pas que le droit algérien, tel qu'établi par l'experte Bensalem, se distingue du droit québécois sur plusieurs points, notamment en ce qui concerne le statut et les droits de la femme. Par exemple, l'article 87 du Code de la famille algérien énonce que :

Art. 87 - (Modifié) - Le père est tuteur de ses enfants mineurs.

            À son décès, l'exercice de la tutelle revient à la mère de plein droit.

            La mère supplée le père dans l'accomplissement des actes à caractère urgent concernant ses enfants, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci.

            En cas de divorce, le juge confie l'exercice de la tutelle au parent à qui la garde des enfants a été confiée.

[117]     En cas de divorce, la garde des enfants (« hadana », qui paraît être une institution plus restreinte que le droit de garde connu au Québec) est d'abord dévolue à la mère, en vertu de l'article 64 du Code de la famille; elle semble cesser à l'âge de 10 ans dans le cas de l'enfant de sexe masculin, mais durer jusqu'à l'âge de la capacité de mariage dans le cas de l'enfant de sexe féminin. Dans le cas du premier, la période de garde peut être judiciairement prolongée jusqu'à 16 ans, mais seulement si la mère ne s'est pas remariée. Le droit de garde (qui que soit la personne à laquelle il est accordé) cesse en principe dans certains cas de remariage; le ou la titulaire du droit de garde doit faire en sorte que l'enfant soit élevé dans la religion de son père, encore que, si ce n'est pas le cas, le tribunal puisse maintenir la garde s'il l'estime dans l'intérêt de l'enfant. Voici en outre ce que prévoit le Code de la famille lorsque le ou la titulaire de la garde désire s'établir dans un pays autre que l'Algérie :

Art. 69. - Si le titulaire du droit de garde désire élire domicile dans un pays étranger, le juge peut lui maintenir ce droit de garde ou l'en déchoir en tenant compte de l'intérêt de l'enfant.

[118]     Quant au soutien alimentaire, l'article 72 dudit code prévoit que :

Art. 72. (Modifié). - En cas de divorce, il incombe au père d'assurer, pour l'exercice de la garde, à la bénéficiaire du droit de garde, un logement décent ou à défaut son loyer.

            La femme ayant la garde est maintenue dans le domicile conjugal jusqu'à l'exécution par le père de la décision judiciaire relative au logement.

[119]     D'autres dispositions prévoient que le père doit assurer l'entretien des enfants jusqu'à la majorité dans le cas des garçons et jusqu'à la consommation du mariage dans le cas des filles (avec prolongation dans les deux cas si l'enfant « est physiquement ou mentalement handicapé ou s'il est scolarisé » - art. 75).

[120]     Notons enfin l'article 222 du Code de la famille :

Art. 222. - En l'absence d'une disposition dans la présente loi, il est fait référence aux dispositions de la chariâa.

[121]     Ni dans son rapport ni dans son témoignage l'experte Bensalem n'a-t-elle discuté des effets de cette disposition supplétive.

[122]     Il est cependant difficile de conclure ici que l'intérêt des enfants serait de bénéficier des règles de fond du droit québécois, ce qui, on l'a vu, n'est pas possible : tant en vertu de l'article 3090, troisième al., que de l'article 3093 C.c.Q., c'est le droit algérien qui sera applicable sur le fond du débat sur la garde, peu importe le for choisi. Il est possible que nos tribunaux aient de l'intérêt de l'enfant une vision autre que celle des tribunaux algériens, mais, dans l'état de la preuve au dossier, on ne peut pas conclure que ceux-ci seront indifférents à la chose et on ne peut pas présumer non plus de la manière dont ils en tiendront compte. On peut raisonnablement craindre que, l'intimée ayant été déclarée coupable du délit d'abandon de famille, ils pourraient considérer qu'il n'est pas dans l'intérêt des enfants d'être sous sa garde, par exception à la règle générale, mais cela peut dépendre aussi de la rétractation du jugement pénal.

[123]     Quant au fait qu'il serait préférable, comme le fait valoir l'intimée dans sa demande du statut de réfugié, que ses enfants soient élevés ailleurs que dans un pays musulman qui ne reconnaît pas l'égalité de la femme et où celle-ci serait toujours soumise à l'autorité du mari ou du père, je crains qu'au vu de la situation cela ne puisse constituer un élément déterminant; je suis même d'avis que ce n'est pas là un élément à considérer au stade de l'application de l'article 3135 C.c.Q. Il faudrait certes en tenir compte si la Cour avait à statuer sur la garde (toujours en fonction du droit algérien, mais sous réserve de l'article 3081 C.c.Q.[72]) et avait à se demander s'il vaut mieux la confier à la mère, résidente du Canada, ou au père, résidant de l'Algérie. Mais ce n'est pas là ce que la Cour doit trancher.

[124]     À la limite, ces questions pourraient être abordées si elles permettaient de conclure qu'en réalité, le recours de la mère au regard du divorce autant que de la garde des enfants est en pratique impossible ou que les tribunaux algériens ne lui accorderont pas un traitement équitable, mais la seule preuve dont nous disposons est à l'effet contraire.

[125]      Il va de soi que si une telle preuve avait été faite, l'intérêt de l'intimée et celui des enfants auraient pu justifier que l'affaire soit tranchée au Québec, même si cela devait se faire, sur le fond, en fonction du droit algérien et même si, cela étant, le débat se serait limité à la garde, vu le problème déjà évoqué en ce qui touche la séparation de corps. Le père étant assuré d'un traitement équitable devant les tribunaux québécois, on aurait pu obvier ainsi aux nombreux inconvénients de la situation.

[126]     Je note qu'une preuve de ce genre (impossibilité d'obtenir un traitement équitable devant les tribunaux) avait été administrée dans l'affaire Droit de la famille - 082431[73], où la Cour supérieure était saisie d'une demande de modification d'une ordonnance de garde (accessoire à un jugement de divorce) prononcée par un tribunal d'Abu Dhabi. Les parties s'étaient connues et mariées au Québec et leurs enfants y étaient nés. Madame a suivi Monsieur à Abu Dhabi, où il occupait un emploi de pilote d'avion. Appliquant l'article 3142 C.c.Q., le juge conclut d'abord à l'incompétence des tribunaux québécois, les enfants ayant leur résidence habituelle à Abu Dhabi. La mère invoquant cependant l'article 3136 C.c.Q., le juge examine la question de savoir s'il est impossible ou déraisonnable d'exiger que Madame s'adresse aux tribunaux d'Abu Dhabi. Chaque partie fait entendre ses experts et le juge, dans un long jugement très fouillé, retient le témoignage de l'expert de Madame et conclut que celle-ci serait nettement défavorisée par une loi qui véhicule fortement les valeurs d'une chariâa stricte (loi dont les quelques dispositions plus éloignées de ce système ne sont qu'une façade) et qui ne reconnaît pas véritablement la primauté de l'intérêt de l'enfant, facteur toujours subordonné à la volonté du père. Le juge note également qu'il existe des liens suffisants avec le Québec :

[162]    Les faits suivants démontrent que ce lien existe :

            1-   La vie commune des parties au Québec avant leur mariage.

            2-   Le mariage célébré au Québec le 30 avril 2001.

            3-   Les parties continuent de résider au Québec après leur mariage, démontrant ainsi leur intention de s'y établir.

            4-   Les deux enfants sont nés au Québec le [...] 2002 et le [...] 2004.

            5-   Le défendeur accepte un poste de pilote d'avion aux Émirats Arabes Unis en septembre 2003, ce qui constitue la raison de son déménagement. Les Émirats Arabes Unis n'est pas le pays d'origine du défendeur. En effet, il est originaire du Maroc et n'a aucune famille aux Émirats Arabes Unis.

            6-   La demanderesse l'y rejoint le 23 février 2004 et le couple se sépare en septembre 2005.

            7-   La vie commune aux Émirats Arabes Unis ne dure qu'environ 17 mois.

            9-   La demanderesse possède la maison où elle habite depuis le 25 mai 2007.

            8-   La demanderesse réside à ville A depuis le 12 juillet 2008 avec les enfants.

[127]     Sans importer l'article 3136 C.c.Q. dans l'article 3135 C.c.Q., on peut admettre que la considération d'éléments relatifs à la possibilité pour une partie d'ester efficacement en justice dans le for étranger et d'y être assurée d'un traitement équitable (même s'il n'est pas identique au traitement qui lui serait accordé par les tribunaux québécois) est un facteur important quand vient le moment d'évaluer l'intérêt de cette partie, l'avantage dont elle jouit dans le for choisi (le Québec en l'occurrence), l'intérêt des enfants (le cas échéant) et, il va sans dire, l'intérêt de la justice elle-même.

[128]     Cependant, en l'espèce, la seule preuve au dossier va dans un sens tout autre que celui-là. La comparaison des textes législatifs en cause dans l'affaire Droit de la famille - 082431 et dans la nôtre montre certes des ressemblances, mais aussi des différences assez substantielles (notamment par la place plus limitée que la chariâa occupe dans le droit algérien). On ne peut certainement pas, en l'absence de toute preuve en ce sens, conclure que les remarques du juge à propos du droit et des tribunaux de l'état d'Abu Dhabi sont applicables au droit algérien.

[129]     On notera aussi, pour poursuivre la comparaison, que, en l'espèce, les liens du litige avec le Québec sont beaucoup plus ténus que ceux qu'identifie le juge dans Droit de la famille - 082431. Dans le présent dossier, les parties n'ont jamais vécu au Québec, que ce soit avant ou après leur mariage, qui n'y a pas été célébré; les enfants ne sont pas nés au Québec et n'y ont jamais vécu avant décembre 2010; le père ne s'est pas installé en Algérie pour des raisons professionnelles et il est, au contraire, originaire du pays où il a toujours vécu et travaillé; la situation n'est pas celle où l'intimée serait allée rejoindre l'appelant en Algérie; la vie commune dans ce pays a été de longue durée, les parties s'y étant mariées en décembre 2003 et la présence de l'intimée dans ce pays ne résultant pas d'une affectation professionnelle de l'appelant à titre plus ou moins temporaire.

[130]     En fin de compte, pour paraphraser globalement l'arrêt Oppenheim Forfait GmbH c. Lexus Maritime inc., précité[74], l'examen général de la situation et des différents critères applicables désigne, de façon claire, un forum unique (celui de l'Algérie). Il se dégage en effet de tout cela une impression nette tendant vers un seul et même forum étranger, les facteurs de rattachement au Québec étant peu nombreux et découlant d'une situation fort particulière.

[131]     Le cul-de-sac procédural dans lequel est par ailleurs engagée l'intimée, dont l'action en séparation de corps devrait être rejetée, ce qui donnerait à la demande de garde un caractère autonome qui l'assujettirait à l'article 3142 C.c.Q., privant ainsi les tribunaux québécois de toute compétence, confère en outre à l'affaire un caractère exceptionnel qui justifie l'application de l'article 3135 C.c.Q. en faveur des tribunaux algériens.

[132]     L'espèce se différencie donc clairement de la situation en jeu, par exemple, dans M.I.B. c. M.-P.L.[75], où les facteurs de rattachement au Québec étaient plus nombreux (mariage au Canada, le père est citoyen canadien, l'enfant est né au Canada, le tribunal de la Guyane française ne serait pas compétent en matière de divorce vu les lois françaises, le Code civil du Québec et la Loi sur le divorce s'appliquent au litige), ce qui justifiait que les tribunaux québécois, exerçant leur pouvoir discrétionnaire, refusent de décliner compétence en faveur d'un for étranger.

[133]     Par ailleurs, il est exact - et c'est un élément dont il a été tenu compte dans M.I.B. c. M.-P.L., précité - que l'intimée, prestataire de l'aide sociale, est en attente d'une décision sur sa demande du statut de réfugié et n'a sans doute pas les revenus nécessaires pour retenir les services d'un avocat qui pourrait la représenter adéquatement devant les tribunaux algériens. Dans les circonstances, cela seul, cependant, ne peut faire obstacle à l'application de l'article 3135 C.c.Q., l'ensemble des facteurs à considérer militant nettement et exceptionnellement en faveur du for algérien. On ne peut pas non plus refuser de décliner compétence en attendant que les autorités canadiennes statuent sur la demande d'asile de l'intimée, décision qui pourrait n'être  rendue qu'à une date encore éloignée.

* *

[134]     Je signale au passage qu'à mon avis, l'arrêt W.(V.) c. S.(D.)[76], sur lequel la juge de première instance appuie sa conclusion, ne peut s'appliquer ici. D'abord, dans cette affaire, il n'était pas question de déplacement illicite : le père, qui s'était installé au Québec, « avait la garde permanente de l'enfant sans restriction aucune relativement au déplacement de l'enfant » (paragr. 50), et ce, en vertu d'un jugement américain. Ensuite, cet arrêt portait sur des dispositions législatives antérieures à l'entrée en vigueur du Code civil du Québec. La Cour suprême, qui se penche sur la demande de garde formulée par le père au Québec, signale d'ailleurs, au paragr. 55, qu'« il est reconnu que les tribunaux québécois sont compétents pour se prononcer sur la garde d'un enfant dès lors que ce dernier est domicilié, réside ou est physiquement présent au Québec ou que la personne qui en a le contrôle y réside ». Comme on le sait, cette affirmation n'est plus exacte au regard de l'article 3142 C.c.Q.

* *

[135]     Il y aura donc lieu d'accueillir l'exception déclinatoire de l'appelant.

* *

[136]     Qu'en est-il cependant du retour des enfants en Algérie?

[137]     L'appelant, dans sa requête initiale, formule une telle demande. Les conclusions de sa requête pour permission d'appeler, qui sont informes, n'en font cependant pas mention, pas davantage que celles de l'exposé d'appel. L'appelant n'a jamais amendé ses procédures et la discussion à ce sujet à l'audience d'appel ne s'est pas soldée par une réponse claire, sur le plan procédural, même s'il ressort de toute l'affaire que l'appelant souhaite effectivement le retour des enfants en Algérie.

[138]     Dans la mesure où il y a lieu, en vertu de l'article 3135 C.c.Q., de décliner compétence sur l'instance en séparation de corps, incluant la demande de garde, dans la mesure où le sort des enfants doit être décidé par les tribunaux algériens et dans la mesure, enfin, où leur déplacement au Québec était illicite, la Cour conserve-t-elle la compétence nécessaire pour ordonner le retour des enfants en Algérie? Dans l'affirmative, y a-t-il lieu de prononcer une telle ordonnance?

[139]     Notre cour ne s'est jamais prononcée formellement sur cette question, bien qu'elle ait donné certaines indications sur la réponse qu'on pourrait y apporter. Ainsi, dans Droit de la famille - 3451[77], où la Cour décline compétence sur la garde de l'enfant en raison de l'article 3142 C.c.Q., le juge Chamberland écrit ce qui suit :

            Bien que je sois enclin à croire que le retour de l'enfant au lieu de sa résidence habituelle est le corollaire obligé de l'absence de compétence de la Cour supérieure à décider du droit de garde concernant cet enfant et qu'en ce sens le recours aux articles 20 et 813.8 C.p.c. et 32 à 34 C.c.Q. (et, possiblement même, à l'article 3140 C.c.Q.) suffit pour constituer le fondement juridique d'une ordonnance de retour, je m'abstiens de trancher définitivement la question puisqu'en l'espèce je ne crois pas qu'il y ait lieu de retourner l'enfant. Premièrement, la question de la garde pourra être tranchée en Ontario sans que W… ait à y être présent. Il a à peine un an; il ne s'agit donc pas d'un cas où le juge ontarien pourrait vouloir rencontrer l'enfant et avoir son avis. Deuxièmement, l'ordonnance du tribunal ontarien visant à assurer le retour de W… à Toronto est aujourd'hui caduque; il ne s'agit donc plus de rendre une ordonnance visant à reconnaître et à faciliter l'exécution de cette décision. Troisièmement, et de façon plus générale, l'intérêt de W… commande qu'il demeure ici pour l'instant jusqu'à ce que les questions entourant sa garde aient été tranchées par le tribunal ontarien, seul compétent, dans les circonstances du présent dossier, pour en statuer. À l'audience, les parties nous informaient que son état de santé était toujours fragile; elles ont d'ailleurs craint pour sa vie au début de l'été.[78]

[Je souligne.]

[140]     Plus récemment, dans K.K. c. Y.K.(M.)[79], affaire où il est question de l'application de l'article 3142 C.c.Q.[80], la Cour supérieure, sous la plume de la juge Francine Nantel, se fondant sur ce passage, aborde la question en ces termes :

[28]      À la lumière de la preuve soumise, le Tribunal conclut que Moscou, Fédération de Russie, est le lieu de domicile de X, soit l'endroit où il réside habituellement. Il y a donc lieu d'accueillir l'exception déclinatoire et de rejeter la requête du père, tel que le permet l'article 163 du C.p.c.

[29]      Ceci dit, quel est le fondement juridique concernant les autres demandes de la défenderesse notamment sa demande du retour de l'enfant?

[30]      Le fait que la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants ne s'applique pas en l'espèce complique quelque peu la demande du retour de l'enfant puisque c'est cette loi qui le prévoit expressément, le Code civil ne contient aucune disposition spécifique assurant le retour de l'enfant lorsque le Tribunal doit décliner compétence pour statuer sur la garde de l'enfant.

[31]      Cependant, sans ordonnance de retour, la requête de la mère n'a aucun effet concret et le problème demeure entier sans apporter de solution satisfaisante. Ce faisant, ce vide juridique est contraire aux intérêts des parties et de l'enfant.

[32]      Le Tribunal fait siens les propos du juge J. Chamberland dans l'arrêt Droit de la famille - 3451 lesquels se lisent ainsi :

Bien que je sois enclin à croire que le retour de l'enfant au lieu de sa résidence habituelle est le corollaire obligé de l'absence de compétence de la Cour supérieure à décider du droit de garde concernant cet enfant, et qu'en ce sens, le recours aux articles 20 et 813.8 C.p.c. et 32 à 34 C.c.Q. (et, possiblement même, à l'article 3140 C.c.Q.) suffit pour constituer le fondement juridique d'une ordonnance de retour, je m'abstiens de trancher définitivement la question puisqu'en l'espèce, je ne crois pas qu'il y ait lieu de retourner l'enfant. […]

[Le Tribunal souligne]

[33]      L'article 3140 C.c.Q. autorise les autorités québécoises à prendre les mesures nécessaires pour protéger une personne qui se trouve au Québec.

[34]      Partant, se fondant sur cet article, le Tribunal ordonnera le retour de l'enfant à Moscou, Fédération de Russie.

[141]     Le père interjette appel et demande par ailleurs la suspension de l'exécution de l'ordonnance de retour, ce qui lui est refusé par le juge Dalphond, qui écrit :

[3]        Dans les circonstances, seules les dispositions du Code civil sont applicables. Il est clair que l'enfant, à la lumière des faits qui ont été mis en preuve devant la juge de la Cour supérieure, a son domicile à Moscou, son lieu de résidence habituelle et où habitent ses parents depuis peu après sa naissance. Les tribunaux québécois n'ont donc pas compétence puisque rien n'indique que l'enfant ait son domicile ailleurs qu'à Moscou (art. 3142 C.c.Q.).

[4]        Quant au retour de l'enfant, dont le père avait promis de la ramener à Moscou en début juillet, la juge pouvait l'ordonner en vertu de l'art. 3140 C.c.Q.

[5]        Dans ces circonstances, je ne vois aucune faiblesse apparente qui justifierait de suspendre l'application du jugement dont l'exécution provisoire découle de l'art. 547 g) du Code de procédure civile.[81]

[142]     À mon avis, ces propos sont, dans l'ensemble, transposables à notre situation. Poussant plus loin l'opinion exprimée par mon collègue Chamberland dans Droit de la famille - 3451, précité, j'estime que le retour de l'enfant au lieu de sa résidence habituelle est en effet le corollaire ordinaire « de l'absence de compétence de la Cour supérieure à décider du droit de garde concernant cet enfant », solution qui vaut également dans le cas où les autorités québécoises déclinent compétence en vertu de l'article 3135 C.c.Q. Conclure autrement signifierait, comme le constate la juge Nantel dans K.K. c. Y.K.(M.), précité, que le fait de décliner compétence resterait sans conséquence concrète, le problème demeurant alors entier (paragr. 31 de ce jugement). Comme on le verra plus loin, ce n'est pas dire que le tribunal qui décline compétence doit automatiquement et sans autre vérification renvoyer l'enfant au lieu de sa résidence habituelle, mais le renvoi doit nécessairement être considéré.

[143]     En l'espèce, le pouvoir d'ordonner un tel retour peut se fonder sur l'article 3138  C.c.Q., au titre des mesures provisoires (c'est-à-dire jusqu'à ce que les tribunaux algériens se prononcent eux-mêmes sur le litige), ou sur l'article 3140 C.c.Q., qui permet de prendre les mesures nécessaires à la protection des personnes se trouvant au Québec, en cas d'inconvénients sérieux, ce qui est le cas (la protection des enfants requérant ici, à première vue, leur retour en Algérie). Sans doute faut-il étirer un peu les termes de ces dispositions pour en venir à cette conclusion, mais il s'agit de les adapter au problème de l'espèce. Les articles 20 et 46  C.p.c. peuvent également servir d'assise à l'ordonnance de retour puisque, s'agissant ici de décliner compétence en vertu de l'article 3135 C.c.Q., les tribunaux québécois ont tout de même, en principe, une compétence initiale sur l'affaire, compétence qui résulte ici de l'article 3146 C.c.Q. On peut considérer que, dans ce cadre, ils gardent, en vertu des articles 20 et 46 C.p.c., la compétence résiduelle de prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder les droits des parties et assurer l'efficacité du jugement qu'ils rendent en vertu de l'article 3135 C.c.Q.

[144]     Bref, l'ordonnance de retour doit en principe être envisagée en la matière. Cela dit, la Cour doit-elle en conséquence de l'application de ce principe ordonner le retour des enfants en Algérie?

[145]     Au stade où nous en sommes, on ne peut certes pas ordonner simplement le retour des enfants en Algérie, puisqu'on ne connaît rien (ou en tout cas très peu) de leur situation actuelle et de ce qui les attendrait à leur retour en Algérie. De façon générale, sans doute le retour s'impose-t-il comme la mesure à prendre, mais j'évoquerai ci-dessous, pêle-mêle, certaines questions que l'on doit résoudre afin de déterminer l'opportunité d'une ordonnance en ce sens et les conditions ou modalités dont elle devrait être assortie, le cas échéant.

[146]     Ainsi, on sait que l'intimée et ses enfants sont en attente d'une décision sur leur demande d'asile. Même si cette situation, vu les circonstances exceptionnelles de l'espèce, ne peut empêcher la Cour de décliner compétence sur l'action en séparation de corps, il reste que si, par hypothèse, le statut de réfugié était accordé à l'intimée et à ses enfants, en vertu d'une preuve qui n'a pas été administrée devant les tribunaux québécois, le risque d'ordonnances contradictoires existe, ce qui pourrait compliquer les choses. Je n'affirme pas que ce seul facteur doit régler l'issue de la demande de retour des enfants présentée par l'appelant ni qu'il faut attendre la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avant de statuer sur ce retour, mais cela est à considérer.

[147]     Il faut également s'assurer que les enfants ne seront pas privés, à leur retour, de la présence de l'intimée, leur mère, qui a toujours été la figure parentale dominante.

[148]     Sur ce dernier point, je crois utile de citer ici l'arrêt Droit de la famille - 111062[82]. Dans cette affaire, la Cour refuse d'ordonner le retour d'enfants au Mexique, malgré leur déplacement illicite au Québec, car la sécurité de la mère, qui fait face à des accusations pénales dans son pays d'origine et qui pourrait y être exposée à la violence de sa famille et de son ex-conjoint, ne pouvait être assurée, ce qui aurait porté préjudice aux enfants. Ces derniers auraient risqué, advenant leur retour au Mexique, d'être privés de leur mère, soit parce que celle-ci n'aurait pu, elle-même, retourner dans ce pays par crainte de graves problèmes ou parce que, si elle y était retournée, elle aurait été en péril, notamment en raison d'un emprisonnement possible, d'une durée significative. Or, on ignore ce qu'il en est en l'espèce des conditions du retour de l'intimée en Algérie. Il est vrai que l'affaire Droit de la famille - 111062 traite d'une situation régie par la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, ce qui n'est pas le cas ici, mais je suis d'avis que cet élément est pertinent en l'espèce, aux termes mêmes des articles 3138 , 3140 et 33 C.c.Q., de même qu'au regard de l'article 46 C.p.c.

[149]     En outre, on ne peut pas trancher sans s'interroger sur les éléments suivants, qui reposent sur l'évaluation de l'intérêt des enfants, facteur dont l'article 33 C.c.Q. commande de tenir compte[83]. Doit-on ordonner ce retour dans les prochaines semaines? Doit-on plutôt, dans leur intérêt, leur laisser finir l'année scolaire qu'ils ont entamée au Québec? Si oui, devrait-on dans l'intervalle accorder à l'appelant des droits d'accès autres que téléphoniques? Les enfants n'ont en effet pas vu leur père depuis plus de deux ans et, même s'ils lui ont parlé, on imagine mal de les renvoyer en Algérie sans une période de transition leur permettant de reprendre contact avec lui. Les enfants ont sans doute subi un traumatisme à leur arrivée au Canada en 2010; il n'est pas utile de leur en infliger un autre maintenant en les renvoyant brusquement dans leur pays d'origine, particulièrement alors qu'on ne sait rien de la situation qui les attend à leur retour. L'on ignore par ailleurs tout de leur condition psychologique ou physique (par exemple, on ne sait pas si les enfants souffrent de problèmes de santé empêchant leur déplacement[84]), qui pourrait faire en sorte qu'une ordonnance de retour soit contre-indiquée.

[150]     Il est donc nécessaire, à l'évidence, d'examiner plus avant la double question de l'opportunité de l'ordonnance de retour et des conditions et modalités qui devront  l'assortir, le cas échéant, en vue de protéger au mieux l'intérêt des enfants.

[151]     Même la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, qui prévoit pourtant le retour « immédiat » des enfants, n'empêche pas des modalités de transition (qui sont d'ailleurs souhaitables, bien que, en vertu de cette loi, elles ne doivent pas s'éterniser). A fortiori, la latitude est encore plus grande, ici, à cet égard. Il est probable que les enfants devront être renvoyés en Algérie à terme, mais il convient de le faire d'une manière conforme à leur intérêt, ce qui inclut la possibilité d'une exception justifiée à l'application du principe du retour qui découle normalement du fait de décliner compétence.

[152]     Or, la preuve présentée à la Cour supérieure ne révèle rien de la situation particulière des enfants ou de leur mère ni des conditions qui devraient ou pourraient accompagner une ordonnance de retour. La question n'a d'ailleurs pas été discutée en première instance, elle ne l'a pas été davantage devant la Cour et personne n'a suggéré de conditions ou de modalités advenant le prononcé d'une telle ordonnance. La question a été à peine abordée et vue, semble-t-il, comme une affaire dont l'issue allait de soi.

[153]     Il conviendra donc de renvoyer le dossier à la Cour supérieure, pour que les parties débattent de l'opportunité d'une ordonnance de retour et des conditions et modalités qui, le cas échéant, devront l'accompagner. La Cour pourra alors elle-même, en toute connaissance de cause, statuer sur l'opportunité ou l'inopportunité d'une telle ordonnance (provisoirement ou autrement), conformément aux articles 3138 et 3140 C.c.Q., et elle pourrait donc conclure, en vertu des articles 3138 ou 3140. Si elle conclut à l'opportunité du retour, elle fixera alors les conditions et modalités de celui-ci.

[154]     Dans l'intervalle, et jusqu'à ce que la Cour supérieure se prononce, il conviendra également, de manière à assurer la protection des enfants (art. 3140 C.c.Q.), d'ordonner que ceux-ci demeurent sous la garde de l'intimée.

* *

[155]     Pour ces raisons, je recommande d'accueillir l'appel ainsi que l'exception déclinatoire de l'appelant et de renvoyer le dossier à la Cour supérieure pour statuer sur l'opportunité de l'ordonnance de retour et les conditions et modalités qui devront, le cas échéant, l'accompagner. Jusqu'à ce que la Cour supérieure rende jugement, il conviendra de confier les enfants à la garde de leur mère. S'agissant enfin d'une matière familiale, et vu le contexte, le tout sera sans frais.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 



[1]     Témoignage de l'intimée, notes sténographiques de l'audience du 15 novembre 2011, p. 95-96.

[2]     Paragr. 1 et 6 du jugement :

[1] Madame S... Y... (Madame) a fui l'Algérie avec les deux (2) enfants du couple et intenté au Québec une action en séparation de corps. Monsieur A... A... (Monsieur) demande aux tribunaux québécois de décliner compétence, au motif que Madame a quitté l'Algérie et s'est établie au Québec avec les enfants à son insu et sans son consentement.

[…]

[6] Le ou vers le 10 décembre 2010, Madame quitte l'Algérie avec les enfants pour venir s'installer au Québec. Ce déplacement se fait à l'insu et sans le consentement de Monsieur.

[3]     Témoignage de l'appelant, notes sténographiques de l'audience du 15 novembre 2011, p. 61 et 62. On remarquera tout de même que, selon la copie du jugement reproduite en annexe à l'exposé de l'appelant, ce dernier est désigné comme la « victime » du délit et le procureur général de la république agit en son nom. Il paraît également avoir été présent au moment du prononcé du jugement et il est le bénéficiaire de la réparation monétaire prononcée par le tribunal.

[4]     Témoignage de l'appelant, notes sténographiques du 15 novembre 2011, p. 34-35.

[5]     Témoignage de l'appelant, notes sténographiques du 15 novembre 2011, p. 43 in fine et 44.

[6]     Témoignage de l'intimée, notes sténographiques du 15 novembre 2011, p. 93.

[7]     Déclaration de l'intimée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, p. 2 in fine.

[8]     Voir le certificat de Soumeya Bensalem sur le droit algérien, paragr. 8b), renvoyant à l'article 8 du Code de la famille (tel qu'à l'époque) :

      Il est permis de contracter mariage avec plus d'une épouse dans les limites de la chari'a si le motif est justifié, les conditions et l'intention d'équité réunies et après information préalable des précédente et future épouses. L'une et l'autre peuvent intenter une action judiciaire contre le conjoint en cas de dol ou demander le divorce en cas d'absence de consentement.

[9]     Jugement de première instance, paragr. 22, 23 et 26.

[10]    [1996] 2 R.C.S. 108 .

[11]    L.R.C. (1985), ch. 3 (2e suppl.).

[12]    C'est du reste ce qu'a reconnu l'avocate de l'intimée lors de l'audience devant la Cour.

[13]    L.R.Q., c. A-23.01.

[14]    [1999] R.D.F. 641 (C.A.).

[15]    Louis LeBel et Geneviève Chabot, « L'essai d'un mariage : l'intégration du forum non conveniens dans le droit international privé québécois », dans Mélanges en l'honneur du professeur Alain Prujiner, sous la direction de Sylvette Guillemard, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2011, 267, p. 274 et 275.

[16]    Son statut précaire au Canada est-il de nature à l'empêcher d'y acquérir un domicile? C'est un sujet sur lequel il n'est pas nécessaire de se prononcer, la seule résidence suffisant à asseoir la compétence des autorités judiciaires québécoises en vertu de l'article 3146 C.c.Q.

[17]    Précité, note 14, p. 643, 646 et 647.

[18]    Dans ce sens, voir aussi : L.F. c. N.T., [2001] R.J.Q. 300 (C.A.); Droit de la famille — 082664, [2008] R.D.F. 740 (C.S.); Droit de la famille — 08384, B.E. 2008BE-804 (C.S.); K.K. c. Y. K. (M.), C.S.M. 500-04-059051-129, 24 août 2012 (Mme la j. Francine Nantel), requête pour sursis d'exécution refusée ( 2012 QCCA 1503 ).

[19]    Droit de la famille — 3451, précité, note 14, p. 647.

[20]    Art. 416 C.c.Q.

[21]    Art. 508, 465, premier al., paragr. 3, et 492 C.c.Q.

[22]    Art. 502 au stade provisoire et 511 C.c.Q. sur le fond.

[23]    Voir aussi l'article 501 C.c.Q., au stade des mesures provisoires.

[24]    De ce point de vue, la situation de l'espèce se distingue de celle dont il était question dans GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., [2005] 2 R.C.S. 401 , où la Cour suprême décide que l'article 3139 C.c.Q., disposition générale, doit céder le pas au second alinéa de l'article 3148 C.c.Q.

[25]    Voir à ce propos : GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., précité, note 24, paragr. 19.

[26]    Précité, note 24.

[27]    Commentaires du ministre de la Justice (Le Code civil du Québec), t. 2, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 2007-2008. On notera que l'Office de révision du Code civil, dans son rapport de 1977 (O.R.C.C., Rapport sur le Code civil du Québec, vol. 1, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 609), avait plutôt recommandé que les tribunaux québécois soient compétents en matière de garde si l'enfant était domicilié au Québec ou, simplement, y était présent (art. 59 du livre neuvième sur le droit international privé). Cette mesure était destinée à « permettre aux tribunaux du Québec d'exercer un contrôle plus efficace sur la protection de l'enfance, matière d'ordre public » (O.R.C.C., Rapport sur le Code civil du Québec, vol. 2, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, p. 1007, reprenant les propos du comité du droit international privé dans Rapport sur le droit international privé, vol. XXXII, Montréal, o.r.c.c., 1975, p. 134). L'Office recommandait aussi, en son article 55, que « [l]a compétence des tribunaux du Québec mentionnée aux articles 53 [nullité du mariage] et 54 [divorce et séparation de corps] emporte également compétence sur les mesures accessoires, sous réserve des dispositions de l'article 59 » (O.R.C.C., Rapport sur le Code civil du Québec, vol. 1, p. 609). En fin de compte, ce n'est pas la formule qu'a retenue le législateur, qui n'a pas édicté de disposition analogue à celle de l'article 55 et dont l'article 3142 C.c.Q. diffère de l'article 59 autrefois proposé.

[28]    H. Patrick Glenn, « Droit international privé », dans La réforme du Code civil, t. 3, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1993, 669 et s., p. 752.

[29]    Claude Emanuelli, Droit international privé québécois, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2011, p. 106-107 (voir aussi, p. 97 à 99, paragr. 177).

[30]    Pour un exemple d'une situation où une demande de garde d'enfants est faite de manière indépendante d'une instance en séparation (ou en divorce) et où la cour applique l'article 3142 C.c.Q., voir : Droit de la famille — 3428, J.E. 99-2015 (C.A.).

[31]    Commentaires du ministre de la Justice (Le Code civil du Québec), précité, note 27, p. 2005.

[32]    H. Patrick Glenn, loc. cit., note 28, p. 750.

[33]    J. A. Talpis et J.-G. Castel, « Interprétation des règles du droit international privé », dans La réforme du Code civil, t. 3, précité, note 28, p. 801 et s., paragr. 443 et note infrapaginale 131. Dans cette note, les auteurs expriment une préférence pour une « compétence basée sur le domicile de l'enfant au Québec », plutôt qu'une compétence accessoire issue de la compétence sur la séparation de corps. L'ouvrage qu'ils citent (Ethel Groffier, La réforme du droit international privé québécois, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1993, paragr. 115), en marge de l'article 3142 C.c.Q., indique cependant que :

            Il faut néanmoins ne pas oublier que le tribunal qui prononce le divorce prononce également des mesures accessoires, dont la garde des enfants et que, par conséquent, le tribunal compétent en matière de divorce l'est en matière de garde et ce, selon des règles tout à fait différentes [renvoi omis]. En matière de séparation, la question reste posée. Nous trouverions dommage que le tribunal de la séparation ne puisse pas se prononcer sur la garde d'un enfant résidant au Québec et ce, même si les conditions de l'article 3136 n'étaient pas remplies. (p. 136)

[34]    Gérald Goldstein et Ethel Groffier, Droit international privé, t. II, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2003, paragr. 296, p. 206-207.

[35]    Voir : Droit de la famille — 2223, [1995] R.J.Q. 1792 (C.S.); Droit de la famille — 3392, [1999] R.D.F. 676 (C.S.); Droit de la famille — 2573, J.E. 97-207 (C.S.).

[36]    Voir par exemple : H.H.N. c. O.X.Ng., [2002] R.D.F. 604 (C.S.). Dans cette affaire, où une mère a institué au Québec une action en séparation de corps et demandé la garde des enfants des parties, le tribunal, qui constate sa compétence sur la séparation en vertu de l'article 3146 C.c.Q., traite de sa compétence sur la garde des enfants en fonction de l'article 3142 C.c.Q.

[37]    [2000] R.D.F. 398 (C.A.).

[38]    On parle ici des articles 3093 et 3142 C.c.Q.

[39]    Voir notamment : Gérald Goldstein et Ethel Groffier, op. cit., note 34, paragr. 266, p. 131.

[40]    Lorsque le problème implique un pays étranger, notre cour a reconnu et appliqué l'article 3135  C.c.Q. en matière de divorce. Voir : Droit de la famille — 3507, précité, note 37, paragr. 11; M.I.B. c. M.-P.L., [2005] R.J.Q. 2817 (C.A. - où la Cour envisage l'article 3135 C.c.Q. même si, au terme de son analyse des critères applicables, elle conclut qu'il n'y a pas lieu de décliner compétence); Droit de la famille — 10322, 2010 QCCA 328 , 2010EXP-873 . Voir aussi : Gérald Goldstein et Ethel Groffier, op. cit., note 34, paragr. 266, p. 132 à 134.

[41]    J.E. 98-1592 (C.A.).

[42]    [2002] 4 R.C.S. 205 , paragr. 71. Voir également : Club Resorts Ltd. c. Van Breda, [2012] 1 R.C.S. 572 , paragr. 107. Voir aussi : Conserviera S.p.A. c. Paesana Import-export inc., [2001] R.J.Q. 1458 (C.A.), paragr. 23 à 25.

[43]    2013 QCCA 269 , SOQUIJ AZ-50936701 , notamment aux paragr. 78 à 91.

[44]    [2003] R.J.Q. 2516 (C.A.), motifs du juge Morin (auxquels souscrit le juge Letarte, ad hoc).

[45]    Précité, note 40, paragr. 41 et 42.

[46]    Droit de la famille — 3507, précité, note 37, paragr. 14.

[47]    Précité, note 40. Dans le même sens, voir : Bennaouar c. Machhour, 2012 QCCA 469 , J.E. 2012-654 .

[48]    Gérald Goldstein, Droit international privé, vol. 2 (Compétence internationale et effet des décisions étrangères), à paraître en 2013 (Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc.), paragr. 3135 580, sous la rubrique « l'intérêt de la justice ».

[49]    Id.

[50]    2011 QCCS 6948 , J.E. 2012-307 (C.S.), paragr. 24.

[51]    Signalons d'ailleurs que, lors de l'audience en Cour supérieure, la communication téléphonique avec l'appelant a été rompue pendant le témoignage de l'experte. Voir annexes de l'exposé de l'appelant, notes sténographiques du 15 novembre 2011, p. 66.

[52]    Précité, note 44.

[53]    Précité, note 10.

[54]    Précité, note 35.

[55]    Précité, note 50.

[56]    Cour de Blida, Tribunal de Cheraga, section des affaires familiales, jugement du 30 mai 2011, pièce P-3.

[57]    Témoignage de Soumeya Bensalem, notes sténographiques du 15 novembre 2011, p. 85-86.

[58]    Au sujet du second alinéa de l'article 3090 C.c.Q. et de ses conditions « en cascade », voir : Gérald Goldstein, Droit international privé, vol. 1 (« Conflits de lois : dispositions générales et spécifiques »), Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2011, p. 188 et s.

[59]    Commentaires du ministre de la Justice, t. II, précité, note 27, p. 1962 :

[…]

Les effets de la séparation de corps, qu'il s'agisse de la fin de l'obligation de faire vie commune, de la séparation de biens, de l'organisation de l'obligation alimentaire ou de la garde des enfants, sont soumis à la loi qui a été appliquée à la séparation de corps. C'était déjà le cas auparavant. [Je souligne.]

      Selon le ministre, l'article 3093 C.c.Q., pour sa part, ne viserait que « les demandes de garde indépendantes des actions en séparation de corps ou en divorce » (ibid., p. 1964). Dans le même sens, voir : H. Patrick Glenn, loc. cit., note 28, paragr. 24, p. 696.

[60]    Gérald Goldstein, op. cit., note 58, p. 265-266.

[61]    Voir Stormbreaker Marketing and Productions Inc. c. Weinstock, précité, note 43, paragr. 99 à 102.

[62]    Voir Code de la famille de l'Algérie, art. 53.

[63]    Témoignage de Soumeya Bensalem, notes sténographiques du 15 novembre 2011, p. 77 à 79.

[64]    Précité, note 40. Dans cette affaire, cependant, on notera que l'intimé était né au Québec (alors que l'appelante était originaire du Congo), que les parties s'y étaient mariées, y avaient été domiciliés brièvement et que leur fille y était née.

[65]    Il faut dire à sa décharge que lors de l'audience en Cour supérieure, le temps étant compté, elle a été pressée de répondre aux questions de l'avocate de l'appelant, qui elle-même était pressée par le tribunal.

[66]    Affidavit de l'intimée au soutien de la requête introductive d'instance en séparation de corps, 17 juin 2011, paragr. 29 et 30; déclaration à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, p. 4-5. L'intimée ne témoigne pas à ce sujet lors de l'audience devant la Cour supérieure.

[67]    Selon sa déclaration à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, p. 6, elle aurait emprunté à une amie la somme nécessaire au voyage.

[68]    Témoignage de l'intimée, notes sténographiques du 15 novembre 2011, p. 109.

[69]    Ce qui va d'ailleurs dans le sens des obligations contractées par le Canada dans le cadre de la Convention relative aux droits de l'enfant (O.N.U., New York, 20 novembre 1989). Voir notamment l'art. 11 de cette convention, ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991 (avec des réserves et une déclaration interprétative relatives au droit des autochtones, ce qui n'est pas ici pertinent).

[70]    2009 QCCS 3192 , J.E. 2009-1409 .

[71]    2011 QCCA 729 , J.E. 2011-712 (requête en prolongation de délai accueillie et requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 décembre 2011, 34339).

[72]    La Convention relative aux droits de l'enfant (également ratifiée par l'Algérie le 16 avril 1993, avec deux déclarations interprétatives concernant les articles 13, 14, 16 et 17 du traité) est sans doute un bon indicateur de l'ordre public international en la matière et, par son article 3, place l'intérêt de l'enfant au sommet des considérations relatives à toute décision prise à son endroit. La protection contre tout traitement discriminatoire est également prévue par l'article 2 de la convention.

[73]    [2008] R.J.Q. 2391 (C.A.). Dans cette affaire, cependant (où il s'agissait d'une demande de modification d'une ordonnance de garde prononcée par un tribunal d'Abu Dhabi), le juge a conclu à l'absence de compétence de la Cour supérieure, en raison de l'article 3142 C.c.Q., mais, vu la réalité juridique dans cet état, il a appliqué l'article 3136 C.c.Q.

[74]    Précité, note 41.

[75]    Précité, note 40. Dans cette affaire, le père obtient la garde de l'enfant des parties à la suite d'un jugement sur mesures provisoires de la Cour supérieure du Québec (accessoirement à une demande de séparation de corps) et l'emmène au Surinam, où il travaille et où il avait été transféré avant sa séparation d'avec la mère. Il déménage ensuite en Martinique, puis en Guyane française. La mère, installée au Québec et ayant obtenu le statut de réfugiée, n'a jamais revu sa fille et intente au Québec une action en divorce dans le cadre de laquelle elle cherche à obtenir la garde de l'enfant. Le père demande que les tribunaux québécois déclinent compétence en vertu de l'article 3135 C.c.Q.

[76]    Précité, note 10.

[77]    Précité, note 14.

[78]    Ibid., p. 648.

[79]    Précité, note 18.

[80]    Dans cette affaire, le père, qui a quitté la Russie pour le Québec avec l'enfant des parties, présente à la Cour supérieure une requête visant à obtenir la garde de l'enfant. La mère demande au tribunal de décliner compétence, vu l'article 3142 C.c.Q., et d'ordonner le retour de l'enfant à Moscou, où il résidait précédemment.

[81]    Droit de la famille — 122302, 2012 QCCA 1503 , SOQUIJ AZ-50890366 .

[82]    Précité, note 71.

[83]    Dans les affaires régies par la Loi sur les aspects civils de l'enlèvement international et interprovincial d'enfants, cet intérêt se confond avec les prescriptions de la loi, mais ce n'est pas le cas dans un cadre comme celui-ci, où cette loi ne s'applique pas.

[84]    C'était le cas dans Droit de la famille - 3451, précité, note 14.

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