Décision

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Borzomi c. Brown

2010 QCCQ 7181

COUR DU QUÉBEC

(Division de pratique)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

« Chambre civile »

N° :

500-22-170927-100

 

 

 

DATE :

Le 22 juin 2010

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU

JUGE

JACQUES PAQUET, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

LIANA BORZOMI

et

TINO FALCIANI

Demandeurs

c.

ASHLEY BROWN

           Défenderesse

et

RICHARD GAUTHIER, huissier de justice

Mis en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Sur la requête de la défenderesse en opposition afin d’annuler un bref d’expulsion)

______________________________________________________________________

 

[1]           Après avoir accepté d’en devancer la date de présentation originairement prévue, le Tribunal est saisi d’une demande formulée par la défenderesse (locataire) en opposition afin d’annuler un bref d’expulsion dans le contexte résumé ci-après.

LE CONTEXTE

[2]           Le 15 avril 2010, les parties se présentent devant la Régie du logement dans le cadre d’une demande de résiliation de bail, expulsion des locataires et recouvrement de loyers formulée par les demandeurs, à titre de propriétaires du logement dont la défenderesse est locataire.

[3]           Au terme de l’audition, la défenderesse est informée qu’elle doit 1 750 $ et qu’à cette somme s’ajouteront les intérêts, l’indemnité additionnelle et les frais.  Au regard des frais, on l’avise qu’elle peut en connaître le montant en se présentant au greffe de la Régie, ce qu’elle ne paraît pas avoir fait.

[4]           Ces informations visent à donner à la défenderesse la possibilité de payer avant que la décision soit formellement rendue et ainsi bénéficier de l’article 1883 C.c.Q. qui prévoit :

Art. 1883.  Le locataire poursuivi en résiliation du bail pour défaut de paiement du loyer peut éviter la résiliation en payant, avant jugement, outre le loyer dû et les frais, les intérêts au taux fixé en application de l’article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé.

[5]           Le 22 avril 2010, en soirée, la défenderesse remet aux demandeurs un chèque au montant de 1 750 $.  Lors de cette remise elle est informée que les frais à payer sont de 72 $.  Il n’est pas question des intérêts et de l’indemnité additionnelle.  Lors de l’audition, les demandeurs mentionnent que cela représente quelques dollars dont ils ne paraissent pas avoir tenu compte.

[6]           La défenderesse affirme être revenue le soir même chez les demandeurs pour payer la somme de 72 $, mais ne pas avoir eu de réponse après qu’elle eut frappé à la porte.  Les demandeurs nient catégoriquement cette affirmation.

[7]           Quoiqu’il en soit, le montant de 72 $ sera payé le lendemain, 23 avril 2010, et les demandeurs émettront alors un reçu pour le montant total payé, soit 1 822 $.

[8]           Dans les jours qui suivent, les demandeurs reçoivent la décision de la Régie du logement qui fait suite à l’audition du 15 avril.  Cette décision a été expédiée par la Régie le 26 avril 2010.  La défenderesse affirme pour sa part ne pas l’avoir reçue.

[9]           Le dispositif de la décision est le suivant :

[11]  RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement;

[12]  CONDAMNE les locataires à payer aux locateurs la somme de 1 750 $, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter du 26 février 2010 sur la somme de 250 $, et sur le solde à compter de l’échéance de chaque loyer, plus les frais judiciaires de 72 $;

[13]  Dans l’éventualité où la résiliation n’a pas lieu en raison de l’application de l’article 1803 (sic - il faudrait lire 1883) C.c.Q., ORDONNE aux locataires de payer leur loyer le 1er de chaque mois.

[10]        Il faut comprendre de la lecture de la décision que l’ordonnance relative au paiement du loyer, contenue au paragraphe 13 de la décision, résulte de l’application de l’article 1973 C.c.Q.  En effet, au paragraphe 9 de sa décision, la Régie écrit :

[9]  Quant aux retards fréquents, le tribunal considère qu’il y a lieu de surseoir à la résiliation du bail et d’y substituer une ordonnance selon l’article 1973 C.c.Q. :

« 1973.     Lorsque l’une ou l’autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l’accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d’exécuter ses obligations dans le délai qu’il détermine, à moins qu’il ne s’agisse d’un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

                 Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

[11]        Après réception de la décision, les demandeurs communiquent avec la Régie du logement pour être informées de leurs droits.  Après avoir mentionné au préposé que les frais de 72 $ ont été payés le 23 avril 2010, le lendemain de la décision, on leur aurait mentionné que la défenderesse n’est plus leur locataire parce qu’elle n’a pas payé l’entièreté de la somme due avant la décision de la Régie.

[12]        C’est sur la base de cette information que les demandeurs refusent le paiement du loyer de mai, craignant qu’en l’acceptant ils renoncent aux droits qui résultent de la décision de la Régie, particulièrement celui relatif à la résiliation du bail.

[13]        Les demandeurs entreprennent ensuite des démarches pour obtenir l’expulsion de la défenderesse.  À cette fin, un préavis de deux jours lui est signifié le 21 mai 2010.

[14]        La défenderesse précise qu’en raison du refus des demandeurs d’accepter le loyer de mai et considérant le préavis d’expulsion qui lui a été signifié, elle a conclu que ceux-ci n’accepteraient pas le paiement du loyer de juin qu’elle était disposée à effectuer.

DISCUSSION

[15]        L’article 1883 C.c.Q., précité est à certains égards problématique, parce que le locataire qui conteste une demande relative au loyer, ne sait pas toujours, avant que la décision soit rendue, quel est le montant exact qu’il doit.  La même remarque vaut au regard des intérêts.  Il semble, par ailleurs, que les frais peuvent être connus avant la décision.

[16]        Ici, la défenderesse a été informée du montant dû et a donc pu bénéficier de l’article précité.

[17]        En payant la somme de 1 750 $ le 22 avril 2010, six jours après l’audition, la défenderesse manifeste clairement son intention de se prévaloir de l’article 1883 C.c.Q.

[18]        En faisant le paiement le 22 avril 2010, la défenderesse a de surcroît demandé aux demandeurs quelle était la somme due pour les frais, montrant encore qu’elle entendait payer entièrement ce qui était dû, ce qu’elle a d’ailleurs fait dès le lendemain.  À cette date, il est clair que tant la défenderesse que les demandeurs ignorent que la décision de la Régie est signée la veille, puisqu’elle n’a été expédiée que le 26 avril.

[19]        La défenderesse a payé la somme due avant cette dernière date.

[20]        Dans un jugement du 17 août 2004[1], le juge Raoul Barbe conclut que l’expression « avant jugement » de l’article 1883 C.c.Q. doit être interprétée comme signifiant la date de prise de connaissance du jugement.

[21]        En l’espèce, bien que la date de connaissance du jugement est nécessairement après le 26 avril 2010, il n’est pas nécessaire d’adhérer à cette thèse, sans par ailleurs s’y opposer, pour conclure que la requête de la défenderesse est fondée.

[22]        Prenant en compte le contexte résumé précédemment, le Tribunal conclut qu’il serait incorrect de faire perdre à la défenderesse le bénéfice de l’article 1883 C.c.Q.  La majeure partie de la dette est payée le même jour que la décision est rendue, alors qu’une infirme partie est payée le lendemain.

[23]        Pour conclure ainsi, le Tribunal s’inspire en outre du second alinéa de l’article 1604 C.c.Q. qui prévoit :

Art. 1604.  Le créancier, s’il ne se prévaut pas du droit de forcer, dans les cas qui le permettent, l’exécution en nature de l’obligation contractuelle de son débiteur, a droit à la résolution du contrat, ou à sa résiliation s’il s’agit d’un contrat à exécution successive.

     Cependant, il n’y a pas droit, malgré toute stipulation contraire, lorsque le défaut du débiteur est de peu d’importance, à moins que, s’agissant d’une obligation à exécution successive, ce défaut n’ait un caractère répétitif; mais il a droit, alors, à la réduction proportionnelle de son obligation corrélative.

 

     La réduction proportionnelle de l’obligation corrélative s’apprécie en tenant compte de toutes les circonstances appropriées; si elle ne peut avoir lieu, le créancier n’a droit qu’à des dommages-intérêts.

                                                                                                   (Emphase ajoutée)

[24]        Vu les circonstances propres au dossier et compte tenu des dispositions législatives précitées, le Tribunal conclut que la requête en opposition au bref d’expulsion est fondée, mais qu’elle doit être accueillie sans frais.

[25]        Comme les loyers de mai et juin 2010 ne sont pas payés, pour les raisons expliquées précédemment, la défenderesse devra payer la somme de 1 500 $ au plus tard le 28 juin 2010 et devra payer le loyer mensuel prévu au bail le premier jour de chaque mois par la suite, comme l’a ordonné la Régie, à défaut de quoi elle s’expose aux conséquences prévues à l’article 1973 C.c.Q.

[26]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[27]        ANNULE les procédures d’expulsion entreprises dans ce dossier;

[28]        RÉSERVE les droits des demandeurs pour les loyers impayés et les loyers à venir;

[29]        LE TOUT sans frais.

 

 

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JACQUES PAQUET, J.C.Q.

 

Liana Borzomi et Tino Falciani

Personnellement

 

 

Me Erika Aliova

Aide juridique

Pour la défenderesse Ashley Brown

 

 

Date d’audience :

Le 16 juin 2010

 



[1]     Cavaliere c. Couture et autres, CQM 500-02-126848-048, AZ-50266177 .

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