3104-2583 Québec inc. c. Gingras |
2013 QCCQ 3888 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division administrative et d’appel » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEDFORD |
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LOCALITÉ DE |
GRANBY |
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« Chambre civile » |
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N° : |
460-80-000989-127 |
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DATE : |
12 avril 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PATRICK THÉROUX, J.C.Q. |
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3104-2583 QUÉBEC INC., personne morale légalement constituée, ayant son siège social au 316, rue Bégin, Brigham (Québec), J2K 4Y5, |
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Demanderesse |
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c. |
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CLAUDE GINGRAS, domiciliée et résidant au […], Brigham (Québec), […], |
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Défenderesse |
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et |
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RÉGIE DU LOGEMENT, |
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Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse a reçu la permission de porter en appel une décision rendue par la Régie du logement le 22 août 2012.
[2] Par sa décision, la Régie accueille partiellement la réclamation de la demanderesse en recouvrement de loyers impayés et rejette sa demande de résiliation de bail et d'éviction de la défenderesse au motif de retard dans le paiement du loyer.
[3]
La demanderesse plaide en appel que la Régie a erré en refusant de
résilier le bail et d'évincer la défenderesse parce qu'il a été démontré que
cette dernière accusait un retard de plus de trois semaines dans le paiement du
loyer. Selon la demanderesse, les dispositions de l'article
[4] Pour sa part, la défenderesse soutient que la décision de la Régie est bien fondée puisque le retard invoqué est attribuable au fait que la demanderesse n'encaissait pas ses chèques de loyer.
[5] Le motif retenu par la Régie pour refuser la résiliation et l'éviction est énoncé comme suit :
« [5] La
locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer. La
résiliation du bail serait donc justifiée par l'application de l'article
[6] La question soulevée par le présent pourvoi peut donc être formulée comme suit :
[7] La Régie du logement est-elle obligatoirement tenue de prononcer la résiliation du bail et l'éviction du locataire lorsqu'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer est établi, quelle qu'en soit la cause?
LA NORME D'INTERVENTION
[8] La Régie du logement est l'organisme administratif spécialisé en matière de logement locatif. Elle constitue le tribunal chargé de trancher les litiges relevant de l'application des règles particulières au bail d'un logement prévues au C.c.Q.
[9]
La question soumise à l'appel concerne l'application des articles
[10] La norme de la décision raisonnable s'impose à l'analyse de la question sous étude. Cet extrait, maintes fois cité de l'arrêt Dunsmuir[1], décrit sommairement la démarche analytique à privilégier :
« [47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[48) L'application d'une seule norme de raisonnabilité n'ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d'avant l'arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n'ont peut-être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif. Que faut-il entendre par déférence dans ce contexte? C'est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s'ensuit pas que les cours de justice doivent s'incliner devant les conclusions des décideurs ni qu'elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. Elle « repose en partie sur le respect des décisions du gouvernement de constituer des organismes administratifs assortis de pouvoirs délégués » :
Canada (Procureur général) c. Mossop,
1993 CanLll164 (CSC),
[11] C'est à la lumière de cet enseignement qu'il faut donc aborder l'analyse de la question soumise.
LE CONTEXTE
[12]
La demanderesse est propriétaire d'un parc de maisons mobiles. Elle
loue un terrain à la défenderesse, d'où le fait qu'aux termes de l'article
[13] Ces dernières années, la demanderesse veut reprendre possession de son terrain. Son comportement quant au paiement du loyer est plutôt insolite.
[14] Le 11 avril 2006, la Régie rendait une décision où on peut lire ceci[2] :
« Quant au loyer dû, la locataire a payé lors de l'audience le loyer des mois de septembre, octobre et novembre 2005 que le locateur avait refusé auparavant. Quant aux autres mois, il n'a qu'à encaisser les chèques qu'il a en sa possession. »
[15] Le 22 novembre 2006, une autre décision de la Régie énonce ceci[3] :
« La locataire demande l'autorisation de déposer le loyer au greffe de la Régie et de statuer sur la durée du bail.
Quant à la durée du bail, la soussignée a déjà statué qu'elle était du 1er novembre au 31 octobre pour la location d'un terrain destiné à l'installation d'une maison mobile.
Concernant la perception du loyer, le locateur encaisse maintenant les chèques. Il n'y a aucune preuve contraire. »
[16] Le 6 août 2008, la Régie écrit ceci dans le cadre d'une autre décision statuant sur une demande d'autorisation de déposer le loyer[4] :
« La preuve révèle que le locateur a régulièrement retardé à encaisser les chèques de loyer transmis par la locataire.
À titre d'exemple, au moment de la demande à la Régie, les chèques de loyer des mois de décembre 2007, janvier, février 2008 n'avaient pas été encaissés. Ils l'ont été le 15 avril 2008. Celui du mois de novembre 2007 a été encaissé le 24 mars 2008. Le loyer des mois de mars, avril, mai, juin et juillet 2008 ont par la suite été encaissés en temps opportun.
La preuve ne révèle plus que le Iocateur refuse d'encaisser les chèques depuis la demande, soit depuis six mois. Le Tribunal n'autorise pas le dépôt du loyer dans les circonstances.
Toutefois, la situation cause préjudice à la locataire qui est prestataire de l'aide de dernier recours, qui ne peut se permettre de voir des sommes d'argent s'accumuler dans son compte de banque et qui doit constamment se justifier auprès des agents gouvernementaux responsables de son dossier.
Le locateur serait donc bien avisé d'encaisser les chèques de loyer de la locataire dans un délai raisonnable. À défaut, la locataire pourra s'adresser à nouveau à la Régie pour faire valoir ses droits et les obligations du locateur. »
[17] Le 13 février 2012, la demanderesse fait parvenir une mise en demeure à la défenderesse lui réclamant 4 250 $ en arrérages de 25 mois de loyer et lui intimant l'ordre de quitter les lieux loués[5] :
« D'autre part, M. Laflamme nous informe également que vous êtes en défaut de payer plus de vingt-cinq (25) mois de loyer, au montant de 170,00$ chacun, représentant la somme totale de 4 250,00$.
Considérant ce qui précède, vous êtes formellement tenue de quitter les lieux que vous louez, à l'adresse civique 1424, rue Magenta Ouest, à Brigham, le ou avant le 31 octobre 2012. Vous devrez également, dans le même délai, déménager des lieux votre maison mobile ainsi que tous vos biens et/ou ceux de tout occupant se trouvant sur la propriété de notre cliente. »
[18] Le 9 mai 2012, la Régie accueille l'opposition de la défenderesse au changement d'affectation du terrain loué[6].
[19] Le 30 mai 2012, la demanderesse fait signifier une mise en demeure réclamant à la défenderesse 5 100 $ en loyers impayés. Il s'agit des loyers des mois d'octobre 2008 à mars 2011, soit 30 mois de loyers pour lesquels, précise la mise en demeure, les chèques remis par la défenderesse n'ont pas été encaissés.
[20] Le 11 juin 2012, la demanderesse dépose à la Régie une demande de recouvrement des loyers d'octobre 2008 à mars 2011 (5 100 $) à laquelle elle joint une demande de résiliation de bail et d'éviction de la défenderesse.
[21] Le 22 août 2012, la Régie rend la décision dont appel. Elle se lit comme suit[7] :
« [1] Le locateur demande la résiliation du bail et l'éviction de la locataire, le recouvrement du loyer d'une somme de 5 100 $ plus le loyer dû au moment de l'audience et des dommages d'une somme de 12 $, les intérêts et les frais, ainsi que l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel.
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit pour la période du 1er novembre 2011 au 31 octobre 2012, au loyer mensuel de 170 $, pour la location d'un terrain destiné à l'installation d'une maison mobile.
[3] La preuve démontre que la locataire doit 3 570 $, soit le loyer des mois de juillet 2009 à mars 2011 inclusivement plus 12 $ en frais bancaires.
[4] Le montant réclamé pour les
loyers avant juillet 2009 est rejeté, ceux-ci étant prescrits (article
[5] La locataire est en retard de
plus de trois semaines pour le paiement du loyer. La résiliation du bail serait
donc justifiée par l'application de l'article
[6] Le préjudice causé au locateur n'est pas suffisant pour prononcer l'ordonnance d'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 L.R.L.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[7] CONDAMNE
la locataire à payer au locateur la somme de 3 582 $, plus les intérêts au
taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[8] CONDAMNE la locataire à payer au locateur les frais judiciaires de 76 $;
[9] REJETTE la demande quant aux autres conclusions. »
[22] Le 23 octobre 2012, la Régie déclare sans objet la demande de la défenderesse visant à obtenir une ordonnance forçant la demanderesse à rétablir le service d'eau potable, le rétablissement ayant été fait avant l'audience devant la Régie[8].
[23]
L'article
98.
« Le tribunal n'entend que la preuve et les représentations relatives aux questions qui ont été autorisées par la permission d'appeler et les articles 60 à 69, 75 à 78, 86, 88 et 89 s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à un appel entendu suivant le présent chapitre. »
[24] À l'audition de son appel, la demanderesse a présenté une preuve documentaire seulement. Elle n'a pas fait entendre son représentant ni aucun témoin.
[25] La défenderesse a elle aussi présenté une preuve documentaire et a témoigné.
[26] La raison, s'il en est une, pour laquelle la demanderesse n'a pas encaissé les chèques de loyer durant 30 mois demeure inexpliquée. Il en est ainsi du délai qu'elle a laissé courir entre le dernier loyer réclamé pour le mois de mars 2011 et le dépôt de sa demande à la Régie en juin 2012.
[27] Le même constat que celui fait par la Régie s'impose ici : la demanderesse n'encaissait pas les chèques de loyer.
ANALYSE ET DÉCISION
[28]
Les articles
1971.
« Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement. »
1973.
« Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »
[29] La demanderesse plaide que la Régie a excédé sa juridiction en rejetant sa demande de résiliation de bail et d'éviction. Selon elle, la Régie est légalement obligée de résilier le bail lorsqu'il est établi qu'il y a un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer. Cette obligation est, à son avis, incontournable.
[30] La demanderesse fonde plus particulièrement son argument sur deux jugements rendus par la Cour du Québec et sur la jurisprudence qui y est citée.
[31] Dans l'affaire Cloverdale[9], le juge Pinsonnault écrit :
« [53] Qu'en est-il de la question autorisée, après avoir constaté que la locataire était en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer, le juge administratif de la Régie du logement avait-il la discrétion pour lui accorder un délai supplémentaire de paiement avant de prononcer la résiliation du bail?
[54] Le Tribunal doit répondre à cette question par la négative.
[55] Le
libellé de l'article
[32] Dans l'affaire Habitation populaire de l'Outaouais[10], le juge Laurin écrit :
« [14] L'article
[15] Le législateur
accorde un premier délai de grâce de trois semaines au locataire pour acquitter
son loyer et pour éviter la résiliation du bail. Il lui accorde un deuxième et
ultime délai de grâce à l'article
[33]
Ces jugements expriment et appliquent la règle édictée par l'article
[34] S'il s'agit d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, la Régie ne peut ordonner au locataire d'exécuter son obligation, c'est-à-dire de payer le loyer en retard, dans un délai qu'elle détermine. Elle doit alors prononcer la résiliation du bail et l'éviction du locataire.
[35] Une précision s'impose ici.
[36]
L'article
[37] Avec égards pour l'opinion contraire, le Tribunal ne croit pas que le fait d'exclure la discrétion accordée à la Régie par l'article 1973 dans les cas de retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer a automatiquement pour effet de la contraindre à prononcer obligatoirement la résiliation du bail dans tous les cas où le motif est invoqué.
[38]
Conclure en ce sens équivaudrait à supprimer la fonction
juridictionnelle de la Régie pour la transformer en simple automatisme. Ce
n'est certainement pas l'intention exprimée par le législateur à l'article
[39] La loi prévoit que le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de 3 semaines pour le paiement du loyer (article 1971).
[40] Sa demande est soumise à la Régie qui a pleine juridiction pour en disposer, après instruction de l'affaire. Elle peut donc, sur un strict plan juridictionnel, l'accueillir ou la rejeter pour les motifs qu'elle retient.
[41] La loi empêche toutefois la Régie de différer la résiliation en ordonnant au locataire de payer le loyer (en retard de plus de trois semaines) dans un délai qu'elle détermine (art. 1973).
[42] Une contravention à cette restriction peut être révisée en appel au motif d'excès de compétence comme l'illustre la jurisprudence de la Cour du Québec.
[43] Or, la situation en l'espèce est bien différente. La Régie n'a pas différé la résiliation aux termes de l'article 1973; elle a plutôt rejeté la demande sur le fond.
[44] Pouvait-elle le faire? La réponse est oui si elle avait un motif suffisant.
[45] Il faut distinguer ici l'adjudication sur la demande à son mérite de l'exercice d'une discrétion accordée par la loi.
[46] La Régie a pleine compétence pour disposer d'une demande de résiliation de bail sur le fond. Son rôle à ce niveau ne doit pas être limité à une simple fonction d'estampillage ("rubber stamping"). Il n'est donc pas exact d'affirmer qu'elle est soumise à une obligation péremptoire de prononcer la résiliation du bail lorsque le motif invoqué est le retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
[47] Le cas présent constitue une bonne illustration de la mise en œuvre de ces principes. La Régie a décidé que la demanderesse ne pouvait invoquer son propre fait fautif pour obtenir la résiliation du bail. Elle conclut qu'un locateur ne peut s'abstenir d'encaisser les chèques de loyer de son locataire, en l'occurrence pendant 30 mois, pour ensuite obtenir automatiquement la résiliation du bail au motif de retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.
[48] Cette décision possède tous les attributs de la raisonnabilité tels que définis par la jurisprudence de la Cour suprême du Canada. Sa justification est claire; son processus décisionnel est intelligible.
[49] En réalité, conclure autrement et avaliser la thèse préconisée ici par la demanderesse ne constituerait certainement pas une issue possible et acceptable au regard des faits et du droit.
[50] Il n'y a pas lieu d'intervenir en appel.
[51] POUR CES MOTIFS, le Tribunal:
[52] REJETTE l'appel;
[53] Sans frais.
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__________________________________ PATRICK THÉROUX, J.C.Q. |
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Me Yanick Messier |
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Grégoire Poitras Payette Rhéaume Messier |
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Proc. de la demanderesse |
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Mme Claude Gingras, personnellement |
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Date d’audience : |
7 février 2013 |
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[1]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[2] 24 051121 001 G.
[3] 24 060515 002 A.
[4] 24 080331 004 A.
[5] Pièce P-2.
[6] 24 120223 007 G.
[7] 24 120618 006 G.
[8] 24 120831 003 G.
[10] Habitation populaire de l'Outaouais Inc. c. Anique Bourgon et Luc Levert, C.Q. Gatineau, 550-80-000241-030, 26 janvier 2005, monsieur le juge Serge Laurin. Extrait reproduit sans les citations.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.