Blain (Succession de) |
2013 QCCS 2442 |
JG 2270 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT |
D’IBERVILLE |
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N° : |
755-14-001432-103 |
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DATE : |
Le 3 juin 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
LOUIS J. GOUIN, J.C.S. |
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DIANE BLAIN |
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Demanderesse |
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c. |
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MARQUISE BLAIN, ès-qualité de liquidatrice de la succession de Feu Théodore Blain |
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Défenderesse |
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MURIELLE BLAIN-DESCHAMBRES |
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CLAUDETTE BLAIN |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] La Demanderesse Diane Blain («Diane») a été déshéritée par son père, Théodore Blain («Théodore»), suite à la signature d’un codicille modifiant en partie son testament.
[2] Diane demande que ledit codicille soit déclaré nul au motif qu’il fut rédigé sous l’effet de captation de la part de sa sœur, la Défenderesse Marquise Blain («Marquise»). Elle demande aussi que cette dernière soit, par le fait même, déclarée indigne de succéder.
1. PRINCIPAUX FAITS ET CONSTATATIONS
[3] En 1988, suite au décès de sa conjointe, Théodore rédige un nouveau testament afin d’exclure Diane comme héritière, vu les relations tendues ayant existé entre elle et sa mère, surtout à la fin de sa vie.
[4] Les trois autres filles de Théodore sont alors instituées ses seules légataires universelles, soit Marquise, la Défenderesse Claudette Blain («Claudette») et la Défenderesse Murielle Blain-Deschambres («Murielle»). Aucune copie de ce testament ne fut produite au dossier de cour.
[5] Il s’ensuit une période où Diane communique très peu avec Théodore, soit de 1988 à 2000. Par contre, en 1990, elle est invitée et présente au mariage de Théodore avec sa nouvelle conjointe, Juliette Leduc («Juliette»).
[6] Ce n’est qu’à compter de l’année 2000 que les ponts sont graduellement rétablis entre Théodore et Diane et, à l’occasion, elle rend visite à Théodore et Juliette.
[7] Puis, le 18 juillet 2000, suite à des pressions exercées par Juliette, Théodore signe un nouveau testament devant Me Jacques Desmarais, notaire (le «Testament»)[1] afin que Diane soit aussi l’une de ses légataires universelles, avec Claudette, Marquise et Murielle.
[8] En 2003, Théodore cesse de faire vie commune avec Juliette, et leur divorce est prononcé en 2004.
[9] Au cours de l’été 2004, les relations entre Théodore et Diane se détériorent. Le différend atteint son point culminant lors d’une discussion entre Diane et son conjoint Michel Poirier, d’une part, et Théodore, d’autre part, alors que l’insulte verbale suivante est proférée par Diane, ou son conjoint, envers Théodore : «T’es un vieux christ [sic] d’hypocrite».
[10] Le 23 juillet 2004, Claudette fait parvenir à la fille de Diane, Nadine Poirier («Nadine»), une lettre de bêtises[2] (la «Lettre de Claudette»), visant autant Nadine que Diane. Il y est question, entre autres, de cette altercation, Claudette se rangeant du côté de Théodore, et de ses sœurs Marquise et Murielle.
[11] La lecture de la Lettre de Claudette est loin d’être édifiante, surtout de la part d’une personne ayant atteint un âge honorable. Qui plus est, Claudette a depuis changé de camp et appuie maintenant Diane. Elle prétend que cette lettre fut écrite alors qu’elle était sous l’emprise de Marquise qui l’aurait manipulée en lui racontant toutes sortes d’histoires.
[12] Après avoir vu et entendu Claudette lors de son témoignage, le Tribunal ne retient pas cette explication pour justifier le contenu de la Lettre de Claudette. Elle est une personne structurée, sûre d’elle, qui prend en note tout, son agenda allant dans les moindres détails. Elle aime être en contrôle. Qu’elle ait pu à ce point être manipulée par Marquise ne tient pas la route.
[13] Au surplus, et tel que relaté ci-après, Claudette a témoigné à l’effet que c’était elle qui, en 1953, avait surpris Théodore abuser sexuellement de Marquise, et qu’elle avait alors voulu les tuer tous les deux, geste que sa mère l’aurait dissuadée de faire.
[14] Elle laisse sous-entendre que ces abus sexuels duraient depuis longtemps, alors qu’elle venait d’en faire la découverte, et qu’ils auraient continué par la suite.
[15] Ces abus constitueraient, selon Claudette et Diane, la toile de fond utilisée par Marquise pour manipuler Théodore et obtenir de lui ce qu’elle voulait, sinon elle porterait des accusations à son encontre. Bref, un outil de chantage.
[16] Dans un tel contexte, comment Claudette peut-elle vouer un culte sans borne à Théodore, tel que relaté dans la Lettre de Claudette et lors de son témoignage devant le Tribunal! C’est à n’y rien comprendre. Il semble bien que Claudette interprète à sa façon certains des faits qu’elle rapporte.
[17] À tout événement, blessé par lesdits propos («T’es un vieux christ [sic] d’hypocrite») tenus par Diane et son conjoint à l’été 2004, et peut-être aussi encouragé par Marquise, Théodore se rend, le 7 septembre 2004, avec cette dernière, chez la notaire Nathalie Desmarais («Me Desmarais»), afin d’apporter des modifications à son Testament.
[18] Théodore est seul avec Me Desmarais lorsqu’il la rencontre dans son bureau. Me Desmarais confirme, sans hésitation, que Théodore apparaît sain d’esprit et très lucide, et qu’il désire, sans équivoque, exclure Diane de son Testament et désigner ses trois autres filles, Claudette, Marquise et Murielle, comme ses liquidatrices.
[19] Un codicille à ces fins est alors signé par Théodore devant Me Desmarais (le «Codicille»)[3]. Diane en est informée.
[20] Parallèlement, soit le 9 septembre 2004, une lettre de mise en demeure[4] est envoyée à Diane par Me Brigitte Deslandes, au nom de Théodore, Claudette, Marquise et Murielle, l’intimant de cesser «de harceler, d’importuner ou de troubler de quelque façon que ce soit» Théodore.
[21] Claudette, Marquise et Murielle ne s’entendent pas quant à celle qui a eu l’initiative de cette lettre, ni quant à leur connaissance même de cette lettre, et même celle de Théodore, mais il n’en demeure pas moins qu’elle fut envoyée et que les relations entre Théodore et Diane étaient alors très tendues.
[22] Quatre ans plus tard, soit le 1er août 2008, Théodore est hospitalisé suite à un cancer, diagnostiqué en avril 2008. Il est transféré aux soins palliatifs à la mi-août 2008, et il décède le 15 septembre 2008.
[23] Diane accepte graduellement le fait qu’elle ne soit pas l’une des héritières de Théodore mais, le 15 septembre 2009, sur réception d’une lettre de Marquise[5] et dans laquelle cette dernière fait état des arguments qu’elle aurait fait valoir si Diane avait contesté le Codicille (la «Lettre de Marquise»), elle décide de passer à l’attaque.
[24] En effet, Diane considère que la version des faits décrits dans la Lettre de Marquise est mesquine et truffée de mensonges, ce qui l’amène à conclure que Marquise a tout fait pour manipuler Théodore et orchestrer la signature du Codicille afin de l’exclure du Testament.
[25] Dans la Lettre de Marquise, cette dernière nie catégoriquement avoir été agressée sexuellement par Théodore en 1953 et que Claudette ait pu avoir été témoin de quelqu’acte d’agression que ce soit. En fait, elle dit avoir appris cette histoire fabulée par Claudette, le 6 octobre 2008, soit la veille de la lecture du Testament chez Me Desmarais.
[26] D’ailleurs, Me Desmarais confirme que, lors de cette lecture, l’animosité entre Marquise et Claudette était évidente, et que cette dernière a mentionné l’agression sexuelle de 1953, ce que Marquise a catégoriquement démenti.
[27] Parallèlement, Diane aurait fait parvenir une lettre afin d’aviser ses sœurs qu’elle entendait contester la validité du Codicille au motif des manœuvres de manipulation de Marquise envers Théodore.
[28] À cet égard, Marquise affirme qu’il est insidieux de prétendre que Théodore ait été constamment à sa merci et qu’elle pouvait ainsi exiger de lui tout ce qu’elle voulait, à défaut de quoi elle porterait des accusations d’agression sexuelle contre lui.
[29] Marquise soumet plutôt que si le Codicille fut signé, ce n’est nullement à sa demande et sous la pression d’une telle menace, mais plutôt en réaction aux différends qui ont toujours existé entre Théodore et Diane, allant jusqu’à le traiter, au cours de l’été 2004, de «vieux christ [sic] d’hypocrite».
[30] Donc, réagissant à la Lettre de Marquise, Diane dépose, le 15 décembre 2009, soit 1 ¼ an après le décès de Théodore, une «Requête introductive d’instance», dans laquelle elle demande l’annulation du Codicille au motif de captation de la part de Marquise et, une fois le Testament réinstauré par le Tribunal dans sa forme de 2000, elle demande à ce que Marquise soit par ailleurs déclarée indigne de succéder.
[31] Puis, le 11 juillet 2012, Diane dépose une «Requête amendée introductive d’instance en annulation de codicille et en déclaration d’indignité» (la «Requête») prévoyant, essentiellement, la désignation de Claudette et Murielle à titre de «Défenderesses» au lieu de «Mises en cause».
2. POSITION DES PARTIES
2.1 Demanderesse Diane
[32] Pour justifier son allégation de «captation», Diane «précise»[6] que les manœuvres de Marquise à l’égard de Théodore se sont manifestées, de façon générale, comme suit :
a. En tenant captif Théodore;
b. En manipulant, contrôlant et influençant Théodore de façon insidieuse;
c. En empêchant Théodore de communiquer avec Diane;
d. En dénigrant Diane auprès de Théodore;
e. En soutirant à Théodore des biens sans droit, y inclus après son décès;
f. En menaçant de mettre le feu aux biens de la succession;
g. En exigeant la confection du Codicille par la menace d’une dénonciation criminelle pour les agressions sexuelles que Théodore a commis à son endroit;
h. En effectuant des malversations dans son rôle de liquidatrice de la Succession.
[33] Diane demande donc l’annulation du Codicille et le respect du Testament, tel qu’il fut signé en 2000.
[34] Par contre, vu ces manipulations de Marquise, Diane demande aussi à ce que Marquise soit déclarée indigne de succéder à Théodore et qu’elle ne puisse exercer les fonctions de liquidatrice.
[35] Quant à cette demande, Diane soumet qu’elle n’est pas hors délai, vu que ce n’est que le 15 septembre 2009, soit sur réception de la Lettre de Marquise, qu’elle a alors réalisé et constaté l’ampleur de la captation exercée par Marquise envers Théodore. La Lettre de Marquise est donc l’élément déclencheur des demandes de Diane.
[36] Par contre, Diane a retiré, en début d’audition, ses demandes d’ordonnance de sauvegarde, vu que la distribution des biens de la succession de Théodore avait déjà été effectuée, et que la liquidation était, somme toute, terminée.
[37] Enfin, lors de l’argumentation du procureur de Diane, le remboursement des honoraires et débours extrajudiciaires fut réclamé, quoiqu’il n’y ait aucune conclusion à cet effet dans la Requête, ni aucune preuve quant à ces honoraires.
2.2 Défenderesse Marquise
[38] Marquise nie quelque captation que ce soit de sa part, et soumet que Diane ne peut, d’aucune façon, appuyer ses allégations vagues par des faits précis, se contentant tout simplement de dire que jamais Théodore ne l’aurait exclue de sa succession.
[39] De plus, Marquise insiste sur le fait que Théodore était sain d’esprit et lucide lors de la signature du Codicille, et qu’il pouvait et aurait pu en tout temps par la suite, soit de 2004 à 2008, modifier à nouveau son Testament, ce qu’il n’a pas fait.
[40] Selon Marquise, les relations tendues entre Diane et Théodore, et surtout l’insulte proférée lors de l’altercation à l’été 2004, explique la réaction de Théodore de modifier ses dernières volontés en signant le Codicille.
[41] Au surplus, Marquise soumet que la Requête de Diane est incomplète vu l’absence d’une partie essentielle au débat, soit la «succession» de Théodore.
[42] Par conséquent, les conclusions recherchées par Diane, et l’absence de conclusion monétaire à l’encontre des autres légataires universelles, ne pourraient mettre fin à la controverse soulevée par Diane, s’il s’avérait que ses allégations étaient bien fondées.
[43]
Enfin, Marquise demande au Tribunal de déclarer la Requête abusive au
sens de l’article
[44]
Selon Marquise, à la seule lecture de l’interrogatoire avant défense de
Diane, il est clair qu’elle n’a aucun motif ou élément pour justifier les
allégations de la Requête, ce qui constitue un comportement abusif justifiant
une telle déclaration et une réclamation aux termes de l’article
3. QUESTIONS EN LITIGE
[45] Les questions en litige sont les suivantes :
a. Le Codicille doit-il être annulé pour captation?
b. Dans la négative, Diane peut-elle demander une déclaration d’indignité à l’égard de Marquise?
c. Dans l’affirmative, Marquise doit-elle être déclarée indigne de succéder à Théodore et, si tel est le cas, ce recours est-il prescrit?
d. Parallèlement, est-ce que le Tribunal peut prononcer quelque conclusion que ce soit touchant le Testament, y inclus quant à la nomination des liquidatrices, sans que la «succession» de Théodore ne soit impliquée comme partie au litige?
e. Est-ce que le Tribunal peut condamner les légataires universelles Claudette et Murielle à une restitution financière sans qu’il y ait une conclusion à cet effet dans la Requête?
f. Est-ce que Diane ou Marquise, selon le cas, a droit au remboursement de ses honoraires et débours extrajudiciaires au motif que la procédure de l’autre est abusive?
4. DISCUSSION
4.1 Préalable
[46] D’entrée de jeu, le Tribunal tient à mentionner qu’il est déplorable que la famille Blain soit ainsi divisée par des différends de toutes sortes et qui perdurent, malgré l’âge des sœurs Blain.
[47] Par contre, l’objet du litige devant le Tribunal n’est nullement de régler tous ces différends, mais strictement de déterminer si Théodore a signé le Codicille librement, selon son bon vouloir, sans manipulation ou captation de la part de Marquise.
[48] Peu importe les événements qui ont pu se produire, ou non, en 1953, et au cours des années postérieures, le Tribunal doit se concentrer sur les événements entourant la signature du Codicille, le 7 septembre 2004, afin de décider s’il est susceptible d’être attaqué au motif de captation, et si Marquise est indigne de succéder à Théodore.
[49] À plusieurs reprises, le Tribunal a rappelé aux Parties que le fait qu’un tort ait pu être causé par l’une ou l’autre des Parties au fil des années précédant la signature du Codicille, ne signifie pas que le Codicille doive être annulé.
[50] Tel que nous le verrons ci-après, des règles bien établies régissent les demandes d’annulation d’un testament ou d’un codicille au motif de captation, et c’est donc strictement en fonction de ces règles que le Tribunal tranchera le litige qui oppose Diane et Marquise.
4.2 Le Codicille doit-il être annulé pour captation?
4.2.1 Le droit
[51] Le Tribunal fait sienne la liste des principes généraux[7] applicables à la captation et dressée par la juge Claudine Roy, j.c.s., dans l’affaire Gatti[8] :
«[184] Le fardeau de preuve repose sur les épaules de celui qui invoque captation.
[185] La captation est un dol, un ensemble de manœuvres répréhensibles effectuées dans le but d'amener une personne à consentir une libéralité qu'elle n'aurait pas autrement consentie.
[186] Il n'est pas contraire à la loi, en soi, de s'attirer les faveurs d'un testateur. La captation n'entraîne la nullité d'un testament qu'en présence de fraude ou de manœuvres dolosives. Le Tribunal doit être convaincu de l'existence d'un dol et que ce dol a été déterminant sur la volonté du testateur exprimée dans le testament attaqué.
[187] Il faut examiner la situation de manière globale : l'âge, l'état de santé, la condition sociale et la personnalité du testateur, les dispositions testamentaires, l'isolement du testateur, le dénigrement des proches, les circonstances entourant la signature du testament.
[188] La captation se prouve par preuve orale ou écrite, souvent par présomptions.
[189] Les
présomptions sont des conséquences que le tribunal tire d'un fait connu à un
fait inconnu (art.
Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l’existence de l’un établit, par une induction puissante, l’existence de l’autre (...).
Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S’il était également possible d’en tirer les conséquences différentes et mêmes contraires, d’en inférer l’existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n’auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l’incertitude.
Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu’il s’agit de prouver. ... Si ... elles se contredisent ... et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l’esprit du magistrat.
[190] Un simple soupçon ou hypothèse ne suffit pas[9].
[…]
[193] La captation et la déclaration d'indignité constituent deux demandes distinctes[10]. La captation est un vice de consentement qui mène à la nullité du testament. La déclaration d'indignité empêche une personne d'hériter, mais n'emporte pas nullité du testament. Par contre, les faits pertinents à l'étude de l'un sont souvent également pertinents à l'étude de l'autre.»
(Le Tribunal souligne)
4.2.2 Analyse
[52] Le Tribunal est d’avis que la preuve n’appuie nullement les allégations, très vagues, de Diane quant à la captation qui aurait été exercée par Marquise.
[53] En effet, chacune des rubriques soumises par Diane à cet effet, soit :
a. que Marquise tenait Théodore captif;
b. que Marquise manipulait, contrôlait et influençait de façon insidieuse Théodore;
c. que Marquise empêchait Théodore de communiquer avec Diane;
d. que Marquise dénigrait Diane auprès de Théodore;
e. que Marquise soutirait à Théodore des biens sans droit, y inclus après son décès;
f. que Marquise a menacé de mettre le feu aux biens de la succession;
g. que Marquise a exigé la confection du Codicille par la menace d’une dénonciation criminelle pour les agressions sexuelles que Théodore aurait commises à son endroit;
h. que Marquise aurait effectué des malversations dans son rôle de liquidatrice de la succession de Théodore,
ne sont que des généralités, aucunement appuyées par la preuve.
[54] Par exemple, Diane relate les faits suivants :
a. «le conjoint de Marquise prenait les messages dans la boîte vocale de Théodore»;
en contre preuve, Marquise mentionne que Diane n’était pas alors présente, et que la boîte vocale étant souvent défectueuse, son conjoint tentait souvent de la réparer lorsqu’ils rendaient visite à Théodore;
b. «Marquise a convaincu ses trois sœurs que Juliette, la nouvelle conjointe de Théodore, ne devait pas retourner vivre avec lui»;
pour le Tribunal, il s’agit d’une affirmation gratuite, Juliette et Théodore ayant subséquemment décidé librement de divorcer;
c. «Marquise décidait toujours des dates et endroits pour souligner une fête ou un anniversaire, et qui devait s’occuper de Théodore, etc.»;
ceci ne constitue pas de la captation, mais un certain leadership afin d’assurer la coordination du divertissement de Théodore;
d. «Marquise empêchait Diane de communiquer avec Théodore»;
Diane demeurait à 5 kilomètres, alors que Marquise demeurait à 30 kilomètres de Théodore et opérait une garderie; de 2000 à 2004, Diane a souvent visité Théodore, et elle était entièrement libre de le faire;
e. «Marquise contrôlait les visites lors de l’hospitalisation de Théodore en 2008»;
ceci s’est passé 4 ans après la signature du Codicille.
[55] Les quelques exemples fournis par Diane sont loin de constituer des cas de captation selon les principes résumés précédemment.
[56] Diane n’a nullement réussi à démontrer que Marquise ait contrôlé ou manipulé Théodore, de quelque façon que ce soit, afin qu’il signe le Codicille.
[57] En fait, les allégations générales de Diane résultent d’une interprétation très subjective d’événements sans grande importance, de suppositions basées sur des impressions, et beaucoup de ouï-dire, permis par le Tribunal sous réserve, et ce, vu les circonstances et le souhait clairement perçu de chacune des sœurs Blain de pouvoir s’exprimer librement.
[58] Bref, rien dans la preuve présentée au Tribunal ne s’apparente, de près ou de loin, à de la captation ou de la manipulation de la part de Marquise afin d’obtenir un avantage.
[59] Au contraire, l’élément déclencheur de la signature du Codicille fut plutôt l’altercation entre Diane et son conjoint, d’une part, et Théodore, d’autre part, survenue quelques semaines avant la signature du Codicille, alors que Théodore fut traité de «vieux christ [sic] d’hypocrite».
[60] Théodore fut insulté et a réagi fermement en excluant Diane du Testament, comme il l’avait fait d’ailleurs, en 1988, après le décès de sa première conjointe, la mère de ses quatre filles, vu l’attitude négative de Diane face à sa mère.
[61] Qui plus est, il est apparu clairement au Tribunal que Théodore était lucide lorsqu’il a signé le Codicille devant Me Desmarais. Il voulait tout simplement exclure du Testament, une fois pour toute, Diane, qui l’indisposait, ainsi que son entourage immédiat.
[62] À savoir s’il était justifié d’être ainsi indisposé lui appartenait entièrement, et il ne revient pas au Tribunal de remettre en question le jugement de Théodore à cet égard.
[63] Théodore était libre de décider ce qu’il voulait, et il aurait pu d’ailleurs, au cours des quatre années qui ont suivi la signature du Codicille, décider de modifier à nouveau son Testament, et ce, hors la connaissance de Marquise et de ses trois autres filles.
[64] Bref, Théodore a testé comme il voulait, peu importe les événements ou discussions ayant pu l’influencer dans sa décision de signer le Codicille. Aucune captation de la part de Marquise n’a fait partie de ces événements ou discussions.
[65] Au surplus, loin de vouloir être avantagée, Marquise aurait même suggéré à Théodore de remplacer alors Diane par Aurone comme héritière, soit leur demi-sœur, née avant le mariage de Théodore avec leur mère, ce qu’il a refusé au motif que cette dernière n’aurait jamais accepté que leur argent soit partagé avec une personne qui n’était pas son enfant.
4.2.3 Conclusion
[66] Le Tribunal est donc d’avis que le Codicille est valide et qu’il a modifié légalement le Testament.
[67] Dans ces circonstances, Diane n’est pas une héritière de Théodore.
4.3 Dans ces circonstances, Diane peut-elle demander une déclaration d’indignité à l’égard de Marquise?
4.3.1 Le droit
[68]
L’article
623. Tout successible peut, dans l'année qui suit l'ouverture de la succession ou la connaissance d'une cause d'indignité, demander au tribunal de déclarer l'indignité d'un héritier lorsque celui-ci n'est pas indigne de plein droit.
(Le Tribunal souligne)
[69]
Par ailleurs, l’article
55. Celui qui forme une demande en justice, soit pour obtenir la sanction d'un droit méconnu, menacé ou dénié, soit pour faire autrement prononcer sur l'existence d'une situation juridique, doit y avoir un intérêt suffisant.
(Le Tribunal souligne)
4.3.2 L’analyse
[70] Ainsi, pour pouvoir intenter un recours en déclaration d'indignité, encore faut-il être successible.
[71] Vu que Diane n’est pas successible aux termes du Testament, tel que modifié par le Codicille, elle n’a donc pas l'intérêt nécessaire pour requérir une déclaration d'indignité de Marquise[11].
[72] Dans ces circonstances, et vu la validité du Codicille, il n’y a pas lieu de répondre aux questions c, d et e du paragraphe [45] des présentes, le Testament, tel que modifié par le Codicille, devant être respecté intégralement.
4.4 Est-ce que Marquise a droit au remboursement de ses honoraires et débours extrajudiciaires au motif que la Requête est abusive?
4.4.1 Le droit
[73]
Cette réclamation de Marquise est formulée aux termes des articles
54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.
L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.
54.4. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d'une demande en justice ou d'un acte de procédure, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l'instance, condamner une partie à payer, outre les dépens, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et débours extrajudiciaires que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.
Si le montant des dommages-intérêts n'est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d'abus, il peut en décider sommairement dans le délai et sous les conditions qu'il détermine.
(Le Tribunal souligne)
4.4.2 Analyse
[74] Pour déclarer, à ce stade-ci, que la Requête est abusive, encore faudrait-il que le Tribunal y décèle de la mauvaise foi de la part de Diane, ou que ses procédures judiciaires aient été excessives ou déraisonnables, ou qu’elle les ait utilisées de manière à nuire à Marquise.
[75] Tel que mentionné lors de l’audition, la preuve et les procédures instituées par Diane ne révèlent aucunement un tel abus.
[76] Il est apparu clairement au Tribunal qu’une telle demande de Marquise était tout simplement en réaction à la Requête, alors qu’elle croyait le dossier clos, à preuve, l’envoi de la Lettre de Marquise.
[77] D’une certaine façon, Marquise a réactivé le débat relié à la validité du Codicille par l’envoi de la Lettre de Marquise.
[78] Dans ces circonstances, Diane avait le droit de faire valoir ses prétentions devant le Tribunal, ce qu’elle n’a nullement fait de façon abusive.
[79] La demande de Marquise pour obtenir le remboursement de ses honoraires et débours extrajudiciaires est donc refusée.
5. Dépens
[80] Il fut mis en preuve que chacune de Claudette, Marquise et Murielle a reçu 70 000 $ à titre de légataire universelle de Théodore (210 000 $ ÷ 3).
[81]
Si Diane avait réussi avec ses demandes de la Requête, elle n’aurait eu
droit qu’à 52 500 $, que Marquise ait été déclarée indigne ou pas, vu que,
selon l’article
[82] Dans ces circonstances, les dépens seront calculés en fonction d’une réclamation de 52 500 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[83] REJETTE la «Requête amendée introductive d’instance en annulation de codicille et en déclaration d’indignité» de la Demanderesse Diane Blain, AVEC DÉPENS;
[84] REJETTE la demande de la Défenderesse Marquise Blain d’obtenir le remboursement de ses honoraires et débours extrajudiciaires, SANS FRAIS.
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__________________________________ LOUIS J. GOUIN, J.C.S. |
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Me Gilles W. Grégoire |
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Grégoire, Gauthier |
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Procureurs de la Demanderesse Diane Blain |
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Me Luc Poirier |
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Daneau, Poirier |
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Procureurs de la Défenderesse Marquise Blain |
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Dates d’audience : |
13, 14 et 15 mai 2013 |
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[1] Pièce P-1.
[2] Pièce D-3.
[3] Pièce P-2.
[4] Pièce P-5.
[5] Pièce P-4.
[6] Document intitulé «Précisions remis avec engagement d’huis-clos» et déposé au dossier de cour le 18 janvier 2011.
[7]
M.-C. ARMSTRONG, É. PINARD et C. GENDRON,
« L'annulation de testaments pour motif de captation et caducité de legs
pour motif d'indignité », dans Fiducies personnelles et successions,
Service de la formation continue, Barreau du Québec, vol. 269, Cowansville, Éd.
Yvon Blais, 2007, p. 51-72; H. ROCH, Testaments et vérification,
Montréal, Wilson & Lafleur, 1951, p. 85-90; A. J. BARETTE,
« La capacité et l'acte testamentaire », dans Développements
récents en successions et fiducies, Service de la formation
continue, Barreau du Québec, vol. 324, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2010; J.
BEAULNE, Droit des successions, 4e éd., Montréal, Wilson
& Lafleur, 2010, p. 381-396; Stoneham et Tewkesbury (Corp. mun. des
cantons unis de) c. Ouellet,
[8]
Gatti c. Barbosa Rodrigues,
[9]
J.-C. ROYER et S. LAVALLÉE,
[10]
Laliberté c. Guinta,
[11] Dans l’affaire de la succession de Georges-Émile Losson et al. c. Marguerite Nora Devlin Losson et al., C.S. #500-05-71999-021, 13 janvier 2003, paragr. [8]-[10].
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