Ceriko Asselin Lombardi inc. c. Société immobilière du Québec |
2013 QCCS 3624 |
|||||||
JM1838 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
|||||||
|
||||||||
N° : |
500-17-077499-138 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
Le 31 juillet 2013 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
|
||||||||
CERIKO ASSELIN LOMBARDI INC. |
||||||||
Demanderesse |
||||||||
c. |
||||||||
LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU QUÉBEC |
||||||||
Défenderesse |
||||||||
|
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT SUR AVIS DE DÉNONCIATION DE MOYENS PRÉLIMINAIRES SELON LES ARTICLES |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
INTRODUCTION
[1] La Société Immobilière du Québec (« SIQ ») soulève un moyen préliminaire à l’encontre de l’action de la Demanderesse Ceriko Asselin Lombardi Inc. (« CAL ») suggérant que CAL n’aurait pas satisfait à une obligation préjudicielle avant d’instituer son action.
[1] La SIQ demande donc la suspension de l’instance afin qu’il soit procédé à un processus de médiation tel que prévu au contrat intervenu entre les parties ainsi qu’au Règlement sur les contrats de construction des organismes publics, RRQ c. C-65, r.5. (le « Règlement »).
[2] CAL s’objecte alléguant que la SIQ a négligé ou omis d’invoquer ce processus en temps utile et qu’elle y a renoncé. CAL ajoute qu’une entente sur le déroulement de l’instance a été conclue entre les parties dès l’ouverture du dossier et qu’aucun délai spécifique pour procéder à la médiation n’y est prévu.
[3] CAL demande donc le rejet du moyen préliminaire.
MISE EN CONTEXTE
[4] CAL a institué son recours le ou vers le 31 mai 2013. L’action a été signifiée le 6 juin 2013 à la SIQ.
[5] Le litige porte sur une réclamation résultant d’un Ordre de changement visant à couvrir certains frais additionnels de CAL causés par l’élimination de murs « berlinois » et résultant de travaux effectués dans des conditions climatiques non prévues (conditions d’hiver). CAL réclame un montant de 607 485,12$ que la SIQ refuse de payer.
[6] Dès le 10 juillet 2013, les parties signent une entente sur le déroulement de l’instance. L’entente prévoit que la SIQ dénoncera ses moyens préliminaires à l’encontre de la requête introductive d’instance avant le 12 juillet 2013 et que l’inscription pour enquête et audition sera produite le ou avant le 31 janvier 2014.
[7] Le 11 juillet 2013, la SIQ dénonce un moyen préliminaire invoquant l’obligation de CAL de se soumettre à un processus de médiation, ce qui n’a pas été fait. Ce processus aurait pour effet de suspendre l’instance pour la durée de la médiation et d’obliger les parties à produire une nouvelle entente sur le déroulement de l’instance dans les 15 jours de l’échec de la médiation.
[8] En pratique, cela veut dire que dès le lendemain de la signature de l’entente sur le déroulement de l’instance, toutes les dates qui y sont prévues ne tiennent plus. En effet, la médiation en question peut durer un maximum de 60 jours et risque de décaler d’autant toutes les dates prévues à l’entente du 10 juillet 2013.
[9] La SIQ allègue que la médiation en question constitue une obligation préjudicielle à l’institution de tout recours en justice de la part de CAL et que cette obligation découle de deux sources, l’une contractuelle et l’autre découlant du Règlement.
[10] Le contrat liant les parties prévoit en effet ce qui suit :
51. NÉGOCIATION EN CAS DE DIFFÉREND
Le Gestionnaire de projet et l’Entrepreneur doivent tenter de régler à l’amiable toute difficulté pouvant survenir au regard du contrat selon les étapes et les modalités suivantes :
a) en faisant appel à un cadre représentant le Gestionnaire de projet et à un dirigeant de l’Entrepreneur dans le but de résoudre tout ou partie des questions faisant l’objet de ce différend, et ce, dans un délai de soixante (60) jours suivant la réception de l’avis de différend de l’Entrepreneur, les parties peuvent convenir de prolonger cette période.
b) Si les négociations ne permettent pas de résoudre complètement le différend, le Gestionnaire de projet ou l’Entrepreneur peut, par l’envoi d’un avis écrit à l’autre partie dans un délai de dix (10) jours suivant la fin de l’étape précédente, exiger la médiation sur les questions non résolues. La médiation doit être complétée dans un délai de soixante (60) jours suivant la réception de l’avis à moins que les parties conviennent de prolonger cette période.
En l’absence d’un avis de médiation dans le délai prévu au paragraphe b) ci-dessus, le processus de négociation est alors terminé.
(soulignements ajoutés)
[11] Quant au Règlement, celui-ci prévoit ce qui suit :
50. L’organisme public et l’entrepreneur doivent tenter de régler à l’amiable toute difficulté pouvant survenir au regard d’un contrat selon les étapes et les modalités suivantes :
10 en faisant appel à un gestionnaire représentant l’organisme public et à un dirigeant de l’entrepreneur dans le but de résoudre tout ou partie des questions faisant l’objet de ce différend, et ce, dans un délai de 60 jours suivant la réception de l’avis de différend de l’entrepreneur; les parties peuvent convenir de prolonger cette période;
20 si les négociations ne permettent pas de résoudre complètement le différend, l’organisme public ou l’entrepreneur peut, par l’envoi d’un avis à l’autre partie dans un délai de 10 jours suivant la fin de l’étape précédente, exiger la médiation sur les questions non résolues, laquelle doit être complétée dans un délai de 60 jours suivant la réception de l’avis de médiation; les parties peuvent convenir de prolonger cette période.
En l’absence d’un avis de médiation dans le délai prévu au paragraphe 2 du premier alinéa, le processus de négociation est alors terminé.
(soulignements ajoutés)
[12] La SIQ prétend que CAL a refusé de se soumettre au processus de médiation alors que CAL prétend que la SIQ ne l’a pas réclamé en temps utile et selon les exigences du contrat ou du Règlement.
[13] Une volumineuse correspondance échangée entre les parties faisant état du problème a été soumise de part et d’autre.
[14] Il faut donc parcourir la correspondance échangée entre les parties pour déterminer si on y retrouve les éléments essentiels des avis des articles 51(a) et (b) des conditions générales ou des articles 50(a) et (b) du Règlement.
[15] Dans une lettre du 16 juillet 2012, CAL annonce qu’une réclamation sera présentée « pour tous ces faits qui nous ont causé (sic) préjudices (sic). »
[16] Le 16 octobre 2012, CAL soumet une première réclamation au montant de 451 682,62$.
[17] Le 5 février 2013, CAL écrit à la SIQ afin de noter qu’il n’y a eu aucune suite à la réclamation du 16 octobre 2012. Une réunion devait effectivement avoir lieu ce même jour (5 février 2013) mais elle a été annulée par la SIQ (d’où la lettre du 5 février). CAL demande la tenue d’une nouvelle réunion devant se tenir le 8 février 2013.
[18] Le 8 février 2013, la SIQ écrit ce qui suit à CAL :
Monsieur Asselin,
La direction responsable du projet décrit en objet à la Société immobilière du Québec (SIQ) me demande d’intervenir au présent dossier, d’une part, en relation avec la réclamation que vous avez produite l’automne dernier pour un montant totalisant 451 682,62$ afin de l’analyser et, d’autre part, concernant le dépassement et/ou le non-respect du délai contractuel de ce projet par votre entreprise.
Nous comprenons que madame Christine Besner, architecte, directrice de projet à la SIQ, et monsieur Pierre Hébert, gérant de projets de votre entreprise, ont convenu de se rencontrer le 28 février 2013, au retour des vacances de monsieur Hébert, et ce, afin d’amorcer une première étape de discussion sur les éléments de votre réclamation. Le soussigné se joindra à eux lors de cette rencontre, dans le but d’apporter à la représentante de la SIQ un éclairage juridique et contractuel sur les éléments de votre réclamation. A cet égard, si vous le jugez opportun, vous pourriez également demander à votre procureur d’être présent à ces discussions; naturellement, de telles discussions s’effectueront sans aucune admission de part et d’autre.
(soulignements ajoutés)
…
[19] Une telle interpellation semble constituer une ouverture à une tentative de régler à l’amiable la « difficulté » annoncée ci-haut, aux termes de l’article 51 (a) des conditions générales ou de l’article 50 du Règlement, constituant ainsi un « avis de différend au sens de ces dispositions. Le processus de règlement découlant de ces articles est d’ailleurs fort présent dans l’esprit de CAL puisque le 6 mars 2013, son président Claude Asselin répond ce qui suit :
Monsieur,
La présente est pour vous faire part que nous avons reçu copie de votre demande et ne comprenons pas votre interpellation dans le dossier à ce stade-ci. En effet, nous vous référons à vos conditions générales du devis dans ce projet et particulièrement à la « Section 8 - Règlement des différends, Point 51, Négociation en cas de différend », qui fait mention d’un délai de 60 jours.
Nous vous rappelons que plus ou moins 5 mois se sont écoulés depuis notre réclamation datée du 16 octobre 2012 et qu’aujourd’hui, nous sommes le 6 mars 2013. Il est à noter que nous avons été convoqués afin de discuter de notre réclamation le 28 février 2013 seulement. Nous croyons fortement que nous avons été plus que patients et que cette situation est inacceptable. Donc, aujourd’hui, selon le devis, nous demandons formellement à ce qu’un cadre ainsi qu’un dirigeant se rencontrent pour essayer d’en arriver à une entente. Nous ne croyons pas qu’à ce stade-ci l’utilité de l’implication des avocats.
(soulignements ajoutés)
[20] Le 8 mars suivant, la SIQ écrit à Me Argun, le procoureur de CAL dans les termes suivants :
…
Nous avons déjà annoncé dans notre lettre du 8 février dernier que la SIQ est prête à participer à une rencontre impliquant, entre autres, un gestionnaire de la SIQ, à savoir M. Stéphane Laflamme, et le dirigeant de votre cliente, M. Claude Asselin. La rencontre du 28 février se voulait préparatoire à cette deuxième intervention.
Deux options s’ouvriront aux intervenants à la suite de la réception de la position de la SIQ sur votre réclamation; d’une part, une rencontre entre les gestionnaires des deux entreprises pourra avoir lieu pour échanger sur les prétentions spécifiques de chacune et amorcer la négociation d’une entente et nous proposons dès à présent qu’une telle rencontre se tienne, le cas échéant, le 21 mars 2013; d’autre part, les parties pourraient convenir de sauter cette étape pour se diriger directement en processus de médiation avec la participation d’un médiateur indépendant. Dans ces deux situations, chaque partie pourra décider de se faire alors accompagner ou non par un conseiller juridique.
(soulignements ajoutés)
[21] Suit alors la lettre du 13 mars 2013 de CAL :
Monsieur,
Notre avocat nous a remis copie de la correspondance que vous lui avez adressée le 8 mars dernier et nous présumons que celle-ci fait suite à notre correspondance du 6 mars 2013. Par conséquent et encore une fois, nous ne comprenons pas votre implication à ce stade-ci dans le dossier.
Plus de 5 mois se sont écoulés depuis la présentation de notre réclamation à la Société Immobilière du Québec et celle-ci est restée muette jusqu’à présent. Pourrions-nous obtenir une réponse à savoir quelles sont les intentions de la SIQ. Les documents contractuels sont clairs à l’effet que vous devez nous rendre une réponse dans les 60 jours suivant notre requête. Vous comprendrez notre inquiétude jusqu’à ce jour.
[22] Dans une longue lettre datée du 18 mars 2013[1], la SIQ fait part, au président de CAL, de l’ensemble de sa position sur la réclamation de CAL et lui offre une compensation « …additionnelle et globale de 30 000,00$... » en règlement de celle-ci.
[23] Ainsi, dans la mesure où il y aurait eu ouverture d’un processus de règlement du différend entre les parties en date du 8 février 2013 et que les rencontres et échanges de correspondance constituent le processus de résolution de ce même différend, cette étape est donc terminée dans l’esprit de la SIQ puisque son directeur Stéphane Laflamme conclut sa lettre du 18 mars 2013 dans les termes suivants :
…
Nous serons en attente de vos commentaires sur cette position que vous attendiez à l’égard de votre réclamation, de même que sur notre proposition. Dans ce contexte, si cette proposition n’agrée pas votre accord, et si vous le jugez opportun, nous sommes toujours consentants à ce que ce différend soit soumis directement à un processus de médiation avec la participation d’un médiateur indépendant.
(soulignements ajoutés)
[24] Le 25 mars 2013, CAL refuse l’offre et la position de la SIQ en termes non-équivoques[2]. Malgré tout, CAL ajoute qu’elle est prête à continuer les discussions. Monsieur Asselin termine sa lettre en ces termes :
…
Dans les circonstances, il nous paraît souhaitable que nous procédons à une rencontre afin de discuter, sur une base d’affaire et pratique, des solutions possibles à ce qui s’avère être en ce moment une impasse. Nous demeurons donc disponible à vous rencontrer, à Montréal, dans les meilleurs délais. Ceci dit, veuillez noter que le soussigné est présentement à l’extérieur du pays et sera de retour à Montréal le ou vers le 5 avril 2013. Nous attendrons donc votre date proposée pour la tenue d’une rencontre afin de bloquer notre agenda en conséquence.
(soulignements ajoutés)
[25] Dans la mesure où la lettre de la SIQ du 8 février 2013 constitue un avis de différend, la lettre du 25 mars 2013 mettrait donc un terme à cette première étape, quelques 45 jours plus tard.
[26] Le 27 mars 2013, la SIQ propose une rencontre « …pour recevoir des explications et discuter avec vous des solutions à cette impasse… ».[3] Cette réunion se tiendra le 22 avril 2013, soit 73 jours après le début possible du processus. Par contre, c’est lors de la réunion du 22 avril 2013 que l’on aurait constaté l’impasse totale. Ceci découle du contenu de la lettre qui suit.
[27] Le 30 avril, la SIQ écrit :
Monsieur,
Nous avions convenu d’entreprendre des discussions/négociations il y a quelques semaines et, c’est dans ce contexte, qu’une rencontre a eu lieu entre nous le 22 avril courant, en ce qui a trait au(x) différend(s) que vous avez soulevés et à votre réclamation en découlant, telle qu’amendée après notre lettre du 18 mars 2013, de même qu’en regard de notre proposition de règlement soumis le 18 mars dernier.
Nous devons malheureusement constater du résultat de la rencontre de lundi dernier, qu’il sera difficile de faire cheminer ce dossier vers une entente à l’amiable sans l’intervention d’un tiers indépendant.
A cet égard, tel que le prévoient la réglementation publique applicable de même que les dispositions de votre contrat, étant donné que les négociations ne permettent pas de résoudre complètement le(s) différend(s), la Société immobilière du Québec demande formellement la médiation sur tous les différends ou questions en lien avec votre réclamation pour coûts additionnels. Cette demande et le processus de médiation qui suivra sont faits sans aucune admission et sous toutes réserves des droits des parties impliquées.
(soulignements ajoutés)
[28] Nous sommes alors au 81e jour du début du processus mais seulement huit jours après l’échec définitif des discussions entre les parties.
[29] Le 1er mai 2013, le procureur de CAL écrit à Me Maltais de la SIQ s’objectant véhémentement au fait que les parties aient discuté de ce litige.[4]
[30] Cependant, cette lettre :
a) confirme l’intérêt de CAL en date du 6 mars 2013 … « exprimant clairement son désir de suivre le processus de règlement des différends prévu au contrat et de ne pas impliquer les avocats »…; et
b) que la réclamation litigieuse n’est plus de 451 682,62$ mais de 604 792,12$ pour couvrir les frais additionnels découlant des conditions d’hiver.
[31] Le 9 mai 2013, Me Roch Maltais de la SIQ répond à Me Argun et termine sa lettre en ces termes :
…
En terminant, soyez assuré que la Société est tout aussi déçue que votre cliente du résultat de la rencontre du 22 avril 2013, laquelle n’a pas permis de rapprocher les parties en vue d’un règlement. C’est pour cette raison que M. Stéphane Laflamme a écrit le 30 avril dernier à votre cliente pour demander l’intervention d’un médiateur indépendant qui pourrait possiblement influencer l’une et l’autre des parties pour faciliter une éventuelle entente. A cet égard, le processus formel dont vous faits état dans votre lettre est bel et bien prévu dans la réglementation, et, afin de donner toutes les chances aux donneurs d’ouvrages et entrepreneurs d’éviter, dans la mesure du possible, de judiciariser leurs différends.
(soulignements ajoutés)
[32] Voilà donc la trame factuelle. Il s’agit maintenant de décider si les dispositions des conditions générales ou du Règlement en matière de règlement des différends ont été suivies.
LES QUESTIONS
[33] Pour pouvoir disposer du moyen préliminaire de la SIQ, qui réclame une suspension de l’instance pour une période 60 jours afin de permettre la mise en place et la tenue d’un processus de médiation conformément aux termes du contrat ainsi que du Règlement, il faut d’abord établir que l’obligation de procéder à la médiation constitue une obligation préjudicielle.
[34] Ensuite, il faut déterminer si l’obligation en question a été satisfaite ou encore si la SIQ y a renoncé ou a négligé ou omis d’invoquer ses droits en temps utile.
DISCUSSION
[35]
L’article
[36] Le processus de règlement des différends en question est obligatoire : les parties doivent tenter de régler leur différend selon les modalités prévues.
[37] Le processus de règlement est déclenché par la réception d’un « avis de différend ».
[38] L’avis de différend n’est pas défini ni quant à sa forme ni quant à son contenu. Au surplus, le moment de l’envoi de l’avis de différend n’est pas précisé ni encadré. En l’instance, CAL prend la position que l’envoi de sa réclamation constitue en même temps l’envoi d’un avis de différend. Or, ce n’est pas le cas. En conséquence, le délai de 60 jours ne commence pas à courir lors de l’envoi de l’avis de changement ou de la réclamation de CAL en juillet 2012.
[39] Cependant, une fois que l’avis de différend proprement dit est transmis, les parties ont 60 jours pour tenter de trouver une solution. Par ailleurs, ce délai de soixante jours n’est pas immuable : les parties peuvent convenir de le prolonger.
[40] Le processus se déroule en deux étapes bien distinctes : une première étape de négociation entre les parties et, si le différend n’est pas réglé, un processus de médiation en présence d’un médiateur externe. A noter cependant que els parties peuvent choisir de ne pas procéder à la seconde étape mais si l’une des parties le demande, la médiation devient obligatoire.
[41] Cette deuxième étape s’enclenche par l’envoi d’un avis écrit par l’une ou l’autre des parties dans les 10 jours suivant la fin de la première étape. S’il n’y a pas d’envoi d’un tel avis, alors l’ensemble du processus de règlement des différends est terminé.
[42] Mais, tel qu’indiqué ci-haut (et c’est là l’erreur de CAL), le dépôt d’une réclamation par l’une ou l’autre des parties ne constitue pas un avis de différend. L’avis de différend vient plus tard, une fois qu’il apparaît évident que la réclamation n’est pas acceptée. Donc, vu qu’aucun délai n’est prévu au contrat ou au Règlement pour envoyer un avis de différend, l’une ou l’autre des parties peut retarder l’envoi de cet avis. Ce faisant, cette partie risque de voir l’autre partie envoyer l’avis de différend et de déclencher le processus. Ici, CAL n’a jamais envoyé d’avis de différend à la SIQ.
[43] Un dernier commentaire : une action en justice ne peut être instituée avant que le processus de règlement des différends n’ait été enclenché et complété selon les termes de l’article 51 du contrat ou de l’article 50 du Règlement et, si elle l’est, cette action doit alors être suspendue pour en permettre le déroulement.
[44]
Deux décisions ont été citées par le procureur de la SIQ qui confirment
ce qui précède : Construction Socam Ltée c. Procureur général du
Canada,
[45] Le soussigné est d’accord avec les raisonnements des juges Larouche et Godbout dans les dossiers précités.
[46] Le contrat et le Règlement prévoient qu’un processus de règlement des différends doit être enclenché et poursuivi avant qu’une partie puisse interpeller l’autre en justice. Il s’agit d’une obligation préjudicielle qui, si elle n’a pas été menée à bien selon les dispositions contractuelles ou réglementaires applicables, doit être mise en place.
[47] Ce n’est pas pour rien que ces dispositions sont insérées dans les contrats de construction et dans les contrats publics. La médiation peut éviter de très longs et très coûteux litiges et un tel processus d’une durée maximum de 60 jours peut mettre fin au présent dossier qui, lui, prendra des années à se compléter, à un coût de plusieurs dizaines de milliers de dollars pour chacune des parties. Les principes de proportionnalité, couplés aux pouvoirs inhérents du Tribunal font en sorte que de telles dispositions contractuelles ou réglementaires se doivent d’être observées et les conditions de leur mise en application interprétées largement plutôt que restrictivement.
[48] En l’espèce, le Tribunal est d’avis :
a) que l’envoi de l’avis de différend prévu par l’article 51(a) du contrat n’est pas assujetti à un délai particulier. Le dépôt d’une réclamation, d’un ordre de changement ou d’une demande de paiement ne constitue pas à priori un avis de différend.
b) que la défenderesse SIQ a transmis à la demanderesse CAL l’équivalent d’un avis de différend le 8 février 2013, les lettres des 6 mars 2013 (CAL), 8 mars 2013 (SIQ), 13 mars 2013 (CAL), 18 mars 2013 (SIQ), 25 mars 2013 (CAL) et du 27 mars 2013 (SIQ) faisant état des discussions et prises de position respectives des parties et militent dans le sens du déroulement du processus prévu à l’article 51(a) du contrat;
c) que les parties ont d’un commun accord prolongé la période de 60 jours ayant débuté le 8 février 2013 jusqu’au 22 avril 2013, date de la dernière rencontre entre les parties (voir lettre du 30 avril 2013 de la SIQ).
d) que le 30 avril 2013, la SIQ a transmis à CAL l’équivalent d’un avis exigeant la médiation du différend conformément aux exigences de l’article 51(b) du contrat. C’est-à-dire dans les dix jours de l’échec de la première étape, constatée le 22 avril 2013.
e) que CAL n’a pas donné suite à cet avis et en a empêché le processus en négligeant ou refusant de procéder selon les termes de l’article 52 du contrat.[5]
[49] En conséquence, le Tribunal est d’avis que le moyen préliminaire soulevé par la SIQ est bien fondé et qu’il y a lieu de suspendre l’instance et d’ordonner aux parties de procéder à la médiation aux termes du contrat qui les lie.
POUR L’ENSEMBLE DE CES MOTIFS, le Tribunal
[50] ACCUEILLE le moyen préliminaire de la Défenderesse Société Immobilière du Québec;
[51] ORDONNE aux parties de se soumettre au processus de médiation tel que prévu au contrat P-2 et au Règlement;
[52] ORDONNE la suspension de l’instance pour la durée du processus de médiation tel qu’établi au contrat P-2 et du Règlement.
[53] LE TOUT, frais à suivre.
|
__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
|
|
||
Me Ali T. Argun |
||
Morency Société d’avocats |
||
Procureur de la Demanderesse |
||
|
||
Me Francis Gervais |
||
Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert & associés |
||
Procureur de la Défenderesse |
||
|
||
Date d’audience : |
Le 23 juillet 2013 |
|
[1] Voir onglet 10 du Cahier de correspondance produit par CAL.
[2] Lettre du 25 mars 2013, onglet 11.
[3] Onglet 12.
[4] Onglet 14.
[5] Article 52 PROCESSUS DE MÉDIATION :
52.1 Le médiateur est choisi d’un commun accord par le Gestionnaire de projet et l’Entrepreneur. Il est chargé d’aider les parties à cerner leurs différends et à identifier leurs positions et leurs intérêts, de même qu’à dialoguer et explorer des solutions mutuellement satisfaisantes pour résoudre leurs différends.
Si les parties ne peuvent se mettre d’accord sur le choix d’un médiateur dans un délai de quinze (15) jours suivant l’avis de soumettre le différend à la médiation, un médiateur sera choisi, sur demande du Gestionnaire de projet et de l’Entrepreneur, par un organisme indépendant, une association ou un ordre professionnel, désigné conjointement par les parties après la signature du contrat mais au plus tard dans les trente (3) jours suivants.
52.2 Les parties, de concert avec le médiateur, définissent les règles applicables à la médiation et sa durée, précisent leurs engagements, attentes et besoins ainsi que le rôle et les devoirs du médiateur.
52.3 Les parties conviennent d’échanger tous les renseignements sur lesquels ils ont l’intention de s’appuyer dans toute présentation orale ou écrite au cours de la médiation. Cet échange devra être complet au plus tard quinze (15) jours avant la date fixée pour la médiation.
Les parties conviennent que chacune d’entre elles sera responsable des honoraires et frais de leurs représentants respectifs. Les honoraires et les frais du médiateur ainsi que tous les frais relatifs à la médiation tel que le coût de location des lieux de la médiation, le cas échéant, doivent être partagée en parts égales entre les parties, à moins qu’une répartition différente n’ait été convenue.
52.4 Un représentant de chaque partie doit être dûment mandaté par le dirigeant du Gestionnaire de projet ou de l’Entrepreneur, selon le cas, pour procéder à la médiation.
52.5 Tous les participants à la médiation devront signer un engagement de confidentialité avant la séance de médiation.
52.6 Tous les renseignements et documents échangés au cours de cette médiation devront être considérés comme des renseignements communiqués « sous toutes réserves » pour les fins de négociation en vue d’une entente et devront être considérés comme des renseignements à caractère confidentiel par les parties et leurs représentants, à moins que la loi ne le prévoit autrement. Toutefois, une preuve qui est autrement admissible ou qui peut être communiquée, ne saurait être rendue inadmissible ou non communicable du fait qu’elle a été utilisée pendant la médiation.
52.7 L’entente intervenue avec le médiateur doit prévoir également que ce dernier ne représentera aucune des parties et ne témoignera au nom d’aucune des parties, au cours de toute procédure légale ultérieure entre les parties y compris celle visée à l’article 53.2 ou au cours de laquelle leurs intérêts sont opposés. Il est également convenu que les notes personnelles rédigées par le médiateur relativement à cette médiation sont confidentielles et ne peuvent être utilisées au cours de toute procédure ultérieure entre les parties ou au cours de laquelle leurs intérêts sont opposés.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.