Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision - Commissaire - Montréal

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

270474

Cas :

CM-2012-4086

 

Référence :

2013 QCCRT 0349

 

Montréal, le

16 juillet 2013

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE COMMISSAIRE :

André Michaud, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

Nathalie Poirier

 

Plaignante

c.

 

9043-0166 Québec inc.

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

le litige

[1]           Le 15 mai 2012, madame Nathalie Poirier dépose à la Commission des normes du travail une plainte selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1 (la LNT). Elle soutient avoir été congédiée sans cause juste et suffisante le 4 avril précédent par 9043-0166 Québec inc. (l’employeur).

[2]           L’employeur reconnaît que madame Poirier est une salariée, qu’elle compte plus de deux ans de service continu au moment de sa fin d’emploi, qu’elle ne dispose d’aucune autre procédure de réparation équivalente et que les délais prévus à la LNT sont respectés. La fin d’emploi résulterait toutefois d’un licenciement à la suite d’une réorganisation administrative et non d’un congédiement.

[3]           Il est convenu que la Commission se prononce sur le bien-fondé de la plainte et qu’elle réserve sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées, le cas échéant.

les faits

[4]           Madame Poirier est caissière chez l’employeur depuis le 11 août 2006. Celui-ci exploite un commerce de type dépanneur jumelé à un poste libre-service de vente d’essence à Mercier. Messieurs Jean-François Lussier et Éric Dallaire en sont les propriétaires depuis le mois de septembre 2010. Ils possèdent déjà un établissement semblable situé à Saint-Luc.

[5]           Huit employés, dont quatre à temps complet, travaillent à l’établissement de Mercier.

[6]           Madame Poirier occupe un des quatre postes à temps complet, à raison de 40 heures par semaine. Elle travaille du lundi au vendredi de 6 h à 14 h. Son taux horaire est de 11,90 $. Elle est la seule employée à bénéficier d’une assurance collective, pour laquelle l’employeur débourse 60 $ par semaine.

[7]           Madame Lamer travaille aussi à temps complet sur le quart du matin. Elle a été embauchée le 8 septembre 2011. C’est madame Poirier qui l’a entraînée dans ses nouvelles fonctions.

[8]           Messieurs Lussier et Dallaire partagent leur temps de présence, en matinée, aux deux établissements, Mercier et Saint-Luc. Ils y travaillent un minimum de 40 heures par semaine.

[9]           Le 15 février 2012, messieurs Lussier et Dallaire acceptent une offre d’achat pour leur établissement situé à Saint-Luc. Le transfert de propriété s’effectue le 1er mai suivant. Les deux propriétaires sont maintenant disponibles exclusivement pour l’établissement de Mercier. Ils se partagent leur horaire de travail de façon à ce qu’il y ait au moins un d’entre eux présent le plus souvent possible. En conséquence, ils décident de mettre fin à l’emploi de deux employées à temps complet, l’une sur le quart du matin et l’autre sur le quart de soirée.

[10]        Messieurs Lussier et Dallaire utilisent trois critères pour désigner les employés qui perdront leur emploi : la compétence, la disponibilité et le service à la clientèle, ce dernier étant le critère essentiel. Pour ce qui est du quart du matin, ils estiment que mesdames Lamer et Poirier possèdent une compétence équivalente. Ils considèrent que madame Lamer est plus disponible parce qu’aucun horaire fixe ne lui a été promis lors de son embauche. Ils ne vérifient toutefois pas cet élément auprès de madame Poirier.

[11]        Messieurs Lussier et Dallaire concluent que madame Lamer présente une qualité de service à la clientèle supérieure à celle de madame Poirier. Ils fondent leur appréciation sur les réactions et les commentaires des clients, ainsi que sur leurs propres observations : madame Lamer sourirait plus facilement et plus souvent, aurait une meilleure approche avec les clients et serait plus à l’aise dans ses interactions avec ceux-ci.

[12]        Madame Poirier n’a jamais eu de reproche quant à son travail, ni de suggestion quant à l’amélioration de la qualité du service à la clientèle.

[13]        Madame Poirier entend parler de la vente de l’établissement de Saint-Luc. Inquiète, le mercredi 4 avril 2012, elle demande à monsieur Lussier quelles sont ses intentions. Celui-ci lui répond que son poste sera aboli et qu’il devra mettre fin à son emploi. Ils discutent de la possibilité qu’elle demeure en poste jusqu’à la fin du mois. Monsieur Lussier lui donne congé pour le reste de la journée, étant donné qu’elle est en état de choc, et lui dit qu’il la rappellera sous peu, après avoir discuté avec monsieur Dallaire.

[14]        C’est ce dernier qui rappelle madame Poirier. Il lui annonce que lui et monsieur Lussier jugent préférable qu’elle ne revienne plus au travail et qu’ils lui paieront le reste de la semaine ainsi qu’un préavis équivalant à huit semaines de salaire.

l’analyse et les motifs

[15]        L’article 124 de la LNT se lit comme suit :

Plainte de congédiement.

124. Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l'adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.

Défaut.

Si la plainte est soumise dans ce délai à la Commission des relations du travail, le défaut de l'avoir soumise à la Commission des normes du travail ne peut être opposé au plaignant.

[16]        Cet article traite de congédiement. Il ne s’applique pas en cas de licenciement. Dans la présente affaire, la Commission doit déterminer si l’employeur a congédié ou licencié madame Poirier, dans lequel cas sa plainte sera irrecevable.

[17]        Selon la jurisprudence, un employeur peut licencier un salarié pour des motifs économiques ou à la suite d’une restructuration. Lorsqu’il s’est déchargé de ce fardeau de preuve, il revient au salarié d’établir le subterfuge et de faire la démonstration, qu’à son égard, l’application des critères de sélection était discriminatoire, irrationnelle ou abusive. Autrement dit, que la décision de l’employeur constitue un congédiement déguisé par opposition à un licenciement.

[18]        La Commission ne peut s’immiscer dans la gestion de l’entreprise et décider des critères qu’aurait dû utiliser l’employeur dans le choix des salariés à mettre à pied, après avoir vérifié que ceux-ci sont objectifs et qu’ils ont été appliqués de façon uniforme sans abus, arbitraire, discrimination, injustice ou mauvaise foi.

[19]        Dans la présente affaire, la réalité de la réorganisation administrative n’est pas remise en question puisque la vente de l’établissement de Saint-Luc et le retour d’un des propriétaires à temps complet entraînent nécessairement la révision des effectifs de l’établissement de Mercier.

[20]        Cela étant, madame Poirier devait démontrer que sa désignation a été faite de façon arbitraire, discriminatoire, irrationnelle ou abusive.

[21]        Les trois critères utilisés par l’employeur, la compétence, la disponibilité et le service à la clientèle constituent des critères objectifs et raisonnables, étant donné la nature de l’entreprise. Cependant, il ressort qu’ils ont été appliqués de façon subjective et empreinte d’arbitraire.

[22]        Selon l’employeur, les deux personnes étaient également compétentes. Messieurs Lussier et Dallaire ont estimé que madame Lamer présentait plus de disponibilité que madame Poirier quant à l’horaire de travail, sans prendre la peine de vérifier cet élément auprès de cette dernière. Il s’agit d’une conclusion fondée uniquement sur une présomption.

[23]        Selon l’employeur, c’est la qualité du service à la clientèle qui a surtout fait la différence dans le choix entre madame Poirier et madame Lamer. Cette impression ne repose que sur des observations subjectives, notamment quant à la fréquence et à la qualité du sourire, ainsi que sur de l’ouï-dire. En effet, aucun élément factuel objectif, tels des reproches, des suggestions d’amélioration, des plaintes ou des témoignages de clients, ne supporte cette appréciation.

[24]        Il existe une différence très significative dans l’ancienneté des deux personnes concernées : madame Poirier présentait près de six ans d’ancienneté comparativement à un peu plus de six mois pour madame Lamer. Cette dernière avait d’ailleurs été entraînée dans ses fonctions par la première. L’ancienneté, même si elle ne constitue pas un critère absolu, n’en demeure pas moins un facteur utile et objectif. On n’écarte pas cette donnée, surtout quand une différence aussi importante existe, en se fondant sur de simples impressions. Il faut que l’employeur mette en preuve des éléments tangibles pour appuyer sa décision, ce qu’il n’a pas fait dans le présent cas.

[25]        En somme, l’appréciation de madame Poirier en regard des critères de disponibilité et de qualité du service à la clientèle a été faite de façon arbitraire, viciant ainsi sa désignation pour la réduction des effectifs. Ceci étant, on doit conclure qu’elle a été l’objet d’un congédiement déguisé.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                  la plainte;

ANNULE                        le congédiement;

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées.

 

 

__________________________________

André Michaud

 

Me Dominic Ambrosio

Rivest, Tellier, Paradis

Représentant de la plaignante

 

Me Josiane Machabée-Primeau

Brault Primeau, Avocats s.e.n.c.

Représentante de l’intimée

 

Date de l’audience :

3 juillet 2013

/jt

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.