C A N A D A Province de Québec Greffe de Québec
No: 200 - 09‑000429‑859
(615‑02‑000142‑83)
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Cour d'appel
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Le 03 avril 1989
CORAM : Juges Bernier, Nichols et Chevalier (ad hoc)
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GAREAU AUTO INC., défenderesse en garantie appelante,
c.
BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE, demanderesse principale demanderesse en garantie intimée, et GUY CARBONNEAU, défendeur principal intimé
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LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu le 13 mai 1985 par l'honorable Paul Bélanger, juge de la Cour provinciale siégeant dans le district d'Abitibi,
- rejetant l'action de l'intimée-demanderesse principale contre l'intimé-défendeur principal en réclamation d'une somme de 11 174,70 $;
- accueillant la demande de l'intimé-défendeur en annulation de contrat et en remboursement de l'acompte versé;
- accueillant la demande en garantie de l'intimée-demanderesse principale contre l'appelante;
APRES étude, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion de monsieur le juge Chevalier, dont copie est annexée au présent jugement, auxquels souscrivent messieurs les juges Bernier et Nichols;
REJETTE l'appel avec dépens tant en ce qui concerne la demande principale que la demande en garantie. JJ.C.A.
OPINION DU JUGE CHEVALlER
Le litige met en cause l'interprétation et
l'application des articles
Le 22 (ou peut-être le 24) juillet 1981, Guy Carbonneau se rend chez un nommé Gauthier pour lui réclamer 400 $ que ce dernier lui doit. Au cours de la conversation, Gauthier lui parle d'un bateau de marque Thundercraft qui est à vendre pour un prix de 8 500 $.
Dans le but de pousser la transaction, Gauthier fait venir un nommé Jean-Guy St-Pierre qui a présumément reçu d'une dame Claudette St-Cyr, propriétaire de l'embarcation, le mandat de trouver preneur.
Gauthier, St-Pierre et Carbonneau se rendent à l'endroit où le bateau est amarré et en font l'essai. De là St-Pierre conduit Carbonneau à l'établissement où Gareau Auto Inc. (Gareau) exploite un commerce de vente de véhicules automobiles et, occasionnellement, de vente de bateaux.
L'implication de Gareau vient du fait que, pour être payée en plein et sans délai du prix qu'elle demande, la propriétaire St-Cyr a signé en faveur de ce commerçant un acte de vente du bateau. Gareau Inc. devient ainsi propriétaire et, comme elle jouit de facilités de crédit que lui consent la Banque Canadienne Impériale de Commerce (la Banque), elle pourra le revendre à crédit et céder ensuite sa créance contre l'acquéreur à la Banque pour être elle-même payée de son dû.
Au bureau de Gareau, les pourparlers n'ont pas lieu directement entre le vendeur et Carbonneau. St-Pierre agit comme intermédiaire entre les deux, fait la navette de l'un à l'autre, négocie le contrat et finit par obtenir un accord sur les termes et conditions de la vente.
On fait alors signer l'acte d'achat à Carbonneau. La convention stipule un prix de 11 174,70 $, payable 680 $ comptant et, pour le solde, à raison de trente mensualités de 372,49 $ chacune, la première échéant le 24 août 1981. Le même jour, le contrat avec la créance qu'il comporte, est cédé à la Banque.
Presque immédiatement, Carbonneau regrette sa décision de se porter acquéreur. Il n'utilise le bateau qu'en une occasion, puis le remise.
La Banque n'ayant pas reçu les versements d'août, septembre et octobre 1981, son préposé rencontre l'intimé au mois de novembre et s'enquiert de ses intentions. Carbonneau se déclare incapable de rencontrer ses échéances et propose d'annuler la vente et de remettre le bateau. Le préposé lui suggère de chercher plutot un acheteur.
En décembre 1981, la Banque, qui n'a toujours rien reçu, avise son débiteur qu'elle entend se prévaloir de la clause de déchéance du terme contenue dans le contrat. La poursuite est entreprise en avril 1982. Dans sa contestation, Carbonneau demande l'annulation de la vente et le remboursement de l'acompte initial qu'il a versé. Il offre de remettre le bateau. Ce que voyant, la Banque se porte demanderesse en garantie contre Gareau. Dans sa procédure, elle conclut qu'à défaut de contester le plaidoyer de Carbonneau et d'en obtenir le rejet, Gareau soit tenue de l'indemniser de "toute réduction du prix ou annulation de la vente" (m.a. page 32) qui pourra être prononcée.
Le jugement et l'appel
Il rejette l'action de la Banque contre Carbonneau, annule le contrat, ordonne la remise de l'acompte versé et donne acte de l'offre de remettre le bateau. Il accueille également la d
ordonne la remise de l'acompte versé et donne acte de l'offre de remettre le bateau. Il accueille également la demande en garantie, condamne Gareau à rembourser la Banque 9 385,61 $, les intérêts et le versement initial reçu. Enfin, il autorise Gareau à exercer son droit de reprise sur l'objet. Gareau se pourvoit contre le jugement rendu.
Elle demande que l'action principale de la Banque contre Carbonneau soit accueillie et qu'à défaut de l'être la demande en garantie de la Banque contre elle soit rejetée.
Malgré que l'argument n'ait pas été soulevé devant nous, on pourrait a priori penser qu'en concluant au maintien de la demande principale qui a été rejetée en première instance, l'appelante plaide pour autrui, puisque la Banque n'a pas interjeté appel. Je ne crois cependant pas que ce soit le cas. L'intérêt de l'appelante à conclure comme elle le fait est évident, si l'on considère que la condamnation prononcée contre elle en première instance n'est que l'aboutissement de celle prononcée contre la Banque et que, si celle-ci avait eu gain de cause, la responsabilité de l'appelante n'aurait pas été engagée. La lecture de la déclaration en garantie fait d'ailleurs voir que la Banque y requérait l'appelante de prendre son fait et cause contre Carbonneau et c'est ce qu'elle a fait dans sa défense en garantie en contestant le droit de Carbonneau de faire annuler le contrat. Il me paraît donc clair que son intérêt à poursuivre cette conclusion persiste en appel et qu'on ne peut exiger, pour lui permettre d'exercer ce droit, qu'elle soit à la remorque d'une décision que seule la Banque avait le pouvoir de prendre, celle de faire appel ou non.
Enfin, dans son mémoire comme intimée, la Banque conclut que son action contre Carbonneau devrait être maintenue et qu'à défaut l'appel de Gareau contre elle devrait être rejeté. N'ayant pas déposé d'inscription en appel, sa première demande est irrecevable. Compte tenu des conclusions auxquelles j'en arrive à la fin de cette opinion, cet aspect procédural du litige ne présente qu'un intérêt académique.
L'interprétation des articles
La solution du cas qui nous est soumis dépend essentiellement du sens et de la portée qu'il y a lieu de donner aux articles 8 et 9 de cette loi; sur ce point, les parties sont d'accord et c'est à partir de ce constat que chacune d'elle a construit son mémoire et présenté son argumentation.
Selon la règle générale de l'article
Au cours des années, l'évolution des moeurs et en particulier la diversification, pour ne pas dire la sophistication des pratiques commerciales ont obligé le législateur à nuancer sa pensée et à altérer le caractère absolu du principe. Il a agi dans cette direction en plusieurs circonstances en conférant à un contractant majeur, dans certains cas déterminés et à des conditions spécifiques, le droit de se dégager d'une obligation ou d'en obtenir la réduction, sans avoir à établir au préalable d'autres motifs que celui de la lésion. Dans son mémoire (pages 12 et suivantes) l'intimé a mentionné plusieurs cas d'intervention législative de cette nature. Pour les fins du débat, qu'il suffise de citer l'article 1040c C.C. que chacune des parties a ici mis en cause, l'une pour y trouver motif à l'appui de ses prétentions, l'autre pour s'en démarquer:
Les obligations monétaires découlant d'un prêt d'argent sont réductibles ou annulables par le tribunal dans la mesure où il juge, eu égard au risque et à toutes les circonstances, qu'elles rendent le coût du prêt excessif et l'opération abusive.
A cette fin, le tribunal doit apprécier toutes les obligations découlant du prêt en regard de la somme effectivement avancée par le prêteur nonobstant tout règlement de compte, et toute novation ou transaction.
Les articles
Article 8:
Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu'elle équivaut à de l'exploitation du consommateur, ou que l'obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante.
Article 9:
Lorsqu'un tribunal doit apprécier le consentement donné par un consommateur a un contrat, il tient compte de la condition des parties, des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu et des avantages qui résultent du contrat pour le consommateur.
L'appelante plaide au départ qu'en édictant ces deux articles, le législateur a simplement voulu étendre au contrat conclu entre un commerçant et un consommateur les mesures de protection jusque là réservées aux obligations monétaires découlant d'un prêt d'argent.
Partant, conclut-elle, la même interprétation devrait être donnée et la même application faite dans les deux cas.
A l'encontre, tout en reconnaissant qu'il existe entre l'article l040c et les articles 8 et 9 certains points de convergence, l'intimé estime que l'utilisation d'une phraséologie différente invite à faire des distinctions.
L'intérêt de la comparaison découle du fait
que, jusqu'à maintenant et malgré quelques écarts timides, l'interprétation
jurisprudentielle de l'article l040c a été en général plutôt restrictive.
L'antériorité de son existence lui a permis de bénéficier d'un examen
judiciaire plus fréquent et a donné lieu à des arrêts que l'appelante voudrait
utiliser à l'appui de sa prétention à une application rigide des articles 8 et
9. A l'encontre, l'intimé propose que nous donnions sa pleine extension aux principes énoncés dans
l'article
Toute disposition d'une loi, qu'elle soit impérative, prohibitive ou pénale, est réputée avoir pour objet de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.
Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
Sujet aux réserves que j'aurai l'occasion de faire plus loin, je partage l'opinion de l'intimé quant à l'attitude générale à adopter vis-à-vis de l'ensemble de la Loi de la protection du consommateur et plus particulièrement de ses articles 8 et 9. De toutes les législations ayant pour objectif de remédier à des abus, j'en connais peu qui remplissent mieux les conditions d'application de cet article 41. Les concepts antiques et encore respectables de la liberté contractuelle fondée sur l'autonomie de la volonté et de l'obligation d'honorer la parole donnée ne suffisent plus de nos jours à satisfaire à cette autre notion tout aussi impérative qui est celle de la justice contractuelle. C'est du déséquilibre des forces en présence qu'est né ce droit nouveau dont Me Nicole L'Heureux (Droit de la consommation, p. 15) expose comme suit la raison d'être:
"Puisque les parties (consommateur et commerçant) ne traitent plus sur un pied d'égalité, l'équilibre contractuel doit être rétabli par un mécanisme juridique particulier qui consacre la rupture avec le postulat sur lequel se fonde la théorie des contrats en droit civil.
Dans la recherche de cet objectif, le tribunal fait plus que la simple interprétation du contrat ou l'application d'une disposition législative. Il jouit d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'ensemble de l'opération et appliquer le critère du déséquilibre contractuel."
L'appelante cherche appui en faveur d'une
interprétation stricte des articles 8 et 9 dans un commentaire de notre collègue
monsieur le juge Bernier dans l'arrêt Roynat Ltée c. Les restaurants la
Nouvelle Orléans Inc.,
"La liberté des conventions est la règle; la convention est la loi des parties. Les tribunaux ne peuvent y déroger (...) que dans la mesure où une disposition spécifique de la Loi les y autorise; une telle disposition, en étant une d'exception devra quant à la portée de son application recevoir une interprétation stricte."
Il faut lire complètement l'opinion précitée pour se rendre compte que, dans le contexte du litige que la Cour avait alors à juger, le commentaire étant sans doute approprié, mais que le principe alors énoncé n'est pas forcément exportable au cas qui nous est soumis. Dans cette autre affaire, la demanderesse et la défenderesse avaient signé un contrat de prêt aux termes duquel il n'était pas loisible à cette dernière de rembourser par anticipation. Subséquemment et avant l'expiration du temps, les parties avaient conclu une entente permettant à l'emprunteur de s'acquitter de son obligation à certaines conditions. Invoquant l'article l040c C.C., celui-ci demandait que les conditions soient déclarées abusives, exhorbitantes et excessives et que le tribunal en atténue la rigueur. La Cour d'Appel a, avec raison, décidé que l'entente que l'on voulait modifier ne constituait pas une "obligation monétaire découlant d'un prêt d'argent" et qu'en conséquence le recours à l'article l040c n était pas accessible. On voit donc ici que le principe énoncé par monsieur le juge Bernier avait pour unique objet de rappeler que, pour déroger à la règle de l'article 1012, il fallait que la matière en soit une qui tombe sous le coup de l'article l040c, ce qui n'était pas le cas. Dans l'affaire qui nous est soumise, ce problème ne se pose pas; ce n'est pas la matière du litige qui fait l'objet du débat mais bien la façon, trop libérale et indûment subjective selon la prétention de l'appelante, dont le juge de première instance l'a traitée qui est en cause.
Un second sujet de désaccord entre les parties porte sur la façon dont il y a lieu d'aborder la preuve lorsqu'il s'agit de déterminer le caractère "excessif, abusif et exorbitant" de l'obligation.
L'appelante plaide (m.a. page 8) que l'étude doit en être faite d'une manière objective, en ce sens que les trois qualificatifs doivent être entendus dans le sens normal et ordinaire qui leur est donné.
L'intimée soutient (m.i. pages 21 et 55.) qu'au contraire l'analyse subjective s'impose et que c'est en tenant compte des circonstances particulières dans lesquelles se trouve chaque "victime" qu'on peut ou non voir apparaître le caractère lésionnaire auquel le législateur a voulu apporter remède.
L'article 8 prévoit deux hypothèses où le consommateur peut invoquer la qualité de victime d'une lésion et utiliser les recours alternatifs de la nullité de la convention ou de la réduction des obligations qui en découlent.
La première est celle où la preuve établit qu'en contrepartie de ce qu' il a reçu, on a exigé de lui une prestation nettement disproportionnée. La disproportion est une conclusion qui résulte des faits soumis, la preuve qui s'y rapporte consistant en une comparaison entre ce que l'on reçoit et ce que l'on donne. Dans ce contexte, j'opine que la personnalité des contractants et les circonstances dans lesquelles ils peuvent se trouver au moment où ils s'engagent ne sont pas matière à examen judiciaire. Le tribunal n'a qu'à se demander: 1) s'il y a disproportion; 2) si cette disproportion est considérable au point de léser gravement le consommateur. Dès que le juge répond affirmativement à ces deux questions en se fondant sur les faits dont il a discrétion pour évaluer la valeur probante, il doit tirer la conclusion logique, savoir qu'il y a eu exploitation du consommateur.
Dans un tel cas, il me paraît qu'il s'agit d'une lésion objective, que la présomption d'exploitation qui en est la conséquence juridique est irréfragable et que l'un ou l'autre des recours invoqués sont applicables. J'opine également qu'en pareille circonstance la notion du déséquilibre résultant de la position potentiellement inférieure du consommateur par rapport à celle supérieure du commerçant ne joue pas ou, en tout cas, ne constitue pas une considération déterminante de la décision à prendre. Enfin, j'estime que, saisi d'un litige portant sur un tel cas, le tribunal n'est pas soumis à la règle de l'article 9 dont il sera question dans la suite de cette opinion.
Je m'empresse d'ajouter que dans l'affaire en litige, tout le monde est d'accord pour reconnaître que ce premier type de lésion n'est pas celui dont se plaint l'intimé. Il est acquis que l'embarcation qui lui a été vendue avait une valeur commerciale équivalente au prix qu'on en demandait et que l'objet vendu était en tout point apte à remplir les fins pour lesquelles il avait été fabriqué.
La seconde forme de lésion, celle den tout point apte à
remplir les fins pour lesquelles il avait été fabriqué.
La seconde forme de lésion, celle dont l'intimé dit avoir été victime, est la conséquence d'une situation qui n'a plus trait exclusivement à l'objet lui-même de la convention, mais également aux obligations que cette convention comporte à l'égard du consommateur. Le fardeau qui lui incombe est de prouver qu'elles sont ou excessives, ou abusives ou exorbitantes.
Je ne crois pas que l'on puisse sérieusement contester le fait que c'est là une situation différente de la précédente. S'il en était autrement, je ne vois vraiment pas pourquoi le législateur aurait jugé à propos d'utiliser, entre les deux parties de l'article 8, la disjonctive "ou". J'y trouve de même motif à conclure que c'est à cette seconde hypothèse qu'il faut appliquer, dans son sens le plus libéral et sous réserve de quelques commentaires ultérieurs, la règle de l'article 9.
Le caractère éminemment subjectif de cette catégorie de lésion me paraît également s'imposer. La phraséologie de l'article 9 est d'une clarté qui ne laisse aucun doute à ce sujet. Dans le jugement entrepris, je trouve une citation du professeur Louis Perret de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa ("L'incidence de la nouvelle loi sur la protection du consommateur sur le droit positif des contrats et perspectives de réforme" Revue de Droit, 1985 Vol. 15, page 251) qui, à mon sens, résume adéquatement le sens et la portée des volontés du législateur:
"Cette deuxième forme de lésion consisterait pour le consommateur à avoir contracté une obligation excessive du fait qu'elle n'est pas utile et qu'elle est trop lourde pour ses moyens, de telle sorte qu'elle met en péril son patrimoine et devient pour lui une source d'embarras très sérieux. Dans ce cas les prestations respectives des parties sont équilibrées, cependant celles contractées par le consommateur sont excessives par rapport à ses moyens. C'est parce que le contrat devient ainsi une source d'ennuis graves, qu'il est considéré comme abusif et exorbitant et qu'en conséquence il justifie la protection du consommateur. La lésion se prouve ici en établissant dans chaque cas d'espèce que le contrat est trop lourd pour le consommateur, compte tenu de la condition des parties, ainsi que le mentionne l'article 9. Cette deuxième forme de lésion est très subjective, puisqu'elle dépend dans chaque cas des moyens du consommateur. La preuve de la lésion consiste en effet à établir, que, dans l'espèce soumise au tribunal, le contrat est désastreux pour le patrimoine du consommateur qui se trouve ainsi mis en péril.
Contrairement à la forme précédente de lésion, on ne présume pas ici que cette situation résulte de l'exploitation de la part du commerçant. On se rapproche en fait de l'une des formes de lésion développée par la jurisprudence dans le but d'assurer la protection du mineur."
Comme je l'ai mentionné plus haut, l'appelante nous invite à voir dans la comparaison entre leurs textes respectifs une ressemblance suffisante pour rendre applicables aux articles 8 et 9 les critères de preuve retenus par la jurisprudence pour l'article l040c.
Je ne suis pas prêt à accepter, dans sa rigidité, une telle formulation. Je conviens que les deux cas font état c'une lésion objective et d'une lésion subjective. Dans l'article 1040c le coût du prêt "excessif " constitue un élément objectif d'appréciation, tandis que l'opération "abusive et exorbitante" soulève naturellement dans l'esprit le caractère subjectif de la lésion. Sous cet aspect, on peut dire que les deux formes de lésion sont prévues dans les articles l040c C.C. et 8 et 9 de la Loi.
Là cependant s'arrête la comparaison. A mon avis, au point de vue preuve requise à l'appui d'un recours demandé sous l'article l040c, le Code est plus exigeant que la Loi sur la protection du consommateur.
Il requiert d'établir et le caractère objectivement excessif du prêt et le fait que l'opération est abusive et exorbitante. Au contraire dans la circonstance prévue à la deuxième partie de l'article 8, le caractère objectivement excessif de l'obligation n'a pas besoin d'être prouvé. Même s'il a obtenu en échange de ce qu'il donne une prestation de même équivalence, le consommateur peut instituer son recours en utilisant uniquement l'argument qu'à son égard la convention crée des oblisommateur peut instituer son
recours en utilisant uniquement l'argument qu'à son égard la convention crée des obligations qui sont soit excessives, soit abusives, soit exorbitantes.
Cette différence entre les deux dispositions n'est d'ailleurs pas la seule. Pour les fins d'étude du présent litige, elle est celle qui importe. Je conclus donc que c'est avec circonspection et en tenant compte des distinctions précitées qu'il faut utiliser la jurisprudence disponible pour les cas où des décisions ont été rendues en application de l'article 1040c.
On peut également se poser les questions de savoir s'il y a, entre les qualificatifs "excessif", "abusif" et "exorbitant" des distinctions essentielles et pour quel motif le législateur les a reliés par une conjonction disjonctive dans l'article 8. Une recherche dans les dictionnaires permet de constater qu'ils constituent tous trois des quasi synonymes. J'opine que c'est à l'étude de chaque cas d'espèce que la Cour peut déterminer la prédominance de l'un ou l'autre des caractères en question, étant entendu que la présence d'un seul des trois suffit.
Enfin, et je pense que c'est là le côté le plus important du problème, il importe de rechercher jusqu'à quel point et dans quelle mesure l'aspect subjectif peut entrer en ligne de compte.
A ce sujet, l'article 9 énonce les trois éléments d'appréciation qui doivent faire l'objet de la recherche judiciaire. Ils sont: 1) la condition des parties; 2) les circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu; 3) les avantages qui résultent du contrat pour le consommateur. Comme l'indique l'article 9 à son début, cette recherche n'a qu'un but: déterminer si le consentement du consommateur a été suffisamment libre, volontaire et éclairé pour que soit reconnue son obligation de respecter l'engagement qu'il a contracté.
Le premier des trois éléments précités me paraît avoir un rapport direct avec la situation économique dans laquelle le consommateur se trouve au moment où il contracte. Il s'agit alors de se demander si son incapacité financière d'acquérir et surtout de payer le bien qu'on lui a vendu était telle que sa décision de faire entrer l'objet acquis dans son actif était manifestement injustifiée, à cause du risque évident qu'elle comportait d'entraîner sa ruine ou de lui créer des embarras majeurs à long comme à court terme. L'obligation du commerçant de procéder à une enquête suffisante pour lui permettre de se former une opinion sur cette capacité financière est, à mon sens, la conséquence naturelle et juridique découlant de ce premier critère que pose l'article 9. Si la preuve établit que la situation économique du consommateur rendait son obligation excessive, abusive ou exorbitante, le tribunal pourra logiquement présumer que si le commerçant s'était adéquatement renseigné il n'aurait pas vendu et conclure qu'il doit subir les conséquences de son imprudence ou de sa négligence.
Le second élément d'appréciation est probablement celui qui oblige le tribunal à faire un tri de ce qui est preuve admissible et ce qui ne l'est pas. Je pense qu'il faut faire une nette distinction entre les circonstances qui entourent la négociation et la conclusion de la convention attaquée et celles qui se rattachent d'une façon plus intime à la vie personnelle du consommateur contractant. L'expression "circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu" que contient l'article 9 n'est pas susceptible d'une extension telle qu'elle exigerait de la part du commerçant l'obligation de se renseigner sur des aspects qui n'ont pas de relation directe avec la transaction, tels que la situation maritale du consommateur et les problèmes qui confrontent les conjoints. Dans cette catégorie de preuves non pertinentes, je ne ferais point non plus grief à un commerçant, à moins que l'état du consommateur ne se révèle manifestement anormal, de ne s'être pas renseigné sur son comportement psychique ou mental à l'époque de la convention.
Le jugement entrepris traite de deux circonstances auxquelles je viens de référer. Il mentionne que, lorsqu'il a signé, Carbonneau vivait une situation difficile et éprouvait des difficultés maritales. De plus, le juge de première instance a sans doute considéré comme probant et pertinent le rapport, versé au dossier, d'un psychiatre qui écrivait ce qui suit (m.i. page 68):
"Il semble que dertinent le rapport, versé au dossier, d'un psychiatre qui écrivait ce qui suit (m.i. page 68):
"Il semble que déjà à ce moment-là il ait eu des symptômes de type état dépressif et que la situation avec sa femme était difficile; cet achat inconsidéré aurait pu prendre chez lui une valeur symbolique de revalorisation de son moi et entre dans le cadre d'un trouble de la personnalité névrotique de type passif agressif avec comme principaux traits la dépendance vis-à-vis d'autrui, la jouissance immédiate, la culpabilité par la suite et éventuellement la violence."
Avec é vis-à-vis d'autrui, la jouissance immédiate, la
culpabilité par la suite et éventuellement la violence."
Avec égard, j'estime que cette preuve n'aurait pas dû être retenue. Il ne faut pas oublier que nous vivons dans un contexte économique où l'intensité des relations commerciales de toutes natures est telle qu'une législation indûment exigeante à l'égard d'une partie par rapport à une autre risquerait de déséquilibrer un système dont le principe essentiel est de faciliter dans toute la mesure possible l'échange des biens et des services. Dans ce contexte, l'expression "circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu" doit forcément recevoir une interprétation qui en limite la portée aux circonstances de sa négociation et de sa conclusion.
En ce qui a trait au troisième élément, il me semble comporter un aspect positif comme un aspect négatif, l'un qui favorise le recours du consommateur l'autre qui y met obstacle. Je conçois par exemple qu'un tribunal pourrait être plus enclin à considérer comme acceptable l'achat par un consommateur d'un objet dont il a absolument besoin pour les fins de son occupation ou de son commerce, même si l'obligation qu'il assume à son sujet est par ailleurs excessive. A l'opposé, j'accepterais que ce même tribunal puisse annuler une convention comportant des obligations qui ne sont que relativement onéreuses, s'il était prouvé que l'objet de l'acquisition est totalement inutile ou improductif à l'acquéreur.
Le pourvoi contre Carbonneau
L'application des principes énoncés plus haut me conduit sans hésitation à la conclusion que le jugement entrepris est bien fondé en ce que le juge du procès était justifié de dire que des éléments contenus dans l'article 9 se retrouvaient au tableau. Son jugement est explicite à ce sujet; il résume les circonstances de la façon suivante (m.a. page 49):
"Le défendeur est un foreur à diamant. Avant son accident de travail du 14 mars 1981 il était à l'emploi de Cameron Drilling Company Limited de Malartic. Suite à l'accident dont il a été victime il a reçu et reçoit toujours des prestations de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec de l'ordre de 340 dollars par semaine. Il est marié et avait à l'époque trois enfants dont au moins deux à charge. Il vivait dans un loyer qui ne lui coûtait rien parce que son épouse rendait des services équivalents au propriétaire. Il possédait une maison sur laquelle il avait une équité d'au plus 10 000 dollars. Cette équité et ses biens meubles étaient son seul actif. Il devait rembourser une hypothèque de 5 000 dollars à raison de 228 dollars par mois et devait 1 200 dollars à une compagnie de meubles." "... Le bateau ne lui était d'aucune utilité. Il n'avait pas de chalet et il n'exerçait aucun sport nécessitant un bateau. Il n'en avait d'ailleurs jamais possédé avant. Il ne s'est jamais servi du bateau, sauf pour l'essayer quelques fois."
"... Il était évident au départ que le défendeur ne pouvait pas payer le bateau. Il a même dû emprunter 500 dollars de son frère pour réussir à verser le montant de 680 dollars exigé lors de la signature du contrat."
Quant aux conséquences détrimentaires de cette convention à l'égard de Carbonneau, et aux conclusions qu'il y a lieu de prendre à l'égard du commerçant Gareau, voici ce qu'il écrit (m.a. page 50):
"L'achat de ce bateau n'a été pour le
défendeur que source d'ennuis et d'embarras.
L'obligation de 11 000 dollars équivalait à toutes fins pratiques a
l'équité qu'il avait réussi à amasser.
Le défendeur n'a effectué aucun versement sur ce bateau parce qu'il ne
pouvait pas le faire. L'obligation contractée par le défendeur dans les
circonstances ci-haut décrites ne peut être qualifiée autrement que d'excessive
et d'exorbitante. Il n'y a aucun doute que le défendeur a été lésé au sens des
articles
Il y a lieu dans les circonstances d'annuler cette transaction." J'opine donc que l'appel de Gareau contre Carbonneau devrait être rejeté.
Le pourvoi contre la Banque
Rappelons que le litige a été introduit en Cour supérieure à l'initiative de la Banque Canadienne Impériale de Commerce. Etant cessionnaire du contrat d'achat du bateau et n'étant pas payée de son dû, il était normal qu'elle se porte demanderesse. De même était-il normal que, devant la position adoptée par l'acquéreur Carbonneau, la Banque appelle Gareau en garantie afin d'obtenir le remboursement des tion adoptée par l'acquéreur Carbonneau, la
Banque appelle Gareau en garantie afin d'obtenir le remboursement des sommes qu'elle lui avait versées au moment de la cession.
L'appelant Gareau s'inscrit donc également contre le jugement qui lui ordonne de rembourser. Le motif de cette décision tient dans un seul alinéa, le suivant (m.a. page 50):
"Dans le contrat exhibit P-1, la défenderesse en garantie garantissait à la demanderesse en garantie que le contrat était susceptible d'exécution contre l'acheteur et qu'elle s'était en tous points conformée à la loi. La preuve a évidemment démontré le contraire. La défenderesse en garantie ne s'est pas conformée aux obligations contenues au deuxième paragraphe de la section du contrat intitulée "Cession". Elle s'obligeait ainsi à rembourser la demanderesse en garantie d'une somme égale à l'obligation totale encore impayée à la date de la demande, plus toutes les autres sommes dues dans le cadre du contrat, ainsi qu'il appert à l'endos du contrat exhibit P-1. Cette obligation est de 9 385,61 $, plus les intérêts au taux d 22,37 % depuis le 11 janvier 1982. Elle devra aussi rembourser la somme de 680 dollars que la demanderesse principale a dû payer au défendeur principal."
Comme cessionnaire de la créance du vendeur,
la situation juridique de la Banque tombe sous le coup de l'article
Le cessionnaire d'une créance d'un commerçant qui est partie à un contrat ne peut avoir plus de droits que ce commerçant et il est conjointement et solidairement responsable avec le commerçant de l'exécution des obligations de ce dernier jusqu'à concurrence du montant de la créance au moment où elle lui est cédée ou, s'il la cède à son tour, jusqu'à concurrence du paiement qu'il a reçu.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que celle qui a contracté avec le consommateur Carbonneau est l'appelante Gareau et non la Banque. Le document qui s'y rapporte (m.a. page 55), est composé de deux parties bien distinctes: la première, intitulée "contrat de vente à tempérament" est signée par Gareau et Carbonneau, constate leurs qualités de vendeur et d'acheteur du bateau et arrête les termes et conditions de la vente; dans la seconde, intitulée "cession", les contractants sont la Banque et Gareau et la signature de Carbonneau n'y apparaît que pour déclarer qu'il reconnaît et accepte la cession.
Si donc l'annulation de la vente est prononcée, c'est au départ contre le vendeur qu'elle l'est. C'est uniquement par le biais de l'article 103 précité que la Banque subit le contre coup de cette annulation.
Entre la Banque et Gareau, l'acte de cession comporte les déclarations et stipulations suivantes:
Clause 2. "Le vendeur certifie à la banque:
b) que le vendeur s'est conformé en tout point, à toutes les lois applicables au contrat, au bien, à la vente et aux garanties se rattachant à celui-ci et qu'il remplira toutes les obligations incombant au vendeur quant à ce bien;
c) que le contrat est susceptible d'exécution contre l'acheteur pour toute somme payable par celui-ci dans le cadre du contrat, le tout sans aucune réduction, et qu'il ne pourra être susceptible d'annulation, de réduction ou de résiliation par l'acheteur ou un tribunal.
Clause 3. S'il y a inexécution d'un engagement prévu au paragraphe 2 de cette cession, le vendeur s'engage à rembourser la banque de toute perte, dommage, dépense en résultant. La convention prévue au paragraphe intitulé "Avec recours" s'appliquera alors à cette situation.
Clause 4. La responsabilité assumée par le vendeur aux termes de la présente cession demeure entière dans les cas de prorogation de délai, délai de grâce, transaction, sûreté, modification du contrat, libération de l'acheteur, ou de tout autre intéressé, intervenus par les faits de la loi ou autrement. La clause ci-dessous cochée par le vendeur fait partie intégrante de la présente cession."
Les clauses 2b) et 2c) énoncent les déclarations et garanties que le cédant Gareau fournit à la Banque. En l'occurrence, il n'est pas nécessaire de se demander si Gareau a rempli les exigences auxquelles il avait souscrit dans le paragraphe b). Puisqu'il est acquis que, comme conséquence du jugement qui annule le contrat, l'exécution à l'égard de l'acquéreur n'est plus possible, le paragraphe c) de la clause 2 doit forcément recevoir application. La sanction se trouve à la clause 3, selon laquelle Gareau s'engage à rembourser la Banque de toute perte qui résulte de l'annulation de la vente.
Dans son mémoire, l'appelante Gareau a tenté de se soustraire à cette sanction en plaidant qu'elle ne doit pas être tenue à indemnisation puisque c'est la Banque qui a évalué la solvabilité de Carbonneau, qu'elle a considéré qu'il s'agissait d'un bon risque et que, si elle a fait erreur, elle doit seule en subir les conséquences.
Avec égard, j'estime que l'appelante déplace le problème. La Banque est une institution dont l'activité consiste, entre autres, à financer les commerçants en achetant leurs créances. Dans le cas en instance la cession porte sur un contrat conclu entre le vendeur et l'acquéreur d'un bateau selon la formule d'une vente à tempérament. Avant d'accepter une telle cession, la Banque requiert le cédant de lui fournir certains renseignements destinés à lui permettre d'établir la capacité de payer du cédé éventuel. Une fois ces informations obtenues, la Banque en vérifie l'exactitude et décide si elle va ou non accepter la cession.
C'est ainsi que les choses se sont passées à l'égard de la transaction en litige. Robert Bilodeau, le directeur de la Banque intimée, témoigne (m.a. page 85):
"Q. Les notes en ce qui concerne le salaire et les montants que monsieur avait comme, on dit: "Foreur - salaire environ 2 600 $ par mois". Ca c'est des notes qui ont été faites suite aux informations fournies par le client ?
R. C'est ça. C'était fourni par le client, qui nous ont été redonnées par le vendeur d'automobiles à ce moment-là. Le client se rend là. Il donne son pedigree de crédit au vendeur. Il signe l'application. Le vendeur nous appelle. Il nous le redonne. Là on fait les vérifications nécessaires."
Le jugement entrepris ne conclut pas que la Banque n'aurait pas dû accepter la cession de créance que lui offrait Gareau en retour de l'argent qu'elle lui versait. Il n'a pas annulé cette cession, qui reste valide et susceptible d'exécution. C'est le contrat de vente qui a seul été déclaré nul. C'est là la différence. Le fait que, suite à sa vérification, la Banque ait pu juger à tort que Carbonneau était financièrement capable de payer n'a pas pour conséquence de soustraire le cédant de la créance à son obligation contractuelle de rembourser le cessionnaire, si l'une des éventualités auxquelles réfère la clause 3 se produit, ce qui est ici le cas.
Pour ces motifs, j'opine que l'appel devrait être rejeté avec dépens quant à chacune de ses conclusions relatives à la demande principale et à la demande en garantie. J.C.A.
INSTANCE-ANTÉRIEURE
(C.P. Abitibi 615-02-000142-83)
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