Décision

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COUR D'APPEL

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE QUÉBEC

 

 No:

200-09-001697-975

 

(200-02-005150-950)

 

DATE: 16 janvier 2001

___________________________________________________________________

 

 EN PRÉSENCE De:

LES HONORABLES

MORRIS J. FISH J.C.A.

JACQUES CHAMBERLAND J.C.A.

ROBERT PIDGEON J.C.A.

___________________________________________________________________

 

MARCEL TURGEON ET AUTRES (VOIR LISTE DES APPELANTS À LA FIN DE L'ARRÊT),

APPELANTS - demandeurs

c.

GERMAIN PELLETIER LTÉE,

INTIMÉE - défenderesse

___________________________________________________________________

 

ARRÊT

___________________________________________________________________

 

 

[1]                LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement prononcé le 25 septembre 1997 en Cour du Québec, district de Québec, par l'honorable Gérald Bossé qui a rejeté avec dépens leur action en diminution du prix d'un condominium et en dommages-intérêts;

[2]                Après étude du dossier, audition et délibéré;

[3]                Pour les motifs exposés dans l'opinion ci-annexée du juge Fish, auxquels souscrivent les juges Chamberland et Pidgeon;

[4]                ACCUEILLE le pourvoi en partie;

[5]                INFIRME le jugement de première instance;

[6]                CONDAMNE l'intimée à verser à chaque appelant la somme de 1 000,00 $ avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation;

[7]                Le tout avec dépens devant les deux instances, y compris les frais d'expertise en Cour du Québec.

 

 

 

 

________________________________

MORRIS J. FISH J.C.A.

 

 

________________________________

JACQUES CHAMBERLAND J.C.A.

 

 

________________________________

ROBERT PIDGEON J.C.A.

 

Me Michel Miller

Pour les appelants

 

Me Michel Bernier

Pour l'intimée

 

Date d'audience:  23 février 2000

 Domaine du droit:

CONTRAT

RESPONSABILITÉ

 

 

 


 

LISTE DES APPELANTS

 

MARCEL TURGEON

et

JOCELYN FAUCHER

et

DENIS LACHANCE

et

CLÉMENT DEMERS

et

MICHELINE DEMERS

et

HUGUETTE LONGCHAMPS

et

MANON BUSSIÈRES

et

BENOÎT LAPIERRE

et

STEVE LABRECQUE

et

FRANCE CAMIRÉ

et

NORMAND GRONDIN

et

GILLES CLOUTIER

et

ROLLANDE TURGEON

et

SYLVIE BOUCHARD

et

AURORE BOIVIN

et

COLETTE ROY

et

MICHELINE LÉVESQUE

et

MARC BLOUIN

et

MONIQUE BEAULIEU

et

MARJOLAINE GASSE

et

RÉJEANE GOSSELIN

et

SYLVAIN BERGERON

et

MANON DOUVILLE-CADRIN

et

FERNAND BOIVIN

et

CLAUDETTE JACQUES

et

RÉAL LAUZIÈRE

et

MAURICE TREMBLAY

et

MARIELLE CHARTRAND

et

CAMILLE TURGEON

et

COLETTE MORIN

et

ANDRÉ ROY

et

COLETTE RUEL

et

DIANE CHAREST

et

GILBERTE LAFONTAINE

et

RAYMOND BLIER

et

RACHEL BILODEAU

et

DENISE AUCLAIR

et

DANIELLE GERVAIS

et

JACQUELINE CAYOUETTE

et

MARC H. GOSSELIN

et

LÉO-PAUL CHAREST

et

DENISE CÔTÉ

et

LOUISE BÉGIN-GODREAU


___________________________________________________________________

 

OPINION DU JUGE FISH

___________________________________________________________________

 

 

l

 

[8]                Les appelants se pourvoient à l'encontre d'un jugement de la Cour du Québec qui a rejeté leur action en diminution du prix d'achat d'un condominium et en dommages-intérêts.

[9]                Pour les motifs qui suivent, j'accueillerais en partie le pourvoi.

[10]           Essentiellement, j'estime que les dimensions fournies par l'intimée, tant dans sa publicité que par ses représentants de vente, n'étaient pas conformes à la réalité.  Il s'agit là d'une pratique interdite visée par l'article 253 de la Loi sur la protection du consommateur (L.p.c.)[1].

[11]           Contrairement au premier juge et avec égards, je suis d'avis que la L.p.c. trouve application en l'espèce.  Et, puisque que la L.p.c. ne prévoit pas de recours spécifique pour les appelants, hormis les recours de nature pénale, j'estime qu'il faut s'en remettre aux recours qui leur sont ouverts en vertu du droit commun, soit sous l'empire du Code civil du Québec  (ou, le cas échéant, du Code civil du Bas-Canada)[2].

[12]           À ce sujet, je suis d'avis que la pratique commerciale ici en litige constitue un dol au sens de l'article 1401 C.c.Q. et que les appelants ont donc droit, aux termes de l'article 1407, à «une réduction [du prix] équivalente aux dommages-intérêts qu'il [leur] eût été justifié de réclamer».

[13]           Faute de preuve plus précise, j'arbitrerais à 1 000,00 $ les dommages subis par chaque appelant.

II

 

[14]           Les faits pertinents se résument comme suit.

[15]           L'intimée, Germain Pelletier Ltée, est promoteur immobilier. De 1991 à 1994, elle supervise le développement et la construction en trois phases d’un projet résidentiel et domiciliaire appelé « Les Boisés St-Romuald ». En somme, elle fait construire des condominiums à dessein de les vendre par la suite.

[16]           Durant la période comprise entre le mois de mai 1992 et le mois de juin 1995, chaque appelant se rend aux Boisés St-Romuald, intéressé à faire l’acquisition d’un condominium. Ils rencontrent tous l’un des représentants de l’intimée et font la visite d’un condominium modèle. Beaucoup se voient remettre un dépliant publicitaire décrivant les unités de logement à vendre.

[17]           Selon cette publicité et les représentations des agents de l’intimée, la superficie des condominiums comportant trois pièces et demie équivaut à 850 pieds carrés, celle des quatre pièces et demie à 1034 pieds carrés et celle des cinq pièces et demie à 1220 pieds carrés.

[18]           Finalement, les appelants achètent tous un condominium. Parmi ceux-ci, la majorité a été construite lors de la phase II, alors que les autres l’ont été lors de la phase III.

[19]           Aux dires de plusieurs, la superficie de ces logements constituait un élément décisif relativement à la décision d’acheter ou non. En fait, pour bon nombre d’entre eux, c’est la qualité du rapport superficie/prix qui a motivé leur achat.

[20]           Au mois de mars de l’année 1995, lors d’une assemblée tenue à l’Hôtel de Ville de St-Romuald concernant leur compte de taxes municipales, les appelants découvrent toutefois que la superficie des parties exclusives de l’unité de logement qu’ils ont achetée est nettement inférieure à celle qu’ils croyaient avoir achetée.

[21]           Ils s’aperçoivent que la superficie réelle des parties exclusives des condominiums comportant trois pièces et demie est de 706 pieds carrés plutôt que de 850 pieds carrés, que celle des appartements comportant quatre pièces et demie est de 850 pieds carrés plutôt que de 1034 pieds carrés, et que celle des unités comportant cinq pièces et demie est de 1020 pieds carrés plutôt que de 1220 pieds carrés. Il y a donc une différence approximative de vingt pour cent (20%) entre ce qu'indiquait la publicité de l’intimée et ce qu’ont véritablement obtenu les appelants en tant que superficie exclusive.

[22]           S'estimant trompés, les appelants mettent l’intimée en demeure de leur rembourser les sommes payées en trop.

[23]           Celle-ci refuse.

[24]           Le litige est alors porté devant la Cour du Québec mais l’action est rejetée, d'où le présent appel.

 

III

 

[25]           Le premier juge constate:

Avant  de signer une offre d'achat chacun des demandeurs avait, au cours de sa négociation appris la superficie de l'appartement dont l'achat l'intéressait, soit par un plan (P-3) remis aux clients potentiels, soit par de la publicité reliée à chacun des appartements et dans laquelle la superficie était indiquée (P-2.2 à P-2.5), soit par d'autres brochures publicitaires (P-2.1, P-2.8, P-2.9, P-2.11), soit par une information directement fournie par un agent des ventes.  Dans chaque cas, cette superficie correspondait à celle qui fut postérieurement précisée dans la promesse de vente.

[26]           Ensuite, il tire de la preuve, tant documentaire que testimoniale, les conclusions suivantes:

Généralement, en matière de vente de condominium, c'est la propriété exclusive qui sert de base à la publicité et aux négociations à moins que le vendeur ne fasse état expressément à des superficies comprenant des parties communes.  Tel n'est pas le cas dans l'espèce:  les quelques échanges qui ont eu trait aux superficies furent d'ordre très général et la publicité ne fait appel a aucune notion particulière, la superficie n'y étant qu'indiquée, lorsqu'elle l'est, sans plus.

Toutefois, et je l'ai déjà mentionné, il est évident, à la lecture des promesses de vente, que le promoteur devait, selon le texte de la promesse, indiquer la superficie de la partie exclusive du condominium.

Or il est aussi très clair que ce n'est pas ce qu'il a fait, les superficies indiquées dans les promesses de vente comme dans la publicité comprenaient les parties exclusives et des parties communes à usage commun ou à usage exclusif.

 

Et enfin:

 

Qu'un acheteur éventuel attache ou non de l'importance à la superficie de l'appartement qu'il achète, il n'en reste pas moins que, lorsqu'on lui précise une superficie, dans la publicité ou à plus forte raison dans une promesse de vente, il est raisonnable qu'il s'attende à ce que ce soit la superficie de sa propriété exclusive.  C'est ce que tous les demandeurs affirment avoir cru et aucun élément de la preuve faite par la défenderesse ne me permet de croire fausses ces affirmations.  Elles sont d'ailleurs conformes à la logique.

[27]           Si le juge rejette malgré tout l’action des appelants, c’est essentiellement pour trois raisons. Il estime d’abord que les représentants de l’intimée n’ont fait preuve d’aucune mauvaise foi et qu’ils n’ont pas cherché à tromper les appelants. Il y a donc eu, selon lui, absence de dol, sauf peut-être « bon dol », ce qui n’est cependant pas matière à annulation de vente ou à réduction des obligations contractées.

[28]           En second lieu, même s’il reconnaît que « le seuil de tolérance du bon dol est en général considérablement réduit lorsqu’il s’agit de contrats de consommation »[3], laissant ainsi croire, il me semble, que sa décision aurait peut-être été différente sous l’empire de la L.p.c., le juge conclut que cette loi n’est d’aucun secours aux demandeurs puisque, en matière de vente immobilière, elle ne prévoit aucun recours civil.  Seuls les recours pénaux  seraient, selon lui, disponibles.

[29]           Enfin, le juge affirme que, selon ce que révèle la preuve, les demandeurs ont à l’évidence acheté un bien individualisé, sans égard à sa contenance.

 

IV

 

 

[30]           Les appelants plaident notamment que le juge a omis d’appliquer la « présomption de dol » qu’édicte l’article 253 de la L.p.c. et qu’il a de plus erré en concluant  qu’ils ont acheté sans égard à la contenance.

[31]           Ils allèguent aussi que la preuve non contredite établit une perte économique quantifiable et quantifiée et que la Cour doit donc condamner l’intimée à leur remettre la somme payée en trop pour l’achat de leur condominium.

 

V

 

[32]           Avec égards, j’estime que le premier juge a commis une erreur en statuant qu’une « infraction à une disposition [de la L.p.c.] relative aux pratiques de commerce ne pourrait entraîner qu’un recours pénal »[4] et que c’est « seulement en fonction des règles du droit civil que l’existence ou non d’un dol incident peut être analysée »[5]; bref, il s'est trompé en décidant que la L.p.c. n’était d’aucune aide pour les appelants.

[33]           À mon avis, la L.p.c. s’applique aux transactions faisant l’objet du présent litige: les appelants sont des consommateurs au sens de cette loi[6]; l’intimée est un commerçant; il s’agit d’un contrat conclu dans le cours des affaires commerciales de l’intimée; et, enfin,  l’objet du contrat est un bien[7].

[34]           À ce propos, même si la loi  concerne principalement les transactions portant sur des biens mobiliers, elle vise également, dans une mesure  pourtant circonscrite, celles qui portent sur des biens immobiliers. C’est l’article 6.1 qui le prévoit :

6.1. Le présent titre, le titre II relatif aux pratiques de commerce, les articles 264 à 267 et 277 à 290 du titre IV, le chapitre I du titre V et les paragraphes c, k et r de l'article 350 s'appliquent également à la vente, à la location ou à la construction d'un immeuble, mais non aux actes d'un courtier ou de son agent régis par la Loi sur le courtage immobilier (chapitre C-73.1) ou à la location d'un immeuble régie par les articles 1650 à 1665.6 du Code civil du Bas Canada.[8]

[35]           De plus, il me paraît évident que l’intimée s'est livrée à une pratique de commerce interdite aux termes du  titre II de la L.p.c.  À cet égard, les articles 215, 216, 218, 219, 221 b) et 228 se lisent comme suit :

215. Constitue une pratique interdite aux fins du présent titre une pratique visée par les articles 219 à 251 ou, lorsqu'il s'agit de la vente, de la location ou de la construction d'un immeuble, une pratique visée aux articles 219 à 222, 224 à 230, 232, 235, 236 et 238 à 243.

216. Aux fins du présent titre, une représentation comprend une affirmation, un comportement ou une omission.

218. Pour déterminer si une représentation constitue une pratique interdite, il faut tenir compte de l'impression générale qu'elle donne et, s'il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés.

219. Aucun commerçant, manufacturier ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

221. Aucun commerçant, manufacturier ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit:

[];

b) attribuer à un bien une dimension, un poids, une mesure ou un volume;

228. Aucun commerçant, manufacturier ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu'il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.[9]

[36]           Comme l’a souligné mon collègue le juge Gendreau dans l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville (1982) Inc.[10], la L.p.c. est une loi d’ordre public qui vise à rétablir le déséquilibre contractuel entre le commerçant et son client[11].  Et, c’est en vertu du critère de la personne crédule et inexpérimentée qu’il faut évaluer le caractère trompeur de la publicité et des pratiques commerciales visées par la L.p.c.[12].

[37]           Sous l'éclairage de ces principes et tenant compte des constatations de fait du premier juge quant à l'inexactitude des représentations de l'intimée, d'une part, et des attentes raisonnables des appelants d'autre part, je suis convaincu que l’intimée n’a pas respecté les prescriptions de la L.p.c., plus précisément ses articles 219, 221 b) et 228.

[38]           Quels étaient donc les recours des appelants?

[39]           Vu l’article 6.1 de la L.p.c., le premier juge avait raison de conclure, selon moi,  que les recours civils que l’on retrouve dans cette loi ne s’appliquent pas aux transactions immobilières. 

[40]           Mais les recours prévus par le droit commun restaient ouverts aux appelants et certaines dispositions de la L.p.c. trouvaient nécessairement application et s'ajoutaient à ces recours.  C'est le cas de l'article 253 L.p.c.

[41]           En effet, cet article a été modifié en 1985[13] afin d'accorder aux acheteurs d'immeubles une protection accrue ou complémentaire à celles dont ils jouissent déjà en vertu du droit commun ou d'autres lois.  Or, comme il est inapplicable aux poursuites civiles intentées en vertu de la L.p.c. et qu'il est également sans conséquence quant aux poursuites pénales qui y sont prévues, il serait totalement superfétatoire et privé de toute signification s'il ne devait pas trouver application dans le cadre de pousuites intentées selon le droit commun.

[42]           Ainsi, les appelants pouvaient invoquer les articles 1401 et 1407 C.c.Q. qui disposent:

1401. L’erreur d’une partie, provoquée par le dol de l’autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

Le dol peut résulter du silence ou d’une réticence.

1407.Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer.

[43]           Pour réussir, les appelants devaient donc démontrer: 1) l’erreur; 2) le fait que l’erreur a été causée par le dol de l’intimée ou à sa connaissance; et enfin, 3) le fait que, n’eût été ce dol, ils n’auraient pas contracté aux conditions auxquelles ils ont contracté.

[44]           Si le juge de première instance a reconnu l’erreur des appelants[14] -- c'est-à-dire le premier élément constitutif de l’article 1401 -- il a toutefois estimé qu’il n’y avait pas eu dol.

[45]           Avec égards, je ne puis partager cette manière de voir.

[46]           L'article 253 de la L.p.c., applicable en vertu de l'article 6.1 aux faits de la présente affaire, se lit comme suit:

253. Lorsqu'un commerçant, un manufacturier ou un publicitaire se livre en cas de vente, de location ou de construction d'un immeuble à une pratique interdite ou, dans les autres cas, à une pratique visée aux paragraphes a et b de l'article 220, a, b, c, d, e et g de l'article 221, d, e et f de l'article 222, c de l'article 224, a et b de l'article 225 et aux articles 227, 228, 229, 237 et 239, il y a présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n'aurait pas contracté ou n'aurait pas donné un prix si élevé.

[47]           Selon plusieurs auteurs, lorsqu’un consommateur est victime d’une pratique commerciale interdite prévue au titre II de la L.p.c. et visée par l’article 253, il y a présomption de dol au sens du droit civil[15].

[48]           En l'espèce, les pratiques interdites concernent des représentations fausses ou trompeuses.  Elles ont été faites dans le contexte de la conclusion d'un contrat assujetti à la L.p.c.  Dans pareilles circonstances, afin que la L.p.c. puisse remplir pleinement sa mission, je suis porté à croire qu'il n'est plus question d'une présomption de dol:  ces pratiques interdites, il me semble, constituent dol au sens de l'article 1401 C.c.Q. 

[49]           Par ailleurs, même s'il ne s'agissait que d'une présomption, ma conclusion serait la même, la «présomption» n'ayant pas été repoussée.  Le juge de première instance aurait donc dû conclure que les appelants ont démontré l’existence des deux premiers éléments constitutifs de l’article 1401 C.c.Q.

[50]           Aussi, puisqu’il ne l’a pas fait, il n’a pas davantage considéré la preuve relative au troisième élément constitutif de l’article 1401 C.c.Q.

[51]           À cet égard, puisqu’il y a eu pratique interdite au sens de la L.p.c. et que cette pratique est de celles visées par l’article 253 de la L.p.c., non seulement y avait-il dol (ou présomption non repoussée de dol), mais il y avait également présomption, selon les termes mêmes de l’article, que si les appelants « [avaient] eu connaissance de cette pratique, ils [n’auraient] pas contracté ou [n’auraient] pas donné un prix si élevé ». L’existence du troisième élément constitutif de l’article 1401 C.c.Q. était par conséquent ici présumée.

[52]           Manifestement, cette présomption n’est pas irréfragable et si le juge de première instance l’avait considérée, il aurait été loisible à l’intimée de la repousser[16] en démontrant selon la prépondérance des probabilités que, même si les appelants avaient eu connaissance de cette pratique, ils auraient contracté au même prix[17].

[53]           À ce propos, d’aucuns pourraient dire que, puisque le premier juge a conclu que les appelants ont acheté un bien individualisé, sans égard à sa contenance, il aurait forcément conclu que la présomption prévue à l’article 253 L.p.c. avait été repoussée par l’intimée.

[54]           Je ne peux toutefois souscrire à ce raisonnement.

[55]           Les dispositions pertinentes, soit les articles 1500,1501,1503 C.c.B.-C. et 1720 C.c.Q.  prévoient:

1500. Le vendeur est tenu de délivrer la contenance telle qu’elle est portée au contrat, sous les modifications ci-après exprimées.

1501. Si un immeuble est vendu avec indication de sa contenance superficielle, quels qu’en soient les termes, soit à tant la mesure, ou moyennant un seul prix pour le tout, le vendeur est obligé de délivrer toute la quantité spécifiée au contrat; si cette délivrance n’est pas possible, l’acheteur peut obtenir une diminution du prix, suivant la valeur de la quantité qui n’est pas délivrée.

[].

1503. Les règles contenues dans les deux derniers articles ne s’appliquent pas lorsqu’il est évident, par la description de l’héritage et les termes du contrat, que la vente est faite d’une chose certaine et déterminée, sans égard à la contenance, soit que cette contenance soit mentionnée ou non.

1720. Le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat, que la vente ait été faite à raison de tant la mesure ou pour un prix global, à moins qu’il ne soit évident que le bien individualisé a été vendu sans égard à cette contenance ou à cette quantité.

[56]           Dans ses motifs, le premier juge énonce à juste titre que, si le contrat de vente indique une contenance précise, c’est alors au vendeur qu'incombe le fardeau de démontrer que le bien a été vendu sans égard à la contenance.

[57]           Selon le juge, lorsque l'immeuble est décrit au contrat de vente uniquement par son numéro cadastral, c’est qu’il s’agit alors d’une chose certaine et déterminée, vendue sans égard à la contenance. Il précise toutefois que si une telle description est complétée par l’indication d’une superficie, c’est l’ensemble des circonstances qui permet de déterminer si la vente a été faite avec égard à la contenance ou non.

[58]           Le juge fait alors remarquer que les condominiums vendus sont décrits à l’acte de vente par un numéro cadastral et qu’aucune superficie n’y est explicitement indiquée. Il souligne cependant que le fait de décrire ainsi les immeubles constitue une référence à la superficie privative cadastrée, ce qui l’amène à conclure qu’une superficie définie est portée au contrat de vente, par référence à la désignation cadastrale.

[59]           Malgré cela, le juge affirme que la preuve révèle que les appelants ont acheté sans égard à la contenance.

[60]           Pour conclure ainsi, il écarte d’abord les principes établis par l’arrêt Quirion c. Roy[18], estimantqu’ils ne sont plus d’actualité.  Et, prenant ensuite appui sur les écrits de Baudouin et Renaud selon lesquels « il y a vente d’une chose certaine et déterminée lorsque le [terrain] vendu est désigné sous son numéro cadastral »[19] et que « dans un tel cas la mention de la contenance n’est pas un élément d’importance pour l’acheteur »[20], le juge écrit:

En somme, la preuve qu’il s’agit de la vente d’un bien individualisé sert aussi àétablir que la contenance, si elle est indiquée au contrat, ne l’est qu’accessoirement[21].

[61]           Bref, contrairement à ce qu’il me paraît avoir affirmé plus tôt, le juge conclut ensuite que  le fait qu’un immeuble soit désigné par son numéro cadastral constitue la preuve que la contenance n’est pas un élément important pour l’acheteur.

 

Et il ajoute par la suite:

 

J’ai déjà ci-dessus fait état du fait que les demandeurs ont acheté leur appartement en étant satisfaits de la grandeur de l’appartement visité, sans s’arrêter à la superficie précise.  Ceci révélait sans doute qu’ils achetaient un bien individualisé, ce que le contrat a concrétisé, mais aussi que les mesures exactes étaient plus ou moins importantes puisque l’appartement était spacieux[22].

[62]           Dans l'esprit du juge, cela explique le fait qu'aucun appelant n’a songé à vérifier les dimensions et la superficie qui apparaissaient à la publicité[23].

Puis, il termine comme suit :

 

L’absence de discussion sur les mesures exactes, que ce soit avant la signature de l’offre, au moment de sa signature, ou lors de la signature du contrat est un fait qui concoure à établir la même preuve. Il en est de même de l’absence subséquente de plaintes à cet égard et du défaut de découvrir ce problème avant qu’une réunion sur la taxation municipale ait lieu longtemps après la prise de possession de chaque appartement[24].

[63]           Avec égards, j'estime que le juge a erré dans l'application des articles 1503 C.c.B.-C. et 1720 C.c.Q., d'aborden écartant l’arrêt Quirion; ensuite en décidant que «la preuve qu’il s’agit de la vente d’un bien individualisé sert aussi à établir que la contenance, si elle est indiquée au contrat, ne l’est qu’accessoirement »; puis, en référant à l’absence de discussions portant sur les mesures exactes et en soulignant que les appelants n’ont pas vérifié les dimensions apparaissant à la publicité.

[64]           Pour ma part, j'estime plutôt que l’arrêt Quirion  représente encore l’état du droit sur la question.

[65]           Ensuite, rien dans le C.c.B-C., le C.c.Q. ou la jurisprudence pertinente ne permet de conclure que lorsqu’un bien est désigné par son numéro cadastral et qu’il s’agit donc d’un bien individualisé, c’est que la contenance n’est pas importante pour l’acheteur. En fait, l’arrêt Quirion dit plutôt le contraire.

[66]           Cette décision précise que, pour pouvoir invoquer avec succès l’exception prévue à l’article 1503 C.c.B.-C., il faut qu’il soit évident que la vente était faite d’une chose certaine et déterminée et qu’elle était faite sans égard à la contenance:

Une lecture attentive de l’art. 1503 précité fait voir que le recours accordé par l’art. 1501 n’est écarté que s’il est évident, par la désignation de l’héritage et les termes du contrat, non pas seulement que la vente a été faite d’une chose certaine et déterminée, mais aussi que cette vente a été faite sans égard à la contenance.

La désignation de l’héritage peut bien à elle seule établir que la vente a porté sur une chose certaine et déterminée, mais l’art. 1503 exige que le contrat fasse voir en outre, et de façon évidente, que la vente s’est faite sans égard à la contenance[25].

[67]           Or, en l’espèce, bien que les immeubles vendus aient effectivement été désignés par leur numéro cadastral et qu’ils constituent donc des biens individualisés, la preuve révèle -- contrairement à ce que dit le premier juge -- que la superficie avait de l’importance pour les appelants. En effet, non seulement y a-t-il eu des discussions entre certains appelants et les agents de l’intimée relativement à la superficie des unités de logements, et même à leur superficie habitable, mais, au surplus, la superficie des unités de logements a été explicitement portée à la promesse de vente et d’achat.

[68]           Qui plus est, il m’apparaît évident que les appelants souhaitaient faire l’acquisition d’une unité d’habitation ayant une superficie définie et qu’ils voulaient que le contrat de vente en fasse état. J’en tiens pour preuve l’article 1.1 de toutes les promesses de vente et d’achat qui édicte :

le promettant-vendeur promet vendre au promettant acquéreur, qui promet acheter, sous réserve des dispositions prévues ci-après, une unité d’habitationdétenue en copropriété décrite comme suit :

UNITÉ NUMÉRO : [et l’on écrivait le numéro civique de l’immeuble de même que le numéro de l'unité]

SUPERFICIE (approximative) : [et l’on écrivait le nombre de pieds carrés correspondant, c'est-à-dire 850, 1034 ou 1220, dépendant qu’il s’agisse d’un appartement de trois pièces et demie, de quatre pièces et demie ou de cinq pièces et demie].

[69]           De plus, selon les arrêts Dagenais c. Compagnie immobilière 8655 Foucher Inc.[26] et Robichaud c. Glenfield[27], le contrat complet entre les parties immédiates peut, selon les circonstances, se trouver à la fois dans l'acte postérieur et dans les conventions antérieures.  Sans qu'il soit nécessaire d'en décider pour les fins du pourvoi, j'estime que nous sommes ici en présence d'un tel cas.  La superficie mentionnée dans les promesses de vente ferait donc partie de l'entente.

[70]           Dois-je le rappeler, ce n’est qu’exceptionnellement que la quantité ou la contenance réelle délivrée par le vendeur peut être différente de celle indiquée dans la vente[28].

[71]           Les articles 1503 C.c.B.-C. et 1720 C.c.Q. précisent d’ailleurs qu’il doit être évident -- when it clearly appears  et unless it is obvious dans les versions anglaises -- que la vente a été faite sans égard à la contenance pour que le vendeur puisse se prévaloir de l’exception et fournir une contenance différente.  Le fardeau imposé à celui qui veut faire valoir l’exception est donc des plus onéreux. En fait, tel que l’affirme Jobin :

[l]es termes du contrat ou les circonstances ne doivent pas laisser de doute à ce sujet[29].

[72]           En l’espèce, que l’on s’en remette aux termes du contrat ou aux circonstances, j'estime que l’intimée ne s'est aucunement déchargée de son lourd fardeau à cet égard.

[73]           Et, même s’il est vrai que les appelants n’ont pas mesuré les dimensions communiquées par la publicité et les agents de l’intimée, cela ne change rien à ma conclusion. On leur a fait valoir des superficies données, les appelants ont avec raison prêté foi à ces représentations et, surtout dans le contexte de contrats de consommation, on ne devait pas s’attendre à ce qu’ils procèdent à un quelconque mesurage. Le fait qu’ils ne s’y soient pas livrés ne peut donc aucunement être retenu contre eux pour dire qu’ils ont acheté sans égard à la contenance.

[74]           Tout bien considéré, vu la présomption édictée par l’article 253 L.p.c. et la preuve au dossier, force est de conclure que, n’eût été le dol dont ils ont été victimes, les appelants auraient contracté à des conditions différentes.

 

VI

 

 

[75]           Si je conclus que les appelants, n'eût été le dol, n'auraient pas contracté aux même conditions, j'estime par ailleurs que la preuve ne permet pas d'établir avec précision à combien doit se chiffrer la réduction du prix d'achat.

[76]           Les montants réclamés par les différents appelants varient de 11 000,00 $ à 15 000,00 $  approximativement.

[77]           Le dossier fait voir que la valeur des condominiums des appelants portée au rôle d’évaluation municipale a diminué.  Pourtant, la valeur des unités de logement construites lors de la phase I et qui ne font pas l’objet du présent appel a également subi une diminution au rôle d’évaluation, même si la superficie qui a de fait été livrée à leurs acheteurs correspond à celle qui avait été annoncée dans la publicité.  Il ne me paraît donc pas y avoir de lien entre la diminution de valeur des unités de logements acquises par les appelants et le déficit de superficie dont ils se plaignent.

[78]           De plus, les chiffres de revente laissent voir que, malgré ce déficit de superficie, les condominiums achetés par les appelants sont vendus à des prix qui ne s'écartent pas de façon marquée  de ceux qui ont  été déboursés lors de l’achat initial.

[79]           En somme, la diminution de valeur des condominiums des appelants me paraît mineure et, surtout, difficile à calculer.

[80]           Quoi qu’il en soit, vu la présomption non repoussée de l'article 253 L.p.c., vu que les appelants ont, en tout état de cause, subi par cette affaire des inconvénients et un certain préjudice économique, ils doivent en être dédommagés. J’arbitrerais les dommages au montant de 1 000,00 $ pour chacun d’eux.

 

VII

 

[81]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel en partie, j’infirmerais le jugement de première instance et je condamnerais l’intimée à verser à chaque appelant la somme de 1 000,00 $ avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation.  Le tout avec dépens devant les deux instances, y compris les frais d'expertise en Cour du Québec.

 

 

 

 

 

 

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MORRIS J. FISH J.C.A.

 

 

 

 



[1] L.R.Q. c. P-40.1.

[2] Même si certains contrats de vente ont été conclus à l'époque où le C.c.B-C. était en vigueur, en vertu des articles 76 et 78 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil, le présent litige doit être entièrement réglé, selon moi, sur la base des dispositions du C.c.Q.

[3] M.A. p. 86.

[4] M.A. p. 87.

[5] M.A. p. 87.

[6] L.p.c., art. 1 e).

[7] L.p.c., art. 2.

[8] Par la Loi concernant l'harmonisation au Code civil des lois publiques, L.Q. 1999 c. 40, art. 234, les mots: «1650 à 1665.6 du Code civil du Bas-Canada» se lisent désormais: «1892 à 2000 du Code civil».

[9] Par la Loi concernant l'harmonisation au Code civil des lois publiques, précitée, note 8, le terme «fabricant» remplace désormais le terme «manufacturier» aux articles 219-221-228-253.

[10] [1995] R.J.Q. 746.

[11] Id., 748.

[12] C. MASSE, Loi sur la protection du consommateur - analyse et commentaires, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1999, 828.

[13] Loi sur le bâtiment, L.Q. 1985, c. 34, art. 273.  Cet article 273 est entré en vigueur le 15 juin 1988:  (1988) 120 G.O. II, 3389.

[14] M.A. p. 82.

[15] Voir entre autres : N. L’HEUREUX, Droit de la consommation, 5è édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2000, 245, 356; D. LLUELLES avec la collaboration de B. MOORE, Droit québécois des obligations, vol. 1, Montréal, Les Éditions Thémis, 1998, 358.

[16] Voir l'article 2847C.c.Q.

[17] Voir notamment : Beauchamp c. Relais Toyota Inc., [1995] R.J.Q. 741.

[18] [1948] B.R. 96 .

[19] M.A. p. 95, références omises.

[20] M.A. p. 95, références omises.

[21] M.A. p. 95.  Les soulignements et les italiques sont, ici et ailleurs, sauf indications contraires, les miens.

[22] M.A. p. 96.

[23] M.A. p. 92.

[24] M.A. p. 96.

[25] Quirion c. Roy, précité, note18, 111.

[26] [1989] R.D.I. 347.

[27] [1988] R.D.I. 33.

[28] P.-G. JOBIN, La vente dans le Code civil du Québec, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1993, 82.

[29] Id., 82.

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