Produits forestiers Tibo inc. (Proposition de) |
2007 QCCS 1607 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-11-015706-073 |
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DATE : |
10 AVRIL 2007 |
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EN PRÉSENCE DE : L’HONORABLE ÉTIENNE PARENT, J.C.S. |
(JP1892) |
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DANS L'AFFAIRE DE L'AVIS D'INTENTION DE FAIRE UNE PROPOSITION DE
LES PRODUITS FORESTIERS TIBO INC., corporation légalement constituée faisant affaires au 101, rue Tibo, Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier (Québec) G03 3M0 |
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Débitrice
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MALETTE SYNDICS ET GESTIONNAIRES INC., ès-qualités de syndics à la proposition de «Les Produits Forestiers Tibo inc.», faisant affaires au 3075, chemin des Quatre-Bourgeois, bureau 200, Québec (Québec) G1W 5C4 |
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Syndic-Requérant
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Et
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SIMON LUSSIER LTÉE, corporation légalement constituée faisant affaires au 16, boulevard de la Seigneurie, Blainville (Québec) J7C 3V5 |
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Intervenante |
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JUGEMENT |
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[1] La débitrice, Les Produits Forestiers Tibo inc. (Tibo) opère, depuis 1999, à titre de grossiste dans le commerce du bois.
[2] De plus, Tibo effectue quelques opérations de seconde transformation du bois qu'elle transige. Elle embauche, jusqu'au dépôt de l'avis d'intention le 8 mars 2007, environ 25 employés.
[3] Jusqu'en 2004, les opérations de Tibo s'avèrent profitables. À compter de 2005, des pertes reliées à de mauvaises créances ainsi qu'à la conjoncture difficile dans le domaine du bois rendent les opérations déficitaires.
[4] En décembre 2006, la banque qui finance les opérations de Tibo, et qui possède des garanties sur l'ensemble de ses actifs, mandate une firme comptable afin de s'assurer de l'évolution des opérations de l'entreprise, et de l'état de ses garanties. Cette firme est encore sur place au moment du dépôt de l’avis d’intention.
[5] Le 8 mars 2007, alors qu'un fournisseur impayé amorce l'exécution d'une saisie avant jugement dans la cour à bois, Tibo se prévaut des dispositions de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI) et dépose, le jour même, un avis d'intention de faire une proposition.
[6]
N'étant pas en mesure de présenter une proposition au terme de la
période initiale de 30 jours prévue à la Loi, Tibo formule une demande de
prorogation de délai en vertu de
[7] L'intervenante, Simon Lussier Ltée (Lussier), qui est un fournisseur de bois de Tibo et créancier ordinaire listé en annexe à l'avis d'intention, conteste cette demande.
[8]
De plus, au début de l'audition, Lussier présente une requête verbale en
interruption de délai au sens du paragraphe
[9] Les deux requêtes font l'objet d'une audition commune, bien qu'il soit admis que sur la première, la fardeau de preuve repose sur la débitrice, alors que sur la seconde requête, le fardeau incombe à l'intervenante.
ANALYSE
Prorogation du délai
[10]
Afin d'obtenir une prorogation du délai initial de 30 jours, la
débitrice doit rencontrer les trois critères prévus au paragraphe
«a) la personne insolvable a agi - et continue d'agir - de bonne foi et avec toute la diligence voulue;
b) elle serait vraisemblablement en mesure de faire une proposition viable si la prorogation demandée était accordée;
c) la prorogation demandée ne saurait causer de préjudice sérieux à l'un ou l'autre des créanciers.»
Bonne foi et diligence de la débitrice
[11] La preuve démontre clairement que Tibo agit de bonne foi.
[12] Au cours des six mois précédant le dépôt de l'avis d'intention, son principal actionnaire et dirigeant, Daniel Thibault, ne se verse aucun salaire.
[13] Avant le dépôt de l'avis d'intention, des démarches sont entreprises afin de réorienter les opérations de la compagnie. On veut y intégrer des opérations de deuxième et troisième transformation du bois. En effet, selon monsieur Thibault, le marché du bois est de plus en plus difficile à cause de la forte concurrence, et la rentabilité, pour être atteinte, doit passer par cet élargissement des opérations.
[14] À cet effet, une rencontre a lieu en février 2007 avec des représentants du Centre local de développement (CLD).
[15] Depuis le dépôt de l'avis d'intention, dans les circonstances ci-avant décrites, Tibo continue ses opérations, sous la surveillance non seulement du syndic, mais aussi de la firme comptable déjà mandatée par la banque depuis décembre 2006. Comme l'explique le syndic, son travail est facilité du fait qu'il a accès aux rapports préparés par les comptables de la banque, avec qui il semble exister un bon climat de collaboration.
[16] Comme le démontrent les états de l'évolution de l'encaisse produits[1], Tibo a réussi à abaisser sa marge de crédit de 970 000 $ à 729 000 $ entre le 8 mars et le 2 avril 2007.
[17] Cette diminution de la marge de crédit comporte non seulement un avantage pour la banque, mais aussi pour la débitrice et l'ensemble des créanciers ordinaires. En effet, cette diminution de l'endettement favorise les démarches de refinancement actuellement en cours depuis le dépôt de l'avis d'intention.
[18] À cet égard, compte tenu des circonstances qui ont amené Tibo à déposer l'avis d'intention, cette dernière fait preuve de diligence. Une seconde rencontre a lieu avec le CLD le 28 mars 2007. Lors de cette rencontre, il est question non seulement des nouvelles opérations que l'entreprise pourrait envisager, mais surtout du refinancement de l'entreprise afin de continuer ses opérations et permettre de formuler une proposition avantageuse pour les créanciers.
[19] Suite à cette rencontre, une nouvelle réunion est prévue dans la semaine du 9 avril 2007. Investissement Québec doit y participer, vu l'intérêt démontré par le CLD. L'entreprise est assistée dans ses démarches par son comptable St-Gelais, en plus du syndic. N'étant pas assurée que la banque accepte de s'impliquer dans le refinancement, Tibo a déjà entrepris certaines démarches auprès d'autres institutions financières.
[20] Compte tenu que l'entreprise, en parallèle à ces démarches, doit continuer à opérer, il ressort donc que non seulement celle-ci est de bonne foi, mais qu'elle agit avec diligence.
Capacité de présenter une proposition viable
[21] Malgré les efforts de Tibo, elle n'est pas en mesure de présenter une proposition avant l'expiration du délai de 30 jours, soit le 8 avril 2007. Elle requiert donc une prorogation de 45 jours, afin, selon elle, d'être en mesure de présenter une proposition viable, puisqu'elle croit pouvoir compléter ses démarches de refinancement à l'intérieur de ce délai.
[22] À cet égard, la proposition que Tibo souhaite formuler ne se situe pas dans un contexte de liquidation de l'entreprise, mais dans la continuité des opérations. Pour appuyer son hypothèse, l'état de l'évolution de l'encaisse produit au soutien de la demande de prorogation anticipe qu'au terme de la période de 45 jours, la marge de crédit de Tibo serait réduite à 614 000 $, avec une augmentation d'encaisse finale de 115 000 $.
[23] Lussier insiste que seule la banque profitera de cette amélioration dans la position de Tibo. Tel que déjà indiqué, l'ensemble des créanciers tire avantage de cette situation. Le refinancement envisagé qui s'inscrit dans le cadre de la proposition que Tibo entend formuler est d'autant facilité que l'endettement à financer est diminué.
[24] Actuellement, monsieur Thibault indique que bien que certaines ventes soient faites au prix coûtant, et même parfois en deçà du prix coûtant, les ventes génèrent environ de 5% à 8% de profits.
[25] Selon le syndic, la situation de Tibo s'est améliorée plus rapidement que prévu depuis le dépôt de l'avis d'intention.
[26] Selon lui, si Tibo devenait faillie actuellement, les créanciers ordinaires n'obtiendraient vraisemblablement aucun dividende, ou un dividende extrêmement faible. Au contraire, la continuation des opérations de l'entreprise permettrait, même en cas de liquidation, de dégager certains dividendes.
[27] Tibo n'est pas en mesure de préciser les modalités de la proposition qui sera formulée. Cela ne rend pas en soi irrecevable la demande de prorogation. En effet, si les modalités de la proposition étaient connues, il ne serait pas nécessaire de requérir une prorogation.
[28] Ce sont plutôt les éléments qui permettent de conclure, de manière raisonnable, qu'une proposition viable peut être formulée que le Tribunal doit considérer.
[29] Le syndic soumet que selon les informations découlant de la rencontre du 28 mars dernier avec le CLD, ce dernier pourrait envisager des avances de 175 000 $, ce qui impliquerait qu'Investissement Québec pourrait de son côté s'avancer dans le dossier pour le triple de ce montant.
[30] Cela est évidemment conditionnel à une injection de fonds, laquelle demeure possible. Par exemple, un membre de la famille de monsieur Thibault pourrait s'impliquer, sinon monsieur Thibault lui-même. La preuve démontre qu'actuellement, ni celui-ci ni son épouse n'ont donné de garanties sur leurs biens personnels, notamment la résidence familiale. De plus, le syndic souligne que l'immeuble appartenant à Tibo est sous-financé. Il pourrait encore y avoir là un élément facilitant le refinancement recherché.
[31] Lussier plaide que la proposition, de toute manière, ne peut être viable puisqu'il détient des procurations [2] de créanciers ordinaires qui totalisent 936 987,70 $, ce qui excède largement le tiers, en valeur, des créances. Ceci empêche donc mathématiquement l'acceptation de toute proposition.
[32]
Le Tribunal analysera plus loin la force probante de ces procurations.
Cependant, au stade de la demande de prorogation en vertu de
[33]
En effet, le législateur établit clairement cette distinction lorsque
l'on compare la rédaction de
«a) la personne insolvable n’agit pas - ou n’a pas agi - de bonne foi et avec toute la diligence voulue;
b) elle ne sera vraisemblablement pas en mesure de faire une proposition viable avant l’expiration du délai;
c) elle ne sera vraisemblablement pas en mesure de faire, avant l'expiration du délai, une proposition qui sera acceptée des créanciers;
d) le rejet de la demande causerait un préjudice sérieux à l'ensemble des créanciers.»
[34]
Comme les paragraphes a), b) et d) de
[35] De plus, le paragraphe c) de 50.4(11) ferait double-emploi avec le paragraphe b) de 50.4(11) si les notions d’acceptation et de viabilité se confondaient.
[36] Pour qu'une proposition soit viable au sens de 50.4(9), elle doit présenter des avantages pour les créanciers. Il s'agit forcément d'hypothèses, lesquelles doivent toutefois revêtir un caractère vraisemblable.
[37] En l'espèce, la preuve permet de conclure que Tibo pourra vraisemblablement être en mesure de présenter à ses créanciers une proposition avantageuse en cas de prorogation, particulièrement si on compare cette hypothèse avec la situation dans laquelle les créanciers se retrouveraient en cas de faillite.
Préjudice pour les créanciers
[38] Cet élément ne fait pas l'objet de contestation de Lussier.
[39] Le syndic confirme que les créanciers ordinaires, dont le total des créances s’élève à environ 2 millions de dollars, n'obtiendront rien ou presque en cas de faillite immédiate de la compagnie puisque la créance de la banque, qui est garantie sur l'ensemble des actifs de Tibo, ne serait possiblement pas remboursée complètement par la liquidation des actifs.
[40] Dans ces circonstances, la prorogation demandée ne peut que bonifier la position des créanciers ordinaires.
Demande d'interruption du délai
[41]
Tel que déjà souligné, cette demande est formulée par l'intervenante en
vertu de
[42] Le Tribunal ayant déjà disposé des trois autres critères dans le cadre de la demande de prorogation, il reste à déterminer si Lussier a démontré, par prépondérance, que Tibo «ne sera vraisemblablement pas en mesure de faire, avant l'expiration du délai, une proposition qui sera acceptée des créanciers».
[43] Lussier appuie sa démonstration sur des procurations obtenues, du 2 au 4 avril 2007, auprès de 47 créanciers dont la valeur totale des réclamations serait de 936 982,70 $[3].
[44] Ces démarches sont effectuées par le président de la compagnie, monsieur Jean-Pierre Lussier.
[45] Il est à noter que Lussier, en plus d'être un fournisseur de Tibo, est aussi un compétiteur, œuvrant également comme grossiste dans le domaine du bois, en plus d'exploiter deux scieries, ainsi que des séchoirs à bois.
[46] Interrogé sur les motifs qui l'ont poussé à faire ses démarches auprès des autres créanciers, monsieur Lussier explique que les entreprises qui ne sont pas en mesure d'arriver doivent disparaître dans le contexte actuel. Selon lui, Tibo doit «prendre sa retraite et accrocher ses patins.»
[47] Il ne s'en cache pas, il a indiqué à tous les créanciers avec qui il a communiqués qu'il souhaitait la faillite de la débitrice.
[48] Témoignant quant à une éventuelle proposition de Tibo à 0,10$ ou 0,17$ par dollar, hypothèse évoquée par le syndic, monsieur Lussier la qualifie d'inacceptable. Il ajoute cependant qu'à 0,50$ par dollar, «il y penserait» par honnêteté envers ses mandants.
[49] Réinterrogé par son procureur à ce sujet, il mentionne qu'il s'agit plutôt d'une boutade car il ne croit pas que Tibo puisse formuler une telle proposition. Il termine en précisant que même avec une offre de 100 sous par dollar, il la refuserait. Il veut que Tibo fasse faillite.
[50] Ces commentaires de monsieur Lussier laissent songeur quant aux représentations que celui-ci a faites aux créanciers. Par exemple, lorsque monsieur Lussier explique les circonstances entourant la signature obtenue du créancier Gestofor, il indique que le représentant du créancier a signé en mentionnant que même si son compte était assuré, il lui donnait la procuration car il avait la «responsabilité de tout faire pour collecter son compte». Comment réagirait ce créancier s'il apprenait que monsieur Lussier refuserait une offre de 100 sous par dollar, et que selon le syndic, la faillite immédiate de Tibo ne lui apporterait rien?
[51] Le Tribunal ne considère pas que les procurations déposées démontrent qu'une proposition ne serait pas acceptée. Les circonstances de leur obtention apparaissent douteuses. De plus, ces procurations sont données pour fins de votes. Les réclamations doivent être préalablement prouvées et admises. Les procurations peuvent également être révoquées par ceux qui les ont données.
[52] En principe, afin de se prononcer adéquatement, les créanciers sont informés de la nature de la proposition qui leur est présentée. Ils ont la possibilité de prendre connaissance du rapport du syndic, de l'interroger dans le cadre de leur participation à une assemblée:
«L'un des objectifs du législateur est de promouvoir la réorganisation des entreprises insolvables, mais viables. Il n'est pas toujours facile pour les créanciers d'évaluer si la proposition du débiteur est à leur avantage. L'un des éléments d'évaluation de la proposition repose sur la qualité des renseignements disponibles au sujet des perspectives d'avenir de l'entreprise. Le législateur a voulu que les créanciers soient en mesure de recevoir une information juste, complète et fiable, pour leur permettre de négocier adéquatement avec le débiteur, de prendre un décision éclairée, voire d'assurer la protection de leurs droits.»[4]
[53] Au surplus, les procurations obtenues par monsieur Lussier, tel que déjà mentionné, pourraient être soumises lors d'une éventuelle assemblée des créanciers.
[54] Cependant, devant le Tribunal, le principe que nul ne peut plaider au nom d'autrui demeure. Les procurations obtenues par Lussier ne rencontrent pas les critères prévus à la loi. La plupart de ces procurations, qui émanent de personnes morales, ne sont accompagnées d'aucune résolution corporative confirmant que leur signataire est autorisé à les signer. Dans certains cas, les créances sont assurées par EDC, de sorte que la validité de ces procurations est contestable.
[55] Les différentes décisions et autorités soumises par Lussier réfèrent à des cas où les créanciers sont intervenus personnellement devant le Tribunal afin d'indiquer «sans équivoque[5]» leur intention de refuser toute proposition.
[56] En l'espèce, cette intention est sans doute claire en ce qui concerne l'intervenante Lussier, mais elle ne l'est pas pour l'ensemble des autres créanciers.
[57] L'objectif de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, au niveau des dispositions visant les propositions concordataires, et de manière accessoire les avis d'intention, est de permettre tant au débiteur qu'aux créanciers de trouver une voie alternative à la faillite. Le législateur a prévu un délai pouvant aller jusqu’à six mois pour présenter une proposition. Dans les circonstances actuelles, la requête formulée par l'intervenante Lussier implique la faillite immédiate de Tibo alors qu'il est encore possible que l'entreprise évite ce scénario.
[58] Pour toutes ces raisons, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’interruption de délai présentée par l’intervenante.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[59] ACCUEILLE la requête en prorogation de délai.
[60]
PROROGE le délai prévu à l'article
[61] SUSPEND toute procédure judiciaire de quelque nature que ce soit à l'encontre de la débitrice pendant ce délai, et ce aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.
[62] LE TOUT sans frais.
[63] REJETTE la requête en interruption de délai de l'intervenante.
[64] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ ÉTIENNE PARENT, J.C.S. |
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Me Daniel Tremblay |
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TURGEON TREMBLAY LAFLEUR PETITCLERC (casier 73) |
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Procureurs de la débitrice |
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Me Reynald Poulin |
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BEAUVAIS TRUCHON (casier 65) |
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Procureurs de l'intervenante |
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Date d’audience : |
5 avril 2007 |
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Domaine de droit : |
Faillite et insolvabilité |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.