Décision

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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Sauvé) c. Spa Bromont inc.

2013 QCTDP 26

 

JP 1249

 
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

Bedford

 

 

 

 

 

N° :

455-53-000009-113

 

 

 

 

 

DATE :

25 juillet 2013

 

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

Michèle Pauzé

 

 

AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS :           

 

Me Luc Huppé

Me Jean-François Boulais

 

 

 

 

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, agissant en faveur de Maryse Sauvé

 

            Partie demanderesse

 

c.

 

SPA Bromont inc.

 

et

 

Chantal cloutier

 

Parties défenderesses

 

et

 

Maryse Sauvé

 

Partie victime

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

 

 

[1]           Le Tribunal des droits de la personne (ci-après cité le « Tribunal ») est saisi d'une demande introductive d'instance par laquelle la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après citée la « Commission »), agissant au nom de madame Maryse Sauvé, allègue que les parties défenderesses, SPA Bromont inc. (ci-après citée « SPA Bromont ») et madame Chantal Cloutier ont porté atteinte au droit de madame Maryse Sauvé à la reconnaissance et l'exercice, en pleine égalité,  de ses droits et libertés, sans distinction ou exclusion fondée sur le handicap en refusant qu’elle amène son chien-guide sur les lieux de son travail et en mettant fin à son emploi, le tout en contravention des articles 4, 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (ci-après citée la « Charte »).

[2]           En conséquence, la Commission réclame en faveur de madame Sauvé les montants suivants : 1 105 $[2] à titre de réparation pour le préjudice matériel, 15 000 $ pour le préjudice moral et une somme de 3 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

[3]           Madame Sauvé est une jeune femme de 38 ans, mère de deux enfants dont elle assume seule la garde. Elle est résidente de Stukely-Sud en Estrie. Depuis l’âge de 17 ans, elle est affectée d’une maladie dégénérative de la vision[3] qui cause une perte considérable de l'acuité visuelle. Elle est considérée comme non voyante et reçoit les prestations prévues par la loi pour son handicap.

[4]           La défenderesse SPA Bromont est une entreprise commerciale qui exploite un centre de soins qui offre divers services, dont des massages. Au moment des événements, l’entreprise est la propriété de trois associés, dont monsieur François Leduc, avocat, et madame Marie-Lyne Marchessault. Ses locaux sont adjacents à l’hôtel Château Bromont situé dans la ville du même nom et comprennent des locaux destinés aux soins et des chambres pour les clients.

[5]           À l’automne 2009, la défenderesse Chantal Cloutier occupe le poste de directrice de SPA Bromont.

I.          LES FAITS

            A.  La preuve de la demanderesse

[6]   La Commission a fait entendre deux témoins, madame Maryse Sauvé, la plaignante, et madame Stéphanie Fecteau, psychothérapeute à la Fondation Mira. Elle a également déposé des documents dont une lettre du 20 octobre 2010 adressée à monsieur Claude Choquette de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et signée par madame Chantal Cloutier et un tableau intitulé « Relevé des achats au 31 août 2011 », concernant madame Maryse Sauvé et reconnu par la défenderesse SPA Bromont comme provenant de ses dossiers.

                  1.   Le témoignage de madame Maryse Sauvé

[7]           Madame Sauvé doit composer avec une perte de vision de plus en plus importante. À la suite de ses démarches pour trouver un emploi qui lui convient elle croit que la pratique professionnelle de la massothérapie lui apportera à la fois la possibilité de se réaliser et une plus grande autonomie financière.

[8]           À compter de janvier en 2008, elle s’inscrit à une formation spécialisée de six mois en massothérapie, formation qui se donne à Québec. Par la suite, elle est prête à entreprendre une carrière.

[9]           Elle tente d’abord de trouver un emploi de massothérapeute auprès d’employeurs potentiels, sans trop de succès.

[10]        Demeurant à proximité de Bromont et bénéficiant d’un transport adapté, elle espère obtenir un emploi à SPA Bromont, une entreprise réputée de la région.

[11]        Elle obtient une entrevue d’embauche et rencontre madame Clothilde Richer. Au cours de l’entrevue, elle indique à madame Richer qu’elle aura bientôt un chien-guide pour pallier son déficit visuel. En effet, au début de l’année 2009, elle a fait une demande à la Fondation Mira et a été évaluée comme pouvant bénéficier de ce support. Madame Richer lui dit être heureuse pour elle et parlant du chien-guide, lui dit « on va s’arranger rendu là ».

[12]        Elle visite les lieux du Spa et elle est engagée le 30 juin. Elle signe alors un document qui lui est présenté comme une entente de service. Étant dans l’impossibilité de lire depuis plusieurs années, on lui en explique les termes. Sa première journée de travail est le 20 juillet.

[13]        Au départ, elle considère que madame Richer est sa supérieure immédiate. Cette dernière sera remplacée au cours de l’été par madame Chantal Cloutier, une des défenderesses, qu’elle considérera également comme sa supérieure immédiate.

[14]        Madame Sauvé est fière de son nouvel engagement. Elle voit que sa vie s’améliore[4]. Elle travaille durant l’été et le début de l’automne. Ses revenus sont très variables. Ainsi, au mois d’août elle reçoit 374 $, au mois de septembre 60,50 $ et, au mois d’octobre 594 $ tel qu’il appert d’un relevé produit[5] par la demanderesse.

[15]        Au début du mois de novembre, elle doit suspendre sa disponibilité pour pouvoir suivre une session de formation de trois semaines, dispensée par la Fondation Mira afin de recevoir son chien-guide. Une semaine avant son départ pour sa formation, alors qu’elle est sur les lieux, elle avise le personnel responsable de la répartition qu’elle sera de nouveau disponible à compter du 20 novembre et qu’elle se présentera alors au travail accompagnée de son chien-guide.

[16]        Madame Cloutier la convoque à son bureau et lui dit qu’elle n’était pas au courant de l’existence d’un chien-guide. Madame Sauvé lui répond qu’au contraire, ce fait avait été mentionné à madame Richer lors de l’entrevue d’embauche. Madame Cloutier demande ce qu’il adviendra du chien. Madame Sauvé lui dit qu’elle s’informera de la manière de procéder auprès de la Fondation Mira et madame Cloutier lui répond qu’elles en reparleront à son retour.

[17]        Madame Sauvé revient de sa formation le 20 novembre. Une semaine plus tard, n’ayant eu aucune nouvelle du SPA Bromont elle communique avec madame Cloutier. Celle-ci s’informe si elle viendra au travail avec son chien-guide. Madame Sauvé répond par l’affirmative. Elle ajoute que la Fondation Mira peut envoyer un entraîneur pour installer le chien, toutefois, un endroit devra être trouvé pour y installer une cage pour le chien pendant qu'elle donne un soin. Connaissant déjà les lieux, elle lui dit qu’elle n’aura pas besoin de son chien-guide pour se déplacer à l’intérieur du Spa.

[18]        Madame Cloutier lui répond que la présence du chien-guide sera soumise à madame Marchessault pour voir si cela est possible. Elle n’a pas de nouvelles par la suite.

[19]        En décembre, elle est invitée à une réception à l’occasion de Noël. Celle-ci a lieu le 13 décembre au Château Bromont. À cette occasion, elle rencontre madame Marchessault auprès de qui elle s’informe de son emploi. Cette dernière lui dit qu’elle la rencontrera seule à seule un peu plus tard en soirée. Lors de cette rencontre, madame Marchessault lui oppose un refus catégorique. Elle lui explique que le Spa ne peut pas accepter un chien dans son établissement à cause des allergies, du poil, des odeurs et du manque d’espace. Madame Sauvé explique à madame Marchessault que des entraîneurs de la Fondation Mira pourraient éventuellement venir à l’établissement pour préparer les lieux et aider à l’intégration. « Ça n’a rien changé », dit-elle.

[20]        Souhaitant avant tout retrouver son travail à SPA Bromont, madame Sauvé évoque alors la possibilité que son chien-guide puisse être laissé à la maison pendant des périodes de quatre heures. En effet, durant sa formation, elle avait entendu parler de cette possibilité. Madame Marchessault lui répond alors que si la chose est possible, « on va y aller comme ça, avec des blocs de quatre heures ». Elle quitte avec la ferme intention de vérifier avec la Fondation Mira la faisabilité de sa proposition.

[21]        À la Fondation Mira, on lui explique qu'afin d'assurer la création adéquate d’un lien entre le chien et son maître, il est impossible que le chien soit laissé seul durant la première période de six mois et que, de toute façon, la séparation du chien et de son maître ne doit être qu’exceptionnelle.

[22]        Lors de cette même réception du 13 décembre, madame Sauvé remporte un prix qui consiste à recevoir un soin à SPA Bromont. Le matin du 16 décembre, elle se présente donc au Spa pour y recevoir les soins qu’elle a gagnés. La présence continue de son chien-guide auprès d’elle ne pose alors aucun problème.

[23]        Durant l’après-midi du même jour, le 16 décembre, elle reçoit un appel téléphonique de madame Cloutier. Cette dernière lui offre de venir travailler par bloc de quatre heures. Madame Sauvé lui fait part des instructions reçues de la Fondation Mira concernant le fait qu’elle ne peut laisser son chien-guide. Elle évoque donc la nécessité de pouvoir placer le chien-guide en cage sur les lieux lorsqu’elle prodigue des soins.

[24]        Madame Cloutier réitère alors les mêmes raisons de refus qui avaient été avancées par madame Marchessault quelques jours auparavant : les allergies, les poils de chien, les odeurs et le manque d’espace pour placer une cage. En contre-interrogatoire, elle précise au sujet de cette conversation que : « C’était fermé à double tour ». Madame Sauvé évoque alors à madame Cloutier l’obligation d’accommodement qui incombe au SPA Bromont. Madame Cloutier lui dit devoir en référer à la direction.

[25]        Vers le 26 décembre, elle reçoit l’appel d’un répartiteur pour travailler le lendemain. Elle demande alors ce qu’il adviendra de son chien-guide. On lui répond qu’on ne sait pas trop ce qu’il en est, qu’on devra vérifier auprès de la direction et la rappeler. Elle ne reçoit aucun appel par la suite. Elle dit avoir alors compris que le SPA Bromont refusait de l’employer si elle devait se présenter au travail avec son chien-guide. Elle dépose donc une plainte à la Commission.

[26]        Madame Sauvé témoigne ensuite concernant ses conditions de travail à SPA Bromont. Elle indique qu’elle recevait 22 $ par heure de massage, un montant fixé par SPA Bromont. Elle utilisait les lieux, l’équipement, la literie, et les produits de SPA Bromont pour prodiguer les soins convenus avec les clients. Elle devait présenter une facture à SPA Bromont et remettre un reçu au client. En cas d’annulation, elle recevait 50 % du montant prévu. Le total des soins y compris les taxes était facturé aux clients par SPA Bromont.

[27]        Son horaire de travail était fixé par SPA Bromont de même que les remplacements, s’il y avait lieu. Au départ il y avait eu incompréhension de la part de madame Richer, car cette dernière avait indiqué sur le formulaire qu’elle n’était disponible que durant les fins de semaine. Madame Sauvé a fait corriger sa disponibilité pour y ajouter la semaine.

[28]        SPA Bromont décidait quels clients seraient les siens et elle n’avait par ailleurs pas le droit de solliciter les clients du Spa pour elle-même.

[29]        Pour madame Sauvé, madame Cloutier était la supérieure immédiate qui remplaçait madame Richer[6]. Quant à madame Marchessault, elle ne l’a croisée au Spa que trois fois durant la période pendant laquelle elle y a travaillé.

[30]        Invitée à résumer les conditions dans lesquelles elle aurait souhaité travailler, madame Sauvé indique qu’idéalement son chien-guide aurait été laissé dans une cage (fournie par la Fondation Mira) à un endroit convenable, sur les lieux du SPA Bromont pendant les soins et qu’avec l’aide d’entraîneurs de Mira, le chien-guide apprendrait à se comporter de façon adéquate pour ne pas poser de problème. Le SPA Bromont n’a rien offert sauf les blocs de quatre heures dont il a été question, ce qui s’avérait impossible.

[31]        Elle témoigne que la somme de 1 105 $ réclamée à titre de dommages matériels représente ce qu’elle a reçu durant la période de son engagement. Ce montant représente exclusivement les massages donnés.

[32]        Après la fin de son emploi à SPA Bromont, elle tente de démarrer un centre de massothérapie à son domicile ce qui implique la préparation d’un plan d’affaires et l’achat de l’équipement requis. Elle obtient le support financier de son Centre local de développement (CLD) durant une année.

[33]        Les opérations ne vont pas bien et, finalement, elle cesse ses activités de massothérapie, découragée du type de services que plusieurs clients demandent. Par la suite, elle fait appel au SEMO, un organisme qui vient en aide aux personnes ayant un handicap, pour tenter de trouver un emploi qu’elle serait en mesure d'accomplir. Elle n’occupe aucun emploi actuellement.

[34]        Interrogée sur l’impact du refus de SPA Bromont d’accepter la présence de son chien-guide sur les lieux, elle explique avoir senti beaucoup de rejet, s’être sentie trahie et bafouée d’autant plus qu’au moment de l’embauche l’entreprise savait qu’un chien-guide était réclamé pour l’aider dans sa vie quotidienne. Suite à une formation de six mois à Québec, alors qu’elle avait dû laisser ses enfants à la garde de sa mère, elle voyait ce métier comme une avenue ouverte pour toute sa vie. Ne bénéficiant que d’une simple rente d’invalidité à peine suffisante pour payer le loyer, elle souhaitait également améliorer sa condition financière, s’offrir un peu de confort.

[35]        Dans sa vie, dit-elle, elle est constamment obligée de s’adapter aux situations. L’obtention du chien-guide était un moyen d’accroître son autonomie, elle voyait le métier de massothérapeute comme un avancement. Sa mésaventure avec SPA Bromont l’a confortée dans un sentiment de rejet qu’elle exprime en ces termes : « je suis juste une personne handicapée, c’était un cas trop compliqué ». 

[36]        Elle a fait « une croix » sur la massothérapie, elle a perdu confiance en ses moyens pour pratiquer ce métier, elle ne croit pas pouvoir retravailler comme massothérapeute pour un autre employeur.

[37]        En contre-interrogatoire, madame Sauvé explique que c’est à la suite de ses démarches auprès du SEMO, qu’elle avait entrepris des cours de formation en massothérapie et que c’est à la suggestion d’une dame Beauvais, une personne de confiance avec laquelle elle entretenait une relation d’amitié, qu’elle a présenté sa demande d’emploi à SPA Bromont.

[38]        Elle précise que madame Beauvais est la mère de madame Clothilde Richer, celle qui l’a embauchée.

[39]        Au sujet des circonstances de la signature de son contrat, elle précise que madame Clothilde Richer lui a décrit les grandes lignes du document, mais que personne ne le lui a lu au complet. Néanmoins, elle convient qu’elle savait alors qu’elle était engagée comme « travailleur autonome ».

[40]        À une question cherchant à savoir si elle avait discuté avec madame Beauvais au sujet des difficultés qu'elle avait éprouvées avec SPA Bromont, madame Sauvé répond que madame Beauvais était au courant du fait qu’elle n'y travaillait plus. Elle ne lui a pas donné plus de détails sur ses démêlés pour la raison que madame Beauvais était également une grande amie de madame Marchessault et qu’elle ne voulait pas la mêler à ses difficultés.

[41]        Elle réitère enfin qu’en aucun moment les personnes en autorité à SPA Bromont ne lui ont proposé un accommodement concernant la présence de son chien-guide sur les lieux de l’établissement. Au contraire, de ses conversations avec les responsables, elle comprenait qu’il y avait refus. Dès lors, à la fin décembre 2009, elle ne voyait pas l’utilité de téléphoner elle-même à la direction pour s’enquérir davantage de la position de l’établissement avant de déposer une plainte à la Commission.

                  2.   Le témoignage de madame Stéphanie Fecteau

[42]        Madame Stéphanie Fecteau est une psychoéducatrice employée par la Fondation MIRA. Elle est appelée à expliquer au Tribunal la fonction des chiens-guides et les conditions de leur utilisation par les personnes non voyantes.

[43]        Le chien-guide aide un non-voyant à développer son autonomie et pallier aux obstacles qu’il peut rencontrer en se déplaçant. Ainsi le chien-guide lui permet de se déplacer en ligne droite en toute sécurité. La personne n’a donc plus à se fier à d’autres personnes ou à une canne blanche pour ses déplacements habituels ce qui assure son autonomie. Le chien-guide aide également à la socialisation de la personne non voyante.

[44]        Les chiens-guides font l’objet d’une sélection et d’une formation particulière ce qui explique leur coût estimé à 30 000 $ par animal. Le chien-guide demeure la propriété de la Fondation Mira. Le processus de sélection et de formation se poursuit en moyenne pendant deux ans et requiert des examens physiques et psychologiques, la participation d’entraîneurs professionnels et la collaboration de familles d’accueil bénévoles. Après cette période, la Fondation entreprend le pairage du chien-guide avec une personne non voyante. Ce processus se fait dans le cadre d’une formation particulière d’un mois où les chiens sont mis en présence constante de leur futur maître.

[45]        La Fondation Mira exige que le chien-guide et son maître ne soient pas séparés, sauf de façon exceptionnelle, par exemple le cas de la salle d’opération d’un hôpital. Pendant les six premiers mois, cette exigence est nécessaire par expérience, afin d'assurer l’intégration adéquate du chien et favoriser la création du lien d’attachement. Si le pairage entre le chien et son maître est mal fait, Mira considère qu’il y a mauvaise utilisation du chien-guide, ce qui peut entraîner le retrait du chien.

[46]        En novembre et décembre 2009, madame Sauvé ne pouvait donc pas laisser son chien à la maison pendant quatre heures. Invitée à préciser les raisons de cette interdiction, madame Fecteau explique que cette règle ne s’applique que lorsque le chiot est à l’entraînement dans une famille d’accueil. Mira autorise alors la famille à laisser le chiot seul pendant des périodes maximales de quatre heures. Cette règle vaut pour toute la durée de leur engagement auprès du chiot. Le jeune chien, dit-elle, ne joue alors aucun rôle de support auprès d’un membre de la famille et Mira prend en considération le fait que les familles sont des bénévoles. Le témoin précise que cette permission n’est pas offerte aux bénéficiaires d’un chien-guide.

            B.  La preuve de la défenderesse SPA Bromont

[47]        SPA Bromont a fait entendre deux témoins, madame Michèle Beauvais, la mère de madame Clothilde Richer, ainsi que monsieur François Leduc. Le Tribunal souligne que la défenderesse n’a pas fait entendre madame Marchessault dont il est question dans la preuve et n’a pas non plus expliqué les raisons de son absence. En outre, la défenderesse a notamment déposé l’entente de service conclue avec madame Maryse Sauvé ainsi qu’un plan à l’échelle de ses locaux.

                  1.   Le témoignage de madame Michèle Beauvais

[48]        Madame Beauvais enseigne en textile traditionnel à son domicile et c’est dans ce contexte qu’elle a connu et s’est liée d’amitié avec madame Sauvé. En avril 2009, elles se rencontraient chaque semaine.

[49]        Elle apprend de madame Sauvé que celle-ci a une formation de massothérapeute et qu’elle cherche un emploi.

[50]        Elle sait que durant l’été 2009 madame Sauvé commence à travailler à SPA Bromont et qu’à l’automne elle obtient un chien-guide avec lequel elle lui rend visite. À l’occasion de ces visites, madame Sauvé pratique la marche en compagnie de son chien.

[51]        C’est madame Sauvé qui lui apprend qu’elle ne pourra pas travailler au Spa avec son chien-guide et que cela lui complique sérieusement l’existence. Elle constate que madame Sauvé est très déçue et que le refus de SPA Bromont est de nature à mettre fin à sa carrière. Elle ajoute que pour madame Sauvé, il n’y avait pas d’issue.

[52]        Madame Beauvais témoigne avoir été perplexe relativement à la réaction de madame Sauvé. Elle dit ne pas avoir perçu que madame Sauvé était « jetée à terre » par la décision de SPA Bromont, comme elle le disait alors. Elle lui suggère qu’il y a peut-être des ententes possibles avec le Spa, mais madame Sauvé lui répond que non. Elle commente en disant qu’elle-même, si elle avait été placée dans cette situation, ne se serait pas découragée ainsi.

[53]        Lorsque madame Sauvé lui fait part de son intention d'en faire une cause type avec la Commission des droits, madame Beauvais met un terme à leur amitié, car elle ne peut la soutenir dans cette décision.

[54]        En contre-interrogatoire, madame Beauvais dit n’avoir pas été mise au courant des détails des rapports et des discussions entre madame Sauvé et le SPA Bromont. Elle n’a d’ailleurs pas questionné madame Sauvé sur la teneur de ces discussions. Ce qu’elle sait de madame Sauvé, c’est que cette dernière voulait travailler avec son chien-guide sur les lieux, que le Spa avait besoin de « penser à quelque chose » et que finalement le Spa a refusé.

[55]        Même si elle dit au Tribunal qu’elle ne l’a pas crue, elle témoigne que madame Sauvé se disait dévastée par la situation et qu’elle lui a même confié être hésitante à se rendre au party de Noël des employés auquel elle était invitée.

[56]        Concernant la plainte portée à la Commission, madame Beauvais dit qu’à son avis, cette orientation était inadéquate : c’était se poser en victime[7], dit-elle. Elle est plutôt d’avis qu’il y aurait eu d’autres solutions, mais concède qu’elle ne sait pas quelles autres démarches madame Sauvé a effectuées par la suite.

                  2.   Le témoignage de monsieur François Leduc

[57]        Monsieur Leduc est lié à l’entreprise SPA Bromont depuis 2001 alors qu’il s’est associé à monsieur Mainville et madame Marie-Lyne Marchessault, les deux autres actionnaires.

[58]        Il décrit son rôle d’alors comme se limitant à assister aux réunions du Conseil et voir aux affaires commerciales et corporatives de la défenderesse parallèlement à la pratique du droit. Madame Marchessault, qui oeuvre dans ce milieu depuis plus d’une douzaine d’années, assume la direction et la gestion du Spa.

[59]        En 2003, l’entreprise emménage dans un nouveau bâtiment, beaucoup plus grand, comportant des chambres et adjacent à l’hôtel Château Bromont.

[60]        Au cours des années, SPA Bromont connaît du succès. Il embauche une quarantaine d’employés, dont des massothérapeutes, des esthéticiens et du personnel administratif.

[61]        Vers la fin de l’année 2008, madame Marchessault doit prendre un long congé de maladie pour épuisement professionnel. L’adjointe à la direction prend alors la relève temporairement. Lui-même assume dès lors la responsabilité des opérations et il se rend au Spa chaque semaine.

[62]        Au printemps 2009, le congé de madame Marchessault doit se prolonger et monsieur Leduc décide alors de procéder à l’engagement d’une directrice.

[63]        Après plusieurs mois de recherches, la candidature de madame Cloutier est retenue. Cette dernière n’a pas d’expérience de gestion des spas, mais monsieur Leduc l’engage pour ses compétences dans le domaine du « marketing » et des relations avec la clientèle car, dit-il, c’est la compétence qu’il recherchait.

[64]        Madame Cloutier est donc embauchée en juin 2009 et elle occupe le bureau de la directrice. Il ajoute qu’il n’était toutefois pas interdit à madame Cloutier de rencontrer le personnel dans son bureau ou de participer à la gestion du personnel, mais les décisions lui reviennent à lui, avec l’aide de l’adjointe d’expérience qui est alors madame Clothilde Richer. Il insiste pour préciser que n’ayant aucune expérience antérieure, madame Cloutier n’assume aucune responsabilité sur la gestion du personnel, plus précisément sur la discipline, l’engagement et le congédiement des employés.

[65]        Malheureusement, madame Clothilde Richer doit quitter l’entreprise un mois après l’engagement de madame Cloutier et elle est remplacée par madame Natasha Lord.

[66]        Monsieur Leduc décrit ensuite le mode d’opération de SPA Bromont en ce qui concerne la gestion des services de massothérapie. La demande de services est sujette à des variations importantes en semaine et en fin de semaine ce qui a un impact sur le nombre de professionnels requis. À l’été 2009, SPA Bromont emploie une douzaine de massothérapeutes. Quatre d’entre eux sont engagés à plein temps (35 heures), quatre autres le sont à temps partiel (25 heures) et quelques autres sont engagés à forfait, comme travailleurs autonomes pour combler les besoins ponctuels, surtout durant la fin de semaine. C’était le statut de madame Sauvé.

[67]        Il ajoute que depuis quelques années, la pratique de la massothérapie par des travailleurs autonomes est courante dans cette industrie.

[68]        En juillet 2009, madame Clothilde Richer le contacte au sujet de la candidature d’une personne semi voyante qui offre ses services de massothérapeute. Cette dernière correspond aux critères requis pour la fonction et, suite à l’entrevue, SPA Bromont conclut avec elle une entente à titre de travailleur autonome.

[69]        À l’aide des documents pertinents, monsieur Leduc décrit les divers éléments du contrat. Une feuille de conditions générales intitulée « Entente de service »[8] est signée par les deux parties. Y est jointe une fiche d’informations personnelles comportant certains détails particuliers : appartenance à une association professionnelle, coût des services, horaires des services, types de massages.

[70]        La fiche d’informations personnelles de madame Sauvé comporte le montant prévu de 22 $ pour un massage d’une durée d'une heure. Monsieur Leduc explique que ce taux n’a pas été imposé à madame Sauvé, comme elle l’avait affirmé dans son témoignage, mais qu’il a plutôt été convenu avec elle et offert en tenant compte de son expérience.

[71]        La fiche prévoit également la possibilité d’une compensation en cas d’annulation par un client. Celle de madame Sauvé ne prévoit rien à ce titre. Toutefois, monsieur Leduc précise que des montants pour annulation lui ont tout de même été payés.

[72]        Il souligne que l’entente ne comporte pas d’horaire de travail, mais que le massothérapeute précise ses périodes de disponibilité. Au départ, madame Sauvé était disponible un samedi sur deux, mais cette situation a changé, dit-il.

[73]        L’entente prévoit que le massothérapeute facture SPA Bromont pour chaque client en ajoutant les taxes applicables s’il y a lieu.

[74]        Périodiquement, les ententes de service sont mises à jour.

[75]        Monsieur Leduc explique que le massothérapeute, comme travailleur autonome, jouit d’une grande autonomie. Par exemple, SPA Bromont n’exerce aucun contrôle sur le type de massage prodigué au client, car la nature des soins est déterminée par ce dernier en accord avec son massothérapeute. Le contrôle de la qualité est également différent. Alors que les massothérapeutes permanents ou à temps partiel font l’objet d’une évaluation annuelle de leurs performances, il n’y a pas d’évaluation périodique du travail des massothérapeutes engagés comme travailleurs autonomes.

[76]        Passant ensuite aux faits du présent litige, monsieur Leduc explique qu’à l’automne 2009, il est informé par madame Cloutier que madame Sauvé doit s’absenter pendant un mois, car elle doit suivre une formation donnée par la Fondation Mira pour l’obtention d’un chien-guide. Il précise cependant qu’à ce moment il n’est pas clair si madame Sauvé revient ou non au travail avec ce chien.

[77]        Il ajoute que cette absence de madame Sauvé aurait pu être interprétée comme une rupture de contrat étant donné que, selon son entente de service, madame Sauvé s’engageait à être disponible. Toutefois, précise-t-il, SPA Bromont ne l’a pas interprété de cette façon.

[78]        Vers la fin du mois de novembre ou au début du mois de décembre 2009, madame Cloutier l’informe que madame Sauvé est maintenant en possession d’un chien-guide et qu’elle souhaite venir travailler avec son chien de sorte qu’il faudrait trouver un endroit convenable pour mettre une cage. Elle lui dit également que madame Sauvé lui a mentionné pouvoir peut-être venir travailler sans son chien-guide pendant des périodes de quatre heures.

[79]        Il répond à madame Cloutier qu’il doit examiner la situation. Il explique au Tribunal que, en tant qu'avocat, il savait que le Spa devait accommoder les personnes accompagnées d’un chien-guide (entre autres les clients) et qu’il serait peut-être en face d’un cas de discrimination s’il fermait la porte à madame Sauvé en lui disant qu’elle ne pouvait pas venir au Spa avec son chien. Sauf que, pour lui, il s’agissait d’une situation nouvelle qui demandait à être examinée. Il devait trouver l’endroit pour mettre le chien, ce qui n’était pas simple, dit-il.

[80]        Lorsqu’il commence à en parler « à gauche et à droite », des questions surgissent : un des massothérapeutes est allergique et ne peut supporter la présence d’un chien. Il fallait s’en préoccuper, dit-il. D’autres questions se posent : Qui doit acheter une cage et à quel endroit la placer? De quel type de chien s’agit-il? Le chien peut-il demeurer en cage sans aboyer? Il fallait trouver réponse à ces questions, dit-il.

[81]        Il a dit à madame Cloutier « on va y réfléchir ». Pour l’instant, il s’agit de répondre à madame Sauvé qu’elle peut continuer à venir travailler au Spa avec sa canne blanche pendant des périodes de quatre heures, le temps d’examiner la situation et de trouver une solution. Il souhaitait, dit-il au Tribunal, rencontrer madame Sauvé pour pouvoir en discuter en temps et lieu.

[82]         À l’occasion de Noël, le party des employés se tient le 13 décembre. Lui-même y assiste brièvement, pendant environ une heure. Il voit madame Sauvé arriver avec son chien-guide, il remarque qu’elle est assise en compagnie d’amis et qu’elle semble se plaire.

[83]        Il y a un buffet et il mange avec mesdames Cloutier et Marchessault, cette dernière ayant fait acte de présence.

[84]        Monsieur Leduc poursuit : « On a pris le temps d’aborder la question du chien et évidemment il y avait des appréhensions; il serait anormal de penser que personne n’a d’appréhensions ». Il ajoute qu'un spa est un endroit de détente et de relaxation qui est tenu extrêmement propre, plus propre qu’un hôpital. Il faut être conscient que les clients viennent au Spa pour relaxer. Ils se promènent simplement vêtus d’un peignoir. Il y a également des questionnements sur les aboiements du chien, sur la question des allergies, etc.

[85]        Monsieur Leduc dit au Tribunal qu’il a alors fait part de sa position à madame Cloutier et à madame Marchessault. Il compte y aller graduellement, madame Sauvé peut venir travailler à raison de quatre heures à la fois, quitte à revoir la situation au retour des Fêtes. Quoi qu’il en soit, explique-t-il, à cette époque de l’année le Spa n’est pas très occupé et c’est probablement la raison pour laquelle madame Sauvé n’a pas été appelée alors qu’après Noël plusieurs employés souhaitent prendre congé et qu’elle a reçu un appel.

[86]        Il quitte pour vacances le 21 décembre et n’a pas d’autres nouvelles avant le retour de janvier, alors que madame Cloutier l’informe que madame Sauvé a été appelée pour un massage, mais que cette dernière a refusé parce que le Spa n’avait pas de cage pour son chien.

[87]        Il décide de se charger lui-même de la situation. À l’époque, il se présentait au Spa le jeudi. Il demande alors au personnel de la coordination de fixer un rendez-vous à madame Sauvé. La semaine suivante, il apprend que l’offre de rendez-vous a été refusée et qu’une plainte a été portée à la Commission. Ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’il a l’occasion de rencontrer madame Sauvé[9].

[88]        À l’aide du plan des lieux, monsieur Leduc décrit ensuite la fonction de chaque espace occupé par le Spa. Il précise les difficultés que pose le logement adéquat d’une cage suffisamment imposante pour un chien de type « Labrador », une cage dont il estime les dimensions à 2,5 pieds de hauteur par 2,5 pieds de profondeur et 3 pieds de longueur. Il explique dans chaque cas les difficultés particulières rencontrées. Il mentionne entre autres les difficultés particulières posées par la salle des employés (existence d’une table, dimension, circulation) parce que, dit-il, il en avait été question avec madame Sauvé. Il insiste sur le fait que SPA Bromont a un sérieux problème d’espace. En effet, dit-il, lors de la construction de l’édifice, SPA Bromont a « maximisé l’espace » de sorte qu’il en manque et qu’on doit utiliser des locaux destinés à d’autres fins et même louer des espaces pour entreposer les produits. 

[89]        Compte tenu de cette situation, il est prêt à proposer à madame Sauvé de modifier ses plages de disponibilité pour privilégier le travail en semaine lorsque les locaux du Spa sont moins occupés, permettant ainsi d’utiliser certaines salles de soins pour placer la cage. Cette solution n’aurait été qu’une étape, dit-il, car le Spa avait également le projet de fermer la terrasse extérieure afin d'entreposer les produits, ce qui aurait également permis de créer un espace plus approprié pour la cage du chien.

[90]        Il affirme que ce qui est frustrant, c’est que tout est allé très vite et qu’il n’a pas eu l’occasion de faire quoi que ce soit : « et par la suite alors que nous étions disposés à trouver un accommodement ça n’a pas eu de suite… on n’était pas réceptif, les dés étaient jetés, on nous réclamait une compensation. Et le reste, on ne pouvait en discuter… ».

[91]        Monsieur Leduc complète son témoignage principal en réitérant que les instructions qu’il a données à madame Cloutier étaient claires, à savoir offrir à madame Sauvé de venir travailler durant des périodes de quatre heures, temporairement, jusqu’à ce qu’une solution permanente soit trouvée, ce qu’il estimait devoir être fait en un mois ou un mois et demi.

[92]        Il ajoute qu’il ne connaissait aucun autre Spa,  membre de l’association à laquelle il appartient, ayant dû composer avec une situation semblable. Il fallait trouver un moyen d’accommoder madame Sauvé, dit-il. SPA Bromont l’a par ailleurs accommodée dans de nombreuses autres activités qu’elle ne pouvait réaliser seule en raison de son handicap. Par exemple, lire les fiches de santé des clients et les écrans d’ordinateur, se diriger dans les locaux, etc. Par ailleurs, SPA Bromont était satisfait du travail de madame Sauvé durant les mois au cours desquels elle a travaillé et il aurait souhaité continuer à en bénéficier. Enfin, il ajoute que sa situation de famille le rend particulièrement sensible à la réalité des personnes qui doivent composer avec un handicap.

[93]        Le contre-interrogatoire de monsieur Leduc porte sur plusieurs aspects de son témoignage.

[94]        Dans son témoignage principal, monsieur Leduc avait évoqué que madame Sauvé aurait brisé l’entente la liant au Spa en se déclarant non disponible au début du mois de novembre. Invité à préciser sa politique dans ces cas, il explique au Tribunal que le massothérapeute est alors remplacé.

[95]        Appelé à préciser s’il avait eu des communications directes avec madame Sauvé, monsieur Leduc répond que s’il n’a pas communiqué directement avec elle en novembre et décembre 2009, c’est que madame Sauvé avait d’abord parlé à madame Cloutier et qu’il était donc normal que le retour se fasse par la même voie. Il ajoute cependant qu’en janvier 2010, il a tenté de le faire en chargeant un employé de transmettre à madame Sauvé son invitation à une rencontre personnelle qui n’a pas eu lieu. Il a finalement rencontré madame Sauvé à la Commission, en mai ou juin 2010, lors d’une séance de médiation.

[96]        Durant la période d’octobre, novembre et décembre 2009, il convient que SPA Bromont n’a pas offert à madame Sauvé de venir travailler avec son chien-guide. Il explique cependant qu’au mois de novembre, madame Sauvé avait ouvert une porte en parlant d’une possibilité de travailler par périodes de quatre heures et que SPA Bromont a décidé de s’en tenir à cette offre, en attendant.

[97]        Invité à préciser le moment où lui-même a appris que madame Sauvé ne pouvait se séparer de son chien-guide pour venir travailler, monsieur Leduc répond que madame Cloutier l’en a informé avant les Fêtes, mais que c’est la Fondation Mira qui lui a précisé les motifs de leur politique, en janvier 2010, lorsqu’il a appelé la Fondation pour prendre des informations.

[98]        Concernant les difficultés d’accommodement, il précise en contre-interrogatoire que la question des allergies, quoique préoccupante, n’était pas insurmontable et que la difficulté la plus importante résidait dans la disponibilité d’un espace adéquat pour placer une cage.

[99]        À ce propos, il explique que la salle des employés aurait pu être envisagée avec madame Sauvé, mais que c’est un endroit restreint où des personnes vont manger. Il dit par ailleurs ne pas avoir pris les mesures d’un espace susceptible d’accommoder une cage, dans cette pièce. La salle de lavage est encombrée de serviettes et autres objets de même nature. La salle des archives est pleine, il y a « des étagères jusqu’au plafond » et le préposé doit se faufiler pour en sortir. Le Spa n’a pas l’usage de la cuisine, car cette pièce est réservée à l’hôtel Château Bromont. Il dit cependant ne pas avoir parlé à cet établissement de la possibilité d’utiliser ce lieu. Enfin, la salle de réunion est encombrée de boîtes et constamment utilisée par le personnel, surtout à l’époque des Fêtes.

[100]     A-t-il envisagé de trouver un endroit temporaire pour y mettre une cage, le temps d’un soin? Il répond que, vu l’aménagement des locaux, il n’y a pas d’endroit, même temporaire. Il explique qu’un chien de cette valeur doit recevoir un traitement approprié, qu’il doit respirer et ne pas être laissé dans les archives. Les garde-robes ou les vestiaires ne permettent pas non plus d’y ranger une cage.

[101]     A-t-il examiné la possibilité que le chien-guide soit présent en cabine pendant les soins? Il y a pensé, dit-il, mais il ne croyait pas pouvoir exiger cela d’un client. D’ailleurs, madame Sauvé ne l’a pas demandé.

[102]     À quel moment l’idée lui est-elle venue de modifier les disponibilités de madame Sauvé pour des plages en semaine plutôt qu’en fin de semaine? Il répond que c’est en janvier 2010, lorsqu’il a communiqué avec Mira. Il a posé quelques questions concernant, entre autres, la séparation du chien-guide de son maître, les jappements possibles, etc., et la Fondation Mira a répondu à ses préoccupations. Il dit qu’alors il a souhaité trouver autre chose.

[103]     Par ailleurs, interrogé à savoir s’il connaissait les plages de disponibilité que madame Sauvé avait données antérieurement, il dit qu’il est possible qu'elle ait travaillé durant la semaine, mais que c’était exceptionnel. Il dit également ne pas se souvenir que madame Sauvé ait donné d’autres périodes de disponibilité que celles décrites dans l’entente de service.

[104]     Quelque chose l’empêchait-il de faire la proposition d’accommodement décrite dans son témoignage dès le mois de janvier? Il répond qu’il ne pouvait rien faire tant que le dossier était entre les mains de la Commission et qu’il souhaitait discuter des solutions avec cette dernière.

[105]     Monsieur Leduc confirme enfin que la somme de 1 105 $ réclamée à titre de dommages matériels représente le montant total des paiements faits à madame Sauvé durant son engagement.

            C. La preuve de la défenderesse Chantal Cloutier

[106]     Au moment de son témoignage, madame Cloutier n’est plus une employée de SPA Bromont.

[107]     En juillet 2009, lorsqu’elle est engagée par monsieur François Leduc, elle n’a pas d’expérience en gestion. Elle est plutôt recrutée pour s’occuper des ventes, du marketing et des relations publiques de l’entreprise, car c’est cette expertise qu’on est venu chercher en l’engageant. Elle précise qu’elle n’assume aucune responsabilité à l’endroit du personnel et, plus particulièrement, concernant l’embauche et le congédiement des travailleurs autonomes.

[108]     À son arrivée en poste, madame Sauvé avait déjà signé une entente comme travailleur autonome. Elle n’a donc rien eu à voir avec sa négociation. C’était de toute façon hors de son mandat de signer des contrats.

[109]     Elle n’a eu aucun contact avec madame Sauvé au cours de l’été.

[110]     Au début du mois d’octobre, cette dernière lui dit qu’elle doit suivre une formation donnée par la Fondation Mira. La conversation dure quelques minutes après quoi elle en avise monsieur Leduc.

[111]     Vers le 26 novembre, madame Sauvé l’avise par téléphone qu’elle a terminé sa formation à la Fondation Mira, qu’elle possède maintenant un chien-guide qu’elle devra amener au Spa. Madame Sauvé lui dit qu’elle pourrait également travailler par blocs de quatre heures parce qu’elle ne peut quitter son chien pendant plus de quatre heures. La conversation ne dure encore que quelques minutes. Au sujet de la cage, madame Cloutier rapporte qu’essentiellement madame Sauvé lui a dit qu’elle avait besoin d’une cage pour son chien.

[112]     Comme elle ne peut pas prendre de décision, elle dit à madame Sauvé qu’elle s’en remettra à la direction, soit à monsieur François Leduc. Elle informe donc monsieur Leduc de « l’essence de la conversation ».

[113]     Elle est présente le 13 décembre lors du party de Noël et précise qu’à cette occasion elle n’a aucune conversation avec madame Sauvé.

[114]     Dans un premier temps, elle témoigne qu’après le party de Noël elle n’a aucune autre rencontre avec madame Sauvé, ni conversation téléphonique. Toutefois, en contre-interrogatoire, elle parle d’une rencontre qui a lieu en fin de journée, le 16 décembre.

[115]     Madame Cloutier témoigne n’avoir joué aucun rôle dans la recherche de solution ou d’accommodement concernant la situation de madame Sauvé. C’était la responsabilité exclusive de monsieur Leduc, affirme-t-elle.

[116]      Elle considère injuste d’être poursuivie, parce qu’elle n’avait aucun pouvoir dans cette affaire, son rôle se limitant à retransmettre les conversations qu’elle avait avec madame Sauvé.

[117]     Le contre-interrogatoire de madame Cloutier a porté principalement sur le contenu des paragraphes 6, 7 et 9 de son mémoire amendé qui se lisent ainsi :

6. Le 16 décembre 2009, suite à des instructions non équivoques de la part de me François Leduc et de madame Marie-Lyne Marchessault, actionnaires de SPA Bromont Inc., la plaignante fut informée de la décision de cette dernière de son refus de permettre l’accès au lieu par un chien-guide et de maintenir son horaire de travail par plages de quatre (4) heures;

7. D’ailleurs, la position de la direction avait été déjà communiqué [sic] à la plaignante par madame Marie-Lyne Marchessault elle-même lors de la fête de Noël du personnel de SPA Bromont, tel que soulevé par la demanderesse dans son mémoire;

9. Par ailleurs, toutes les lettres signées par Chantal Cloutier dans le cadre de ce litige ont été préparées et rédigées par Me François Leduc, actionnaire et administrateur de la défenderesse SPA Bromont Inc. qui, par la suite, lui a ordonné de signer sous peine de perdre son emploi;

[118]     Il convient ici de rappeler les circonstances entourant le dépôt du mémoire amendé de la défenderesse.

[119]     L’audition de la cause était originellement fixée au 21 novembre 2012. Or, le 15 novembre, Me André Lesco, nouveau procureur de madame Chantal Cloutier, produit au Tribunal un mémoire amendé comportant certaines modifications au mémoire original produit en janvier 2012 par Me Robert Jodoin.

[120]     Me Clément-Major pour la  Commission s’oppose alors aux amendements parce que certains paragraphes du mémoire contiennent des allégations pouvant être considérées comme des aveux opposables à la défenderesse SPA Bromont. Le Tribunal a fait droit partiellement à l’objection de la Commission et refusé que les paragraphes 6, 7 et 9 du mémoire original soit retirés du mémoire amendé, ce qui a entraîné la remise de l’audition pour permettre à madame Cloutier de retenir les services de son propre avocat.

[121]     Le paragraphe 9 fait état des conditions dans lesquelles madame Cloutier a signé certaines lettres adressées à la Commission. Interrogée sur ces conditions, elle répond qu’à l’époque de la rédaction de ce paragraphe elle était d’accord avec le contenu de l’allégation. Devant le Tribunal, elle nie avoir été « menacée ». Il y a eu méprise, dit-elle : il n’est pas exact de dire qu’elle a été menacée, elle a simplement signé la lettre à la demande de monsieur Leduc, par loyauté.

[122]     Concernant le contenu du paragraphe 6, madame Cloutier dit au Tribunal qu’à l’époque elle était également d’accord avec la rédaction de ce paragraphe. Elle précise cependant qu’elle-même n’a jamais refusé la venue du chien-guide au Spa. Elle dit « ce n’est pas la conversation que moi, j’ai eue le 16 décembre avec madame Sauvé ». Ce jour-là, madame Sauvé était au Spa, elles se sont parlé, dit-elle, quelques minutes. Il y a eu le même type de discussion qu’à la fin novembre, conversation qu’elle résume en une phrase : « Ça prend une cage pour mon chien et encore le bloc de quatre heures ». Et tout comme à la fin novembre, elle s’en est remise à la direction. Elle ajoute que si cette offre a été perçue comme un refus, ce n’était pas le cas.

[123]     Confrontée au texte du paragraphe, elle précise qu’elle ne relevait pas de madame Marchessault. Elle reconnaît qu’il est possible que cette dernière ait eu des discussions avec monsieur Leduc à ce sujet. Les instructions découlent peut-être d’une décision de monsieur Leduc et de madame Marchessault, car ils étaient propriétaires, la chose est possible. Quant à elle, elle remplaçait madame Marchessault pendant son congé. Elle-même n’a pas eu de discussion avec cette dame. Elle ajoute que les instructions de monsieur Leduc étaient claires. Elle dit : « Me Leduc voulait discuter avec madame Sauvé, ça n’a jamais été un “non”, on voulait trouver une solution équitable et viable pour l’ensemble des parties et pour le chien aussi. Il y avait plusieurs choses à considérer. Ce n’est pas une décision qui devait se prendre à la légère et ça n’a jamais été un “non” ».

[124]     Elle poursuit : « L’offre de venir travailler par bloc de quatre heures était une piste de solution parce que madame Sauvé nous avait mentionné qu’elle ne pouvait quitter son chien pour plus de quatre heures ». L’accès au Spa avec son chien ne lui a jamais été refusé. Ainsi le 16 décembre madame Sauvé est venue pour un soin avec son chien-guide.

[125]     En ce qui concerne le contenu du paragraphe 7, madame Cloutier témoigne avoir appris que lors du party de Noël, madame Marchessault avait parlé à madame Sauvé, mais affirme au Tribunal n’avoir pas été présente lors de leur conversation et ne pouvoir témoigner sur le contenu de l’échange.

[126]     La procureure de la Commission attire ensuite l’attention de madame Cloutier sur une lettre qu’elle a adressée à la Commission le 20 octobre 2010[10]. Madame Cloutier précise qu’elle était d’accord avec le contenu de cette lettre qui reflétait bien la situation telle qu’elle s’était produite. Elle était d’accord avec la relation des faits contenus dans cette lettre. Elle ajoute que toutes les lettres ont été écrites par monsieur Leduc. Elle précise qu’elle n’aurait pas écrit autre chose. Elle a approuvé le contenu dont elle avait personnellement connaissance.

[127]     La procureure de la Commission attire l’attention du témoin sur certains passages. Le deuxième paragraphe réfère à une information transmise lors de l’entrevue d’embauche en ces termes : « Elle [madame Sauvé] mentionne qu’elle suivra éventuellement un cours auprès de la Fondation Mira, mais ajoute que dans le cas où elle aurait un chien-guide elle n’en aurait pas besoin pour travailler ».

[128]      Interrogée sur la source de cette information, madame Cloutier précise qu’il s’agit là de propos qui lui ont été rapportés par madame Clothilde Richer qui avait procédé à l’entrevue.

[129]     Au dernier paragraphe de la première page, il est écrit : « Le Spa qui n’a jamais eu dans le passé à composer avec une situation semblable et dans le but d’en examiner les implications et la façon qu’il serait possible de l’accommoder, indique à madame Sauvé son intention de l’appeler entre-temps pour un ou des massages ne dépassant pas quatre heures consécutives dans une journée ». Confrontée à cette rédaction, madame Cloutier répond que c’est plutôt madame Sauvé elle-même qui l’a appelée pour faire cette offre.

[130]     Le même paragraphe poursuit : « En décembre 2009, lors de mes discussions téléphoniques avec madame Sauvé, je lui ai mentionné cette offre… ». Confrontée à ce texte qui laisse entendre que plusieurs discussions auraient eu lieu au cours du mois de décembre, madame Cloutier maintient qu’elle n’a eu, en décembre 2009, qu’une seule conversation avec madame Sauvé et qu’il s’agissait d’une rencontre face à face au SPA Bromont le 16 décembre.

[131]     Interrogée enfin sur l’identité de la personne à qui madame Sauvé a mentionné qu’il lui était impossible de laisser son chien à la maison, madame Cloutier répond que cette information lui a été transmise par le personnel de la coordination quelques jours après le 26 décembre et qu’elle en a informé monsieur Leduc.

II.         LES PRÉTENTIONS DES PARTIES ET LES QUESTIONS EN LITIGE

[132]     La Commission soutient que les défenderesses ont porté atteinte au droit de madame Maryse Sauvé à la dignité et à son droit d’être traitée en pleine égalité en lui refusant d’être accompagnée d’un chien-guide sur les lieux de son travail. Elle soutient également que madame Chantal Cloutier doit être reconnue personnellement responsable au même titre que SPA Bromont.

[133]     SPA Bromont soutient que les travailleurs autonomes sont exclus du bénéfice de l’article 16 de la Charte. De plus, elle soutient ne pas avoir refusé à madame Sauvé de venir travailler en compagnie de son chien-guide et qu’au contraire c’est madame Sauvé elle-même qui a mis fin à l’entente de service. 

[134]     Madame Cloutier soutient qu’elle n’a pas agi à titre personnel.

[135]     Les questions en litige s’énoncent ainsi :

1)    L’article 16 de la Charte s’applique-t-il à la relation entre madame Maryse Sauvé et la défenderesse SPA Bromont?

2)    La défenderesse SPA Bromont a-t-elle porté atteinte au droit de madame Maryse Sauvé à la dignité et à son droit d’être traitée en pleine égalité en lui refusant d’être accompagnée d’un chien-guide sur les lieux de son travail?

3)    La défenderesse Chantal Cloutier a-t-elle engagé sa responsabilité personnelle?

4)    Le cas échéant, madame Maryse Sauvé a-t-elle droit aux dommages matériels, moraux et punitifs réclamés en sa faveur?

III.        LE DROIT APPLICABLE

[136]     Les dispositions pertinentes de la Charte sont les suivantes :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnus par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

 

 

IV.       L'ANALYSE

            A. L’article 16 de la Charte s’applique-t-il à la relation entre madame Maryse Sauvé et la défenderesse SPA Bromont?

[137]     SPA Bromont soutient que l’article 16 ne s’applique pas aux travailleurs autonomes parce que sa portée est limitée aux employés. L’entente de service de madame Sauvé étant un contrat d’entreprise visé par l’article 2098 du Code civil du Québec[11], elle n’était pas une employée de SPA Bromont. Une analyse du texte de l’article 16 à la lumière des principes d’interprétation de la Charte nous convainc qu’au contraire, une situation analogue à celle de madame Sauvé est visée par la Charte.

[138]     Le texte de l’article 16 réfère aux « personnes » et non aux « employés » ou aux « salariés ». Le mot « emploi » n’est utilisé qu’en rapport à l’établissement de catégories ou de classifications : « Nul ne peut exercer de discrimination dans […] les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi ».

[139]     Par ailleurs, la Charte doit recevoir une interprétation généreuse, large et libérale, de façon à assurer la protection constante des droits et libertés individuels, principe d'interprétation maintes fois rappelé[12]. La finalité de la Charte commande donc une analyse assouplie des éléments qui composent la relation d'emploi de sorte que des situations non généralement reconnues comme étant des relations d'emploi au sens du droit du travail par exemple, pourront dans un contexte légal ou factuel différent, revêtir les attributs d'une telle relation.

[140]     De plus, par analogie, il a été reconnu en matière de droit du travail, que la qualification de la relation de travail repose sur l’examen des faits de chaque affaire et qu'il n’est donc pas exclu que, dans certains contextes, un travailleur autonome puisse travailler sous la direction et le contrôle d’un employeur et donc être considéré comme un employé. Ainsi, dans l’arrêt Dicom Express inc. c. Paiement[13], la Cour d’appel du Québec enseigne que l'examen de chaque situation reste individuel et l'analyse doit être faite dans une perspective globale.

[141]     Dans l’arrêt Canadien Pacifique[14], il s’agissait d’examiner la validité du congédiement d’un cuisinier qui travaillait pour un sous-traitant de l’intimée et donc sans lien d’emploi avec l’entreprise. L’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne[15] interdit de « refuser d’employer » ou de refuser de « continuer d’employer » un individu pour un motif de discrimination interdit. Dans les faits, il s’agissait de déterminer si cette disposition s’appliquait à une personne autre que l’employeur réel (ici le sous-traitant). Après avoir souligné que les termes « employeurs » et « employés » devaient être interprétés de façon à promouvoir l’objet d’une loi sur les droits de la personne, la Cour d’appel fédérale a considéré que le terme « employeur » couvrait des réalités plus larges que le simple rapport d’emploi au sens traditionnel du terme et impliquait également un certain contrôle sur le personnel.

[142]     L’article 16 de la Charte vise plus que la situation des seuls salariés au sens du droit du travail et englobe les situations où, dans les faits, la personne est à l’emploi d’une autre personne. Cette interprétation est conforme au texte de loi et à l’interprétation généreuse qui est de mise en la matière. Il faut donc examiner la situation particulière de madame Sauvé.

[143]     Le procureur de la défenderesse a admis d’emblée que la prestation de service de madame Sauvé pouvait être, à plusieurs égards, la même que celle d’un employé régulier ou à temps partiel. Le Tribunal l’a également constaté.

[144]     Les services de madame Sauvé étaient requis exclusivement pour prodiguer des massages aux clients du Spa. Madame Sauvé utilisait les lieux, les équipements, le matériel et les produits de la défenderesse. Elle devait se rendre disponible pour des périodes convenues à l’avance. SPA Bromont déterminait les clients devant être desservis par madame Sauvé. C'est aussi SPA Bromont qui prenait l'initiative de déterminer quand les services de madame Sauvé étaient requis. En définitive, l'autonomie de madame Sauvé dans l'exécution de son travail nous paraît fort limitée.

[145]     Le Tribunal est donc d’avis que madame Sauvé était à l’emploi de SPA Bromont au sens de l’article 16 de la Charte et que cet article trouve application en l'espèce.

            B. La défenderesse SPA Bromont a-t-elle porté atteinte au droit de madame Maryse Sauvé à la dignité et à son droit d’être traitée en pleine égalité en lui refusant d’être accompagnée d’un chien-guide sur les lieux de son travail?

[146]     Le Tribunal doit tout d'abord déterminer si madame Sauvé a été victime de discrimination en emploi, au sens des articles 10 et 16 de la Charte.

[147]     Pour prouver l'existence de discrimination au sens de l'article 10 de la Charte, il incombe à la partie demanderesse de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, les éléments suivants :

1.    qu'il existe une « distinction, exclusion ou préférence »,

 

2.    que cette « distinction, exclusion ou préférence » est fondée sur l'un des motifs énumérés au premier alinéa de cette disposition, et

 

3.    que la « distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre » le «droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne »[16]

 

[148]     Si le Tribunal en vient à la conclusion qu'il y a eu discrimination en l'instance, il doit ensuite décider si la défenderesse SPA Bromont a satisfait à son obligation d'accommodement raisonnable envers la plaignante.

[149]     L'intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées constituent une préoccupation autant au niveau national[17] qu'international. Ainsi, au plan international, l’Organisation internationale du travail considère qu’un travail est une façon de remédier à la marginalisation, à la pauvreté et souvent même à l’exclusion sociale qu’une personne handicapée est plus à même de subir[18].

[150]     Certaines mesures d’adaptation professionnelle devraient pallier les obstacles particuliers rencontrés par les personnes handicapées lorsqu’elles tentent de se trouver un emploi et favoriser des conditions de travail justes et respectueuses de leurs limitations. La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées[19] de 2006 reconnaît « que toute discrimination fondée sur le handicap est une négation de la dignité et de la valeur inhérentes à la personne humaine. » La Convention reconnaît le droit au travail[20] et le droit à l’aide animalière lorsque ce moyen est pertinent[21].

[151]     Les États-Unis[22] et l’Europe[23] ont également des législations imposant aux employeurs des mesures d’accommodement afin de promouvoir le droit au travail des personnes handicapées. Le Gouvernement fédéral américain a édicté une réglementation qui définit le chien d’assistance[24].

[152]     Au Québec, il est reconnu depuis longtemps que le chien d’assistance est un moyen de pallier un handicap visuel[25]. Le chien est alors indissociable de son maître[26]. Il est également reconnu que c’est à la personne handicapée de choisir le moyen le plus approprié pour pallier son handicap[27].

[153]     La discrimination à l’endroit des personnes handicapées résulte de l’omission de leur fournir un moyen raisonnable de pallier leur handicap. C’est faute d’accommodement qu’il y a discrimination[28]. L’accommodement signifie qu’un employeur doit faire tout ce qui est raisonnablement possible pour tenir compte du handicap, sauf s’il démontre que cela lui cause une contrainte excessive[29].

[154]     La Commission soutient que la défenderesse a, dans les faits, fait défaut d’accommoder madame Sauvé en refusant qu’elle se présente au travail en compagnie de son chien-guide. SPA Bromont savait dès le mois de juin 2009 qu’il faudrait éventuellement accommoder la présence d’un chien-guide. Lorsque la situation s’est présentée à compter du 20 novembre, les responsables de SPA Bromont ont refusé de l’accommoder, soit indirectement en ne la rappelant pas au travail, soit directement comme ce fut le cas lors de sa conversation avec madame Marchessault le 13 décembre.

[155]     La défenderesse SPA Bromont soutient n’avoir jamais refusé d’accommoder madame Sauvé. Cette dernière, en décidant de porter plainte à la Commission, a mis fin à son contrat. SPA Bromont n’a appris que le 26 novembre 2009 que madame Sauvé souhaitait se présenter au travail avec un chien-guide et, au même moment, cette dernière offrait de laisser son chien à la maison pour venir travailler par blocs de quatre heures. Ce n’est qu’un mois plus tard, soit après le 26 décembre, que la défenderesse a appris que madame Sauvé ne pouvait pas laisser son chien à la maison. Dès janvier, une solution temporaire consistant à placer la cage du chien-guide dans un local non occupé a été trouvée. Si elle n’a pas été présentée à madame Sauvé c’est que cette dernière était déjà représentée par la Commission. Le délai à trouver un accommodement, s’il y en a eu un, a été causé par madame Sauvé.

[156]     Les deux versions sont irréconciliables. En effet, si le Tribunal retient la version de la défenderesse, ce ne serait qu’à la toute fin de décembre 2009 que SPA Bromont aurait été mis devant la nécessité d’accommoder madame Sauvé. Après avoir pesé les témoignages, le Tribunal n’a aucune hésitation à déclarer que la preuve de la Commission démontre de façon prépondérante que la défenderesse SPA Bromont a refusé d’accommoder madame Sauvé qui souhaitait se rendre au travail en compagnie de son chien-guide.

[157]     Madame Sauvé a témoigné de façon simple et ouverte sans éluder les questions. Sa relation des événements était précise et n’a pas été modifiée par le contre-interrogatoire. De plus, plusieurs éléments de ce témoignage sont corroborés ou n’ont pas été niés ou contredits par la défenderesse de sorte que le Tribunal ne peut qu’accorder une pleine crédibilité à sa version des événements.

[158]     La preuve de la défenderesse repose essentiellement sur le témoignage de madame Cloutier. Son témoignage est rempli d’imprécisions et de contradictions qui sont apparues lors du contre-interrogatoire. Quant à monsieur Leduc, il a agi uniquement sur la foi des informations qui lui étaient transmises par elle. Le témoignage de madame Beauvais n’est pas utile à la thèse de SPA Bromont, car elle a admis ne pas connaître les détails des rapports entre madame Sauvé et la défenderesse. Par ailleurs, la défenderesse n’a pas fait entendre les personnes qui auraient pu contredire la version de madame Sauvé sur plusieurs points essentiels. En conséquence, le Tribunal est d’avis que la défenderesse n’a pas repoussé la preuve de la Commission.

[159]     Madame Sauvé a témoigné avoir informé la responsable du personnel, madame Richer, dès juin 2009, qu’elle était en attente d’un chien-guide et cette dernière semblait ouverte à l’accommoder. Monsieur Leduc a témoigné qu’il connaissait la condition de madame Sauvé au moment de son embauche, sans plus. Une lettre rédigée par lui et signée par madame Cloutier en octobre 2010 fait état que la question d’un chien-guide a été abordée dès ce moment. Madame Richer n’a pas été entendue de sorte que le Tribunal retient que, dès l’embauche de madame Sauvé, SPA Bromont savait qu’il serait éventuellement question d’accommoder un chien-guide.

[160]     Madame Sauvé a témoigné qu’à la fin du mois d’octobre 2009, SPA Bromont a été informé par elle-même que le 20 novembre elle viendrait travailler avec un chien-guide et que des entraîneurs de la Fondation Mira étaient disponibles pour aider à son intégration. Son témoignage est précis, elle s’est d’abord adressée aux responsables de la répartition et, par la suite, madame Cloutier l’a convoquée à son bureau et lui a reproché de ne pas avoir informé la direction au moment de son engagement, ce qui était faux. Dans son témoignage, madame Cloutier admet avoir été informée dès le début d’octobre (au lieu de la fin octobre), du motif de l’absence de madame Sauvé. Elle ne donne aucun détail sur la teneur de l’échange, sauf qu’elle dit en avoir informé monsieur Leduc. Ce dernier a témoigné ne pas avoir su à l’époque si madame Sauvé reviendrait avec un chien-guide. Les employés qui ont été informés dès la fin octobre de la venue éventuelle du chien-guide n’ont pas témoigné pour contredire la version de madame Sauvé. Le Tribunal retient donc que la défenderesse savait dès la fin octobre 2009, qu’un accommodement serait nécessaire à court terme (trois semaines).

[161]     Madame Sauvé a témoigné avoir été surprise de ne pas être rappelée au travail à la date prévue du 20 novembre, d’où son appel à madame Cloutier une semaine plus tard, le 26. Sa version est cohérente et vraisemblable vu que pour le mois d’octobre 2009 elle a reçu plus de 590 $ d’honoraires ce qui implique qu’elle avait été appelée plusieurs fois récemment. Le Tribunal retient qu’en l’absence d’explication la défenderesse n’était pas empressée de la revoir au travail.

[162]     La conversation du 26 novembre est importante parce que SPA Bromont soutient que c’est à cette date que madame Sauvé a offert de travailler sans son chien, par blocs de quatre heures. Pour madame Sauvé, ce n’est que le 13 décembre, lors de la fête de Noël, que cette possibilité a été évoquée avec madame Marchessault. Nous y reviendrons. Madame Sauvé a témoigné que madame Cloutier lui a demandé si elle viendrait au Spa avec son chien-guide. Elle a répondu par l’affirmative. Elle a ajouté qu’un endroit devait être trouvé pour mettre une cage et que la Fondation Mira pourrait aider. Selon son témoignage, madame Cloutier lui a alors répondu devoir en parler avec madame Marchessault avant de l’autoriser à venir travailler. Ni madame Cloutier ni monsieur Leduc n’ont nié que ces informations aient été échangées. Madame Cloutier dit que la conversation n’a duré que quelques minutes sans plus. Elle se souvient cependant que madame Sauvé lui a offert de venir travailler sans son chien pour des périodes de quatre heures.

[163]     Monsieur Leduc a témoigné avoir donné des instructions suite à l’appel de madame Cloutier[30]. Il lui a dit qu’il fallait être prudent et ne pas opposer un refus catégorique à madame Sauvé parce qu’il pourrait y avoir discrimination, qu’il fallait examiner la situation et qu’entre temps, madame Sauvé pouvait venir travailler sans son chien (pendant des périodes de quatre heures). Le Tribunal constate que personne n’a communiqué avec madame Sauvé pour donner suite à ces instructions, et ce sans qu'aucune explication ne soit fournie.

[164]     Madame Sauvé a témoigné que, le 13 décembre 2009, elle a rencontré madame Marchessault qui a refusé de lui permettre de venir travailler au Spa en compagnie d’un chien-guide. Cette conversation n’est pas niée et est même confirmée par le mémoire de madame Cloutier. C’est à ce moment que madame Sauvé dit avoir évoqué la possibilité de venir travailler sans son chien et qu’elle l’a fait pour tenter de conserver son emploi. Il semble au Tribunal que la version de madame Sauvé sur le moment où cette proposition a été avancée est davantage plausible que celle de madame Cloutier pour qui la proposition avait été faite le 26 novembre. En effet, il serait pour le moins paradoxal, sinon incroyable, que madame Sauvé ait offert d’emblée de venir travailler sans son chien-guide sans que quelqu’un (madame Marchessault ou madame Cloutier) ne lui ait d’abord fait part du refus d’accepter la présence du chien. D’où venaient donc les objections lors de la communication du 26 novembre? Monsieur Leduc a dit qu’avant le téléphone du 26 novembre il ne savait pas si madame Sauvé viendrait travailler avec son chien, il est donc peu probable qu’il lui ait de lui-même opposé un refus ou des objections. Quant à madame Cloutier, elle ne tenait qu’un rôle d’intermédiaire. Dès lors, le Tribunal retient que l’hypothèse de laisser le chien à la maison a été faite le 13 décembre plutôt que le 26. D’ailleurs, la suite des événements confirme cette séquence.

[165]     En effet, trois jours plus tard, soit le 16 décembre en fin de journée, madame Sauvé a reçu un appel de madame Cloutier qui lui offrait de venir travailler par périodes de quatre heures. Dans l’intervalle, madame Sauvé avait appris qu'il était impossible de se séparer de son chien-guide[31]. Elle a donc répondu à madame Cloutier que cette possibilité était désormais exclue et évoqué la nécessité de trouver un accommodement. Cette dernière lui a dit devoir en référer à la direction avant de l’autoriser à venir travailler. Dans son témoignage principal, madame Cloutier ne se souvenait pas de cette communication. Pourtant, dans la lettre de juin 2010, elle écrit qu’au cours du mois de décembre 2009, elle a eu plusieurs discussions avec madame Sauvé. En contre-interrogatoire, elle s’est souvenue d’une rencontre qui se serait déroulée « face à face ». Même en admettant que madame Cloutier ait pu faire erreur sur le mois ou sur le nombre de discussions, il reste que des « discussions » impliquent plus qu’un simple échange d’informations factuelles. Or, dans son témoignage, madame Cloutier est demeurée étonnamment vague sur toutes ses conversations avec madame Sauvé et, en particulier, sur l’échange du 16 décembre, se limitant à dire que madame Sauvé revenait toujours avec la même chose : une cage pour le chien et des blocs de quatre heures. Le Tribunal ne peut que conclure que madame Cloutier avait reçu des instructions à cet égard.

[166]     Les paragraphes 6, 7 et 9 du mémoire de madame Cloutier, s’ils ne constituent pas un aveu opposable à SPA Bromont[32], contredisent son propre témoignage de même que la thèse soutenue par SPA Bromont. Elle a affirmé au Tribunal que les faits relatés au mémoire étaient exacts au moment où ils furent rédigés. Par contre, elle y a apporté plusieurs nuances dont certaines sont en nette contradiction. Ainsi, malgré que le mémoire fasse état du fait qu’elle fut forcée de signer une lettre sous la menace de perdre son emploi, madame Cloutier a témoigné avoir signé par loyauté pour l’entreprise. Le mémoire confirme également la teneur de la conversation du 13 décembre 2009 entre madame Marchessault et madame Sauvé et le fait qu’elle-même avait reçu, avant le 16 décembre, des instructions non équivoques de refuser la présence du chien-guide sur les lieux du travail.

[167]     Madame Sauvé a témoigné qu’à deux reprises, à la fin octobre et le 26 novembre, elle a informé SPA Bromont que la Fondation Mira était disponible pour aider à intégrer un chien-guide. Madame Cloutier et monsieur Leduc  n’ont pas nié avoir reçu cette information et n’y ont pas donné suite, sans explication.

[168]     SPA Bromont invoque par ailleurs certains arguments visant à justifier son comportement.

[169]     Dans son témoignage, monsieur Leduc s’est employé à expliquer la raison des délais à répondre à la demande de madame Sauvé. D’abord, il a témoigné sur le manque d’espace pour installer une cage et la nécessité de construire un abri extérieur (sur la terrasse). Le Tribunal constate que monsieur Leduc a plutôt tenté de le convaincre que cet accommodement était impossible. Le manque d’espace semblait tout aussi important au moment de l’audition.

[170]     Pourtant, selon son propre aveu, il aurait simplement fallu utiliser une salle de soins non occupée durant la semaine ce qui, a-t-il affirmé au Tribunal, nécessitait une modification des disponibilités de madame Sauvé. Or, monsieur Leduc a dit en interrogatoire principal que madame Sauvé avait peut-être travaillé durant la semaine de façon exceptionnelle et il a reconnu, en contre-interrogatoire, ne pas être au courant de ses disponibilités réelles. Quant à madame Sauvé, elle a témoigné qu’après son engagement elle s’était déclarée disponible durant la semaine. Sa version est plausible considérant ses honoraires d’octobre. Madame Richer et le personnel de la répartition n’ont pas témoigné pour contredire ce témoignage, il est donc difficile de ne pas retenir la version de madame Sauvé sur ses disponibilités à l’automne 2009. De toute manière, quelle que soit la connaissance qu’en avait monsieur Leduc, la solution était à sa portée pour peu qu’il se soit donné la peine de s’en informer dès le moment où il a su, à la fin d’octobre, que madame Sauvé souhaitait peut-être revenir au travail avec un chien-guide. Même après le 26 novembre, cet accommodement n'a pas été offert à madame Sauvé. Au contraire, monsieur Leduc a donné comme instruction d’être prudent et on n'a pas rappelé madame Sauvé.

[171]     On reproche à madame Sauvé de ne pas avoir recontacté SPA Bromont avant de déposer une plainte à la Commission, mais à aucun moment entre octobre 2009 et janvier 2010 monsieur Leduc ou madame Cloutier ne lui ont parlé d’accommodement, et ce, malgré que dans leurs témoignages tant monsieur Leduc que madame Cloutier ont affirmé avoir voulu discuter avec elle. Et même après avoir été informée qu’une plainte avait été déposée à la Commission, SPA Bromont a attendu la conciliation, plusieurs mois plus tard, pour offrir un accommodement qui était disponible dès le début de l’automne 2009.

[172]     Monsieur Leduc soutient que madame Sauvé aurait pu venir travailler par blocs de quatre heures dans la mesure où elle aurait pu le faire. Le fait d’obliger une personne handicapée visuelle à laisser son chien à la maison ne pouvait de toute façon constituer un accommodement. Il est en effet reconnu que la personne handicapée peut choisir le moyen le plus approprié pour pallier son handicap[33].

[173]     On a évoqué que le chien aurait pu manifester un comportement inadéquat, que certaines personnes étaient allergiques ou aient peur de l’animal. Monsieur Leduc a reconnu que l’allergie n’était pas un problème incontournable. Pour ce qui est des craintes, la Fondation Mira était disponible pour rassurer le personnel et aider à l’intégration d’un chien-guide, mais elle n’a pas été contactée. Dans l’affaire de l’Hôtel Président, la Cour supérieure n’a pas retenu le refus de permettre la présence d’un chien-guide à cause de craintes que l’animal pourrait susciter ou de la nature des lieux (dans l’instance autour d’une piscine)[34]. La possibilité qu’il y ait des poils laissés par un chien ne constitue pas une excuse non plus[35].

[174]     On soutient que la défenderesse n’a pas fait preuve de discrimination parce qu’on a permis à madame Sauvé de venir recevoir des soins avec son chien-guide, monsieur Leduc reconnaissant d’emblée qu’un refus aurait été discriminatoire dans les circonstances. Cela ne signifie pas pour autant que, dans le cadre de son emploi, elle n’a pas été victime de discrimination[36]. De fait, SPA Bromont a démontré qu’il était fort possible d’accueillir un chien-guide sans problème.

[175]     Monsieur Leduc soutient enfin que SPA Bromont n’avait pas l’intention d’exercer de la discrimination à l’endroit de madame Sauvé. Or, l'intention n'est pas un facteur déterminant dans l'interprétation d'une loi sur les droits de la personne visant à éliminer la discrimination. C'est plutôt le résultat qui importe[37].

[176]     Le Tribunal n’a donc aucune hésitation à conclure que la défenderesse connaissait la situation depuis le mois de juin 2009 et qu’à compter du mois de novembre elle n’a fait aucune démarche pour accommoder la présence d’un chien-guide. Dans les faits, son attitude constituait un refus d’accommodement.

[177]     En conclusion, la preuve prépondérante démontre que la défenderesse a porté atteinte au droit de madame Maryse Sauvé d’être traitée en pleine égalité en lui refusant d’être accompagnée d’un chien-guide sur les lieux de son travail et en mettant fin à son emploi.

[178]     La Commission allègue également qu'il y a eu atteinte discriminatoire au droit à la dignité de madame Sauvé. Qu'en est-il?

[179]     L’article 4 de la Charte protège le droit à la dignité et à la réputation de la personne[38]. Les conditions dans lesquelles une personne travaille façonnent l'ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu'elle a d'elle-même[39].

[180]     Madame Sauvé a témoigné avoir ressenti du rejet, s’être sentie trahie et bafouée. Sa mésaventure avec SPA Bromont l’a confortée dans le sentiment de défaitisme et de victime ce qu’elle exprime en ces termes : « je suis juste une personne handicapée, c’était un cas trop compliqué ». Le Tribunal est d’avis que le refus d’accommoder la présence du chien guide de madame Sauvé correspond en tout point à la description que nous avons citée de la violation de la dignité humaine[40].

            C. La défenderesse Chantal Cloutier a-t-elle engagé sa responsabilité personnelle?

[181]     Dans les circonstances de cette affaire, la participation de madame Cloutier a été plutôt celle d’une intermédiaire. Dès le départ, son rôle consistait à transmettre les informations à monsieur Leduc qui a affirmé assumer lui-même la gestion de l’entreprise. Madame Sauvé confirme également les limites du rôle de madame Cloutier. Lors de tous ses contacts avec elle, madame Cloutier lui disait devoir consulter soit madame Marchessault (le 26 novembre) soit la direction (le 16 décembre). Dès lors, le Tribunal ne peut pas conclure à sa responsabilité personnelle.

V.        LES RÉPARATIONS

[182]     La Commission réclame en faveur de madame Sauvé 1 105 $ à titre de réparation pour le préjudice matériel, 15 000 $ pour le préjudice moral et une somme de 3 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs.

[183]     Le montant de 1 105 $ représente le total de ses gains pour la période pendant laquelle elle a été employée par la défenderesse, soit de juillet à octobre 2009. Ce montant apparaît raisonnable dans les circonstances.

[184]     La Commission réclame 15 000 $ pour le préjudice moral subi par madame Sauvé.

[185]     Le témoignage de madame Sauvé a convaincu le Tribunal que son expérience avec la défenderesse a laissé des traces importantes. Le témoignage de madame Beauvais confirme par ailleurs que madame Sauvé se disait alors dévastée par la décision de SPA Bromont. Cette expérience est au moins partiellement responsable de son abandon de la pratique de la massothérapie.

[186]     Le Tribunal a examiné les décisions ayant abordé l’attribution de dommages moraux à l’endroit de personnes non voyantes. Presque toutes concernent le refus d'accès à un lieu public pour lequel des montants de 1 000 $ à 3 000 $ sont généralement accordés[41]. Aucune cause ne porte sur la discrimination dans le domaine de l'emploi en raison de l'utilisation d'un chien-guide.

[187]     Un refus d'accès pour une cause discriminatoire est souvent un événement ponctuel, fixé dans le temps. Même si les effets de la violation aux droits fondamentaux peuvent perdurer quelque temps, l'acte discriminatoire lui-même a lieu à un moment précis. Le cas de madame Sauvé est différent. La situation a duré au moins deux mois. De plus, il s’agit du refus d’accommoder une personne dans son travail et donc de la priver du droit de gagner sa vie honorablement, une composante essentielle de son autonomie et de sa dignité[42]. Compte tenu de la jurisprudence en cette matière[43], le Tribunal considère qu’une somme de 6 500 $ est appropriée à titre de dommages-intérêts moraux.

[188]     En ce qui concerne les dommages punitifs, la situation ne le justifie pas car il n’y a rien qui démontre une intention ou une insouciance au sens de la jurisprudence[44].

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[189]     ACCUEILLE partiellement la réclamation;

[190]     CONDAMNE la défenderesse SPA Bromont inc. à payer à madame Maryse Sauvé la somme de sept mille six cent cinq dollars (7 605 $), répartie comme suit :

a)   mille cent cinq dollars (1 105 $), à titre de dommages matériels;

b)   six mille cinq cent dollars (6 500 $), à titre de dommages moraux;

[191]     LE TOUT, avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle conformément à l'article 1619 C.c.Q., depuis la signification de la proposition des mesures de redressement, soit depuis le 29 juin 2011.

[192]     ET avec dépens contre la défenderesse SPA Bromont inc.;

[193]     REJETTE la réclamation contre la défenderesse Chantal Cloutier, avec dépens contre la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

 

 

__________________________________

Michèle Pauzé,

Présidente du Tribunal des droits de la personne

 

 

 

Me Lysiane Clément-Major

 

BOIS DRAPEAU BOURDEAU

360, rue St-Jacques, 2e étage

Montréal (Québec) H2Y 1P5

 

Pour la partie demanderesse

 

 

 

Me André Lesco

 

LEDUC LESCO

276, rue Saint-Jacques, bureau 826

Montréal (Québec) H2Y 1N3

 

Pour la partie défenderesse SPA Bromont inc.

 

 

 

Me Robert Potvin

 

DE GRANDPRÉ CHAIT S.E.N.C.R.L.
1000 rue de la Gauchetière Ouest, bureau  2900
Montréal (Québec)  H3B 4W5

 

Pour la partie défenderesse Chantal Cloutier

 

 

Dates d’audience :

2 et 3 mai 2013

 

 



[1] L.R.Q., c. C-12.

[2] Le montant réclamé initialement par la Commission était de 4 320 $. Cette somme a été amendée à l’audition.

[3] La dystrophie des cônes et des bâtonnets.

[4] « que ça va bien aller maintenant ».

[5] Pièce P-3.

[6] « C’était elle qui était la boss ».

[7] « victim's lifestyle ».

[8] Pièce D-1 du 30 juin 2009.

[9] En contre-interrogatoire, en réponse à une question de la procureure de la Commission, il précise que la rencontre a lieu lors d’une séance de médiation à la Commission en juin 2010.

[10] Pièce P-4.

[11] 2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

[12] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés, [1996] 2 R.C.S. 345.

[13] 2009 QCCA 611, par. 17. Pour la solution en common law voir : 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, par. 47.

[14] Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), [1991] 1 C.F. 571. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique en arrive à une conclusion analogue dans Vancouver Rape Relief Society c. Nixon, 2005 BCCA 601 concernant un texte semblable à l’article 7 de la Loi canadienne. Voir également : Pannu, Kang and Gill v. Prestige Cab Ltd. (1986), 73 A.R. 166 (C.A.), 31 D.L.R. (4th) 338.

[15] L.R.C. 1985, c. H-6.

[16] Voir notamment: Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, 538; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665.

[17] Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale, L.R.Q., c. E-20.1.

[18] ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, Handicap et travail, en ligne :  <http://www.ilo.org/global/topics/skills-knowledge-and-employability/disability-and-work/lang fr/index.htm> (consulté le 25 juin 2013).

[19] Convention relative aux droits des personnes handicapées, 13 décembre 2006, 2515 R.T.N.U. 3 (ratifiée par le Canada le 11 mars 2010 et par le Québec le 10 mars 2010).

[20] La disposition introductive et le premier paragraphe de l’article 27 se lisent ainsi : « Les États Parties reconnaissent aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, le droit au travail, notamment à la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouverts, favorisant l’inclusion et accessibles aux personnes handicapées. Ils garantissent et favorisent l’exercice du droit au travail, […] en prenant des mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour notamment : Interdire la discrimination fondée sur le handicap dans tout ce qui a trait à l’emploi sous toutes ses formes, notamment les conditions de recrutement, d’embauche et d’emploi, le maintien dans l’emploi, l’avancement et les conditions de sécurité et d’hygiène au travail ».

[21] L’article 9 (2e) prévoit : « Les États Parties prennent également des mesures appropriées pour : Mettre à disposition des formes d’aide humaine ou animalière […] ». L’article 20 b) précise  : « Les États Parties prennent des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible, y compris en : […] Facilitant l’accès des personnes handicapées à des aides à la mobilité, appareils et accessoires, technologies d’assistance, formes d’aide humaine ou animalière et médiateurs de qualité, notamment en faisant en sorte que leur coût soit abordable; […] ».

[22] Voir : l’Americans with Disabilities Act (ADA, UNITED STATES DEPARTMENT OF JUSTICE CIVIL RIGHTS DIVISION, Americans with Disabilities Act of 1990, as amended, 42 U.S.C. ££ 12101-12213, en ligne : <www.ada.gov/pubs/adastatute08.htm#subchapterI>. Cette législation est citée par le Tribunal dans C.D.P. c. Bar La Divergence, T.D.P.Q. Montréal, 1994 CanLII 3187 (QC T.D.P.).

[23] Voir : Le Traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les communautés européennes et certains actes connexes, 10 novembre 1997, article 22, en ligne : <http://eur-lex.europa.eu/fr/treaties/dat/11997D/htm/11997D.html>.

[24] La réglementation américaine découlant de l’Americans with Disabilities Act (ADA) fait spécifiquement référence à l’usage d’un chien-guide pour aider la personne non voyante. Voir : Part 36 Non discrimination on the Basis of Disability in Public Accommodations and Commercial Facilities (as amended by the final rule published on September 15, 2010), article 36.104 (Service animal), en ligne : <http://www.ada.gov/regs2010/titleIII_2010/titleIII_2010_regulations.htm#a104>.

[25] Commission des droits de la personne du Québec c. Vithoulkas, [1982] C.P. 285.

[26] CDPDJ c. 9107-9195 Québec inc., 2005 CanLII 48891 (QCT.D.P.); CDPDJ c. Montuori Holding Corporation (Pizzeria Napoli), 2008 QCTDP 2 (CanLII).

[27] Commission des droits de la personne c. 2858029 Canada Inc., T.D.P.Q. Terrebonne, 1995 CanLII 3 (QC T.D.P.); Pilon c. Corporation intermunicipale de transport des Forges, (C.S., 1995-01-12), J.E. 95-536.

[28] Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, par. 67.

[29] Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, par. 121; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, par. 79; Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33 et 49.

[30] Qu’il situe à la fin novembre ou au début décembre sans précision.

[31] Information confirmée par le témoignage de madame Fecteau.

[32] Articles 2850 et 2852 C.c.Q.

[33] Commission des droits de la personne c. 2858029 Canada Inc., préc., note 27.

[34] Joly c. Page, 2001 CanLII 17457 (QC C.S.).

[35] CDP c. Hétu, 1992 CanLII 12 (QC T.D.P.).

[36] C.D.P. c. Restaurant Scampinata inc., 1994 CanLII 2338 (QC T.D.P.).

[37] Commission Ontarienne des Droits de la Personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536.

[38] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 104; Commission des droits de la personne du Québec c. Lemay, [1995] R.J.Q. 1967, 1972 (T.D.P.). Voir également : Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, 530.

[39] Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, par. 91. Application dans : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Remorquage Sud-Ouest (9148-7314 Québec inc.), 2010 QCTDP 12, par. 92.

[40] Id.

[41] Quoique deux décisions récentes attribuent des sommes plus importantes : C.D.P.D.J. c. 9051-5396 Québec inc. (Camping Plage de la baie), 2011 QCTDP 16 et C.D.P.D.J. c. 142006 Canada inc. (Caverne Grecque), 2012 QCTDP 14.

[42] Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), préc., note 39, par. 91.

[43] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Systèmes de drainage Modernes inc., 2009 QCTDP 10; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Procureur général), 2005 CanLII 8547 (QC T.D.P.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. De Luxe Produits de papier inc., 2003 CanLII 36539 (QC T.D.P.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Centre hospitalier de l'Université de Montréal, Pavillon Notre-Dame, AZ-50078465.

[44] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, préc., note 38, par. 121 : « il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère. »

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.