Décision

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Agence Océanica inc. c. Agence du revenu du Québec

2013 QCCA 1451

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No:

500-09-022807-127

 

(500-80-015598-106)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE:

Le 29 août 2013

 

 

L’HONORABLE MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

PARTIE REQUÉRANTE

AVOCAT

SOINS DIRECT INC.

 

Me Mark Phillips

BORDEN LADNER GERVAIS, S.E.N.C.R.L., S.R.L

.

 

PARTIE INTIMÉE

AVOCAT

AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC

Me Pier-Olivier Julien

REVENU QUÉBEC

 

 

PARTIE APPELANTE

AVOCAT

AGENCE OCÉANICA INC.

 

Me Nawal Benrouayene (absente)

NAWAL BENROUAYENE

 

 

REQUÊTE POUR PERMISSION D'INTERVENIR

(Art.509 C.p.c.)

 

Greffière: Asma Berrak

Salle: RC.18

 


 

 

AUDITION

 

 

9 h 30 : Suite de l'audition du 26 août 2013.

9 h 30 : Jugement-voir page 3.

9 h 30 : Fin de l'audition.

 

Asma Berrak

Greffière

 


 

 

JUGEMENT

 

 

[1]          Je suis saisie d'une requête pour permission d'intervenir présentée par Soins Direct inc. (Soins Direct) aux termes des articles 509 et 211 du Code de procédure civile.

[2]          Ces articles sont ainsi rédigés:

509. En appel, un juge entend tous les incidents prévus au Titre IV du Livre II dans la mesure où ils sont applicables.

La Cour peut, si l'intérêt de la justice le requiert, permettre à une partie, en des circonstances exceptionnelles, de présenter, selon le mode qu'elle indique, une preuve nouvelle indispensable.

L'une ou l'autre de ces demandes est soulevée par requête et la procédure est la même qu'en première instance, à moins de règles de pratique contraires.

Lors de l'audition d'une telle demande, toute partie peut présenter une preuve appropriée et, le cas échéant, le juge ou la Cour, selon le cas, peut renvoyer la cause devant le tribunal de première instance pour qu'il y soit fait quelque preuve s'y rapportant.

Le juge peut déférer une demande à la Cour, s'il estime que l'intérêt de la justice le requiert.

 

 

509. In appeal, a judge hears all incidental proceedings provided for in Title IV of Book II to the extent that they are applicable.

In exceptional circumstances, the Court may, if the interests of justice so require, allow a party to adduce, in such manner as the Court directs, indispensable new evidence.

Applications under this article are presented by motion, and the procedure is the same as in first instance, in the absence of rules of practice to the contrary.

During the hearing of such an application, any party may submit relevant evidence, and the judge or the Court, as the case may be, may return the case to the court of first instance so that further proof relating to the application may be made.

If, in the judge's opinion, the interests of justice so require, the judge may refer an application to the Court.

211. Un tiers peut demander à intervenir pour faire des représentations lors de l'instruction. Il doit pour ce faire informer les parties par écrit du but et des motifs de son intervention. Le tribunal peut l'y autoriser, s'il l'estime opportun, compte tenu des questions en litige et après avoir entendu les parties.

211. A third party may ask to intervene in order to make representations during the trial. The third party must inform the parties in writing of the purpose of and the grounds for the intervention. After hearing the parties, the court may authorize the intervention if it deems it expedient, having regard to the questions at issue.

[3]          Soins Direct souhaite intervenir au dossier d'appel qui oppose Agence Océanica inc. (Océanica) à l'Agence du revenu du Québec (ARQ) à la suite d'un jugement rendu le 28 mai 2012 par la Cour du Québec, district de Montréal (l'Honorable Marie Michelle Lavigne) (la juge). Retenant que les infirmiers et infirmières placés par Océanica auprès d'établissements de santé étaient salariés plutôt que travailleurs autonomes, et constatant que toute rémunération était versée par Océanica, la juge a rejeté l'appel de cette dernière portant sur des avis de cotisations émis par l'ARQ pour les retenues à la source relatives aux années d'imposition 2007 et 2008.

[4]          Le dossier d'appel est complet : les mémoires ont été déposés, de part et d'autre, de même que le certificat de mise en état.

[5]          Océanica ne s'objecte pas à l'intervention de Soins Direct, mais l'ARQ s'y oppose.

 

Les arguments de Soins direct

[6]          Tout comme Océanica, Soins Direct œuvre dans le domaine du placement du personnel infirmier auprès d'établissements de santé du Québec, notamment auprès de centres hospitaliers, de centres locaux de services communautaires (CLSC) et de centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD).

[7]          Un différend l'oppose actuellement à l'ARQ alors que celle-ci soutient que Soins Direct aurait l'obligation de procéder à des retenues à la source à l'égard du personnel infirmé placé, prenant appui sur le jugement dont appel.

[8]          Au soutien de sa requête pour permission d'intervenir, Soins Direct affirme ce qui suit:

·        elle sera affectée par la décision à intervenir au présent dossier;

·        elle souhaite apporter un éclairage au débat et il est dans l'intérêt de la justice de lui permettre de le faire;

·        il n'existe aucun regroupement des agences susceptibles d'être affectées par la décision à intervenir de sorte que son intervention représente la meilleure solution pour permettre à cette Cour d'obtenir un éclairage complet au sujet des enjeux;

·        elle peut faire apport utile car elle souhaite aborder des questions qu'elle juge importantes, mais que l'Appelante n'analyse pas en profondeur à la lumière du contenu des mémoires déposés au dossier;

·        l'Appelante ne traite que de deux aspects sur trois.

o   Les deux aspects traités sont  «la question de la qualification juridique de la situation comme contrat de travail versus un contrat d'entreprise et de service» et «l'identification du véritable employeur dans le cadre d'une situation tripartite», sous l'angle des relations de travail plutôt que sous celui du droit fiscal;

o   un troisième aspect, celui «du prétendu mandat entre l'agence de placement et ses clients et les conséquences de ce mandat, à supposer qu'il existe» n'est pas abordé, alors qu'il serait nécessaire de le faire (notamment en raison des propos de la juge portant sur le mandat au paragraphe 48 du jugement). 

 

[9]          Dans ce contexte, Soins Direct écrit ce qui suit aux paragraphes 23 à 25 de sa requête:

23. En effet, l'honorable juge Lavigne a conclu comme suit dans le jugement R-1:

            (i)         que l'appelante était le mandataire de ses clients (par. 40, 41, 43);

            (ii)       qu'en tant que mandataire, l'appelante avait agi en son propre nom, avec les conséquences prévues en pareilles circonstances à l'article 2157 alinéa deuxième du code civil du Québec (par. 48, 51);

            (iii)       enfin, que l'appelante était donc responsable envers l'ARQ des retenues aux termes des lois fiscales (par. 52)

24. Si elle est autorisée à intervenir, la requérante expliquera à cette Honorable Cour :

(a) pourquoi le raisonnement du mandat ne saurait s'appliquer en l'espèce;

(b) pourquoi une agence de placement ne peut pas, dans les circonstances, être considérée comme une mandataire «agissant en son propre nom» au sens de l'article 2157 CCQ.

(c) pourquoi les conclusions de la Cour du Québec sur le mandat, à supposer même qu'elles soient fondées, ne sauraient entraîner les conséquences tirées par le jugement en vertu des lois fiscales.

25. Afin que cette Honorable Cour puisse bénéficier d'un débat sur ces questions, sur lesquelles le mémoire de l'appelante est muet, elle propose ce qui est indiqué ci-dessous dans les conclusions de la présente requête.

 

La position de l'ARQ

[10]       L'ARQ conteste la demande d'intervention. Le litige est un litige privé où les données factuelles sont importantes et de nature à influencer la décision à intervenir. Rien ne permet d'affirmer que la situation factuelle dans laquelle se trouve Soins Direct  soit identique ou comparable à celle de l'Appelante. Soins Direct n'est pas intervenue en première instance et l'appel n'est pas le forum indiqué pour le faire. Tous les points pertinents au litige sont exposés par les parties dans leurs mémoires et la Cour n'a aucunement besoin de l'éclairage offert par Soins Direct pour trancher le débat. En fait, la discussion que  propose l'intervenante n'est pas pertinente au débat (ce pour quoi les mémoires ne traitent pas de la question) alors que les clientes de l'appelante n'y sont pas  parties et qu'il est admis que c'est l'appelante qui est «la personne de qui l'employé reçoit sa rémunération» (voir la définition du mot employeur à l'article 1 de la loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3).

 

 

Analyse et conclusion

[11]       Comme  l'écrivait récemment ma collègue la juge Dominique Bélanger dans Nadeau-Dubois c. Morasse (2013 QCCA  743)

La reconnaissance du statut d'intervenant relève largement de la discrétion de la Cour. Celle-ci doit porter un jugement d'opportunité sur l'intérêt que présente la présence du groupe qui cherche à entrer au litige pour la solution des questions posées.

[12]       Afin de porter ce jugement d'opportunité sur l'intérêt que présente la présence au dossier de Soins Direct (la partie qui cherche à intervenir), à la lumière des principes  de droit et des nombreux arrêts répertoriés par mon collègue le juge Clément Gascon dans Dunkin' Brands Canada Ltd. c. Bertico inc. (2013 QCCA 867), il me faut notamment analyser:

·        La nature du dossier : s'agit-il d'un débat portant sur des questions de droit public, de droit constitutionnel ou de droits fondamentaux (portant sur les Chartes) ou d'un litige privé;  et

·        La nature des questions en litige à décider : s'agit-il de questions de droit, de questions mixtes de droit et de faits ou de questions de fait ? En d'autres mots, dans quelle mesure les faits du dossier influencent-ils ou sont-ils susceptibles d'influencer le débat à faire et les conclusions à en tirer?

[13]       De l'étude faite par mon collègue le juge Gascon dans Dunkin' Brands Canada Ltd. c. Bertico inc. (2013 QCCA 867) et des autorités qu'il y cite, je retiens que les principes suivants doivent me servir de guides :

·        Le juge saisi d'une demande d'intervention possède une large discrétion;

·        S'il y a lieu de faire preuve d'ouverture à l'intervention en présence d'un dossier de droit public, de droit constitutionnel ou de droits fondamentaux, beaucoup de prudence s'impose dans le cas d'un litige privé;

·        Le seul fait qu'un arrêt de la Cour soit susceptible d'impacter sur la situation de la partie qui cherche à intervenir ou sur d'autres litiges, nés ou anticipés, ne suffit pas;

·        le fardeau de démontrer que les parties au dossier ne sont pas en mesure d'offrir à la Cour tout l'éclairage requis et souhaitable pour trancher le débat dont elle est saisie repose sur la partie qui souhaite intervenir;

·        L'intervention ne doit pas être source de répétition;

·        L'opportunité de la mesure est tributaire, notamment, de l'évaluation de ses avantages et de ses inconvénients, dont ses effets sur le déroulement du dossier;

·        L'intervenant doit pouvoir aider la Cour à trancher le débat précis et limité dont elle est saisie - l'objectif n'est pas de transformer le débat ou d'en étendre la portée. Ainsi, l'examen de l'opportunité de l'intervention doit se faire concrètement et non théoriquement;

·        La position des parties au dossier doit être prise en compte, tout spécialement lors d'un dossier de litige privé;

·        En tout temps, les principes de proportionnalité et de maintien d'un juste équilibre dans le rapport de force entre les parties concernées doivent être pris en compte.

 

[14]       Appliquant ce qui précède au faits du présent dossier, je conclu qu'il y a lieu de refuser l'intervention recherchée et de rejeter la requête.

·        Il s'agit d'un litige privé essentiellement tributaire des faits mis en preuve.

·        La prudence est de mise.

·        À mon avis, l'intervention proposée ne présente aucun avantage, mais plusieurs inconvénients.

·        Le seul fait que jugement de notre Cour puisse avoir un impact sur  la suite des choses entre Soins Direct et l'ARQ ne suffit pas à justifier l'intervention recherchée.

·        Comme le plaide l'ARQ, rien ne permet d'affirmer que la situation factuelle dans laquelle se trouve Soins Direct est identique ou comparable à celle de l'Appelante.

·        Soins Direct ne réussit pas à me convaincre que les parties au dossier ne sont pas en mesure d'offrir à la Cour tout l'éclairage nécessaire ou utile à  la solution du litige qui les oppose, au contraire.

·        Je ne vois pas en quoi la présence de Soins Direct pourrait aider la Cour à trancher le débat dont elle est saisie.

·        Il ne saurait être utile ou opportun de débattre de la relation entre l'Appelante et ses clients, alors que ceux-ci ne sont pas des parties au dossier et qu'ils n'y ont jamais été appelés. 

·        Bref, l'intervention proposée donnerait lieu à  des échanges théoriques ayant pour effet de transformer le débat ou d'en étendre la portée, ce qui n'est ni souhaitable, ni opportun.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA SOUSSIGNÉE :

[15]       REJETTE la requête pour intervention, avec dépens.

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.