Décision

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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Lemieux et autres) c. Université de Sherbrooke

2013 QCTDP 15

JP1249

 
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

Saint-François

 

 

 

N° :

450-53-000004-107

 

 

 

 

 

 

DATE :

2 juillet 2013

 

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

Michèle Pauzé

 

 

AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS :           

 

Me Claudine Ouellet

Me Luc Huppé

 

 

 

 

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, agissant en faveur des personnes décrites ci-dessous comme « PARTIES PLAIGNANTES »

 

            Partie demanderesse

 

c.

 

Université de Sherbrooke

 

et

 

ASSOCIATION DES INGÉNIEURS-PROFESSEURS DES SCIENCES APPLIQUÉES DE L'UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

 

            Parties défenderesses

 

et

 

PIERRE F. LEMIEUX, GÉRARD BALLIVY, J. PETER JONES, DENIS PROULX, RICHARD THIBAULT, KENNETH W. NEALE ET GILLES JASMIN

 

            Parties plaignantes

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

 

 

[1]           Le Tribunal des droits de la personne (ci-après cité le « Tribunal ») est saisi d’une demande introductive d’instance[1] de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[2] (ci-après citée la « Commission ») qui agit au nom de cinq plaignants[3] soit : Pierre F. Lemieux, Denis Proulx, Richard Thibault, Kenneth W. Neale et Gilles Jasmin.

[2]           La Commission allègue que les plaignants, qui étaient assujettis à la convention collective conclue le 4 juillet 2006 (ci-après citée la « convention collective de 2006 ») entre l'Université de Sherbrooke[4] (ci-après citée l'« Université ») et l'Association des ingénieurs-professeurs des sciences appliquées de l'Université de Sherbrooke[5] (ci-après citée l'« Association »), ont été privés de recevoir la même indemnité de retraite que les autres ingénieurs-professeurs assujettis à cette convention collective, ce qui a porté atteinte à leur droit d’être traités en pleine égalité, sans distinction ou exclusion fondée sur l’âge, le tout en contravention des articles 10, 13, 16 et 19 de la Charte.

[3]           La Commission allègue également que les défenderesses ont porté atteinte au droit des plaignants à la sauvegarde de leur dignité sans distinction fondée sur l’âge, contrevenant ainsi aux articles 4 et 10 de la Charte.

[4]           Dans sa demande, la Commission recherche les conclusions déclaratoires suivantes[6] :

D’ACCUEILLIR la présente demande;

DE CONSTATER que les paragraphes[7] 2 et 3 de l'article 7-6.04 de la convention collective 2006-2010 constituent de la discrimination fondée sur l'âge à l'égard des ingénieurs-professeurs dont les noms apparaissent à la Lettre d'entente conclue par les défenderesses le 4 juillet 2006;

DE DÉCLARER que les paragraphes 2 et 3 de l'article 7-6.04 et la Lettre d'entente du 4 juillet 2006 sont sans effet;

DE DÉCLARER que la lettre d’entente du 4 mars 2011 est illégale et sans effet quant aux plaignants PIERRE F. LEMIEUX, DENIS PROULX, RICHARD THIBAULT, KENNETH W. NEALE ET GILLES JASMIN.

[5]           De plus, la Commission réclame, pour chacun des cinq plaignants, des dommages matériels, un montant de 6 000 $[8] à titre de dommages moraux, ainsi qu'un montant de 5 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs. Le tout avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec[9] depuis la signification de la proposition de mesures de redressement, soit le 3 juin 2010, pour les dommages moraux, et à compter du jugement pour les dommages punitifs, ainsi que les dépens.

[6]           À l’audience les parties conviennent de certaines admissions au sujet des documents déposés et déjà communiqués aux parties respectives, dont les consentements des plaignants, les extraits des conventions collectives ainsi que les lettres d’entente du 4 juillet 2006 et du 4 mars 2011.

I.          LA MISE EN CONTEXTE

[7]           À l'époque de la signature de la convention collective de 2006, les plaignants sont tous ingénieurs-professeurs à l’emploi de l’Université et représentés par leur syndicat, l’Association. Ils sont tous couverts par cette convention collective en vigueur du 4 juillet 2006 au 31 mai 2010.

[8]           Le litige porte sur les deuxième et troisième alinéas de l’article 7-6.04 de la convention collective de 2006. Cette disposition se lit comme suit :

ALLOCATION DE RETRAITE

7-6.04 L'I.P. régulière ou l'I.P. régulier âgé entre cinquante-cinq (55) ans et soixante-neuf (69) ans a droit au moment de sa retraite ou au début de sa retraite graduelle à une allocation de retraite d'un montant équivalant à un (1) mois de son traitement annuel, pour chaque année de service à temps complet à titre d'I.P. à l'emploi de l'Université, jusqu'à un maximum de douze (12) mois.

Nonobstant le paragraphe précédent, l'I.P. régulière ou l'I.P. régulier, dont le nom apparaît sur la lettre d'entente intitulée « Liste des I.P. régulières et I.P. réguliers concernés par l'article 7-6.04 », bénéficie, l'année précédant la date de son départ à la retraite, des seules modalités suivantes :

Un dégagement de sa charge de travail correspondant à :

-            pour l'I.P. régulière ou l'I.P. régulier âgé de 61 ans à la date de la signature de la convention : 80% de dégagement;

-            pour l'I.P. régulière ou l'I.P. régulier âgé de 62 ans à la date de la signature de la convention : 60% de dégagement;

-            pour l'I.P. régulière ou l'I.P. régulier âgé de 63 ans à la date de la signature de la convention : 40% de dégagement;

-            pour l'I.P. régulière ou l'I.P. régulier âgé de 64 ans à la date de la signature de la convention : 20% de dégagement;

Par la suite, elle ou il ne peut bénéficier d'aucun autre avantage lié à l'allocation de retraite.

[9]           La lettre d’entente a été signée le 4 juillet 2006 et contient la liste de 11 ingénieurs-professeurs âgés de plus de 61 ans à cette date, dont les 5 plaignants. Cette lettre d'entente se lit ainsi :

LETTRE D'ENTENTE

entre

L'UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

(ci-après appelée «l'Université»)

et

L'ASSOCIATION DES INGÉNIEURS-PROFESSEURS DES SCIENCES APPLIQUÉES DE L'UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

(ci-après appelée «l'AIPSA»)

Liste des I.P. régulières et I.P. réguliers concernés par l'article 7-6.04

Les I.P. dont les noms suivent bénéficieront durant l'année précédant leur départ à la retraite des modalités de l'article 7-6.04 :

En date du 1er juillet 2006 :

NOM

AGE EN DATE DE LA SIGNATURE DE LA CONVENTION

POURCENTAGE DU DÉGAGEMENT DE LA CHARGE DE TRAVAIL

Ballivy, Richard

Cloutier, Louis

Galanis, Nicolas

Lemieux, Pierre F.

Proulx, Denis

Thibault, Richard

Johns, Kenneth

Jones, Peter

Neale, Kenneth

Jasmin, Gilles

Van Hoenacker, Yves

65 ans

68 ans et 6 mois

67 ans et 2 mois

65 ans et 11 mois

65 ans et 8 mois

63 ans et 11 mois

62 ans

61 ans et 9 mois

61 ans et 9 mois

61 ans et 8 mois

61 ans et 4 mois

0%

0%

0%

0%

0%

40%

60%

80%

80%

80%

80%

                                    

EN FOI DE QUOI, les parties ont signé à Sherbrooke, ce 4e jour du mois de juillet 2006.

[La lettre est signée par les représentants de l'Université, de même que par les représentants de l'Association, ainsi que par deux témoins.]

[10]        La lettre d’entente vise donc à remplacer l’indemnité de départ à la retraite par un dégagement de la charge de travail selon l’âge de l’ingénieur-professeur. Les plaignants Denis Proulx et Pierre F. Lemieux, âgés de plus de 65 ans, n’auraient droit à aucun dégagement, Richard Thibault, 63 ans, aurait droit à 40 % de dégagement tandis que Kenneth W. Neale et Gilles Jasmin, tous deux âgés de 61 ans, auraient droit à 80 % de dégagement selon cette lettre d’entente.

[11]        Informés des négociations et des ententes prises à leur sujet et après de vaines démarches auprès de l'Association, comme nous le verrons plus tard, les plaignants dont les noms apparaissent dans la lettre d’entente du 4 juillet 2006 portent plainte à la Commission, le 19 mars 2007.

[12]        Comme aucune entente n’intervient, la Commission dépose, en leur nom, une demande introductive d’instance, le 29 décembre 2010.

[13]        Le 4 mars 2011, l’Université et l’Association concluent une autre lettre d’entente qui fait état de la plainte déposée auprès de la Commission et des mesures de redressement proposées par cette dernière, mais qui ne mentionne pas les procédures intentées par la Commission devant le Tribunal. Par cette lettre d’entente, l’Université et l’Association conviennent de ce qui suit :

Considérant la plainte déposée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse - dossier SHE-018269;

Considérant qu'une des mesures de redressement proposées par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse implique la reconnaissance que les paragraphes 2 et 3 de l'article 7-6.04 ont un effet discriminatoire;

Considérant que l'article 9.07 de la convention collective précédente, soit celle signée le 26 mars 2002, n'a jamais fait l'objet de contestation ni de la part des ingénieurs-professeurs, ni d'aucune autre instance ou individu;

Considérant que l'article 9.07, cité au paragraphe précédent, a été remplacé par les articles 7-6.04 et 7-6.05 de la convention signée le 4 juillet 2006.

Considérant que lors de la négociation portant sur le renouvellement de la convention collective échue depuis le 31 mai 2005, les parties ont convenu de répartir les ressources financières disponibles de la façon suivante : alignement de la rémunération des ingénieurs-professeurs sur celle prévalant dans les autres universités comparables, ajout de plusieurs échelons aux échelles de traitement existantes, dont quatre (4) échelons supplémentaires à l'échelle de traitement des ingénieurs-professeurs titulaires au terme de la nouvelle convention (31 mai 2009) ;

Les parties conviennent de ce qui suit :

Les articles 7-6.04 et 7-6.05 de la convention collective signée le 4 juillet 2006 sont abrogés en date de la signature de la présente, et ce, rétroactivement au 4 juillet 2006.

L'article 9.07 de la convention collective signée le 26 mars 2002 est réactivé et est considérée [sic] comme partie intégrante de la convention collective signée le 4 juillet 2006 pour valoir jusqu'au 31 décembre 2010.

À compter du 1er janvier 2011, seules les conditions afférentes aux allocations de retraite prévues au premier paragraphe de l'article 7-6.04 signée [sic] le 4 juillet 2006 ainsi que celles prévues à l'article 7-6.05 s'appliquent jusqu'au renouvellement de la convention collective.

Les parties s'entendent pour inclure le premier paragraphe de l'article 7-6.04 dans l'éventuelle prochaine convention collective étant convenu que cet article pourra faire l'objet de négociation.

Les ingénieurs-professeurs qui ont pris leur retraite depuis le 4 juillet 2006 pourront choisir de bénéficier de la présente lettre d'entente, à savoir les conditions de retraite anticipée mentionnées à l'article 9.07. Les ajustements aux allocations de départ à la retraite seront apportés conformément à cette entente, moins ce que l'ingénieur-professeur a déjà reçu à titre d'allocation de départ à la retraite.

La présente entente est faite sans admission de responsabilité par l'une ou l'autre des parties.

Cette lettre d'entente modifie la présente convention collective et elle demeure en vigueur jusqu'au renouvellement de la convention collective.

En foi de quoi les parties ont signé ce 4e jour du mois de mars 2011.

[La lettre est signée par les représentants de l'Université et de l'Association, ainsi que par deux témoins.]

[14]        Cette lettre d’entente, selon les défenderesses, vise à mettre fin au litige en faisant renaître les effets de l’article 9.07 de la convention collective signée le 26 mars 2002 (ci-après citée la « convention collective de 2002 »), faisant disparaître, de ce fait, le fondement du présent litige.

[15]        L’article 9.07 de la convention collective de 2002, auquel la lettre d’entente du 4 mars 2011 fait référence se lit comme suit :

RETRAITE ANTICIPÉE

9.07     L'I.P. régulière permanente ou l'I.P. régulier permanent peut prendre une retraite anticipée sur préavis de trois (3) mois si cette personne est âgée d'au moins cinquante-trois (53) ans à la date du début de la retraite et si elle a travaillé à titre d'I.P. au moins quinze (15) ans à l'emploi de l'Université.

La retraite anticipée débute le 1er janvier, le 1er mai ou le 1er septembre.

Lorsque l'I.P. prend une retraite anticipée, cette personne a droit, sous forme d'un montant forfaitaire, à une allocation de retraite dont le montant est déterminé de la façon suivante en fonction de l'âge atteint et de son traitement annuel au moment de la retraite anticipée :

64 ans -            vingt pour cent (20 %) de son traitement au moment de la retraite anticipée.

63 ans -            quarante pour cent (40 %) de son traitement au moment de la retraite anticipée.

62 ans -            soixante pour cent (60 %) de son traitement au moment de la retraite anticipée.

61ans -             quatre-vingts pour cent (80 %) de son traitement au moment de la retraite anticipée.

53 à 60 ans inclusivement -   

cent pour cent (100 %) de son traitement au moment de la retraite anticipée.

Ce bénéfice s'applique au prorata du régime d'emploi de l'I.P.

L'allocation de retraite est versée au moment du départ ou selon les modalités convenues entre l'Université et l'I.P.

[16]        Le 17 mai 2011, l’Université saisit le Tribunal d’une requête en irrecevabilité et pose la question suivante :

Tenant pour acquis, sans en décider, que la lettre d'entente signée le 4 mars 2011 par l'Université et l'Association, produite à l'audience sous la cote R-4, a un effet rétroactif, le litige est-il devenu purement théorique ou hypothétique et par voie de conséquence, le Tribunal peut-il se prononcer sur ce point de droit s'il n'est plus nécessaire de le faire pour régler le pourvoi?

[17]        Le Tribunal rejette la requête le 11 octobre 2012 au principal motif suivant :

Le Tribunal partage le point de vue de la Commission que la situation des plaignants était entièrement cristallisée avant la conclusion de la lettre d'entente du 4 mars 2011. L'Université et l'Association ne peuvent unilatéralement faire disparaître le fondement de la demande une fois que les droits des plaignants sont exercés devant le Tribunal.  La rétroactivité  de la lettre d'entente ne peut anéantir un droit qui serait déjà né en vertu de la Charte et qui serait déjà exercé devant le Tribunal.[10]

II.         LES FAITS

            A. Les plaignants

                  1.   Monsieur Richard Thibault

[18]        Monsieur Thibault était âgé de 63 ans et 11 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il a travaillé à temps plein à l'Université du 1er juin 1967 jusqu'au moment de sa retraite, le 1er mai 2009. Même s'il est actuellement retraité, il occupe le poste de chargé de cours à l’Université et il est également consultant.

[19]        Monsieur Thibault s’est impliqué auprès de la Faculté de génie de l’Université et auprès de la communauté étudiante durant toute sa carrière. Détenteur d’un diplôme de troisième cycle, il y a occupé diverses fonctions. Outre professeur, il a aussi été vice-doyen et doyen de la Faculté de génie de l’Université. Il a participé à l’informatisation de la Faculté de médecine de l’Université de même que fondé le « Groupe de la dimension humaine de l’ingénierie ». Monsieur Thibault a reçu de nombreux prix d’excellence pour ses réalisations. Il est aussi l’auteur de nombreuses publications spécialisées.

[20]        En prévision du renouvellement de la convention collective, le témoin reçoit, le 30 mai 2006, un avis de convocation à une assemblée générale qui aura lieu le 6 juin 2006. Cet avis est accompagné des documents pertinents.

[21]        C’est en consultant ces documents que monsieur Thibault prend connaissance de la clause particulière sur les retraites. Il en comprend que lorsque la convention collective de 2006 sera signée, il n’aura plus droit à l’allocation de retraite, même si les autres membres du syndicat y auront droit, car il a plus de 61 ans.

[22]        Avec ses collègues, messieurs Pierre F. Lemieux et Denis Proulx, il décide de remettre en question la nouvelle clause de retraite et entame des démarches.

[23]        Le 2 juin 2006, les trois plaignants écrivent au vice-recteur, monsieur Jean Desclos, afin de lui faire part du problème et lui demander qu'une rencontre ait lieu pour en discuter. La rédaction de la lettre se fait en collégialité et monsieur Lemieux se charge de l’expédier au destinataire après que tous l’aient dûment signée. Monsieur Thibault explique qu'ils n'ont pas reçu de réponse du vice-recteur.

[24]        Monsieur Thibault participe à l’assemblée générale du 6 juin 2006, avec ses confrères messieurs Pierre F. Lemieux, Denis Proulx et Kenneth W. Neale. Il est alors question de la nouvelle convention collective et il est clairement énoncé que le but des négociations est d’obtenir la parité salariale avec l’École Polytechnique de Montréal. Suivent alors les explications et des discussions concernant les allocations de départ à la retraite et, plus précisément, le fait que les ingénieurs-professeurs âgés de plus de 61 ans ne pourront plus recevoir les allocations de retraite, mais auront plutôt droit à un dégagement de leur charge de travail durant la dernière année avant leur départ, s’ils sont admissibles.

[25]        Une disposition transitoire est offerte, mais il faut que le professionnel quitte son poste avant le 1er septembre 2006. Donc, si l’ingénieur-professeur désire demeurer à l’emploi de l’Université, seul un dégagement de sa charge de travail sera possible. À cette assemblée du 6 juin, l’entente de principe est votée et acceptée. Les plaignants présents votent contre la proposition.

[26]        Après le vote, un certain mécontentement règne dans la salle et quelques personnes s’expriment au sujet du traitement réservé aux ingénieurs-professeurs âgés de 61 ans et plus dans la nouvelle convention collective.

[27]        Le témoin se souvient que madame Cécile Smeesters, qui participe à l’assemblée, demande si l'Association peut intervenir et elle formule une proposition afin d’exprimer aux autorités universitaires le mécontentement à l’égard du traitement réservé aux ingénieurs-professeurs âgés de plus de 61 ans. La proposition se lit comme suit :

Sur la proposition de Cécile Smeesters et secondée par Jean Lapointe, Dominique Lefebvre exprimera auprès des autorités universitaires du mécontentement des membres de l’assemblée à propos de la discrimination à l’égard des ingénieurs-professeurs âgés de 61 -65 ans.

[28]        Monsieur Thibault fait remarquer que la proposition est sans effets puisque la convention collective vient d’être adoptée avec une forte majorité par la même assemblée.

[29]        Bien qu’il en connaissait le contenu depuis le 6 juin 2006, ce n’est que plusieurs semaines plus tard que monsieur Thibault voit le texte de la lettre d’entente, car cette dernière n’était pas jointe à la version papier de la convention collective de 2006 qu’il a reçue. Le témoin précise qu’habituellement les lettres et annexes sont toujours placées à la fin du document. Il aura fallu une demande expresse afin de l’obtenir.

[30]        Le 2 octobre 2006, monsieur Thibault et ses deux collègues, messieurs  Pierre F. Lemieux et Denis Proulx, s’adressent au président de l’Association afin d’obtenir un avis juridique de l’avocat du syndicat sur la validité de la clause, car celle-ci serait discriminatoire sur la base de l’âge. Bien qu’il ait reçu un accusé de réception, il n’y a pas eu de suite à leur demande.

[31]        Le 26 février 2007, ils écrivent à nouveau à monsieur Dominique Lefebvre, président de l’Association, et réitèrent leur demande d’avis juridique. Monsieur Lefebvre les réfère directement à Me Richard Cleary.

[32]        Le 19 mars 2007, monsieur Thibault et ses confrères s’adressent à la Commission afin de déposer une plainte en discrimination contre leur employeur et leur syndicat.

[33]        Au moment de son départ à la retraite, le 1er mai 2009, monsieur Thibault a plus de 66 ans. Il ne reçoit aucune allocation de retraite et ne bénéficie pas d'un dégagement de sa charge de travail de 40% l’année précédant son départ, car, depuis 2002, il occupait un poste administratif de directeur de programme des cycles supérieurs et bénéficiait déjà d’un dégagement de 50 % de sa charge de travail d’enseignement. Il confirme que l’Université ne lui a jamais offert de dégagement de sa charge de travail lié à sa retraite.

[34]        En octobre 2010, une assemblée a lieu afin de voter sur une nouvelle lettre d’entente, qui annulerait l’effet de la précédente et remettrait les parties sous les effets de la clause prévue à la convention collective de 2002. Le témoin comprenait que si les modifications étaient adoptées, elles auraient pour objectif d’éliminer la clause litigieuse et d'ainsi faire disparaître le fondement de la plainte devant la Commission.

[35]        C’est avec le sentiment d’avoir été trahi par son employeur et par son syndicat que le témoin exprime la déception qu'il a ressentie au moment où il a pris connaissance du texte des modifications proposées et de leurs effets. Il ne peut concevoir que son employeur, qu’il a servi pendant plus de 40 ans, et que son association syndicale, de laquelle il a été membre durant toute sa vie professionnelle à l’Université, modifient rétroactivement la convention collective pour le priver d’un droit dont les autres membres de l'Association pourront bénéficier au moment de prendre leur  retraite.

[36]        Monsieur Thibault relate les sacrifices qu’il a faits pour sauvegarder des postes dans les moments les plus difficiles, ainsi que sa contribution au rayonnement de l’Université par la qualité de son travail. Il souligne le fait qu’il a été l'un des trois négociateurs de la toute première convention collective de son association. Il a vécu tout cela « comme une claque au visage ».

[37]        Contre-interrogé par le procureur de l’Université, monsieur Thibault précise qu’avant le 1er mai 2009, date à laquelle il a pris sa retraite, il n’a pas fait de demande de retraite anticipée ou graduelle. S’il avait pris sa retraite le 4 juillet 2006, en vertu de la convention collective de 2006, il n’aurait pas eu droit à la pleine allocation de 12 mois de salaire, mais à 40% de dégagement de sa charge de travail alors que, en vertu de la convention collective de 2002, il aurait eu droit à 40% du traitement annuel. Il précise qu’il savait que s’il prenait sa retraite à l’âge de 65 ans, il n’avait plus droit à aucune allocation de retraite ni dégagement de sa charge de travail. Monsieur Thibault ajoute que si son nom figure à la lettre d’entente du 4 juillet 2006, c’est en raison de son âge.

[38]        À une question du procureur de l’Association, monsieur Thibault explique que lors de l’assemblée du 6 juin 2006 portant sur la convention collective de 2006, après la présentation des nouvelles conditions salariales et des modalités de retraite, il constate que tous les ingénieurs-professeurs de 61 ans et plus n’ont plus droit au bénéfice de l’allocation de retraite, mais uniquement à un dégagement de leur charge de travail. À ses yeux, il y a discrimination fondée sur l’âge. Le témoin précise qu’après qu’il ait exprimé son inquiétude face à un possible effet discriminatoire de la clause de retraite, le président de l’Association lui fait part que si l’Association doit retourner devant l’Université pour renégocier cette clause, ils risquent de perdre les gains faits sur le plan salarial, notamment la parité avec l'École Polytechnique de Montréal et que ce serait un retour à la case départ.

[39]        Ré-interrogé par la Commission, monsieur Thibault précise qu’il connaissait les modalités de retraite sous la convention précédente, soit la convention collective de 2002, et que s’il n’a pas pris sa retraite alors, c’est qu’il n’était pas prêt; il ajoute qu’« on prend sa retraite quand on est prêt ».

                  2.   Monsieur Pierre F. Lemieux

[40]        Monsieur Pierre F. Lemieux était âgé de 65 ans et 11 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il a travaillé à temps plein à l'Université du 15 juillet 1965 jusqu'au moment de sa retraite, le 1er janvier 2009. Il n'a bénéficié d’aucune allocation de retraite ni de dégagement de sa charge de travail.

[41]        Après ses études, monsieur Lemieux débute sa carrière à l'Université comme chargé d’enseignement et gravit les échelons jusqu’au titre de professeur titulaire, qu’il obtient en 1977. Entre 1983 et 2005, le témoin occupe aussi divers postes administratifs, dont celui de vice-doyen à la recherche. Monsieur Thibault rédige diverses publications, réalise des projets de recherche, avec des étudiants des cycles supérieurs, et participe à plusieurs comités spécialisés.

[42]        Quelques semaines avant la tenue de la réunion du 6 juin 2006, il reçoit par courriel un avis de convocation pour une assemblée générale syndicale ainsi qu’un document « PowerPoint » présentant un extrait du texte expliquant les clauses de la nouvelle convention collective à être votée à l’assemblée. Après une discussion avec ses confrères, messieurs Thibault et Proulx, il réalise que ses droits seront affectés par la nouvelle convention.

[43]        Le 1er juin 2006, monsieur Lemieux transmet un courriel à monsieur Dominique Lefebvre, président de l'Association, afin de fixer une rencontre ayant pour but d'obtenir des explications sur les nouvelles clauses de retraite. Toutefois, son courriel demeurera sans réponse.

[44]        Le 2 juin suivant, il transmet une lettre, cosignée par messieurs Denis Proulx et Richard Thibault, au vice-recteur, monsieur Jean Desclos, afin de l’informer de la situation qui lui parait injuste et inéquitable.

[45]        Le témoin participe à l’assemblée générale du 6 juin 2006, au cours de laquelle monsieur Dominique Lefebvre présente la nouvelle convention collective. Il explique tout d'abord les clauses salariales et poursuit en présentant les nouvelles dispositions des clauses de mise à la retraite. Par la suite, monsieur Lemieux intervient pour demander que l’Association retourne auprès de l’Université pour faire retirer la clause 7-06.04 et proposer que la convention collective ne soit pas signée sans que cette clause ne soit enlevée.  Le président de l’Association explique alors que ce n’est pas possible de retourner à la table de négociation, car ce serait un recul et remettrait en cause les gains obtenus. À la suite de cette réponse de monsieur Lefebvre, monsieur Lemieux quitte les lieux avant même la tenue du vote.

[46]        Le 7 septembre 2006, monsieur Lemieux transmet une lettre au recteur, monsieur Bruno-Marie Béchard, l’informant de la situation injuste créée par l’adoption de la nouvelle convention collective qui exclut les ingénieurs-professeurs âgés de 61 ans et plus.

[47]        Le 2 octobre 2006, monsieur Lemieux et ses deux collègues, messieurs  Thibault et Proulx, s’adressent au président de l’Association afin d’obtenir un avis juridique de l’avocat du syndicat sur la validité de la clause.

[48]        Le 16 octobre 2006, monsieur Lemieux reçoit une lettre du vice-recteur Jean Desclos. Ce dernier y explique que la convention est maintenant signée et en vigueur et qu’il ne peut y avoir d’exception puisqu’elle établit les conditions de travail  « pour l’ensemble des membres de l’unité d’accréditation ».

[49]        Des démarches sont ensuite entreprises pour consulter le Syndicat des professeures et professeurs de l’Université de Sherbrooke (ci-après cité « SPPUS ») qui représente l’ensemble des professeurs de l’Université à l’exception des ingénieurs-professeurs.  Monsieur Lemieux écrit au SPPUS en fournissant tous les documents pertinents et demande un avis sur la suite des choses et les recours à exercer, s’il y a lieu.

[50]        Le 26 février 2007, monsieur Lemieux et ses collègues écrivent à nouveau à monsieur Dominique Lefebvre, président de l’Association, au sujet de leur demande d’avis juridique et annoncent leur intention de porter plainte à la Commission « qui saura trancher ». Monsieur Lefebvre leur répond le même jour en les enjoignant de tenter de rejoindre Me Richard Cleary eux-mêmes, car « ça fait deux semaines [que] je cherche à le rejoindre ».

[51]        En mars 2007, le témoin demande d’avoir une copie de la lettre d’entente du 4 juillet 2006 qui n'était pas jointe à la copie de la convention collective de 2006 qu'il avait reçue. Après la réception de la lettre d'entente, monsieur Lemieux et ses collègues s’adressent à la Commission et déposent une plainte de discrimination fondée sur l’âge contre l'Université et l'Association.

[52]        Le 14 octobre 2010, une assemblée générale extraordinaire des membres de l'Association est convoquée afin de proposer une nouvelle lettre d’entente afin de régler la plainte devant la Commission. Les documents pertinents sont transmis par courriel avec l’avis de convocation. Monsieur Lemieux se souvient d’avoir participé à la réunion lors de laquelle un vote a lieu visant l'adoption de la nouvelle lettre d’entente.

[53]        Le témoin explique que cette nouvelle entente n'a eu aucun effet sur sa situation et sur celle des quatre autres plaignants, encore parties au présent recours. Ils n'ont eu droit à aucune allocation de retraite. Il ajoute que cette entente a permis à monsieur Ballivy de toucher une allocation de retraite, ce qui expliquerait pourquoi il s'est désisté du présent recours.

[54]        Le témoin précise que, selon sa perception, toute l’opération n’est que de la « magouille ». Monsieur Lemieux se sent frustré, car malgré toutes les années de service qu’il a consacrées l’Université, l'Association a refusé de le défendre le 6 juin 2006. Le tout s’est effectué dans un laps de temps très court qui, selon lui, les a empêchés de réagir dans les temps requis. Le témoin décrit un sentiment « d’écœurement » qui résume la façon dont il s’est senti devant la situation.

[55]        Contre-interrogé par le procureur de l’Université, monsieur Lemieux explique qu’il n’a pas fait de demande de retraite avant 2009, car il n’avait pas l’intention de prendre sa retraite avant l'âge de 69 ans. En date du 3 juillet 2006, de même que sous le régime de la convention collective de 2006, le témoin n’avait pas droit à l’allocation de retraite, car il avait plus de 65 ans. Le témoin savait aussi qu’en vertu de la convention collective de 2006, il bénéficierait d’une augmentation de salaire, comme tous ses confrères. Monsieur Lemieux n’a pas jugé bon de faire de grief ni de s’adresser à la Commission des relations du travail pour défaut de représentation de son syndicat.

[56]        À une demande de précision du procureur de la Commission, monsieur Lemieux explique qu’en date de la signature de la convention collective de 2002 il avait 61 ans et qu’il n’y avait pas de dispositions à l’époque qui étaient source d’inquiétude pour lui, puisqu’il n’avait pas l’intention de prendre sa retraite avant l'âge de 69 ans. Ce n’est que lorsqu'il a pris connaissance des dispositions de la convention de 2006 qu’il a réalisé qu’il n’aurait plus droit à une allocation de retraite au moment où il choisirait de quitter.

                  3.   Monsieur Gilles Jasmin

[57]        Monsieur Gilles Jasmin était âgé de 61 ans et 8 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il a commencé à travailler à temps plein pour l'Université le 2 août 1976 et il a pris une retraite anticipée à compter du 1er septembre 2006. Il a eu droit à une allocation de retraite équivalent à 80 % de son traitement annuel.

[58]        Le témoin présente son parcours professionnel et précise qu’il préférait l’enseignement à la recherche. Il a dirigé des recherches d’étudiants, supervisé de nombreux projets en génie électrique et rédigé une vingtaine de publications. Sa contribution majeure fut l’élaboration d’un simulateur de ligne de transport d’énergie électrique et de quatre simulateurs de centrales hydro-électriques.

[59]        Monsieur Jasmin n’assiste pas à la réunion du 6 juin 2006, mais est informé du contenu de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 et de la lettre d’entente par des confrères et par des demandes d’informations auprès de l’Université et de l'Association.

[60]        Monsieur Jasmin réagit mal quand il apprend que la nouvelle convention collective ne lui accorde plus d’allocation de retraite s’il reste à son poste. Il poursuit en expliquant que c’est avec découragement, révolte et rage qu’il vit la situation. Il ajoute qu’il est issu d’un milieu ouvrier et qu’il est le seul à avoir complété des études; il a d’ailleurs travaillé énormément pour obtenir un doctorat. Il décrit cette période comme un moment difficile, car il se sent obligé de quitter, ne voulant pas « tout perdre ».

[61]        Le témoin affirme que s’il ne prenait pas sa retraite pendant la période transitoire de la convention collective de 2006, il perdait le droit à l’allocation de retraite équivalent à 80% de son traitement annuel. Il a alors décidé de quitter son poste le 1er septembre 2006 afin de conserver son droit.

[62]        La décision de partir est difficile à prendre, car monsieur Jasmin aimait l’enseignement et a même gagné le prix du meilleur professeur en 2004. Il croyait pouvoir prendre sa retraite à l'âge de 65 ans. À l’époque, il avait des enfants à la maison et ne concevait pas de perdre toute allocation de retraite. Il quitte « à contrecœur » et ne retourne plus jamais à l'Université, ni ne participe aux activités ou aux réunions, car il est révolté et a l’expérience « sur le cœur », selon ses dires. N’eût été des nouvelles dispositions de la convention collective de 2006 sur les retraites, monsieur Jasmin serait demeuré à son poste de professeur qu’il aimait tant.

[63]        En contre-interrogatoire, monsieur Jasmin explique qu’il connaissait les dispositions de la convention collective de 2002, laquelle prévoyait une mise à la retraite dégressive jusqu'à l'âge de 65 ans. Il prévoyait prendre sa retraite à 65 ans,  mais il aurait pu choisir de partir avant s’il se sentait trop fatigué pour continuer. Il savait qu’il pouvait avoir un dégagement de sa charge de travail s’il demeurait en poste. Il avoue ne pas avoir été intéressé par la mesure, car il aimait enseigner.

                  4.   Monsieur Kenneth W. Neale

[64]        Monsieur Kenneth W. Neale était âgé de 61 ans et 9 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il travaillait à temps plein pour l'Université depuis le 4 septembre 1970. Il a annoncé le 4 juillet 2006 qu'il prendrait d'abord une retraite graduelle à partir du 1er janvier 2007 et ensuite sa retraite définitive au plus tard le 1er janvier 2010. Il a effectivement pris sa retraite le 1er janvier 2010, mais n'a bénéficié d'aucun dégagement de sa charge de travail en raison de sa retraite ni d'allocation de retraite. Il est maintenant professeur associé depuis 2010 et professeur émérite de l’Université depuis 2012, titre honorifique décerné à seulement 10 professeurs en 60 ans d’existence. À ce jour, monsieur Neale  poursuit des recherches sans être employé par l’Université.

[65]        Durant sa carrière universitaire, monsieur Neale a été récipiendaire de nombreux prix d’excellence, de bourses et de distinctions. Il a notamment été nommé membre de la Société royale du Canada en 2008. Il a été l’auteur ou le coauteur de plus de 300 articles scientifiques, de 12 livres et monographies et a dirigé des dizaines d’étudiants des cycles supérieurs. De 2002 à 2009, il a été titulaire d'une chaire de recherche du Canada à la Faculté de génie de l’Université et, pour cette raison, il avait une charge d’enseignement réduite à trois crédits par année.

[66]        Monsieur Neale reçoit l’avis de convocation pour la réunion du 6 juin 2006 accompagné des documents pertinents. À la lecture, sa compréhension de la clause de retraite est à l’effet qu’en raison du fait qu’il a 61 ans, il n’a pas les mêmes droits que les autres. Au lieu d'avoir droit à une allocation de retraite, on lui propose un dégagement de sa charge de travail, ce qui ne l’intéresse pas.

[67]        Il participe à l’assemblée générale de juin 2006 sans toutefois intervenir, car il laisse à ses collègues le soin de poser des questions. Il vote contre la nouvelle convention collective, et ce, même si cette convention lui accorde une augmentation de salaire par l’ajout de deux échelons. Il se souvient qu'après la présentation générale, ses confrères, plaignants en l'espèce, ont posé des questions et que le président de l'Association est intervenu au sujet de la proposition de retourner négocier la clause de retraite avec l’Université. Le président aurait déclaré que ce serait repartir à zéro, ce qui impliquait de tout remettre sur la table. Il ajoute qu’il avait l’impression que la clause pouvait être discriminatoire malgré une perception différente de la part des autres membres qui n’étaient pas touchés par cette clause.

[68]        Monsieur Neale corrobore le témoignage de monsieur Thibault concernant la proposition de madame Cécile Smeesters et se souvient que la proposition a été approuvée par l’assemblée générale parce que les gens semblaient être mal à l’aise de l’exclusion des ingénieurs-professeurs plus âgés.

[69]        Monsieur Neale explique qu’avant la signature de la convention collective de 2006, il a rencontré le doyen d’alors afin de s’assurer qu’il pourrait continuer sa tâche de titulaire d'une chaire de recherche du Canada.

[70]        Monsieur Neale ne prend connaissance de la lettre d’entente du 4 juillet 2006 que vers le printemps 2007, grâce aux démarches effectuées par monsieur Pierre F. Lemieux, car au moment où il a reçu la copie papier de la convention collective de 2006, la lettre n’y était pas jointe.

[71]        Le témoin précise qu'il ne pouvait pas avoir de dégagement de sa charge de travail au cours de l'année précédant sa retraite. En effet, comme il était titulaire d'une chaire de recherche, sa charge d'enseignement était déjà réduite. Il avait ainsi une charge maximale d'enseignement de trois crédits aux études supérieures par an, charge de cours qui devait avoir lieu soit à des sessions d'été ou d'automne.

[72]        Le 14 octobre 2010, une assemblée syndicale extraordinaire a lieu au sujet de la nouvelle lettre d'entente du 4 mars 2011. Puisqu’il est concerné, monsieur Neale participe à titre d’observateur car, à cette date, il est déjà à la retraite et n’est plus membre de l’Association. Il comprend que cette démarche entreprise par l'Université et l'Association vise à faire disparaître le fondement du présent recours en abrogeant la clause de retraite litigieuse de la convention collective de 2006 et en la remplaçant par l'ancienne clause, durant une certaine période de temps. Le témoin exprime sa grande déception, car alors qu’il croyait que son syndicat allait proposer un compromis, il découvre plutôt la lettre d’entente du 4 mars 2011. L’assemblée sera ajournée au 24 février 2011, mais cette fois, il n’y participe pas.

[73]        L’expérience lui a fait vivre toute une gamme d’émotions, mais surtout de la déception à l'égard de l’Université qui se doit d’être un modèle pour la société. Monsieur Neale avait de la difficulté à comprendre pourquoi elle agissait de la sorte sachant que cela était nettement discriminatoire. Il ajoute qu’il était encore plus déçu de son syndicat, car il s'agissait, depuis le début, d'une association solidaire de ses membres. Il raconte que, par le passé, tous les membres ont accepté une baisse de salaire afin de préserver les postes de jeunes professeurs non permanents. Il se sent délaissé par les autres membres, car « il est vieux ».

[74]        Monsieur Neale termine en précisant qu’il était au courant des dispositions des clauses de retraite sous la convention collective de 2002 qui prévoyait une retraite dégressive. Il savait également qu'en vertu de la lettre d'entente du 4 mars 2011, il n'aurait pas droit de recevoir une allocation de retraite, car il était âgé de plus de 64 ans au moment de sa retraite.

                  5.   Monsieur Denis Proulx

[75]        Monsieur Denis Proulx était âgé de 65 ans et 8 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il a travaillé à temps plein à l'Université du 15 août 1969 jusqu'au moment de sa retraite, le 1er mai 2009. Il n'a reçu aucune allocation de retraite ni eu droit à aucun déchargement de sa charge de travail durant l'année précédant son départ à la retraite. De 2009 à 2013, il a obtenu le titre de professeur associé à l'Université et a continué à enseigner. 

[76]        Monsieur Proulx est détenteur d’un doctorat de l’Université de Grenoble. Particulièrement intéressé par la vie administrative de la faculté, le témoin a occupé diverses fonctions au sein du département et de la Faculté de génie mécanique et a été membre de nombreux comités, dont président du comité sur la réforme du programme de génie mécanique. Il a d’ailleurs obtenu le Prix institutionnel de la qualité de l’enseignement en 1999-2000.

[77]        Monsieur Proulx confirme, à l'instar de ses confrères, avoir reçu l'avis de convocation pour la réunion du 6 juin 2006 ainsi que les documents pertinents attachés au courriel. Il précise que les documents consistent en l’ordre du jour de la rencontre ainsi qu'en des extraits de la convention collective proposée.

[78]        Le témoin comprend qu'en conséquence de la nouvelle clause de mise à la retraite, il n'a plus le choix, il a le sentiment qu'on lui impose le moment de sa retraite et que la nouvelle convention l'exclut en raison de son âge. Monsieur Proulx comprend que l'Association et l’Université agissent en « collusion » afin d’exclure les ingénieurs-professeurs âgés de 61 ans et plus des bénéfices de leur retraite.

[79]        Monsieur Proulx contacte ses confrères, messieurs Lemieux et Thibault, afin de vérifier sa compréhension de la clause. Les trois collègues s’entendent pour écrire au vice-recteur afin de faire corriger ce qui leur apparaît être une injustice. Ils lui transmettent la lettre le 2 juin 2006. Tel que mentionné précédemment, leur lettre demeure sans réponse.

[80]        Monsieur Proulx participe à la réunion du 6 juin et intervient avec vigueur pour s’opposer aux dispositions de départ à la retraite. Il vote d’ailleurs contre la proposition. Selon lui, les membres de l'Association votent majoritairement en faveur de la nouvelle convention collective en raison de l’obtention de la parité salariale avec l’École Polytechnique de Montréal. À ce moment, monsieur Proulx se sent sacrifié et exclu par son syndicat et par son employeur, car désormais, les ingénieurs-professeurs de 61 ans et plus n'auront plus droit à l'allocation de départ à la retraite que prévoyait l'ancienne convention collective[11].

[81]        Le 12 juin suivant, en raison du comportement de l'Université, il écrit au recteur, monsieur Bruno-Marie Béchard, et l'informe qu'il refuse de recevoir un prix de leadership décerné au mérite chaque mois par l’Université. Le 29 juin suivant, le recteur lui répond et mentionne qu’il n’est pas possible de « reprendre le processus qui a mené à la conclusion de cette entente ».

[82]        Monsieur Proulx confirme les démarches effectuées pour obtenir un avis juridique de l'Association sur la discrimination fondée sur l’âge prévue dans la convention collective de 2006. Il confirme également le cheminement qui a mené au dépôt de la plainte à la Commission.

[83]        Au sujet de la lettre d'entente du 4 mars 2011 visant à faire disparaître le fondement du litige, il confirme qu’elle a fait l’objet de discussions à la réunion du 14 octobre 2010 à laquelle il a assisté et qui était présidée par monsieur François Boone, président de l’Association. Lors cette rencontre, monsieur Proulx sent qu’il « se fait avoir une deuxième fois », que le seul objectif de cette nouvelle lettre d’entente est d’exclure expressément les plaignants en l'instance et de « s’arranger pour qu’il n’y ait plus de cause ». Le vote n'a pas lieu ce jour-là et la réunion est ajournée à une autre date en raison, selon le témoin, de l'inquiétude concernant les conséquences sur les autres membres de l'Association et les effets sur les droits des plaignants en l'espèce.

[84]        Le 24 février 2011, la réunion se poursuit et monsieur Proulx est également présent. L'avocat de l'Association explique les effets de la nouvelle lettre d’entente que le témoin qualifie de « magouille ». Monsieur François Boone, président de l'Association, ajoute qu’il n’y aura pas d’impact sur les membres qui ont pris leur retraite entre 2006 et 2010, sauf à l'égard des plaignants en l'instance.

[85]        Monsieur Proulx exprime la stupéfaction qu'il a ressentie à la lecture des documents qu'il a reçus le 30 mai 2006.   Il croyait d’abord à l’erreur, car il ne pouvait croire que l’on voulait délibérément exclure les professeurs « les plus séniors de la faculté ». Il poursuit en exprimant sa déception et sa tristesse devant les évènements qu’il qualifie d’opérations de collusion entre l'Association et l’Université. Il pense « qu’il aurait été tellement facile de faire autre chose que ça ».

[86]        En contre-interrogatoire, monsieur Proulx explique qu’il savait que s’il avait pris sa retraite le 3 juillet 2006, à l'âge de 65 ans et 8 mois, il n’avait droit à aucune allocation de retraite et qu’en 2002, alors qu'il était âgé de 61 ans, la clause de retraite était dégressive. Il n’avait pas l’intention de prendre sa retraite avant l'âge de 65 ans et admet qu'il a bénéficié des augmentations de salaire conférées aux autres ingénieurs-professeurs.

            B. L'Université

[87]        En défense, l’Université prétend qu’elle avait la liberté de négocier avec l’Association les modalités de la convention collective touchant, entre autres, les régimes de retraite de ses ingénieurs-professeurs comme elle l’a fait pendant de nombreuses années.

[88]        De plus, avant et après le 4 juillet 2006, l’Université a établi des programmes qui avaient pour but de renouveler le corps professoral en tenant compte des diverses contraintes budgétaires. La convention collective de 2006 a été négociée dans cet esprit.

                  1.   Madame Caroline Hamel

[89]        Madame Caroline Hamel, actuaire de formation, est conseillère en ressources humaines à l’Université depuis juin 2000. Dans le cadre de son travail, elle s'occupe des régimes de retraite. Elle rencontre ainsi les candidats à la retraite et leur en explique les modalités.

[90]        Référant à un affidavit déposé préalablement, le témoin explique que pendant la période de mars 2002 au 3 juillet 2006, quelques ingénieurs-professeurs ont pris une retraite anticipée et d’autres une retraite graduelle. Ils ont reçu l’allocation de retraite correspondant aux années de service, à leur âge au moment de la retraite et au montant alloué selon leur salaire respectif. Elle poursuit en expliquant qu’en vertu de la convention collective de 2002, si l'ingénieur-professeur prenait sa retraite avant l'âge de 60 ans, il recevait une année de salaire et, par la suite, l’allocation de retraite devenait dégressive jusqu’à l'âge de 65 ans.

[91]        Interrogée au sujet de la convention collective de 2006, madame Hamel explique les modifications apportées au régime de retraite et le remplacement de l’allocation de retraite par le dégagement de la charge de travail pour les ingénieurs-professeurs âgés de 61 à 64 ans.

[92]        Une période transitoire, soit de la date de la signature de la convention au 1er septembre 2006, est prévue dans cette convention et permet aux ingénieurs-professeurs qui le souhaitent et qui sont admissibles de faire une demande de retraite et de se prévaloir du régime prévu à la convention collective de 2002. Sept ingénieurs-professeurs se sont prévalus de cette option. De ce nombre, seuls messieurs Neale et Jasmin sont parmi les plaignants en l'espèce. Après la fin de cette période transitoire, seul un dégagement de leur charge de travail peut être accordé aux ingénieurs-professeurs âgés de 61 ans et plus au moment de la signature de la convention collective de 2006.

[93]         Madame Hamel confirme également que les cinq premières personnes dont le nom apparaît dans la lettre d’entente du 4 juillet 2006 n’ont pas droit à un dégagement de leur charge de travail en raison de leur âge. Parmi celles-ci figurent messieurs Pierre F. Lemieux et Denis Proulx, plaignants dans le présent dossier et qui sont âgés de 65 ans et plus au moment de la signature de la convention collective de 2006.

[94]        Elle affirme qu’elle a été témoin de la signature de cette lettre d’entente, mais qu'elle n’a pas été impliquée dans le processus de négociation.

[95]        En contre-interrogatoire, madame Hamel explique que le régime de retraite de l’Université s’applique à tous les employés et que l’âge normal de la retraite est de 65 ans, mais que, dès l'âge de 55 ans une retraite anticipée est possible et qu’une retraite facultative est aussi possible jusqu’à l'âge de 69 ans. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une retraite « ajournée ».

[96]        Madame Hamel confirme avoir vérifié qui avait pris sa retraite entre 2006 et 2010 et si ces personnes seraient affectées par la signature de la lettre d’entente du 4 mars 2011. On voulait savoir quel serait l’effet de la lettre d’entente à l'égard de ces personnes.

                  2.   Monsieur Jean-Pierre Rousseau

[97]        Monsieur Rousseau est détenteur d’un baccalauréat spécialisé en géographie et d’une maîtrise en gestion. De 1994 à 2007, il était responsable des relations de travail, plus particulièrement des négociations des conventions collectives et du règlement des griefs. Il représentait l’Université auprès des syndicats ou des associations de travailleurs. Il a pris sa retraite en janvier 2007. Depuis cette date, l'Université a retenu ses services dans le cadre de certains dossiers.

[98]        Son implication dans le processus de négociation se résumait à être soit le porte-parole ou le numéro deux à la table des négociations. Lors de la négociation de la convention collective de 2006, il était membre de l’équipe de négociation de l’Université.

[99]        Monsieur Rousseau décrit ensuite de manière plus détaillée son implication dans les négociations des conventions collectives de 1999, 2002 et 2006, et explique les différentes modalités, les avantages sociaux ainsi que les mesures de retraite applicables aux ingénieurs-professeurs. Son témoignage corrobore celui de madame Hamel concernant les différentes modalités de retraite telles que le dégagement de la charge de travail.

[100]     Le témoin précise qu’il n’y a pas eu de contestation sur le caractère dégressif de la mesure relative à la retraite contenue dans la convention collective de 2002, et ce, malgré les balises fondées sur l’âge.

[101]     Le témoin fait état des objectifs poursuivis par les parties lors de la négociation de la convention collective de 2006. Il évoque les revendications de l’Association qui visaient notamment un rattrapage salarial, soit d'atteindre la parité avec l’École Polytechnique de Montréal, tandis que les revendications de l’Université visaient plutôt une augmentation de la tâche des professeurs et une renégociation des paramètres du programme de retraite.

[102]     Les coûts engendrés par les augmentations de salaire devant être compensés ailleurs, le témoin qualifie ce qui a été fait lors de cette négociation de « rebrassage des programmes de retraite et préretraite ». L’Université souhaitait modifier les programmes d’incitation à la retraite par un programme de rétention des ingénieurs-professeurs. On a donc remplacé le caractère dégressif de la retraite par une allocation de retraite équivalent à un mois de salaire par année de services jusqu’à concurrence d’un an de salaire.

[103]     Monsieur Rousseau explique en ces termes la raison d'être de la distinction existant dans l'article 7-06.04 entre les ingénieurs-professeurs âgés de 61 ans et plus et ceux âgés de moins de 61 ans au moment de la signature de la convention collective de 2006. Selon monsieur Rousseau, certains ingénieurs-professeurs, en raison de leur âge, avaient tacitement renoncé au bénéfice de l'allocation de retraite que leur accordait la convention collective de 2002. Il aurait été inéquitable que ces derniers puissent voir renaître ce droit avec la convention collective de 2006, et ce, par rapport aux autres ingénieurs-professeurs ayant décidé de prendre leur retraite en vertu de la convention collective de 2002.

[104]     Le témoin décrit ensuite les critères utilisés afin de confectionner la liste des ingénieurs-professeurs contenue à la lettre d’entente du 4 juillet 2006. Il s’agissait, selon lui, des ingénieurs-professeurs qui avaient renoncé aux bénéfices de la convention collective de 2002 sur la retraite anticipée ou qui n’y avaient pas droit. Il ajoute que cette lettre d'entente n'était pas jointe à la version papier de la convention collective de 2006 transmise aux ingénieurs-professeurs parce qu'elle contenait des informations nominatives.

[105]     Monsieur Rousseau précise que la convention collective de 2006 contenait des augmentations de salaire substantielles pour tous les ingénieurs-professeurs et qu’elle comportait de nouvelles échelles salariales comparativement à la convention collective de 2002. Il ajoute que les plaignants ont bénéficié de ces avantages.

[106]     Monsieur Rousseau explique qu'il a obtenu un mandat spécial afin d’élaborer la lettre d’entente du 4 mars 2011. Il a constaté le désaccord entre l’Université et certains ingénieurs-professeurs concernant la lettre d'entente du 4 juillet 2006 et a tenté « d’adoucir » la situation des ingénieurs-professeurs concernés. Il indique aussi que le rapport de la Commission avait fait réfléchir l’Université.

[107]     En contre-interrogatoire, monsieur Rousseau précise qu’il a vérifié les conséquences que pourrait avoir la lettre d’entente du 4 mars 2011 et qu’aucun ingénieur-professeur n’a eu à rembourser quoi que ce soit en raison de cette lettre d’entente.

            C. L'Association

                  1.   Monsieur François Boone

[108]     Professeur depuis 2001, monsieur Boone est impliqué à l’Association de 2001 à 2010, occupant d'ailleurs le poste de président de 2007 à 2010. Il a été le négociateur de l’Association dans le cadre de la négociation menant à la signature de la convention collective de 2006.

[109]     Il confirme que la priorité lors de cette négociation était l’atteinte de la parité salariale avec l'École Polytechnique de Montréal ainsi que de l’équivalence avec les  régimes de retraite du Syndicat des professeures et professeurs de l’Université de Sherbrooke (SPPUS).

[110]     Monsieur Boone explique que l’Association n’était pas d’accord avec la demande patronale relative à la retraite, néanmoins l’Association a accepté la clause en recherchant l’atteinte de l’équité envers tous ses membres. De plus, un refus de la part de l’Association aurait entraîné un retour à la table des négociations et la perte de certains acquis quant aux propositions salariales.

[111]     Le témoin a présenté la lettre d’entente du 4 mars 2011 lors de l'assemblée générale extraordinaire du 14 octobre 2010 comme une réponse à la résolution de la Commission. Il indique avoir consulté le service des ressources humaines et avoir passé en revue la liste de toutes les personnes susceptibles d’être touchées par cette lettre d’entente. Il n'y a pas eu de vote ce jour-là concernant la lettre d'entente. Par la suite, il a quitté pour un congé de maladie.

[112]     Contre-interrogé par le procureur de la Commission, le témoin admet qu’il y avait des « bruits de couloir » sur le caractère discriminatoire de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006, mais qu’il a fallu faire des choix. L’Association n’a pas obtenu d’avis juridique sur la question.

III.        LE DROIT

            A. Les questions en litige

[113]     Le présent litige soulève les questions suivantes :

1)    L'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 contrevient-il à l'une ou l'autre des dispositions de la Charte?

2)    Dans l'affirmative, la lettre d'entente du 4 mars 2011 a-t-elle pour effet d'empêcher la Commission de faire valoir cette contravention?

3)    Quelle est la responsabilité des défenderesses à l'égard de cette contravention à la Charte?

4)    Quelle est la réparation appropriée dans les circonstances?

5)    Le Tribunal devrait-il décliner compétence en raison de l'existence d'un forum plus approprié?

            B. Les dispositions législatives pertinentes

[114]     La réclamation de la Commission est fondée sur les dispositions suivantes de la Charte :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.


10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.


13. Nul ne peut, dans un acte juridique, stipuler une clause comportant discrimination.

Une telle clause est sans effet.


16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.


19. Tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit.

Il n'y a pas de discrimination si une différence de traitement ou de salaire est fondée sur l'expérience, l'ancienneté, la durée du service, l'évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire, si ces critères sont communs à tous les membres du personnel.

Les ajustements salariaux ainsi qu'un programme d'équité salariale sont, eu égard à la discrimination fondée sur le sexe, réputés non discriminatoires, s'ils sont établis conformément à la Loi sur l'équité salariale (chapitre E-12.001).

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[115]     La Commission invoque aussi les articles 6 et 7 du Code civil du Québec, qui se lisent comme suit :

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

            C. Les prétentions des parties

[116]     La Commission est d'avis que le Tribunal est compétent à l'égard de la réclamation puisqu'elle concerne le processus ayant mené à l'adoption et à l'insertion, dans la convention collective de 2006, d'une clause qu'elle considère discriminatoire. Selon la Commission, le deuxième alinéa de l'article 7-6.04 de cette convention collective, ainsi que la lettre d'entente du 4 juillet 2006 qui en formait partie intégrante, excluent les personnes appartenant à un certain groupe d'âge - soit les ingénieurs-professeurs âgés de 61 ans ou plus en date du 4 juillet 2006 - et leur imposent un traitement distinct quant au versement d'une allocation de retraite.

[117]     La Commission prétend qu'une telle exclusion est contraire aux articles 16 et 19 de la Charte. Ces dispositions étaient applicables tant au moment de la négociation que de l'adoption et de la mise en œuvre de la convention collective de 2006. La Commission affirme également que ni l'Université, ni l'Association, ne peuvent invoquer le moyen de défense prévu à l'article 20 de la Charte. Les moyens que les défenderesses soulèvent exigent une analyse comparative de la convention collective de 2006 avec celle de 2002, alors que ces conventions collectives sont applicables à des périodes distinctes et prévoient des avantages différents.

[118]     La Commission est d'avis que les plaignants ne pouvaient être privés des avantages de la convention collective de 2006 pour la raison qu'ils auraient implicitement renoncé - en s'abstenant de s'en prévaloir - aux bénéfices de la convention collective de 2002 en ce qui a trait à leur retraite. Les plaignants ne pouvaient renoncer que de manière explicite à leur droit d'être traités en pleine égalité.

[119]     N'est pas non plus recevable, selon la Commission, l'argument voulant que l'exclusion des plaignants du bénéfice accordé par le premier alinéa de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 résulterait d'une mesure d'équité envers les ingénieurs-professeurs qui s'étaient prévalus des avantages liés à la retraite avant le 4 juillet 2006. Ces deux groupes ne sont pas régis par la même convention collective. La comparaison pertinente doit plutôt se faire entre les plaignants et les autres ingénieurs-professeurs réguliers à l'emploi de l'Université au 4 juillet 2006.

[120]     La Commission soumet que la lettre d'entente du 4 mars 2011 n'a pas rendu théorique son recours devant le Tribunal, la situation des plaignants ayant été cristallisée avant la conclusion de cette lettre d'entente.

[121]     La Commission avance que les parties défenderesses doivent être tenues solidairement responsables des dommages subis par les plaignants, puisqu'elles ont participé conjointement à la négociation de la convention collective. L'Association ne peut se réfugier derrière la volonté de protéger l'intérêt collectif de ses membres. Elle ne s'est pas fermement opposée à la mesure discriminatoire. L'attribution de dommages punitifs est requise pour dénoncer les stratagèmes utilisés par les défenderesses, dont la lettre d'entente du 4 mars 2011, qui constitue un facteur aggravant et démontre le caractère intentionnel de l'acte discriminatoire.

[122]     L'Université soumet tout d'abord que le recours de la Commission est devenu théorique suite au dépôt de la lettre d'entente du 4 mars 2011. Selon elle, les parties à la convention collective de 2006 pouvaient la modifier rétroactivement au moyen de cette lettre d'entente, une telle pratique étant légale en droit du travail. Le dépôt de cette lettre d'entente a pour conséquence que les dispositions de la convention collective à la base du litige sont réputées n'avoir jamais existé. Le recours de la Commission n'a donc plus de fondement.

[123]     L'Université affirme aussi que la Commission n'a pas satisfait au fardeau de preuve applicable, car elle aurait dû démontrer soit une atteinte à la dignité, soit que la clause contestée traduisait des stéréotypes ou des préjugés. De plus, une telle analyse doit se faire en fonction de l'ensemble du régime mis en place.

[124]     Selon l'Université, la clause de la convention collective de 2006 qui est attaquée en l'instance ne contient aucune discrimination fondée sur l'âge. Si les plaignants se sont retrouvés exclus des avantages prévus au premier alinéa de l'article 7-6.04, ce n'est pas à cause de leur âge, mais en raison de leur choix personnel de ne pas se prévaloir des avantages de la convention collective de 2002. L'exclusion avait pour objet de ne pas faire renaître des droits auxquels les plaignants avaient consciemment renoncé. Il aurait été injuste que les plaignants puissent bénéficier d'une hausse salariale en plus de se voir reconnaître des avantages échus, alors que d'autres ingénieurs-professeurs dans la même situation qu'eux s'étaient déjà prévalus des avantages de la convention collective de 2002 en matière de retraite. Ainsi, selon l'Université, l'âge ne constituait qu'un facteur parmi d'autres pour définir ou distinguer les individus se trouvant dans une situation particulière.

[125]     L'Université affirme que le Tribunal ne peut ordonner le versement des allocations de retraite aux plaignants, puisqu'il se trouverait alors à se substituer aux parties qui ont négocié la convention collective de 2006 en leur imposant un texte autre que celui sur lequel elles se sont entendues. Le Tribunal doit laisser les parties à la convention collective le soin d'identifier elles-mêmes, par la négociation, le moyen adéquat de faire cesser toute discrimination. L'Université ajoute que l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 et les lettres d'entente du 4 juillet 2006 et du 4 mars 2011 ne démontrent pas de mauvaise foi de sa part ou d'intention de porter atteinte aux droits des plaignants.

[126]     Tout en se ralliant aux prétentions de l'Université, l'Association ajoute que, selon le principe de la « plus grande adéquation », le Tribunal n'est pas le forum le plus approprié pour entendre la présente affaire. Les plaignants auraient pu déposer un grief devant un arbitre. Ils disposaient également d'un recours devant la Commission des relations du travail. N'ayant pas exercé ces recours, ils n'ont pas mitigé leurs dommages.

IV.       L'ANALYSE

            A. L'existence d'une contravention à la Charte

[127]     Le Tribunal doit d'abord déterminer si les deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 contreviennent à l'une ou l'autre des dispositions de la Charte, en raison du fait qu'ils contiendraient une discrimination fondée sur l'âge. L'article 10 de la Charte énonce que l'âge est un motif interdit de discrimination « sauf dans la mesure prévue par la loi ». En l'instance, les défenderesses n'invoquent aucune disposition législative qui aurait pour effet d'empêcher un examen de cette clause en vertu de la Charte.

[128]     L'article 10 de la Charte détermine les trois conditions requises pour permettre de conclure à l'existence d'une discrimination[12] :

1)    une distinction, exclusion ou préférence;

2)    fondée sur l'un des motifs énumérés, en l'occurrence l'âge;

3)    qui a pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance et l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne.

[129]     Le premier alinéa de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 énonce un principe général : l'ingénieur-professeur régulier âgé entre 55 et 69 ans a droit, au moment de sa retraite ou au début de sa retraite graduelle, à une allocation de retraite. Le montant de cette allocation équivaut à 1 mois de son traitement annuel pour chaque année de service à temps complet à titre d'ingénieur-professeur à l'emploi de l'Université, jusqu'à un maximum de 12 mois.

[130]     Puis, dans un second temps, les deuxième et troisième alinéas de cette disposition établissent un régime particulier à l'égard des ingénieurs-professeurs dont le nom apparaît à la lettre d'entente annexée à la convention collective : ces personnes n'ont pas droit au bénéfice attribué par le premier alinéa. À leur égard, la clause prévoit qu'ils ont plutôt droit, l'année précédant leur départ à la retraite, à un dégagement de leur charge de travail, dont l'ampleur diminue en fonction de l'âge de l'ingénieur-professeur au moment de la signature de la convention collective. Selon qu'il est âgé de 61, 62, 63 ou 64 ans à cette date, l'ingénieur-professeur a droit à un dégagement de 80 %, 60 %, 40 % ou 20 % de sa charge de travail. Par la suite, il ne peut bénéficier d'aucun autre avantage lié à l'allocation de retraite.

[131]     Le régime particulier prévu aux deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 ne vise donc que des employés âgés de 61 ans ou plus au 4 juillet 2006, puisqu'il ne prévoit aucun dégagement de la charge de travail pour un employé qui n'aurait pas atteint cet âge à cette date. La représentante de l'Université affectée aux ressources humaines a d'ailleurs confirmé que seuls les ingénieurs-professeurs âgés d'au moins 61 ans en date du 4 juillet 2006 et toujours à l'emploi de l'Université à cette date apparaissent à la lettre d'entente annexée à la convention collective[13]. Cinq d'entre eux, dont les plaignants Pierre F. Lemieux et Denis Proulx, sont à la fois privés du droit à une allocation de retraite et du droit à un dégagement de leur charge de travail, étant donné qu'ils étaient âgés de 65 ans ou plus à cette date.

[132]     L'effet concret de l'article 7-6.04 est donc le suivant. Tous les employés âgés de 60 ans ou moins au moment de la signature de la convention collective obtiennent le droit, au moment de leur retraite, à une allocation calculée en fonction de leur traitement annuel. Les employés dont le nom apparaît à la lettre d'entente du 4 juillet 2006 sont exclus du régime général qui s'applique à leurs collègues. Une première distinction est ainsi créée entre deux catégories d'employés.

[133]     Une autre distinction est créée par cette disposition quant à la nature du bénéfice accordé aux employés en rapport avec leur retraite. À cet égard, l'article 7-6.04 établit trois catégories d'employés. Pour ceux âgés de 60 ans ou moins au moment de la signature de la convention collective, le bénéfice est de nature monétaire, soit une allocation de retraite. Pour ceux âgés de 61, 62, 63 ou 64 ans à cette date, le bénéfice concerne la prestation de travail de l'employé et prend la forme d'un dégagement de leur charge de travail l'année précédant leur départ à la retraite. Les employés âgés de 65 ans ou plus au moment de la signature de la convention collective sont, quant à eux, privés de l'un ou l'autre de ces bénéfices.

[134]     L'article 7-6.04 contient une troisième distinction, concernant le mode de calcul du bénéfice auquel un employé a droit. Pour les employés âgés de 60 ans ou moins au moment de la signature de la convention collective, l'allocation de retraite est calculée en fonction du nombre d'années de service. Pour ceux des employés de 61 ans et plus ayant droit à un dégagement de leur charge de travail, le bénéfice dépend du nombre d'années qu'il leur reste avant d'atteindre l'âge de 65 ans et ce, indépendamment du nombre d'années de service qu'ils comptent au sein de l'Université.

[135]     Ce mode de calcul est susceptible de produire des écarts importants. Ainsi, un employé âgé de moins de 61 ans à la date de signature de la convention collective de 2006 pouvait avoir droit à une allocation de retraite équivalant à 12 mois de salaire s'il avait été à l'emploi de l'Université pendant 12 ans, mais un employé âgé de 65 ans à ce moment n'avait droit à aucun bénéfice, ni sous forme d'allocation de retraite, ni sous forme de dégagement de sa charge de travail, et ce, même s'il comptait trois fois plus d'années de service que son collègue plus jeune.

[136]     Le Tribunal considère qu'il est manifeste que l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 contient une distinction entre diverses catégories d'employés.

[137]     Il apparaît aussi clairement que cette distinction et cette exclusion sont fondées sur l'âge. Aux termes de cette disposition, l'identification des droits accordés à un employé au moment de sa retraite dépend essentiellement et uniquement de son âge à la date de la signature de la convention collective. Aucun facteur autre que cet âge ne permet de déterminer si c'est le premier alinéa qui s'applique à l'employé, ou bien les deuxième et troisième alinéas. De plus, aucun autre critère que l'âge n'est utilisé dans la lettre d'entente à laquelle renvoie l'article 7-6.04.

[138]     Les défenderesses prétendent que ce n'est pas en raison de leur âge que les plaignants ont été inscrits sur la lettre d'entente du 4 juillet 2006, mais en raison du fait que pendant qu'ils étaient régis par la convention collective de 2002, ils ont choisi de ne pas se prévaloir des dispositions qu'elle contenait en rapport avec la retraite anticipée ou la retraite graduelle. Ils auraient ainsi tacitement renoncé à se prévaloir de ces dispositions et c'est en raison de cette renonciation tacite que leur nom se retrouverait dans la lettre d'entente. Il s'agit là d'un argument spécieux, puisque c'est précisément et uniquement en raison de leur âge que les plaignants auraient pu se prévaloir des dispositions de la convention collective de 2002 traitant de ce sujet.

[139]     Ainsi, l'article 9.07 de la convention collective de 2002 permettait à un ingénieur-professeur de prendre une retraite anticipée s'il était âgé d'au moins 53 ans à la date du début de la retraite et s'il avait travaillé à ce titre au moins 15 ans à l'emploi de l'Université. Il avait alors droit à une allocation de retraite déterminée « en fonction de l'âge atteint » et de son traitement annuel au moment de la retraite anticipée : 20 % de son traitement s'il avait 64 ans, 40 % s'il avait 63 ans, 60 % s'il avait 62 ans, 80 % s'il avait 61 ans et 100 % s'il avait entre 53 et 60 ans. Aux termes de l'article 9.08 de la convention collective de 2002[14], le droit de prendre une retraite graduelle était ouvert à l'employé âgé d'au moins 55 ans et ayant travaillé à ce titre pendant au moins 5 ans à l'emploi de l'Université; ce droit s'exerçait à compter du moment où il atteignait 62 ans. C'est uniquement parce qu'ils se trouvaient dans le groupe d'âge identifié dans ces dispositions que les plaignants auraient pu s'en prévaloir.

[140]     L'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 contient donc un régime discriminatoire en ce qui a trait à l'une des conditions de travail des ingénieurs-professeurs qui y sont assujettis, ce qui est spécifiquement interdit par l'article 16 de la Charte. Puisque la convention collective de 2006 est un acte juridique, l'article 13 de la Charte prohibait aux parties d'y stipuler une clause comportant discrimination. Dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Centre Hospitalier Hôtel-Dieu de Sorel, le Tribunal écrivait ce qui suit à propos du contenu des conventions collectives :

[27] Dans le contexte de normes établies par négociation d'une convention collective, comme en l'espèce, cela signifie qu'en tout temps, peu importe qu'il s'agisse du moment de la négociation, de l'adoption ou de l'application de ces normes, les parties négociantes ou l'employeur, le cas échéant, ont l'obligation de s'assurer que les normes applicables respectent les caractéristiques de toutes personnes protégées par la Charte.

[28] En d'autres termes, il s'agit de mettre en place les conditions requises pour assurer l'égalité substantielle de toutes les personnes à l'emploi. Ainsi, toute caractéristique personnelle intrinsèquement liée à un motif protégé par la Charte ne peut être ni ignorée dans l'adoption d'une norme ni prise en compte dans son application pour traiter différemment les salariés concernés. Seules demeurent à titre d'exception, les aptitudes ou qualités requises par l'emploi qui, aux termes de la Charte, sont réputées non discriminatoires. Cette exception inscrite à l'article 20 exige cependant que l'employeur en fasse la preuve.[15]

(Nos soulignements)

[141]     Le Tribunal est d'avis que les plaignants ont été privés de la reconnaissance et de l'exercice, en pleine égalité, des droits qui leur sont reconnus par les articles 13 et 16 de la Charte, sans distinction ou exclusion fondée sur l'âge.

[142]     L'Université et l'Association contestent ce point de vue. Elles prétendent que l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 ne faisait que maintenir la situation dans laquelle les plaignants avaient volontairement et consciemment choisi de se placer en ne prenant pas avantage des dispositions de la convention collective de 2002 relatives à la retraite. Cette disposition aurait ainsi eu pour objet de préserver l'équité entre les plaignants, d'une part, et les ingénieurs-professeurs ayant choisi de se prévaloir des dispositions de la convention collective de 2002 concernant la retraite, d'autre part. Au moyen de cette mesure, les parties auraient voulu éviter de faire renaître, au bénéfice des plaignants, des droits auxquels ils avaient déjà renoncé.

[143]     Le Tribunal considère que cette prétention n'est pas fondée. La convention collective de 2002 et la convention collective de 2006 sont des actes juridiques distincts, qui recevaient respectivement application à des périodes différentes. Pour déterminer le caractère discriminatoire ou non discriminatoire de l'article 7-6.04, il faut s'en remettre à ce que prévoit la convention collective de 2006. L'analyse de la discrimination en l'instance ne consiste pas à comparer le régime prévu aux deux conventions collectives. Elle exige plutôt une comparaison entre le traitement réservé aux plaignants et celui accordé aux autres employés par la convention collective de 2006.

[144]     En outre, la comparaison entre les deux conventions collectives présente peu d'utilité, étant donné que les dispositions concernant les bénéfices afférents à la retraite sont foncièrement différentes de l'une à l'autre. À titre d'exemples de ces différences :

            1) l'âge minimal auquel s'ouvre le droit à l'allocation de retraite n'est pas le même : 53 ans en 2002 et 55 ans en 2006;

2)    l'âge maximal permettant d'obtenir une allocation de retraite est différent : 64 ans en 2002 et 69 ans en 2006;

3)    la durée de l'emploi précédant la retraite est différente : au moins 15 ans de service en 2002 et aucune durée minimum de service en 2006;

4)    le mode de calcul de l'allocation de retraite est différent : en 2002, il est calculé en fonction d'un pourcentage du traitement annuel de l'employé, selon son âge, alors qu'en 2006, il est calculé à raison d'un mois de traitement annuel par année de service.

[145]     Les parties à la convention collective de 2006 ont donc modifié entièrement les modalités d'encadrement de l'allocation de retraite des ingénieurs-professeurs et ont mis en place un nouveau système. Il s'agissait d'ailleurs d'un objectif déclaré de l'Université au cours des négociations, étant donné que les coûts du régime antérieur étaient jugés trop élevés. L'Université écrit ainsi, dans ses notes et autorités, que les défenderesses « ont convenu de transformer le régime antérieur visant le renouvellement du corps professoral en un régime visant la rétention du personnel »[16]. De toute évidence, ces modifications substantielles ont entraîné une rupture par rapport à la situation juridique dans laquelle se trouvaient les employés en vertu de la convention collective de 2002, quant à leur droit à une allocation de retraite.

[146]     Dès lors, la continuité que les défenderesses cherchent à établir à l'égard des seuls plaignants, entre leur situation en vertu de la convention collective de 2002 et le traitement qui leur est réservé par la convention collective de 2006, perd son sens. L'argument soulevé par les défenderesses aurait pu avoir du mérite si la convention collective de 2006 avait intégralement reproduit les dispositions de celle de 2002 en ce qui a trait au droit à une allocation de retraite. Tel n'est pas le cas. En ne se prévalant pas des dispositions de la convention collective de 2002, les plaignants ne peuvent manifestement pas avoir renoncé au régime nouveau et distinct inauguré dans la convention collective de 2006.

[147]     En outre, la prétention des défenderesses voulant qu'elles ne souhaitaient pas faire renaître, dans la convention collective de 2006, un bénéfice auquel les plaignants avaient renoncé, n'est pas supportée par le texte des conventions collectives. Celle de 2006 ne faisait pas renaître des droits antérieurs. Fondée sur une approche renouvelée de la mise à la retraite des professeurs, elle créait des droits nouveaux, différents de ceux accordés par la convention collective précédente. Si les défenderesses avaient rendu applicable le premier alinéa de l'article 7-6.04 aux plaignants, ces derniers n'auraient pas, de ce fait, récupéré des droits déjà éteints par leur propre décision. Au contraire, ils auraient eu accès, comme tous leurs collègues, à un bénéfice qui ne leur avait jamais été consenti antérieurement.

[148]     L'un des aspects du régime contenu dans la convention collective de 2006 est plus particulièrement fatal à la prétention des défenderesses. Aux termes de la convention collective de 2002, la dernière tranche d'âge permettant de recevoir une allocation de retraite était fixée à 64 ans. En vertu du premier alinéa de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006, il était dorénavant possible pour un employé de recevoir une allocation de retraite s'il prenait sa retraite avant l'âge de 70 ans. Ce droit est donc nouveau. Le Tribunal ne voit pas comment les plaignants, qui étaient tous âgés de moins de 70 ans au moment de la signature de la convention collective de 2006, pourraient avoir renoncé d'avance à ce droit parce qu'ils ne se seraient pas prévalus de la disposition antérieure, qui n'accordait aucune allocation de retraite pour les employés prenant leur retraite entre l'âge de 65 et 70 ans.

[149]     Même si les plaignants pouvaient avoir renoncé au bénéfice des dispositions de la convention collective de 2002 concernant la retraite, leur choix ne constitue aucunement une renonciation, à l'avance, à tout nouveau bénéfice que pourraient contenir les dispositions d'une convention collective ultérieure en ce qui a trait aux modalités de la retraite. Ce choix n'emporte pas non plus une renonciation de leur part au droit que la Charte leur accorde d'être traités sans discrimination dans le cadre de toute nouvelle convention collective négociée au cours des années à venir. Les conditions élaborées par la jurisprudence pour la renonciation à un droit protégé par la Charte ne sont pas présentes en l'instance[17].

[150]     Il est possible, comme le prétend l'Université, que les plaignants se retrouvent dans une meilleure situation que les ingénieurs-professeurs qui ont choisi de prendre leur retraite alors que la convention collective de 2002 était encore applicable. Mais cette considération ne peut justifier le traitement discriminatoire qui leur est réservé dans la convention collective de 2006, par rapport à ceux de leurs collègues qui étaient toujours en poste au moment de l'entrée en vigueur de cette convention collective. C'est entre les employés liés par la convention collective de 2006 que le Tribunal doit déterminer s'il existe une discrimination.

[151]     Sur la base d'une jurisprudence traitant principalement de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[18], mais aussi de l'article 10 de la Charte, l'Université soutient qu'une distinction fondée sur l'âge ne peut constituer une discrimination s'il n'existe pas, en plus, la présence de stéréotypes ou de préjugés[19]. Dans Québec (Procureur général) c. A.[20], un arrêt rendu postérieurement à la prise en délibéré du présent dossier, la Cour suprême du Canada a nuancé ce cadre d'analyse. Les motifs de la juge Abella, auxquels une majorité des membres de la Cour ont souscrit[21], écartent dorénavant l'obligation de démontrer la perpétuation de stéréotypes ou de préjugés, ou encore une atteinte à la dignité, pour pouvoir conclure à l'existence d'une discrimination :

[325]  Lorsqu’elle a mentionné les notions de préjugé et d’application de stéréotypes en reformulant, dans Kapp, le deuxième volet du critère de l’arrêt Andrews, la Cour n’entendait pas créer une nouvelle analyse pour l’application de l'art. 15.  L’arrêt Withler indique clairement que, « [e]n définitive, une seule question se pose : La mesure contestée transgresse-t-elle la norme d’égalité réelle consacrée par le par. 15(1) de la Charte? » (par. 2 (italiques ajoutés)).  Les préjugés et l’application de stéréotypes sont deux des indices susceptibles d’être utiles pour répondre à cette question; il ne s’agit pas, comme l’explique la professeure Sophia Moreau, d’éléments distincts du critère auquel doit satisfaire le demandeur […]

[327]  Il faut se garder de considérer que les arrêts Kapp et Withler ont pour effet d’imposer aux demandeurs invoquant l'art. 15 l’obligation additionnelle de prouver qu’une distinction perpétue une attitude imbue de préjugés ou de stéréotypes à leur endroit.  Une telle démarche s’attache à tort à la question de savoir s’il existe une attitude, plutôt qu’un effet, discriminatoire, contrairement aux enseignements des arrêts Andrews, Kapp et Withler. […]

[329]  C’est la leçon qui a été tirée de l’ancien critère fondé sur la « dignité », qui avait été établi dans Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1999 CanLII 675 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 497, et qui obligeait le demandeur à établir que la mesure contestée « perpétu[ait] ou favoris[ait] l’opinion que l’individu concerné est moins capable, ou moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne » (par. 51 (italiques ajoutés)).  Dans l’arrêt Kapp, notre Cour a reconnu que la protection de la « dignité » constitue un objectif fondamental de l’ensemble de la Charte, et non un élément additionnel distinct devant être prouvé par le demandeur dans le cadre de l’analyse relative à l’égalité :

 . . . la dignité humaine est une notion abstraite et subjective qui non seulement peut être déroutante et difficile à appliquer [. . .], mais encore s’est avérée un fardeau additionnel pour les parties qui revendiquent le droit à l’égalité . . . [En italique dans l’original; par. 22.] 

De même, les préjugés et l’application de stéréotypes ne représentent ni des éléments particuliers du critère établi dans l’arrêt Andrews, ni des catégories auxquelles doit se rattacher la plainte de discrimination.  Le demandeur n’a pas besoin de prouver que la loi qu’il conteste répand des attitudes négatives, un aspect essentiellement impossible à mesurer. 

[330]  Par conséquent, exiger d’un demandeur qu’il prouve qu’une distinction perpétue une attitude négative à son endroit serait lui imposer un fardeau dans une large mesure non pertinent, pour ne pas dire indéfinissable.[22]

(Nos soulignements)                                                                     (Italiques reproduits)

 

[152]     Dans les motifs des membres de la Cour qui n'ont pas souscrit aux motifs de la juge Abella, le passage suivant rejoint en partie cette position :

[180]  Ainsi, l’égalité réelle n’est pas violée par la seule imposition d’un désavantage. Elle est niée par l’imposition d’un désavantage injuste ou répréhensible, ce qui se produit, le plus souvent, lorsque ce désavantage perpétue un préjugé ou applique un stéréotype […].[23]

                                                                                                             (Nos soulignements)

[153]     Par ailleurs, le Tribunal considère que les propos suivants, tenus par la Cour suprême du Canada dans Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), peuvent être appliqués par analogie en l'instance :

Il ne fait aucun doute que si les dispositions sur la retraite obligatoire violent le par. 15(1), le refus de verser des prestations d'assurance-chômage aux personnes âgées de plus de 65 ans viole aussi assurément ce paragraphe, la justification de ce refus devant, le cas échéant, être démontrée en vertu de l'article premier de la Charte.  Les deux politiques établissent une distinction fondée sur la même "caractéristique personnelle" attribuée à un individu du simple fait qu'il appartient au même groupe de personnes, savoir qu'ayant passé l'âge de 65 ans, il ne fait plus partie de la population active.[24]

(Nos soulignements)                   (Italiques reproduits)

[154]     Les défenderesses n'ont pas expliqué pourquoi les avantages accordés aux plaignants en matière de retraite devraient être différents de ceux octroyés à leurs collègues plus jeunes. Ils n'ont pas expliqué pourquoi les employés âgés de 61 ans ou plus devraient nécessairement continuer d'être régis par le régime contenu dans la convention collective de 2002, alors qu'un régime distinct est appliqué aux autres employés encore en poste au moment de la signature de la convention collective de 2006. Le fait est que, pour la seule raison qu'ils sont nés avant une certaine date et qu'ils voulaient poursuivre leur emploi auprès de l'Université, les plaignants ont été traités différemment des autres employés.

[155]     Si besoin est, le Tribunal considère qu'une telle mesure est entièrement fondée sur des stéréotypes et des préjugés voulant que les individus perdent leur valeur professionnelle du seul fait qu'ils atteignent un certain âge, indépendamment de leurs capacités réelles.

[156]     Le Tribunal conclut donc que la Commission s'est acquittée de son fardeau de preuve quant au caractère discriminatoire de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 à l'égard des plaignants.

            B. La portée de la lettre d'entente du 4 mars 2011

[157]     La lettre d'entente du 4 mars 2011[25] abrogeait rétroactivement l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006. À cette date, tous les plaignants avaient déjà pris leur retraite et n'étaient plus des employés de l'Université. Bien que l'article 67 du Code du travail énonce qu'une convention collective « lie tous les salariés actuels ou futurs visés par l'accréditation »[26], le Tribunal tiendra pour acquis que cette lettre d'entente leur était néanmoins applicable, comme le prétendent les défenderesses.

[158]     L'objet de cette seconde lettre d'entente consistait à réactiver l'article 9.07 de la convention collective de 2002 et à l'intégrer à la convention collective de 2006, aux lieu et place de l'article 7-6.04, pour la période allant du 4 juillet 2006 au 31 décembre 2010. Les plaignants sont les seuls employés couverts par la convention collection de 2006 qui ont pris leur retraite pendant cette période. Cette portion de la lettre d'entente du 4 mars 2011 les vise donc spécifiquement, à l'exclusion de tout autre employé. Elle prolonge ainsi l'esprit de l'article 7-6.03[27] de la convention collective de 2006, qui permettait entre autres aux plaignants de se prévaloir de l'article 9.07 de la convention collective de 2002, pourvu qu'ils le fassent avant le 1er septembre 2006.

[159]     La lettre d'entente du 4 mars 2011 établit aussi qu'à compter du 1er janvier 2011, seules les conditions afférentes aux allocations de retraite prévues au premier alinéa de l'article 7-6.04, ainsi que celles prévues à l'article 7-6.05[28], s'appliquent jusqu'au renouvellement de cette convention collective. Cette mesure a eu pour effet de procurer certains avantages à monsieur Gérald Ballivy, qui était initialement l'un des plaignants en l'instance et qui a pris sa retraite le 18 juin 2011[29]. Les parties à la lettre d'entente du 4 mars 2011 se sont aussi entendues pour inclure le « premier paragraphe »[30] de l'article 7-6.04 dans une prochaine convention collective, étant convenu que cet article pourra faire l'objet de négociations.

[160]     Le préambule de la lettre d'entente du 4 mars 2011 fait référence à la plainte déposée par les plaignants auprès de la Commission. La preuve démontre que l'objectif avoué des signataires de la lettre d'entente était de priver cette plainte de tout fondement et de mettre ainsi fin à la poursuite qui avait déjà été intentée par la Commission devant le Tribunal. Après la signature de cette lettre d'entente, l'Université a d'ailleurs présenté une requête en irrecevabilité à l'encontre de la demande introductive d'instance de la Commission. Cette requête a été rejetée par le Tribunal le 11 octobre 2012. Dans son jugement, le Tribunal écrivait entre autres ce qui suit :

[40]        L'élément générateur de la demande en question commence par la conclusion de la convention collective contenant une clause faisant une distinction à l'égard des plaignants. De plus, s'ajoute le fait que plusieurs plaignants ont pris leur retraite en étant assujettis à cette convention collective. Enfin, un autre élément consiste dans le dépôt de plaintes auprès de la Commission qui ont conduit à la présente demande devant le Tribunal.

[41]        Comme l'a souligné le représentant de l'Association, c'est après mûres réflexions et en considérant les impacts financiers qui pourraient être dévastateurs pour l'Association, que des négociations ont été initiées par l'Association et l'Université, après le dépôt de la requête et de la saisine du tribunal.

[42]        Le processus de négociation de la convention collective et la lettre d'entente ne sont pas en cause[10].

[43]        Dans les circonstances, sans juger du bien-fondé de l'entente elle-même et de sa validité, l'objectif de la requête était d'écarter le recours de la Commission et le résultat du débat judiciaire en découlant.

[44]        Le Tribunal partage le point de vue de la Commission que la situation des plaignants était entièrement cristallisée avant la conclusion de la lettre d'entente du 4 mars 2011. L'Université et l'Association ne peuvent unilatéralement faire disparaître le fondement de la demande une fois que les droits des plaignants sont exercés devant le Tribunal.  La rétroactivité  de la lettre d'entente ne peut anéantir un droit qui serait déjà né en vertu de la Charte et qui serait déjà exercé devant le Tribunal. [31]

(Nos soulignements)      (Référence omise)

[161]     Bien que l'Université ait à nouveau fait valoir ce moyen d'irrecevabilité lors de l'audition au mérite, aucun argument additionnel à ceux déjà soumis au Tribunal lors de l'audition de la requête en irrecevabilité n'a été soulevé. Le Tribunal considère qu'il n'y a donc pas lieu d'en arriver à une conclusion différente à propos de cette question.

[162]     Par ailleurs, cette lettre d'entente ne règle en rien le traitement discriminatoire imposé aux plaignants. Certes, l'article 7-6.04 est abrogé pour la période pendant laquelle les plaignants - et seulement eux - ont pris leur retraite. Mais le premier alinéa de cette disposition, qui donne droit à une allocation de retraite, est immédiatement réactivé par la suite. L'effet de la lettre d'entente du 4 mars 2011 est donc similaire à celui de la convention collective de 2006 : tous les employés couverts par l'accréditation pourront bénéficier de l'allocation de retraite accordée par le premier alinéa de l'article 7-6.04, à l'exception des seuls plaignants. Pour une seconde fois, les plaignants font donc l'objet d'une distinction par rapport à leurs collègues, en étant à nouveau exclus du bénéfice de l'allocation de retraite prévu au premier alinéa de l'article 7-6.04.

[163]     Aucune raison n'a été fournie au Tribunal pour expliquer pourquoi les parties à cette lettre d'entente considéraient utile ou approprié de rendre rétroactivement applicable aux plaignants l'article 9.07 de la convention collective de 2002, même après leur départ à la retraite. Une telle mesure ne changeait rien à la situation de ces derniers. En effet, deux des plaignants, monsieur Gilles Jasmin et monsieur Kenneth W. Neale, s'étaient déjà prévalus de cette disposition en application de l'article 7-6.03 de la convention collective de 2006. Les trois autres plaignants avaient atteint, au moment de leur retraite respective, un âge qui ne leur donnait droit à aucune allocation de retraite en vertu de cet article 9.07. À quoi servait-il de leur rendre rétroactivement applicable cette disposition?

[164]     Le procès-verbal de l'assemblée générale de l'Association tenue le 24 février 2011 mentionne d'ailleurs qu'un membre de l'exécutif de l'Association « avait vérifié avec l'Université que la lettre d'entente n'avait pas d'impact sur des membres de l'AIPSA ayant pris leur retraite entre 2006 et 2010 »[32].

[165]     L'utilité de la lettre d'entente du 4 mars 2011 était donc d'un autre ordre pour les défenderesses. Elle visait à retirer de la convention collective une disposition qui était en vigueur lors de la retraite des plaignants et qui les avait alors empêchés de bénéficier de l'allocation de retraite offerte aux autres employés. Étant donné que les plaignants avaient déjà fait valoir leurs droits à ce sujet auprès de la Commission et que cette dernière s'était déjà adressée au Tribunal, le seul effet recherché était de créer l'apparence que le problème de discrimination soulevé dans les procédures de la Commission avait disparu. Dans les faits, la discrimination qui avait entre-temps frappé les plaignants au moment de prendre leur retraite n'était aucunement corrigée.

[166]     L'abrogation rétroactive du droit accordé par le premier alinéa de l'article 7-6.04 est donc entièrement factice. L'Université et l'Association ne peuvent tout simplement pas prétendre, sur la base de la lettre d'entente du 4 mars 2011, que l'article 7-6.04 n'a jamais existé. Cette disposition a été en vigueur pendant plusieurs années et elle a produit des effets juridiques à l'égard des plaignants. Son abrogation ne change rien à cette situation. De plus, donner un caractère rétroactif à cette abrogation ne fait pas disparaître les conséquences que la disposition a déjà produites. Le Tribunal ne peut être dupe d'un tel artifice.

[167]     Il n'est pas surprenant que cette lettre d'entente ait été très mal reçue par les plaignants et que ces derniers aient considéré qu'ils se faisaient avoir pour une deuxième fois. Tant dans son objectif que dans ses effets, cette lettre d'entente constitue une contravention à la Charte et une tentative, de la part de l'Université et de l'Association, d'échapper aux conséquences de leur conduite discriminatoire.

[168]     Le Tribunal en vient donc à la conclusion que la lettre d'entente du 4 mars 2011 n'empêchait pas la Commission de faire valoir les droits des plaignants devant le Tribunal et qu'elle ne rend pas sa demande irrecevable.

            C. La responsabilité des défenderesses

[169]     Les conclusions de la demande introductive d'instance sont dirigées tant contre l'Université que contre l'Association. Il est maintenant bien établi en jurisprudence que les deux parties à une convention collective engagent leur responsabilité en vertu de la Charte en raison des dispositions discriminatoires qu'elle contient[33]. Selon la jurisprudence, la partie qui souhaite se soustraire à cette responsabilité doit démontrer qu'elle n'a pas réellement exercé de discrimination et qu'elle s'y est même sincèrement opposée.

[170]     Le Tribunal n'a pas à porter de jugement quant à l'opportunité des choix effectués par l'Université et par l'Association au cours de la négociation de la convention collective de 2006. Il ne lui incombe pas d'apprécier si les mesures convenues entre les parties étaient avantageuses. Cependant, le maintien de relations de travail harmonieuses entre la partie patronale et la partie syndicale ne peut être réalisé aux dépens des droits fondamentaux des employés couverts par la convention collective. Tel est précisément l'essence du principe exprimé par l'article 13 de la Charte : ni l'employeur, ni le syndicat, ne peuvent stipuler une clause discriminatoire dans cet acte juridique que constitue la convention collective.

[171]     En l'espèce, la preuve a clairement démontré que les deux défenderesses avaient consciemment et volontairement convenu d'insérer les deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 dans la convention collective de 2006, des dispositions que le Tribunal juge discriminatoires à l'égard des plaignants. Il n'y a donc aucune raison que l'une ou l'autre des défenderesses échappe à la responsabilité qui en découle.

[172]     C'est surtout l'Association qui a soutenu devant le Tribunal qu'elle ne devrait porter aucune responsabilité si le Tribunal concluait à l'existence d'une contravention à la Charte. Pour soutenir ce point de vue, elle a invoqué des motifs d'équité, reliés à la petite taille de l'Association et à ses faibles moyens financiers. Mais la capacité de payer de l'auteur d'une contravention à la Charte n'est pas un motif lui permettant d'échapper à sa responsabilité. Tout au plus, s'agit-il d'un motif pertinent à l'attribution de dommages punitifs, selon les critères énoncés à l'article 1621 du Code civil du Québec. Aucune preuve précise des moyens financiers de l'Association n'a cependant été faite.

[173]     Par ailleurs, le Tribunal considère que l'Association a, par sa conduite, pleinement engagé sa responsabilité envers les plaignants. Tout au long de la période pertinente, ses prises de position sont cohérentes quant à son acceptation en toute connaissance de cause des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04. Rien dans la preuve ne permet de conclure qu'elle aurait été contrainte d'accepter cette clause ou encore qu'elle n'y aurait consenti qu'à son corps défendant.

[174]     Au cours de la négociation qui a conduit à la conclusion de la convention collective de 2006, les objectifs de l'Association visaient principalement un rattrapage salarial par rapport à la rémunération versée dans d'autres universités. Cet objectif a été atteint par des augmentations substantielles de salaires et par l'ajout d'échelons à l'échelle de traitement, des mesures qui profitaient à tous les employés, y compris les plaignants.

[175]     La position de l'Association était particulièrement délicate au cours de cette négociation. Les intérêts de l'ensemble des employés qu'elle représentait n'étaient pas nécessairement semblables. En avantageant les uns, elle risquait d'en désavantager d'autres. Cependant, les moyens choisis par les parties pour atteindre leurs objectifs respectifs au cours de la négociation de la convention collective ne pouvaient comporter de mesures discriminatoires à l'égard de certains employés. C'est précisément ce qui s'est produit à l'article 7-6.04.

[176]     Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Hôpital général juif Sir Mortimer B. Davis, le Tribunal écrivait ce qui suit à ce sujet :

[265]      Le Syndicat représente tous les employés. Il ne peut justifier l’adoption d'une règle discriminatoire en alléguant qu’entre les intérêts divergents de ses membres, sa marge de discrétion est appréciable pour « apporter une solution qui lui paraît la plus juste»[90]. Cette dernière ne saurait lui permettre de rester sourd aux revendications égalitaires des femmes.[91]   Il doit plutôt chercher à s'entendre avec l'employeur pour corriger la situation discriminatoire sinon, comme l'a énoncé la Cour suprême dans l'arrêt Renaud, « ils sont tous deux également responsableshttp://www.canlii.org/eliisa/highlight.do?text=2007+qctdp+29&language=fr&searchTitle=Qu%C3%A9bec+-+Tribunal+des+droits+de+la+personne&path=/fr/qc/qctdp/doc/2007/2007qctdp29/ - _ftn92[92]».

[266]      Bien que le Syndicat puisse être appelé à « faire des choix entre les revendications conflictuelles des membres de son unité de négociation[93]», il est lié par la même obligation que l’employeur : ne pas causer de discrimination.[34]

(Nos soulignements) (Italiques reproduits) (Références omises)

[177]     L'Association et l'Université ont été sensibilisées bien avant la signature de la convention collective de 2006 au problème de discrimination que comportait l'article 7-6.04. Monsieur Pierre F. Lemieux en a informé le président de l'Association par un courriel du 1er juin 2006[35]. Il lui a aussi transmis copie de la lettre qu'il a adressée le lendemain au vice-recteur Desclos[36] pour inviter l'Université à changer d'idée à ce sujet, une lettre qui est demeurée sans réponse. Monsieur Lemieux s'est aussi adressé au recteur de l'Université par lettre du 7 septembre 2006 pour dénoncer à nouveau la situation créée par la convention collective nouvellement signée[37].

[178]     Il a été question de cette problématique lors de l'assemblée du 6 juin 2006, au cours de laquelle l'Association a consulté ses membres à propos de son accord de principe avec l'employeur. Le procès-verbal de l'assemblée indique qu'à la suite de la présentation des articles de la convention collective négociée avec l'Université, « les principales questions concernent les échelles de traitement et les paramètres relatifs à l'allocation de retraite pour le IP ayant plus de 61 ans »[38]. C'est avec une forte majorité de 38 votes sur 42 que l'entente de principe a été entérinée par les membres de l'Association.

[179]      Après ce vote, l'assemblée a adopté une résolution, à l'instigation de madame Cécile Smeesters, pour que le président de l'Association exprime auprès des autorités universitaires le mécontentement des membres « à propos de la discrimination à l'égard des ingénieurs-professeurs âgés entre 61-65 ans ». La preuve ne révèle pas si l'Association a donné suite à cette résolution. Il est cependant clair que c'est en toute connaissance de cause qu'elle a choisi de ne pas retourner à la table de négociation, afin de ne pas mettre en péril l'accord de principe auquel elle était parvenue avec l'Université.

[180]     Il est également pertinent de souligner que, par lettres du 2 octobre 2006 et du 26 février 2007[39], trois des plaignants ont demandé à l'Association de requérir une opinion juridique à propos de la validité de l'article 7-6.04. Cette demande n'a pas eu de suite. Le Tribunal ne peut en tirer qu'une seule conclusion : l'Association a délibérément fermé les yeux sur la question. La raison qu'elle a donnée pour ne pas obtenir cette opinion, soit l'indisponibilité de l'avocat auquel l'Association s'est adressée, ne peut pas servir de justification pour avoir passé outre à la demande légitime des plaignants.

[181]     Le Tribunal tient également compte que, dans le cadre de la lettre d'entente du 4 mars 2011, l'Université et l'Association ont choisi de perpétuer le traitement discriminatoire réservé aux plaignants plutôt que de corriger cette discrimination. Au sein de l'Association, cette lettre d'entente a aussi été entérinée par une forte majorité de 35 votes sur 38 lors d'une assemblée tenue le 24 février 2011[40].

[182]     Les défenderesses doivent donc assumer solidairement la responsabilité de la discrimination dont les plaignants ont été victimes. Elles n'ont pas demandé au Tribunal de déterminer leur part respective de responsabilité et le Tribunal s'abstiendra donc de le faire.

V.        LES RÉPARATIONS

[183]     Dans sa demande introductive d'instance, la Commission demande à la fois des conclusions déclaratoires et des conclusions de nature monétaire au bénéfice des plaignants.

           

            A. Les conclusions déclaratoires

[184]     En ce qui a trait aux conclusions déclaratoires, la Commission demande d'abord au Tribunal de constater le caractère discriminatoire des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 et de les déclarer sans effet, de même que la lettre d'entente qui était annexée à cette convention collective. Pour les raisons exposées précédemment, le Tribunal est d'avis que ces dispositions constituaient de la discrimination fondée sur l'âge à l'égard des plaignants.

[185]     Cependant, les parties à la convention collective de 2006 ont, par la lettre d'entente du 4 mars 2011, abrogé l'article 7-6.04. L'Université soumet que les conclusions déclaratoires demandées par la Commission sont ainsi devenues théoriques.

[186]     Dans Borowski c. Canada (Procureur général)[41], la Cour suprême du Canada définit comme suit le caractère théorique d'un dossier :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite.  Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties.  Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire.  Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision.  En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique.  Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer.  J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

   (Nos soulignements)

[187]     À la lumière de cette définition, le Tribunal est effectivement d'avis que la conclusion lui demandant de déclarer sans effet les deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 et la lettre d'entente du 4 juillet 2006 est devenue sans objet. Les parties à la convention collective de 2006 ont elles-mêmes privé d'effet ces dispositions, de sorte qu'une conclusion du Tribunal dans le même sens ne produirait aucun effet juridique. Elle serait inutile.

[188]     Il en est toutefois autrement en ce qui concerne la conclusion demandant au Tribunal de constater que les deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 de la convention collective constituent une discrimination fondée sur l'âge. La conclusion de la lettre d'entente du 4 mars 2011 a privé ces dispositions de leurs effets juridiques, mais elle n'a pas fait disparaître les conséquences concrètes qu'elles ont produites pendant les quatre années et demie durant lesquelles elles ont régi les relations des parties.

[189]     L'une de ces conséquences concrètes a trait aux dommages matériels réclamés par la Commission. Les plaignants se retrouvent aujourd'hui sans l'allocation de retraite prévue au premier alinéa de l'article 7-6.04. La cause de cette situation réside essentiellement dans les deuxième et troisième alinéas de cette disposition.  Il est donc nécessaire que le Tribunal constate formellement le caractère discriminatoire de ces alinéas, afin d'accorder une réparation appropriée aux plaignants.

[190]     C'est aussi le cas pour les dommages moraux réclamés par la Commission. La colère, la frustration et la dévalorisation ressenties par les plaignants pendant toutes ces années, et qui forment la base de la demande de dommages moraux, n'ont pas disparu par l'abrogation de l'article 7-6.04. La lettre d'entente du 4 mars 2011 n'a pas rétroactivement effacé le sentiment d'exclusion et d'abandon qui a habité les plaignants à compter du moment où ils ont été informés de l'intention de l'Université et de l'Association de conclure une convention collective qui les privait, en raison de leur âge, d'un bénéfice accordé à tous leurs collègues.

[191]     La présente situation se distingue de celle qui a fait l'objet du jugement du Tribunal dans Baril c. Outremont (Ville)[42]. Dans cette affaire, le Tribunal a considéré que la demande dont il était saisi était devenue théorique après l'abrogation des dispositions réglementaires qui lui servaient de fondement. Cependant, seules des conclusions déclaratoires et une ordonnance de cesser une certaine conduite étaient alors demandées. Contrairement à la présente instance, le Tribunal n'était saisi d'aucune demande concernant des dommages matériels ou moraux subis pendant l'existence de ces dispositions.

[192]     La Commission a amendé sa demande introductive d'instance pour demander également au Tribunal de déclarer illégale et sans effet quant aux plaignants la lettre d'entente du 4 mars 2011. Dans la mesure où une telle demande constitue le simple prolongement des autres conclusions déclaratoires demandées par la Commission, le Tribunal est d'avis qu'il peut déclarer que cette lettre d'entente n'a pas eu pour effet de la priver de son recours en ce qui a trait au caractère discriminatoire de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006.

           

 

 

            B. Les conclusions monétaires

                  1.   Les considérations générales

[193]     En ce qui a trait aux dommages matériels, la Commission réclame un montant équivalent à l'allocation de retraite à laquelle les plaignants auraient eu droit s'ils avaient pu se prévaloir du premier alinéa de l'article 7-6.04 au moment de leur retraite. Le Tribunal est d'avis que cette réclamation est fondée mais que la situation particulière de chacun des plaignants doit être prise en compte pour établir le montant auquel ils peuvent avoir droit à ce sujet. C'est notamment le cas en ce qui a trait à monsieur Gilles Jasmin et à monsieur Kenneth W. Neale, qui ont choisi de se prévaloir des dispositions de la convention collective de 2002, en conformité avec la disposition transitoire de la convention collective de 2006.

[194]     La Commission réclame également, pour chacun des plaignants, un montant de 6 000 $ à titre de dommages moraux. Le Tribunal est d'avis que la situation justifie amplement l'attribution de dommages moraux au bénéfice des plaignants, mais considère qu'une somme de 5 000 $ constitue une réparation appropriée à cet égard[43].

[195]     La preuve a démontré que les plaignants étaient, chacun à sa façon, des hommes émérites, tel que le démontre amplement leur curriculum vitae[44]. Ils ont contribué à bâtir la faculté dont ils faisaient partie. Leur contribution au rayonnement de l'Université est impressionnante. L'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 les traitait sans égards à ces remarquables états de service et leur a en conséquence occasionné un dépit de taille.

[196]     Monsieur Thibault, par exemple, a considéré que cette clause constituait une trahison, tant de la part de l'Université que de l'Association, une « claque au visage ». Monsieur Jasmin était à ce point révolté qu'il n'est jamais retourné à l'Université, une fois sa retraite prise, après y avoir passé 30 ans de sa vie et malgré ses talents reconnus pour l'enseignement. Monsieur Lemieux a pour sa part fait état de son écœurement et de sa frustration à la lecture de la lettre d'entente du 4 juillet 2006, signée par deux personnes (le doyen et le président de l'Association) qui auraient dû « régimber », pour reprendre son expression. Monsieur Neale a évoqué le sentiment d'un effritement de la solidarité qui avait jusqu'alors existé entre les membres de l'Association, ainsi que sa déception à l'égard de l'Université qui, selon lui, doit servir de modèle dans la société. Monsieur Proulx a qualifié la clause 7-6.04 de « coup de Jarnac », ajoutant qu'il n'imaginait pas devoir terminer sa longue carrière de professeur devant le tribunal.

[197]     Compte tenu des particularités de la situation de chacun des plaignants, le Tribunal examinera séparément les réclamations monétaires les concernant.

                  2.   Les réclamations individuelles

                        - La réclamation concernant monsieur Pierre F. Lemieux

[198]     Monsieur Pierre F. Lemieux était âgé de 65 ans et 11 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il travaillait à temps plein pour l'Université depuis le 15 juillet 1965. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04, il n'avait droit ni à une allocation de retraite, ni à un dégagement de sa charge de travail dans l'année précédant son départ à la retraite. Il a pris sa retraite le 1er janvier 2009[45] et n'a effectivement reçu aucune allocation de retraite[46]. À cette date, son traitement annuel était de 132 103 $[47]. S'il avait pu bénéficier du premier alinéa de l'article 7-6.04, monsieur Lemieux aurait eu droit à une allocation de retraite équivalente à ce montant.

[199]     La lettre d'entente du 4 mars 2011 lui permettait de se prévaloir de l'article 9.07 de la convention collective de 2002. Toutefois, étant donné qu'il était âgé de plus de 64 ans au moment de sa retraite, cette disposition ne lui donnait pas le droit de recevoir une allocation de retraite. Le préjudice subi par monsieur Lemieux à titre de dommages matériels s'élève donc à la somme de 132 103 $.

[200]     En ce qui a trait aux dommages moraux, outre les raisons applicables à tous les plaignants, le Tribunal note que, dans une lettre du 16 octobre 2006, le vice-recteur à la communauté universitaire lui écrivait ce qui suit :

Je n'hésite aucunement à affirmer que vous méritez une immense reconnaissance pour les quarante années de dévouement compétent. Mais l'Université peut difficilement vous le manifester en allant à l'encontre des dispositions de la convention qui vient d'être signée. [48]

   (Nos soulignements)

[201]     Le Tribunal est donc d'avis que le préjudice moral subi par monsieur Lemieux justifie l'attribution d'une somme de 5 000 $.

                       

                        - La réclamation concernant monsieur Denis Proulx

[202]     Monsieur Proulx était âgé de 65 ans et 8 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il travaillait à temps plein pour l'Université depuis le 15 août 1969[49]. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04, il n'avait droit ni à une allocation de retraite, ni à un dégagement de sa charge de travail dans l'année précédant son départ à la retraite. Il a pris sa retraite le 1er mai 2009[50] et n'a effectivement reçu aucune allocation de retraite[51]. À cette date, son traitement annuel était de 134 745 $[52]. S'il avait pu bénéficier du premier alinéa de l'article 7-6.04, monsieur Proulx aurait eu droit à une allocation de retraite équivalente à ce montant.

[203]     La lettre d'entente du 4 mars 2011 lui permettait de se prévaloir de l'article 9.07 de la convention collective de 2002. Toutefois, étant donné qu'il était âgé de plus de 64 ans au moment de sa retraite, cette disposition ne lui donnait pas le droit de recevoir une allocation de retraite. Le préjudice subi par monsieur Proulx à titre de dommages matériels s'élève donc à la somme de 134 745 $.

[204]     En ce qui a trait aux dommages moraux, outre les raisons applicables à tous les plaignants, le Tribunal note que la lettre que monsieur Proulx a transmise au recteur de l'Université le 12 juin 2006[53] illustre l'ampleur de son désarroi. La candidature de monsieur Proulx avait été retenue parmi les leaders de la communauté universitaire, en remerciement de sa participation active dans le leadership de cette institution. Se disant renversé par la position de l'Université à propos de cet article, ce dernier a refusé l'honneur qu'on voulait lui faire.

[205]     Le Tribunal est donc d'avis que le préjudice moral subi par monsieur Proulx justifie l'attribution d'une somme de 5 000 $.

                        - La réclamation concernant monsieur Richard Thibault

[206]     Monsieur Thibault était âgé de 63 ans et 11 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il travaillait à temps plein pour l'Université depuis le 1er juin 1967[54]. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04, il n'avait pas droit à une allocation de retraite, mais à un dégagement de 40 % de sa charge de travail dans l'année précédant son départ à la retraite. En raison des fonctions administratives qu'il occupait alors, un tel dégagement de sa charge de travail était toutefois illusoire, étant donné qu'il ne pouvait occuper ces fonctions à demi-temps. Il a pris sa retraite le 1er mai 2009[55] et n'a effectivement reçu aucune allocation de retraite[56]. À cette date, son traitement annuel était de 134 745 $[57]. S'il avait pu bénéficier du premier alinéa de l'article 7-6.04, monsieur Thibault aurait eu droit à une allocation de retraite équivalente à ce montant.

[207]     La lettre d'entente du 4 mars 2011 lui permettait de se prévaloir de l'article 9.07 de la convention collective de 2002. Toutefois, étant donné qu'il était âgé de plus de 64 ans au moment de sa retraite, cette disposition ne lui donnait pas le droit de recevoir une allocation de retraite. Le préjudice subi par monsieur Thibault à titre de dommages matériels s'élève donc à la somme de 134 745 $.

[208]     En ce qui a trait aux dommages moraux, pour les raisons applicables à tous les plaignants, le Tribunal est d'avis que le préjudice moral subi par monsieur Thibault justifie l'attribution d'une somme de 5 000 $.

                        - La réclamation concernant monsieur Gilles Jasmin

[209]     Monsieur Jasmin était âgé de 61 ans et 8 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il travaillait à temps plein pour l'Université depuis le 2 août 1976[58]. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04, il n'avait pas droit à une allocation de retraite, mais à un dégagement de 80 % de sa charge de travail dans l'année précédant son départ à la retraite. En vertu de la disposition transitoire contenue à l'article 7-6.03 de la convention collective de 2006, il s'est prévalu des dispositions de la convention collective de 2002 et a pris une retraite anticipée à compter du 1er septembre 2006[59]. À cette date, son traitement annuel était de 106 100 $[60]. Il a reçu une allocation de retraite au montant de 84 880 $[61], soit 80 % de son traitement annuel.

[210]     Le fait que monsieur Jasmin se soit prévalu de la disposition transitoire contenue à la convention collective de 2006 et qu'il ait reçu l'allocation de retraite prévue à l'article 9.07 de la convention collective de 2002 ne constituent pas un obstacle à sa réclamation. Le témoignage rendu à l'audience par monsieur Jasmin montre clairement que ce dernier ne souhaitait pas prendre sa retraite à cette époque. S'il a pris cette décision, c'est en raison du fait que l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 le privait du droit à une allocation de retraite. Ne voulant pas « tout perdre », pour reprendre son expression, il a opté à contrecœur pour le choix que lui donnait la disposition transitoire de la convention collective de 2006.

[211]     Dans ces circonstances, le Tribunal considère que la décision prise par monsieur Jasmin découle en grande partie du caractère discriminatoire de l'article
7-6.04 de la convention collective de 2006. N'eut été la discrimination contenue dans cette disposition et dans la lettre d'entente du 4 juillet 2006, qui visait personnellement monsieur Jasmin, ce dernier aurait selon toute vraisemblance choisi de continuer sa carrière de professeur pour encore quelques années. Si monsieur Jasmin avait eu le droit de se prévaloir du premier alinéa de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006, il aurait reçu 100 % de son traitement annuel à titre d'allocation de retraite, en raison de ses longs états de service auprès de l'Université. Le montant moindre qu'il a reçu résulte directement de la discrimination fondée sur l'âge contenue dans cette disposition.

[212]     Le Tribunal considère qu'il était tout aussi discriminatoire de priver certains professeurs, en raison de leur âge, du bénéfice de l'allocation de retraite prévue au premier alinéa de l'article 7-6.04, que de les confiner, en raison de leur âge, à une allocation de retraite moindre que celle à laquelle leurs collègues plus jeunes avaient droit. Le fait que monsieur Jasmin ait choisi de se prévaloir des dispositions de la convention collective de 2002 ne peut être interprété comme une renonciation de sa part à faire valoir le caractère discriminatoire de la règle particulière qui s'appliquait à lui.

[213]     Le préjudice matériel subi par monsieur Jasmin équivaut donc à la différence entre l'allocation de retraite à laquelle il aurait eu droit en vertu du premier alinéa de l'article 7-6.04 et celle qu'il a effectivement reçue, soit la somme de 21 220 $. En ce qui a trait aux dommages moraux, pour les raisons applicables à tous les plaignants, le Tribunal est d'avis que le préjudice moral subi par monsieur Jasmin justifie l'attribution d'une somme de 5 000 $.

                        - La réclamation concernant monsieur Kenneth W. Neale

[214]     Monsieur Neale était âgé de 61 ans et 9 mois au moment de la signature de la convention collective de 2006. Il travaillait à temps plein pour l'Université depuis le 4 septembre 1970[62].  Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04, il n'avait pas droit à une allocation de retraite, mais à un dégagement de 80 % de sa charge de travail dans l'année précédant son départ à la retraite. Il a annoncé le 4 juillet 2006 qu'il se prévalait des dispositions des articles 9.07 et 9.08 de la convention collective de 2002, qu'il prendrait d'abord une retraite graduelle à compter du 1er janvier 2007 et ensuite sa retraite définitive au plus tard le 1er janvier 2010[63]. Au moment de sa retraite, le 1er janvier 2010, il n'a reçu aucune allocation de retraite[64]. À cette date, son traitement annuel était de 134 745 $[65].

[215]     La lettre d'entente du 4 mars 2011 ne produisait pas d'effet à son égard puisqu'il s'était déjà prévalu de l'article 9.07 de la convention collective de 2002. De plus, étant donné qu'il était âgé de plus de 64 ans au moment de sa retraite, cette disposition ne lui donnait pas droit de recevoir une allocation de retraite.

[216]     Des modalités particulières ont été convenues entre monsieur Neale et l'Université quant à sa charge de travail pendant la période de retraite graduelle[66]. Compte tenu de ses activités de recherche, une interprétation particulière a été retenue en ce qui a trait au dégagement de sa charge de travail. L'article 9.08 de la convention collective de 2002 prévoyait qu'à partir du début de la retraite graduelle, l'Université réduisait à 50 % la charge de travail de l'ingénieur-professeur. Étant donné que monsieur Neale était titulaire d'une chaire de recherche dont la durée n'était pas encore expirée, les parties ont convenu que ce dégagement de 50 % correspondrait à une charge de recherche de 100 % et à une charge maximale d'enseignement de trois crédits aux études supérieures par an. De plus, cette charge de cours devait avoir lieu soit à des sessions d'été ou d'automne.

[217]     Dans les faits, monsieur Neale n'a donc bénéficié d'aucun dégagement de sa charge de travail. Il n'a apparemment tiré aucun bénéfice du choix qu'il a fait de se prévaloir de la disposition transitoire contenue à l'article 7-6.03 de la convention collective de 2006. En outre, l'article 9.08 de la convention collective de 2002 prévoyait aussi que l'ingénieur-professeur qui terminait une période de retraite graduelle n'avait droit à aucune allocation de retraite.

[218]     Tout comme pour les autres plaignants, si monsieur Neale avait eu le droit de se prévaloir du premier alinéa de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006, il aurait reçu 100 % de son traitement annuel à titre d'allocation de retraite, en raison de ses longs états de service auprès de l'Université. Il a été privé de ce bénéfice uniquement en raison son âge au moment de la signature de la convention collective de 2006 et de la discrimination fondée sur l'âge contenue dans cette disposition.

[219]     Le Tribunal considère donc que le caractère discriminatoire de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006 a causé à monsieur Neale un préjudice matériel égal à l'allocation de retraite qu'il aurait été en droit de recevoir aux termes de cette disposition, soit un montant de 134 745 $, l'équivalent d'un an de salaire. En ce qui a trait aux dommages moraux, pour les raisons applicables à tous les plaignants, le Tribunal est d'avis que le préjudice moral subi par monsieur Neale justifie l'attribution d'une somme de 5 000 $.

[220]     Enfin, le Tribunal note que dans un courriel vraisemblablement transmis en février 2009[67], le doyen de la Faculté de génie de l'Université indiquait à monsieur Neale que « nous avons convenu cependant que tu bénéficieras des mêmes avantages que les plaignants advenant un gain auprès de la Commission ». Quoique ce courriel ne soit pas invoqué comme fondement de la réclamation concernant monsieur Neale à l'encontre de l'Université,  le Tribunal y trouve une indication que celle-ci considérait la situation de ce dernier comparable à celle des autres plaignants, malgré le fait qu'il s'était prévalu des articles 9.07 et 9.08 de la convention collective de 2002.

                  3.   Les dommages punitifs

[221]     La Commission réclame pour chacun des plaignants un montant de 5 000 $ à titre de dommages punitifs. Cette réclamation a été ajoutée à la suite de la conclusion de la lettre d'entente du 4 mars 2011. Initialement, la demande introductive d'instance ne contenait aucune demande à ce chapitre.

[222]     Selon le principe énoncé à l'article 49 de la Charte, l'attribution de dommages punitifs exige la preuve d'une atteinte illicite et intentionnelle. Le caractère intentionnel de la violation des droits a été défini comme suit par la Cour suprême du Canada dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand :

[121] En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[68]

(Nos soulignements)    (Italiques reproduits)

[223]     Dans Richard c. Time inc., la Cour suprême du Canada résumait ainsi les objectifs poursuivis par l'octroi de dommages-intérêts punitifs :

[155] L'article 1621 C.c.Q. impose lui-même la prise en compte des objectifs généraux des dommages-intérêts punitifs. En effet, la rédaction de cette disposition confère aux dommages-intérêts punitifs une fonction essentiellement préventive. Suivant cet article, l’octroi de dommages-intérêts punitifs doit toujours conserver pour objectif ultime la prévention de la récidive de comportements non souhaitables. Notre Cour a reconnu que cette fonction préventive est remplie par l’octroi de dommages-intérêts punitifs dans des situations où un individu a adopté un comportement dont il faut prévenir la répétition ou qu’il faut dénoncer, dans les circonstances précises d’une affaire donnée (Béliveau St-Jacques, par. 21 et 126; de Montigny, par. 53). Lorsque le tribunal choisit de punir, sa décision indique à l’auteur de la faute que son comportement et la répétition de celui-ci auront des conséquences pour lui. Une condamnation à des dommages-intérêts punitifs est fondée d’abord sur le principe de la dissuasion et vise à décourager la  répétition d’un comportement semblable, autant par l’individu fautif que dans la société. La condamnation joue ainsi un rôle de dissuasion particulière et générale. Par ailleurs, le principe de la dénonciation peut aussi justifier une condamnation lorsque le juge des faits désire souligner le caractère particulièrement répréhensible de l’acte dans l’opinion de la justice. Cette fonction de dénonciation contribue elle-même à l’efficacité du rôle préventif des dommages-intérêts punitifs.

[156] La nécessité de prendre également en compte les objectifs de la législation en cause se justifie par le fait que le droit à des dommages-intérêts punitifs en droit civil québécois dépend toujours d’une disposition législative précise. De plus, dans leurs manifestations actuelles, les dommages-intérêts punitifs n’ont pas pour but de punir généralement tout comportement interdit par la loi. Leur fonction consiste plutôt à protéger l’intégrité d’un régime législatif en sanctionnant toute action incompatible avec les objectifs poursuivis par le législateur dans la loi en question. La détermination des types de conduite dont il importe de prévenir la récidive et des objectifs du législateur s’effectue à partir de la loi en vertu de laquelle une sanction est demandée.[69]

(Nos soulignements)   (Italiques reproduits)

[224]     En l'espèce, la preuve démontre clairement qu'au moment de la négociation et de la conclusion de la convention collective de 2006, les défenderesses agissaient en toute connaissance des conséquences que produirait l'article 7-6.04 à l'égard des plaignants. Cependant, le Tribunal doit également tenir compte du contexte dans lequel se trouvaient les défenderesses. Celles-ci négociaient une convention collective applicable à plusieurs dizaines d'employés. Comme l'ont bien expliqué les représentants de l'Université et de l'Association, une telle négociation exige nécessairement de faire des choix, de rechercher un certain équilibre et de consentir à des compromis par rapport aux positions initiales prises par les parties.

[225]     Le Tribunal ne peut conclure que l'inclusion des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 dans la convention collective de 2006 démontre, en soi, une intention délibérée des défenderesses de nuire aux plaignants. Bien qu'illégale, cette clause est le fruit d'un processus de négociation global des conditions de travail des ingénieurs-professeurs, en vue de maintenir des relations de travail harmonieuses. Les intérêts des plaignants relativement à leur retraite ont été partiellement mis de côté lors de cette négociation, non par intention malicieuse à leur égard, mais dans le cadre d'une restructuration des avantages accordés à l'ensemble des ingénieurs-professeurs par la convention collective.

[226]     N'eut été des évènements entourant la négociation et la signature de cette convention collective, le Tribunal aurait considéré que l'attribution de dommages moraux et de dommages matériels correspondant au bénéfice dont les plaignants ont été privés par l'article 7-6.04 constituait une réparation adéquate. Ces évènements, de même que la signature de la lettre d'entente du 4 mars 2011, jettent cependant un éclairage différent sur les motivations véritables des défenderesses à l'égard des plaignants.

[227]     Les défenderesses ont une première fois, lors de la convention collective de 2006, exclu les plaignants du bénéfice accordé aux autres employés. Elles ont réitéré cette exclusion lors de la conclusion de la lettre d'entente du 4 mars 2011. Dans les deux cas, elles avaient connaissance des prétentions des plaignants quant au caractère discriminatoire de cette mesure. Elles ont agi sans se soucier des inquiétudes légitimes exprimées de diverses façons par les plaignants et d'autres employés. L'Association n'a pas même donné suite à la demande des plaignants d'obtenir une opinion juridique à propos de la validité de l'article 7-6.04 de la convention collective de 2006.

[228]     L'objectif avoué de la lettre d'entente du 4 mars 2011 était de priver les plaignants des droits qu'ils avaient déjà fait valoir au moyen de leur plainte auprès de la Commission et que cette dernière avait déjà mis en œuvre au moyen de sa demande introductive d'instance devant le Tribunal. Le procès-verbal de l'assemblée extraordinaire de l'Association qui a eu lieu le 24 février 2011 pour faire approuver cette lettre d'entente indique d'ailleurs que « dans le cas où l'AIPSA devrait [sic] contribuer au règlement financier de la plainte, la signature de la lettre d'entente devrait diminuer cette contribution »[70].

[229]     Les défenderesses considèrent qu'elles pouvaient ainsi, d'un trait de plume, réécrire le passé à leur avantage et changer les règles du jeu à l'égard des plaignants, qui avaient déjà tous pris leur retraite au moment de la signature de la lettre d'entente du 4 mars 2011. Il n'incombe pas au Tribunal de déterminer si les défenderesses avaient l'autorité et la capacité requises pour rendre rétroactivement applicable aux plaignants l'abrogation de l'article 7-6.04. Le Tribunal peut néanmoins constater que les défenderesses ont unilatéralement utilisé leur statut de parties contractantes à la convention collective pour tenter d'échapper à leur responsabilité envers les plaignants et faire échec à la compétence du Tribunal. Une telle démarche, que le Tribunal considère abusive à tous égards à l'endroit des plaignants, dénote certes une intention malveillante de la part des défenderesses.

[230]     Au cœur même des enjeux que représente la négociation et la conclusion d'une convention collective, il est indispensable que la partie patronale et la partie syndicale placent au premier plan le respect des droits et des libertés que la Charte accorde aux employés assujettis à cette convention collective. L'article 52 de la Charte donne priorité aux articles 1 à 38 sur toute autre loi. Passer délibérément outre aux préoccupations des employés quant au respect de leurs droits fondamentaux, comme l'ont fait les défenderesses en l'instance, constitue précisément le type de comportement qui doit être dissuadé afin que les objectifs poursuivis par la Charte ne demeurent pas lettre morte.

[231]     L'article 1621 du Code civil du Québec énonce que les dommages-intérêts punitifs s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier. Étant donné le montant des dommages matériels et moraux auxquels les défenderesses seront condamnées, le Tribunal est d'avis d'accorder à chacun des plaignants un montant de 2 000 $ à titre de dommages punitifs.

VI.       LA COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

[232]     Deux arguments additionnels ont été soumis par les défenderesses en ce qui a trait à la compétence du Tribunal en l'instance. D'une part, les défenderesses ont soumis que le Tribunal devrait s'abstenir de se prononcer à propos de la réclamation de la Commission parce qu'il existerait un forum plus approprié que le Tribunal, soit l'arbitre de griefs ou la Commission des relations du travail. D'autre part, au cas où le Tribunal en viendrait à la conclusion que les plaignants ont été victimes de discrimination, les défenderesses sont d'avis que le Tribunal devrait s'abstenir de prononcer des conclusions contre elles et leur ordonner plutôt de négocier les amendements requis à la convention collective pour respecter les conclusions du Tribunal.

            A. L'existence d'un forum plus approprié

[233]     Il n'incombe pas au Tribunal de déterminer si une autre instance avait compétence pour se saisir, en tout ou en partie, de la réclamation de la Commission. La jurisprudence des tribunaux supérieurs établit que le Tribunal est compétent pour déterminer le caractère discriminatoire ou non discriminatoire des dispositions d'une convention collective[71]. Le litige en l'instance ne porte pas sur l'application ou la mise en œuvre de la convention collective de 2006, mais sur la formation de cette convention collective et l'inclusion d'une clause discriminatoire.

[234]     La Cour d'appel a récemment réaffirmé ce principe dans Montréal (Ville de) c. Audigé, où elle écrivait ce qui suit, notamment à propos de la compétence du Tribunal :

[39]        Dans l'arrêt Morin, la Cour suprême infirme l'arrêt antérieur de notre Cour et conclut que l'arbitre de griefs n'a pas compétence exclusive pour traiter d'un litige qui met en cause un processus de négociation et l'insertion d'une clause discriminatoire dans une convention collective.  Particulièrement, la Cour suprême le souligne, dans un contexte où l'intérêt du syndicat négociateur apparaît opposé à celui du salarié qui se plaint des clauses négociées à son détriment.

[…]

[42]        L'on constate ainsi que l'assise de la réclamation n'est pas une question d'interprétation, d'application, d'administration ou d'exécution de la convention collective. Le Salarié s'attaque plutôt à la formation et à la négociation de la convention collective et, au premier chef, à l'insertion dite intentionnelle et illicite d'une clause discriminatoire à son endroit.

[43]        Sous ce rapport, je suis d'accord avec l'affirmation du Salarié voulant qu'un recours de sa part contre son Syndicat sous l'égide des articles 47.2 et suivants C.t. soit illusoire dans les faits, comme c'était du reste le cas dans l'arrêt Morin.

[…]

[46]        Dans ces circonstances, seuls le Tribunal ou la Cour du Québec offrent un recours valable au Salarié. Pour calquer les termes choisis par la juge en chef McLachlin dans l'arrêt Morin[14], tant le Tribunal que la Cour du Québec présentent une « plus grande adéquation » avec le recours envisagé par le Salarié que la CRT[15] (ou éventuellement l'arbitre de griefs si l'article 47.3 C.t. venait à s'appliquer).[72]

(Nos soulignements)   (Italiques reproduits) (Références omises)

[235]     Le Tribunal est d'avis qu'il était de son devoir d'exercer la compétence qui lui est accordée par la Charte, ayant été validement saisi de la réclamation de la Commission. Aucune raison ne justifiait qu'il renvoie les parties devant un autre forum.

            B. L'opportunité de laisser les parties négocier elles-mêmes la réparation appropriée

[236]     En s'appuyant sur l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans Université Laval c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[73], les défenderesses soumettent que le Tribunal ne peut s'immiscer dans la convention collective et établir lui-même les conditions de travail des ingénieurs-professeurs qui y sont assujettis. Selon ce point de vue, le Tribunal devrait plutôt laisser les défenderesses renégocier elles-mêmes de nouvelles dispositions de la convention collective en conformité avec les déterminations du Tribunal quant à l'existence d'une discrimination.

[237]     Le Tribunal considère qu'il manquerait à son devoir s'il donnait suite à cette suggestion, et ce, pour plusieurs raisons.

[238]     Le jugement du Tribunal qui était examiné dans l'arrêt Université Laval contenait des conclusions bien différentes de celles demandées par la Commission en l'instance, comme en font foi les passages suivants de cet arrêt :

[90]           Si les ordonnances précitées ont pour effet d'obliger l'Université à modifier le système de rémunération prévu à l'Entente du 10 juillet 1996 afin de soumettre les employés du Groupe Bureau à un système à taux unique, ces ordonnances doivent être précisées car elles excèdent la compétence du Tribunal.  Ce dernier peut, comme tribunal spécialisé en matière de droits des personnes et de la jeunesse, ordonner la cessation de l'acte discriminatoire, prohiber l'utilisation d'un système qui s'avère discriminatoire et même ordonner des mesures temporaires visant à prévenir les actes semblables.  Sa compétence toutefois ne va pas jusqu'à déterminer un système de rémunération pour en exclure un autre qui serait lui-même exempt de toute discrimination.  À l'audience, les parties en ont d'ailleurs convenu fort loyalement.

[…]

[97]           En l'espèce, l'imposition pour l'avenir d'un système de rémunération à taux unique n'était pas justifiée par les faits mis en preuve puisqu'il ne s'agissait pas du seul moyen disponible aux parties pour faire cesser la discrimination.  L'adoption du moyen adéquat devait faire l'objet de négociations dans le cadre d'une convention collective.

[98]           Il y a donc lieu de déclarer que, dans la mesure où le Tribunal aurait imposé à l'Université l'obligation d'adopter pour l'avenir un système de rémunération à taux unique, cette ordonnance dépasserait le cadre de son habilitation législative.[74]

(Nos soulignements)

[239]     Les demandes de la Commission ne s'apparentent pas à des conclusions de cette nature. Elles n'invitent pas le Tribunal à se substituer aux parties à la convention collective de 2006 et à établir à leur place des dispositions qui s'appliqueront dans le futur à la retraite des employés. La portée du recours intenté par la Commission est plus limitée. Cette dernière requiert plutôt l'attribution de dommages intérêts destinés à compenser l'exclusion dont les plaignants ont été l'objet. Ce faisant, le Tribunal ne s'immisce pas dans la négociation entre les parties à la convention collective. Aux termes de la lettre d'entente du 4 mars 2011, les parties à la convention collective ont elles-mêmes abrogé les dispositions que le Tribunal considère discriminatoires.

[240]     En outre, donner suite à la demande des défenderesses comporterait des inconvénients majeurs. D'une part, les plaignants ne pourraient participer à cette négociation, n'étant pas des parties signataires à la convention collective. Ils devraient y être représentés par cette même Association qui a déjà accepté à deux reprises des mesures les excluant d'un bénéfice accordé à leurs collègues. D'autre part, les plaignants ont tous pris leur retraite depuis quelques années, de sorte que les négociations entre les défenderesses à leur sujet porteraient uniquement sur une période passée et non sur les effets actuels de la convention collective. Enfin, le contenu même de cette négociation demeure indéfini, étant donné que le Tribunal a déjà établi la nature de la discrimination et les conséquences juridiques qui en découlent. Sans oublier que le résultat de ces négociations pourrait lui-même donner lieu à de nouveaux litiges, dans la mesure où il ne conviendrait pas aux plaignants.

[241]      Il n'y a donc pas lieu que le Tribunal s'abstienne d'exercer sa compétence pour laisser les défenderesses négocier entre elles la réparation devant être accordée aux plaignants.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[242]     ACCUEILLE en partie la demande;

[243]     CONSTATE que les deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 de la convention collective du 4 juillet 2006 constituent de la discrimination fondée sur l'âge à l'égard des plaignants;

[244]     DÉCLARE que la lettre d'entente du 4 mars 2011 n'a pas eu pour effet de priver la Commission de son recours devant le Tribunal en ce qui a trait au caractère discriminatoire des deuxième et troisième alinéas de l'article 7-6.04 de la convention collective du 4 juillet 2006;

[245]     CONDAMNE solidairement les défenderesses à payer à monsieur Pierre F. Lemieux :

a)    à titre de dommages matériels, la somme de 132 103 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de mesures de redressement;

b)    à titre de dommages moraux, la somme de 5 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

c)    à titre de dommages punitifs, la somme de 2 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du jugement;

[246]     CONDAMNE solidairement les défenderesses à payer à monsieur Denis Proulx :

a)    à titre de dommages matériels, la somme de 134 745 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

b)    à titre de dommages moraux, la somme de 5 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

c)    à titre de dommages punitifs, la somme de 2 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du jugement;

[247]     CONDAMNE solidairement les défenderesses à payer à monsieur Richard Thibault :

a)    à titre de dommages matériels, la somme de 134 745 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

b)    à titre de dommages moraux, la somme de 5 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

c)    à titre de dommages punitifs, la somme de 2 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du jugement;

[248]     CONDAMNE solidairement les défenderesses à payer à monsieur Gilles Jasmin :

a)    à titre de dommages matériels, la somme de 21 220 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

b)    à titre de dommages moraux, la somme de 5 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

c)    à titre de dommages punitifs, la somme de 2 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du jugement;

[249]     CONDAMNE solidairement les défenderesses à payer à monsieur Kenneth W. Neale :

a)    à titre de dommages matériels, la somme de 134 745 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

b)    à titre de dommages moraux, la somme de 5 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du 3 juin 2010, date de signification par la Commission de la proposition de mesures de redressement;

c)    à titre de dommages punitifs, la somme de 2 000 $, avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter du jugement;

[250]     LE TOUT, avec dépens.

 

 

 

__________________________________

Michèle Pauzé,

Présidente du Tribunal des droits de la personne

 

 

Me Pierre-Yves Bourdeau

 

Boies Drapeau Bourdeau

360, rue St-Jacques Ouest, 2e étage

Montréal (Québec) H2Y 1P5

 

Pour la partie demanderesse

 

 

 

Me Stéphane Fillion

 

Heenan Blaikie

1250, boul. René-Lévesque Ouest, bureau 2500

Montréal (Québec) H3B 4Y1

 

Pour la partie défenderesse Université de Sherbrooke

 

 

 

Me Pierre Moreau

 

Schneider Gaggino Moreau

375, chemin Bord-du-Lac Lakeshore

Dorval (Québec) H9S 2A5

 

Pour la partie défenderesse Association des ingénieurs-professeurs des sciences appliquées de l'Université de Sherbrooke

 

 

Dates d’audience :

29 octobre, 12 et 29 novembre 2012

 

 



[1] La demande introductive d'instance a été amendée le 6 octobre 2011, afin d'y ajouter un paragraphe concernant la conclusion de la lettre d'entente du 4 mars 2011, une conclusion afin que le Tribunal déclare cette lettre d'entente illégale et sans effet à l'égard de certains des plaignants (Pierre F. Lemieux, Denis Proulx, Richard Thibault, Kenneth W. Neale et Gilles Jasmin), une réclamation pour certains des plaignants (Pierre F. Lemieux, Denis Proulx, Richard Thibault, Kenneth W. Neale et Gilles Jasmin) de 5 000 $ à titre de dommages punitifs et pour augmenter les dommages matériels réclamés quant à deux plaignants (Denis Proulx et Richard Thibault).

[2] Organisme public constitué en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12 (ci-après citée la « Charte »)).

[3] La Commission a initialement intenté son recours au nom de sept plaignants. Cependant, lors de la première journée d'audition devant le Tribunal, le 29 octobre 2012, la Commission a amendé verbalement la demande, informant le Tribunal du désistement de messieurs Gérard Ballivy et J. Peter Jones.

[4] Personne morale de droit public légalement constituée.

[5] Association de salariés dûment accréditée.

[6] Ces conclusions reflètent les amendements apportés à la demande initiale le 6 octobre 2011.

[7] La Commission a utilisé le terme paragraphe alors que le Tribunal utilisera le terme alinéa (voir Didier LUELLES, Guide des références pour la rédaction juridique, 7e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2008).

[8] Le 29 novembre 2012, par un amendement verbal lors de l'audition, les dommages moraux réclamés ont été haussés de 3 000 $ à 6 000 $ pour chacun des cinq plaignants.

[9] L.Q. 1991, c. 64.

[10] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Université de Sherbrooke, 2012 QCTDP 18, par. 44.

[11]  Le Tribunal note : sauf s'ils se prévalaient, jusqu'au 1er septembre 2006, de la disposition transitoire prévue à l'article 7-6.03.

[12] Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, 538.

[13] Pièce P-13, par. 15.

[14] Cet article énonce :

9.08 L'I.P. régulière permanente ou l'I.P. régulier permanent qui a au moins cinquante-cinq (55) ans et qui a travaillé à ce titre pendant au moins cinq (5) ans à l'emploi de l'Université peut prendre sa retraite graduelle qui débute le 1er janvier, le 1er mai ou le 1er septembre selon les dispositions suivantes.

 

Cette personne doit transmettre sa demande à l'Université au moins trois (3) mois avant la date où la retraite graduelle prend effet et y joindre un avis définitif de retraite prenant effet à la fin de la période de retraite graduelle.

 

La retraite graduelle débute au plus tard à une des trois (3) dates ci-haut mentionnées qui suit le soixante-deuxième (62e) anniversaire de naissance de l'I.P. Sa durée est d'un maximum de trois (3) ans.

 

À partir du début de la retraite graduelle, l'Université réduit à cinquante pour cent (50 %) la charge de travail de l'I.P., mais le traitement et les autres conditions de travail demeurent inchangés.

 

L'I.P. qui termine une période de retraite graduelle n'a droit à aucune allocation de retraite. Cependant, la personne qui a choisi la retraite graduelle et qui est admissible à une retraite anticipée en vertu du paragraphe 9.06, peut prendre une retraite anticipée à la fin de tout trimestre au cours de sa première (1re) ou de sa deuxième (2e) année de retraite graduelle; dans ce cas, elle bénéficie des dispositions du paragraphe 9.06. Elle peut également prendre une retraite anticipée au cours de sa troisième (3e) année de retraite graduelle et dans ce cas l'I.P. n'a droit à aucune allocation de retraite.

[15] [2001] R.J.Q. 1669, 1677 (T.D.P.).

[16] Notes et autorités de l'Université, par. 10.

[17] Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 CSC 47, par. 96 et 100.

[18] Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)].

[19] Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 51 et 64; Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, par. 21; Syndicat des infirmières du Nord Est québécois c. Sylvestre, 2003 CanLII 6218, par. 49 (QC C.A.); Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec (SPGQ), 2005 QCCA 311, par. 67; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, par. 48-49 (juges minoritaires); Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, par. 38, 40 et 67; Velk c. Université McGill, 2011 QCCA 578, par. 44; Côté c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2012 QCCA 1146, par. 32.

[20] 2013 CSC 5.

[21] Les juges Deschamps, Cromwell et Karakatsanis, ainsi que la juge en chef, ont souscrit aux motifs de la juge Abella : id., par. 385 et 416.

[22] Id., par. 325, 327, 329 et 330.

[23] Id., par. 180.

[24] [1991] 2 R.C.S. 22, 40.

[25] Pièce P-5.

[26] Code du travail, L.R.Q., c. C-27, art. 67 (nos soulignements). Le Tribunal remarque incidemment que la jurisprudence qui reconnaît aux parties à une convention collective la possibilité de lui donner un caractère rétroactif pose néanmoins certaines limites. Dans Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57, 2002 CSC 44, par. 14, la Cour suprême du Canada écrivait ainsi : « Sous réserve de l'obligation de représentation syndicale, ainsi que des règles relevant de l'ordre public ou de la protection des droits fondamentaux, le Code du travail laisse la définition de ce que l'on qualifie de rétroactivité à la négociation des parties » (nos soulignements) (italiques reproduits).

[27] Cet article énonce :

7-6.03 L'I.P. régulière ou l'I.P. régulier peut, jusqu'au 1er septembre 2006, si elle ou il est admissible, se prévaloir des modalités des articles 9.07, 9.08 et 9.09 de la convention collective signée le 26 mars 2002.

[28] Cet article énonce :

7-6.05 L'I.P. régulière ou l'I.P. régulier peut prendre une retraite, si cette personne a atteint l'âge de cinquante-cinq (55) ans. L'I.P. doit transmettre son avis de départ à la retraite à l'Université, au moins trois (3) mois avant la date où la retraite prendra effet.

 

La retraite débute le 1er janvier, le 1er mai ou le 1er septembre.

 

L'allocation de retraite prévue à l'article 7-6.04 est versée au moment du départ ou selon les modalités convenues entre l'Université et l'I.P.

[29] Pièce P-13, par. 14.

[30] Voir la lettre d'entente du 4 mars 2011, au par. 13 des présentes.

[31] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Université de Sherbrooke, 2012 QCTDP 18, par. 40-44.

[32] Pièce P-21.

[33] Central Okanagan School District no. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, 990; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de transport de Montréal, 2008 QCTDP 29, par. 111 à 121, conf. par Syndicat du transport de Montréal - CSN c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2010 QCCA 165, par. 28-37.

[34] 2007 QCTDP 29, par. 265 et 266, inf. en partie sur une autre question par 2010 QCCA 172 (demande pour autorisation d'appeler refusée, C.S.C., 08-07-2010, 33631).

[35] Pièce P-8.

[36] Pièce P-9.

[37] Pièce P-11.

[38] Pièce P-16.

[39] Pièce P-12.

[40] Pièce P-21.

[41] [1989] 1 R.C.S. 342, 353.

[42] 2001 CanLII 17408 (QC T.D.P.).

[43] Voir notamment les montants accordés à titre de dommages moraux dans les décisions suivantes rendues par le Tribunal : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Industries acadiennes inc., 2005 CanLII 48273 (QC T.D.P.) (requête pour permission d'appeler accueillie, C.A., 06-02-2006, 500-09-016347-064, 2006 QCCA 203 (Règlement hors Cour, le 27 octobre 2006)); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de transport de Montréal, préc., note 33; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc., 2008 QCTDP 24, inf. en partie sur une autre question par 2011 QCCA 1201

[44] Pièce P-6.

[45] Pièce D-13.

[46] Pièce P-13, point 13.

[47] Admissions, par. 6.

[48] Pièce P-14.

[49] Admissions, par. 1.

[50] Pièce D-16.

[51] Pièce P-13, point 13.

[52] Admissions, par. 6.

[53] Pièce P-10.

[54] Admissions, par. 1.

[55] Pièce D-14.

[56] Pièce P-13, point 13.

[57] Admissions, par. 6.

[58] Admissions, par. 1.

[59] Pièce D-10.

[60] Admissions, par. 6.

[61] Pièce P-13, par. 4 et 13 et Pièce P-23.

[62] Admissions, par. 1.

[63] Pièces D-11 et D-12.

[64] Pièce P-13, par. 13.

[65] Admissions, par. 6.

[66] Pièce D-15.

[67] Pièce P-25.

[68] [1996] 3 R.C.S. 211, par. 121.

[69] 2012 CSC 8, par. 155 et 156.

[70] Pièce P-21.

[71] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, par. 23 et 24.

[72] 2013 QCCA 171, par. 39, 42, 43 et 46 (demande d'autorisation d'appeler déposée en Cour suprême du Canada, 35291).

[73] 2005 QCCA 27 (ci-après cité « Université Laval »).

[74] Id., par. 90, 97 et 98.

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