Décision

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Audet c. Transamerica Life Canada

2012 QCCA 1746

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-021042-106; 500-09-021044-102; 500-09-021045-109

(500-17-018137-037 et 500-17-018355-035)

 

DATE :

 27 septembre 2012

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

 

No : 500-09-021042-106

 

PIERRE AUDET

 

MARIE AUDET

APPELANTS - Demandeurs

c.

 

TRANSAMERICA LIFE CANADA

 

NICHOLAS SMITH, fondé de pouvoir au Canada pour les souscripteurs de Lloyd’s

INTIMÉS - Défendeurs

et

9073-5671 QUÉBEC INC.

 

JACQUES-ANDRÉ THIBAULT

MIS EN CAUSE - Défendeurs

______________________________________________________________________

 

No : 500-09-021044-102

 

JACQUES-ANDRÉ THIBAULT

APPELANT - Défendeur

c.

 

MARIE AUDET

INTIMÉE - Demanderesse

et

NICHOLAS SMITH, fondé de pouvoir au Canada pour les souscripteurs de Lloyd’s

INTIMÉ - Défendeur

et

9073-5671 QUÉBEC INC.

 

TRANSAMERICA LIFE CANADA

MISES EN CAUSE - Défenderesses

______________________________________________________________________

 

No : 500-09-021045-109

 

JACQUES-ANDRÉ THIBAULT

APPELANT - Défendeur

c.

 

PIERRE AUDET

INTIMÉ - Demandeur

et

NICHOLAS SMITH, fondé de pouvoir au Canada pour les souscripteurs de Lloyd’s

INTIMÉ - Défendeur

et

9073-5671 QUÉBEC INC.

 

TRANSAMERICA LIFE CANADA

MISES EN CAUSE - Défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants Pierre Audet et Marie Audet se pourvoient contre un jugement rendu le 30 août 2010 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Marc De Wever) qui a rejeté leurs recours contre les intimés Transamerica et Nicholas Smith, ès qualités de représentant des souscripteurs du Lloyd’s. Par des appels séparés, Jacques-André Thibault se pourvoit contre les condamnations à verser à Pierre et Marie Audet, respectivement, les sommes de 1 491 745,23 $ et de 974 419,01 $ et diverses autres conclusions.

[2]           Pour les motifs du juge Dalphond auxquels souscrivent les juges Doyon et Léger;

LA COUR :

 

Dans le dossier 500-09-021042-106 :

[3]           ACCUEILLE l'appel de Pierre et Marie Audet contre Lloyd's avec dépens;

[4]           DÉCLARE que les souscripteurs du Lloyd’s sont tenus d'indemniser Marie Audet à hauteur de 500 000 $ et Pierre Audet à hauteur de 500 000 $;

[5]           ACCUEILLE en partie, sans frais, l’appel à l’égard de Transamerica afin de supprimer leur condamnation à verser à cette dernière des dépens;

 

Dans le dossier 500-09-021044-102 :

[6]           REJETTE avec dépens l'appel de Jacques-André Thibault contre Marie Audet, mais ACCUEILLE sans frais son appel du rejet de l’appel en garantie contre Lloyd’s;

 

Dans le dossier 500-09-021045-109 :

[7]           REJETTE avec dépens l'appel de Jacques-André Thibault contre Pierre Audet, mais ACCUEILLE sans frais son appel du rejet de l’appel en garantie contre Lloyd’s.

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

Me Douglas Mitchell

Me Catherine Elizabeth McKenzie

IRVING, MITCHELL, KALICHMAN

Pour Pierre Audet et Marie Audet

 

Me René Vallerand

DONATI, MAISONNEUVE

Pour Transamerica Life Canada

 

Me Richard R. Provost

FRATICELLI, PROVOST

Pour Nicholas Smith

 

Me Yves Robillard

MILLER, THOMSON, POULIOT

Pour Jacques-André Thibault

 

Me Maria De Michele

Fonds d’assurances responsabilité

professionnelle du Barreau du Québec

 

Me Mireille Brosseau

Mireille Brosseau, avocate

 

Date d’audience :

4 juin 2012



 

 

MOTIFS DU JUGE DALPHOND

 

 

[8]           Pierre Audet et sa sœur Marie[1] se pourvoient contre un jugement du 30 août 2010 rendu par le juge De Wever de la Cour supérieure qui fait droit à leur action respective contre un courtier en assurance vie et placements, Jacques-André Thibault, accordant 1 491 745,23 $ au premier et 974 419,01 $ à la deuxième. Par contre, le jugement rejette leurs actions contre l'assureur en responsabilité professionnelle de Thibault, certains souscripteurs du Lloyd's (représentés par Nicholas Smith, leur fondé de pouvoir au Canada) et la société d'assurance dont des produits furent vendus aux Audet, Transamerica Life Canada. Par leur pourvoi conjoint, les Audet, qui craignent de ne pouvoir exécuter leurs jugements contre Thibault, recherchent des condamnations contre Lloyd's et Transamerica, deux assureurs solvables.

[9]           Par deux appels distincts, Thibault conteste le bien-fondé des condamnations prononcées en Cour supérieure dans les recours distincts des Audet, d'avis que celles-ci découlent de l'admission illégale de certaines décisions disciplinaires. Subsidiairement, il fait valoir que, s'il a commis une ou plusieurs fautes, celles-ci sont couvertes par la police d'assurance responsabilité applicable et que le juge du procès a eu tort de rejeter ses appels en garantie contre Lloyd's.

LE CONTEXTE

 

[10]        Thibault œuvre dans la vente d'assurances depuis 1969. Au début, il vend à commissions des produits des assureurs vie La Maritime et Aetna. En 1981, il débute la vente de polices d'assurance vie Colonia souscrites auprès de la compagnie d'assurance La Concorde (devenue l'Empire, compagnie d'assurance vie) et en 1997, il offre des produits de Transamerica Vie Canada, dont des fonds indiciels. À un moment donné, il fait affaire par l'entremise de 9073-5671 Québec inc., une société contrôlée par lui, aujourd'hui faillie. En tout temps pertinent, Thibault ou sa société détient une assurance responsabilité professionnelle souscrite auprès du Lloyd's, excluant, entre autres, la faute lourde et la négligence grossière; la limite de couverture est de 500 000 $ par sinistre.

[11]        Le 16 août 1998, une cliente de Thibault, Catherine Audet, décède tragiquement. Les Audet héritent chacun d'environ 1 500 000 $ de leur mère. Une partie importante de ces montants (plus de 2 000 000 $) provient de deux polices d'assurance vie Colonia souscrites par leur mère, et ce, par l'entremise de Thibault, son conseiller de longue date. La mère avait aussi souscrit à une police Colonia de 2 000 000 $ sur la vie de sa fille, Marie, et une autre de 1 000 000 $ sur la tête de son fils, Pierre.

[12]        Marie a alors 30 ans. Elle a un baccalauréat en administration, option management, et travaille chez Quebecor où elle gagne 38 000 $ par année. Elle vient de se séparer de son conjoint et a la garde de leurs deux enfants de 2 et 4 ans. Elle possède une maison de 160 000 $ grevée d'une hypothèque d'environ 36 000 $ et de petits investissements.

[13]        Pierre a 38 ans. Il a une technique en administration, option marketing, et opère une tabagie à Sherbrooke qui lui procure des revenus de 40 000 $ par année. Dans les années 1980, il a transigé sans succès en bourse sur marge et s'est promis de ne pas réessayer.

[14]        Dans son testament, la mère exprime le vœu que ses enfants souscrivent à une police d'assurance vie « au bénéfice de leurs propres enfants pour un montant équivalent à la valeur de l’héritage qu’ils recevront de ma succession, si bien entendu le niveau de prime est acceptable eu égard à leur état de santé ». Elle les a aussi invités à recourir aux services de Thibault, ce qu'ils feront.

[15]        Sur les conseils de ce dernier, à même leur héritage, les Audet remettent respectivement 63 472,50 $ et 80 000 $ à Thibault pour libérer les polices Colonia sur leurs têtes, croyant erronément qu'ils n'auront ainsi plus à payer les primes annuelles versées par leur mère jusqu'à son décès. Pour ces « libérations », Thibault reçoit 11 525,56 $ en commissions.

[16]        Toujours sur les conseils, voire à l’insistance de Thibault, les Audet souscrivent chacun à une police d'assurance vie de 2 000 000 $ auprès d'Aetna. Ces nouvelles polices génèrent d'intéressantes commissions pour Thibault (environ 25 000 $ au total), qui fait verser par chacun des Audet 45 000 $ en prime annuelle  en 1998 et 1999, des montants bien supérieurs aux primes annuelles minimales. Il leur fait miroiter l’accumulation d’un capital libre d’impôts.

[17]        En octobre 1998, Thibault leur parle des fonds indiciels de deux assureurs : Transamerica et NN. Les Audet optent pour les fonds indiciels Transamerica puisqu’ils garantissent le capital à 100 % après 10 ans. Thibault, qui vend pour la première fois ces nouveaux produits de Transamerica, leur dit que le rendement des fonds constituera essentiellement du gain en capital et précise à Marie, qui n'a pas de liquidités, qu'elle pourra retirer annuellement jusqu'à 10 % des sommes investies sans pénalité. Cependant, il ne l'informe pas des conséquences de ces retraits quant à la garantie sur le capital, qui est réduite par tout retrait avant terme. Thibault mentionne aussi une option de blocage qui permet de cristalliser en tout temps toute plus-value, sans insister sur le fait que les montants « cristallisés » doivent demeurer investis avec Transamerica pendant 10 ans.

[18]        À la suggestion de Thibault, les Audet investissent dans un nouveau fonds indiciel d'actions japonaises, appelé fonds Nikkei. Marie y verse 1 100 000 $ et son frère, 1 000 000 $. Dans les mois qui suivent, les Audet contribuent des montants additionnels, provenant de la liquidation de certains actifs de la succession de leur mère, dans le fonds Nikkei et dans un fonds indiciel américain du 21e siècle, aussi offert par Transamerica. Ces investissements dans les fonds indiciels Transamerica assurent à Thibault des commissions de 156 188 $.

[19]        En 1999, Thibault insiste pour que les Audet prennent chacun, séparément, un prêt à levier auprès de la Banque TD afin d’avoir accès à des liquidités pour acheter de nouveaux produits financiers. Il leur fait miroiter des gains importants, par rapport aux coûts des emprunts, proposition qu'ils finissent par accepter. Le 22 juillet 1999, Marie emprunte 650 000 $, dont elle dépose 610 000 $ dans des fonds Transamerica et garde 40 000 $ pour ses besoins personnels. Pierre emprunte lui aussi 650 000 $ qu'il investit dans deux fonds Transamerica, le fonds Nikkei et le fonds Nasdaq. Ces prêts génèrent les intérêts suivants : Marie : 19 361,64 $ en 1999, 68 662,30 $ en 2000, 14 160,24 $ en 2001; Pierre : 19 361 $ en 1999, 59 403,73 $ en 2000 et 13 164,48 $ en 2001.

[20]        Le 3 septembre 1999, Marie quitte son emploi pour se consacrer à ses charges familiales. Le même mois, Thibault lui recommande de souscrire à des polices d'assurance vie de Transamerica sur la vie de ses enfants. Elle refuse au début, mais finit par accepter. Il s'agit d'une police de 2 000 000 $ par enfant avec une prime annuelle de 10 000 $ pendant 10 ans. Elle acquitte les deux premières années de primes avec le prêt à levier. Thibault reçoit des commissions de 8 375 $ pour ces deux nouvelles polices.

[21]        Le fonds indiciel Nikkei performe au-delà des attentes en 1999, ce qui renforce la confiance des Audet envers Thibault. Quant aux besoins de liquidités, ils sont remplacés par l'option d'encaissement partiel sans pénalité jusqu'à 10 % de la valeur des fonds sans parler de l’utilisation du prêt à levier que Thibault considère sans risque puisque le rendement des fonds dépassera les intérêts dus, qu'il suggère même de laisser s'accumuler pendant 10 ans, soit jusqu'à échéance des fonds.

[22]        En février 2000, Thibault convainc Marie de souscrire à une police d'assurance de Transamerica sur sa vie de 9 000 000 $. Pour acquitter les primes, elle retire 269 532,90 $ des fonds Transamerica. En mars, Thibault convainc Pierre de souscrire à une police d'assurance sur sa vie de 7 000 000 $; ce dernier retire 250 000 $ des fonds Transamerica pour acquitter les primes. Dans les deux cas, Thibault exagère leurs revenus déclarés à l'assureur; quand ceux-ci le lui signalent, il leur répond qu'il est normal d'agir ainsi. Thibault reçoit 228 508 $ en commissions pour la souscription à ces deux nouvelles polices. En d’autres mots, l’opération lui rapporte gros.

[23]        À la même période, les Audet reçoivent les premiers formulaires fiscaux T-3 de Transamerica en relation avec les fonds indiciels, traitant de l'augmentation de la valeur des investissements pour 1999. À leur grande surprise, la majeure partie de la substantielle augmentation de la valeur de leurs investissements constitue du revenu et non pas des gains en capital assujettis à un taux d’imposition moins élevé, contrairement à ce que Thibaut leur avait représenté. Le T-3 de Marie pour 1999 indique un « gain en capital » de 135 910,52 $ et un « revenu imposable autre » de 653 200,96 $. Le T-3 de Pierre indique un « gain en capital » de 131 943,84 $ et un « revenu imposable autre » de 592 042,49 $. Manifestement les fonds recommandés ont superbement performé! Mais voilà le hic, il faut maintenant payer des impôts fédéraux et provinciaux de plusieurs centaines de milliers de dollars (Pierre Audet : 359 052 $; Marie Audet : 377 000 $).

[24]        La première réaction des Audet est de se plaindre du fait que tous les rendements ne soient pas traités comme des gains en capital, ce qui réduirait les impôts payables. Thibault leur répond qu'il s'agit d'une erreur et qu'il va contacter Transamerica. Il n'obtient finalement pas la correction demandée de sorte que les Audet soumettent leurs déclarations d'impôt avec les formulaires T-3 tels que reçus.

[25]        La deuxième est de trouver les liquidités requises pour acquitter les impôts. Les Audet veulent retirer une partie des fonds, mais Thibault leur recommande plutôt d'augmenter leurs emprunts auprès de la Banque TD, ce qu'ils feront. Les voilà désormais chacun endettés pour environ un million de dollars. La perte de valeur des fonds durant l'été 2000 corrélée à une chute des marchés boursiers ajoute à leur inquiétude. De plus, de nouvelles primes deviennent dues sur les nombreuses polices d'assurance vie.

[26]        Thibault se fait rassurant et effectue de moultes transactions et transferts dans des fonds Transamerica, optant pour des fonds qui génèrent des gains en capital plutôt que des revenus autres, sans jamais aviser les Audet des conséquences fiscales de ces opérations et de leur impact sur les montants garantis, des aspects qui vraisemblablement lui échappent.

[27]        Les Audet sont de plus en plus inquiets, craignant un rappel des prêts et la perte des actifs donnés en garantie, dont leur résidence. Malgré les exhortations contraires de Thibault, Pierre rembourse son prêt à la Banque TD le 22 février 2001, lequel s'élève alors à 1 146 527 $ et verse des primes de 240 000 $ sur sa police d'assurance vie de 7 000 000 $, et ce, à l'aide d'encaissements provenant des fonds Transamerica. Sa relation professionnelle avec Thibault prend alors fin. Son investissement dans les fonds indiciels qui se limite désormais à 10 000 $, montant qu'il laisse là dans le vain espoir de se qualifier pour la remise de son capital investi après 10 ans. Ces retraits lui coûtent 50 922,29 $ en frais de rachat. Quant à Marie, le 23 février 2001, elle rembourse le prêt TD en retirant 1 206 755,82 $ des fonds Transamerica. Les frais de rachat sont de 29 937 $. Son solde dans les fonds Transamerica est alors d'environ 600 000 $.

[28]        En mars 2001, les Audet reçoivent les formulaires T-3 pour 2000. Celui de Pierre indique des « gains en capital » de 327 991,01 $, des « revenus autres » de 13 503,66 $ et des « pertes en capital sur les fonds réservés d'assureur » de 915 923,02 $. Celui de Marie indique des « gains en capital » de 443 981,46 $, des « revenus autres » de 25 968,49 $ et des « pertes en capital sur les fonds réservés d'assureur » de 1 004 925,75 $.

[29]        Marie rencontre M. Di Girolamo et son supérieur, M. Bissonnette, deux représentants de Transamerica, pour discuter du traitement fiscal des fluctuations dans les fonds, mais ceux-ci n'offrent pas une réponse satisfaisante pour elle. Par la suite, Transamerica lui envoie une lettre montrant les nombreuses entrées et sorties de fonds pour expliquer le formulaire T-3 de 2000. Marie appelle Thibault pour se plaindre; celui-ci raccroche, ce qui met fin à leur relation professionnelle. En mars 2002, insatisfaite des solutions proposées par Transamerica au cours de la dernière année, elle transfère ce qu'il lui reste dans les fonds, soit 650 000 $, dans un produit de marché monétaire offert par une autre entreprise. Cela entraîne des frais de rachat de 28 089,59 $.

[30]        Par la suite, Marie dépose une plainte auprès de la Chambre de la sécurité financière, ce qui a donné lieu à une plainte du syndic contre Thibault. Le 18 décembre 2003, le comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière déclare Thibault coupable des quatre infractions reprochées, soit :

1. À Sherbrooke, le ou vers le 6 octobre 1998, l'intimé Jacques-André Thibault a faussement ou erronément expliqué à sa cliente Marie Audet que, en effectuant un dépôt de 60 000 $ dans la police portant le numéro 191467 de la compagnie Concordia, sa police serait libérée et a réitéré cette information l'année suivante lors de la réception d'un avis de prime et ce, alors que cette information était inexacte et, ce faisant, l'intimé à contrevenu aux articles 130,131, 133 et 134 RCAP;

2.  À Sherbrooke, le ou vers le 26 octobre 1998, l’intimé Jacques-André Thibault, alors qu’il faisait souscrire à sa cliente Marie Audet le contrat de fonds distincts de la compagnie Transamérica portant le numéro M04144986, a faussement représenté à sa cliente relativement au produit qu’il lui faisait souscrire, que son placement allait générer des gains ou pertes en capital, que la garantie du contrat de fonds distincts était applicable sur le montant total du placement alors qu’elle était proportionnelle et que les frais de rachat du contrat étaient minimes et ce, alors que ces informations étaient inexactes et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 130, 133, 134, 135, 137 et 157(2) RCAP;

3.  À Sherbrooke, (…) à l’hiver 2000 (…) au moment du paiement des impôts de sa cliente Marie Audet, l’intimé Jacques-André Thibault a exercé une pression indue sur cette dernière afin qu’elle augmente le montant du prêt qu’il lui avait fait souscrire auprès de la Banque Toronto Dominion et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles (…) 8, 11 et 19 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière;

4.  À Sherbrooke, entre le ou vers le 4 octobre 1998 et le ou vers le 22 janvier 2000, l’intimé Jacques-André Thibault a fait défaut de chercher à avoir une connaissance complète de la situation et des besoins financiers de sa cliente et a donné priorité à ses intérêts personnels plutôt qu’à ceux de sa cliente Marie Audet en faisant souscrire à cette dernière les polices suivantes:

-        Maritime - Architecte, police no F2256545, capital de 2 millions, prime projetée de 45 000 $ annuellement

-        Transamérica, police no 080139415, capital de 9 millions, prime projetée de 200 000 $ annuellement

-        Transamérica, police no 080126138, capital de 2 millions, prime projetée de 10 000 $ annuellement

-        Transamérica, police no 0800126148, capital de 2 millions, prime projetée de 10 000 $ annuellement

-        Transamérica, contrat de fonds distincts no M04144986, dépôt initial de 1.1 million

alors que lesdites transactions n’étaient pas justifiées dans l’intérêt de la cliente et ne convenaient pas à ses objectifs qui étaient notamment de ne pas retourner au travail et d’élever ses enfants et, ce faisant, l’intimé a contrevenu aux articles 131, 132, 136, 140 et 145 du Règlement du Conseil des assurances de personnes sur les intermédiaires de marché en assurance de personnes (ci-après “RCAP” adopté en vertu de la Loi sur les intermédiaires de marché alors en vigueur de même qu’aux articles 10, 11, 15, 19 et 24 du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière.»

[31]        Le comité estime notamment que Thibault n'a pas analysé les besoins de Marie et que la structure financière mise en place par lui ne correspondait pas au profil de cet investisseur. De plus, Thibault n'aurait pas dû tenir pour acquis que les rendements des investissements seraient traités comme des gains en capital. Le 26 juillet 2004, le comité le condamne à payer 6 000 $ sur chacun des trois premiers chefs et, quant au dernier chef, ordonne une radiation temporaire d'un an.

[32]        Le 29 novembre 2007, la Cour du Québec, forum d'appel, confirme la décision sur la culpabilité, ainsi que celle sur la sanction pour les trois premiers chefs, soit la condamnation à payer 18 000 $. Par contre, elle réduit la suspension sous le 4e chef de 1 an à 6 mois.

[33]        En parallèle, les Audet mettent chacun en demeure Thibault et 9073-5671 Québec inc. Puis, Marie, le 24 novembre 2003, et Pierre, le 9 décembre 2003, introduisent séparément des recours en responsabilité civile contre Thibault et 9073-5671 Québec inc., leur reprochant diverses fautes professionnelles. Ils poursuivent aussi Transamerica pour la différence entre les impôts payés et ceux qui auraient été dus si le rendement avait été considéré comme du gain en capital. Thibault appelle Lloyd's en garantie et les Audet l'ajoutent en défense.

[34]        Dans le cadre des dossiers civils, Thibault demande d'exclure de la preuve la décision du comité de discipline. Le 28 février 2008, cette requête est rejetée par la juge Hélène Langlois de la Cour supérieure (Audet c. 9073-5671 Québec inc., C.S. Montréal, no 500-17-018137-037). Thibault demande ensuite en vain la permission d'appeler de cette décision ( 2008 QCCA 712 ).

LES JUGEMENTS DONT APPEL

 

A. Les jugements interlocutoires

[35]        Lors du procès, le procureur de Thibault demande à nouveau que soient exclus de la preuve la décision sur culpabilité du comité de discipline et le jugement de la Cour du Québec en appel. Le juge De Wever rejette ces demandes, d'avis que ces documents sont pertinents et ne portent pas atteinte au droit à un procès devant un tribunal impartial (Audet c. 9073-5671 Québec inc., C.S. Montréal, no 500-17-018137-037, 21 mai 2009).

B. Le jugement sur le fond

[36]        Dans un jugement rendu le 30 août 2010 ( 2010 QCCS 3980 ), le juge De Wever conclut que Thibault a commis de nombreuses fautes civiles engageant sa responsabilité envers les Audet. Premièrement, il a omis de compléter le profil d’investisseur de ses clients et l’analyse de leurs besoins financiers. Deuxièmement, il les a incités à investir dans un seul fonds Transamerica, plutôt que de diversifier le fonds Nikkei, qui en plus est hautement volatile. Troisièmement, il a convaincu les Audet de souscrire à une multitude de polices d’assurance vie sans s'assurer qu'ils avaient les liquidités nécessaires pour payer les primes annuelles. Finalement, il ne les a pas informés correctement du traitement fiscal des rendements réalisés par les fonds, ni des conséquences des retraits sur la garantie du capital investi.

[37]        Quant à Transamerica, après avoir souligné qu'elle a mis en marché un produit pour lequel les agents généraux avaient reçu une information suffisante et adéquate, le juge retient qu'elle n'avait aucune obligation d'information à l'égard des Audet, contrairement à Thibault.

[38]        Passant aux dommages, il les établit en fonction de la valeur des investissements majorée d'un rendement annuel de 5 %, pourcentage réclamé par les Audet et qui lui semble raisonnable, et ce, pour une période allant jusqu’en mars 2002. Il quantifie ainsi les pertes :

Marie Audet :

Somme investie à compter du 30 octobre 1998 :

1 397 885,37 $

Perte de gains calculée à 5 % du 30 octobre 1998 au 1er mars 2002 :

+ 232 853,23 $

 

1 630 738,60 $

Somme récupérée le 1er mars 2002 :

- 656 319,59 $

perte totale :

974 419,01 $

Pierre Audet : 

Somme investie à compter du 30 octobre 1998 :

1 278 738,87 $

Perte de gains calculée à 5 % du 30 octobre 1998 au 1er mars 2002 :

+ 213 006,36 $

 

1 491 745,23 $

Somme récupérée le 1er mars 2002 :

- nil

perte totale :

1 491 745,23 $

[39]        Il s’attarde ensuite à l’action en garantie contre Lloyd's qu’il rejette, d'avis qu’il y a eu des fautes lourdes ou des négligences grossières par Thibault, ce qui exclut la couverture. Il estime aussi que les exclusions ne sont pas contraires à l'ordre public et, par conséquent, qu'elles sont opposables aux Audet. En obiter, le juge exprime l'opinion que les réclamations de ces derniers se rattachent à un seul et même sinistre, car les cheminements et décisions de chacun des Audet découlent des mêmes recommandations fautives de Thibault. L’indemnité totale payable par Lloyd’s aux Audet ne pourrait donc dépasser 500 000 $.

[40]        Finalement, il condamne Thibault à payer les frais d'expertise de Lloyd's et les Audet, ceux de Transamerica.

LES MOYENS D'APPEL

 

[41]        Selon les Audet, le juge a erré en concluant que Transamerica n'était pas responsable de l’augmentation des impôts qu'ils ont subie alors que la preuve révèle qu'elle a fait défaut de renseigner adéquatement les courtiers et les clients sur les aspects fiscaux des placements offerts et en les condamnant aux dépens, incluant des frais d'expertise déraisonnables (24 715,68 $). Ils demandent à la Cour de condamner Transamerica à payer l'avantage fiscal perdu, soit 244 995 $ pour Marie Audet et 274 044 $ pour Pierre Audet ou, subsidiairement, de rejeter leur action contre Transamerica sans frais vu les circonstances.

[42]        De plus, le juge aurait eu tort de leur opposer des exclusions contenues aux polices d’assurance responsabilité professionnelle délivrées par Lloyd's; cela revient à priver les clients, des coassurés au sens des polices, de la protection voulue par le législateur. Finalement, si la couverture s'applique, il s'agit de deux sinistres distincts. Ils demandent donc à la Cour de condamner Lloyd's à payer 500 000 $ à chacun d'entre eux.

[43]        Selon Thibault, le juge a erré en permettant la production de la décision du comité de discipline sur la culpabilité et du jugement rendu en appel la confirmant. Cela l'a privé d'un procès juste, équitable et impartial. Il ajoute que la preuve autrement admissible n'établit pas une quelconque faute, mais une stratégie d'investissement adaptée aux besoins financiers et aux attentes des Audet, qui s'est de surcroît avérée très lucrative. Subsidiairement, si des dommages doivent être accordés, ceux-ci doivent être bien moindres que ceux arrêtés par le juge du procès, qui n’a pas tenu compte du défaut de les minimiser par les Audet, et l'appel en garantie contre Lloyd's doit être accueilli puisque l'exclusion prévue aux contrats d'assurance est sans effet parce que contraire à l'ordre public.

L'ANALYSE

 

I.          Le moyen de Thibault quant aux décisions disciplinaires

[44]        Je suis d'avis que le juge pouvait admettre en preuve ces décisions. En effet, depuis l'arrêt Ali c. Compagnie d'assurance Guardian du Canada, [1999] R.R.A. 427 (C.A.), il est bien établi qu'un jugement pénal est un fait juridique admissible en preuve et pertinent au litige civil portant sur les mêmes actes. Ceci vise à éviter que des jugements contradictoires soient rendus. La juge Thibault écrit dans cet arrêt :

Ainsi, en raison de l'analogie se dégageant des fondements des articles 610, 893 et 2563 C.c.B.-C., je suis d'avis, qu'en l'espèce, la condamnation criminelle de M. Ali est admissible en preuve. Celle-ci constitue, en effet, dans le présent dossier, un fait pertinent au litige civil et un élément de preuve important.

L'introduction en preuve d'un verdict de culpabilité peut, selon les circonstances, permettre au juge civil de tirer les conclusions qui s'imposent relativement au fait que l'acte reproché a bel et bien été commis. Devant, comme dans le présent cas, un jugement pénal motivé établissant que les Ali ont volontairement mis le feu à leur édifice pour toucher l'assurance, il me semble difficile, en l'absence d'éléments de preuve nouveaux, que le juge civil, ignorant complètement ce fait, réévalue la preuve, par ailleurs, strictement identique, pour en arriver à une solution clairement contradictoire. Je vois mal, en effet, comment un juge civil, devant qui la fraude ne doit être prouvée que par simple prépondérance de preuve, peut conclure que deux personnes trouvées coupables d'incendie volontaire à la suite d'un procès où leur culpabilité doit être prouvée au-delà du doute raisonnable puisse, pour ainsi dire, «rejuger» à l'aide d'une preuve identique et qu'on arrive ainsi à deux décisions contradictoires. Les Ali sont des criminels qui ont volontairement mis le feu parce qu'ils voulaient frauder leur compagnie d'assurance, mais finalement ils n'ont pas mis le feu volontairement pour les fins du paiement de l'assurance; voilà le résultat!

Certes, il existe certaines hypothèses où l'accusé, même innocent, peut plaider coupable, notamment pour s'éviter les frais d'un procès. Dans ce cas, le juge civil peut, bien évidemment, et sans contradiction, remettre ce plaidoyer de culpabilité dans son contexte et en tirer les conséquences qui s'imposent.

Le jugement pénal est un fait juridique que nul ne peut ignorer, qui est pertinent et qui peut s'imposer quant à sa valeur probante. Le juge civil donc, sans attribuer à la condamnation pénale l'autorité de chose jugée en droit ou en fait, est libre, selon les circonstances, d'en tirer les conclusions et les présomptions de fait appropriées.

[je souligne]

[45]        Comme le juge l'a décidé, ce principe s'applique aussi en matière de décisions disciplinaires. Les auteurs Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers écrivent dans leur traité, La responsabilité civile, 7e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, no 2-3, p. 5-7 :

2-3 Autorité du jugement disciplinaire sur le procès civil - Le jugement pénal n'a pas d'autorité de droit sur le jugement civil, mais en possède une de fait.

La question se pose également de savoir quel est l'impact d'une condamnation disciplinaire du professionnel sur sa responsabilité civile

Au plan procédural, plusieurs décisions refusent d'admettre ce type de preuve et ordonnent la radiation d'allégations d'un verdict ou d'un plaidoyer en matière disciplinaire. D'autres, au contraire, l'admettent comme élément de preuve au motif qu'il s'agit d'une preuve pertinente, tout en déférant souvent au juge du fond l'appréciation de cette pertinence. Au plan du fond, la jurisprudence paraît également partagée. Pour certains, le jugement disciplinaire a un impact sur le procès civil, alors que pour d'autres, il n'ajoute rien au fond du litige civil.

L'admissibilité du jugement disciplinaire condamnant le professionnel comme élément de preuve doit être approuvée pour trois raisons. Premièrement, le fardeau de preuve en matière disciplinaire s'avère identique à celui prévu en matière civile. Deuxièmement, le fait d'avoir été jugé par ses pairs, dans une matière où il est difficile de porter un jugement sans un bagage technique adéquat, confère au jugement disciplinaire une grande légitimité. Troisièmement, plusieurs décisions, qui refusent d'admettre la preuve d'une condamnation disciplinaire, fondent leur raisonnement sur un arrêt de la Cour d'appel qui traitait de l'impact d'un rapport du coroner. Cet aspect limite considérablement sa portée, d'autant plus que la question mériterait d'être réexaminée à la lumière des principes et des limites énoncés dans l'arrêt Ali. À notre avis, le jugement disciplinaire, en tant qu'élément de preuve pertinent, possède une autorité de fait indéniable. Compte tenu que dans les deux instances (disciplinaire et civile), le fardeau de preuve est similaire, il devrait en être également de même d'un acquittement. En revanche, une enquête du syndic ou l'introduction de procédures disciplinaires ne constituent pas des éléments de preuve pertinents.

[je souligne]

La Cour a exprimé son accord avec cette opinion dans Hamel c. J.C., 2008 QCCA 1889 , J.E. 2008-1999 , par. 57.

[46]        Il est indéniable que la décision du comité de discipline et le jugement en appel de la Cour du Québec sont des faits pertinents au litige. Fallait-il néanmoins les exclure pour éviter de rendre inéquitable le procès civil? Je ne le crois pas.

[47]        La décision du comité ne fait pas preuve des faits y mentionnés, mais uniquement que si ces faits existent, ils constituent une faute déontologique. Or, l'existence d'un manquement au code de conduite d'un professionnel ou d'un intermédiaire peut être un indice d'une faute civile, sans en constituer nécessairement une.

[48]        En l'espèce, Thibault a eu droit à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant qui a analysé l'ensemble de la preuve, le tout conformément à l'art. 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12. Son moyen à cet égard m’apparaît sans fondement.

 

II.         Les moyens des Audet relatifs à Transamerica

[49]        En 2000, lorsque les Audet reçoivent leurs formulaires fiscaux T-3 de Transamerica pour 1999, ils sont surpris de voir que la majorité des revenus de leurs placements entrent, selon le gestionnaire du fonds, dans la catégorie « autres revenus » et non dans celle « gains en capital ». Thibault leur avait pourtant dit que de tels produits généraient principalement des gains en capital, ce qui est plus avantageux fiscalement parlant. Cela était d'ailleurs conforme au traitement fiscal réservé à ce genre d'investissements par d'autres assureurs avec lesquels Thibault avait fait précédemment affaire, dont les fonds indiciels de la compagnie NN.

[50]        Il m'apparaît indéniable que toute société qui offre des véhicules de placements au public doit informer les investisseurs potentiels de tous les faits pertinents à une décision éclairée par ces derniers. Cette obligation d'information s'étend bien sûr aux conséquences de tout retrait et au traitement fiscal des gains ou pertes.

[51]        Lorsque le produit est commercialisé par des tiers, toute l'information pertinente doit donc être communiquée d'abord aux intermédiaires afin que ceux-ci puissent conseiller adéquatement les investisseurs potentiels, puis aux investisseurs directement, lorsque ceux-ci achètent le produit. Si, à un moment donné, la société qui a conçu le produit réalise que les intermédiaires ne semblent pas bien le comprendre, elle a l'obligation de les informer à nouveau. 

[52]        En l'espèce, Transamerica n'a pas rempli pleinement cette obligation, qui était d'autant plus élevée qu’elle ne traitait pas fiscalement son produit de la même manière que plusieurs concurrents. Son prospectus et les autres documents remis aux Audet n’expliquent pas clairement la réalité du traitement fiscal des rendements. Ainsi, la brochure remise aux Audet mentionne que les fonds indiciels choisis produisent des gains en capital et du revenu d'intérêt, ce qui est très imprécis. Thibault, qui tournait les coins ronds, a pu ainsi erronément présumer que les rendements seraient traités comme du gain en capital et les Audet comprenaient qu'il en serait ainsi.

[53]        En réalité, l’imprécision quant au traitement des rendements des fonds semble tenir d'un flottement chez Transamerica à l'égard d'un nouveau produit dont on ne savait pas encore avec certitude comment il devait être fiscalement traité. Ainsi, en mars 2000, Transamerica doit produire un document regroupant les questions fréquemment posées. La première porte sur le traitement fiscal des fonds et est formulée de la manière suivante : « Why do I have so much "other income" on my (insert name here) Index Fund? I expected capital gains ». Dans son interrogatoire, Richard Sachs, un des vice-présidents de Transamerica, explique qu'il s'agit d'un document interne développé pour le centre d'appels pour répondre aux nombreuses questions des courtiers et des agents généraux à la suite des envois des documents fiscaux aux investisseurs.

[54]        De même, dans un document intitulé « GROWSafe Taxation Tip », il est aussi écrit que la compagnie a remarqué que tout le monde n'était pas familier avec le traitement fiscal, et elle donne des informations additionnelles sur celui-ci. M. Sachs dit qu'il pense qu'il s'agit d'un brouillon et ajoute que cette méconnaissance ne l'inquiétait pas outre mesure parce que si des montants élevés étaient dus c’était parce que les fonds performaient bien. L’absence de préoccupation peut être justifiée pour l'investisseur qui a accès aux liquidités requises, mais pas nécessairement pour tous.

[55]        L'année suivante, dans une note interne datée du 12 mars 2001, M. Di Girolamo, le directeur des ventes de Transamerica, écrit aux vice-présidents de la compagnie pour leur dire qu'il y a un problème avec un des clients de Thibault, probablement Marie Audet qui venait de le contacter. Il écrit que Thibault ne savait pas que la plupart des rendements seraient considérés comme des revenus et non comme des gains en capital. Il y défend Thibault en disant que la compagnie a mal informé ses courtiers :

As far as Mr Thibault is concerned, he too was not aware of this. His dealings with NN and Maritime Life led him to believe that index fund returns were capital gains. In Mr. Thibault's defense, Transamerica did not do a very good job in educating its brokers as to its interpretation of the ITA as far as index funds are concerned. Our research resulted in finding only two articles in the past two years regarding this subject. These articles were communicated to MGAs via tax issues in "This Week's News". This information does not necessarily filter its way down to the individual brokers.

[je souligne]

[56]        Devant une telle preuve, une seule conclusion s'impose : Transamerica ne s’est pas adéquatement déchargée de son obligation d'information des intermédiaires et des investisseurs lorsqu'elle a lancé ses nouveaux fonds indiciels, dont le fonds Nikkei. La conclusion contraire du juge du procès constitue une erreur manifeste dans l'appréciation de la preuve.

[57]        Aggravée par le défaut de reconnaître une obligation légale étendue d'informer intermédiaires et investisseurs de tous les aspects importants des produits offerts, incluant leur traitement fiscal, cette erreur est-elle toutefois dominante sur la conclusion du juge du procès en l'exonération de responsabilité de Transamerica? Je ne le crois pas.

[58]        En effet, le juge retient qu'il y a, de toute manière, absence de lien de causalité entre l'information inadéquate sur le traitement fiscal des fonds et la décision des Audet d'y investir. Il s'exprime ainsi :

[255] Le Tribunal est d’opinion que l’élément-clé qui amène les Audet à suivre la recommandation de Thibault d’investir dans les fonds Transamerica, est la garantie de protection du capital à 100 % après 10 ans, et non l’exigence de seulement des gains en capital.

[256] Le Tribunal retient le fait que Marie et Pierre comprennent et acceptent que, peu importe le véhicule de placement, il y aura des impôts à payer, moindre toutefois dans le cas de gains en capital.

[59]        Cette conclusion trouve suffisamment appui dans la preuve. Ainsi, Marie témoigne qu'elle n'a jamais exigé que les augmentations de valeur de ses investissements soient traitées comme du gain en capital :

Q         Est-ce que ç'a été discuté que vous vouliez absolument que ce soit traité comme du gain et non du revenu?

R         Non. Comme je vous dis, j'ai jamais rien … je lui ai jamais rien demandé. C'est lui qui me disait : «C'est ça, faut pas trop payer d'impôt, donc faut que ce soit taxé au moindre, et le moindre c'est du gain en capital.»

Elle affirme plutôt que ce qu'elle a demandé à Thibault, c'est de faire fructifier le capital imprévu reçu de sa mère :

R-        Comme je l'ai déjà dit, j'étais vraiment étonnée d'avoir ces montants. Je ne savais pas comment gérer une telle somme. J'ai demandé de protéger le capital et de le faire fructifier.

Q-        Et par faire…  

R-        Je n'avais pas d'autres attentes que ça.

[…]

Q-        Et qui a soulevé la question de gain en capital?

R-        C'est monsieur Thibault.

Q-        Dans quel contexte?

R-        Mais c'était un argument de vente pour les fonds distincts, c'était un avantage du produit.

Q-        Et est-ce que vous le voyez comme un avantage?

R-        Pour ce produit-là, oui. Oui, c'était un avantage.

[60]        Il est vrai que Pierre a semblé plus affirmatif sur ce point :

R         On a parlé du traitement fiscal parce que, bien, ce qu'on voulait, c'est avoir des gains en capitaux et non des revenus d'intérêts, pour la simple et bonne raison qu'un gain en capital c'était moins imposable que des revenus d'intérêts.

Cependant, il a aussi dit qu'au début ses attentes étaient que le capital soit protégé et fructifie, sans insistance sur le traitement fiscal :

Q-        Maintenant, vous avez parlé vous-même que vous êtes arrivé chez monsieur Thibault pour parler de protéger votre capital et le faire fructifier. Pour vous, ça voulait dire quoi "faire fructifier votre capital"?

R-        Je savais que monsieur Thibault avait des connaissances, de grandes connaissances en placement, puis je m'attendais à ce qu'il fasse fructifier, mais je n'avais pas d'attentes de cinq (5), dix (10), vingt pour cent (20%), là.

L'important, c'était de protéger le capital et le faire fructifier. Mais mes attentes n'étaient pas …je n'avais pas d'attentes.

Q-        O.K. Et est-ce que c'était vous qui avez soulevé la question des gains en capital?

R-        Non. Lorsqu'on arrive avec… lorsqu'on arrive avec…chez monsieur Thibault, je ne dis pas: monsieur Thibault, hey, je veux absolument des gains en capital. Je pense que c'était sous-entendu. Monsieur Thibault faisait des placements boursiers. Dans ma tête à moi, c'était sous-entendu que ça serait des placements boursiers, ça serait des gains en capital.

Q-        Est-ce que vous avez exigé que ce soit du gain en capital?

R-        Je n'ai pas exigé.

[61]        En présence d'une telle preuve, je ne peux conclure que le juge a commis une erreur dominante en décidant que le traitement fiscal n'était pas un élément déterminant dans la décision des Audet d'investir dans les fonds Transamerica.

[62]        Quant aux conséquences des retraits avant terme d'une partie des fonds sur le capital garanti, les documents de Transamerica les expliquaient. Certes, la formule de calcul peut sembler complexe, mais rien n'indique que les intermédiaires étaient incapables d'en saisir la portée et d'aviser adéquatement leurs clients.

[63]        Dans ces circonstances, les Audet ne démontrent pas que le juge du procès a erré en concluant que Transamerica ne leur avait causé aucun dommage. Néanmoins, je suis d'avis que n'eût été son erreur de droit sur l'étendue de l'obligation d'information et de son erreur consécutive d'interprétation de la preuve, le juge n'aurait pas condamné les Audet à payer des dépens à Transamerica. Il aurait plutôt, vu les circonstances décrites précédemment, conclu en un rejet de la cause d'action contre Transamerica sans frais. Cela m'apparaît singulièrement évident à l'égard des frais d'un expert dont le rapport traite, notamment, du traitement fiscal des rendements des fonds par Transamerica.

[64]        Il y a donc lieu de faire droit, sans frais, à la conclusion subsidiaire recherchée par les Audet quant à Transamerica.

III.        Les moyens relatifs aux Lloyd's

[65]        Pour les fins des présentes, Thibault œuvrait par l'intermédiaire de sa société 9073-5671 Québec inc., un cabinet au sens de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, L.R.Q., c. D-9.2 (LDPSF), qui devait souscrire de l'assurance responsabilité civile :

76. La personne morale qui s’inscrit comme cabinet doit démontrer qu’elle a souscrit une assurance conforme aux exigences déterminées par règlement pour couvrir sa responsabilité. Elle doit aussi démontrer que tout représentant qui agit pour son compte sans être un des employés est couvert par une assurance conforme aux exigences déterminées par règlement pour couvrir sa responsabilité.

Lorsqu’il existe un fonds d’assurance, la personne morale et le représentant qui n’est pas un de ses employés doivent plutôt acquitter la prime d’assurance fixée par l'Autorité.

[…]

83. Un cabinet doit, tant qu'il est inscrit, maintenir une assurance conforme aux exigences déterminées par règlement, pour couvrir sa responsabilité ou, s'il existe un fonds d'assurance, acquitter la prime d'assurance fixée par l'Autorité à cette fin. Il doit aussi s'assurer que tout représentant qui agit pour son compte sans être un de ses employés est couvert par une assurance conforme aux exigences déterminées par règlement pour couvrir sa responsabilité ou, s'il existe un fonds d'assurance, qu'il a acquitté la prime d'assurance fixée par l'Autorité à cette fin.

[je souligne]

76. Legal persons who register as firms must establish that they have subscribed for liability insurance that is consistent with the requirements determined by regulation. They must also establish that every representative acting on their behalf without being an employee has liability insurance that is consistent with the requirements determined by regulation.

Where an insurance fund has been established, such legal persons and every representative acting for them without being an employee must, instead, pay the insurance premium fixed by the Authority.

[…]

83. A firm must, while registered, maintain liability insurance that is consistent with the requirements determined by regulation or, if an insurance fund has been established, pay the insurance premium fixed by the Authority. The firm must also ensure that every representative acting on its behalf without being an employee carries liability insurance that is consistent with the requirements determined by regulation or, if an insurance fund has been established, has paid the insurance premium fixed by the Authority.

De même, Thibault agissait comme représentant autonome devait détenir de l'assurance responsabilité civile :

131. Pour s’inscrire comme représentant autonome, un représentant doit démontrer qu’il a souscrit une assurance conforme aux exigences déterminées par règlement pour couvrir sa responsabilité.

Lorsqu’il existe un fonds d’assurance, le représentant doit plutôt acquitter la prime d’assurance fixée par l'Autorité.

Une société qui s’inscrit comme société autonome doit faire de même à l’égard de tous ses associés et de tous les représentants qui sont à son emploi.

[…]

136. Un représentant autonome doit, tant qu'il est inscrit, maintenir une assurance conforme aux exigences déterminées par règlement pour couvrir sa responsabilité ou, s'il existe un fonds d'assurance, acquitter la prime d'assurance fixée par l'Autorité à cette fin.

Une société autonome doit faire de même à l'égard de tous ses associés et de tous les représentants qui sont à son emploi.

[je souligne]

131. Representatives who register as independent representatives must establish that they have subscribed for liability insurance that is consistent with the requirements determined by regulation.

Where an insurance fund has been established by the Authority, the representatives must, instead, pay the insurance premium fixed by the Authority.

Partnerships that register as independent partnerships must do likewise with respect to their partners and the representatives employed by them.

[…]

136. Independent representatives must, while registered, maintain liability insurance that is consistent with the requirements determined by regulation or, if an insurance fund has been established, pay the insurance premium fixed by the Authority.

Independent partnerships must do likewise with respect to their partners and the representatives they employ.

[66]        En l'espèce, il est indéniable que les polices délivrées par Lloyd's tant à 9073-5671 Québec inc. qu'à Thibault visaient à satisfaire l’obligation de maintenir une assurance conforme aux exigences réglementaires et qu'elles constituent des polices d'assurance responsabilité au bénéfice des clients de Thibault.

[67]        En vertu de l'article 2501 C.c.Q., les Audet pouvaient donc poursuivre les Lloyd's, non comme coassurés[2], mais comme tiers lésés :

2501. Le tiers lésé peut faire valoir son droit d'action contre l'assuré ou l'assureur ou contre l'un et l'autre.

Le choix fait par le tiers lésé à cet égard n'emporte pas renonciation à ses autres recours.

2501. An injured third person may bring an action directly against the insured or against the insurer, or against both.

The option chosen in this respect by the third person injured does not deprive him of his other recourses.

[68]        Je m'empresse d'ajouter que nous sommes en présence de deux tiers lésés distincts. En effet, les Audet étaient deux clients différents de Thibault et non un client unique. Ils n'ont d'ailleurs pas investi en commun. Leurs investissements ont été, en tout temps pertinent, gardés séparés et leurs relations avec Thibault n'ont pas été de même durée ni pour les mêmes produits.

[69]        Dans ces circonstances, l’argument du Lloyd's qu'il s'agit de deux réclamations découlant d'un même sinistre et, par voie de conséquence, que sa responsabilité, s'il en est, est limitée à 500 000 $ pour les deux, plutôt que pour chacun des Audet, ne convainc pas.

[70]        Il est vrai que le contrat d’assurance responsabilité de Thibault prévoit une limite de garantie de 500 000 $ par sinistre, une expression largement définie à son art. 5 :

g)         Le mot « sinistre » signifie une ou plusieurs réclamations résultant des même circonstances ou des mêmes événements à l’occasion de services professionnels rendus ou qui auraient dû être rendus à une ou plusieurs personnes.

[71]        Ce contrat caractérise ainsi une réclamation :

f)          Les mots « réclamation » et « réclamations » signifient toute demande monétaire verbale ou écrite, de même que toute allégation verbale ou écrite reçue par l’Assuré et ayant trait au défaut de rendre des services professionnels ou à une faute, erreur, négligence ou omission en rendant de tels services;

[72]        En somme, une réclamation est une demande monétaire alléguant une faute dans les services que l’on a fournis ou omis de fournir. Un même sinistre peut donner lieu à plusieurs réclamations (par exemple : si le client est une société de personnes, chacun des associés pourrait faire valoir une réclamation découlant d’un même sinistre, c'est-à-dire un défaut de rendre des services adéquats entraînant une perte).

[73]        Qu'on puisse considérer Marie et Pierre, qui ont fait valoir chacun une réclamation dans des actions distinctes, comme des victimes d'une même stratégie de placement n'emporte aucunement qu'il y a lieu de parler d'un seul sinistre. Il ne suffit pas de répéter la même faute à l’égard de clients différents pour conclure qu’il s’agit d’un même sinistre. Le mot « sinistre » ne peut être interprété d’une manière si étendue sans dénaturer la couverture associée à ce genre de police d'assurance responsabilité professionnelle.

[74]        Contrairement au juge du procès, qui a commis une erreur de droit à ce titre, il y a lieu de retenir que nous sommes en présence de deux sinistres distincts, chacun donnant droit à une indemnisation à hauteur maximale de 500 000 $, si la couverture existe. 

[75]        Face au Lloyd's, le débat se résume alors à la qualification des fautes commises, s'il en est, puisque la police exclut la faute lourde et la négligence grossière, puis, si nécessaire, à déterminer de la validité ces exclusions.

 

IV.       Les fautes de Thibault et leur nature

[76]        Les fautes reprochées à Thibault par le juge du procès consistent à ne pas avoir complété par écrit de profil d'investisseur, d'avoir mal analysé individuellement les besoins de chacun des Audet et d'avoir proposé des investissements, polices et emprunts qui ne convenaient pas aux besoins et capacités de ses clients. Le juge du procès conclut ainsi en se basant, notamment, sur les dispositions pertinentes de la LDPSF et du Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, R.R.Q., c. D-9.2, r. 3.

[77]        L'article 27 LDPSF prévoit que le représentant doit recueillir du client tous les renseignements permettant d'identifier ses besoins afin de lui offrir les produits appropriés :

27.         Un représentant en assurance doit recueillir personnellement les renseignements nécessaires lui permettant d’identifier les besoins d’un client afin de lui proposer le produit d’assurance qui lui convient le mieux.  

[je souligne]

 

27. Insurance representatives must personally gather the information that is necessary to assess a client’s needs, in order to propose the insurance product that best meets those needs.

[78]        Le Code de déontologie complète cette obligation. D'abord, il énonce à ses articles 12 et 13 qu'un représentant doit agir avec probité, dans l'intérêt du client et non du sien, en lui fournissant tous les renseignements nécessaires ou utiles, après s'être enquis des caractéristiques des produits offerts. Sur ce dernier point, l'article 15 exige du représentant qu'il ait une connaissance complète des faits. Ces dispositions sont ainsi rédigées :

12. Le représentant doit agir envers son client ou tout client éventuel avec probité et en conseiller consciencieux, notamment en lui donnant tous les renseignements qui pourraient être nécessaires ou utiles. Il doit accomplir les démarches raisonnables afin de bien conseiller son client.

13.  Le représentant doit exposer à son client ou à tout client éventuel, de façon complète et objective, la nature, les avantages et les inconvénients du produit ou du service qu'il lui propose et s'abstenir de donner des renseignements qui seraient inexacts ou incomplets.

[…]

15.  Avant de renseigner ou de faire une recommandation à son client ou à tout client éventuel, le représentant doit chercher à avoir une connaissance complète des faits.

[je souligne]

12.  A representative must act towards his client or any potential client with integrity and as a conscientious adviser, giving him all the information that may be necessary or useful. He must take reasonable steps so as to advise his client properly.

 

13.  A representative must fully and objectively explain to his client or any potential client the type, advantages and disadvantages of the product or service that he is proposing to him and must refrain from giving information that may be inaccurate or incomplete.

[…]

15.  Before providing information or making a recommendation to his client or to any potential client, a representative must seek to have a complete understanding of the facts.

[79]        On le voit donc, la connaissance du profil de l'investisseur, l'analyse objective de ses besoins et une compréhension poussée des produits offerts sont nécessaires pour bien conseiller le client.

[80]        En l'espèce, Pierre a témoigné que Thibault ne leur a posé aucune question sur leurs besoins, leurs attentes, leurs sources de revenus. Faute d'un écrit, il revenait alors à Thibault de convaincre le juge du procès qu'il a néanmoins bien cherché à connaître la situation financière et personnelle de chacun des Audet, ainsi que leurs besoins. Lorsqu’il témoigne, Thibaut dit qu’au début il savait que Pierre avait une maison avec hypothèque et qu’il gagnait environ 50 000 $ par année. Il ajoute que Pierre lui a dit qu’il n’avait pas besoin de l’argent de l’héritage, qu’il voulait le garantir et le faire fructifier. Quant à Marie, il savait qu’elle avait deux enfants, un baccalauréat en administration, une maison avec une petite hypothèque et qu’elle gagnait environ 36 000 $. Elle lui aurait aussi dit qu’elle n’avait pas besoin de l’argent de l'héritage pour vivre. Il prétend qu’il n’avait besoin de rien savoir d’autre pour bien conseiller ces deux clients, dont le seul objectif était de protéger le montant hérité et de le faire fructifier.

[81]        Je suis d'accord avec Thibault que tel semblait effectivement leur objectif. L'achat des fonds Transamerica, garantissant, sous certaines conditions, à terme le capital investi, permettait, à première vue, d'atteindre le premier objectif. Quant à l'obtention d’un rendement, il ne fait pas de doute que l'achat de ses fonds indiciels, notamment le fonds Nikkei, a plus que rempli ce deuxième objectif, du moins en 1999. Qu'il n'y ait pas eu de diversification dans les fonds choisis à certaines périodes, par exemple en 1998 lors de l'achat d'unités dans le fonds Nikkei uniquement, ne constitue pas une faute engendrant un préjudice en l'espèce pour deux motifs : le capital était garanti et les résultats démontrent un rendement impressionnant. L'absence de diversification peut être considérée comme une stratégie risquée, peut-être même une faute déontologique, mais elle n'a pas causé un préjudice en l'espèce par rapport à un portefeuille diversifié, bien au contraire.

[82]        La cause des déboires des investisseurs Audet réside ailleurs : une performance exceptionnelle en 1999 des fonds recommandés résultant en l'exigibilité d'impôts dépassant les liquidités disponibles de chacun des Audet. Ainsi, Marie a réalisé des revenus taxables de plus de 700 000 $ en 1999, alors qu'elle disposait de revenus autonomes annuels de 30 000 $ par an. Quant à Pierre, il a eu sur papier des revenus d'investissement d’environ 700 000 $ pour la même période, lui dont les revenus d'autres sources sont d'environ 40 000 $.

[83]        Dans ces circonstances, les Audet n'avaient que deux possibilités pour s'acquitter de leur fardeau fiscal : emprunter les montants requis ou disposer d'une partie de leur investissement dans les fonds pour ainsi récupérer des liquidités. Ces deux options avaient leur lot de conséquences négatives. Emprunter annuellement des sommes importantes pour acquitter ses impôts implique l'accumulation d'un passif significatif et la fourniture de garantie (prêts à levier), sans parler des intérêts payables sur ces emprunts qui requièrent aussi des liquidités, problème que proposait de contourner Thibault par l’accumulation des intérêts sur 10 ans. L'autre option, encaisser une partie des investissements, avait pour conséquence de réduire proportionnellement le capital garanti et donc de faillir au deuxième objectif, soit protéger le capital investi dans son intégralité.

[84]        Qui plus est, le problème de liquidités a été exacerbé par les incitations répétées et finalement suivies par les Audet de souscrire à des polices d'assurance vie qui nécessitaient le paiement annuel de primes considérables, jusqu'à 279 000 $ en 2000 pour Marie et 309 600 $ pour Pierre . La preuve est à l'effet que les Audet n’avaient pas les moyens de ces multiples assurances et que c'est seulement à force d'insister que Thibault a réussi à les convaincre d'y souscrire. La décision du comité de discipline reproche d'ailleurs à Thibault d'avoir fait souscrire Marie à ces polices d'assurance et d'avoir exercé des pressions indues sur elle. En réalité, les incitations soutenues de Thibault à l'égard des polices d'assurance vie ne peuvent s'expliquer que par les substantielles commissions qu'il tirait de la vente de ce type de produit.

[85]        Dans ces circonstances, d'autres emprunts deviennent alors la seule option possible. C'est ainsi que Pierre se retrouve avec un prêt de 1 146 527 $ le 22 février 2001 et Marie de 1 206 755,82 $, le 23 février 2001.

[86]        Somme toute, la preuve au dossier démontre que la stratégie d'investissement proposée à chacun des Audet par Thibault ne convenait pas à leur situation, et ce, en raison de sa méconnaissance de leur situation et des produits recommandés et de son désir d'encaisser un maximum de commissions. La conclusion de fautes du juge du procès à ces égards est amplement supportée par la preuve (le juge retient aussi d'autres gestes fautifs, mais ceux-ci sont accessoires aux deux fautes que je viens de décrire). 

[87]        Comment qualifier ces deux fautes? Selon le juge du procès, il y a là des fautes lourdes ou de la négligence grossière, qualification qui fait l'affaire du Lloyd's qui peut ainsi invoquer les exclusions prévues à la police. Par conséquent, il faut déterminer, si ces fautes constituent au sens des polices des fautes lourdes ou de la négligence grossière. Comme ces expressions sont non définies aux polices d'assurance responsabilité du Lloyd's, il faut s'en remettre au droit en vigueur au Québec.

[88]        Commentant la négligence grossière, le professeur Didier Lluelles, Précis des assurances terrestres, 5e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, écrit à la p. 197 :

Il s'agit d'un comportement positif ou d'une absence de soins particulièrement sérieux, que la plus imprudente des personnes raisonnables n'aurait pas adopté. Le comportement de l'assuré est tellement énorme que, s'il avait voulu le dommage, il ne s'y serait pas pris autrement.

[89]        Quant à la faute lourde, selon l'art. 1474 C.c.Q., elle est celle qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières :

1474. Une personne ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice matériel causé à autrui par une faute intentionnelle ou une faute lourde; la faute lourde est celle qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières.

Elle ne peut aucunement exclure ou limiter sa responsabilité pour le préjudice corporel ou moral causé à autrui.

[je souligne]

1474. A person may not exclude or limit his liability for material injury caused to another through an intentional or gross fault; a gross fault is a fault which shows gross recklessness, gross carelessness or gross negligence.

He may not in any way exclude or limit his liability for bodily or moral injury caused to another.

Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6e éd., par Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vézina, Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 2005, no 929, p. 951,commentent ainsi cette disposition :

Par faute lourde, le législateur, selon ses propres termes, entend la faute « qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière » et donc un total mépris des intérêts d’autrui. C’est une tentative plus ou moins heureuse de codifier le concept jurisprudentiel de faute lourde, qui continue donc de s’appliquer aujourd’hui. Pour être plus précis, on peut dire que, sans être malicieuse, une telle faute ne serait pas commise « même par la personne la moins soigneuse » - un concept tout de même un peu moins restrictif que celui de Pothier (« le fait de ne pas apporter aux affaires d’autrui le soin que les personnes les moins soigneuses et les plus stupides ne manquent pas d’apporter à leurs propres affaires »).

[90]        En somme, la faute lourde, dont la négligence grossière n'est qu'une manifestation, tout comme l'insouciance, même celle qualifiée de téméraire, découle d'un comportement anormalement déficient, voire inexcusable, qui dénote un mépris complet des intérêts d'autrui (Empire Cold Storage Co c. Cie de volailles Maxi ltée, [1995] R.R.A. 846 , J.E. 95-1986 (C.A.)). Un tel comportement est si choquant que le droit ne permet pas à son auteur d'exclure sa responsabilité (art. 1474 C.c.Q.).

[91]        La faute lourde se distingue par ailleurs de la faute intentionnelle. Cette dernière se caractérise par une conduite qui recherche non seulement la réalisation du risque, mais aussi celle des préjudices ainsi causés, c'est-à-dire les conséquences d'une telle conduite (Professeur Sébastien Lanctôt et Me Paul A. Melançon, Commentaires sur le droit des assurances : textes législatifs et réglementaires, 2e éd., Montréal, LexisNexis, 2011, p. 142; Goulet c. Cie d’assurances-vie Transamerica, [2002] 1 R.C.S. 719 ).

[92]        À mon avis, nous sommes ici en présence d'incompétence quant aux fonds indiciels et d'un conflit d'intérêts quant aux polices d'assurance vie. Ainsi, la méconnaissance des conséquences fiscales s'explique par un défaut de vérification auprès de Transamerica et une présomption, mal fondée, que les fonds indiciels Transamerica recevraient le même traitement fiscal que ceux offerts par d'autres assureurs. À cet égard, le comportement de Thibault ne semble pas avoir été différent de celui d'autres intermédiaires qui ont vendu des fonds indiciels comme le démontrent les témoignages de certains représentants de Transamerica à la suite de la réception par un grand nombre d'investisseurs des formulaires fiscaux indiquant des revenus de placement et non des gains en capital[3]. On ne saurait alors parler de faute lourde, mais plutôt d’incompétence. La qualification de celle-ci de faute lourde par le juge du procès tient de l'erreur de droit quant à la nature d'une faute.

[93]        Quant à la souscription à d’énormes polices d'assurance vie à l'incitation répétée de Thibault, elle se caractérise par l'intérêt de ce dernier à gagner des commissions et une insouciance inexcusable à l’égard des conséquences pouvant en résulter pour le client. Une telle conduite, comme en conclut le juge du procès, constitue une faute lourde. Je n'y vois cependant aucun indice d'une intention de provoquer des conséquences désastreuses pour le client ou de lui causer un préjudice, ce qui pourrait être indicatif d'une faute intentionnelle.


V.        Le lien de causalité

[94]        Le juge ne traite pas explicitement du lien de causalité entre les fautes décrites plus haut et les dommages subis. Il écrit tout de même que la situation des Audet découle des recommandations fautives de Thibault :

[348] Le Tribunal est d’opinion que les cheminements de Marie et Pierre entre octobre 1998 et mars 2002 et les décisions qu’ils prennent au cours de cette période, découlent des mêmes recommandations fautives de Thibault.

De toute façon, étant donné que le juge accorde des dommages-intérêts aux Audet après avoir conclu aux fautes de Thibault, c'est forcément qu'il a conclu qu'il y avait bien un lien de causalité. Je suis du même avis.

[95]        En réalité, nous sommes en présence de deux séries d'actes fautifs constituant des causes concurrentes des préjudices allégués. Les premiers ont trait à un manque de connaissance du traitement fiscal des rendements générés par les fonds indiciels vendus, qui ont provoqué des manques de liquidités importants, et des modalités de retraits partiels, qui ont porté atteinte à l'objectif de garantie du capital initial. Les deuxièmes dénotent un conflit d'intérêts qui a incité à l'achat de polices inappropriées à la situation des clients, ce qui a exacerbé leur problème de liquidités.

[96]        La combinaison de ces deux séries d’actes fautifs a requis des emprunts énormes par les Audet. Ces prêts à levier sont ensuite devenus menaçants avec la chute des marchés. Craignant un rappel des prêts, les Audet ont dû se résigner à retirer l'argent des fonds afin de les rembourser. En somme, les fautes de Thibault ont résulté en une situation devenue intenable pour les Audet qui s'est soldée par la liquidation de leurs investissements et des pertes importantes.

[97]        Il y a donc bel et bien un lien de causalité logique, direct et immédiat entre les fautes de Thibault et les pertes alléguées par les Audet.

 

VI.       Les dommages

[98]        En vertu de l'art. 1611 C.c.Q., les dommages-intérêts compensent, notamment, le créancier pour le gain dont il est privé :

1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu'il subit et le gain dont il est privé.

On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu'il est certain et qu'il est susceptible d'être évalué.

 

1611. The damages due to the creditor compensate for the amount of the loss he has sustained and the profit of which he has been deprived.

Future injury which is certain and able to be assessed is taken into account in awarding damages.

[99]        Le juge de première instance a décidé de compenser les Audet pour la perte des montants investis et des gains manqués. Il fait son calcul à partir des montants investis en octobre 1998 majorés d’un taux de rendement de 5 %. Tel qu'indiqué précédemment, cela résulte en un montant de 974 419,01 $ pour Marie Audet et de 1 491 745,23 $ pour Pierre Audet.

[100]     Thibault rétorque que ce sont les Audet qui ont provoqué une partie des pertes en liquidant soudainement leurs placements. Le juge traite de cet aspect de manière convaincante quand il écrit :

[291] Le Tribunal est d’opinion qu’il n’y a pas lieu de réduire ces pertes au motif que les Audet ne minimisent pas leurs dommages.

[292] En effet, la preuve est à l’effet que Thibault, lui-même, abandonne ses clients lorsqu’il se rend compte que ceux-ci ne veulent plus suivre ses conseils de façon inconditionnelle. L’exemple le plus frappant de cet abandon est son refus d’accompagner et de soutenir Marie lorsqu’elle décide de rencontrer un représentant de Transamerica pour discuter des problèmes d’imposition des gains.

[101]     Thibault plaide aussi que le juge ne tient pas compte des retraits qui sont faits par les Audet pour leurs propres fins, c'est-à-dire pour payer les primes des polices d'assurances vie et leurs dépenses personnelles. Cela est vrai, mais je n’y vois pas une erreur révisable. D’abord, les montants utilisés pour les dépenses personnelles sont modestes. Ensuite, il n’y a pas lieu de considérer les montants utilisés pour investir dans des polices d’assurance vie aujourd’hui en déchéance parce que les preneurs ne pouvaient en acquitter les primes.

[102]     Thibault invoque aussi que Marie reconnaît avoir récupéré la somme de 680 000 $ dans sa requête introductive d'instance réamendée alors que le juge utilise dans son calcul 656 319,59 $ comme somme récupérée. D'une part, à l'audience, Marie dit bien qu'il lui reste un solde de 656 000 $. D'autre part, les Audet allèguent qu'ils ont fourni au juge des feuilles de calculs, qui ne nous ont pas été remises. Par conséquent, la Cour est mal placée pour modifier la conclusion du juge sur ce point.

[103]     Thibault soutient par ailleurs qu'en mars 2000, l'opération de blocage a fixé la valeur de l'investissement de Marie à 2 886 621 $, ce qui veut dire qu'en mars 2010, elle aurait pu retirer cette somme. Cela est hypothétique et le juge a bien fait de ne pas en tenir compte puisque Marie devait rembourser le prêt à levier que Thibault l’avait poussée à contracter et n’avait pas accès à d’autres sources de liquidités pour ce faire.

[104]     Finalement, Thibault plaide que le juge n'aurait pas dû se baser sur un rendement de 5 % qui aurait été obtenu avec un certificat de placement, alors que les Audet connaissaient ce produit et ont choisi de ne pas y souscrire. L’argument ne convainc pas. Si les Audet n’ont pas choisi ce produit, c’est parce que Thibault a fait miroiter des meilleurs rendements avec d’autres produits.

[105]     Sur le tout, je suis d’avis que le juge n'a pas erré dans l'attribution des dommages.

 

VII.      La responsabilité de l'assureur

[106]     L'art. 2464 C.c.Q. s'applique à l'assurance de dommages, soit l'assurance de biens et celle de responsabilité (art. 2396 C.c.Q.). Il énonce des règles fondamentales en matière d'exclusions pour ces polices :

2464. L'assureur est tenu de réparer le préjudice causé par une force majeure ou par la faute de l'assuré, à moins qu'une exclusion ne soit expressément et limitativement stipulée dans le contrat. Il n'est toutefois jamais tenu de réparer le préjudice qui résulte de la faute intentionnelle de l'assuré. En cas de pluralité d'assurés, l'obligation de garantie demeure à l'égard des assurés qui n'ont pas commis de faute intentionnelle.

Lorsque l'assureur est garant du préjudice que l'assuré est tenu de réparer en raison du fait d'une autre personne, l'obligation de garantie subsiste quelles que soient la nature et la gravité de la faute commise par cette personne.

[je souligne]

 

 

2464. The insurer is liable to compensate for injury resulting from superior force or the fault of the insured, unless an exclusion is expressly and restrictively stipulated in the policy. However, the insurer is never liable to compensate for injury resulting from the insured's intentional fault. Where there is more than one insured, the obligation of coverage remains in respect of those insured who have not committed an intentional fault.

Where the insurer is liable for injury caused by a person for whose acts the insured is liable, the obligation of coverage subsists regardless of the nature or gravity of the fault committed by that person.

[107]     Dans le cas de l'assureur en responsabilité civile, il faut en retenir les principes suivants :

- l'assuré ne peut contracter de l'assurance couvrant sa faute intentionnelle (art. 2464, 1er al.);

- les parties à la police peuvent convenir d'exclusions (art. 2464 et 2499);

- lorsqu'il y a pluralité d'assurés, la faute intentionnelle de l'un n'entraîne pas la perte de couverture pour les autres (art. 2464, 1er al.);

- les exclusions spécifiques contenues à la police sont sans effet à l'égard de la responsabilité de l'assuré découlant de gestes de personnes dont il est garant, comme un enfant, un préposé, un commettant ou un employé, même si ces gestes peuvent être caractérisés de faute intentionnelle ou d'une faute de la nature de celles exclues par la police (art. 2464, 2e al.).

[108]     L'exclusion de la faute intentionnelle décrétée par l'art. 2464 C.c.Q. tient du fait qu'elle dénature le contrat d'assurance qui repose sur le caractère aléatoire du risque assuré (Odette Jobin-Laberge, « La faute intentionnelle : approche objective et subjective », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit des assurances, vol. 147, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001, p. 139, à la page 145; Goulet c. Cie d’assurances-vie Transamerica, supra). 

[109]     La jurisprudence enseigne que cette exclusion est d'interprétation stricte et que le fardeau d'en établir l'existence revient à l'assureur (Royale du Canada, compagnie d'assurance c. Québec (Curateur public), [2000] R.R.A. 594 (C.A.)). Tel n’est pas le cas en l’espèce où Lloyd's ne la plaide pas.

[110]     Au passage, je souligne qu'elle n'est par ailleurs opposable qu'à l'assuré qui a commis une faute intentionnelle et non à ses coassurés, comme le précise la fin du 1er al. de l’art. 2464 C.c.Q. (Caisse populaire des Deux Rives c. Société mutuelle d'assurance contre l'incendie de la Vallée du Richelieu, [1990] 2 R.C.S. 995 ). De plus, en matière d'assurance responsabilité, l'assureur est tenu de réparer le préjudice qui résulte d'une faute intentionnelle commise par une personne dont son assuré est responsable, comme l'employé ou l'enfant qui sont des assurés (nommés ou innommés au sens de la police), comme le précise la fin du 2e al. de l’art. 2464 C.c.Q.

[111]     La faute intentionnelle, sous réserve de ce que je viens d'exprimer, n'est donc pas couverte par un assureur. Cela signifie que le recours de la victime se limite, en principe, à une poursuite contre l'auteur de la faute. Afin de protéger plus adéquatement les clients de certains fournisseurs de services advenant faute intentionnelle de ces derniers, le législateur exige dans bien des cas la constitution d'un fonds d'indemnisation. Dans le cas des fournisseurs de services financiers, tel est le cas en vertu de l'art. 258 de la LDPSF qui énonce :

 

258. Est institué le «Fonds d'indemnisation des services financiers».

Ce fonds est affecté au paiement des indemnités payables aux victimes de fraude, de manœuvres dolosives ou de détournement de fonds dont est responsable un cabinet, un représentant autonome, une société autonome ou un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1).

258. A financial services compensation fund is hereby established under the name “Fonds d'indemnisation des services financiers”.

The fund shall be assigned to the payment of indemnities payable to victims of fraud, fraudulent tactics or embezzlement for which a firm, an independent representative, an independent partnership or a mutual fund dealer or scholarship plan dealer registered in accordance with Title V of the Securities Act (chapter V-1.1) is responsible.

Comme on peut le constater, la plupart des fautes intentionnelles possibles, sinon toutes, peuvent donner lieu à une indemnisation par le fonds (dans la mesure prévue par l'encadrement réglementaire qui peut prévoir des limites et exclusions).

[112]     En l'espèce, Lloyd's allègue que Thibault a commis une ou plusieurs fautes lourdes, ce qui m'amène à parler du deuxième principe énoncé plus haut, soit celui des exclusions. Telle qu'indiqué précédemment, les parties à une police peuvent en vertu de l'art. 2464 C.c.Q. convenir de l’étendue de la police en responsabilité, notamment en excluant certaines catégories de faute de l'assuré. Lloyd's pouvait donc, en principe, convenir avec Thibault, pour lui-même ou pour sa société, de certaines exclusions dans la police, ce qui fut fait, notamment, pour la faute lourde et la négligence grossière, à son article 6l) :

6. EXCLUSIONS

Cette police ne s'applique pas aux réclamations fondées ou attribuables ou découlant :

[…]

l) d'une faute lourde, de grossière négligence, d'aveuglement volontaire ou de l'assumation d'un risque calculé.

[113]     Pour les motifs indiqués précédemment, je suis d'avis que nous ne sommes pas en présence, en droit, quant à la vente des fonds indiciels par Thibault d'une faute lourde ou d'une négligence grossière, mais plutôt d'incompétence de Thibault. Le préjudice découlant de cette faute est donc couvert par la police Lloyd's applicable, à hauteur de 500 000 $, et ce, à l'égard de chacun des Audet.

[114]     Par ailleurs, cette obligation d’indemnisation ne saurait être annulée par le fait que les préjudices résultent en partie d’une faute exclue par la police (La Sécurité nationale c. Éthier, [2001] R.R.A. 614 (C.A.)). En cela, le droit québécois semble se distinguer de la common law. Lloyd's est donc tenu d'indemniser les Audet pour le préjudice découlant des fautes professionnelles de Thibault.

[115]     Pour ce qui est du préjudice découlant de l'achat des polices d'assurance vie, il s'agit des conséquences d'une faute lourde, un risque que la police exclut. Il faut alors déterminer si cette exclusion est valide et, si tel est le cas, opposable aux Audet.

[116]     À mon avis, elle est valide puisque autorisée par l'art. 2464 C.c.Q., une disposition applicable à tous les contrats d'assurance de dommages, qui n'est par ailleurs pas exclue par la loi particulière ici applicable, la LDPSF. Si cette dernière, dans les dispositions précitées, fait obligation aux détenteurs d'une licence de détenir une assurance en responsabilité conforme aux exigences déterminées par règlement, elle n'exclut aucunement l'application de l'art. 2464 C.c.Q.

[117]     Quant au règlement adopté en vertu de la LDPSF, il ne peut abroger ou modifier l'art. 2464 C.c.Q. Il peut certes prévoir que pour obtenir son inscription, un cabinet ou un représentant autonome doit détenir une couverture de 100 000 $ ou 1 000 000 $ par sinistre ou encore exiger de ces derniers de détenir une police qui n'exclut pas la faute lourde ou la négligence grossière. Si la police obtenue n'est pas conforme à ces exigences, le cabinet ou le représentant devrait se voir refuser ou révoquer, selon le cas, son inscription. Par contre entre lui et l'assureur, le contrat intervenu, conforme aux exigences du Code civil, dont l'art. 2464 C.c.Q., doit prévaloir. Ainsi, si le règlement exige une couverture de 1 000 000 $ par sinistre et que la police convenue est limitée à 100 000 $, je ne peux  concevoir que le tiers victime puisse poursuivre l'assureur en responsabilité professionnelle pour 1 000 000 $, à moins de conclure que malgré son nom, le contrat intervenu est en réalité un cautionnement. 

[118]     En vertu de la réglementation actuellement en vigueur, le cabinet, le représentant autonome ou la société autonome doit être couvert par une police d'assurance responsabilité professionnelle couvrant la responsabilité découlant des fautes, erreurs, négligences et omissions commises dans l'exercice des activités, comme le stipule l'art. 29 du Règlement sur le cabinet, le représentant autonome et la société autonome, R.R.Q., c. D-9.2, r. 2 :

29.  Sauf à l'égard de la catégorie d'expertise en règlement de sinistres à l'emploi d'un assureur, le contrat d'assurance qui couvre la responsabilité du représentant autonome, du cabinet ou de la société autonome doit satisfaire aux exigences suivantes:

[…]

  3°    il doit comporter des dispositions suivant lesquelles:

  a)      dans le cas du cabinet, la garantie couvre la responsabilité découlant de fautes, d'erreurs, de négligences ou d'omissions commises dans l'exercice de ses activités ou de celles commises par ses mandataires, ses employés ou les stagiaires des représentants dans l'exercice de leurs fonctions, qu'ils soient ou non encore en fonction à la date de la réclamation;

  b)      dans le cas d'un représentant autonome, la garantie couvre la responsabilité découlant de fautes, d'erreurs, de négligences ou d'omissions commises dans l'exercice de ses fonctions ou de celles commises par ses mandataires, ses employés ou ses stagiaires, dans l'exercice de leurs fonctions, qu'ils soient ou non encore en fonction à la date de la réclamation;

  c)      dans le cas d'une société autonome, la garantie couvre la responsabilité découlant de fautes, d'erreurs, de négligences ou d'omissions commises par ses associés et les représentants qui sont à son emploi dans l'exercice de leurs fonctions ou de celles commises par leurs mandataires, leurs employés ou les stagiaires des associés et des représentants qui sont à son emploi, dans l'exercice de leurs fonctions, qu'ils soient ou non encore en fonction à la date de la réclamation;

[…]

[je souligne]

29.  Except regarding the category of claims adjuster employed by an insurer, the insurance contract covering the liability of an independent representative, firm or independent partnership must satisfy the following conditions:

  […]

  (3)    The insurance contract must also contain provisions to the following effect:

  (a)      in the case of a firm, that the coverage shall extend to the liability arising from the fault, errors, negligence, or omissions committed in the pursuit of the firm's activities and from those committed by its mandataries, its employees or the trainees of its representatives, in the performance of their duties, regardless of whether or not such persons are still so engaged on the date of the claim;

  (b)      in the case of an independent representative, that the coverage shall extend to the liability arising from the fault, errors, negligence, or omissions committed in the performance of his duties and those committed by his mandataries, his employees or his trainees in the performance of their duties, regardless of whether or not such persons are still so engaged on the date of the claim;

  (c)      in the case of an independent partnership, that the coverage shall extend to the liability arising from the fault, errors, negligence, or omissions committed in the pursuit of activities of his partners and the representatives in his employ and from those committed by their mandataries, their employees or the trainees of the partners and representatives in his employ, currently or in the past, in the performance of their duties, regardless of whether or not such persons are still so engaged on the date of the claim;

[…]

[119]     Que faut-il comprendre de cette exigence de couverture? D'abord, logiquement, elle ne peut être interprétée comme requérant une couverture pour la faute intentionnelle, puisque celle-ci est non assurable, comme le reconnaît l'art. 2464 C.c.Q. Il va de même des fraudes et fausses représentations. Les clients ne sont pas par ailleurs sans protection en cas d'insolvabilité de la personne fautive, puisque ce genre de faute intentionnelle est probablement couverte par le fonds d'indemnisation.

[120]     Quant à la faute lourde, peut-elle être exclue? Clairement les polices en vigueur à l'époque des réclamations, octobre 2003, le faisaient, et ce, conformément à une pratique acceptée par le Bureau des Services financiers (BSF). Le juge de première instance a retenu de la preuve que les couvertures prévues aux polices délivrées par Lloyd's avaient fait l'objet d'une approbation par le BSF :

[179] Campeau[4] explique qu'à compter de 1997, le Bureau de la Sécurité financière approuve le formulaire spécifique à compléter pour obtenir cette protection.

[121]     Une telle exclusion ne semble pas inhabituelle. Les intervenants, le Fonds d'assurance responsabilité professionnelle du Barreau et le Fonds d'assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires nous informe que leurs polices sont au même effet et que notre Cour a validé une telle exclusion dans Le c. St-Pierre, 2012 QCCA 783 . Par contre, il ne semble pas que ce soit le cas pour les médecins.

[122]     Une formation de la Cour dans un arrêt récent[5], Souscripteurs du Lloyd’s c. Alimentation Denis & Mario Guillemette inc., 2012 QCCA 1376 , exprime, en obiter, l'avis que pour être conforme à la réglementation, qui ne distingue pas entre les différentes fautes, les polices ne peuvent exclure la faute lourde ou la négligence grossière. Puisqu'une exclusion de responsabilité dans le contrat entre l'intermédiaire et le client ne pourrait validement exclure la faute lourde (art. 1474 C.c.Q.), il pourrait être souhaitable en effet de prévoir que l'intermédiaire ne peut exclure en pareil cas la couverture d'assurance, indispensable à sa capacité de vendre, par convention avec l'assureur. Cette approche manifestement profitable aux clients pourrait cependant entraîner diverses conséquences, dont :

- augmentation importante des primes;

- obligation de défendre l'assuré qui a commis une faute lourde;

- obligation d'indemniser l'assuré s'il est poursuivi directement et condamné;

- effet sur la responsabilisation des intermédiaires.

Il reviendra à l'organisme d'application de la réglementation, doté de l'expertise requise, après étude et consultation, si besoin est, de préciser la réglementation et le contenu obligatoire des polices d'assurance.

[123]     En tout état de cause, cela ne modifie cependant pas l'étendue des engagements contractuels du Lloyd's. Ainsi, si Thibault a convenu avec son assureur d'exclure la faute lourde de sa police, il ne peut exiger d'être défendu par ce dernier dans un cas manifeste de faute lourde, peu importe l'interprétation que l'on souhaite de la réglementation actuelle. De même, s'il indemnise son client pour une faute lourde, l'intermédiaire ne peut ensuite légalement réclamer un remboursement du Lloyd's. Rien dans la LDPSF ou le règlement ne peut justifier de telles demandes de l'intermédiaire au mépris du contenu de sa police.

[124]     Il n'en va pas autrement de la situation du tiers qui poursuit directement un assureur, comme le permet l'art. 2501 C.c.Q. Il ne peut se prévaloir que de la couverture convenue entre l'assureur et l'assuré, sujette aux exclusions valides en vertu de l'art. 2464 C.c.Q. Pour le reste, l'assureur peut faire valoir au tiers les moyens qu'il aurait pu faire valoir contre l'assuré au jour du sinistre (art. 2502 C.c.Q.).

[125]     En l'espèce, il ressort de la preuve que deux polices étaient en vigueur en octobre 2003, au moment des réclamations. L'une, police L81-76925, qui désigne Thibault, représentant autonome, comme assuré, offre une couverture de 500 000 $ par sinistre et 1 000 000 $ par période d'assurance; elle était en vigueur du 20 avril 2003 au 20 avril 2004. Elle exclut la faute intentionnelle, la faute lourde, la grossière négligence et l'aveuglement volontaire. Pour elle, Thibault a payé une prime de 525 $. L'autre, police L81-74348, dite de « cabinet unique », désigne 9073-5671 Québec inc. et Thibault comme assurés, offre une couverture de 500 000 $ par sinistre et 5 000 000 $ par période d'assurance; elle était en vigueur du 18 décembre 2002 au 18 décembre 2003. Elle exclut la faute intentionnelle, la faute lourde, la grossière négligence et l'aveuglement volontaire. Pour elle, une prime de 718 $ a été payée.

[126]     Ces clauses d'exclusion, indépendamment de la police applicable, sont-elles opposables aux Audet quant aux préjudices découlant des fautes lourdes?  Malheureusement pour eux oui, puisque Thibault est un assuré tant en vertu de la première que de la deuxième et que les gestes fautifs sont les siens et non ceux d'une personne dont il est garant. L'absence d'effet des exclusions  dans certains cas prévus à l'art. 2464 C.c.Q. ne trouve pas application. Si cependant tel n'était pas le cas, l'exception prévue au 2e alinéa de l'art. 2464 prévaudrait, ce qui serait d'ailleurs conforme à l'intention des parties  comme l'indique la clause suivante :

19. AVIS DE CONFORMITÉ

Les conditions de la présente police qui viennent en conflit avec les lois de la province où la police est émise sont par les présentes modifiées pour tenir compte desdites lois.

[…]

 

[127]     Il s'ensuit que le juge du procès a eu raison de conclure que les Audet n’avaient pas le droit de réclamer du Lloyd’s en raison de l'exclusion de couverture relative à la faute lourde et à la négligence grossière, mais uniquement quant au préjudice découlant de ce genre de faute.

[128]     Cependant, il en va autrement du préjudice découlant des fautes professionnelles. Comme il est manifeste que celles-ci ont causé tant à Marie que Pierre des dommages supérieurs à 500 000 $ chacun, il y a lieu de condamner Lloyd's à leur verser respectivement 500 000 $.

LES CONCLUSIONS

 

[129]     Pour ces motifs, je propose :

[130]     Dans le dossier 500-09-021042-106, d'accueillir l'appel des Audet contre Lloyd's avec dépens et de déclarer que les souscripteurs du Lloyd’s sont tenus d'indemniser Marie Audet à hauteur de 500 000 $ et Pierre Audet à hauteur de 500 000 $ et d’accueillir en partie, sans frais, l’appel à l’égard de Transamerica afin de supprimer leur condamnation à verser à cette dernière des dépens;

[131]     Dans le dossier 500-09-021044-102, de rejeter avec dépens l'appel de Thibault contre Marie Audet, mais d'accueillir sans frais son appel du rejet de l’appel en garantie contre Lloyd’s;

[132]     Dans le dossier 500-09-021045-109, de rejeter avec dépens l'appel de Thibault contre Pierre Audet, mais d'accueillir sans frais son appel du rejet de l’appel en garantie contre Lloyd’s.

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

 



[1]     Pour alléger le texte, je désignerai par la suite les appelants par leur prénom respectif. Le lecteur ne doit pas y voir un manque de respect envers les appelants.

[2]     D'ailleurs, il n'y a pas dans la police de clause permettant aux Audet de bénéficier de la protection de la police en tant qu' « assurés ». Au contraire, le mot « assuré » est défini pour n’inclure que le preneur et ses employés et commettants. Dans les deux polices, Thibault est décrit comme un assuré.

[3]     En fait, le fonds Nikkei semble avoir acheté des produits dérivés plutôt que des actions japonaises, d’où, peut-être, le traitement fiscal différent.

[4]     Un représentant des Lloyd's.

[5]     Cet arrêt a été rendu le 2 août 2012, soit pendant le délibéré de la présente affaire. À la demande des parties, la Cour leur a permis de le commenter par écrit, ce dont elles se sont prévalues. Ce complément à leur mémoire initial respectif a été pris en considération et versé au dossier de la Cour, de même que les représentations des intervenants.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.