Décision

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Gaudreau Environnement inc. c. Gestion Gloucester, s.e.c.

2013 QCCS 470

 

JG 2270

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

 

N° :

500-17-069193-111

 

 

DATE :

Le 11 février 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

GAUDREAU ENVIRONNEMENT INC.

Requérante - Demanderesse/Défenderesse reconventionnelle

c.

GESTION GLOUCESTER «SOCIÉTÉ EN COMMANDITE»

Intimée - Défenderesse/Demanderesse reconventionnelle

et

CORPORATE ASSETS INC.

Mise-en-cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Le Tribunal est saisi d’une «Requête Amendée de la Demanderesse en Rejet de la Défense et Demande Reconventionnelle» (la «Requête») présentée par Gaudreau Environnement inc. (la «Requérante») à l’encontre de Gestion Gloucester «Société en commandite» (l’«Intimée») aux termes des articles 163 , 165 (4) et 54.1 et suivants du Code de procédure civileC.p.c.»).

1.         PRINCIPAUX FAITS

[2]           Le 24 septembre 2010, GCI Environnement inc. (la «Débitrice») dépose un avis d’intention de faire une proposition aux termes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[1]L.F.I.»).

[3]           Le 10 décembre 2010, ayant fait défaut de déposer une proposition, la Débitrice est dès lors réputée avoir fait cession de ses biens, et Ginsberg Gingras & Associés inc. est nommée syndic à sa faillite (le «Syndic»)[2].

[4]           La Débitrice est alors locataire de l’immeuble de l’Intimée situé au […], à Varennes (Québec) (l’«Immeuble»), et ce, aux termes d’une convention de bail[3] intervenue entre l’Intimée et la Débitrice le 10 novembre 2009 (le «Bail»).

[5]           Le 14 décembre 2010, le Syndic procède à une demande de soumissions[4] (la «Demande de soumissions») pour la vente des biens de la Débitrice, incluant des pièces de machinerie et équipement, accompagnée de photographies de ces pièces, (le «Lot #1»), lesquelles comprennent les biens maintenant réclamés par l’Intimée (les «Biens réclamés»).

[6]           En aucun moment, l’Intimée n’a déposé auprès du Syndic une preuve de réclamation aux termes de l’article 81 L.F.I. afin de réclamer la propriété des Biens réclamés.

[7]           D’ailleurs, dans sa «Défense Amendée et Demande reconventionnelle» (la «Défense et Demande reconventionnelle»), l’Intimée prétend qu’elle n’avait pas à le faire[5], et précise que, de toute façon, elle n’a jamais reçu d’avis du Syndic à l’effet de le faire.

[8]           Pour les seules fins de la Requête, la Requérante tient pour avéré le droit de propriété de l’Intimée dans les Biens réclamés, et ce, au moment de la Demande de soumissions.

[9]           Dans le cadre de la Demande de soumissions :

a.    Corporate Assets inc. (la «Mise-en-cause») dépose une soumission[6] pour un montant total de 726 000 $, plus les taxes applicables (la «Soumission de la Mise-en-cause»), laquelle comprend, entre autres, le Lot #1 et, par le fait même, les Biens réclamés; et

b.    l’Intimée dépose, le 20 décembre 2010, une soumission[7] pour un montant total de 250 000 $, taxes incluses (la «Soumission de l’Intimée»), laquelle comprend, entre autres, le Lot #1 et, par le fait même, les Biens réclamés.

[10]        La Soumission de la Mise-en-cause est retenue par le Syndic et, après avoir obtenu l’autorisation du Tribunal[8] le 23 décembre 2010, le Syndic et la Mise-en-cause signent, le 5 janvier 2011, un «Sale Contract»[9] aux termes duquel la Mise-en-cause achète le Lot #1, incluant les Biens réclamés, et ce, pour la somme de 613 000 $, plus les taxes applicables (la «Vente-1»).

[11]        Le 7 janvier 2011, la première assemblée des créanciers de la Débitrice a lieu, et le procureur de l’Intimée, Me Dominic Jean du cabinet Laframboise Gutkin, est alors présent et répond à des questions reliées au fait que des ponts roulants, se trouvant dans l’Immeuble, n’appartiennent pas à la Débitrice[10].

[12]        Par contre, il n’est pas question de la propriété des Bien réclamés, si ce n’est que leur vente à la Mise-en-cause, soit la Vente-1, est alors entérinée par les créanciers, et ce, sans objection de la part de l’Intimée.

[13]        Le 8 février 2011, la Mise-en-cause, procède à un encan public[11] (l’«Encan») des biens du Lot #1 achetés le 5 janvier 2011, incluant les Biens réclamés, et ce, dans les locaux de l’Immeuble. L’Intimée ne s’y objecte pas.

[14]        Dans le cadre de l’Encan, la Requérante achète de la Mise-en-cause les Biens réclamés faisant partie du Lot #1, pour la somme de 267 792,11 $, incluant les taxes applicables[12] (la «Vente-2»).

[15]        Le 27 juin 2011[13], soit plus de 4½ mois après l’achat des Biens réclamés par la Requérante à l’Encan du 8 février 2011, l’Intimée refuse de laisser la Requérante prendre possession des Biens réclamés au motif qu’ils lui appartiennent :

a.    d’abord, aux termes de son propre titre d’acquisition de l’Immeuble (le «Titre d’acquisition»), résultant :

i.              d’un jugement de la Cour supérieure du 1er décembre 2006 [14], lequel a autorisé la vente en justice de l’Immeuble par voie de vente de gré à gré à être effectuée par Pierre M. Martin, en tant que personne désignée;

la description de l’Immeuble comprend alors «[…] avec bâtisses dessus construites, circonstances et dépendances», quoique sans aucune description de pièces de machinerie et équipement; et

ii.            de la vente subséquente de l’Immeuble par Pierre M. Martin à l’Intimée, par acte passé devant Me Arnold Isaacson, notaire, le 24 janvier 2008 [15];

la description de l’Immeuble comprend alors «[…] with the building erected bearing civic number […]», quoique toujours sans aucune description de pièces de machinerie et équipement;

b.    puis, et à tout événement, aux termes de l’article 8.2 du Bail[16], les Biens réclamés étant intégrés à l’Immeuble.

[16]        Vu ce refus de la part de l’Intimée, la Requérante dépose, le 2 décembre 2011, une «Requête introductive d’instance» (l’«Action») afin de revendiquer les Biens réclamés.

[17]        Par sa Défense et Demande reconventionnelle, l’Intimée se défend à l’Action en alléguant donc son droit de propriété des Biens réclamés et, subsidiairement, elle réclame à la Requérante la somme de 300 000 $ (sauf à parfaire) à titre de coûts estimatifs de restauration de l’Immeuble (les «Coûts de restauration»), et ce, dans l’éventualité où la Requérante est autorisée à enlever les Biens réclamés, et donc à les détacher de l’Immeuble.

2.         POSITIONS DES PARTIES

2.1       Requérante

[18]         La Requérante invoque qu’elle a dûment acheté les Biens réclamés de la Mise-en-cause lors de l’Encan, laquelle les avait achetés du Syndic dans le cadre de la Demande de soumissions. Elle est donc en droit de requérir que l’Intimée lui laisse prendre possession de ses biens.

[19]         La Requérante soumet que la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée est manifestement mal fondée, surtout à la lumière des faits et gestes de cette dernière lors de la Demande de soumissions et de l’Encan.

[20]        En effet, la Requérante insiste sur le fait que l’Intimée a soumissionné au même titre que la Mise-en-cause pour l’achat des Biens réclamés. En laissant ainsi le Syndic procéder avec la Demande de soumissions et la Vente-1 des Biens réclamés à la Mise-en-cause, l’Intimée est forclose de prétendre, plusieurs mois après cette vente, que les Biens réclamés lui appartiennent toujours.

[21]        Aussi, en aucun moment l’Intimée ne s’est objectée à la tenue de l’Encan par la Mise-en-cause dans les locaux de l’Immeuble, et à la Vente-2 des Biens réclamés au bénéfice de la Requérante.

[22]        Le fait que l’Intimée n’ait pas invoqué son droit de propriété dans les Biens réclamés avant le 27 juin 2011 est inacceptable et très préjudiciable à la Requérante, qui a payé à la Mise-en-cause, le 8 février 2011, le prix d’achat des Biens réclamés.

[23]        Au surplus, selon la Requérante, l’Intimée ne pouvait réclamer les Biens réclamés que par le dépôt d’une preuve de réclamation aux termes de l’article 81 L.F.I. Son défaut de respecter cette procédure obligatoire, tel que le prévoit spécifiquement l’article 81(5) L.F.I., lui a fait perdre tous ses droits à cet égard. Ainsi, le Tribunal n’a tout simplement pas compétence pour faire droit aux prétentions de l’Intimée, basées sur les dispositions du Code civil du Québec.

[24]        Qui plus est, l’Intimée n’a pas demandé et requis l’annulation de la Vente-1, soit la vente à la Mise-en-cause, laquelle fut dûment autorisée par le Tribunal le 20 décembre 2010, ni l’annulation de la Vente-2, soit la vente de la Mise-en-cause à la Requérante dans le cadre de l’Encan.

[25]        Dans la même veine, l’Intimée n’a pas mis en cause le Syndic qui, aux termes de la Vente-1, s’était engagé[17] à prendre les arrangements nécessaires avec le locateur de l’Immeuble, soit l’Intimée.

[26]        Enfin, selon la Requérante, la demande reconventionnelle de l’Intimée reliée aux Coûts de restauration de l’immeuble est prématurée, d’autant plus qu’aucun enlèvement des Biens réclamés n’a encore eu lieu et, par conséquent, aucun dommage causé par la faute de la Requérante.

[27]        La Requérante conclut donc que le Tribunal se doit de rejeter, dès à présent, la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée, tel que le lui permettent les articles 54.1 et suivants, et 165(4) C.p.c.

2.2       Intimée

[28]        Par sa Défense et Demande reconventionnelle, l’Intimée soumet qu’elle a une défense valide et sérieuse à faire valoir à l’encontre de l’Action de la Requérante basée, essentiellement, sur ce qui suit :

a.    les Biens réclamés ne pouvaient pas faire partie de la Demande de soumissions du Syndic, vu qu’ils lui appartiennent, d’abord et avant tout, aux termes de son Titre d’acquisition;

b.    à tout événement, les Biens réclamés lui appartiennent aux termes de l’article 8.2 du Bail[18];

c.    ainsi, la Débitrice n’avait pas la possession complète des Biens réclamés au jour de sa faillite, vu qu’elle n’avait que le «corpus», mais non l’«animus»;

d.    par le fait même, le Syndic n’a pas pu obtenir plus de droits que la Débitrice avait, et les Biens réclamés ne pouvaient donc pas être visés par la Demande de soumissions du Syndic;

e.    l’Intimée n’avait donc pas à déposer de preuve de réclamation aux termes de l’article 81 L.F.I. pour faire valoir son droit de propriété sur les Biens réclamés, vu que cette procédure n’est nécessaire que lorsque les biens réclamés sont en la possession complète du failli (le «corpus» et l’«animus») au moment de sa faillite;

f.      par conséquent, l’Intimée est en droit de refuser que la Requérante prenne possession des Biens réclamés, lesquels demeurent toujours les biens de l’Intimée; et

g.    subsidiairement, dans l’éventualité où le Tribunal maintiendrait l’Action de la Requérante, l’Intimée prétend être en droit de réclamer immédiatement les Coûts de restauration.

[29]        Selon l’Intimée, seule une audition au mérite permettra au Tribunal de décider des droits respectifs des parties, et ce, après avoir pris connaissance de toute la preuve, y inclus les interrogatoires, contre-interrogatoires et expertises, et avoir entendu l’argumentation complète de part et d’autre.

[30]        Enfin, l’Intimée prétend qu’un sérieux doute subsiste quant à la validité des droits allégués de la Requérante, vu le Titre d’acquisition de l’Intimée et le Bail et, dans de telles circonstances, le doute doit jouer en faveur de l’Intimée, justifiant ainsi une audition au mérite et, par conséquent, le rejet de la Requête.

2.2       Mise-en-cause

[31]        La Mise-en-cause appuie les prétentions de la Requérante et soumet que la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée n’a aucune chance d’être retenue, vu les faits et gestes de l’Intimée dans le cadre de la Demande de soumissions et de l’Encan.

[32]        Le comportement de l’Intimée lui est aussi très préjudiciable, d’autant plus que cette dernière était parfaitement consciente que la Mise-en-cause était la soumissionnaire retenue lors de la Demande de soumissions, et que les Biens réclamés étaient donc pour être vendus à la Mise-en-cause.

[33]        C’est ce qui fut effectivement fait le 5 janvier 2011, et la Mise-en-cause a donc, dans le cadre de la Vente-1, dûment payé le prix d’achat au Syndic.

[34]        En aucun moment l’Intimée ne s’est objectée à la Vente-1 des Biens réclamés à la Mise-en-cause, et son procureur était présent à l’assemblée des créanciers lorsque la Vente-1 fut dûment entérinée, et ce, après avoir été autorisée par le Tribunal. Il s’agit d’une vente sous l’autorité de la justice.

[35]        Et c’est aussi en pleine connaissance de cause que l’Intimée a laissé la Mise-en-cause vendre les Biens réclamés à la Requérante, et ce, dans le cadre de l’Encan tenu, le 8 février 2011, dans l’Immeuble de l’Intimée.

[36]        À ce moment, la Requérante a dûment payé le prix d’achat des Biens réclamés à la Mise-en-cause. En aucun moment, l’Intimée ne s’est objectée à la Vente-2 des Biens réclamés à la Requérante.

[37]        Selon la Mise-en-cause, la présente situation est le cas typique justifiant que la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée soit rejetée au motif qu’elle est manifestement mal fondée, et ce, tant aux termes des articles 54.1 et suivants C.p.c., qu’aux termes de l’article 165 (4) C.p.c.

3.         DROIT APPLICABLE

3.1       Article 81 L.F.I.

[38]        Les dispositions de la L.F.I. sont pertinentes pour les fins des présentes, vu que la Vente-1 des Biens réclamés a eu lieu alors que la Débitrice, et locataire de l’Immeuble, était en faillite.

[39]        Plus précisément, l’article 81 L.F.I. prévoit la procédure à suivre pour qu’une personne, qui prétend être propriétaire de biens en possession du failli, puisse les réclamer du Syndic qui a alors la saisine de ces biens :

 (1) Lorsqu’une personne réclame des biens, ou un intérêt dans des biens, en la possession du failli au moment de la faillite, elle doit produire au syndic une preuve de réclamation attestée par affidavit indiquant les motifs à l’appui de la réclamation et des détails suffisants pour permettre l’identification des biens.

      (5) Nulle procédure ne peut être intentée pour établir une réclamation ou pour recouvrer un droit ou un intérêt à l’égard d’un bien en la possession d’un failli au moment de la faillite, sauf disposition contraire du présent article.

(Le Tribunal souligne)

[40]        Houlden, Morawetz & Sarra[19] commentent ainsi la procédure de l’article 81(5) L.F.I. :

«F§181(11) -    Exclusive Jurisdiction of the Bankruptcy Court under Section 81

By s. 81(5), no proceedings can be instituted to establish a claim to or recover any right or interest in any property in the possession of the bankrupt except as provided in s. 81. The purpose of s. 81(5) is to bring within the purview of the court sitting in bankruptcy all claims falling within s. 81.»

3.2       Article 54.1 et suivants, et 165(4) C.p.c.

[41]        Les articles 54.1 et suivants C.p.c. prévoient maintenant la possibilité pour le Tribunal de rejeter un acte de procédure au motif qu’il est manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire :

54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, […]

54.3. Le tribunal peut, dans un cas d'abus, rejeter la demande en justice ou l'acte de procédure, […]

 (Le Tribunal souligne)

[42]        La Cour d'appel[20] a récemment examiné les articles 54.1 et suivants C.p.c. Elle mentionne, entre autres, les principes suivants :

a.          Judges are now provided «with tools for acting expeditiously and inexpensively when faced with abuse or apparent abuse of process».

b.          «[…] however, the traditional cautiousness evinced by courts before dismissing claims completely, especially early in the proceedings, remains an appropriate approach in some circumstances […]».

c.          Courts must guard against defendants «who are inclined to cry wolf in the absence of any palpable threat of impropriety».

d.          «An action or proceeding that appears to be an abuse of process early in the proceedings will sometimes reveal itself to be quite proper as fuller evidence supporting the claim enters the record».

e.          «[…] le rejet d’une procédure doit reposer sur la conviction du tribunal qu’elle est manifestement mal fondée » et « […] la jurisprudence découlant des articles 75.1 et 75.2 C.p.c. demeure pertinente » […] mais […] ces précédents devront toutefois être nuancés pour tenir compte de la question du renversement du fardeau lorsque la procédure paraît abusive»[21].

f.           «When it is argued that a suit is "clearly unfounded" in law, article 54.1 C.c.p. requires a further finding of blame on the part of the litigant who brought the suit»[22].

g.          «…] the litigant must not only have brought a suit that is unfounded in law, he or she must have done so in a manner that is so patent, or so frivolous or dilatory as to be an abuse of process».

h.          judges may now consider other ways of providing redress.

[43]        Ainsi, le rejet d'une procédure aux termes des articles 54.1 et suivants C.p.c. doit reposer sur la conviction du Tribunal qu'elle est manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire.

[44]        Pour ce faire, le requérant plaide des faits, pouvant ainsi forcer l’intimé, par le renversement du fardeau de la preuve, à justifier sa procédure. Cela implique donc une évaluation sommaire de la preuve et du fond de la procédure.

[45]        Par ailleurs, l’article 165 (4) C.p.c. prévoit ce qui suit :

165. Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet:

 […]

 4. Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais.

 (Le Tribunal souligne)

[46]        Le Tribunal rappelle certains des principes établis par la jurisprudence relativement à l’article 165 (4) C.p.c. :

a.         «… la Cour rappelle le principe de prudence selon lequel, autant que possible, on doit éviter de mettre fin prématurément à un procès, considérant les graves conséquences qui découlent du rejet d’une action, sans que la demande ne soit examinée au mérite» [23] ;

b.         «Comme l’a souligné notre Cour à plusieurs reprises, le but de l’article 165 (4) C.p.c. est d’éviter la tenue d’une enquête lorsque la demande n’est pas fondée en droit, même en tenant les faits pour avérés. À ce stade, il faut s’abstenir de mettre un terme au litige sans un examen au fond, si les allégations de la requête introductive d’instance sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées» [24];

c.         «Quoi qu’il en soit, un principe demeure, que l’on soit sous l’empire de l’article 165 ou de l’article 75.1 C.p.c. : à ce stade préliminaire, le Tribunal doit se montrer prudent avant de rejeter une action. En cas de doute, il doit être laissé à toutes les parties la chance d’être entendues au procès selon la règle générale dans notre droit[25]

d.         «Pour juger du bien-fondé de ce moyen de contestation préliminaire, il faut tenir les allégations de la requête introductive d’instance pour avérées et examiner si elles sont susceptibles de donner ouverture aux conclusions recherchées. […] Nous croyons justifié d’appliquer, dans les circonstances, le principe voulant qu’en cas de doute, il faut laisser au Groupe Jeunesse la chance d’être entendu au fond[26]

(Le Tribunal souligne)

[47]        Ainsi, à la différence d’une requête aux termes des articles 54.1 et suivants C.p.c., lorsque le Tribunal analyse le bien-fondé d’une requête en irrecevabilité basée sur l’article 165 (4) C.p.c., il tient les faits allégués dans la procédure pour avérés, et ce, sans prendre en considération la qualification de ces faits soumise par l’auteur de la procédure.

[48]        Si alors le Tribunal considère la demande comme non fondée en droit, vu l’absence de syllogisme juridique, il rejette tout simplement la demande.

[49]        Par contre, une analyse reliée aussi à un débat contradictoire des faits d’une affaire, amènera le Tribunal à se prononcer plutôt en fonction des articles 54.1 et suivants du C.p.c., tel que dans le présent cas.

[50]        En effet, le débat a débordé les allégués de la Défense et Demande reconventionnelle, et a nécessité une analyse de la preuve documentaire déposée par la Requérante, y inclus l’interrogatoire après défense du représentant de l’Intimée, M. Salvatore Fratino.

[51]        Dans ces circonstances, les questions en litiges seront analysées dans le cadre des articles 54.1 et suivants du C.p.c, lesquels imposent un critère plus sévère, soit que la procédure soit «manifestement» mal fondée, frivole ou dilatoire.

4.         QUESTIONS EN LITIGE

[52]        Dans ce contexte, les questions en litige sont les suivantes :

a.         Est-ce que la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée est manifestement mal fondée?

i.          L’Intimée devait-elle faire valoir son droit de propriété sur les Biens réclamés par le dépôt d’une preuve de réclamation aux termes de l’article 81 L.F.I.?

ii.         Est-ce que les faits et gestes de l’Intimée reliés à la Vente-1 et la Vente-2 font en sorte qu’elle est maintenant forclose de prétendre être propriétaire des Biens réclamés?

iii.        Est-ce que la réclamation de l’Intimée au chapitre des Coûts de restauration de l’Immeuble est prématurée?

b.         Dans l’affirmative, le Tribunal est-il justifié de rejeter immédiatement la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée?

5.         DISCUSSION

5.1       Est-ce que la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée est manifestement mal fondée?

5.1.1    L’Intimée devait-elle faire valoir son droit de propriété sur les Biens réclamés par le dépôt d’une preuve de réclamation aux termes de l’article 81 L.F.I.?

[53]        L’article 81 L.F.I. prévoit clairement la procédure à suivre pour réclamer des biens en la possession d’un failli. L’article 81(5) L.F.I. ne laisse aucune ambiguïté à cet égard.

[54]        Cette procédure a pour but, entre autres, d’assurer une uniformité pancanadienne pour ce genre de réclamation. L’efficacité du processus de transfert de propriété des biens d’un failli commande une telle exclusivité, et aucun réclamant n’est préjudicié par une telle procédure.

[55]        Au contraire, cela permet d’éviter les délais qui résulteraient de l’application des divers systèmes provinciaux de réclamation[27].

[56]        Ainsi, l’Intimée se devait de faire valoir ses droits de propriété allégués en utilisant cette procédure[28], d’autant plus qu’elle n’était pas sans savoir que la Débitrice avait fait faillite. Elle ne peut plaider son ignorance, ni le comportement du Syndic d’ailleurs.

[57]        En fait, tel que discuté ci-après, l’Intimée fut un acteur important de la vente des Biens réclamés, d’abord à la Mise-en-cause, puis à la Requérante.

5.1.2    Est-ce que les faits et gestes de l’Intimée reliés à la Vente-1 et la Vente-2 font en sorte qu’elle est maintenant forclose de prétendre être propriétaire des Biens réclamés?

[58]        Le Tribunal est d’avis que l’Intimée, par ses faits et gestes, a clairement laissé sous-entendre qu’elle ne prétendait détenir aucun droit dans les Biens réclamés.

[59]        Plus particulièrement, le Tribunal retient, entre autres, ce qui suit :

a.            l’Intimée savait que la Débitrice était en faillite depuis le 10 décembre 2010 et elle n’a, en aucun moment, informé le Syndic que la Débitrice serait en possession de ses biens, soit les Biens réclamés; l’Intimée admet[29] n’avoir produit aucune preuve de réclamation à cet égard;

b.            bien au contraire, l’Intimée offre même d’acheter du Syndic les Biens réclamés en déposant, le 20 décembre 2010, la Soumission de l’Intimée[30]; la Demande de soumissions contient des photographies des Biens réclamés[31];

c.             le 23 décembre 2010, le Tribunal autorise[32] la vente des Biens réclamés à la Mise-en-cause, soit la Vente-1, laquelle a effectivement lieu le 5 janvier 2011 [33];

d.            l’Intimée est présente, par l’intermédiaire de son procureur, à l’assemblée des créanciers du 7 janvier 2011, et la vente des Biens réclamés à la Mise en cause (la Vente-1) est alors entérinée par les créanciers, et ce, sans aucune objection de la part de l’Intimée;

e.            le 8 février 2011, l’Intimée laisse l’Encan[34] procéder dans l’Immeuble et les Biens réclamés sont alors revendus par la Mise-en-cause à la Requérante[35], et ce, sans aucune objection de la part de l’Intimée; et

f.              ce n’est que le 27 juin 2011 que l’Intimée, pour la première fois, invoque un droit de propriété dans les Biens réclamés, soit 5½ mois après la Vente-1 et 4½ mois après la Vente-2.

[60]        Si un tel comportement de la part de l’Intimée n’équivaut pas à une renonciation à un prétendu droit de propriété dans les Biens réclamés, alors le Tribunal peut difficilement imaginer quelle situation pourrait ainsi équivaloir à une telle renonciation.

[61]        Permettre à l’Intimée de baser une défense en fonction de son Titre d’acquisition et du Bail serait laisser planer sur le processus de liquidation des biens d’un failli une incertitude inacceptable dans un système qui se veut efficace, et où ceux qui prétendent détenir des droits doivent être proactifs et se manifester le plus rapidement possible.

[62]        L’Intimée a été délinquante à cet égard et le Tribunal ne peut avaliser un tel comportement. Cela aurait pour effet de créer une incertitude et une instabilité dans le processus de réclamation et vente des biens d’un failli, ce qui doit définitivement être évité.

[63]        Au surplus, la Vente-1 effectuée par le Syndic fut dûment autorisée par le Tribunal, tel que mentionné précédemment, et constitue ainsi une vente sous l’autorité de la justice, avec toutes les conséquences que cela comporte, y inclus à l’égard de l’Intimée[36].

[64]        Bref, l’Intimée était forclose de faire valoir, le 27 juin 2011, le droit de propriété qu’elle détenait sur les Biens réclamés au jour de la Demande de soumissions.

5.1.3    Est-ce que la réclamation de l’Intimée au chapitre des Coûts de restauration de l’Immeuble est prématurée?

[65]        L’Intimée ne peut, à ce stade-ci, réclamer les Coûts de restauration future de l’Immeuble, basés sur une évaluation, alors qu’aucune faute et aucun dommage ne peuvent encore être établis. Encore faut-il que ces événements se produisent.

[66]        L’Intimée, si jamais elle possède de tels droits, pourra les faire valoir en temps et lieu. D’ailleurs, le Tribunal avait l’impression parfois que l’Intimée voulait forcer la Requérante à acheter l’Immeuble, tout comme s’il s’agissait d’une stratégie de négociation. Le Tribunal n’a pas à être impliqué dans une telle stratégie.

[67]        La réclamation de l’Intimée au chapitre des Coûts de restauration de l’Immeuble est donc prématurée.

5.2       Dans ces circonstances, le Tribunal est-il justifié de rejeter immédiatement la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée?

[68]        Le Tribunal est convaincu que la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée, telle que formulée, est manifestement mal fondée et, tel que permis par les articles 54.1 et suivants C.p.c., le Tribunal est justifié de rejeter, dès à présent, la Défense et Demande reconventionnelle de l’Intimée.

[69]        Une audition au mérite, avec interrogatoires, contre-interrogatoires et expertises, n’est nullement nécessaire pour décider du sort de la Défense et Demande reconventionnelle.

[70]        Il en va d’une saine administration de la justice. Il ne sert à rien de laisser perdurer un débat dont l’issu est inévitable, soit le rejet des moyens de défense de l’Intimée.

 

[71]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[72]        ACCUEILLE la «Requête Amendée de la Demanderesse en Rejet de la Défense et Demande Reconventionnelle»;

[73]        REJETTE la «Défense Amendée et Demande reconventionnelle» de Gestion Gloucester «Société en commandite»;

[74]        DÉCLARE que Gestion Gloucester «Société en commandite» est forclose de plaider;

[75]        LE TOUT avec dépens.

 

 

__________________________________

LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

 

Mes Mathieu Renaud et Keven Lapierre

Dunton Rainville

Procureurs de la Requérante - Demanderesse/Défenderesse reconventionnelle

 

Me Louis-Alexandre Martin

Laframboise Gutkin

Procureurs de l’Intimée - Dédenderesse/Demanderesse reconventionnelle

 

Me Ari Yan Sorek

Fraser Milner Casgrain

Procureurs de la Mise-en-cause

 

Date d’audience :

17 janvier 2013

 

 

 



[1] L.R.C. (1985), ch. B-3.

[2] Pièce P-13, Rapport Préliminaire du Syndic aux Créanciers, page 1.

[3] Pièce D-3.

[4] Pièce P-3.

[5] Défense et Demande reconventionnelle, par. 7.

[6] Pièce P-13, dernière page, et P-14, dernière page.

[7] U-5, Pièce R-2, pages 17-19, Pièce P-11, Pièce P-13, dernière page, et Pièce P-14, dernière page.

[8] Pièce P-13, pages 7 et 9.

[9] Pièce P-4.

[10] Pièce P-13, rubrique PÉRIODE DE QUESTIONS, question 7.

[11] Pièce P-5.

[12] Pièce P-6.

[13] Pièce P-9.

[14] Pièce D-1.

[15] Pièce D-2.

[16] Pièce D-3.

[17] Pièce P-4, paragr. 7.

[18] Pièce D-3.

[19] Lloyd W. HOULDEN, Geoffrey B. MORAWETZ & Janis P. SARRA, The 2012-2013 Annotated Bankruptcy and Insolvency Act, Carswell, F§181(11).

[20] Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037 .

[21] Aliments Breton (Canada) inc. v. Bal Global Finance Canada Corporation, 2010 QCCA 1369 .

[22] Duni c. Robinson Sheppard Shapiro, S.E.N.C.R.L./L.L.P. et al., 2011 QCCA 677 , para. [14].

[23] Cheung c. Borsellino [2005] Q.C.C.A. 865 (C.A.); Machineries Maheux (1998) Ltée c. J.A.Larue Inc., A.E./P.C. 2008-5852 (C.A.).

[24] Entreprises Pro-Sag Inc. c. Groupe Oslo Construction Inc., A.E./P.C. 2005-4203 (C.A.).

[25] Duquette c. Desmarais & Desmarais, A.E.\P.C. 2000-274 (C.S.).

[26] Groupe Jeunesse Inc. c. Loto-Québec, A.E./P.C. 2004-2872 (C.A.).

[27] D.I.M.S. Construction Inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur Général) [2005] 2 R.C.S. 564 (573).

[28] Giffen (Re), [1998] 1 R.C.S. 91 , paragr. [57]-[59].

[29] Défende et Demande reconventionnelle, paragr. 7.

[30] Pièce P-11.

[31] Pièce P-3.

[32] Pièce P-13, pages 7 et 9.

[33] Pièce P-4.

[34] Pièce P-5.

[35] Pièce P-6.

[36] Voir, entre autres, l’article 1714 du Code civil du Québec.

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