Toitures du St-Laurent inc. c. Guay

2013 QCCQ 10371

 

 COUR DU QUÉBEC

« Chambre civile »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

N° :

200-22-068118-132

 

DATE :

24 septembre 2013

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q. (JL 4155)

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TOITURES DU ST-LAURENT INC.

 

Demanderesse

 

c.

 

JEAN-FRANÇOIS GUAY

Défendeur

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JUGEMENT

sur requête pour être relevé du défaut de produire l'inscription pour enquête et audition

(art. 110.1 C.p.c.)

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[1]       Le Tribunal est saisi d'une requête de la demanderesse pour être relevée du défaut de produire l'inscription pour enquête et audition à l'intérieur du délai de 180 jours prévu à l'article 274.1 du Code de procédure civile (C.p.c.).

[2]       La demanderesse avait jusqu'au 25 juin 2013 pour produire son inscription. Le 27 juin 2013, le procureur de la demanderesse a formulé une première requête pour être relevé du défaut après avoir reçu du procureur du défendeur, le 26 juin 2013, signification d'une inscription pour jugement sur désistement réputé quant aux frais.

[3]       Cette requête était présentable devant la Cour supérieure le 11 juillet 2012. À cette date, la Cour supérieure a transféré le dossier à la Cour du Québec. Le 20 août 2013, le procureur de la demanderesse a reçu l'avis de transfert de dossier, daté du 13 août 2013, avec le nouveau numéro de dossier.

 

[4]       Le 21 août 2013, il formule la présente requête, similaire à celle du 27 juin 2013.

[5]       Pour justifier sa demande d'être relevé du défaut, le procureur de la demanderesse plaide l'imbroglio au sein de son étude et l'inadvertance.

[6]       Le procureur du défendeur s'oppose à la requête et allègue négligence de la part du procureur de la demanderesse.

Le contexte

[7]       La requête introductive d'instance est signifiée au défendeur le 27 décembre 2012.

[8]       L'entente sur le déroulement de l'instance, datée du 20 février 2013, prévoit :

-        un interrogatoire avant défense, au plus tard le 29 mars 2013;

-        la communication des engagements souscrits lors de l'interrogatoire, au plus tard le 13 avril 2013;

-        la production d'une défense écrite, au plus tard le 3 mai 2013;

-        la production d'une réponse et défense à la demande reconventionnelle le cas échéant, au plus tard le 27 juin 2013;

-        la production de l'inscription pour enquête et audition au mérite, au plus tard le 27 juin 2013.

[9]       Malgré les demandes répétées du procureur du défendeur, les pièces au soutien de la requête introductive d'instance ne lui sont communiquées que le 5 mars 2013.

[10]    L'interrogatoire du représentant de la demanderesse se déroule le 20 mars 2013 et neuf engagements sont souscrits.

[11]    En date du 26 juin 2013, le procureur de la demanderesse n'a toujours pas communiqué les engagements malgré l'échéance du 13 avril 2013 prévue à l'entente et les rappels du procureur du défendeur les 4 avril, 1er mai, 8 mai et 28 mai 2013.

[12]    Ce dernier n'a pu déposer sa défense et demande reconventionnelle à l'échéance du 3 mai 2013 prévue à l'entente.

[13]    Le procureur de la demanderesse soutient que l'omission de transmettre les engagements souscrits lors de l'interrogatoire du 20 mars 2013 est bien involontaire. Ils ne l'ont pas été d'une part, parce que sa cliente a tardé à les fournir et d'autre part, qu'un imbroglio au sein de son étude a fait en sorte que la lettre de transmission et les engagements sont restés sur son bureau.

[14]    Tel qu'il l'exprime, le tout « est passé entre deux chaises ». Il a malencontreusement pris pour acquis que les engagements avaient été transmis et qu'une inscription allait être déposée le 27 juin 2013 aux lieu et place de sa première requête présentée en Cour supérieure.

L'ANALYSE ET LA DÉCISION

[15]    L'article 274.3 C.p.c. prescrit :

274.3.  L'inscription doit être produite au greffe dans le délai de rigueur de 180 jours, ou d'un an en matière familiale, à compter de la signification de la requête introductive, à moins que le tribunal n'ait, conformément à l'article 110.1, prolongé ce délai, auquel cas l'inscription doit être produite avant l'expiration du délai ainsi fixé et faire mention de l'ordonnance de prolongation. Le demandeur qui fait défaut d'inscrire dans le délai fixé est réputé s'être désisté de sa demande.

 

Le demandeur reconventionnel n'est pas tenu d'inscrire. Toutefois, si le demandeur principal fait défaut d'inscrire dans le délai fixé, le demandeur reconventionnel peut alors le faire dans les 30 jours de l'expiration du délai fixé.

 

Le greffier doit refuser de recevoir toute inscription faite hors délai.

[16]    L'article 110.1 C.p.c. est ainsi rédigé :

110.1. Les demandes en justice doivent, si elles sont contestées oralement, être entendues ou fixées pour enquête et audition et, dans ce dernier cas, être référées sur ordonnance au greffier pour fixation d'audition ou, si elles sont contestées par écrit, être inscrites pour enquête et audition, dans le délai de rigueur de 180 jours à compter de la signification de la requête. Toutefois ce délai de rigueur est d'un an en matière familiale.

Le tribunal peut, sur demande soumise lors de la présentation de la requête introductive d'instance, prolonger ces délais de rigueur lorsque la complexité de l'affaire ou des circonstances spéciales le justifient. Si, au jour de la présentation, les parties ne sont pas en mesure d'évaluer le délai nécessaire pour permettre la fixation de l'audition ou l'inscription de la cause, elles peuvent en tout temps avant l'expiration du délai de rigueur en demander la prolongation pour les mêmes motifs.

Le tribunal peut également relever une partie des conséquences de son retard si cette dernière démontre qu'elle a été, en fait, dans l'impossibilité d'agir dans le délai prescrit.

La décision doit, dans tous les cas, être motivée.

(le Tribunal souligne)

[17]    Dans l'exercice qui consiste à déterminer s'il y a impossibilité en fait d'agir au sens du troisième alinéa de l'article 110.1 C.p.c., le Tribunal jouit d'un pouvoir discrétionnaire mais il ne peut relever la demanderesse de son défaut qu'en présence d'une preuve démontrant qu'elle ou son avocat ont été dans l'impossibilité en fait d'agir et la demanderesse a le fardeau de cette preuve.

[18]    Dans un arrêt récent, la Cour d'appel réitère que la simple erreur de l'avocat peut constituer une impossibilité en fait d'agir dont parle le troisième alinéa de l'article 110.1 C.p.c. mais qu'il en va tout autrement de sa négligence grossière. Elle ajoute que le juge de première instance ne peut relever du défaut qu'en présence d'une preuve démontrant qu'il y a impossibilité d'agir, ce qui repose sur les épaules de la partie qui l'allègue.[1]

[19]    Dans l'affaire Maritime Insurance Company [2], la Cour supérieure se prononce sur le critère de l'impossibilité d'agir et donne des exemples :

«[18] Il faut distinguer l'erreur de l'avocat de la négligence grossière.  À titre d'exemple, un malentendu entre deux avocats, une erreur sur la date, une erreur administrative ou une distraction sont assimilés à des impossibilités en fait d'agir, excusant la partie de son défaut d'inscrire dans le délai de 180 jours.

[19]    À l'inverse, les oublis fragrants, la mauvaise gestion des dossiers, la négligence grossière des procureurs ne peuvent constituer des impossibilités en fait d'agir et ne peuvent servir de critères pour relever une partie de son défaut d'inscrire dans le délai requis.  Citons quelques exemples jurisprudentiels où les tribunaux ont rejeté des requêtes en prolongation du délai d'inscription en l'absence de preuve d'impossibilité d'agir.

[…]

[29]    Ainsi, les tribunaux n'hésitent pas à rejeter les demandes en prolongation du délai d'inscription, alors même que cela aurait pour effet de priver la partie requérante de tout droit d'action éventuel, lorsque le dossier révèle une erreur grossière de la part du procureur ou un droit d'action mal fondé.

[30]     La négligence d'un procureur ne peut être assimilée à une impossibilité d'agir et ce, malgré l'assouplissement de ce critère lors de la dernière réforme.  La négligence d'un procureur est caractérisée par une attitude de laisser-aller en regard des délais procéduraux et par une absence de suivi sur une période de temps significative.  Les tribunaux sanctionnent sévèrement de telles négligences en rejetant les demandes basées sur l'article 110.1 C.p.c. et ce, malgré la prescription du recours entraînant une perte de droits pour la partie négligente.»

(Le Tribunal souligne, références omises)

[20]    Comme le souligne la Cour du Québec :

« Il y a cependant lieu de distinguer entre l'erreur et la négligence.  L'erreur est le fait de se tromper et sa nature implique nécessairement la présence d'une activité quelconque de la part de celui qui la commet; par contre, la négligence est le fait de ne pas accomplir un acte qu'on aurait dû accomplir.».[3]

[21]    En somme, le défaut doit être explicable et excusable.

[22]    Dans le présent cas, l'entente sur le déroulement de l'instance prévoit la production de l'inscription pour enquête et audition au mérite au plus tard le 27 juin 2013, alors que le délai de 180 jours échoit le 25 juin 2013.

[23]    Il ne s'agit pas en l'espèce d'une simple erreur de date comme pourrait le laisser croire l'entente sur le déroulement de l'instance, ce qui aurait pu, dans un autre contexte, constituer une raison valable pour être relevé du défaut, car une erreur de date, une erreur administrative ou un simple oubli qui emporte un retard de quelques jours constitue une erreur de bonne foi qui peut constituer l'impossibilité d'agir de la partie et l'excuser de son retard à inscrire dans le délai.

[24]    Le paragraphe 12 de la requête de la demanderesse allègue :

« Le procureur au dossier a valablement mais malencontreusement pris pour acquis que les engagements avaient été transmis et qu'une inscription aurait été transmise en place et lieu de la présente requête le 27 juin 2013.».

(Le Tribunal souligne)

[25]    Cette allégation apparaît surprenante car même le 25 juin 2007, le procureur de la demanderesse ne pouvait produire son inscription pour enquête et audition au mérite puisque aucune défense n'est alors déposée au dossier pour le motif que les engagements n'ont pas encore été communiqués.

[26]    Il n'a pas respecté le contrat judiciaire qu'est l'entente sur le déroulement de l'instance malgré plusieurs rappels formulés par le procureur du défendeur et ses allégations quant à son impossibilité d'agir se limitent à peu de choses.

[27]    Il explique que sa cliente a tardé à fournir les engagements mais aucune déclaration assermentée ni aucun témoignage n'explique ce retard.

[28]    Il tente de se justifier en invoquant un imbroglio à son étude et l'oubli du dossier. Son témoignage ne permet pas de comprendre précisément ce qui s'est passé et le pourquoi de cet oubli, autrement dit l'impossibilité en fait d'agir.

[29]    La demanderesse n'a pas prouvé l'impossibilité en fait d'agir.

[30]    Le Tribunal voit plutôt dans les explications du procureur de la demanderesse une attitude de laisser-aller. Le Tribunal estime qu'un suivi régulier du dossier et sa bonne gestion auraient pu lui permettre d'éviter la présente situation.

[31]    Le Tribunal est d'avis qu'accorder la présente requête équivaudrait à mettre carrément de côté la règle impérative de l'article 110.1 C.p.c. qui énonce l'intention du législateur d'imposer un délai de rigueur.

[32]    Dans ces conditions, le Tribunal conclut que la requête pour être relevé du défaut d'inscrire dans le délai et en prolongation du délai pour inscrire doit être rejetée, ce qui ne prive pas la demanderesse de ses droits, le recours n'étant pas prescrit.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la requête de la demanderesse pour être relevé de son défaut d'inscrire dans le délai et en prolongation du délai.

LE TOUT, avec dépens.

 

 

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DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q.

Me Jacques Jobidon

Armijo & Webster (casier 103)

Procureurs de la demanderesse

 

Me Émilie Nadeau

BCF S.E.N.C.L.R. (casier 12)

Procureurs du défendeur

 

Date d’audience :

30 août 2013

 



[1]    Lévesque c. St-Élien, 2012, CanLII 1057 (QC C.A.).

[2]    Maritime Insurance Company c. Transport Fafard inc., 2005, CanLII 57227 (QC C.S.), confirmée par la Cour d'appel : 2005, CanLII 1244 (QC C.A.). Voir aussi Presto Construction inc. c. Chemor inc., 2008, CanLII 4688 (QC C.S.), confirmée par la Cour d'appel : 2009, CanLII 551 (QC C.A.); Générateurs de brouillard MDG ltée c. Larivière, 2011, CanLII 564 (QC C.A.).

[3]    Autobus Auger Métropolitain inc. c. Autocar Connaisseur inc., C.Q. Montréal, n° 500-22-006610-979, j. Desormeau.

 

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