Décision

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Syndicat de la copropriété 64 à 90, rue des Soeurs grises  c. Développement des quais inc.

2011 QCCS 1130

JD 1986

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-032810-064

 

 

 

DATE :

 18 mars 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JEAN-FRANÇOIS DE GRANDPRÉ, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

SYNDICAT DE LA COPROPRIÉTÉ

64 À 90 RUE DES SŒURS GRISES

       Demandeur

c.

DÉVELOPPEMENT DES QUAIS INC.

Et

CLIMATISATION ET CHAUFFAGE URBAINS DE MONTRÉAL, s.e.c.

Et

CLIMATISATION ET CHAUFFAGE URBAINS DE MONTRÉAL INC.

Et

GAZ MÉTRO INC.

       Défenderesses

Et

DÉVELOPPEMENT DES QUAIS INC.

       Demanderesse en garantie

c.

CLIMATISATION ET CHAUFFAGE URBAINS DE MONTRÉAL, s.e.c.

Et

CLIMATISATION ET CHAUFFAGE URBAINS DE MONTRÉAL INC.

       Défenderesses en garantie

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

DOMMAGES-INTÉRÊTS

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]           Le Syndicat de la copropriété 64 à 90 rue des Sœurs Grises (le Syndicat) réclame des défendeurs solidairement des dommages-intérêts pour combler la différence entre les coûts d'énergie réels et ceux représentés par le promoteur, Développement des Quais Inc. (DQI) ainsi que le coût du remplacement des compteurs installés dans chaque partie privative.

[2]            L'énergie est fournie par un consortium des défenderesses Climatisation et Chauffage Urbains de Montréal, s.e.c., Climatisation et Chauffages Urbains de Montréal, Inc. et Gaz Métro Inc. (CCUM).  Le montant de l'action est de 702 345,00 $ soit 606 395 $ en dommages - intérêts et 95 950 $ pour le remplacement des compteurs.

[3]           Le Syndicat représente les copropriétaires d'un immeuble connu comme la phase V du Développement des Quais situé au 64 à 90 rue des Sœurs Grises à Montréal. (l'Immeuble ou Quai V).

[4]           DQI est promoteur/constructeur de l'Immeuble; CCUM gère une centrale thermique et un réseau sous-terrain de vapeur, d'eau chaude et d'eau refroidie  approvisionnant différents immeubles situés dans le centre-sud de Montréal.

[5]           L'Immeuble est composé de 90 parties privatives et des parties communes.  Pour les fins du jugement, il suffit de savoir que les parties communes de l'Immeuble comprennent les installations d'aqueduc et d'égouts, les passages, corridors, halls d'entrée, escaliers, ascenseurs, systèmes de chauffage, d'électricité, de tuyauterie, de plomberie, de ventilation ou de climatisation, de canalisation, les tuyaux, fils, câbles, conduits, canalisations, bouches et puits nécessaires à ces systèmes y compris ceux qui traversent les parties privatives à l'exception des sorties et canalisations des distributions de ces différents services situés à l'intérieur des limites d'une partie privative et desservant cette partie privative seulement.  (soulignement ajouté)

[6]           Les charges définies à la déclaration de copropriété comprennent:

« Les coûts de chauffage et de climatisation reliés aux parties communes, aux parties communes à usage restreint et aux parties privatives…»

[7]           Les coûts en énergie des parties communes et privatives sont répartis entre les copropriétaires selon les fractions respectives et les données fournies par des compteurs.  Le  Syndicat reçoit mensuellement les factures et s'occupe de la répartition.

[8]           En juin 2002, avant le début de la construction de l'Immeuble, DQI informe les éventuels acheteurs d'une offre reçue de CCUM relativement au chauffage et à la climatisation de l'Immeuble. (P-6)

[9]           DQI propose aux acheteurs éventuels un système central semblable à celui installé dans la phase III (Quai III) moyennant une augmentation du prix d'achat de 4 000 $ pour chaque unité; DQI prévoit que le coût de l'énergie ne sera que de 0,10 $ par pi ca. / mois comme à la phase III.

[10]        Les représentations font miroité des économies sur les coûts de chauffage et de climatisation de l'Immeuble, un meilleur confort et une plus value.  Un officier de DQI signe la lettre communiquée à tous les premiers acheteurs.

[11]        De fait, 82 des 90 unités d'habitation de l'Immeuble sont branchées au système proposé.

[12]        Le Syndicat évalue le quantum des dommages causés par les fausses représentations à 606 395 $; c'est la somme payée par CCUM à DQI pour la construction du réseau de distribution et qui a présumément servi à l'établissement de la base de facturation et que CCUM récupère sur la durée des contrats de fourniture d'eau chaude et l'eau refroidie.

[13]        Il réclame aussi  les frais de remplacement des compteurs installés dans les unités privatives soit une somme de 95 950 $.

LES FAITS PERTINENTS

[14]        Alors que les travaux du Quai III sont presque terminés, CCUM approche DQI pour lui proposer de financer une partie des coûts de construction requis pour l'approvisionnement en énergie de la phase V. (DQI-2)

[15]        Jonathan Sigler, officier de DQI négocie avec le représentant de CCUM, à l'époque Raymond Cocomello.  La première proposition n'est pas retenue parce qu'elle ne comporte pas la distribution de l'énergie dans les parties privatives. 

[16]        CCUM revient à la charge en novembre 2001 proposant cette fois de financer une partie de la construction du réseau de distribution. ( DQI-3)

[17]        Cette proposition est rejetée. Sigler[1] insiste pour que CCUM subventionne l'installation puisqu'il pourrait lui livrer près de 90  clients pour une durée de 20 ans. 

[18]         Le 7 mai 2002, CCUM formule une troisième offre s'élevant à 486 500 $ et couvrant le coût des travaux de construction des réseaux de distribution de climatisation et de chauffage des unités privatives.

[19]         Les parties ne contestent pas que CCUM a intérêt à alimenter la phase V; en passant ses conduits par cet Immeuble, elle pourra éventuellement approvisionner le projet Europa situé un peu plus loin, mais à un moindre coût.  Pour ce faire, CCUM doit nécessairement obtenir une servitude de DQI.

[20]        DQI soumet l'estimation de CCUM à ses ingénieurs et conclut qu'elle nécessite une contribution de chacun des éventuels copropriétaires à la hauteur de 4 000 $.

[21]        Dans un courriel du 23 mai 2002, Sigler écrit à Cocomello qu'il est surpris d'apprendre que l'offre maintenant majorée à environ 560 000 $ en est une de financement et non une subvention.  Sigler estime que le coût pour ses clients sera alors d'environ 8 000 $ sur une période de 10 ans à un taux d'intérêt de 6% en sus de ce qu'il devra leur charger.

[22]        Le lendemain, Cocomello répond à Sigler qu'il n'est pas en mesure de lui offrir une subvention et de faire un profit.  Il n'a pas accordé de subvention à la phase III.

[23]        Cocomello écrit:

" We agree the amount being charged to your owners is high.  It is therefore incumbant on us to reduce this amount to a number you will be able to sell.  It is obvious that at the end of the day, this process allows you to " avoid costs" and pass them on to your condominium buyers, but if this can be packaged with a "value package", we feel it can be sold.

Naturally, since this is a financing deal, we will want to have our financing guaranteed by some form that our owners and lawyers will accept." (sic)

[24]        Le même jour, Cocomello écrit au président de CCUM:

"Jonathan vient de cliquer que notre offre est de financement et pas une subvention". (sic)

[25]        Le 4 juin 2002, Gérald Cormier, directeur technique de CCUM à l'époque, prépare un document qu'il expédie à Sigler.

[26]        Ce document s'intitule "Phase V, offre de subvention"; on y voit que CCUM financerait des travaux  à la hauteur de 180 000 $ et subventionnerait d'autres travaux à la hauteur de 616 000 $ dont ceux qui comprennent la construction du réseau de distribution incluant les compteurs dans les unités privatives.

[27]        Interrogé sur ce document, Sigler témoigne qu'il est satisfait qu'il aura une subvention.

[28]        Fin juin 2002, Cocomello prépare pour Sigler une lettre qu'il pourrait utiliser pour présenter la proposition aux acheteurs. (DQI-1)  L'idée principale est d'ajouter une valeur aux unités.

[29]        DQI utilise cette lettre pour rédiger celle destinée aux éventuels acheteurs. ( P-6)  DQI leur propose de payer une somme additionnelle de 4000 $ afin d'obtenir un meilleur système de chauffage et de climatisation et souligne que le coût prévu de l'énergie serait de 0,10$ /pi ca. /mois, soit identique à celui de la phase III.

[30]        Le 12 juillet 2002, DQI et CCUM signent une entente confirmant l'engagement de CCUM à payer pour l'installation de son équipement dans l'immeuble ainsi que toute la tuyauterie et les compteurs dans chaque appartement.  On y lit également:

" DQI will provide a servitude for pipes going to the EUROPA project

starting July 1st, 2004, the estimated cost of energy for residents is $.0.10 /s.f./ month."

[31]        Pour le promoteur, il est important que les coûts d'installation du réseau dans  l'Immeuble, incluant les parties privatives, soient assumés par CCUM et que les coûts d'énergie pour les acheteurs éventuels ne dépassent pas 0,10 $ /pi ca. /mois.

[32]        Selon Cormier, 0,10$ /pi ca. /mois représenterait le coût total mensuel.  La méthode pour arriver à ce chiffre sera communiquée à Sigler en janvier 2003. (D-4, D-4 A)

[33]        La lettre du promoteur à l'intention des acheteurs éventuels les invite à obtenir des renseignements additionnels en communiquant avec des représentants de DQI.  Celle préparée par CCUM à l'intention de DQI suggérait qu'ils communiquent plutôt avec CCUM.  Nulle part dans la lettre proposée par CCUM est-il fait mention d'un coût d'énergie au pi ca. /mois qui serait semblable à celui de la phase III.

[34]        Comme le reflètent les pièces DQI-7 et 8, les discussions entre les parties continuent.  Elles concernent la somme que CCUM versera à DQI pour financer la construction des réseaux thermiques; il appert de ces pièces que CCUM  finance tous les travaux, incluant ceux de la salle de mécanique.  On ne parle plus de subvention.

[35]        C'est à cette époque que des expressions qui deviendront fort importantes pour la suite apparaissent.  Ainsi, on parle maintenant de demande normale pour l'eau chaude et demande normale pour l'eau refroidie et d'un budget annuel pour le projet.

[36]        La demande normale, que ce soit pour l'eau chaude ou l'eau refroidie, est une charge fixe établie selon une formule particulière qui sera définie dans les contrats à intervenir entre DQI et CCUM.  Cette charge permet à CCUM de récupérer sur 20 ans le coût de son investissement dans le projet.  Elle est fonction du nombre de BTU/ heure livrés à l'Immeuble.

[37]         Depuis le 30 janvier 2003, Sigler sait comment le calcul du 0,10$ /pi ca. /mois s'établit.  C'est Cormier qui fait la comparaison avec la phase III où CCUM n'a pas financé le coût de construction du réseau de distribution dans les unités privatives.  En bref, il lui dit qu'il faut établir le budget à partir du nombre total de pieds carrés du bâtiment et non le nombre total de pieds carrés des parties privatives qui recevront leur énergie de CCUM.  Il écrit:

"Cependant, suite à nos entretiens et nos discussions, afin de conserver uniformes les tarifs de tous les projets de condominiums adjacents à la Cité du multimédia, nous vous avions informé que les ajustements devraient être faits sur les demandes normales au lieu des tarifs afin de récupérer notre investissement supplémentaire sur 20 ans".

[38]        Les tarifs sont ceux qui sont appliqués à la consommation de chaque unité, alors que la demande normale est un facteur uniforme pour chaque immeuble ensuite réparti entre chaque unité privative.  Ce facteur est identique pour les phases III et V.

[39]        C'est la seule façon dont DQI pouvait rencontrer son budget prévisionnel de  150  000 $ par année pour la phase V.

[40]          Lorsque la première entente de principe lui est soumise en janvier 2003, Sigler y fait des corrections pour réduire le nombre de BTU à une quantité sensiblement identique à celle du contrat de fourniture d'énergie pour la phase III. (P-11)   Il propose la moitié de la quantité indiquée par CCUM, laquelle refuse.

[41]        En mars 2003, DQI et CCUM signent une deuxième entente de principe dans laquelle le nombre de BTU livrés est celui qu'on retrouvera dans les conventions déposées comme pièces P-8 et P-9.  Le budget annuel prévu dans l'entente de mars  est de 150 785 $. 

[42]        Le 27 août 2003, les travaux de construction du réseau de distribution sont terminés; M. Michel, qui a remplacé Cormier, demande de modifier les demandes souscrites ou normales pour porter le budget annuel à 153 000 $ au lieu du 150 785 $ indiqué dans l'entente de principe.  Cette augmentation porte le coût au pied carré à  .105 $ /p.c./mois.  Dans le même document, il confirme que CCUM versera 613 000 $ à DQI.  Michel propose d'ajuster la demande normale pour l'eau chaude à 4.75  MMBTU/heure et de ramener celle pour l'eau refroidie à son niveau initial de 2.5 MMBTU/heure.  Sigler refuse cette proposition.

[43]        Les conventions P-8 et P-9 signées le 10 septembre 2003 cristallisent l'engagement formel de CCUM envers DQI; P-8 régit  l'eau chaude et P-9 l'eau refroidie.  Elles ont une durée de vingt ans à compter du 1er février 2004. Chacune comporte une définition de la demande normale; elle "signifie 4.3 MMBTU/heure selon l'estimation faite par le client des besoins de l'Immeuble en date de la convention et convenu entre les parties" (sic) pour l'eau chaude et 2.4 MMBTU/heure pour l'eau refroidie.

[44]        L'Immeuble y est indiqué comme ayant une superficie locative de 91 400 pieds carrés.  Sa superficie totale est de 130 000 pieds carrés.

[45]         La convention prévoit que le facteur appliqué pour le tarif demande "est réputé rémunérer et compenser le fournisseur pour les charges fixes de capital, intérêt, dépréciation et autres charges du genre ainsi que pour le coût d'exploitation et d'entretien du réseau y compris les taxes foncières d'eau, d'affaires et de ventes, le coût des assurances et autres charges du genre.  Ce facteur est invariable sauf dans les cas prévus à l'article 10.1". (8.2.2 de la convention)

[46]        Le tarif consommation est celui que le client (DQI) paie mensuellement au fournisseur pour l'énergie consommée.  Il s'agit d'un tarif différent du tarif demande et il est le seul qui varie selon les fluctuations de prix du combustible.

[47]         Nulle part dans les conventions P-8 et P-9 n'est - il question d'un budget prévisionnel annuel de 150 000 $ pour la dépense en énergie.

[48]        À la même date, DQI et CCUM signent une quittance en considération du versement par CCUM à DQI d'une somme de 606 395 $ en paiement "complet final et total de tous les engagements et de toutes les obligations de CCUM envers Développement des Quais dont notamment les engagements et les obligations découlant des conventions datées du 12 juillet 2002 et du 4 mars 2003".  En fait, CCUM paye le coût des travaux pour la distribution de l'énergie dans l'Immeuble.

[49]        DQI cède l'administration de l'Immeuble au Syndicat au début de 2004.  Isabelle Gendron devient présidente du conseil d'administration du Syndicat en mars 2004 et le restera jusqu'en mars 2006.

[50]        Elle habite l'unité 309 de septembre 2003 à février 2008.  Avant d'acheter son condo, elle a reçu la lettre P-6 et parlé à son frère qui habite le Quai III.  Il lui confirme que son coût d'énergie est autour de .10 $/pi ca. par mois, ce qui est conforme aux documents produits.

[51]        Elle décide donc de payer le montant additionnel de 4000 $ pour obtenir le système proposé par DQI.

[52]        Au cours de 2004, elle constate un écart entre le budget et le coût réel de l'énergie.  Elle obtient copie des conventions régissant la fourniture d'énergie aux Quais III et  V.  Elle  constate que le coût pour Quai V est de beaucoup supérieur à ce qu'on lui avait représenté.

[53]        En décembre 2005, elle rencontre Michel et lui fait part de la différence entre les coûts de Quai III et Quai V; elle  soulève également le problème des compteurs volumétriques installés dans les parties privatives; ils seraient imprécis et afficheraient de grandes variations entre des unités de superficie semblable et occupation équivalente.  Elle interroge le représentant de CCUM sur la signification du 4.3 MMBTU/heure pour Quai V et du 2.5 MMBTU/heure pour Quai III; Michel lui apprend que le calcul de la demande normale est fonction du retour sur l'investissement que cherche CCUM; elle apprend également que CCUM a payé 606 395 $ à DQI, somme qui représente le coût de construction des conduites dans l'Immeuble. (P-29)  Le budget prévisionnel de DQI indiquait .11 $/pi ca. /mois pour l'énergie et n'avait pas été modifié.  L'écart entre le budget et le réel a entraîné un problème de flux de trésorerie qui a sonné l'alarme chez les copropriétaires. 

[54]        L'actuel président du conseil d'administration du Syndicat, Conrad Peart a parlé au représentant de DQI, un dénommé Rosenberg, avant son achat; il a obtenu confirmation que le système proposé serait plus économique que des plinthes électriques et que les coûts seraient les mêmes que pour la phase III.  C'est lui qui a calculé la réclamation du Syndicat. 

[55]        Il produit les factures d'énergie de décembre 2003 à septembre 2009 (P-19) et fait la comparaison entre les coûts de l'énergie de la phase III et ceux de la phase V; il se rend compte que les coûts n'ont jamais été comparables.   Le tableau qui suit montre les différences.

 

Les tarifs chargés tant pour la demande que pour la consommation sont identiques dans les deux immeubles

 

 

Phase III

Phase V

2002 -2003

121 016 $

-

2003-2004

117 000 $

145 000 $

2004-2005

117 500 $

175 000 $

2005-2006

116 900 $

173 200 $

2006-2007

133 200 $

184 000 $

2007-2008

129 800 $

178 400 $

2008-2009

134 000 $

179 900 $

2009-2010

139 600 $

183 000 $

[56]        La superficie totale de Quai III est de 125 000 pieds carrés et sa superficie locative 92 550.

[57]        Au Quai V, la superficie totale est de 130 000 pieds carrés et celle des lofts fournis en énergie par CCUM est de 91 400 pieds carrés.  Ces chiffres viennent des pièces D-4, D-6 et P-8.   

[58]        En  divisant le coût total d'énergie  par les surfaces locatives et totales, on obtient les résultats suivants pour les années 2004/2005, 2005/2006, 2007/2008:

COMPARAISON DES COÛTS D'ÉNERGIE

 

PHASE III

PHASE V

 

LOC

TOTAL

LOC

TOTAL

2004-2005

.106

.078

.16

.112

2005-2006

.105

.078

.156

.112

2007-2008

.116

.086

.162

.114

 

[59]         On constate que les coûts du Quai V ne sont comparables à ceux de Quai III que si on divise le coût par la superficie totale de l'Immeuble.                                 

[60]        Le Syndicat prétend également que les compteurs individuels sont défectueux ou mal installés. La preuve de ce dommage repose sur une estimation d'un entrepreneur qui n'a pas été entendu.

[61]        Interrogé hors cour, Michel, de CCUM, témoigne que les compteurs défectueux, deux ou trois ont été remplacés ou corrigés.

[62]        C'est DQI qui a fait l'installation des compteurs; apparemment, les données qu'ils fournissent sont disparates et illogiques.

[63]        Les compteurs installés dans chaque unité sont des compteurs volumétriques alors que ceux installés à l'entrée de l'Immeuble sont des compteurs calorifiques beaucoup plus dispendieux.  Ces derniers sont plus exacts et performants que les compteurs volumétriques.  Le Syndicat prétend que la comparaison entre les volumes d'eau utilisée par chacun des copropriétaires ne peut mener qu'à la conclusion qu'ils sont affectés d'un défaut.

[64]        Ce défaut a fait en sorte qu'au lieu de distribuer les coûts d'énergie entre les propriétaires selon les consommations mesurées, le Syndicat a dû recourir à une répartition des coûts en fonction de la superficie de chaque unité branchée au système de CCUM.

[65]        Le Syndicat a déposé une évaluation du coût de remplacement des compteurs; il en coûterait 1 110 $ par unité pour un coût total de 95 950$ pour les remplacer.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

ACTION PRINCIPALE

65.1.             1)   Y a t-il eu fausses représentations?

                         2)    Si oui, les défenderesses sont-elles solidairement responsables?

                         3)  Le Syndicat a t-il l'intérêt légal pour réclamer des dommages intérêts? Cette question n'a pas été soulevée lors de l'argument.  Le délibéré a été rayé et le Tribunal a entendu les arguments des parties le 9 mars 2011.

4)    Si oui, quel en est le quantum?

5)    Le Syndicat est-il bien fondé à réclamer le remplacement de tous les compteurs?

6)  Dans l'affirmative, quel est le montant auquel il a droit et de qui peut-il être réclamé?

 

 

 

L'ACTION EN GARANTIE

[66]        DQI a t-elle raison de prétendre que seule CCUM est responsable des dommages subis par le Syndicat

 

DISCUSSION

[67]        La preuve révèle que malgré ce que DQI prétend, CCUM n'a jamais subventionné quoi que ce soit.  Sauf pour le seul document où apparaît le mot subvention, la pièce DQI-10, tous les autres réfèrent à un financement.

[68]        «Financement» et «subvention» n'ont pas le même sens.  Le dictionnaire Robert définit « financement» comme suit:

«Action de procurer des fonds à une entreprise»,

et «subvention» , " une aide financière accordée par l'État (à un groupement, une association)."

[69]        Le concept d'une aide financière comme on le comprend généralement exclut l'idée de remboursement.  Il n'est pas nécessaire que cette aide provienne de l'État.  Les mécènes subventionnent les arts.

[70]        Sigler est un homme d'affaires; même si sa langue maternelle est l'anglais il ne saurait ignorer la différence entre une subvention et un financement.  Il est clair qu'il espérait avoir une aide financière.  Cependant, dans les affaires, à moins qu'il ne s'agisse de l'État, il est permis de croire que ce genre d'aide prend très généralement la forme d'un financement.  Celui qui procure des fonds s'attend à les récupérer.

[71]        Si ce n'est pas le cas, comment expliquer qu'au Quai III, CCUM facture une demande et une consommation.  Au Quai III, la dépense en capital s'est limitée à amener l'énergie au bâtiment;  DQI sait ou doit savoir qu'elle n'a bénéficié d'aucune subvention.   Le tarif demande ne peut alors correspondre qu'à un mode de récupération de l'investissement.  Les conventions P-8, P-9 pour Quai V et P-11 pour Quai III sont identiques sauf pour les quantités de BTU/heure prévues pour la demande normale.  Le facteur plus élevé pour Quai V a été fixé pour assurer un retour sur un investissement plus considérable dans cet Immeuble dont une partie a été le financement de la construction du réseau de distribution.

[72]        DQI ne pouvait ignorer que CCUM allait faire en sorte de récupérer son investissement où à tout le moins la partie financement sur la période de 20 ans que dureront les conventions signées en septembre 2003.  Sigler est ingénieur; il détient une maîtrise en "construction engineering" et n'en est pas à son premier projet domiciliaire comme promoteur.  Groupe Prével, un des actionnaires de DQI et compagnie sur le papier à lettre de laquelle les représentations ont été faites aux éventuels acheteurs est dans ce domaine depuis longtemps.  DQI était aussi le promoteur de Quai III.

[73]        Dans la lettre adressée aux acheteurs éventuels, DQI prévoit que le coût de l'énergie sera de .10 $ le pied carré par mois ou comparable à ce qu'il en coûte au Quai III.

[74]        Cette estimation s'avère exacte à peu de chose près mais en comparant  des pommes avec des oranges, c'est à dire en divisant le coût total de l'énergie par la superficie locative au III mais par la superficie totale au V.

[75]        Est-ce une fausse représentation quand on constate que la répartition des coûts d'énergie entre les copropriétaires du V amène à un résultat fort différent de ce qu'il en est au III auquel la lettre P-6 réfère?  Il est permis de conclure que l’acheteur ordinaire pense d’abord en fonction de son unité privative; il ne sait pas combien de ses voisins feront le même choix; il devrait par contre savoir que les frais de condo incluront les dépenses de fonctionnement et d’entretien de l’immeuble, ce qui inclut la dépense en énergie pour les espaces communs.  Devait-il savoir que le coût individuel ou total pouvait varier en fonction du nombre de copropriétaires qui auraient accepté la proposition?  Ou devait-il s'attendre à ce que le coût d'énergie dans le langage commun signifie le coût total qu’il lui en coûterait chaque mois pour sa facture d'énergie sans égard à d'autres considérations? La preuve entendue permet de conclure que la préoccupation principale était le coût d’énergie pour son unité et c’est le sens qu’il faut donner à la lettre de DQI. Il s’agit d’une fausse représentation.  En comparant les coûts pour les superficies totales des deux immeubles, la comparaison est encore plus défavorable.

[76]        Le Code civil prévoit que les parties doivent agir de bonne foi; ici cela signifie lors des contrats de vente ou entente de pré-achat des unités de copropriété et lors de la transmission des contrats de DQI au Syndicat lorsqu'il a pris en charge l'administration de l'Immeuble.

[77]        Un dol peut être commis par réticence c'est à dire en n'informant pas les acheteurs et le Syndicat que la façon dont le budget d'énergie a été calculé n'est pas uniquement en fonction d'une consommation d'énergie mais en fonction du coût de construction du système de distribution.  Ici le Syndicat prétend que les acheteurs ont été induits en erreur dans leur choix du mode de chauffage et de climatisation parce qu'on a fait miroiter à leurs yeux qu'il en coûterait .10 $ le pied carré par mois soit l'équivalent de ce qu'il en coûtait à l'Immeuble voisin et que le système serait meilleur que celui originalement prévu. Il a raison.

[78]        L'article 1407 du Code civil énonce que :

"Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d'erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages intérêts ou encore, s'il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages intérêts qu'il eut été justifié de réclamer."

 

[79]         Le Syndicat demande une réduction de son obligation ou des dommages. 

[80]        Comme l'enseigne la Cour d'appel dans Turgeon c. Germain Pelletier Ltée, REJB 2001-22104 , la réponse aux questions posées se trouve dans l'application des dispositions de la Loi sur la protection du consommateur (L.p.c.) et celles du Code civil.

[81]        Dans cette affaire, les appelants prétendaient avoir droit à des dommages parce que l'intimée, vendeuse des condos leur avait faussement représenté les dimensions des unités.  La Cour d'appel leur donne gain de cause.  Le tribunal cite in extenso les passages pertinents de l'analyse du juge Fish qui écrivait pour la cour. Les paragraphes omis concernaient plus particulièrement les faits de l'affaire non pertinents ici.

 

[32]           Avec égards, j’estime que le premier juge a commis une erreur en statuant qu’une « infraction à une disposition de la L.p.c. relative aux pratiques de commerce ne pourrait entraîner qu’un recours pénal » et que c’est « seulement en fonction des règles du droit civil que l’existence ou non d’un dol incident peut être analysée »; bref, il s'est trompé en décidant que la L.p.c. n’était d’aucune aide pour les appelants.

[33]           À mon avis, la L.p.c. s’applique aux transactions faisant l’objet du présent litige: les appelants sont des consommateurs au sens de cette loi; l’intimée est un commerçant; il s’agit d’un contrat conclu dans le cours des affaires commerciales de l’intimée; et, enfin,  l’objet du contrat est un bien.

[34]           À ce propos, même si la loi  concerne principalement les transactions portant sur des biens mobiliers, elle vise également, dans une mesure  pourtant circonscrite, celles qui portent sur des biens immobiliers. C’est l’article 6.1 qui le prévoit :

6.1. Le présent titre, le titre II relatif aux pratiques de commerce, les articles 264 à 267 et 277 à 290 du titre IV, le chapitre I du titre V et les paragraphes c, k et r de l'article 350 s'appliquent également à la vente, à la location ou à la construction d'un immeuble, mais non aux actes d'un courtier ou de son agent régis par la Loi sur le courtage immobilier (chapitre C-73.1) ou à la location d'un immeuble régie par les articles 1650 à 1665.6 du Code civil du Bas Canada.

[35]           De plus, il me paraît évident que l’intimée s'est livrée à une pratique de commerce interdite aux termes du  titre II de la L.p.c.  À cet égard, les articles 215, 216, 218, 219, 221 b) et 228 se lisent comme suit :

215. Constitue une pratique interdite aux fins du présent titre une pratique visée par les articles 219 à 251 ou, lorsqu'il s'agit de la vente, de la location ou de la construction d'un immeuble, une pratique visée aux articles 219 à 222, 224 à 230, 232, 235, 236 et 238 à 243.

216. Aux fins du présent titre, une représentation comprend une affirmation, un comportement ou une omission.

218. Pour déterminer si une représentation constitue une pratique interdite, il faut tenir compte de l'impression générale qu'elle donne et, s'il y a lieu, du sens littéral des termes qui y sont employés.

219. Aucun commerçant, manufacturier ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

228. Aucun commerçant, manufacturier ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu'il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.

[36]           Comme l’a souligné mon collègue le juge Gendreau dans l’arrêt Nichols c. Toyota Drummondville (1982) Inc., la L.p.c. est une loi d’ordre public qui vise à rétablir le déséquilibre contractuel entre le commerçant et son client.  Et, c’est en vertu du critère de la personne crédule et inexpérimentée qu’il faut évaluer le caractère trompeur de la publicité et des pratiques commerciales visées par la L.p.c.

[37]           Sous l'éclairage de ces principes et tenant compte des constatations de fait du premier juge quant à l'inexactitude des représentations de l'intimée, d'une part, et des attentes raisonnables des appelants d'autre part, je suis convaincu que l’intimée n’a pas respecté les prescriptions de la L.p.c., plus précisément ses articles 219, 221 b) et 228.

[38]           Quels étaient donc les recours des appelants?

[39]           Vu l’article 6.1 de la L.p.c., le premier juge avait raison de conclure, selon moi,  que les recours civils que l’on retrouve dans cette loi ne s’appliquent pas aux transactions immobilières. 

[40]           Mais les recours prévus par le droit commun restaient ouverts aux appelants et certaines dispositions de la L.p.c. trouvaient nécessairement application et s'ajoutaient à ces recours.  C'est le cas de l'article 253 L.p.c.

[41]           En effet, cet article a été modifié en 1985 afin d'accorder aux acheteurs d'immeubles une protection accrue ou complémentaire à celles dont ils jouissent déjà en vertu du droit commun ou d'autres lois.  Or, comme il est inapplicable aux poursuites civiles intentées en vertu de la L.p.c. et qu'il est également sans conséquence quant aux poursuites pénales qui y sont prévues, il serait totalement superfétatoire et privé de toute signification s'il ne devait pas trouver application dans le cadre de poursuites intentées selon le droit commun.

[42]           Ainsi, les appelants pouvaient invoquer les articles 1401 et 1407 C.c.Q. qui disposent:

1401. L’erreur d’une partie, provoquée par le dol de l’autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.

Le dol peut résulter du silence ou d’une réticence.

1407.Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s’il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu’il eût été justifié de réclamer.

[43]           Pour réussir, les appelants devaient donc démontrer: 1) l’erreur; 2) le fait que l’erreur a été causée par le dol de l’intimée ou à sa connaissance; et enfin, 3) le fait que, n’eût été ce dol, ils n’auraient pas contracté aux conditions auxquelles ils ont contracté.

 [46]           L'article 253 de la L.p.c., applicable en vertu de l'article 6.1 aux faits de la présente affaire, se lit comme suit:

253. Lorsqu'un commerçant, un manufacturier ou un publicitaire se livre en cas de vente, de location ou de construction d'un immeuble à une pratique interdite ou, dans les autres cas, à une pratique visée aux paragraphes a et b de l'article 220, a, b, c, d, e et g de l'article 221, d, e et f de l'article 222, c de l'article 224, a et b de l'article 225 et aux articles 227, 228, 229, 237 et 239, il y a présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n'aurait pas contracté ou n'aurait pas donné un prix si élevé.

[47]           Selon plusieurs auteurs, lorsqu’un consommateur est victime d’une pratique commerciale interdite prévue au titre II de la L.p.c. et visée par l’article 253, il y a présomption de dol au sens du droit civil.

[48]           En l'espèce, les pratiques interdites concernent des représentations fausses ou trompeuses.  Elles ont été faites dans le contexte de la conclusion d'un contrat assujetti à la L.p.c.  Dans pareilles circonstances, afin que la L.p.c. puisse remplir pleinement sa mission, je suis porté à croire qu'il n'est plus question d'une présomption de dol: ces pratiques interdites, il me semble, constituent dol au sens de l'article 1401 C.c.Q. 

[49]           Par ailleurs, même s'il ne s'agissait que d'une présomption, ma conclusion serait la même, la «présomption» n'ayant pas été repoussée. (C’est aussi la conclusion du tribunal dans ce cas-ci)  Le juge de première instance aurait donc dû conclure que les appelants ont démontré l’existence des deux premiers éléments constitutifs de l’article 1401 C.c.Q.

[50]           Aussi, puisqu’il ne l’a pas fait, il n’a pas davantage considéré la preuve relative au troisième élément constitutif de l’article 1401 C.c.Q.

[51]           À cet égard, puisqu’il y a eu pratique interdite au sens de la L.p.c. et que cette pratique est de celles visées par l’article 253 de la L.p.c., non seulement y avait-il dol (ou présomption non repoussée de dol), mais il y avait également présomption, selon les termes mêmes de l’article, que si les appelants « [avaient] eu connaissance de cette pratique, ils [n’auraient] pas contracté ou [n’auraient] pas donné un prix si élevé ». L’existence du troisième élément constitutif de l’article 1401 C.c.Q. était par conséquent ici présumée.

[52]           Manifestement, cette présomption n’est pas irréfragable et si le juge de première instance l’avait considérée, il aurait été loisible à l’intimée de la repousser en démontrant selon la prépondérance des probabilités que, même si les appelants avaient eu connaissance de cette pratique, ils auraient contracté au même prix.

[82]        Appliquant le même raisonnement, le tribunal conclut qu'il y a eu fausses représentations, que DQI n’a pas repoussé (aucune preuve) la présomption que les acheteurs n'auraient pas contracté ou ne l'auraient pas fait au même prix s'ils avaient connu les faits véritables.  Les représentations concernant le coût de l'énergie qui devait être substantiellement identique à celui du Quai III sont fausses.  La preuve est accablante.  De plus, c'est en toute connaissance de cause que DQI a fait miroiter des coûts inférieurs à la réalité.  C'est DQI qui savait depuis le mois de mai 2002 qu'il n'y aurait pas de subvention et ne pouvait ignorer qu'éventuellement CCUM voudrait récupérer son investissement.  DQI savait également que l'investissement de CCUM dans  la phase III n'était pas le même que celui qu'elle faisait dans la phase V. DQI savait depuis le mois de janvier 2003 de quelle façon   le coût de .10 $ le pi ca. par mois était calculé pour prétendre qu’il serait semblable à celui de Quai III et n’a rien fait pour alerter les acheteurs.

[83]        CCUM n'a pas participé aux représentations aux acheteurs éventuels. Il n'y a pas de preuve que CCUM ait communiqué de quelque façon que ce soit avec les acheteurs.  Ce n'est qu'en décembre 2005 qu'un premier contact a lieu entre les copropriétaires et CCUM lorsque Michel rencontre Gendron et qu'elle apprend que la "demande normale" a été fixée pour assurer un retour sur l’investissement.

[84]        Sur l'action principale, seule DQI est responsable du dommage causé par ses fausses représentations.

EXAMINONS MAINTENANT L'INTÉRÊT DU SYNDICAT

[85]        Les parties ne contestent pas que chaque premier acheteur a reçu la lettre de représentation P-6.  N'eût été qu'il s'agit ici d'un condominium, le droit d'action appartiendrait aux acheteurs.  C'est le Syndicat qui intente l'action et qui s'appuie pour ce faire sur l'autorité de l'article 1039 C.c.Q. qui se lit:

«1039. La collectivité des copropriétaires constitue, dès la publication de la déclaration de copropriété, une personne morale qui a pour objet la conservation de l'immeuble, l'entretien et l'administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble ou à la copropriété, ainsi que toutes les opérations d'intérêt commun.

           Elle prend le nom de syndicat.»

[86]        À première vue, cet article semble limiter l'objet du Syndicat à l'administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l'Immeuble ou à la copropriété ainsi que toutes les opérations d'intérêt commun.  Le mot «opération» peut porter à équivoque puisque le deuxième sens du mot dans le dictionnaire Robert, se lit comme suit: "acte ou série d'actes (matériels ou intellectuels) pour obtenir un résultat" mais peut également donner une voie de solution au problème.

[87]        L'interprétation littérale de 1039 C.c.Q. exclurait une réclamation pour exercer un droit personnel à chaque copropriétaire, surtout qu'il ne s'agit pas d'un droit qui vise à proprement parlé la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble, ni à la copropriété, ni à première vue à une opération d'intérêt commun.  On serait porté à croire que si le législateur avait voulu donner au Syndicat le pouvoir d'ester en justice pour exercer des droits personnels des copropriétaires, il l'aurait fait.  D'un autre côté, cette inclusion  aurait pu avoir l'effet contraire en donnant ouverture à des interprétations ou applications étrangères aux problèmes reliés à la vie en condominium.

[88]        On constate cependant dans les Commentaires du ministre de la Justice accompagnant le projet de loi, sous l’article 1039, t.1, Québec, Les Publications du Québec, 1993, p. 614 :

 

«Sources :      C.C.B.C. : article 441v

                         Loi no. 65-557 du 10 juillet 1965 (France) : article 14

 

 Cet article est nouveau. Il a pour but de donner à la copropriété la personnalité juridique et de préciser la vocation de la personne morale que constitue le syndicat formé de la collectivité des copropriétaires.

 

[…]

 

L’emploi du mot syndicat pour désigner la collectivité des copropriétaires, s’inspire du droit français. Le premier sens de ce mot, en français moderne, désigne une association qui a pour objet la défense d’intérêts communs. Si, au Québec, ce terme ne s’est appliqué qu’à des associations de travailleurs, son usage est beaucoup plus répandu en France. On y retrouve des syndicats financiers constitués pour placer des titres d’entreprise, des syndicats d’initiative touristique, des syndicats de services et, en matière de copropriété, des syndicats de propriétaires. » (Soulignement ajouté)

 

 

[89]        Le pouvoir du Syndicat (ou avant, des administrateurs) d'intenter des procédures pour l'ensemble des copropriétaires a été reconnu par la Cour d'appel dans Belcourt Construction Co. c. Cooperberg EYB-1993-59204  Il s'agissait cependant d'une poursuite pour vices cachés.

[90]        La référence au droit français et ontarien permet d'élargir la sphère d'intérêt du syndicat.

[91]        En effet, dans un arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 1978, Chambre civile, numéro de pourvoi: 76-13052, confirmant la Cour d'appel dans une affaire concernant l'inclusion de l'amortissement des installations thermiques des parties communes dans les charges de l'ensemble des copropriétaires on lit ce qui suit:

«[…]  Qu'enfin les juges d'appel constatent que le syndicat, qui a, en cause d'appel, repris et maintenu dans les mêmes termes la demande qu'il avait formée en première instance contre les sociétés [développeurs], n'a jamais sollicité l'annulation des actes de vente consentis aux copropriétaires, mais, comme il en a le pouvoir en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble, la garantie du préjudice que lui avaient causé les sociétés en mettant indûment, par la convention litigieuse, l'amortissement des installations thermiques des  parties communes, à la charge de l'ensemble des copropriétaires ;

Que, par ces seuls motifs et dès lors qu'aux termes de l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat a qualité pour agir en justice, conjointement ou non avec un ou plusieurs des copropriétaires, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble, la Cour d'appel a, sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;[…] 

Mais attendu qu'après avoir relevé que la convention du 1er février 1967 obligeait la société civile particulière Résidence Grand Siècle à imposer au syndicat l'ensemble des droits et obligations résultant pour elle de cette convention et que, aux termes du règlement de copropriété, les installations thermiques étaient incluses dans les parties communes (articles 2, 3 et 4) et leurs dépenses d'entretien, de réparation et de remplacement dans les charges communes (article 14), la Cour d'appel constate que ni la convention ni ses annexes n'ont été communiquées aux acquéreurs de lots et que les sociétés ont délibérément caché à ceux-ci que ces installations ne faisaient pas partie de l'ensemble immobilier dont ils devenaient copropriétaires ; […]

Que par ces seuls motifs qui caractérisent les manœuvres dolosives des sociétés à l'égard des copropriétaires dont l'ensemble constitue le syndicat demandeur en garantie, la cour d'appel qui a souverainement apprécié la valeur des éléments de preuve versés aux débats, et procédé à une interprétation nécessaire, exclusive de dénaturation, des termes ambigus des conventions des parties, a, sans encourir les griefs des deuxième et troisième moyens, légalement justifié sa décision » (Soulignement ajouté)

 

[92]        Plus près de nous, la Ontario High Court of Justice a interprété le paragraphe 2 de l'article 14 de la Loi sur les condominiums telle qu'elle se lisait en 1980; c'est à dire:

«14. (2) Idem - The corporation after giving written notice to all owners and mortgagees may sue on its own behalf and on behalf of any owner with respect to the common elements and any units, even if the corporation was not a party to the contract in respect of which the action is brought, and the legal and court costs in an action brought in whole or in part on behalf of any owners in respect of their units shall be borne by those owners in the proportion in which their interests are affected.»

[93]        Dans York Condominium Corporation No. 420 c. Deerhaven Properties Ltd. (1982), 40 O.R. (2d) 106, le juge écrit:

« In my view, s. 14(2) as remedial consumer legislation should not be rigidly or narrowly construed to the extent it confers on the condominium a right to sue.  On that principle, I conclude it is reasonable to interpret the section as conferring on the corporation an unlimited right to sue with respect to common elements, and further extending that right by providing that an action in contract may be maintained by the corporation even though it was not a party to the contract.»  (Soulignement ajouté)

[94]        Considérant que le Syndicat a comme objet principal la sauvegarde des intérêts communs des copropriétaires, qu'il détient en quelque sorte un mandat créé par les dispositions de la loi pour ce faire, il est permis d'inclure une réclamation dont la source est commune c'est à dire la lettre de représentation P-6 et dont la conséquence affecte l'ensemble, ici la quasi-totalité des copropriétaires même si le Syndicat comme tel n'est pas la partie à qui les représentations ont été faites.  Sinon, chaque premier acheteur ou chaque acquéreur aurait dû intenter sa propre action ou donner une procuration au Syndicat.  À l'ère des recours collectifs, ce ne semble pas à être ce que l'économie du droit encourage.  Le Syndicat a donc l'intérêt suffisant pour faire valoir les droits personnels mais communs aux 82 des 90 copropriétaires dans cette situation particulière.  Le fait d'ester en justice est une opération qui procède d'un acte intellectuel concrétisé par une démarche tangible dans le but d'obtenir un résultat.  Étant donné que le résultat recherché concerne l'intérêt commun, cette opération est permise.

[95]        Ceci nous amène à la question du quantum des dommages.

[96]        Le Syndicat ne peut prétendre avoir droit à la somme de 606 395 $ versée par CCUM à DQI.  Ce paiement a été fait en considération de la construction du réseau de distribution d'énergie dans l’Immeuble, construction dont les coûts ont été avancés par DQI et remboursés par CCUM en septembre 2003.

[97]        Accorder cette somme équivaudrait à enrichir le Syndicat et/ou les copropriétaires en leur faisant bénéficier gratuitement du réseau de distribution.

[98]        Le seul dommage subi par les acheteurs est la différence entre l'installation initialement prévue et celle proposée par DQI.

[99]        C'est DQI qui a estimé qu'il en coûterait à chaque copropriétaire la somme de 4 000 $.  Cette somme allait donner aux acheteurs un plus grand confort et une meilleure qualité d'immeuble d'où une valeur additionnelle.  Le rôle de CCUM s'est limité à indiquer à DQI comment présenter la chose aux acheteurs éventuels et comment faire la comparaison entre les deux immeubles. 

[100]     En bout de ligne c'est DQI qui a fait la fausse représentation dans sa lettre aux acheteurs pour les attirer.  Par ailleurs, ces derniers ne peuvent non plus avoir droit à la différence de coût entre la facture d'énergie de la phase III et la leur.  Ceci équivaudrait également à un enrichissement.  Le Syndicat et les copropriétaires doivent payer les coûts d'énergie requis pour toute la bâtisse.  Ce qu'il en coûte en énergie pour la phase V n'est pas un dommage.  En contrepartie de ce coût, ils reçoivent l'énergie nécessaire au confort qu'ils recherchaient.

[101]     De plus, accorder la différence de coût entre les deux immeubles nécessite une comptabilité probablement complexe et sujette à discussion pour les 13 ou 14 années restant aux contrats.

[102]     La somme qui correspond le mieux aux dommages subis est le produit de 4 000$ multiplié par 82, soit le nombre d'unités affectées par les fausses représentations.

[103]     Quant à la somme réclamée pour les compteurs qui seraient défectueux, la preuve ne permet pas de conclure au bien fondé de la prétention du Syndicat.

[104]     L'expertise déposée n'est pas concluante.  D'ailleurs, au moment où la requête a été introduite le Syndicat ne savait même pas quelle était la cause du défaut et le tribunal n'est pas plus éclairé aujourd'hui.  Par conséquent, cette réclamation est rejetée.  L'expertise n'éclaire pas le tribunal.

[105]     Sur l'action principale, le Syndicat obtiendra jugement pour une somme de 328 000 $

 

L'ACTION EN GARANTIE

[106]      DQI poursuit CCUM en garantie prétendant qu'elle est la seule responsable des fausses représentations ou des représentations.

[107]     Le tribunal ne peut accorder foi au témoignage de Sigler qui prétend qu'il a toujours pensé qu'il recevait une subvention de CCUM.

[108]     Quand la dernière entente de principe est signée, il accepte que le nombre de BTU représentant la demande normale pour l'eau chaude et l'eau refroidie soit substantiellement plus élevé que ce qu'il voulait obtenir lors des ententes précédentes. Lorsqu'il a signé les conventions P-8 et P-9 entre CCUM et DQI, il n'a pas demandé que son estimé de .10 $ le pied carré ou son budget de 150 000 $ y soit mentionné. 

[109]     DQI et CCUM sont deux commerçantes.  La L.p.c. ne s'applique pas.  Pour réussir contre CCUM, DQI doit prouver une faute contractuelle.  Il n’y en a pas.

[110]     CCUM ne s'est pas engagée à ce que le coût de l'énergie au Quai V soit identique à celui de Quai III.  D'ailleurs, le budget qu'elle prévoyait pour Quai V était supérieur à celui préparé par DQI.

[111]     Tout au plus, CCUM a vu une occasion d'affaires et a agi comme tout autre commerçant l'aurait fait.  Sachant que DQI voulait s'en tenir à un coût de .10$/pi ca. /mois, elle lui a donné une façon de présenter les chiffres.  Aucune ruse ou cachette n'a été faite à DQI.

[112]     CCUM avait intérêt à ce que sa proposition soit acceptée parce qu'elle obtenait  une servitude lui permettant de desservir le projet Europa à meilleur coût.  DQI et les acheteurs étaient au courant de cela.

[113]     La mauvaise foi de CCUM n'a pas été prouvée.

[114]     Ceci étant, le tribunal ne peut conclure que CCUM a induit DQI en erreur et qu'elle devrait partager ou assumer une partie des dommages causés aux acheteurs.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE en partie l'action du Syndicat de la Copropriété 64 à 90 Rue des Sœurs Grises contre Développement des Quais Inc.

CONDAMNE Développement des Quais Inc. à payer au Syndicat de la Copropriété 64 à 90 rue des Sœurs Grises la somme de 328 000 $ et ce, avec intérêt et indemnité additionnelle depuis le 13 septembre 2006.

AVEC DÉPENS qui n'incluent pas les frais d'expertise étant donné la conclusion du Tribunal quant aux dommages  réclamés pour le remplacement des compteurs. 

REJETTE l'action du Syndicat contre les défenderesses Climatisation et Chauffage Urbains de Montréal, s.e.c. et Climatisation et Chauffage Urbains de Montréal, Inc. et Gaz Métro Inc.

AVEC DÉPENS

REJETTE l'action en garantie de Développement des Quais Inc. contre Climatisation et Chauffage Urbains de Montréal, s.e.c. et Climatisation et Chauffage Urbains de Montréal, Inc. et Gaz Métro Inc.

SANS FRAIS  vu les circonstances.

 

 

 

__________________________________

JEAN-FRANÇOIS DE GRANDPRÉ, j.c.s.

 

Me Isabelle Poirier

DE GRANDPRÉ JOLI-COEUR

Procureurs de la Demanderesse

 

Me Daniel Ayotte

Me Stéphane Pitre

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureurs des défenderesses et Demanderesse en garantie

 

Me Denis Boudrias

DE GRANDPRÉ CHAIT

Procureurs des défenderesses en garantie

 

 



[1] L'utilisation des seuls noms dans le présent jugement a pour but d'alléger le texte et l'on voudra bien n'y voir aucune discourtoisie à l'égard des personnes concernées.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.