[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 19 juillet 2010 par la Cour du Québec, chambre civile, district de Terrebonne (l’honorable Georges Massol), qui a accueilli partiellement la demande de la Commission des normes du travail et condamné Asphalte Desjardins à lui payer 6 518,99 $ avec intérêts à compter de la mise à la poste de la mise en demeure.
[2] Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrit le juge Fournier,
LA COUR :
[3] ACCUEILLE l'appel avec dépens et, procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu :
REJETTE, avec dépens, l'action de la Commission des normes du travail.
[4] Pour d’autres motifs, le juge Pelletier aurait confirmé le jugement de première instance et rejeté l'appel avec dépens.
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MOTIFS DU JUGE PELLETIER |
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[5] Rupture forcée du lien d'emploi ou démission? Voilà la singulière question qui émerge des prétentions opposées des parties dans le dossier à l'étude. Formulée plus précisément, cette question se présente ainsi : un employeur peut-il se dégager de son obligation de payer le salaire, qui aurait été autrement payable pendant la durée du préavis de cessation d'emploi que lui donne son employé, en renonçant à l'exécution du travail pendant cette même période? La solution du pourvoi dépend de la réponse à y apporter.
[6]
Au bénéfice de M. Daniel Guay, la Commission des normes du travail [la
Commission] réclame à l'appelante Asphalte Desjardins [Desjardins]
l'indemnité de préavis prévue à l'article
[7] Les faits à l'origine de l'affaire souffrent peu de contestation. J'en emprunte la description au juge Massol, saisi du litige en première instance :
[3] La défenderesse œuvre dans le pavage et tire ses revenus à plus de 80 % de contrats de pavage de routes avec des instances municipales ou le gouvernement provincial. Elle exécute ses travaux principalement dans la région des Basses-Laurentides.
[4] Il existerait une certaine concurrence dans ce domaine, dont les contrats sont attribués après des appels d'offres.
[5] Le salarié Daniel Guay débute son emploi auprès d'Asphalte Desjardins inc. en 1994, et ce, jusqu'à la cessation de son emploi en 2008. Cette période a cependant été entrecoupée de moments où il a travaillé pour d'autres employeurs.
[6] Au début, il agissait comme arpenteur, puis est devenu directeur de projets. Dans le cadre de ses fonctions, il devait superviser les travaux, gérer les soumissions, la facturation et, bien sûr, la réalisation comme telle des travaux.
[7] Selon la preuve prépondérante, il avait accès à des données qui ne devaient pas se retrouver entre les mains des compagnies concurrentes telles que les prix fournis lors des soumissions ainsi que les coûts de réalisation.
[8] Le 15 février 2008, monsieur Guay remet une lettre au contrôleur de la défenderesse intitulée « Lettre de démission » (pièce D-1), laquelle est libellée comme suit :
« Messieurs,
Par la présente, je vous confirme que je quitte définitivement mon emploi de directeur de projets le 7 mars 2008. […] »
[9] Lors de la remise de cette lettre, il aurait indiqué quitter pour un compétiteur, Les Entreprises Guy Desjardins, lequel lui offrait de meilleures conditions salariales.
[10] La lettre est donnée à monsieur Jean Lussier qui se dit désolé de cette décision du salarié, d'autant plus qu'il s'agit d'une période très active pour les soumissions des travaux devant débuter au printemps. À cette occasion, monsieur Guay lui mentionne que le délai entre la remise de sa lettre, soit le 15 février, et la date effective de son départ le 7 mars, soit trois semaines, servira à finaliser des dossiers de même qu'à dresser l'historique de certains travaux en cours dans plus de 50 dossiers, ce qui facilitera le travail de son successeur.
[11] Par la suite, le salarié indiquera avoir vécu cette expérience dans le passé où un de ses prédécesseurs, avant de quitter, a effectué ces travaux, facilitant ainsi la transition, ce qui fut très apprécié.
[12] Le 15 février 2008 est un vendredi.
[13] Le lundi suivant, le 18, monsieur Guay rencontre deux des trois dirigeants de la défenderesse, messieurs Claude et Jacques Desjardins, lesquels tentent de le convaincre de rester.
[14] Il faut rappeler que l'année précédente, soit en 2007, monsieur Guay avait, là encore, remis sa démission pour la même raison et pour aller travailler chez le même compétiteur, Les Entreprises Guy Desjardins. À ce moment-là, les frères Desjardins avaient réussi à le convaincre de rester.
[15] Le 18 février 2008, cependant, ces derniers constatent que l'écart entre ce qu'ils pourraient payer au salarié et ce qu'offre son compétiteur est trop grand et qu'ils ne peuvent combler les demandes de celui-ci.
[16] Dans ces circonstances, l'employeur décide de mettre fin au contrat de travail dès le lendemain, soit le 19 février, plutôt que d'attendre le 7 mars, date de départ annoncée par monsieur Guay.
[17] Bien que le salarié aurait été en droit de
réclamer quatre semaines de préavis en vertu de l'article
[18] La CNT réclame également, dans la même proportion, le congé annuel.
[8]
Le juge a accueilli la réclamation entreprise au bénéfice de M. Guay et
utilisé son pouvoir discrétionnaire pour rejeter celle faite au bénéfice de la Commission
sous l'autorité de l'article
[9] Desjardins se pourvoit après avoir obtenu l'autorisation de notre collègue le juge Rochon.
[10]
L'affaire soulève aussi le problème de l'interaction des articles
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus.
Cet avis est d'une semaine si le salarié justifie de moins d'un an de service continu, de deux semaines s'il justifie d'un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s'il justifie de cinq à dix ans de service continu et de huit semaines s'il justifie de dix ans ou plus de service continu.
L'avis de cessation d'emploi donné à un salarié pendant la période où il a été mis à pied est nul de nullité absolue, sauf dans le cas d'un emploi dont la durée n'excède habituellement pas six mois à chaque année en raison de l'influence des saisons.
Le présent article n'a pas pour effet de priver un salarié d'un droit qui lui est conféré par une autre loi.
83. L'employeur qui ne donne pas l'avis prévu à l'article 82 ou qui donne un avis d'une durée insuffisante doit verser au salarié une indemnité compensatrice équivalente à son salaire habituel, sans tenir compte des heures supplémentaires, pour une période égale à celle de la durée ou de la durée résiduaire de l'avis auquel il avait droit.
Cette indemnité doit être versée au moment de la cessation d'emploi ou de la mise à pied prévue pour plus de six mois ou à l'expiration d'un délai de six mois d'une mise à pied pour une durée indéterminée ou prévue pour une durée inférieure à six mois mais qui excède ce délai.
L'indemnité du salarié en tout ou en partie rémunéré à commission est établie à partir de la moyenne hebdomadaire de son salaire durant les périodes complètes de paie comprises dans les trois mois précédant sa cessation d'emploi ou sa mise à pied.
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu'il a d'obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[11] Voici maintenant les éléments essentiels des thèses en présence.
[12]
Selon Desjardins, l'employé qui démissionne met fin au lien
d'emploi, et c'est ce qui se serait produit en l'espèce. Le droit de l'employé
d'agir de la sorte, consacré par l'article
[13] Des dires mêmes de Desjardins, c'est le jugement du juge Tremblay de la Cour du Québec dans ChemAction inc. c. Étienne Clermont[2] qui résume le mieux les arguments au soutien de cette thèse. On y retrouve les commentaires que voici :
[42] Avec respect pour l'opinion contraire, le Tribunal estime que l'analyse juridique avancée par les parties est erronée. Une démission ne devient pas un congédiement tout simplement parce que l'employeur renonce au délai de congé que doit lui offrir le salarié avant de mettre fin au contrat de travail.
[43] Le
contrat de travail est régi par les articles
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu'il a d'obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[44] L'article 2092 a pour but de protéger le salarié. Puisqu'il s'agit d'un article qui est d'ordre public de protection, et non de direction, il est possible d'y renoncer sous réserve de l'application du minimum prévu à la LNT. Il n'y a pas d'équivalent de l'article 2092 pour l'employeur.
[45] Or,
l'article
Avis de fin du contrat.
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus.
[46] Par conséquent, un «salarié qui démissionne librement et volontairement, sans y être forcé par les agissements de son employeur, n'a pas droit au préavis prévu à l'article 82.
[47] Faut-il rappeler quelle est la finalité
propre de cette obligation qui est imposée au salarié démissionnaire de donner
un délai de congé suffisant à l'employeur (art.
[48] Dans la mesure où l'employeur renonce à ce droit pour des motifs personnels, en quoi la situation juridique que constitue la démission a-t-elle été modifiée? Lorsqu'un salarié donne sa démission à l'employeur, la situation juridique des parties est cristallisée. Le délai de congé a pour effet de reporter dans le temps la réalisation de la démission. C'est l'employeur qui bénéficie d'une protection. S'il renonce totalement et sans condition au bénéfice du temps, la démission devient effective immédiatement. S'il y renonce partiellement (délai de congé plus court), la démission sera effective plus rapidement.
[49] Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait que l'employeur renonce à son droit au délai de congé raisonnable que doit lui donner le salarié.
[50] Comment « le salarié démissionnaire [peut-il] valablement exiger de l'employeur une quelconque indemnité en raison de cette fin d'emploi puisqu'il en est l'auteur». Le salarié est mal venu de contester sa propre décision.
[51] Ici la confusion vient des explications données par Cantin pour justifier sa renonciation au délai de congé offert par Pelletier et Clermont. Peu importe que Cantin ait perdu confiance en ses employés; n'ait pas aimé leur attitude; soit amer; ait des reproches à leur faire ou encore qu'il ait pris quelques heures pour réfléchir et finalement renoncer au délai de congé offert par les salariés. Les motifs personnels de Cantin pour justifier sa renonciation au préavis sont de peu d'importance et ne changent en rien la situation juridique. Pelletier et Clermont ont offert leur démission et Cantin a accepté qu'elle devienne effective le jour même et non deux semaines plus tard.
[52] Si
la renonciation par l'employeur au délai de congé offert par le salarié
démissionnaire équivalait à un congédiement, alors
cela signifierait que l'employeur devrait toujours respecter le délai de congé
déterminé par le salarié (pour autant qu'il soit raisonnable). Il ne pourrait
renoncer à ce délai qu'en cas de faute grave donnant ouverture à un congédiement immédiat, sans préavis. Or l'employeur peut
faire remise au salarié de son obligation (article
1687. Il y a remise lorsque le créancier libère son débiteur de son obligation.
La remise est totale, à moins qu'elle ne soit stipulée partielle.
[53] Si un salarié renonce au délai de congé raisonnable que doit lui donner l'employeur en cas de congédiement (ou de licenciement), l'on ne va certes pas conclure que le congédiement s'est transformé en démission! Alors pourquoi en serait-il autrement pour l'employeur qui ne fait que renoncer à son droit d'obtenir un préavis du salarié démissionnaire?
[14] Desjardins concède cependant que ce jugement est isolé, se démarquant d'une tendance lourde à l'effet contraire[3].
[15]
La Commission, pour sa part, souligne d'entrée de jeu le
vocabulaire choisi par le législateur à l'article
19. L'article
20. Les seuls cas où l'article
Salariés non visés
82.1. L'article 82 ne s'applique pas à l'égard d'un salarié :
1. qui ne justifie pas de trois mois de service continu;
2. dont le contrat pour une durée déterminée ou pour une entreprise déterminée expire;
3. qui a commis une faute grave;
4. dont la fin du contrat de travail ou la mise à pied résulte d'un cas de force majeure.
[16]
Selon la Commission, M. Guay aurait utilisé sa prérogative de
choisir le moment où devait se terminer son contrat de travail à durée
indéterminée. Tenant pour acquis aux fins de la discussion que les trois
semaines mentionnées dans la lettre du 15 février 2008 constituent
un délai raisonnable, la prétendue renonciation de Desjardins au
délai-congé constituerait, en réalité, une privation illégale du droit de
M. Guay d'exécuter sa prestation de travail contre rémunération. Une
semblable façon de faire contreviendrait notamment à l'article
2087. L'employeur, outre qu'il est tenu de permettre l'exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.
[soulignement ajouté]
[17]
En conclusion, d'avancer la Commission, il ressort des constats
de fait retenus par le juge que Desjardins a mis fin prématurément à un
contrat de travail qui devait se poursuivre jusqu'au 7 mars 2008. Par ce geste,
Desjardins aurait déclenché l'application de l'article
ANALYSE
[18] C'est un contrat nommé, le contrat de travail, qui est au centre du débat. Le Code civil le définit ainsi :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.
[19]
Au moment de sa conclusion, celui intervenu entre Desjardins et
M. Guay en est un à durée indéterminée au sens de l'article
[20] En l'espèce, il ne fait pas de doute que les parties ont cessé de l'exécuter de part et d'autre le 19 février 2008 dans les circonstances décrites par le juge Massol dans l'extrait que j'ai reproduit précédemment. Il est aussi incontestable que les relations contractuelles devaient de toute façon se terminer quelque trois semaines plus tard, soit le 7 mars 2008, par l'effet de l'avis de démission remis par M. Guay le vendredi 15 février 2008.
[21] Selon moi, il faut, dans un premier temps, se reporter à cette date du 15 février 2008 pour évaluer la situation juridique des parties.
[22] Desjardins propose que M. Guay a démissionné ce jour-là, mettant ainsi un terme au contrat d'emploi. Je ne peux accepter intégralement cette affirmation et les moyens plaidés à son soutien.
[23] Tout d'abord, la prémisse de Desjardins se heurte à un constat retenu par le juge Massol. Ce dernier écrit :
[42] Le soussigné estime que dans le cas à
l'étude, monsieur Guay formulait plus qu'une offre de demeurer à
l'emploi de la défenderesse; la lettre de démission est claire à cet égard. Il
mentionnait qu'il quitterait son emploi le 7 mars 2008. Le reste des
explications a été fourni par la suite. Bien sûr, pendant le délai de trois
semaines séparant la manifestation de sa volonté et la prise d'effet de sa
démission, il devait nécessairement occuper son temps. Il croyait, en employé
consciencieux, que son temps pouvait être mis à profit en effectuant une
transition harmonieuse entre lui et son successeur. Ce faisant, le salarié se
conformait à l'obligation imposée par l'article
[…]
[47] En l'instance, il a été mis en preuve qu'une fois congédié, le salarié a été travailler chez son nouvel employeur avant la période prévue.
[48] Le soussigné considère qu'il ne faut pas y inférer quelque conséquence que ce soit puisqu'il était normal qu'une fois sans emploi, monsieur Guay ait demandé à son nouvel employeur de devancer son entrée en fonction.
[24] En somme, M. Guay n'a pas proposé à Desjardins une alternative selon laquelle cette dernière aurait pu, à son choix, mettre fin immédiatement et de façon consensuelle aux obligations mutuelles découlant du contrat ou jouir de la prestation de travail jusqu'au 7 mars tout en continuant à payer le salaire. Ce n'est que ce second volet de l'alternative que M. Guay a mis en avant auprès de Desjardins, et c'est là une conclusion de fait du juge.
[25] Sous ce rapport, le cas à l'étude diffère de celui décidé par le juge Tremblay dans ChemAction inc.[5]. Dans cette affaire, le juge a en effet conclu de la preuve que les employés en cause avaient fait part de leur démission, tout en offrant à l'employeur de continuer à exécuter leur prestation de travail pendant la durée du délai-congé. Il a donc déterminé qu'il y avait eu rencontre des volontés quant à la terminaison immédiate du lien d'emploi lorsque l'employeur a décidé de décliner l'offre des employés de continuer à exécuter leur prestation de travail pendant un certain temps. Pour cette raison, le jugement entrepris ne heurte pas comme tel le dispositif retenu dans ChemAction inc.[6].
[26] Je rappelle que Desjardins ne plaide pas le consentement de M. Guay à une fin immédiate du contrat de travail. Elle avance plutôt que l'avis de démission lui donnait l'opportunité de renoncer unilatéralement à la prestation de travail pour le temps à s'écouler jusqu'au 7 mars. Elle ajoute que cette renonciation a eu pour effet de la libérer de son obligation de payer le salaire. À ce propos, elle invoque expressément la remise au sens du Code civil.
[27] Comme le souligne à juste titre l'avocat de la Commission, il ne saurait ici y avoir remise. Celle-ci est un contrat synallagmatique, comme l'enseignent les auteurs Baudouin et Jobin[7] :
988 - Définition - La remise de dette est l'acte conventionnel par lequel le créancier décharge son débiteur de l'exécution de la totalité ou d'une partie de son obligation. Elle constitue une véritable convention, un acte juridique bilatéral et, à ce titre, est donc soumise aux règles concernant le contrat. Le consentement libre et éclairé des deux parties est essentiel, l'opération ne doit pas être contraire à l'ordre public et les parties doivent avoir la capacité requise, c'est-à-dire pour le créancier, celle de disposition.
989 - Distinction avec la renonciation à un droit - La remise de dette est un acte juridique bilatéral et ne doit donc pas être confondue avec la simple renonciation à un droit (par exemple, à une succession) qui s'analyse comme un acte juridique unilatéral. Pour qu'il y ait remise de dette, il ne suffit pas que le créancier dispense le débiteur de l'exécution, il faut, en plus, que le débiteur accepte d'être libéré.
[28] Dans le cas à l'étude, le moyen plaidé repose en réalité sur un geste unilatéral. Il s'agirait donc, dans la meilleure des hypothèses pour Desjardins, d'une renonciation ayant accessoirement un effet libératoire pour l'un et l'autre contractants.
[29] À mon avis, lorsqu'elle a reçu de M. Guay l'annonce d'une démission devant prendre effet le 7 mars 2008, Desjardins se trouvait dans la situation que les auteurs Morin, Brière, Roux et Villaggi[8] décrivent avec justesse dans les termes que voici :
II-179 - La démission - Sans égard à
ses motifs personnels, le salarié peut résilier le contrat de travail par
simple avis de congé donné à l'employeur. Cette démission se réalise aux mêmes
conditions, mutatis mutandis, que celles applicables à l'employeur qui procède
à une résiliation unilatérale ou à un licenciement (art.
i) Respecter la volonté du salarié en le maintenant en emploi jusqu'au terme de l'avis et alors, lui verser la rémunération directe et indirecte due (II-141).
ii) Refuser de garder plus longtemps le salarié démissionnaire et le libérer de sa prestation de travail pour le temps de l'avis de congé. L'employeur doit alors verser un montant équivalant à la rémunération autrement due pour la durée de ce même délai de congé donné par le salarié.
iii) Procéder par voie d'une contre-offensive et prendre l'initiative d'une résiliation immédiate par la voie d'un congédiement (II-176).
[renvois omis]
[30] Je crois utile d'ajouter les commentaires qui suivent.
[31] Le contrat de travail est un contrat synallagmatique standard de sorte qu'aucune partie ne peut, de façon unilatérale, s'en dégager au détriment des droits de son cocontractant. Lorsque à durée indéterminée, l'article 2091 C.c.Q prévoit cependant le droit d'une partie d'y mettre fin sans l'accord de l'autre, sous réserve du respect de l'exigence prescrite par la même disposition. Cette exigence, qui conditionne l'exercice de la faculté de résiliation unilatérale par l'une ou l'autre des parties au contrat, consiste dans l'octroi d'un délai-congé. En principe, donc, et sous réserve des délicates nuances à apporter en fonction des faits de chaque espèce, la terminaison du contrat de travail à durée indéterminée découlant de la volonté d'un seul des contractants ne survient pas dès l'annonce de la décision, puisque le délai du préavis doit s'écouler. Cette règle est identique pour l'employeur et l'employé :
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.
[…]
[soulignement ajouté]
[32]
À mon avis, l'article
[34]
Autre précision d'ordre général, rien n'interdit aux parties de convenir
librement de la cessation immédiate de leurs relations contractuelles. En
pareil cas, l'article
[35] Revenant aux faits du cas à l'étude, M. Guay a utilisé sa prérogative de mettre fin unilatéralement au contrat à la date du 7 mars 2008. Desjardins pouvait-elle répliquer en fixant elle-même une date plus hâtive? Dans les faits de l'espèce et sous réserve de nuances sur lesquelles je reviendrai, la réponse est non, à moins bien sûr d'obtenir l'accord de M. Guay.
[36]
En somme, je suis d'avis qu'il est inapproprié ici d'analyser le
problème sous l'angle de la renonciation. Jusqu'au moment de sa date de
terminaison, fixée par la teneur de l'avis donné par M. Guay, le contrat a
continué de s'appliquer. Chaque partie avait le droit d'exiger de l'autre la
prestation prévue, l'employeur, celle de l'exécution du travail, l'employé,
celle du paiement du salaire. Jusqu'à ce que cette date arrive, seule une
entente, et non un geste unilatéral, pouvait libérer les parties de leurs
obligations. En imposant à M. Guay la fin immédiate du contrat d'emploi le
lundi 19 février, Desjardins n'a pas satisfait la condition essentielle
à l'exercice du droit de résolution unilatérale octroyé par le législateur à
l'article
[37]
Ayant unilatéralement empêché M. Guay d'exécuter sa prestation et cessé
d'exécuter la sienne, Desjardins a mis fin au lien d'emploi la liant à
M. Guay à la date du 19 février 2008 au sens de l'article
[38]
Je crois utile de proposer deux autres arguments, l'un reposant sur la
règle posée par l'article
[39]
S'il fallait avaliser la thèse préconisée par Desjardins, il
faudrait alors tirer la conséquence que voici : forcé de respecter
l'obligation que lui impose l'article
[40]
De surcroît et abstraction faite de
toute considération reposant sur le droit civil, j'estime que les articles
[41] Dans un autre ordre d'idées, je rappelle que Desjardins ne plaide pas la libération de ses obligations au motif de l'existence d'une cause juste et suffisante de congédiement. Elle soutient plutôt que c'est M. Guay qui a lui-même mis fin à son emploi dès le 15 février, une proposition que j'ai mise de côté dans les paragraphes qui précèdent. Mais, au paragraphe 12 de son exposé et de façon plus ou moins subsidiaire ou implicite, Desjardins propose un autre moyen : elle aurait, dit-elle, pris une mesure administrative dictée par les contraintes propres au marché dans lequel elle évolue. Elle justifie sa renonciation, mais surtout la libération de son obligation de payer le salaire, par le contexte dans lequel sa décision se serait inscrite et l'exprime ainsi dans son exposé des faits :
1. L'Appelante, Asphalte Desjardins Inc., est une compagnie qui œuvre dans le domaine de la construction, plus précisément le pavage de routes.
2. Les clients principaux de l'Appelante sont les instances municipales ou provinciales.
3. Il n'y a qu'un moyen pour obtenir des contrats avec ces instances municipales ou provinciales et c'est le processus de soumissions.
4. Dans ce processus de soumissions, il y a toujours une date butoir où toutes les soumissions doivent être déposées.
5. Toute possibilité qu'un compétiteur connaisse le prix soumissionné par une entreprise met la survie de cette entreprise en danger.
6. En l'espèce, M. Guay, l'employé pour lequel l'Intimée, Commission des normes du travail (C.N.T.), a pris le recours, était directeur de projet chez l'Appelante.
7. Comme directeur de projet, M. Guay avait accès à toutes les soumissions à être déposées par l'Appelante.
8. M. Guay a donné sa démission en date du 15 février, où il annonçait quitter le 7 mars 2008.
9. M. Guay avait déjà, à ce même moment, un travail chez un compétiteur direct de l'Appelante, au même poste de gérant de projet, et ce, avec de meilleures conditions de salaire.
10. Le poste qu'occupait M. Guay chez l'Appelante et le poste qu'il allait immédiatement occuper chez le compétiteur lui donnaient accès à des informations cruciales dans de domaine très compétitif.
11. Asphalte Desjardins Inc. a renoncé au délai de congé donné par M. Guay, demandant à ce dernier de quitter le 19 février 2008.
12. Les raisons qui ont amené Asphalte Desjardins Inc. à renoncer au délai de congé sont objectives et basées sur des impératifs économiques non contestés :
a. Le moment de la démission se situe en pleine saison des soumissions.
b. Les soumissions sont les moyens privilégiés de survie dans l'entreprise.
c. Il était impossible de garder M. Guay à l'emploi alors qu'il avait déjà un poste de Gérant de projet chez un compétiteur.
[42] Dans Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la vie[11], la Cour suprême analyse longuement les contours du droit d'un employeur de suspendre les effets d'un contrat de travail pour des raisons tenant à la conservation, voire à la survie de l'entreprise. Je retiens notamment des motifs des juges LeBel et Fish les passages suivants :
30 Le présent pourvoi nous invite à déterminer si l'employeur détient le pouvoir implicite de suspendre temporairement les effets d'un contrat de travail ou certaines de ses obligations corrélatives […].
31 La notion même d'un pouvoir de suspension unilatéral de l'exécution des prestations synallagmatiques d'un contrat se concilie d'ailleurs mal avec la théorie classique des obligations. Il est en effet difficile de concevoir qu'une partie puisse unilatéralement et à sa guise suspendre les effets d'un contrat valablement conclu, en l'absence d'accord entre les contractants pour reconnaître l'existence d'une telle faculté.
[…]
56 Ce pouvoir de direction ne se confond pas avec la faculté de résiliation ou de modification du contrat de travail. Cette faculté de résiliation ou de modification se situe, en effet, dans le cadre de ce pouvoir de direction. Il faut alors rechercher si, de ce pouvoir de direction découlant du rapport de subordination, peut s'inférer l'existence d'un pouvoir de suspension pour raison administrative qui autoriserait l'employeur à ne pas laisser le salarié exécuter sa prestation de travail. Cette décision, qui laisse toutefois intacte le cadre du contrat de travail et les autres obligations qui en découlent, se rattache à l'exercice de la fonction de direction de l'entreprise et trouve sa justification dans la nécessité de préserver l'intérêt de celle-ci. Dans la mesure où l'exécution de la prestation compromettrait elle-même cet intérêt, le pouvoir de suspension apparaît alors comme une composante nécessaire du pouvoir de direction qu'accepte le salarié. Il permet alors à l'employeur de ne pas faire exécuter le travail prévu.
[…]
60 Toutefois, une précision paraît de mise pour souligner que le pouvoir de suspension administrative n'entraîne pas, en principe, comme corollaire, le droit de suspension du salaire. L'employeur ne peut se dégager unilatéralement, sans autre cause, de l'obligation de payer le salaire de l'employé s'il prive ce dernier de la possibilité d'exécuter sa prestation.
61 L'employeur peut toujours renoncer à son droit de recevoir la prestation du salarié mais il ne peut se soustraire à son obligation de payer le salaire lorsque le salarié demeure disponible pour accomplir un travail dont l'exécution lui est refusée. En choisissant de ne pas mettre un terme au contrat de travail avec les compensations afférentes, fixées selon les principes applicables, l'employeur demeure en principe tenu de respecter ses propres obligations réciproques même s'il n'exige pas la prestation de travail de l'employé.
62 Ce pouvoir résiduel de suspendre pour des motifs administratifs en raison d'actes reprochés à l'employé fait partie intégrante de tout contrat de travail mais est limité et doit être exercé selon les conditions suivantes : (1) la mesure prise doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'entreprise; (2) la bonne foi et le devoir d'agir équitablement doivent guider l'employeur dans sa décision d'imposer une suspension administrative; (3) l'interruption provisoire de la prestation de l'employé doit être prévue pour une durée relativement courte, déterminée ou déterminable, faute de quoi elle se distinguerait mal d'une résiliation ou d'un congédiement pur et simple; (4) la suspension est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels qui ne se posent pas en l'espèce.
[…]
79 […] L'intimé n'avait pas à subir la suspension de l'exécution de sa prestation de travail imposée par l'appelante et à être aussi privé de sa contrepartie, le salaire. Cette conclusion, parfaitement compatible avec la grande partie de la jurisprudence relative à l'application des conventions collectives par les instances spécialisées en droit du travail, comme nous l'avons vu, découle de la nature des obligations réciproques créées par un contrat individuel de travail régi par le Code civil.
[43] Appliquant cet enseignement au cas à l'étude et en y apportant les adaptations nécessaires, j'estime que la justification invoquée par Desjardins pour suspendre l'exercice des prestations de travail de M. Guay pour la période du 19 février au 7 mars 2008 ne constituait pas une circonstance si exceptionnelle qu'elle l'aurait libérée de son obligation de payer le salaire.
[44]
Comme je l'ai déjà mentionné, Desjardins a mis fin au lien
d'emploi au sens de l'article
[45]
En application de l'article
[46] Pour ces motifs, je propose de confirmer le jugement de première instance et de rejeter l'appel avec dépens.
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FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. |
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MOTIFS DE LA JUGE BICH |
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[47]
L'employeur peut-il, sans encourir l'obligation découlant des articles
[48]
Je reconnais que la Loi doit être interprétée de façon large et
généreuse, afin de maximiser la protection des salariés, mais je ne peux
néanmoins adhérer à l'interprétation que le juge de première instance donne à
l'article
[49]
L'article
[50]
Le droit commun permet en effet à chacune des parties à un tel contrat
de résilier celui-ci à volonté, unilatéralement, en donnant toutefois à l'autre
partie un délai de congé raisonnable (ou, si l'on préfère un autre vocable, un
préavis raisonnable)[14].
La faculté de résilier est inhérente à ce type de contrat, qui imposerait
autrement des obligations perpétuelles incompatibles avec la liberté des
cocontractants. Comme le souligne le juge Rinfret dans Asbestos Corporation
Ltd. c. Cook[15],
« [d]ans un contrat de ce genre, la loi le dit et le bon sens le veut, les
parties ne sont pas liées au delà de leur volonté » et ne peuvent l'être.
Cela est particulièrement vrai du salarié, qui ne peut pas être assujetti au
delà de sa volonté à un engagement sans fin envers l'employeur. La bonne foi
requiert cependant que celui qui résilie le contrat ne le fasse pas d'une
manière brusque qui pourrait causer préjudice à son cocontractant et donne à ce
dernier un préavis de sa décision. L'article
II-168 — Comment résilier? — L'article
[Notes infrapaginales omises.]
[51]
Cette faculté de résiliation unilatérale et purement discrétionnaire[18]
a, il est vrai, été restreinte dans le cas des employeurs, pour des raisons
tenant à la protection du salarié, qui est ordinairement la partie vulnérable
au contrat de travail. La symétrie contractuelle sur laquelle est fondé
l'article
[52]
Le juge Baudouin, dans Standard Broadcasting Corp. c. Stewart[19],
reformulant un énoncé que l'on trouve dans la jurisprudence antérieure, décrit
ainsi la raison d'être du délai de congé prévu par l'article
Le délai-congé a essentiellement une vocation indemnitaire et a pour but de permettre à l'employeur de résilier le contrat et de trouver une autre personne pour le poste devenu vacant, et pour l'employé de lui permettre d'avoir un temps raisonnable pour se retrouver un emploi sans encourir de perte économique(11). Les tribunaux agissent alors comme des arbitres et doivent parvenir, en dehors d'une stricte évaluation actuarielle ou comptable, à un chiffre qui, tenant compte de toutes les circonstances, paraît juste et raisonnable. Ce chiffre cependant se base, bien évidemment sur certaines données économiques, notamment le montant de la rémunération antérieure de l'ex-employé.[20]
___________________
(11) Isabelle Jolicœur,
[Soulignement ajouté.]
[53] Dans l'ouvrage auquel renvoie le passage ci-dessus, Isabelle Jolicœur explique en effet que :
Il faut référer à Planiol et Ripert pour situer cette notion de préavis :
Le délai-congé est un délai que doit respecter celui qui prend l'initiative de la rupture; il s'écoule entre le moment où il signifie cette rupture à l'autre partie et le moment où il rompt avec elle toutes relations de travail […] Cette institution a pour objet d'éviter à l'autre partie le préjudice résultant de la brusque cessation du travail : ainsi prévenu à l'avance, l'employeur peut embaucher en temps utile un nouvel employé pour remplacer celui qui part, sans qu'il y ait interruption dans le travail; dans les mêmes conditions, l'employé a le temps de chercher une nouvelle place et d'éviter le chômage. La pratique a montré que dans l'industrie, les employeurs tiennent moins que les ouvriers au délai-congé parce qu'ils préfèrent être exposés à une main-d'œuvre momentanément réduite plutôt que d'être obligés de garder quelque temps un ouvrier auquel son congé a été signifié […]
Le préavis est une période de temps qui vise à tempérer le préjudice nécessairement associé au droit de résiliation unilatérale. Le préjudice causé à l'employeur par la brusque rupture du contrat consiste à ne pouvoir continuer à recevoir les services de l'employé, ce qui peut perturber de façon plus ou moins importante la bonne marche de l'entreprise; la démission cause peu d'embarras à l'employeur qui peut facilement remplacer l'employé qui le quitte. La résiliation unilatérale à l'initiative de l'employeur prive l'employé de la rémunération qui lui provient de son travail, avec les inconvénients qui en découlent; un congédiement est susceptible de le placer dans une situation où il demeurera sans emploi durant une longue période. […]
[…]
Le délai-congé devrait permettre à l'employé d'éviter la surprise en le faisant bénéficier d'une période de temps suffisante pour trouver un nouvel emploi sans être privé de sa rémunération pendant cette période. […][21]
[54] Plus récemment, Morin, Brière, Roux et Villaggi écrivent ce qui suit :
II-168 — […] Vis-à-vis du salarié, ce délai de congé devrait normalement lui éviter une préjudiciable surprise en lui permettant d'entreprendre, en temps utile et de manière convenable, la recherche d'un nouvel emploi. Et ainsi :
— cette opération peut lui être moins pénible lorsqu'il est encore en emploi (des périodes de temps libre lui sont alors parfois accordées à cette même fin);
— prévenu, il peut prendre les mesures personnelles idoines afin de disposer des ressources financières nécessaires durant une éventuelle période de transition.
[…]
II-179 — La démission — Sans égard à
ses motifs personnels, le salarié peut résilier le contrat de travail par
simple avis de congé donné à l'employeur. Cette démission se réalise aux mêmes
conditions, mutatis mutandis, que celles applicables à l'employeur qui
procède à une résiliation unilatérale ou à un licenciement (art.
Les effets réels et pratiques d'une
démission sont différents de ceux d'un licenciement ou d'un congédiement du
fait que le salarié en est l'initiateur […] D'où la nécessité de replacer dans
le contexte de sa finalité propre cette obligation qui est imposée au
salarié démissionnaire à travers l'article
[Notes infrapaginales omises.]
[55]
Cette façon de voir reflète le consensus de la
jurisprudence et de la doctrine : le délai de congé dont l'article
[56] Dans ce contexte, on ne peut donc pas dire que le délai de congé a un caractère synallagmatique ou est porteur d'une obligation synallagmatique qui lierait la partie qui le reçoit : celle-ci, assurément, ne consent pas et n'a du reste pas à consentir au préavis qui lui est donné et elle ne peut pas être liée par la décision unilatérale de son cocontractant de mettre fin au contrat à telle date plutôt qu'à telle autre.
[57] Le droit français a pour sa part reconnu cette notion de « réciprocité » du délai de congé, qui lierait celui qui le donne et celui qui le reçoit, mais cette manière de voir les choses, tributaire d'un encadrement législatif et conventionnel fort différent du nôtre (et ce, depuis la fin des années 1920), ne me paraît pas transposable au droit québécois. Elle a, entre autres, l'inconvénient de forcer le salarié à « purger » la totalité du délai de congé que lui donne l'employeur qui résilie le contrat, sauf accord avec ce dernier quant à un départ anticipé du salarié ou sauf versement à l'employeur, par le salarié, d'une indemnité[23] : voilà qui est particulièrement embarrassant pour le salarié qui a profité du délai de congé pour trouver un emploi (ce à quoi sert en principe le délai de congé) et qui, ayant eu une offre, ne pourra pas nécessairement y donner suite si cela implique une entrée en fonction antérieure à la date d'expiration du préavis[24].
[58]
Je note au passage qu'on trouve cette idée de
réciprocité (bien que le terme n'y soit pas employé) dans l'un des
jugements fréquemment cités par la jurisprudence de la Cour du Québec en la
matière. En effet, dans Commission des normes du travail c. Hewitt Equipment
ltée[25],
tout en concluant que la renonciation par l'employeur au préavis du salarié
démissionnaire ne peut être considérée comme un congédiement au sens de
l'article
[59]
Par ailleurs, le délai de congé prévu par l'article
[60]
En somme, considérant l'objet, le but et la nature
de l'obligation de préavis créée par l'article
[61]
On voit cependant le risque que peut entraîner la
reconnaissance d'une telle possibilité de renonciation, dans le cas où les
parties ne sont pas réellement sur un pied d'égalité, même si elles paraissent
l'être juridiquement. Le contrat de travail, qui est très fréquemment un
contrat d'adhésion, unit souvent - pour emprunter une image à Jean de
La Fontaine - le pot de terre et le pot de fer, le premier étant alors à
la merci du second, ainsi que le juge Iacobucci le rappelle avec éloquence dans
l'arrêt Wallace c. United Grain Growers[28]
(les propos qu'il tient alors dans cette affaire de common
law ne sont pas moins vrais en contexte civiliste, renvoyant à la réalité des
faits). Plus précisément, la possibilité que le salarié puisse renoncer au
délai de congé que lui doit l'employeur est porteuse d'abus potentiels :
la renonciation du salarié au préavis auquel il a droit pourrait bien n'être,
en pareil cas, que le fruit des pressions exercées par l'employeur et non celui
d'une décision libre et éclairée. C'est donc pour éviter ce risque, protéger la
partie vulnérable - en l'occurrence le salarié - et garantir qu'elle reçoive
son dû que le législateur a édicté l'article
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu'il a d'obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive. |
2092. The employee may not renounce his right to obtain compensation for any injury he suffers where insufficient notice of termination is given or where the manner of resiliation is abusive |
[62]
Paradoxalement, toutefois, le fait que le
législateur, à l'article
[63]
Je note par ailleurs que, selon la jurisprudence[29], l'article
[64]
En somme, si, par souci de le protéger contre les
pressions indues d'un employeur malintentionné ou radin, le législateur
interdit au salarié de renoncer au préavis que doit lui donner l'employeur qui
résilie le contrat (interdit qui n'est pas absolu, comme on vient de le voir),
il laisse à l'employeur la pleine liberté de renoncer (ou non) au préavis que
lui donne le salarié démissionnaire, jugeant inutile dans son cas la protection
d'ordre public qui sous-tend l'article
[65] Il appert donc, en définitive, que tant le salarié, à certaines conditions sévères, que l'employeur, sans condition, peuvent renoncer au bénéfice du préavis exigible en cas de résiliation unilatérale.
[66]
Il est exact que, de façon générale, on affirme que
le contrat de travail se poursuit pendant le préavis, les parties étant alors
tenues de respecter les obligations qui leur incombent respectivement en vertu
des articles
[67]
Je note au passage que si l'on voulait assimiler le
préavis, malgré qu'il soit le fruit d'une décision unilatérale, à un terme
suspensif au sens de l'article
1511. Le terme profite au débiteur, sauf s'il résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu'il a été stipulé en faveur du créancier ou des deux parties. La partie au bénéfice exclusif de qui le terme est stipulé peut y renoncer, sans le consentement de l'autre partie. |
1511. A term is for the benefit of the debtor, unless it is apparent from the law, the intent of the parties or the circumstances that it has been stipulated for the benefit of the creditor or both parties. The party for whose exclusive benefit a term has been stipulated may renounce it, without the consent of the other party. |
[68]
Or, comme l'indiquent la jurisprudence et la
doctrine précitées, le consensus semble être fait autour de l'idée que les
circonstances de l'exercice de la faculté de résiliation du contrat à durée
déterminée font du préavis régi par l'article
[69]
La question demeure alors de savoir si la
renonciation de l'employeur au préavis que lui donne le salarié peut néanmoins
être considérée comme mettant fin au contrat de travail au sens de l'article
[70]
À mon avis, on ne peut pas considérer que
l'employeur, en renonçant au préavis auquel l'article
[71] Je suis donc globalement d'accord avec le raisonnement du juge Tremblay dans ChemAction inc. c. Clermont[31] et notamment avec le passage suivant (même si je n'adhère pas à l'idée de remise évoquée au paragraphe 52 de la citation ci-dessous) :
[48] Dans la mesure où l'employeur renonce à ce droit pour des motifs personnels, en quoi la situation juridique que constitue la démission a-t-elle été modifiée ? Lorsqu'un salarié donne sa démission à l'employeur, la situation juridique des parties est cristallisée. Le délai de congé a pour effet de reporter dans le temps la réalisation de la démission. C'est l'employeur qui bénéficie d'une protection. S'il renonce totalement et sans condition au bénéfice du temps, la démission devient effective immédiatement. S'il y renonce partiellement (délai de congé plus court), la démission sera effective plus rapidement.
[49] Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait que l'employeur renonce à son droit au délai de congé raisonnable que doit lui donner le salarié.
[50] Comment « le salarié démissionnaire [peut-il] valablement exiger de l'employeur une quelconque indemnité en raison de cette fin d'emploi puisqu'il en est l'auteur » [renvoi omis]. Le salarié est mal venu de contester sa propre décision.
[51] Ici la confusion vient des explications données par Cantin pour justifier sa renonciation au délai de congé offert par Pelletier et Clermont. Peu importe que Cantin ait perdu confiance en ses employés; n'ait pas aimé leur attitude; soit amer; ait des reproches à leur faire ou encore qu'il ait pris quelques heures pour réfléchir et finalement renoncer au délai de congé offert par les salariés. Les motifs personnels de Cantin pour justifier sa renonciation au préavis sont de peu d'importance et ne changent en rien la situation juridique. Pelletier et Clermont ont offert leur démission et Cantin a accepté qu'elle devienne effective le jour même et non deux semaines plus tard.
[52] Si la renonciation par l'employeur au
délai de congé offert par le salarié démissionnaire équivalait à un
congédiement, alors cela signifierait que l'employeur devrait toujours
respecter le délai de congé déterminé par le salarié (pour autant qu'il soit
raisonnable). Il ne pourrait renoncer à ce délai qu'en cas de faute grave
donnant ouverture à un congédiement immédiat, sans préavis. Or l'employeur peut
faire remise au salarié de son obligation (article
[53] Si un salarié renonce au délai de congé raisonnable que doit lui donner l'employeur en cas de congédiement (ou de licenciement), l'on ne va certes pas conclure que le congédiement s'est transformé en démission ! Alors pourquoi en serait-il autrement pour l'employeur qui ne fait que renoncer à son droit d'obtenir un préavis du salarié démissionnaire?
[72]
La jurisprudence postérieure à cette décision, et
c'est le cas du jugement a quo, a tenté de distinguer cette affaire en
apportant un tempérament à la règle voulant que la renonciation de l'employeur
au préavis du salarié démissionnaire équivaille à mettre fin au contrat au sens
de l'article
[37] À cette tendance lourde, on est venus, là aussi, apporter un autre tempérament :
Il faut toutefois distinguer la situation où un salarié annonce son intention de démissionner à une date déterminée dans le futur de celle où un salarié annonce son intention de démissionner sur-le-champ, tout en offrant à son employeur de travailler pendant un certain temps afin de demeurer en bons termes avec ce dernier. Dans ce dernier cas, si l'employeur décline son offre, on ne peut considérer que celui-ci a résilié le contrat de travail et qu'il est tenu de fournir le préavis de l'article 82.
[38] On cite, au soutien de ce commentaire, la récente décision rendue par notre collègue Christian M. Tremblay en 2008 [renvoi omis].
[39] Dans cette affaire, le salarié avait remis sa démission un 14 novembre afin de se lancer en affaires. Il avait cependant offert de rester jusqu'à la fin du mois de novembre pour finir certains contrats. L'employeur avait néanmoins refusé l'offre et demandé au salarié qu'il quitte sur-le-champ, étant d'avis qu'il était préférable de terminer la relation le plus rapidement possible. Le juge Tremblay semble s'inscrire à l'encontre de la tendance précitée. Il mentionne :
[…] Une démission ne devient pas un congédiement tout simplement parce que l'employeur renonce au délai de congé que doit lui offrir le salarié avant de mettre fin au contrat de travail. » [renvoi omis]
[40] Il complète :
[…] Lorsqu'un salarié donne sa démission à l'employeur, la situation juridique des parties est cristallisée. Le délai de congé a pour effet de reporter dans le temps la réalisation de la démission. C'est l'employeur qui bénéficie d'une protection. S'il renonce totalement et sans condition au bénéfice du temps, la démission devient effective immédiatement. S'il y renonce partiellement (délai de congé plus court), la démission sera effective plus rapidement.
Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait que l'employeur renonce à son droit au délai de congé raisonnable que lui donne le salarié. [renvoi omis]
[41] Le
juge Tremblay emploie également la notion de « remise » (art.
[42] Le soussigné estime que dans le cas sous étude, monsieur Guay formulait plus qu'une offre de demeurer à l'emploi de la défenderesse; la lettre de démission est claire à cet égard. Il mentionnait qu'il quitterait son emploi le 7 mars 2008. Le reste des explications a été fourni par la suite. Bien sûr, pendant le délai de trois semaines séparant la manifestation de sa volonté et la prise d'effet de sa démission, il devait nécessairement occuper son temps. Il croyait, en employé consciencieux, que son temps pouvait être mis à profit en effectuant une transition harmonieuse entre lui et son successeur. Ce faisant, le salarié se conformait à l'obligation imposée par l'article 2091 C.c.Q.[32]
[73]
Autrement dit, l'employeur peut refuser l'offre qui lui est faite
par le salarié de rester un certain temps, mais ne peut renoncer au préavis que
lui donne le salarié qui annonce son départ plus fermement, sans utiliser le
langage de l'offre. Je me permets de ne pas souscrire à cette lecture de
l'affaire ChemAction inc. c. Clermont,
en ajoutant que la distinction que l'on tente d'établir ici[33] entre le salarié qui démissionne en donnant un préavis bien déterminé
et le salarié qui démissionne en offrant simplement de rester quelque temps ne
peut convaincre, je le dis avec déférence. Les salariés ne s'expriment pas tous
avec le même aplomb ou la même clarté, certains sont plus affirmatifs que
d'autres ou, à l'inverse, plus embarrassés et, à mon avis, l'on ne peut pas
différencier celui ou celle qui déclare démissionner dans trois semaines et
celui ou celle qui déclare démissionner tout en offrant de rester trois
semaines pour accommoder l'employeur (ce qui, soit dit en passant, est
précisément le but du délai de congé). En tout respect pour l'opinion
contraire, je ne peux voir de distinction juridique dans ce qui relève d'une
sémantique de circonstance. Dans les deux cas, plutôt, le salarié se décharge
de l'obligation que lui impose l'article
[74]
Et dans un cas aussi bien que dans l'autre,
j'estime que l'employeur peut renoncer à ce préavis (c'est-à-dire au droit
qu'il a de l'exiger), sans pour autant que cette renonciation entraîne
l'application de l'article
[75] Cette vision des choses ne me paraît pas contrarier l'intention qu'avait le législateur en adoptant cette disposition, qui vise à protéger le salarié contre la résiliation imposée par l'employeur, et ce, en fixant le seuil minimum du préavis ou de l'indemnité qui en tient lieu, évitant ainsi bien des débats. Cette disposition, cependant, ne régit aucunement la démission du salarié[34] ni n'a vocation à le faire et ne peut, il me semble, s'appliquer en pareil cas, quelle que soit la façon dont l'employeur réagit à cette démission (sous réserve évidemment d'une conduite fautive ou abusive de sa part).
[76]
L'article
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus. Cet avis est d'une semaine si le salarié justifie de moins d'un an de service continu, de deux semaines s'il justifie d'un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s'il justifie de cinq à dix ans de service continu et de huit semaines s'il justifie de dix ans ou plus de service continu. L'avis de cessation d'emploi donné à un salarié pendant la période où il a été mis à pied est nul de nullité absolue, sauf dans le cas d'un emploi dont la durée n'excède habituellement pas six mois à chaque année en raison de l'influence des saisons. Le présent article n'a pas pour effet de priver un salarié d'un droit qui lui est conféré par une autre loi. |
82. The employer must give written notice to an employee before terminating his contract of employment or laying him off for six months or more. The notice shall be of one week if the employee is credited with less than one year of uninterrupted service, two weeks if he is credited with one year to five years of uninterrupted service, four weeks if he is credited with five years to ten years of uninterrupted service and eight weeks if he is credited with ten years or more of uninterrupted service. A notice of termination of employment given to an employee during the period when he is laid off is absolutely null, except in the case of employment that usually lasts for not more than six months each year due to the influence of the seasons. This section does not deprive an employee of a right granted to him under another Act. |
[77]
La disposition vise le seul cas où l'employeur est
celui qui met fin au contrat de travail (ou qui procède à une mise à pied de
plus de six mois), c'est-à-dire celui qui prend l'initiative - et la décision -
de rompre le contrat de travail à durée indéterminée. Lorsque c'est le salarié
qui démissionne, les obligations liées à cet acte juridique et à ses
conséquences ne se trouvent pas dans le champ d'application de l'article
[78] L'intimée a fait un certain cas de ce que le législateur, à l'article 82, parle de « mettre fin au contrat », sans user, comme le font d'autres dispositions, du terme « licenciement » ou « congédiement ». Il aurait ainsi indiqué son intention de couvrir toutes les manières par lesquelles un employeur peut rompre le contrat de travail, y compris donc, lorsqu'il renonce au préavis que lui donne le salarié démissionnaire, renonciation sans laquelle le contrat se poursuivrait jusqu'à l'échéance dudit préavis.
[79]
Il est vrai que l'article
22.2.2
L'entrée en vigueur des nouvelles dispositions le 1er janvier 1991
n'a pas modifié de manière substantielle le régime du préavis de licenciement
ou de mise à pied instauré par les anciens articles
· l'obligation pour l'employeur de donner au salarié un préavis écrit en cas de cessation d'emploi ou de mise à pied de plus de six mois;
· l'utilisation du « service continu » comme critère déterminant la durée du préavis, selon le rapport suivant : le préavis est d'une semaine si le salarié justifie d'au moins trois mois et moins d'un an de service continu, de deux semaines s'il justifie d'un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s'il justifie de cinq à dix ans de service continu, et de huit semaines s'il justifie de dix ans de service continu ou plus;
· l'obligation de verser une indemnité compensatrice en cas de défaut de donner un préavis. Ce défaut ne permet donc pas de demander l'annulation de la cessation d'emploi (ou du licenciement) ou de la mise à pied;
· des exceptions à l'application de l'article 82 dans le cas de faute grave du salarié, de cas fortuit (ou de cas de force majeure), d'un contrat pour une durée déterminée ou pour une entreprise déterminée.
22.2.3 On peut néanmoins noter certaines différences entre les anciennes et les nouvelles dispositions, dont les suivantes :
· contrairement à son prédécesseur, le nouvel article 82 ne renvoie pas à la notion de licenciement, mais plutôt à celle de la « cessation » ou de la « fin » du contrat de travail. Le législateur vient ainsi dissiper toute ambiguïté quant à l'application de l'article 82 aux situations de congédiement pour motifs disciplinaires;
· le nouvel article 82 précise clairement qu'il n'a pas pour effet de priver un salarié d'un droit que lui reconnaît une autre loi. Comme on l'a mentionné dans la première partie de cet ouvrage, cette modification a mis fin au débat en jurisprudence sur la question de savoir si l'article 82 prescrit une norme minimale ou absolue;
·
alors que l'ancien article 82 ne s'appliquait pas aux cadres,
seuls les cadres supérieurs sont exclus des bénéfices du nouvel article 82,
compte tenu du paragraphe 6 de l'article
· les nouvelles dispositions précisent les règles applicables au cas du salarié mis à pied pour une période indéterminée, tel que nous le verrons plus amplement au chapitre 29 du présent ouvrage.[35]
[Notes infrapaginales omises.]
[80]
À mon avis, le législateur n'entendait pas, dans le
cadre des articles
[81]
Je me permets de souligner par ailleurs que si l'on
devait retenir que l'article
* *
[82]
Finalement, et dans un tout autre ordre d'idées, je me permettrai un commentaire rattaché au
paragraphe [33] des motifs du juge Pelletier. L'article
[83] Toutes ces dispositions ont toujours été vues comme permettant à l'employeur, à son gré, de choisir soit de donner un préavis « travaillé », qui retarde l'effet de la rupture du contrat jusqu'à son échéance (sous réserve du droit du salarié de ne pas purger ce préavis jusqu'à la fin), soit de rompre immédiatement le contrat tout en versant au salarié l'indemnité compensatrice équivalente que prévoit la loi (le droit de recours du salarié étant par ailleurs pleinement réservé, cela va sans dire, dans le cas où l'employeur ne lui accorde pas le délai de congé requis ou l'indemnité équivalente). Il ne me semble pas que la présente affaire puisse être l'occasion d'une remise en question de cette règle[39].
* *
[84]
Bref, je suis d'avis 1° que l'employeur peut
librement (que ce soit d'avance, au moment de l'annonce de la rupture ou même
par la suite) renoncer au préavis que le salarié démissionnaire est tenu de lui
donner en vertu de l'article
[85]
Je ne nie pas qu'il puisse être opportun que le
législateur intervienne en ce sens, tout au contraire pour assurer la
protection de l'intérêt pratique qui échoit au salarié démissionnaire du fait
du préavis qu'il est tenu de donner à l'employeur. La vision que je propose
dans le cadre des présents motifs repose sur une approche contractuelle qui
peut sembler heurter les principes sous-jacents à la protection des salariés,
protection qui sous-tend désormais le chapitre que le Code civil
consacre au contrat de travail et que promeut le législateur dans sa
législation du travail. Néanmoins, il y a ici un problème qui ne peut être
résolu qu'en fonction des règles ordinaires du contrat. Une solution modelée
sur le droit français et qui consisterait à dire que le préavis lie l'une et
l'autre parties me semble comporter des inconvénients majeurs pour le salarié.
De même, compte tenu de son historique législatif, il paraît hasardeux de dire
que l'article
[86]
Je ne nie pas non plus que l'intérêt du salarié
démissionnaire dans le délai de congé qu'il donne est sans doute accessoire
juridiquement, mais peut néanmoins être important pour lui (encore que les
préavis auxquels sont tenus les salariés soient ordinairement assez courts). On
peut penser, par exemple, à la situation du salarié qui, six ou douze mois avant
d'atteindre l'âge de 65 ans (ou un autre âge), annonce à son employeur qu'il
prendra sa retraite le jour de son prochain anniversaire ou à celui qui doit
quitter son emploi en vue de s'occuper d'une personne malade et donne en
conséquence un préavis de son départ. On se rebiffe tout naturellement contre
l'idée qu'en pareil cas l'employeur puisse renoncer au préavis et priver ainsi
le salarié d'une rémunération sur laquelle celui-ci pouvait légitimement
compter. Mais sauf une intervention législative, qui est sans doute
souhaitable, il n'y a pas lieu d'appliquer l'article
[87] Pour ces raisons, je suggérerais donc d'accueillir l'appel et de rejeter l'action de l'intimée.
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MARIE-FRANCE BICH, J.C.A. |
[1] L.R.Q., c. N-1.1.
[2]
ChemAction Inc. c. Étienne Clairmond,
[3]
Commission des normes du travail c. 9063-1003 Québec inc.,
[4]
Voir les articles
[5] ChemAction, supra, note 2.
[6] ChemAction, supra, note 2.
[7]
Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin,
[8]
Fernand Morin et al.,
[9]
Nathalie-Anne Béliveau,
[10]
Selon les termes mêmes de l'article
[11]
[12] L.R.Q., c. N-1.1.
[13]
Voir : Ponce c. Montrusco inc.,
[14] Cette faculté unilatérale de résiliation n'existe pas dans le cas du contrat à durée déterminée.
[15] [1933] S.C.R. 86 , p. 99.
[16] Voir : Asbestos Corporation Ltd. c. Cook, précité,
note 4; Stewart c. Hanover
Fire Insurance Company, Columbia Builders Supplies Co. c. Bartlett,
[17] Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l'emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2010, p. 469.
[18] Voir notamment : Ponce c. Montrusco inc., précité, note 2, paragr. 12, 15 et 16, qui rappelle le caractère potestatif de cette faculté de résiliation et son appartenance à la catégorie des droits discrétionnaires.
[19] Précité, note 5.
[20] Id., p. 1758.
[21]
Isabelle Jolicœur,
[22] Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, op. cit., note 6, p. 471 et p. 496 et 497.
[23] Indemnité équivalente au salaire qui aurait été payé au salarié pour les jours qui restent entre la date de son départ et celle de l'échéance prévue du préavis : Jean Pélissier, Gilles Auzero et Emmanuel Dockès, Droit du travail, 25e éd., Paris, Dalloz, 2011, paragr. 575, p. 627; Claude Roy-Loustaunau, « Préavis », fasc. 32-1, JurisClasseur Travail Traité, cote 05,2009 (consulté sur : http ://www.lexisnexis.com, le 28 août 2012), paragr. 165 et 172 in fine.
[24] Voir à ce sujet : Jean Pélissier, Gilles Auzero et Emmanuel Dockès, op. cit., note 12, notamment au paragr. 561 et 574-575, p. 619 et 626-627; Antoine Mazeaud, Droit du travail, 7e éd., Paris, Montchrestien, 2010, paragr. 775, p. 402; André Brun et Henri Galland, Droit du travail, tome 1, Paris, Sirey, 1978, notamment au paragr. 653, p. 837, et aux paragr. 661 et s., p. 846 et s.; Marcel Planiol et Georges Ripert, Traité pratique de droit civil français, tome XI, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1954, paragr. 863-864, p. 110.
[25] C.Q., district de Montréal, 500-02-038921-834, 14 décembre 1984, M. le j. Paul Robitaille.
[26] Pour le préavis remplacé par une indemnité équivalente, voir infra, paragr. [82] et [83].
[27]
Ce qui, précisons-le, n'est pas en soi, et sauf circonstances particulières,
un manquement à l'obligation de loyauté qui lui incombe en vertu de l'article
[28] Précité, note 5.
[29]
Dans Betanzos c. Premium Sound 'N' Picture Inc.,
[30] On notera tout de même que ces obligations connaîtront certaines modulations dues, inévitablement, à l'extinction prochaine du contrat, qui change complètement la perspective dans laquelle les parties continuent, pour un temps, leur relation.
[31]
[32] Pour une autre affaire où l'on semble retenir ce genre de distinction et où l'on a l'exemple d'un salarié qui « offre » de rester, voir : Québec (Commission des normes du travail) c. Ventes manufacturières M.S.I. (Canada) inc., [1999] J.Q. no 5681 (C.Q.).
[33] Distinction que l'intimée avalise au paragr. 39 de son mémoire.
[34] Quand il s'agit d'une véritable démission, il va sans dire.
[35] Georges Audet, Robert Bonhomme, Clément Gascon et Magali Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois, 3e éd. (feuilles mobiles), vol. 2, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1991, paragr. 22.2.2 et 22.2.3., p. 22-5 à 22-7.
[36]
Voir par exemple : Farber c. Cie Trust Royal,
[37] Voir par exemple : Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, op. cit., note 6, paragr. II-170, p. 475-476; Robert P. Gagnon, Le droit du travail au Québec, 6 éd., sous la dir. de Yann Bernard, André Sasseville et Bernard Cliche, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2008, paragr. 171, p. 131; A. Edward Aust et Lyne Charrette, Le contrat d'emploi, 2e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1993, p. 163; Isabelle Jolicœur, op. cit., note 10, p. 34; George Audet, Robert Bonhomme, Clément Gascon, Magali Cournoyer-Proulx, Le congédiement en droit québécois, 3e éd. (feuilles mobiles), vol. 1, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1991, paragr. 5.1.1, p. 5-1 et 5-2, ainsi que note infrapaginale 3.
[38] Ou de la mise à pied pour plus de six mois, la Loi s'intéressant également aux mises à pied à durée indéterminée ou dont la durée, fixée initialement à moins de six mois, se prolonge au delà de cette période.
[39]
Techniquement, le salarié démissionnaire tenu de donner un préavis peut lui
aussi remplir cette obligation en en donnant l'équivalent monétaire à
l'employeur, mais cette possibilité demeure assez théorique, vu la difficulté
de quantifier la valeur du préjudice en pareil cas. On trouve dans la
jurisprudence quelques affaires dans lesquelles l'employeur a poursuivi le
salarié démissionnaire qui n'avait pas donné de préavis, mais elles ne sont pas
nombreuses, les coûts d'une action en justice dépassant généralement ce que
l'employeur peut espérer comme compensation (c'est-à-dire la réparation du
préjudice que cause l'absence de préavis par le salarié démissionnaire). Il est
en outre impossible d'en tirer une règle générale qui pourrait servir de barème
à l'établissement d'une indemnité compensatrice. Voir par exemple : Teamco
c. Daigle,
[40] Bien que l'article 82 s'applique assurément aux cas de démissions qui cachent plutôt un congédiement ou qui reposent sur un manquement de l'employeur à ses propres obligations.
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