Olymel Flamingo |
2013 QCCLP 796 |
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[1] Le 6 août 2012, Olymel Flamingo (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 3 juillet 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 3 mai 2012 et déclare que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 24 novembre 2010 par monsieur Samuel Fournier (le travailleur), doit être imputée à l’employeur.
[3] L’employeur est présent et représenté à l’audience du 5 décembre 2012 à Saint-Hyacinthe. Le dossier a été mis en délibéré le 28 janvier 2013, sur réception des documents demandés à l'audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande de déclarer que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu le 24 novembre 2010 au travailleur doit être imputé aux employeurs de toutes les unités puisque l’imputation de ce coût à son dossier financier a pour effet de l’obérer injustement.
LES FAITS
[5] Le 24 novembre 2010, le travailleur, un manœuvre à la salubrité, subit une amputation du 5e doigt de la main droite au travail. Cet accident est survenu lors de l’opération de nettoyage des mailles d’une chaîne d’une machine servant à découper les poulets (la machine linco).
[6] Le 16 décembre 2010, la CSST a reconnu qu’il avait subi un accident du travail et l’a indemnisé.
[7] Le Rapport d'évaluation médicale révèle que le travailleur conserve des séquelles fonctionnelles de sa lésion professionnelle sous forme d’une diminution de la force et de l’endurance du membre supérieur droit ainsi qu’un déficit anatomo-physiologique de 8,65 %.
[8] Le montant total des coûts imputé au dossier d’expérience de l’employeur était de 37 892 $ au 3 décembre 2012.
[9] Monsieur Arold Turmel témoigne pour le compte de l’employeur. Il souligne que l’employeur opère une usine d’abattage et de découpe de poulets. Ils traitent 1 000 000 de poulets par semaine.
[10] Il déclare que le travailleur était affecté à la sanitation, c’est un travail qui est effectué la nuit. Pendant la nuit, tous les équipements de protection sont retirés des machines pour en permettre le nettoyage.
[11] Il décrit les différentes étapes du nettoyage et souligne que l’équipement est nettoyé, en opération et dénudé des équipements de protection, avec un boyau projetant du liquide sous pression.
[12] Il explique que le travailleur s’est blessé lors du nettoyage d’une chaîne en acier inoxydable d’environ un pouce de largeur au cours de la dernière étape qui consiste à faire l’inspection visuelle de la chaine pour s’assurer qu’il ne reste pas de débris.
[13] Il explique que le travailleur n’a pas cadenassé l’équipement ni utilisé le mode pas à pas pour procéder à l’inspection visuelle de la chaine tel que le prévoit la procédure mis en place chez l’employeur, procédure que le travailleur connaissait.
[14] Le travailleur n’a pas témoigné à l’audience. La preuve révèle que le travailleur se servait du dispositif d’arrêt d’urgence[1] pour arrêter la chaine tel qu’il le mentionne dans une note du 25 novembre 2010 :
J’avais fini de nettoyer les mailles d’une machine de la découpe linco, j’étais rendu à vérifier s’il n’y avait plus d’os dans les mailles lorsque l’accident est survenu.
Lorsque je nettoie la maille, je laisse rouler la chaine environ 3 à 4 sec., je met l’arrêt d’urgence pour arrêter la chaine. J’utilise un pic à os pour dégager les morceaux d’os pris dans les mailles et je recommence les mêmes opérations jusqu’à ce que la chaine a été passée au complet[2].
Ensuite lorsque je vérifie si mon travail est fait correctement, je laisse tourner la chaine et j’inspecte visuellement la chaine. À ce moment, mon doigt s’est fait entraîné dans la chaine.
Je me suis dégagé de la machine seul pour me diriger avec Patrick Béland à l’infirmerie. Mon contremaître Éric Baron à contacter l’ambulance qui m’ont amené à l’hôpital de Joliette où j’ai été pris en charge. [sic]
[nos soulignements]
[15] Monsieur Turmel explique que la machine est munie du mode pas à pas mais, pour qu’il soit fonctionnel, le travailleur doit aller à la boîte de contrôle de la machine qui est située de l’autre coté de l’équipement et sélectionner le mode pas à pas. C’est aussi à cet endroit qu’il peut cadenasser la machine au besoin.
[16] Il témoigne que lorsque le mode pas à pas est sélectionné, le travailleur est capable de l’utiliser de l’endroit même où il travaille et il implique l’utilisation des deux mains.
[17] Il témoigne que le lendemain de l’accident l’employeur a tenu une rencontre avec les employés de la sanitation afin de leur rappeler les règles de base en santé et sécurité et plus particulièrement celles ayant trait au cadenassage de l’équipement. Les employés ont reçu une copie de la procédure et l’employeur a insisté pour qu’ils la mettent en application.
[18] De plus, il témoigne qu’il a avisé la CSST de l’accident et qu’après discussion, celle-ci n’a pas jugé à propos d’intervenir sur les lieux de travail.
[19] La preuve révèle que les travailleurs de la sanitation avaient déjà été sensibilisés aux dangers de leur travail et informés sur les procédures de travail à respecter.
[20] Lorsque le travailleur a débuté chez l’employeur en mars 2009, il a reçu une formation dont le volet santé et sécurité prévoyait le verrouillage des machines et, plus particulièrement, l’arrêt « des convoyeurs mobiles et/ou machines lorsque vous devez insérer vos mains dans les zones mobiles du convoyeur ou des machines afin d’y dégager les morceaux de coincés ».
[21] En mai 2009, l’employeur avait mis en place une procédure de cadenassage pour la sanitation qui prévoit qu’à défaut de pouvoir arrêter la machine « le travailleur doit utiliser le mode pas à pas lorsque la machine sur laquelle il travaille possède cette fonction (…). Le travailleur doit utiliser ses deux mains pour actionner le mode pas à pas ».
[22] Par ailleurs, la preuve révèle que le travailleur a reçu plusieurs rapports d'infractions ayant trait à son comportement en matière de santé et de sécurité au travail. Il en a reçus pour ne pas avoir porté ses couvre-bottes ou ses lunettes de sécurité et un avis de suspension lui a été décerné pour s’être présenté au travail avec les facultés affaiblies.
[23] De plus, à la suite à son accident du travail, le travailleur a reçu un avis disciplinaire le 13 décembre 2010, qu’il n'a pas contesté, où on peut notamment lire ceci :
Selon l’enquête et l’analyse d’accident qui a été effectuée, il appert que vous n’avez pas suivi la procédure de sécurité requise lorsque vous avez à travailler à proximité d’un équipement en mouvement. Notre enquête démontre également que vous avez été formé au sujet de cette procédure. Bien que vous ne vous souveniez pas comment votre doigt a pu se retrouver dans la zone dangereuse, il est clair que si vous aviez utilisé le mode « pas à pas », l’accident ne serait pas survenu et vous n’auriez pas subi une amputation. Ainsi, vous auriez pu faire l’inspection de la chaîne pour vous assurer qu’il n’y ait plus de fragments d’os entre les mailles et ce, en toute sécurité.
[24] Le 9 août 2011, l’employeur a demandé un transfert des coûts au motif qu’il était obéré injustement par l’imputation du coût des prestations à son dossier. Le 3 mai 2012, la CSST a refusé sa demande. La décision est confirmée en révision administrative au motif que la faute du travailleur (autre qu’une négligence grossière et volontaire) ou un manquement aux règles de sécurité, ne peut constituer une situation d’injustice donnant droit à un transfert des coûts.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[25] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au transfert des coûts demandé. L’article 326 de la loi prévoit ceci :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[26] La règle générale prévoit que le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail est imputé à l’employeur.
[27] Deux situations d’exception sont prévues à cet article soit le cas où la règle générale a pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers et celle où la règle générale a pour effet d’obérer injustement l’employeur.
[28] Tel que le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Provigo distribution inc.[3], la jurisprudence récente est à l’effet que le critère de l’injustice doit être interprété de la même façon pour les deux exceptions prévues à cet article.
[29] Les facteurs identifiés par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ministère des transports et CSST[4] pour déterminer si l’imputation faite en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations attribuables à un tiers s’avèrent donc pertinents :
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[30] Dans l’affaire Provigo distribution inc.[5] où l’employeur prétendait qu’il était obéré injustement parce que le travailleur s’était blessé en sautant d’une étagère alors qu’il avait été avisé d’utiliser une échelle, le tribunal mentionne que c’est à l’analyse des risques inhérents reliés à l’ensemble des activités de l’employeur qu’il faut s’attarder avant tout et il s’en explique :
[66] Pour le soussigné, il n’y a effectivement pas lieu de référer à la notion de « contrôle » dans l’analyse de la notion d’injustice édictée à l’article 326 de la loi et conformément au principe premier énoncé à l’affaire Ministère du Transport et CSST, précitée, c’est dans l’analyse des « risques inhérents reliés à l’ensemble des activités de l’employeur » qu’il convient d’abord de s’attarder.
[67] Si, et seulement si, il peut être déterminé que la lésion professionnelle subie par un travailleur n’est pas survenue dans le cadre d’une activité faisant partie des risques inhérents reliés aux activités de l’employeur, alors le tribunal pourra s’interroger sur la possibilité que cette lésion soit survenue lors de « circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art »19 et le tribunal pourra-t-il également s’interroger sur « les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi »20.
[68] En effet, de l’avis du soussigné, l’employeur est responsable au premier chef de la sécurité de ses travailleurs au travail. C’est lui qui détermine les différentes tâches à accomplir aux fins de l’exploitation de ses activités, fournissant l’encadrement du travail, incluant les méthodes de travail à respecter et l’équipement et outils devant être utilisés pour ce faire.
[69] Dès lors, de l’avis du soussigné, si une lésion professionnelle survient dans le cadre d’une activité faisant partie des risques inhérents reliés aux activités de l’employeur, il s’ensuit qu’à moins de circonstances exceptionnelles, l’imputation des coûts de cette lésion au dossier de l’employeur ne sera pas injuste pour celui-ci.
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19 Note du tribunal : paragraphe 339 de la décision Ministère du Transport et CSST, rapporté au paragraphe 34 de la présente décision.
20 Idem.
[31] Le soussigné partage entièrement ce point de vue.
[32] Le tribunal a recensé quelques décisions où les employeurs ont invoqué le fait que la procédure de cadenassage n’avait pas été suivie par le travailleur pour demander un transfert des coûts.
[33] Dans l’affaire Produits forestiers Cambec (division B…) et CSST[6], le travailleur a subit un accident du travail mortel par électrocution alors qu’il effectuait un travail à l’intérieur d’une affûteuse.
[34] Le tribunal n’a pas fait droit à la demande de l’employeur notamment parce qu’elle ne croyait pas que le travailleur avait fait preuve d'une négligence grossière et volontaire qui soit l'unique cause de son décès. En effet, malgré ses termes généraux, la politique de verrouillage ne s'appliquait pas clairement au travail exécuté par le travailleur de sorte qu'on ne pouvait prétendre qu'il avait été négligent de façon grossière en ne s'y conformant pas. Pendant 25 ans une personne a ouvert l'arrière de l'affûteuse sans couper l'alimentation électrique, et n'a jamais fait l'objet d'une mesure disciplinaire. Il n'y avait pas de panneau ou sectionneur afférent à cette machine, ni de fiche de verrouillage ou de boîte de verrouillage. Ainsi, l'affûteuse ne pouvait faire l'objet d'un verrouillage au sens de la politique de l'employeur.
[35] De plus le tribunal a considéré que le travailleur, décrit comme une personne minutieuse, ne connaissait pas le danger auquel il faisait face cette journée-là ou ne le réalisait pas, et qu’il est donc difficile de croire à l'existence d'une négligence grossière et volontaire. De plus, il ne suffit pas que le travailleur soit négligent, il faut que cette négligence soit grossière et, en plus, qu'elle soit volontaire, ce qui n'avait pas été démontré. La notion de négligence grossière et volontaire implique un élément de témérité ou d'insouciance déréglée d'un travailleur, eu égard à sa propre sécurité, et non pas un comportement qui pourrait à la limite être qualifié d'imprudent ou d'erreur de jugement. Le travailleur n'avait pas, sciemment, grossièrement et volontairement, transgressé un ordre précis de son employeur visant à préserver sa santé et sa sécurité.
[36] Par ailleurs, on a considéré que l'employeur avait un certain contrôle sur ce qui s’était passé, car il a pu prendre d'autres mesures correctrices par la suite. Subsidiairement, même si le travailleur avait fait preuve de négligence grossière et volontaire, le tribunal n'aurait pu conclure que sa lésion était survenue uniquement à cause d'une telle négligence puisque plusieurs autres causes indépendantes de sa volonté pouvaient être identifiées et qu'on ne pouvait parler de la négligence du travailleur comme cause unique de son décès.
[37] Dans Wilfrid Paquet & fils ltée et Poulin[7], la Commission des lésions professionnelles a décidé que l’employeur était obéré injustement étant donné que le travailleur s’était blessé uniquement à cause de sa négligence grossière et volontaire. Dans cette affaire, le travailleur, un empileur de bois, avait reçu une formation sur les règles de sécurité et sur la procédure de cadenassage à appliquer avant d’entrer dans le démêleur, lorsqu'un morceau de bois en affectait le fonctionnement, ce qui se produisait fréquemment. Plutôt que d’arrêter la machine, le jour de l'événement et fréquemment auparavant, le travailleur bloquait l'œil magique pour ensuite entrer dans le démêleur afin de déprendre la pièce de bois qui l'empêchait de fonctionner normalement. C’est en tentant de déprendre une pièce de bois que le pied du travailleur est resté coincé dans un mécanisme d'entraînement.
[38] Le tribunal a retenu que le travailleur avait assisté à une réunion concernant la procédure de «cadenassage» des machines, qu’il connaissait cette mesure de prévention et que c’est en connaissance de cause qu’il avait décidé de ne pas arrêter complètement la machine et de procéder comme il l'avait fait. Le tribunal a pris en considération le fait que l'employeur ignorait que le travailleur utilisait une méthode de travail non sécuritaire et qu’il avait établi qu'il prenait tous les moyens possibles pour prévenir les accidents, tous les travailleurs ayant reçu une formation sur la procédure de «cadenassage» et sur la santé et la sécurité du travail. La témérité et l’insouciance du travailleur étaient telles qu’après son accident du travail, le travailleur avait continué à faire les mêmes opérations non sécuritaires même s’il s’était blessé gravement.
[39] Dans l’affaire Bersaco inc.[8], la Commission des lésions professionnelles a décidé que l’employeur n’avait pas démontré une situation d’injustice. Le tribunal a conclu qu’il y avait eu imprudence lorsque le travailleur a inséré sa main alors que la scie tournait encore et en ne respectant pas la procédure de cadenassage, mais elle a considéré qu’elle ne pouvait être qualifiée de négligence grossière et certainement pas volontaire.
[40] De plus, elle a considéré que ce n’était pas la seule cause de l'accident car, dans le rapport d'intervention de la CSST, il est noté que la lame est en mouvement pendant une certaine période après l'arrêt de l'équipement et que cela a eu un effet sur la gravité des blessures subies par le travailleur au contact de la lame. Malgré la procédure de cadenassage, la CSST a noté un manquement de l'employeur à ses obligations prévues à la règlementation, notamment en ce qui a trait à l'accès aux zones dangereuses accessibles de la scie ébouteuse.
[41] Finalement, dans l’affaire Bérou international inc.[9], la Commission des lésions professionnelles a accueilli la demande de transfert des coûts de l’employeur parce que le travailleur avait omis, de façon volontaire, de cadenasser la machine sur laquelle il travaillait. La preuve avait démontré qu’il ne s’agissait pas d’une erreur, mais bien d’une omission d’un travailleur qui connaissait les règles de sécurité en regard du cadenassage et qui avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour les mêmes motifs antérieurement. Le tribunal s’exprime ainsi :
[27] Le tribunal est donc d’avis, sur la base des principes dégagés par le tribunal dans l’affaire Ministère des Transports, que l’imputation au dossier de l’employeur est injuste, puisqu’il y a clairement eu contravention à une règle de sécurité, une règle de l’art, connue du travailleur. Il ne s’agit pas, en l’espèce, de déterminer s’il y a eu faute ou non, mais plutôt, de déterminer si l’omission de cadenasser, dans les circonstances particulières du présent dossier, a pour effet d’obérer injustement l’employeur par l’imputation des prestations à son dossier.
[28] Le tribunal est d’avis que ce qui a joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, c’est le non-respect d’une règle de l’art, d’une règle de sécurité connue du travailleur. Le fait que ce travailleur avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire quelques mois avant le fait accidentel pour avoir omis de cadenasser la machine est déterminant en l’espèce.
[29] Comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Coopérative forestière des Hautes-Laurentides8, il faut être prudent et s’assurer du caractère exceptionnel des circonstances « afin d’éviter que le transfert des coûts devienne un automatisme chaque fois qu’un travailleur omet de suivre les règles de sécurité ou qu’il fait preuve d’imprudence ».
[30] Le tribunal considère être en présence de telles circonstances exceptionnelles, puisque l’omission du travailleur a joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel et qu’il a non seulement reconnu cette omission, mais il avait quelques mois auparavant fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour les mêmes motifs, soit l’omission d’avoir cadenassé la machine.
[nos soulignements]
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8
C.L.P.
[42] Avec respect pour l’opinion contraire, le soussigné ne croit pas qu’il soit nécessaire de décider si l’accident du travail est uniquement attribuable à la négligence grossière et volontaire du travailleur pour statuer sur l’injustice de l’imputation des coûts pour l’employeur. Le tribunal entend donc analyser la situation comme dans l’affaire Bérou international inc.[10] sur la base des facteurs identifiés par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ministère des transports et CSST[11].
[43] Toutes les décisions précitées demeurent cependant pertinentes dans la mesure où les facteurs qui ont alors été considérés pour décider sont aussi des facteurs utiles pour déterminer si l’imputation est injuste.
[44] En l’espèce, il s’agit de décider si l’employeur a droit à un transfert des coûts parce qu’il est obéré injustement par l’imputation du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par le travailleur.
[45] L’employeur fait valoir qu’il a pris les mesures nécessaires pour que le travail s’effectue de façon sécuritaire et que si le travailleur avait suivi les procédures, il ne serait pas blessé.
[46] Le tribunal retient de la preuve que le travailleur a lavé la machine au boyau alors qu’elle était en marche, mais qu’à l’étape finale plutôt que d’aller au panneau de contrôle pour actionner le mode pas à pas, il arrêtait et repartait la machine en utilisant le bouton d’urgence et un bouton de démarrage.
[47] Le tribunal comprend également que vraisemblablement le travailleur procédait toujours de la même façon pour nettoyer cette machine-là car, dans sa note du 25 novembre 2010, il décrit la façon dont il s’y prend pour faire la tâche et il ne mentionne pas qu’il a agi différemment cette journée-là.
[48] Nul ne doute que le travailleur en tant que préposé à la sanitation effectue un travail dangereux, car il a accès à de la machinerie dont on a retiré les dispositifs de protection et qui est en marche.
[49] Lorsqu’il est rendu à la dernière étape du lavage de la machine linco, le travailleur doit se conformer à une procédure qui nécessite de faire fonctionner l’équipement en mode pas à pas en utilisant un dispositif de commande bimanuel.
[50] La preuve a révélé que le travailleur connaissait cette procédure, qu’il ne l’a pas appliquée et que s’il l’avait suivie, il ne serait probablement pas blessé.
[51] Or, probablement pour sauver du temps, le travailleur avait développé sa propre méthode de travail qui s’avérait être dangereuse, contraire à la réglementation, manifestement non connue de l’employeur, et qui était susceptible de causer des blessures comme ce fut le cas en l’espèce.
[52] L’employeur n’est pas à l’abri des initiatives de ses travailleurs en cette matière c’est pourquoi il doit non seulement faire connaître les règles de sécurité, mais aussi s’assurer qu’elles sont respectées.
[53] C’est ce que rappelait la Commission des lésions professionnelles dans Albany Bergeron et fils inc. et Cogesis inc.[12] :
[36] Dans un jugement récent de la Cour supérieure2, il est rappelé que la Loi sur la santé et la sécurité du travail3 impose de grandes responsabilités à l’employeur quant à la sécurité de ses travailleurs.
[37] Il y est également précisé qu’il ne suffit pas pour l’employeur de se fier sur l’expérience et le bon sens de ses employés. Il doit prendre des mesures concrètes et positives pour s’assurer qu’il respecte les obligations que lui impose la loi particulièrement en matière de prévention des risques.
[38] Il ne suffit pas non plus de simplement donner des directives aux employés en présumant que les instructions seront suivies. Il doit prendre les moyens pour s’assurer que ses directives sont suivies.
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2 CSST et Raymond Martin ltée,
CS,
3 L.R.Q., c. S-2.1
[54] Dans le présent cas, le tribunal ignore quels sont les moyens utilisés par l’employeur au jour le jour pour s’assurer que ses directives sont suivies. Or, le travailleur était affecté à un travail dangereux et il avait développé une méthode de travail déficiente, depuis on ne sait combien de temps, sans qu’il n’y ait eu de rappel à l’ordre de l’employeur.
[55] Dans un tel contexte, le tribunal juge que le fait que le travailleur ait développé sa propre méthode de travail et qu’elle contrevenait aux directives de l’employeur et qu’il en ait résulté un accident du travail n’est pas suffisant pour conclure que l’accident n’est pas survenu dans le cadre d’une activité faisant partie des risques que l’employeur doit assumer.
[56] Dans l’affaire Bérou International inc.[13], on a conclu à une injustice, car on a considéré déterminant le fait que le travailleur avait déjà reçu une mesure disciplinaire quelques mois avant le fait accidentel pour avoir omis de cadenasser la machine. L’employeur n’avait pas uniquement présumé que ses directives seraient suivies, mais il avait pris les mesures nécessaires pour qu’elles le soient et avisé le travailleur que sa méthode de travail était inadéquate et émis une mesure disciplinaire. Dans le présent cas, les avis que le travailleur avait reçus avant son accident du travail ne concernaient pas les activités de cadenassage ou des activités similaires.
[57] On a conclu aussi à une injustice dans l’affaire Wilfrid Paquet & fils ltée et Poulin[14], mais les faits sont différents dans la mesure où non seulement le travailleur n’avait pas cadenassé la machine, mais en plus, il l’arrêtait non pas en utilisant un dispositif permettant un arrêt sécuritaire, mais en bouchant un œil magique avec un morceau de bois.
[58] L’employeur a allégué que l’accident du travail était attribuable uniquement à la négligence grossière et volontaire du travailleur et sous réserve des commentaires déjà formulés sur l’opportunité de se prononcer sur cette question, le tribunal a tout de même analysé la question.
[59] Pour conclure à de la négligence grossière et volontaire, il faut nécessairement retrouver la présence d’une faute, par action ou par omission, qui doit revêtir un caractère suffisamment grave et important pour qu'elle ne puisse être qualifiée de simple et qui doit résulter d'un acte volontaire et non d'un simple réflexe[15].
[60] Dans E.B.C.-CRT s.e.n.c. inc. et Bilodeau[16], le tribunal précise que la présence d’une négligence grossière suppose un élément de témérité et d’insouciance déréglée et non pas seulement une imprudence ou une erreur de jugement.
[61] En l’espèce, le tribunal ne peut conclure à de la négligence grossière et volontaire. Le tribunal ne considère pas que le travailleur a été téméraire et qu’il a fait preuve d’une insouciance déréglée. Il a plutôt été imprudent et il a manqué de jugement en ne respectant pas les consignes et en adoptant sa propre méthode de travail qui s’avérait être dangereuse.
[62] Vu ce qui précède, le tribunal est d’opinion que les circonstances propres à ce dossier n’ont pas pour effet de créer une injustice pour l’employeur de sorte qu’il n'est pas utile de se demander s’il est obéré puisqu’il ne satisfait pas à l’une des conditions d’application de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[63] L’employeur doit donc assumer la totalité du coût des prestations résultant de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 24 novembre 2010.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Olymel Flamingo, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 3 juillet 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 24 novembre 2010 par monsieur Samuel Fournier doit être imputée au dossier financier de l’employeur.
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Alain Vaillancourt |
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Me Sylvain Chabot |
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CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L’arrêt d’urgence est rouge, il a la forme d’un champignon, mais il n'est pas identifié comme tel.
[2] La preuve révèle que la remise en fonction du dispositif d’urgence après son utilisation ne provoquait pas à elle seule la mise en marche de la machine, mais qu’il fallait ensuite appuyer sur un autre bouton pour la mettre en marche.
[3] 2012 QCCLP 7544 .
[4]
[5] Précitée, note 3.
[6] [2005] C.L.P. 1420 .
[7]
[8] 2011 QCCLP 4987 .
[9] 2012 QCCLP 3034 .
[10] Id.
[11] Précitée, note 4.
[12] C.L.P.
[13] Précitée, note 9.
[14] Précitée, note 7.
[15] Agence Route canadienne inc. et Savard,
[16] C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.