9114-1838 Québec inc. |
2012 QCCLP 3747 |
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[1] Le 20 octobre 2011, la compagnie 9114-1838 Québec inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 septembre 2011 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 28 juin 2011 et déclare que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 20 octobre 2009 par monsieur Carl Tremblay (le travailleur), doit être imputée à l’employeur.
[3] L’employeur, par l’entremise de sa représentante, a renoncé à la tenue d’une audience, a autorisé le tribunal à rendre une décision sur vue des pièces produites au dossier et a déposé une argumentation écrite au soutien de ses prétentions.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande de déclarer que le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu le 20 octobre 2009 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités puisque l’imputation de ce coût à son dossier financier a pour effet de l’obérer injustement.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit à un transfert du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 20 octobre 2009, au motif qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[6] Le tribunal est d’avis de rapporter dans un premier temps, les faits relatifs à l’événement du 20 octobre 2009. Le travailleur déclare ce qui suit :
« Le 20 octobre 2009 à 5h00 AM lors de mon travail comme conducteur de camion planétaire, j’ai perdu le contrôle du véhicule au km 166 dans une courbe à 90°. Les conditions de route étaient enneigés et le chemin n’était pas sablé. Le camion a basculé dans le fossé, j’ai tenté de retenir le véhicule en essayant de ramener le volant. J’ai ensuite basculé dans la cabine en me frappant [sic]
[7] Le travailleur a été suivi pour une contusion et une entorse à l’épaule gauche et son dossier a cheminé jusqu’à une conclusion finale à la suite d’un accord entériné par décision[2] de la Commission des lésions professionnelles.
[8] Cette décision[3] du 14 février 2011 entérine un accord intervenu entre les parties et déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle de la nature d’une contusion à l’épaule gauche, lésion consolidée en date du 19 janvier 2010, sans nécessiter de soins ou de traitements additionnels après cette date, alors qu’elle n’a pas entraîné d’atteinte permanente à l’intégrité physique ni de limitations fonctionnelles.
[9] Le travailleur est redevenu capable d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 19 janvier 2010.
[10] Dans sa demande de transfert d’imputation en vertu de l’article 326 adressée à la CSST le 15 octobre 2010, l’employeur soumet ce qui suit :
Dans un premier temps, nous vous rappelons que le travailleur aurait subi le 20 octobre 2009 une contusion à la région supérieure de l’épaule gauche lors d’un accident routier lors duquel le travailleur aurait perdu le contrôle de son véhicule qui se serait ensuite renversé.
Lors d’une expertise médicale à la demande de l’employeur avec le docteur François Lefebvre, le travailleur a confirmé qu’il ne portait pas sa ceinture de sécurité lors de l’événement du 20 octobre 2009.
Rappelons que l’article
À la lumière de ces informations, nous croyons que la Commission devrait reconnaître que l’employeur est obéré injustement du coût du dossier puisque le travailleur a contrevenu au Code de la sécurité routière et que n’eut été de ce comportement insouciant voire inconvenant, le travailleur n’aurait jamais subi de lésion professionnelle.
Donc, considérant le Code de la sécurité routière;
Considérant que le travailleur a contrevenu à ce Code;
Considérant que l’imputation faite en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la Loi a pour effet de faire supporter injustement à notre cliente le coût du dossier vu le comportement du travailleur; [sic]
[notre soulignement]
[11] L’employeur demande la révision de la décision de la CSST qui refuse le transfert de l’imputation requis et une décision est rendue le 7 septembre 2011 par la CSST à la suite d'une révision administrative. Dans cette dernière, la CSST précise que l’employeur fonde sa demande de transfert de coût sur le fait que le travailleur a indiqué qu’il ne portait pas sa ceinture de sécurité au moment de l’événement, contrevenant ainsi à l’article 396 du Code de sécurité routière[4].
[12] L’employeur est d’avis que n’eût été ce comportement, le travailleur n’aurait jamais subi la lésion professionnelle pour laquelle il a dû encourir les coûts imputés à son dossier.
[13] Après avoir rappelé les principes qui régissent une demande de transfert d’imputation déposée selon l’article 326 de la loi, la CSST se prononce comme suit :
Pour se prévaloir de cette exception, l’employeur doit démontrer des situations précises répondant aux deux (2) critères suivants : soit une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter et que la proportion des coûts attribuables à cette situation d’injustice est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident en cause.
Une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter est une situation qui peut être fortuite, inusitée, inhabituelle ou exceptionnelle. Pour la Commission, ces circonstances réfèrent à trois (3) situations qui peuvent donner droit à un transfert d’imputation, soit : une maladie intercurrente, l’interruption de l’assignation temporaire ou bien encore la lésion causée par une négligence grossière et volontaire du travailleur.
L’employeur invoque un manquement du travailleur aux règles de sécurité routière. Il affirme que le travailleur ne portait pas sa ceinture de sécurité routière, lors de la survenance de l’événement.
La Révision administrative rappelle que la faute du travailleur autre qu’une négligence grossière et volontaire de sa part ou un manquement de celui-ci aux règles de sécurité ne peut constituer une situation d’injustice donnant droit à un transfert de coûts. D’une part, le régime prévu à la Loi existe sans égard à la responsabilité de quiconque, sans égard à la faute. D’autre part, le fait de ne pas respecter une règle de sécurité ne peut équivaloir à une négligence grossière et volontaire. Certes, le travailleur a pu être imprudent, lorsqu’il a exécuté son travail de manière dangereuse et non sécuritaire, mais il a agi dans le cadre de son travail et il appartient à l’employeur de s’assurer du respect de ces règles. L’activité exercée par le travailleur se situe à l’intérieur des activités de l’employeur et cela fait partie des risques qu’il doit normalement supporter dans le cadre de celles-ci.
Par conséquent, bien que la Révision administrative constate que l’accident du travail subi par le travailleur puisse causer un certain impact sur le dossier de l’employeur, ce dernier n’a pas démontré être obéré injustement par l’imputation du coût des prestations liées à l’accident du travail subi par le travailleur. [sic]
[14] Dans ses notes et arguments déposés à la Commission des lésions professionnelles, la représentante de l’employeur soumet et commente une jurisprudence pertinente, à savoir : Collège Notre-Dame de l’Assomption[5], Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des Transports du Québec[6] et Entreprises Alain Michaud inc.[7]. Dans cette dernière affaire[8], la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :
[32] D’autre part, de l’aveu même du travailleur, celui-ci ne portait pas la ceinture de sécurité au moment de l’événement, ce qui contrevient aux règles de sécurité de même qu’au Code de la sécurité routière8. Cet acte est, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, assimilable à une négligence grossière et volontaire ayant eu un impact dans le mécanisme de production de la lésion professionnelle. Il s’agit là, de l’avis du tribunal, d’une situation qui est étrangère aux risques qu’il doit assumer. [sic]
[référence omise]
[15] Le tribunal ne souscrit pas à cet énoncé, à l’effet que l’omission du port de la ceinture de sécurité est assimilable à une négligence grossière et volontaire.
[16] Au surplus, dans cette affaire[9], le travailleur s’était endormi au volant, ce qui n’est pas le cas dans le présent litige.
[17] En ce qui concerne la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des Transports du Québec[10] précédemment citée, le tribunal est d’avis de retenir les principes, que l’on retrouve énoncés aux paragraphes 22 et 23 de cette décision, lesquels sont abondamment repris dans la jurisprudence subséquente :
[22] De l’avis de la soussignée, l’employeur sera « obéré injustement » dans la mesure où le fardeau financier découlant de l’injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier découlant de l’accident du travail. Ainsi, la notion « d’obérer », c’est-à-dire « accabler de dettes », doit être appliquée en fonction de l’importance des conséquences monétaires de l’injustice en cause par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail lui-même. La notion d’injustice, pour sa part, se conçoit en fonction d’une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer, mais qui entraîne des coûts qui sont rajoutés au dossier de l’employeur.
[23] Donc, pour obtenir un transfert des coûts basé sur la notion « d’obérer injustement », l’employeur a le fardeau de démontrer deux éléments :
Ø une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter;
Ø une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause. [sic]
[18] Dans cette décision[11], la Commission des lésions professionnelles fait droit à la demande de transfert des coûts associés à la lésion professionnelle survenue dans les circonstances qui sont détaillées comme suit :
[24] La grille d’analyse étant maintenant posée, le tribunal se propose de l’appliquer aux circonstances du présent dossier. Le procureur de l’employeur invoque comme injustice la négligence grossière et volontaire du travailleur et plus particulièrement le fait d’avoir omis de porter sa ceinture de sécurité, contrairement au Code de la Route, d’avoir roulé à une vitesse excessive, soit à 112 km/heure dans une zone de 65 km/heure et d’avoir conduit dans un état de fatigue extrême, soit après 22 heures sans sommeil, contrairement aux recommandations du répartiteur. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la combinaison de ces trois éléments explique en grande partie l’accident de la route qui a coûté la vie au travailleur, tel qu’établi dans le rapport du coroner. La négligence grossière et volontaire d’un travailleur a pour effet de créer une situation qui devient étrangère aux risques qu’un employeur doit assumer. [sic]
[notre soulignement]
[19] Cette conclusion de la Commission des lésions professionnelles prend fondement non seulement sur les faits spécifiques de ce dossier, mais encore, sur une jurisprudence[12] applicable en semblable matière :
[25] C’est ce qui avait été décidé dans l’affaire Commission
scolaire Abitibi (C.L.P.
[26] Dans l’affaire Construction Arno inc. et C.S.S.T.
(C.L.P.
[27] Finalement, dans l’affaire Ressource Naturelle
Ralex inc. et C.S.S.T.-Chaudière-Appalaches (C.L.P.
[20] Dans le cadre de la présente décision, le tribunal doit constater que les faits relatifs à la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Carl Tremblay, diffèrent de ceux énoncés dans les décisions précédentes.
[21] Dans son argumentation écrite, l’employeur résume comme suit les faits, qu’il qualifie d’écarts de conduite, commis par le travailleur :
Voici un résumé des faits et des écarts de conduite :
o Monsieur Tremblay était le conducteur d’un véhicule;
o Il circulait sur un chemin forestier;
o Le chemin était enneigé;
o Le travailleur était dans une courbe;
o Le véhicule a renversé;
o Monsieur Tremblay n’était pas attaché, contrairement à la loi en vigueur;
o Monsieur Tremblay s’est retrouvé dans le fond de la cabine uniquement car il n’était pas attaché.
Nous sommes d’avis que le fait que l’employeur doive supporter les frais du présent dossier présente pour lui une situation d’injustice, puisque le travailleur a omis de porter sa ceinture de sécurité en conduisant, contrairement à la loi en vigueur. […] [sic]
[22] De l’avis du tribunal, ces faits, en eux-mêmes, ne permettent pas de conclure dans le sens souhaité par l’employeur.
[23] En effet, le tribunal est d’avis que bien que l’omission de porter une ceinture de sécurité puisse représenter une infraction au Code de sécurité routière[13], plusieurs décisions du tribunal ont déjà établi qu’une telle omission ne relève pas de la négligence grossière et volontaire, donnant ouverture à un transfert de coût et ne constitue pas, en soi et automatiquement, une situation d’injustice.
[24] D’autre part, l’employeur invoque que c’est le manquement au respect des règles de sécurité de la part du travailleur, qui constitue une situation étrangère aux risques que doit assumer l’employeur, et partant, à une situation d’injustice, en regard des conséquences de la lésion subie par le travailleur.
[25] En l’espèce, le tribunal est d’avis que la preuve ne révèle pas la présence de manquements assimilables à de la négligence grossière et volontaire de la part du travailleur susceptible d’être à l’origine de l’injustice alléguée.
[26] Dans une décision[14] portant sur des faits similaires, décision récente rendue le 20 février 2012 par un juge administratif, la Commission des lésions professionnelles estime approprié de référer à l’interprétation du concept d’injustice retenu dans la décision Ministère des Transports et CSST[15].
[27] Dans cette décision Ministère des Transports et CSST[16], précédemment citée, une formation de trois juges administratifs a interprété la notion d’injustice prévue à l’article 326 en concluant comme suit :
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun. [sic]
[28] Dans la décision rendue par le juge administratif Jean Grégoire[17], le tribunal indique que, tout comme en matière d’accident attribuable à un tiers, l’employeur invoque, dans ce cas particulier, que ce sont les circonstances du fait accidentel qui créent la situation d’injustice.
[29] Dans la présente affaire, les prétentions de l’employeur sont au même effet, à savoir, que le travailleur a contrevenu volontairement au Code de sécurité routière[18] et que de ce fait, il a créé une situation d’injustice qui est étrangère aux risques de l’employeur.
[30] L’employeur allègue ne pas avoir le contrôle sur le travailleur qui choisit de contrevenir à la loi, à son insu.
[31] Le tribunal ne souscrit pas aux prétentions de l’employeur et il fait sien le raisonnement développé par le juge administratif dans l’affaire précitée[19] :
[26] D’autre part, l’employeur invoque que la situation d’injustice découle des manquements aux règles de sécurité de la part du travailleur, puisque ces manquements sont assimilables à de la négligence grossière et volontaire.
[27] Or, le tribunal ne peut voir, dans le comportement du travailleur, des manquements assimilables à de la négligence grossière et volontaire.
[28] En effet, la preuve révèle que le travailleur roulait à une vitesse d’environ 80 km/h, soit une vitesse légèrement supérieure à la vitesse maximale permise de 70 km/h sur un chemin forestier. Il ne s’agit donc certainement pas d’une vitesse excessive assimilable à un comportement téméraire ou à de la négligence grossière et volontaire.
[29] D’autre part, l’employeur soumet que le travailleur n’aurait pas adapté sa conduite aux conditions routières prévalant ce jour-là. Or, le tribunal constate qu’il s’agit d’une allégation qui n’a nullement été démontrée par l’employeur. À ce sujet, le tribunal constate qu’il ne dispose d’aucune preuve relativement aux conditions météorologiques prévalant ce jour-là ni si une mise en garde particulière fut émise relativement à l’état de la route. De l’avis du tribunal, il est largement insuffisant d’invoquer, que « la chaussée était glissante », pour conclure que le travailleur avait une conduite inappropriée, représentant de la négligence grossière et volontaire.
[30] En ce qui concerne l’argument selon lequel le travailleur ne portait pas sa ceinture de sécurité, le tribunal ne peut y voir là, compte tenu de la preuve dont il dispose en l’espèce, un comportement assimilable à de la négligence grossière et volontaire de la part du travailleur.
[31] En effet, le tribunal ne dispose d’aucune preuve sur les circonstances entourant l’omission du travailleur d’attacher sa ceinture de sécurité conformément au Code de la sécurité routière9 et aux politiques de l’employeur. C’est ainsi que le tribunal ignore s’il s’agit d’un geste volontaire de la part du travailleur, si celui-ci a déjà fait l’objet d’avertissements ou de mesures disciplinaires à ce propos, ou s’il s’agit d’une simple distraction ou omission. Bien que l’omission de porter sa ceinture de sécurité représente une infraction au Code de la sécurité routière10, plusieurs décisions de la Commission des lésions professionnelles ont déjà établi qu’une telle omission ne constituait pas une négligence grossière et volontaire donnant ouverture à un transfert de coût. Dans l’affaire Ville de Victoriaville et CSST11, le tribunal écrivait que :
[57] Par ailleurs, il ressort de l’enquête de la CSST que diverses causes ont été retenues pour expliquer la survenance de l’accident, dont le fait que la signalisation n’a pas été respectée, que la sirène d’urgence n’est pas actionnée, que les ceintures de sécurité n’étaient pas bouclées, que la poignée de la porte est située de façon à permettre un actionnement involontaire, ces deux derniers n’expliquant pas la collision mais la gravité des dommages.
[58] Or, à l’exception du dispositif d’ouverture de la porte, le non-respect de la signalisation, la sirène non actionnée, le manquement au port de la ceinture de sécurité relèvent de la conduite des pompiers.
[59] Peut-on en ce cas parler de négligence grossière et volontaire qui si elle était démontrée pourrait mener à la conclusion d’une obération injuste pour l’employeur15?
[60] La Commission des lésions professionnelles abonde dans le sens du procureur de la CSST qui plaide qu’une telle conduite ne peut s’assimiler à une négligence grossière et volontaire. La négligence grossière et volontaire s’écarte en effet de la simple négligence ou d’une inadvertance. La négligence grossière et volontaire relève davantage de la témérité que d’une simple erreur de jugement. Les travailleurs ont fait preuve d’imprudence en ne respectant pas les consignes de sécurité et l’obligation qui leur est faite de boucler leur ceinture de sécurité mais l’on ne peut taxer leur conduite de négligence grossière et téméraire. D’ailleurs, faut-il le rappeler, les faits surviennent dans un contexte d’urgence, alors que les pompiers doivent se rendre sur les lieux d’un incendie et dans ce contexte, un oubli ou une simple négligence peut se produire.
[61] Dans l’affaire Breakwater Ressources Ltd16, où un travailleur est blessé alors qu’il n’a pas respecté les consignes de sécurité mises en place, la Commission des lésions professionnelles, reprenant le raisonnement tenu dans l’affaire Portes Cascades inc.,,17, écrit que la recherche d’une négligence autre que la négligence grossière et volontaire ne doit pas servir à obtenir un transfert d’imputation.
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15 Portes Cascades inc. C.L.P.
16 C.L.P.
17 Voir note 15 [sic]
[notre soulignement]
[32] Ce raisonnement du tribunal a aussi été repris dans l’affaire Emballages Stone (Canada) inc.12 où la preuve révélait que le travailleur conduisait un camion à une vitesse excessive et sans porter sa ceinture de sécurité :
[38] En l’espèce, le travailleur a fait une erreur de jugement en ne portant pas sa ceinture de sécurité, mais cette omission ne peut être assimilée à une négligence grossière et volontaire; il s’agit d’une imprudence et les consignes de sécurité données par l’employeur ne changent pas la nature de ce geste. [sic]
[33] Dans l’affaire Dicom Québec inc.13, le tribunal a refusé un transfert d’imputation à la suite d’un accident de la route survenu dans les circonstances suivantes :
[37] Dans le présent cas, la preuve démontre que le travailleur n’a pas décéléré en prenant une courbe alors qu’il roulait à 106 km/h avec un fardier de 53 pieds. Il a certes été négligent dans l’application des règles élémentaires de sécurité. Cependant, avec respect pour l’opinion contraire, il ne s’agit pas de négligence grossière et volontaire ni d’un comportement téméraire. La Commission des lésions professionnelles considère plutôt que l’accident du travail est survenu par l’imprudence du travailleur et par une erreur de jugement comme c’est le cas généralement pour tout accident de la route relié à la conduite à une vitesse excessive, d’autant plus, que la preuve ne démontre pas, que dans le passé, l’employeur ait eu quoi que ce soit à reprocher au travailleur à cet égard. [sic]
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9 Précitée, note 2.
10 Précitée, note 2.
11 C.L.P.
12 C.L.P.
13 C.L.P.
[32] Après analyse de l’ensemble des éléments de la preuve documentaire contenue au dossier, le tribunal est d’avis que la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur a eu un comportement pouvant représenter de la négligence grossière et volontaire, entraînant une situation d’injustice pour l’employeur.
[33] Comme déjà mentionné plus avant dans cette décision, le tribunal est d’avis que le fait de ne pas porter sa ceinture de sécurité ne peut être assimilable à une négligence grossière et volontaire et ne peut également conclure qu’il s’agit d’une situation étrangère aux risques que doit assumer un employeur œuvrant notamment dans le domaine du transport de billots en chemins forestiers.
[34] Le non-respect du Code de sécurité routière[20] constitue une situation que le tribunal n’hésite pas à qualifier de risque inhérent à l’ensemble des activités de l’employeur au dossier.
[35] Les circonstances de l’événement accidentel ne présentant pas un caractère inusité et exceptionnel, le tribunal ne saurait conclure à la présence d’une injustice sur la seule base de l’hypothèse soulevée par l’employeur, à l’effet que le port de la ceinture aurait probablement empêché le travailleur de subir une contusion à l’épaule ou permis d’en diminuer les effets.
[36] Dans un tel contexte, le tribunal conclut qu’il n’est pas injuste de faire supporter à l’employeur l’imputation complète des coûts découlant de la lésion professionnelle du travailleur.
[37] En raison de la conclusion à laquelle en vient le tribunal, quant à l’absence d’une situation d’injustice, il n’y a pas lieu de poursuivre l’analyse en regard de la notion d’obérer.
[38] La requête de l’employeur sera donc rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la compagnie 9114-1838 Québec inc., l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 7 septembre 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Carl Tremblay, le travailleur, le 20 octobre 2009, doit être imputé au dossier financier de l’employeur.
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Claude Bérubé |
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M. Frédéric Boucher |
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MÉDIAL CONSEIL SANTÉ SÉCURITÉ INC. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c.A-3.001.
[2] C.L.P. 425341-02-1011, 14 février 2011, J. Grégoire.
[3] Id.
[4] L.R.Q.., c-24.2.
[5] C.L.P.
[6] C.L.P.
[7] C.L.P.
[8] Id.
[9] Id.
[10] Précitée, note 6.
[11] Précitée, note 6.
[12] Id.
[13] Précitée, note 4.
[14] Entreprise RSLB inc., C.L.P.
[15]
[16] Id.
[17] Précitée, note 14.
[18] Précitée, note 4.
[19] Précitée, note 14.
[20] Précitée, note 4.
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