Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier

2013 QCCLP 4802

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

2 août 2013

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

416726-64-1008

 

Dossier CSST :

134597525

 

Commissaire :

Marie-Claude Lavoie, juge administratif

______________________________________________________________________

 

 

 

Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]   Le 2 août 2010, la Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 23 juin 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]   Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 mai 2010 et déclare que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Nicole Gareau (la travailleuse) le 14 avril 2009, doit être imputé à l’employeur.

[3]   L’audience est tenue à Saint-Jérôme le 18 juin 2013. Le procureur de l’employeur est présent. Le dossier est mis en délibéré le même jour.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]   L’employeur demande de déclarer que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par la travailleuse soit imputé à l’ensemble des employeurs, puisque l’imputation de ce coût à son dossier financier a pour effet de l’obérer injustement, l’accident du travail étant attribuable à un tiers.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]   Le tribunal doit décider si l’employeur peut bénéficier de l’exception prévue au second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) quant à la notion d’accident du travail attribuable à un tiers, à la suite de la lésion professionnelle subie par la travailleuse le 14 avril 2009.

[6]   Dans un premier temps, le tribunal constate que la demande de l’employeur, datée du 25 août 2009, a été soumise à l’intérieur du délai prévu par la loi, puisque la lésion est survenue le 14 avril 2009.

[7]   Ensuite, pour démontrer qu’un accident est attribuable à un tiers et permettre le transfert des coûts, l’employeur doit prouver les quatre éléments suivants :

1) l’existence d’un accident du travail;

2) la présence d’un tiers;

3) que l’accident est attribuable à ce tiers;

4) que l’imputation est injuste.

 

 

L’existence d’un accident du travail

[8]   La travailleuse occupe un poste d’enseignante chez l’employeur. Le 14 avril 2009, vers 8 h 30, alors qu’elle se rend à sa classe, deux étudiants se chamaillent dans le corridor. L’un d’eux frappe accidentellement la travailleuse. Cette dernière est projetée au sol et sa tête frappe un mur de béton. Le rapport d’incident rapporte que la travailleuse a glissé sur une distance d’environ huit pieds.

[9]   La CSST accepte la réclamation en lien avec un diagnostic de traumatisme crânien et d’entorse cervicale.

[10]        Ainsi, la première condition d’application est démontrée, puisque la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 14 avril 2009, et que cette lésion a été reconnue par la CSST.

La présence d’un tiers

[11]        La deuxième condition, soit la présence d’un tiers, n’est pas contestée par l’employeur et a même été reconnue par la CSST. Un tiers est toute autre personne que le travailleur, son employeur et les autres travailleurs de cet employeur[2]. Un étudiant doit être considéré comme un tiers, puisqu’il n’a aucun rapport juridique et aucun lien de droit avec l’employeur.

L’accident est attribuable à ce tiers

[12]        La troisième condition consiste à vérifier si l’accident est attribuable à ce tiers. Le juge administratif Clément, dans la décision du Centre du camion Beauce inc.[3], interprète la notion d’« attribuable » :

[14]  […] Un accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon majoritaire à sa survenue [sic], c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %.

 

[15]  En somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve à être le principal ou les principaux auteurs pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué.

 

 

[13]        La preuve révèle que le tiers a majoritairement contribué aux circonstances entourant la survenance de l’accident de la travailleuse.

[14]        En effet, c’est l’étudiant qui a frappé l’enseignante alors qu’il se chamaillait, qui a projeté celle-ci contre un mur de béton. C’est donc le comportement et l’action de l’étudiant qui a causé la lésion professionnelle.

L’imputation est injuste

[15]        Le tribunal, ayant conclu que l’accident est attribuable au tiers, doit maintenant déterminer si l’imputation des coûts de cette lésion est injuste.

[16]        Pour apprécier l’effet injuste de l’imputation, le tribunal s’en remet à l’affaire Ministère des transports et CSST[4]; une décision de principe rendue par une formation de trois juges administratifs. Dans cette affaire, le tribunal s’exprime comme suit :

[339]  Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :

 

- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;

 

- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

 

- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

[340]  Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.

 

 

[17]        Dans cette même décision, la notion de risques inhérents est définie :

[322]  La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…). On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.

 

[323]  Certes, ayant entraîné une lésion professionnelle, les circonstances entourant l’accident correspondent à l’événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail dont parle la loi. À ce titre, elles recelaient nécessairement un certain potentiel de risque, la meilleure démonstration en étant que ledit risque s’est effectivement réalisé par le fait ou à l’occasion du travail.

 

 

[18]        La travailleuse occupe un poste d’enseignante et son travail l’amène à entrer en interaction avec des étudiants. Son travail nécessite également de circuler au sein de l’établissement pour se rendre d’un local à l’autre, et que ces déplacements se fassent au même moment où les étudiants se retrouvent dans les corridors. Il est donc possible pour une enseignante d’être frappée par l’un de ces étudiants par mégarde.

[19]        Toutefois, le tribunal est d’avis que le fait d’être frappé avec une telle violence par un étudiant qui se chamaille est une situation imprévisible, inusitée et inhabituelle.

[20]        Par exemple, dans la décision Commission scolaire de la Rivière-du-Nord et Hudon[5], la travailleuse, alors qu’elle habille un enfant de la maternelle, est frappée de façon accidentelle par un étudiant en réadaptation scolaire et est projetée sur une distributrice. Le tribunal considère que cet accident découle d’une situation qui est étrangère à la nature des activités de l’employeur et accorde le transfert des coûts.

[38]  Dans la cause Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois et Cogésis inc.14, la Commission des lésions professionnelles concluait, à la suite d'un geste exécuté par un enfant présentant une déficience intellectuelle moyenne à sévère, que ce geste ne constituait pas une agression physique ni un acte de violence, mais davantage une réaction imprévisible et involontaire. Il a été, malgré tout, jugé qu’il serait injuste d’imputer à l’employeur les coûts afférents à la réclamation pour l’accident du travail qui était attribuable à une réaction imprévisible, involontaire, inhabituelle voire même exceptionnelle d’un élève handicapé.

 

[39]  Dans le présent dossier, le soussigné établit un parallèle entre les circonstances entourant la survenance de l’événement le 25 avril 2002 et cette dernière cause. Le geste posé par l’étudiant en réadaptation sociale constitue certes un geste involontaire et imprévisible de sa part, mais en raison de son caractère exceptionnel, il ne peut être rattaché à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur. Ce geste ne s’inscrit pas dans la mission de l’école qui a pour but d’instruire et de socialiser des élèves.

 

[40]  Dans l’affaire Commission scolaire des Affluents15, il est également statué qu’être une technicienne en éducation spécialisée plutôt qu’une enseignante ne fait pas en sorte pour autant de modifier les risques particuliers se rattachant à l’ensemble des activités exercées par l’employeur ni dans le cadre relationnel entre l’étudiant et la travailleuse.

________________

14             C.L.P. 226270-08-0401, 04-05-10, P. Prégent.

15             C.L.P. 185851-63-0206, 04-03-02, F. Dion-Drapeau.

 

[nos soulignements]

 

 

[21]        Dans la décision Commission scolaire Marie-Victorin[6], le tribunal accorde également le transfert des coûts. Dans ce dossier, le travailleur occupe un poste d’enseignant en éducation physique, mais également d’entraineur-chef de l’équipe de football. Lors d’un match, le travailleur est frappé au niveau du genou par deux joueurs qui complètent un jeu. Le juge Beaudoin motive ainsi sa décision :

[29]  L’événement à l’origine de l’accident du travail subi par le travailleur se situe à la périphérie, sinon hors des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur. Le travailleur, professeur d’éducation physique, ne fait pas alors la démonstration d’une technique, d’un mouvement ou d’un exercice. Il serait clairement dans l’exercice de ses fonctions d’enseignant. L'employeur assumerait alors les risques inhérents à ces activités. Ce ne serait pas injuste d’imputer le coût d’un accident du travail survenant dans ces circonstances, s’il est attribuable à un tiers.

 

[30]  On ne peut oublier que l’école offre un programme de « sport-études » et que le travailleur est entraîneur chef d’une équipe de football composée d’étudiants. Cela s’inscrit dans le projet éducatif de l’école.

 

[31]  Cependant, compte tenu des facteurs énumérés dans la décision Ministère des Transports, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les circonstances dans lesquelles survient l’accident du travail sont inusitées et improbables. En effet, les probabilités qu’un semblable accident survienne sont minimes. L’événement, en soi, est exceptionnel.

 

[notre soulignement]

[22]        Dans la décision Commission scolaire des Portages-de-l’Outaouais[7], la travailleuse se blesse en tentant de retenir un élève qui est en crise d’épilepsie. La juge considère que l’accident est attribuable à une réaction imprévisible, involontaire, inhabituelle, voire même exceptionnelle, d’un élève handicapé. Elle considère également qu’en raison de son caractère exceptionnel, il ne peut être rattaché à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur.

[23]        Dans la décision de la Commission scolaire Lester B. Pearson[8], le transfert d’imputation a été accordé alors qu’une enseignante a subi une lésion professionnelle en tentant de séparer deux élèves qui se battaient. La juge a considéré que cela excédait le contexte normal de l’enseignement.

[24]        À la lumière de cette jurisprudence du tribunal, les circonstances de l’événement ne peuvent être considérées comme une agression physique ou un acte de violence visant directement la travailleuse. Ces circonstances doivent être considérées comme anormales, inusitées et exceptionnelles. Ainsi, le tribunal considère qu’il est injuste que l’employeur soit imputé des sommes découlant de cet accident.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de la Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier, l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 juin 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations reliées à l’accident subi par madame Nicole Gareau, la travailleuse, le 14 avril 2009, doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

 

 

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Marie-Claude Lavoie

 

 

 

 

Me Jean-Frédéric Bleau

Représentant de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Ministère des transports et CSST, [2007] C.L.P. 1804.

[3]           C.L.P. 384591-03B-0907, 9 mai 2010, J.-F. Clément.

[4]           Précitée, note 2.

[5]           C.L.P. 242754-64-0409, 6 décembre 2004, R. Daniel.

[6]           C.L.P. 292548-62-0606, 29 octobre 2008, R.-L. Beaudoin.

[7]           2011 QCCLP 4364.

[8]           2012 QCCLP 8232.

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