Québec (Curateur public) et R.M. |
2013 QCCS 4971 |
JD 1648 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-14-041586-124 |
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DATE : |
Le 16 octobre 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ANDRÉ DENIS, J.C.S. |
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Le Curateur public du Québec |
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Requérant |
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et |
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R... M... |
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Majeur intimé |
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JUGEMENT |
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I- Les procédures
[1] Le requérant demande l’ouverture d’un régime de protection à un majeur et le dispense de la tenue d’une assemblée de parents, d’alliés ou d’amis. Les conclusions de la requête sont les suivantes :
DISPENSER la signification de la présente requête à une personne raisonnable de la famille du majeur intimé, R... M...;
DISPENSER de la tenue d’une assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, en l’espèce;
PRONONCER l’ouverture d’un régime de protection dans l’intérêt du majeur intimé, R... M...;
DÉTERMINER que le régime de protection approprié au majeur intimé, R... M..., est celui de la curatelle à la personne et aux biens;
NOMMER le Curateur public du Québec curateur à la personne et aux biens du majeur intimé, R... M...;
Subsidiairement, DE RENDRE toute autre ordonnance appropriée au cas sous espèce;
ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir sur la présente requête, nonobstant appel.
[2] Le requérant soumet que l’intimé souffre de schizophrénie, d’encéphalopathie et de démence affectant totalement sa capacité à assurer la protection de sa personne, à exercer ses droits civils et à administrer ses biens de façon permanente.
[3] L’intimé ([…] 1951) est âgé de 62 ans et s’oppose à l’octroi de la requête.
II- Le droit
[4] Le requérant, Le Curateur public du Québec, n’a soumis aucune autorité à l’appui d’une demande aussi lourde de conséquences pour la personne.
[5] Sans doute a-t-il voulu se fier à la connaissance encyclopédique du soussigné qui est de connaissance judiciaire.
[6] S’agissant du Curateur public, l’argument est mince. Le soussigné a dû faire ses propres recherches qu’il soumet ci-après :
[7] Le Code civil du Québec
256. Les régimes de protection du majeur sont établis dans son intérêt; ils sont destinés à assurer la protection de sa personne, l'administration de son patrimoine et, en général, l'exercice de ses droits civils.
L'incapacité qui en résulte est établie en sa faveur seulement.
257. Toute décision relative à l'ouverture d'un régime de protection ou qui concerne le majeur protégé doit être prise dans son intérêt, le respect de ses droits et la sauvegarde de son autonomie.
Le majeur doit, dans la mesure du possible et sans délai, en être informé.
258. Il est nommé au majeur un curateur ou un tuteur pour le représenter, ou un conseiller pour l'assister, dans la mesure où il est inapte à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens, par suite, notamment, d'une maladie, d'une déficience ou d'un affaiblissement dû à l'âge qui altère ses facultés mentales ou son aptitude physique à exprimer sa volonté.
Il peut aussi être nommé un tuteur ou un conseiller au prodigue qui met en danger le bien-être de son époux ou conjoint uni civilement ou de ses enfants mineurs.
259. Dans le choix d'un régime de protection, il est tenu compte du degré d'inaptitude de la personne à prendre soin d'elle-même ou à administrer ses biens.
260. Le curateur ou le tuteur au majeur protégé a la responsabilité de sa garde et de son entretien; il a également celle d'assurer le bien-être moral et matériel du majeur, en tenant compte de la condition de celui-ci, de ses besoins et de ses facultés, et des autres circonstances dans lesquelles il se trouve.
Il peut déléguer l'exercice de la garde et de l'entretien du majeur protégé, mais, dans la mesure du possible, il doit, de même que le délégué, maintenir une relation personnelle avec le majeur, obtenir son avis, le cas échéant, et le tenir informé des décisions prises à son sujet.
261. Le curateur public n'exerce la curatelle ou la tutelle au majeur protégé, que s'il est nommé par le tribunal pour exercer la charge; il peut aussi agir d'office si le majeur n'est plus pourvu d'un curateur ou d'un tuteur.
262. Le curateur public a la simple administration des biens du majeur protégé, même lorsqu'il agit comme curateur.
263. Le curateur public n'a pas la garde du majeur protégé auquel il est nommé tuteur ou curateur, à moins que le tribunal, si aucune autre personne ne peut l'exercer, ne la lui confie. Il est cependant chargé, dans tous les cas, d'assurer la protection du majeur.
La personne à qui la garde est confiée exerce, cependant, les pouvoirs du tuteur ou du curateur pour consentir aux soins requis par l'état de santé du majeur, à l'exception de ceux que le curateur public choisit de se réserver.
264. Le curateur public qui agit comme tuteur ou curateur d'un majeur protégé peut déléguer l'exercice de certaines fonctions de la tutelle ou de la curatelle à une personne qu'il désigne, après s'être assuré, si le majeur est soigné dans un établissement de santé ou de services sociaux, que la personne choisie n'est pas un salarié de cet établissement et n'y occupe aucune fonction. Il peut néanmoins, lorsque les circonstances le justifient, passer outre à cette restriction si le salarié de l'établissement est le conjoint ou un proche parent du majeur ou s'il s'agit de gérer, selon ses directives, l'allocation mensuelle destinée au majeur pour ses dépenses personnelles.
Il peut autoriser le délégué à consentir aux soins requis par l'état de santé du majeur, à l'exception de ceux qu'il choisit de se réserver.
265. Le délégué rend compte de l'exercice de la garde au curateur public, au moins une fois l'an. Ce dernier peut, en cas de conflit d'intérêts entre le délégué et le majeur protégé ou pour un autre motif sérieux, retirer la délégation.
266. Les règles relatives à la tutelle au mineur s'appliquent à la tutelle et à la curatelle au majeur, compte tenu des adaptations nécessaires.
Ainsi, s'ajoutent aux personnes qui doivent être convoquées à l'assemblée de parents, d'alliés ou d'amis en application de l'article 226, le conjoint et les descendants du majeur au premier degré.
267. Lorsque le curateur public demande l'ouverture ou la révision d'un régime de protection et qu'il démontre que des efforts suffisants ont été faits pour réunir l'assemblée de parents, d'alliés ou d'amis et qu'ils ont été vains, le tribunal peut procéder sans que cette assemblée soit tenue.
268. L'ouverture d'un régime de protection est prononcée par le tribunal.
Celui-ci n'est pas lié par la demande et il peut fixer un régime différent de celui dont on demande l'ouverture.
269. Peuvent demander l'ouverture d'un régime de protection le majeur lui-même, son conjoint, ses proches parents et alliés, toute personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier ou tout autre intéressé, y compris le mandataire désigné par le majeur ou le curateur public.
270. Lorsqu'un majeur, qui reçoit des soins ou des services d'un établissement de santé ou de services sociaux, a besoin d'être assisté ou représenté dans l'exercice de ses droits civils en raison de son isolement, de la durée prévisible de son inaptitude, de la nature ou de l'état de ses affaires ou en raison du fait qu'aucun mandataire désigné par lui n'assure déjà une assistance ou une représentation adéquate, le directeur général de l'établissement en fait rapport au curateur public, transmet une copie de ce rapport au majeur et en informe un des proches de ce majeur.
273. L'acte par lequel le majeur a déjà chargé une autre personne de l'administration de ses biens continue de produire ses effets malgré l'instance, à moins que, pour un motif sérieux, cet acte ne soit révoqué par le tribunal.
En l'absence d'un mandat donné par le majeur ou par le tribunal en vertu de l'article 444, on suit les règles de la gestion d'affaires, et le curateur public, ainsi que toute autre personne qui a qualité pour demander l'ouverture du régime, peut faire, en cas d'urgence et même avant l'instance si une demande d'ouverture est imminente, les actes nécessaires à la conservation du patrimoine.
276. Le tribunal saisi de la demande d'ouverture d'un régime de protection prend en considération, outre l'avis des personnes susceptibles d'être appelées à former le conseil de tutelle, les preuves médicales et psychosociales, les volontés exprimées par le majeur dans un mandat qu'il a donné en prévision de son inaptitude mais qui n'a pas été homologué, ainsi que le degré d'autonomie de la personne pour laquelle on demande l'ouverture d'un régime.
Il doit donner au majeur l'occasion d'être entendu, personnellement ou par représentant si son état de santé le requiert, sur le bien-fondé de la demande et, le cas échéant, sur la nature du régime et sur la personne qui sera chargée de le représenter ou de l'assister.
278. Le régime de protection est réévalué, à moins que le tribunal ne fixe un délai plus court, tous les trois ans s'il s'agit d'un cas de tutelle ou s'il y a eu nomination d'un conseiller, ou tous les cinq ans en cas de curatelle.
Le curateur, le tuteur ou le conseiller du majeur est tenu de veiller à ce que le majeur soit soumis à une évaluation médicale et psychosociale en temps voulu. Lorsque celui qui procède à l'évaluation constate que la situation du majeur a suffisamment changé pour justifier la fin du régime ou sa modification, il en fait rapport au majeur et à la personne qui a demandé l'évaluation et il en dépose une copie au greffe du tribunal.
281. Le tribunal ouvre une curatelle s'il est établi que l'inaptitude du majeur à prendre soin de lui-même et à administrer ses biens est totale et permanente, et qu'il a besoin d'être représenté dans l'exercice de ses droits civils.
Il nomme alors un curateur.
285. Le tribunal ouvre une tutelle s'il est établi que l'inaptitude du majeur à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens est partielle ou temporaire, et qu'il a besoin d'être représenté dans l'exercice de ses droits civils.
Il nomme alors un tuteur à la personne et aux biens ou un tuteur soit à la personne, soit aux biens.
[8] La Loi sur le curateur public et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives[1], entrée en vigueur le 15 avril 1990, a modifié de façon importante le droit en matière de protection des majeurs.
[9]
Actuellement, les dispositions régissant les régimes de protection se
retrouvent aux articles
[10]
Les personnes énumérées à l’art.
[11] Le besoin de protection est une condition essentielle à l’ouverture d’un régime de protection[5]. Ainsi, il est nécessaire de démontrer l’inaptitude du majeur (art. 258 C.c.Q.)[6].
[12] Il faut donner au terme maladie un sens très large et l’interpréter comme signifiant une atteinte à l’intégrité physique ou mentale d’une personne[7]. La prodigalité et l’ivrognerie ne constituent plus aujourd’hui des motifs justifiant l’instauration d’un régime de protection. Par contre, ce sont des éléments qui peuvent entrer en ligne de compte dans l’appréciation de la capacité du majeur à administrer ses biens[8].
[13] Par ailleurs, la Cour d’appel a déterminé que le refus de recevoir des soins médicaux n’est pas en soi une cause d’ouverture d’un régime de protection[9]. Il peut toutefois s’agir d’un élément indicateur d’une certaine incapacité selon le contexte de chaque cas.
[14] La Cour d’appel a rejeté l’appel du Curateur public qui demandait l’ouverture d’un régime de protection d’une personne dont l’inaptitude a été prouvée. Le juge de première instance a décidé de respecter la volonté de la personne qui voulait maintenir ses conditions de vie actuelles. Ses besoins sont comblés par les intervenants sociaux et son colocataire[10].
[15] Finalement, toute décision relative à l’ouverture d’un régime de protection ou qui concerne le majeur protégé doit être prise dans son intérêt, le respect de ses droits et la sauvegarde de son autonomie (art. 257 C.c.Q.)[11].
[16]
La procédure d'ouverture d'un régime de protection est d'ordre public[12] puisqu'elle
restreint les libertés fondamentales garanties par les articles 6, 9.1 et
[17]
Les règles relatives à la tutelle au mineur s’appliquent, compte tenu
des adaptations nécessaires, à la tutelle et à la curatelle au majeur (art.
[18] En principe, l’expertise médicale et psychosociale est essentielle à l’ouverture d’un régime de protection (art. 288 C.c.Q.)[15]. Par contre, l’absence d’une telle évaluation n’empêche pas l’ouverture d’un régime de protection s’il y va de l’intérêt du majeur et que le Tribunal dispose de plusieurs autres éléments lui permettant de constater l’inaptitude[16].
[19] Le Tribunal n’est pas lié par la demande, la règle de l’ultra petita ne s’appliquant pas en matière d’ouverture de régime de protection[17]. La décision doit être prise dans le seul intérêt du majeur.
[20] Les pouvoirs du Tribunal sont aussi étendus lors de la révision d’un régime de protection que lors de son ouverture. Ainsi, le Tribunal peut modifier non seulement le régime, mais aussi les modalités de celui-ci[18], par exemple aux fins d'autoriser la rémunération d'une personne qui prodigue des soins requis par l'état du majeur protégé[19].
[21] Le Curateur public peut demander la révision d’un régime de protection[20].
[22] Le fait qu’une ordonnance de soins a été rendue n’est pas un motif à lui seul suffisant pour modifier le régime de protection[21].
[23] La Cour d’appel, dans le jugement Québec (Curateur public) c. D.P.[22], reconnaît qu’un régime de protection est révisable en tout temps et qu'il n’est pas approprié de l’assujettir à un terme fixe.
[24] La Cour d’appel précise que, même si l’exercice des fonctions reliées à la personne et aux biens est fondé sur un principe d’unicité, le Code civil prévoit que tant le régime de la curatelle que de la tutelle peut être divisé. L’on peut donc nommer un tuteur ou un curateur à la personne et un ou des tuteurs ou curateurs aux biens (art. 187 et 266 C.c.Q.)[23].
[25] Dans les cas de divisions, ce sont les curateurs ou tuteurs à la personne qui peuvent agir en justice quant aux litiges impliquant les biens de la personne protégée (art. 188 C.c.Q.)[24].
[26]
Une curatelle est ouverte si l’inaptitude du majeur à prendre soin de
lui-même et à administrer ses biens est totale et permanente (art.
[27]
Ainsi, le majeur est restreint dans sa capacité de faire des donations.
Il ne pourra donner que des biens ou des cadeaux de peu de valeur (art.
[28]
Le Curateur a la pleine administration des biens du majeur (art.
[29]
Le Curateur public n’a toutefois que la simple administration des biens
du majeur (art. 262,
[30]
Le Curateur a la garde et l’entretien du majeur et il lui assure le
bien-être moral et matériel (art.
Le Curateur public
[31]
Le Curateur public n’exerce la curatelle ou la tutelle que s’il est
nommé par le Tribunal ou en cas de vacance de la charge de curateur ou de
tuteur (art.
[32] Dans G. (U.) c. G. C. (F.)[26], la Cour d’appel précise le rôle supplétif du Curateur public comme suit :
« En principe, les régimes de protection doivent être administrés par les familles concernées. Le Curateur public n’intervient que lorsque le cadre familial ne parvient pas à organiser et à gérer le régime de protection, de façon à sauvegarder les intérêts de < l’incapable > »
Ainsi, le Curateur public ne peut être nommé curateur aux biens que si personne d’autre ne peut exercer cette fonction[27].
[33]
Le Curateur public a la simple administration des biens du majeur (art. 262,
Fin du régime de protection
[34]
Le régime de protection prendra fin suite à un jugement de mainlevée ou
au décès du majeur protégé (art.
[35] Considérant la mainlevée, le Tribunal doit accorder plus d’importance aux évaluations médicales et psychosociales qu’aux craintes des membres de la famille[28].
Les auteurs
[36] Dans leur ouvrage «Le droit des personnes physiques», les auteurs Édith DELEURY et Dominique GOUBAU, les Éditions Yvon Blais, 4e édition, 2008, soulignent :
La protection dans le respect de la personne
664 - Le principe. D’entrée de jeu, le
législateur affirme que la personne est au centre de ses préoccupations. Il
édicte, en partant, que «les régimes de protection du majeur sont établis dans
son intérêt» et que «l’incapacité qui en résulte est établie en sa faveur
seulement» (art.
668 - Le
bien-être moral et matériel du majeur. Le curateur et le tuteur, qui ont la responsabilité
de la garde et de l’entretien du majeur protégé, doivent s’assurer de son
bien-être non seulement matériel, mais moral (art.
Tout comme pour le bien-être matériel, l’exécution du devoir d’assurer
le bien-être moral dépend de la condition du majeur, de ses besoins, de ses
facultés et des autres circonstances dans lesquelles il se trouve (art.
III- Les faits
[37] La pièce R-2 du requérant résume l’ensemble des témoignages des témoins du Curateur public :
- Antécédents psychosociaux significatifs
Les antécédents psychosociaux de Monsieur M... sont difficiles à obtenir compte tenu du fait que Monsieur est pauvre historien et présente un discours ponctué de beaucoup d’incohérences. Monsieur serait né à Montréal. Il aurait complété une 5e année. Il aurait travaillé comme garçon de table durant quelques années et aurait été prestataire de l’aide sociale depuis nombre d’années. Monsieur a vécu 6 ans à la maison de chambres Clerc. Il est connu du milieu de l’itinérance particulièrement de la Maison A.
- Relations interpersonnelles
Composition du réseau familial et social
Les informations concernant le réseau familial de Monsieur sont difficiles à obtenir compte tenu du discours plus ou moins cohérent du majeur. Monsieur aurait deux frères et deux sœurs (V..., L..., B... et A...). Monsieur n’aurait pas eu de contact avec eux depuis une quarantaine d’années. Monsieur mentionne qu’ils seraient selon lui décédés. Monsieur est visité à chaque semaine par Frère J... S... de la Maison A. Monsieur était également connu depuis plusieurs années d’un intervenant communautaire : Monsieur Benoit Miro.
Dynamique familiale et sociale actuelle
Depuis qu’il a été admis au centre d’hébergement de Saint-Laurent, Monsieur M... n’a pour seul réseau social que Frère J... S... intervenant à la Maison A. Il visite Monsieur M... à toutes les semaines et administre ses prestations d’aide sociale via la fiducie de la Maison A. Il voit à procurer à tous les mois les cigarettes de Monsieur M... et est quelqu’un de très significatif pour lui. Il le connait depuis plusieurs années. Il est actuellement son seul réseau social.
Exercice actuel des rôles sociaux
Le majeur n’est plus en mesure d’exercer ses rôles sociaux. Ses finances sont actuellement gérées via la fiducie de la Maison A. Monsieur présente des troubles de santé mentale de longue date qui entravent sa capacité à assumer ses rôles sociaux. Monsieur minimise ses incapacités et nie la présence de troubles de santé mentale.
Capacité actuelle de la personne à exprimer ses volontés
Il s’agit ici de la capacité actuelle du majeur à exprimer ses volontés en égard à des obstacles de nature émotionnelle. Il est ressorti clairement que le majeur est en mesure d’exprimer sans contrainte des volontés et opinions. Les contraintes sont davantage liées à la présence de troubles de santé mentale faisant en sorte que le majeur présente un discours décousu et délirant.
(…)
- Opinion de la personne quant à l’ouverture d’un régime de protection
Monsieur M... s’oppose à l’ouverture d’un régime de protection. Il ne reconnaît pas ses incapacités et y voit une atteinte à ses droits.
- Conclusion de l’évaluateur sur l’inaptitude et le besoin de protection
Appréciation de l’inaptitude (incluant obligatoirement le degré d’inaptitude)
Monsieur M... présente une inaptitude totale et permanente à assurer la protection de sa personne et à exercer ses droits civils et une inaptitude totale et permanente à assurer l’administration de ses biens. Monsieur M... nie souffrir de troubles de santé mentale. Il présente un discours décousu et incohérent. Il se dit tantôt avocat tantôt col blanc ou col bleu. Il se dit Chevalier de Colomb. Monsieur nie ses incapacités physiques et surestime ses capacités faisant en sorte qu’il ne voit pas la nécessité de l’hébergement. Monsieur est incapable de voir à administrer ses biens. Il ne connait pas ses revenus et est mauvais administrateur.
Besoin d’un régime de protection
Monsieur M... est totalement isolé et présente une inaptitude totale et permanente à administrer ses biens et à prendre des décisions en regard de sa personne et de l’exercice de ses droits civils. Monsieur M... présente un lourd bilan médical ainsi que des troubles de santé mentale de longue date qu’il nie. Monsieur M... présente un discours décousu et incohérent. Il n’est pas en mesure de prendre des décisions sensées et éclairées en regard de ses soins ou de sa personne. Monsieur M... a été admis au centre d’hébergement de Saint-Laurent en unité spécifique de type deux le 13 décembre 2011. Monsieur M... remet en question de façon récurrente la nécessité d’être hébergé et les traitements médicaux qu’il reçoit. Monsieur minimise sa perte d’autonomie et cherche continuellement à faire ajuster sa médication particulièrement ses doses de narcotiques à la hausse. Monsieur est à risque de mettre sa sécurité et son intégrité en péril en prenant de mauvaises décisions pour lui-même. Monsieur est totalement inapte en regard de l’administration de ses biens. Ses finances sont actuellement gérées via la fiducie de la Maison A. Monsieur est incapable de gérer son budget. Il reçoit une allocation quotidienne et ses cigarettes sont gérées par le centre d’hébergement compte tenu qu’il est incapable de les portionner pour en avoir suffisamment pour le mois et compte tenu du risque de feu. Compte tenu de l’inaptitude de Monsieur et de l’isolement, nous recommandons l’ouverture d’un régime de protection public.
Il est fort probable qu’une ordonnance d’hébergement et de traitement ait à être demandée compte tenu que Monsieur remet en question son hébergement et ses soins. Monsieur a émis le souhait de retourner vivre à domicile en appartement alors que ce projet ne tient pas compte de ses besoins en terme de soins et d’encadrement. Monsieur aura alors besoin d’être représenté. Monsieur est de plus en désaccord avec les démarches d’ouverture de régime de protection.
(R-2, rapport du directeur-général du requérant, 22 mai 2012)
Docteur Abdelkader Bouallègue
[38] Médecin spécialisé en médecine familiale et clinicien en gériatrie et psychiatrie, le témoin est le médecin de l’intimé au Centre hospitalier St-Laurent où vit M. M.... Ce centre comprend une unité spécialisée mise sur pied en décembre 2011 où 29 patients ayant des problèmes de santé semblables à ceux de l’intimé sont hébergés.
[39] Le médecin dépose sous R-10 les caractéristiques de la clientèle de cette unité spécifique du Centre hospitalier. L’intimé y a été admis dès son ouverture en décembre 2011. Cette unité dira le témoin est «le bout de la route».
[40] Le témoin décrit la condition médicale de l’intimé. Il confirme le diagnostic de schizophrénie paranoïde qui entraîne une détérioration générale de ses problèmes de santé (diabète, ACV, hypertension, tabagisme actif, etc.).
[41] Le médecin a établi une bonne relation avec son patient et celui-ci l’apprécie. M. M... se croit autonome alors qu’il est au contraire en perte d’autonomie de plus en plus prononcée.
[42] Il tient des propos délirants et entretient une correspondance abondante et sans véritable sens. Il se croit officier de l’armée et communique régulièrement avec les forces armées pour donner son avis. Il appelle fréquemment le 911 sans motif. Il souffre indubitablement de troubles de jugement.
[43] Il a un comportement à risque puisque diabétique et ne suit pas sa diète. Il refuse d’arrêter de fumer.
[44] Il tarde à donner des réponses rapides aux demandes de soins et de consultations. Il faut le convaincre à chaque fois, mais il accepte à la longue.
[45] Le médecin, qui voit son patient à chaque jour, au gré de sa présence quotidienne au Centre hospitalier souligne «qu’il est stable dans son instabilité» depuis janvier 2012.
[46] Il passe ses nuits debout à travailler à sa correspondance sans queue ni tête.
[47] Le médecin conclut : «je souhaite être autorisé à administrer des soins comme son psychiatre le demande instamment».
Madame Mélanie Blondin
[48] Travailleuse sociale, le témoin travaille au Centre d’hébergement St-Laurent depuis 2000 et à l’unité où demeure l’intimé depuis son ouverture en décembre 2011.
[49] L’intimé est hospitalisé à l’Hôpital St-Mary en janvier 2012 et la travailleuse sociale de l’hôpital suggère l’ouverture d’un régime de protection. Les démarches sont entreprises en ce sens en mai 2013.
[50] Le témoin considère que M. M... est inapte totalement tant pour s’occuper de sa personne que de ses biens. Il n’a aucun proche outre le frère S....
[51] L’intimé écrit à tout le monde. Comme les adresses sont mal libellées, le courrier revient. Le contenu de ses écrits est incohérent. La base des forces armées de St-Hubert appelle le centre pour dire que Monsieur appelle souvent. Même chose pour le service du 911 auprès duquel Monsieur affirme détenir des informations graves. Il porte plainte à la commissaire aux plaintes de l’établissement qui ne comprend pas la nature des plaintes.
[52] Monsieur doit être encadré pour ses soins d’hygiène et de santé.
[53] Il reçoit 186 $ par mois d’aide sociale, somme gérée par la fiducie de la Maison A. L’argent lui est remis sous forme de per diem (4 $).
[54] M. M... est de santé précaire. Il est diabétique et ne suit pas toujours sa diète. Il a des problèmes pulmonaires et il fume. «On le laisse libre» dira le témoin.
[55] Il a demandé un avocat pour la cause et le témoin s’est chargée d’en trouver un.
[56] L’intimé doit être encadré pour tout et il ne peut gérer un budget. S’il y avait un curateur, on pourrait voir à ses dépenses (lunettes, dentiste, etc.). Ce serait plus facile et plus cohérent pour le Centre d’hébergement. Monsieur vieillit et il aura des démarches à faire lorsqu’il aura 65 ans.
[57] Le témoin doit reconnaître qu’autre ses cigarettes, Monsieur n’a aucune dépense et qu’il n’est certes pas exploité par la Maison A, mais il est vulnérable.
Madame Chantal de Léseleuc
[58] Travailleuse sociale, le témoin est curatrice déléguée du Curateur public.
[59] Elle affirme que l’intimé est inapte, isolé et qu’il a besoin de protection de façon permanente et irréversible.
[60] La curatelle rendrait les démarches plus légales. Le frère S... voit les choses d’un œil différent. On le respecte. Il n’est pas dans la politique du Curateur public de nommer un intervenant curateur. Donc, le frère S... ne pourrait être nommé.
[61] Le statu quo ne serait pas la solution idéale. Il serait plus facile pour les intervenants de gérer l’argent de Monsieur. L’administration du Curateur public se fait en toute transparence.
Monsieur J... S...
[62] Le témoin souhaite être entendu hors la présence de l’intimé, ce que ce dernier accepte.
[63] Intervenant social et conseiller à la Maison A, le témoin est membre de la communauté des Trinitaires. Son témoignage, bien que livré sobrement, n’en est pas moins émouvant.
[64] Il connaît M. M... depuis plusieurs années qui a demandé l’aide des intervenants de la Maison A comme la plupart des bénéficiaires suite à des problèmes de santé mentale, itinérance, abus de médicaments, drogue, jeux et alcool.
[65] M. M... voulait «être administré». La Maison A offre les services d’une fiducie volontaire qui administre l’argent des bénéficiaires et les aide à garder leur dignité. On peut mettre fin à cette fiducie quand on veut. Celle de l’intimé est en place depuis de nombreuses années.
[66] M. S... administre ainsi une cinquantaine de fiducies volontaires.
[67] Il administre le budget de M. M... qui reçoit 186 $ par mois d’aide sociale. Il n’a aucun autre bien. M. S... voit Monsieur tous les vendredis pour «jaser» avec lui et remettre l’argent au personnel. Il lui apporte des cigarettes et de la papeterie pour lui permettre d’écrire. Il écrit beaucoup.
[68] Le témoin décrit son travail auprès de M. M... comme de l’accompagnement/écoute.
[69] Le témoin rapporte que M. M... ne veut pas de curateur puisqu’il a déjà les services de la Maison A. Le témoin lui explique la partie médicale de la requête.
[70] Le témoin explique qu’il y a une partie très consciente chez l’intimé qui lui permet une capacité de choix. «Il y a aussi une partie de délire qui ne m’appartient pas. J’écoute, je ne juge pas ses délires. Je l’accompagne depuis des années au centre hospitalier, au centre de réadaptation et dans tous les besoins quotidiens où je peux intervenir».
[71] Le témoin rappelle qu’on est dans un contexte de santé mentale : «il y a bien pire que lui». Il ajoute qu’on pourrait à la rigueur nommer un curateur à la personne mais cela ne changerait rien à la réalité des choses.
[72] Le témoin ajoute sa tristesse de voir la démarche du Curateur public : «ils en ont trop mis, ça l’affecte; il ne faut pas s’opposer à lui, il faut convaincre doucement».
[73] Ce qu’il écrit ne me regarde pas dit le témoin qui ne s’attarde qu’à lui procurer de quoi écrire. C’est l’acceptation totale de la personne comme elle est.
[74] Si la curatelle est prononcée, il ne pourra plus continuer de s’occuper de M. M... puisque selon les règles de la Maison A, il faut accepter une fiducie volontaire pour avoir droit à des services. Les démarches sont nombreuses.
Monsieur R... M...
[75] D’entrée de jeu, l’intimé déclare : «je suis fier d’être devant vous, mais je me sens dépourvu. J’assiste à ma démolition, à la fin de mon amour-propre. J’ai 63 ans, je suis encore vivant, je me suis toujours débrouillé, je n’ai pas besoin d’administrateur. Je suis célibataire et orphelin. J’assume».
[76] Il ajoutera : «le frère S... est mon ami, il m’enlève un fardeau. C’est mon confident, mon padre, mon ami; on fume ensemble. C’est l’aumônier de ma semaine d’écriture. Il m’apporte ma papeterie, un café, une barre de chocolat et des cigarettes. C’est ça l’amour-propre».
[77] M. M... précise qu’il sait qu’il a le diabète mais que des fois il s’échappe et va chercher du chocolat à la distributrice. Il n’est pas schizophrène pour autant. «Le docteur Bouallègue est un bon docteur et une bonne personne, mais je ne suis pas d’accord avec lui. J’ai ma chambre, j’ai ma vie, c’est confidentiel. Je comprends mon écriture … ».
IV- Discussion
[78] Rappelons à grands traits les préceptes de la loi, de la jurisprudence et des auteurs :
¬ le régime de protection vise l’intérêt du majeur, le respect de ses droits et la sauvegarde de son patrimoine;
¬ le besoin de protection est une condition essentielle à l’ouverture d’un régime de protection;
¬ les pouvoirs du Tribunal sont étendus et il doit faire preuve de créativité dans le façonnement des ordonnances;
¬ le Curateur public exerce la tutelle ou curatelle qu’en cas de vacance de la charge;
¬ la personne humaine doit demeurer au centre des préoccupations du Tribunal;
¬ le tuteur ou le curateur doit s’assurer non seulement du bien-être matériel du majeur protégé, mais encore de son bien-être moral.
[79] Il ne fait pas de doute que tout le monde est de bonne foi. Le médecin est un bon médecin nous dira M. M... et Madame Blondin fait un bon travail tout comme les représentants du Curateur public.
[80] Mais que demande-t-on exactement? De rendre la vie un peu plus facile aux intervenants et de pouvoir prendre des décisions médicales à la place des intimés. Ce sont des demandes louables mais elles participent d’une demande d’ordonnance d’hébergement et de traitement dont il est déjà fait mention aux pièces produites par le requérant.
[81] Nommer le requérant curateur à la personne ne changera pas M. M.... Il faudra encore négocier avec lui ses traitements médicaux et le convaincre de leur bien-fondé tout comme de sa présence en Centre d’hébergement.
[82] Si la tâche devenait impossible, il restera l’ordonnance de traitement et d’hébergement.
[83] Le Tribunal doit dire qu’il a été très impressionné et ému du témoignage de l’intervenant J... S.... Évidemment, il n’est pas avec M. M... toute la journée comme les intervenants du Centre d’hébergement, mais son acceptation inconditionnelle des personnes brisées par la vie participe d’un point de vue différent de celui du requérant.
[84] Que fait en somme l’intervenant de la Maison A? Il vient visiter M. M... quelques heures par semaine, lui apporte un café, des cigarettes, une tablette de chocolat et du papier pour écrire. Il l’écoute surtout. Un peu de bonheur et de sens à la vie. Il administre aussi ses 186 $ par mois.
[85] Nommer le Curateur public curateur aux biens signifie la fin de l’intervention de M. S.... La mesure serait plus néfaste que profitable. Elle serait peut-être cruelle. C’est sa seule famille.
[86] Le requérant souligne que la curatelle à la personne n’aurait aucun sens sans la curatelle aux biens. Le Tribunal partage cet avis. Il ne saurait accorder une curatelle aux biens dans les circonstances du présent dossier. Il n’y aura donc pas de curatelle à la personne non plus.
[87] Le travail du Curateur public est exigeant et rejeter sa requête n’est pas un blâme de son travail. En l’instance, l’intérêt de M. M... ne passe pas par l’ouverture d’un régime de protection.
[88] Laissons le personnel du Centre d’hébergement poursuivre son travail admirable et laissons la Maison A continuer d’accompagner les personnes les plus vulnérables de la société. Le travail des intervenants de cette dernière participe d’une mission et d’une foi qui nous dépassent. Le sens qu’ils donnent à la vie des personnes dont ils s’occupent ne trouve aucun équivalent au Code civil.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
[89] REJETTE la requête en ouverture de protection à un majeur;
[90] LE TOUT, sans frais.
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__________________________________ ANDRÉ DENIS, J.C.S. |
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Me Françoise Roux |
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Filion et Associés |
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Pour le requérant |
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Me Cathrine Lauzon |
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Aide
Juridique de Montréal |
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Pour le majeur intimé |
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Date d’audience : |
20 septembre 2013 |
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[1] L.Q. 1989, c. 54.
[2]
F. (P.) c. B. (J.),
[3]
Maison R. c. F. (R.),
[4]
Côté et X,
[5]
Québec (Curateur public) c. P.-L. (R.),
[6]
G.B. c. R.T.,
[7] Droit
de la famille - 1805,
[8] M.-W.
(J.) c. C.-W. (S.),
[9] M.-W.
(J.) c. C.-W. (S.),
[10]
Québec (Curateur public) c. A.H.,
[11]
Québec (Curateur public) c. A,
[12]
Québec (Curateur public) et M.B.,
[13] L.R.Q. c. C-12.
[14]
L.H. c. Québec (Curateur public),
[15]
G. (U.) c. G. (A .), C.S. Montréal, no 500-14-001003-912, 15
décembre 1992, j. Bélanger (appel rejeté,
[16]
C.D. c. Québec (Curateur public),
[17]
L. (G.) c. R.-L. (R.),
[18]
O. (G.) c. V. (L.),
[19]
R.P. et D.P.,
[20]
Québec (Curateur public) c. L. (P.),
[21]
Québec (Curateur public) c. B.M.,
[22] [2000] R.J.Q. 45 (C.A.).
[23]
C.C. c. M.C.,
[24] Id.
[25]
L. (M.) c. K.(I.),
[26]
[27]
Québec (Curateur public) c. C.G.,
[28]
Québec (Curateur public) et A.T.,
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