[1]
L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 15 septembre 2010
par la Cour du Québec, district de Montréal (l’honorable Brigitte Gouin), qui a
accueilli la Requête des défendeurs en rejet de la requête introductive
d'instance en vertu de l'article
[2] Pour les motifs du juge Vézina, auxquels souscrivent les juges Dufresne et Kasirer.
LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel, avec dépens;
[4] CASSE le jugement attaqué;
[5] REJETTE la « requête des défendeurs en rejet de la requête introductive d’instance » avec dépens.
[6] RENVOIE le dossier en première instance pour que l’action y suive son cours.
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MOTIFS DU JUGE VÉZINA |
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[7] La juge de première instance (la Juge) a-t-elle eu raison de rejeter sommairement l’action de l’appelante Cartier? Voilà la question à trancher, comme l’a écrit notre collègue en autorisant l’appel[1] :
[3] La requête soulève en
effet une question de principe : la juge de première instance a-t-elle
statué de façon prématurée en rejetant l'action en vertu des articles
[8] En 2004, les intimés Dalla Riva signent une promesse d’achat d’un condo d’une valeur de 450 000 $[2] que Cartier s’engage à construire. La vente a lieu en septembre 2008.
[9] Quelques jours après la vente, les Dalla Riva reçoivent un compte détaillé d’une autre société, Brumenic inc., pour les travaux additionnels exécutés lors de la construction du condo, des « extras », au montant de 37 000 $.
[10] Ils paient 10 000 $. Et en décembre Brumenic leur envoie un état de compte qui constate le paiement reçu, alloue un crédit de 2 500 $ et établit le solde dû à 24 500 $.
[11] L’année suivante, en juin 2009, Brumenic fait faillite.
[12] Encore une année plus tard, en juillet 2010, Cartier intente son action contre les Dalla Riva et leur réclame le solde de 24 500 $ pour les mêmes extras déjà réclamés par Brumenic.
[13] Sur réception de l’action, les Dalla Riva répliquent par une demande de rejet immédiat, fondée sur les nouveaux articles du Code de procédure civile, 54.1 et suivants, formant la section Du pouvoir de sanctionner les abus de procédure[3].
[14] Ils allèguent que Cartier réclame, de façon abusive, une créance qui n’est pas la sienne, mais celle de Brumenic :
9. La compagnie Brumenic inc. facturait directement les défendeurs pour les divers travaux supplémentaires et matériaux chargés en sus du montant convenu dans l’acte de vente [avec Cartier];
[…]
16. [Cartier] est de mauvaise foi et utilise les tribunaux de façon abusive et déraisonnable en tentant de se faire payer, sans droit, pour une créance appartenant à Brumenic inc.;
[…]
18. [Cartier] exerce donc sans droit un recours qui appartiendrait exclusivement au syndic de la compagnie faillie Brumenic inc.;
[15] Ils allèguent encore, ce qui est exact, que Brumenic et Cartier sont deux sociétés liées, dirigées par la même personne. Et ils déposent l’Avis de cession de Brumenic où le solde de la créance réclamée antérieurement aux Dalla Riva n’est pas mentionné.
[16] À l’audience, la Juge, sur la foi des observations des avocats et de certains documents au dossier, sans entendre de témoins, accepte comme avérée l’affirmation des Dalla Riva que la créance pour les extras appartient à Brumenic et non à Cartier :
[19] Le Tribunal, en fonction de la preuve prépondérante, soit les factures P-1 et R-6, Avis de faillite R-7, ne peut qu'être en accord avec la version des faits des défendeurs.
[…]
[31] Donc, si cette créance existe, seul le Syndic en est propriétaire et ceci, à la lecture même de la facturation originale émanant de Brumenic Inc. (Pièces R-4 et R-6).
[17] À partir de cette prémisse, elle déduit en toute logique que :
- la créance appartient au Syndic à l’actif de Brumenic, faillie;
- que Brumenic « de mauvaise foi », a omis de la déclarer à son Syndic;
- que Cartier exerce un droit du Syndic;
- que Cartier est de mauvaise foi;
- que même l’avocat de cette dernière a « tenté d’induire le tribunal en erreur en affirmant que la créance totale était la propriété de Cartier alors que cette déclaration n’était pas exacte. »
[18] Et elle conclut au rejet immédiat de l’action en vertu de l’article 54.3 C.p.c.[4] De plus, elle sanctionne l’abus (art. 54.4) par deux condamnations punitives :
[41] À cet égard, le Tribunal accorde [aux Dalla Riva] le remboursement des honoraires extrajudiciaires au montant de 845,12 $.
[42] De surcroît, étant donné la conduite abusive, illicite et intentionnelle de Cartier, les [Dalla Riva] sont en droit de demander une somme de 1 000 $ à titre de dommages punitifs.
[19] Il y a lieu d’analyser d’abord les nouvelles dispositions de procédure, qui donnent aux juges « le pouvoir de sanctionner les abus » pour ensuite examiner les motifs du jugement et voir si la Juge a exercé ce pouvoir à bon escient.
[20] Les nouvelles dispositions poursuivent deux objectifs qui n’y sont pas nettement scindés, soit de prévenir les poursuites-bâillons, d’une part, et de sanctionner les abus de procédure, d’autre part.
[21] Qu’est-ce qu’une poursuite-bâillon? désignée en anglais par l’acronyme SLAPP pour Strategic lawsuit against public participation[5] :
[…] la notion de poursuite stratégique, ou poursuite-bâillon, présente des caractéristiques plus générales. Il s’agit, pour l’essentiel, 1) de poursuites judiciaires 2) entreprises contre des organisations ou des individus 3) engagés dans l’espace public dans le cadre de débats mettant en cause des enjeux collectifs, 4) et visant à limiter l’étendue de la liberté d’expression de ces organisations ou individus et à neutraliser leur action 5) par le recours aux tribunaux pour les intimider, les appauvrir et les détourner de leur action.
[22] Quant « aux abus de procédure », l’article 54.1 nous en fournit une bonne image :
54.1 […] L’abus peut résulter d’une demande en justice ou d’un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics. |
54.1 […] The procedural impropriety may consist in a claim or pleading that is clearly unfounded, frivolous or dilatory or in conduct that is vexatious or quarrelsome. It may also consist in bad faith, in a use of procedure that is excessive or unreasonable or causes prejudice to another person, or in an attempt to defeat the ends of justice, in particular if it restricts freedom of expression in public debate.
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[23] Notons que la dernière partie de cette description renvoie aux poursuites-bâillons qui, bien sûr, constituent elles-mêmes des abus de procédure.
[24] Le double objectif de la loi est bien expliqué dans son préambule :
Cette loi modifie le Code de procédure civile en vue de favoriser le respect de la liberté d’expression et de prévenir l’utilisation abusive des tribunaux qui pourrait être faite au moyen de procédures, notamment pour limiter le droit des citoyens de participer à des débats publics. À cette fin, cette loi prévoit des dispositions permettant notamment de prononcer rapidement l’irrecevabilité de toute procédure abusive. Elle prévoit ce qui peut constituer une procédure abusive et autorise, lorsque l’abus est sommairement établi, le renversement du fardeau de la preuve. En outre, elle permet aux tribunaux notamment d’ordonner le versement d’une provision pour frais, de déclarer la poursuite abusive, de condamner une partie au paiement des honoraires et débours extrajudiciaires de l’autre partie, ainsi qu’au paiement de dommages-intérêts punitifs. |
This Act amends the Code of Civil Procedure to promote freedom of expression and prevent improper use of the courts and the abuse of procedure, in particular if it thwarts the right of citizens to participate in public debate. For that purpose, the Act allows the courts to promptly dismiss a proceeding that is improper. It specifies what may constitute an improper use of procedure and authorizes the reversal of the burden of proof if the improper use of procedure is summarily established. The Act also allows the courts to order the payment of a provision for costs, declare that a legal action is improper, condemn a party to pay the fees and extrajudicial costs of the other party, and order a party to pay punitive damages. |
[25] Et aussi dans les considérants du projet de loi, qui mettent toutefois l’accent sur le premier objectif, celui de la répression des poursuites-bâillons :
CONSIDÉRANT l’importance de favoriser le respect de la liberté d’expression consacrée dans la Charte des droits et libertés de la personne; CONSIDÉRANT l’importance de prévenir l’utilisation abusive des tribunaux, notamment pour empêcher qu’ils ne soient utilisés pour limiter le droit des citoyens de participer à des débats publics; CONSIDÉRANT l’importance de favoriser l’accès à la justice pour tous les citoyens et de veiller à favoriser un meilleur équilibre dans les forces économiques des parties à une action en justice; |
AS it is important to promote freedom of expression affirmed in the Charter of human rights and freedoms; AS it is important to prevent improper use of the courts and discourage judicial proceeding designed to thwart the right of citizens to participate in public debate; AS it is important to promote access to justice for all citizens and to strike a fairer balance between the financial strength of the parties to a legal action; |
[26] Cette insistance sur la répression des poursuites-bâillons n’a rien de surprenant si on se rappelle que c’est cette forme d’abus qui a amené le législateur à réagir. On a vu maintes fois, ici et ailleurs, des histoires qui se déroulent à peu près comme ceci.
[27] Un conseiller municipal de banlieue, qui gagne bien sa vie et y élève sa petite famille, est un jour confronté à une grande entreprise qui veut ériger un mégasite d’enfouissement de déchets. L’examen du projet le convainc qu’il comporte un risque élevé pour l’environnement. Assumant sa responsabilité d’élu, il fait campagne pour convaincre ses concitoyens d’exiger un référendum et de voter contre la modification requise de zonage. L’entreprise, qui craint cette mobilisation publique, cherche à l’arrêter.
[28] Peut-être notre conseiller s’enflamme-t-il dans son discours pour alerter l’opinion publique? Peut-être use-t-il de qualificatifs qui dépassent sa pensée? Peut-être reprend-il à son compte sans vérification quelque reproche diffusé sur un blogue? Toujours est-il que l’entreprise tire prétexte d’un quelconque propos et le poursuit en justice pour diffamation et lui réclame des millions de dollars en dommages-intérêts.
[29] C’est la catastrophe, sa sécurité et celle de sa famille sont menacées. Il n’a pas les moyens de payer un avocat pour s’engager dans un pareil procès où l’entreprise paraît décidée à avoir sa peau. La possibilité, même minime, d’une condamnation a de quoi faire paniquer autant le conseiller que sa conjointe.
[30] On peut facilement comprendre que celui-ci sera fort enclin à cesser toute intervention publique contre le projet. Encore plus si on lui fait subtilement comprendre que son silence lui vaudra, mais un peu plus tard, un règlement à l’amiable, sans frais.
[31] Ceux et celles qui étaient disposés à le suivre et qui deviennent témoins de ce drame judiciaire préfèreront sans doute la sécurité de l’anonymat.
[32] Et voilà les opposants bâillonnés, la mobilisation citoyenne réduite à néant, un obstacle à la modification de zonage disparu.
[33] Il y a fort à parier que le jour où l’action prendra fin, peut-être par un jugement sur le fond, probablement par un règlement à l’amiable, il sera trop tard pour bloquer le projet. La stratégie abusive de l’entreprise aura réussi.
[34] Comment contrer un pareil abus du système judiciaire sans dénier le droit fondamental de quiconque d’y avoir accès?
[35] La solution du législateur a été de créer une procédure d’intervention du tribunal qui comporte trois aspects innovateurs :
- l’intervention est possible « à tout moment », donc dès le début d’un procès, aussitôt l’action signifiée (art. 54.1);
- le poursuivi n’a qu’à établir « sommairement » que l’action « peut constituer un abus » pour obliger alors le poursuivant « à démontrer que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit » (art. 54.2);
- le tribunal peut intervenir, bien sûr si c’est un cas patent d’abus, mais encore, si tout simplement « il paraît y avoir abus » (art. 54.3).
[36] Le tribunal dispose alors de plusieurs moyens, il pourra suivre de près le déroulement de la procédure ou hâter la tenue de l’instruction de l’affaire ou réduire le montant réclamé ou même obliger le poursuivant à « verser une provision pour frais » au poursuivi pour qu’il puisse se défendre.
[37] L’utilité et la nécessité des nouvelles dispositions se comprennent bien pour contrer efficacement les poursuites-bâillons. Elles sont un peu moins évidentes en rapport avec le second objectif de la nouvelle loi, celui de contrer de manière générale les abus de procédure de toutes autres sortes.
[38] Si une intervention rapide du tribunal est essentielle dans un cas de poursuite-bâillon, elle n’est tout de même pas aussi nécessaire, bien qu’utile, dans les cas où une action paraît « manifestement mal fondée » - une norme exigeante -, frivole ou dilatoire.
[39] Ni la liberté d’expression ni le débat démocratique ne sont en jeu. Certes, il est toujours désagréable d’être poursuivi et d’avoir à se défendre, mais le poids de ces inconvénients n’est rien comparé à la chape de plomb résultant du bâillon.
[40] Dans le cas d’une banale action sur compte, comme la présente, où à première vue la somme réclamée n’a rien d’exorbitant ni la procédure, rien hors du commun, la prudence s’impose avant de conclure à abus. Le désagrément d’une réclamation de moins de 25 000 $ n’est pas si considérable qu’il faille court-circuiter le processus ordinaire.
[41] Et ce d’autant plus que le tribunal peut intervenir « s’il paraît y avoir abus ». Dans notre action pour compte, la Juge pouvait envisager de hâter le déroulement de l’instance, fixer l’instruction de l’affaire en priorité ou suspendre l’examen de la requête pour permettre l’interrogatoire du président de Cartier ou du Syndic, etc.
[42] Les nouvelles dispositions, qui multiplient les moyens d’intervention durant le déroulement du procès s’il paraît y avoir abus, et qui prévoient de sérieuses sanctions en dommages-intérêts à la fin si l’abus est prouvé, invitent à la modération avant de dénier le droit d’ester en justice.
[43] On nous a fait remarquer, avec justesse, que le législateur n’a pas repris dans le nouveau chapitre l’exigence de s’en tenir aux faits allégués comme dans l’article 165(4) :
165. Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet:
[…]
4. Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais.
[44] De ce fait, il y a plus de souplesse et de discrétion dans les nouveaux articles. Ce qui, à mon avis, ne simplifie pas la tâche du juge mais l’oblige à plus de circonspection et de doigté.
[45] Dans notre cas, la Juge pouvait tenir compte des pièces produites à l’audience sans objection, de part et d’autre, et même des allégations de la requête en rejet, encore qu’elle aurait dû être appuyée d’un serment, ce qui aurait permis l’interrogatoire du déclarant avant l’audience[6].
[46] L’obligation faite au juge d’intervenir s’il y a abus n’a pas pour conséquence de le contraindre à trancher l’affaire sommairement, dès qu’on le lui demande. Si la preuve s’annonce complexe ou contradictoire, les règles ordinaires continuent de s’appliquer et les justiciables ont droit à une décision en pleine connaissance de cause.
[47] Il se peut que la prétention des Dalla Riva soit exacte et que Cartier ne soit pas la créancière du solde des extras réclamé. Mais la Juge pouvait-elle trancher sans tenir d’instruction sur le fond en se fondant sur les documents des parties et ceux de la faillite de Brumenic?
[48] En ce début de procès les documents révèlent des contradictions.
[49] Certes les Dalla Riva produisent le compte et l’état de compte que Brumenic leur a adressés et pour lesquels ils ont payé 10 000 $, documents à l’appui de leur position que Brumenic est bien leur créancière.
[50] Mais, à l’encontre, il y en a d’autres qui portent à croire que la créancière est plutôt Cartier.
[51] Comme toute action sur compte, la présente est fondée sur un contrat. Or, tous les documents contractuels produits au dossier sont entre les Dalla Riva et Cartier et non entre eux et Brumenic.
[52] En commençant par la promesse d’achat de 2004 où Cartier s’engage à construire le condo :
15. CONSTRUCTION
The Vendor undertakes to complete the Unit according to the norms and standards of the industry and the plans and specifications remitted to the Purchaser with this Promise.
[53] On y traite des extras éventuels :
17. PURCHASER’S SELECTION
The Vendor shall provide to the Purchaser certain standard options relating to the decoration of the Unit such as carpet or tiles, hardwood flooring, etc. to be installed. The Purchaser agrees to notify the Vendor of his selection of options in the reasonable delays given by the Vendor failing which the Vendor, at its option, may install the option of its choice. […] All extras, changes or options requested by the Purchaser shall be paid and signed for by him at the time of making the request. These charges shall not be refundable and shall be executed on the Vendor’s form.
[54] L’acte de vente est signé en 2008 entre les Dalla Riva et Cartier, qui leur livre le condo incluant les extras que Brumenic leur facturera quelques jours plus tard.
[55] Entre la promesse d’achat de 2004 et la vente de 2008, on retrouve plusieurs « ordre de changements » consignés par écrit et confirmés par Cartier aux Dalla Riva. Nulle mention n’y est faite de Brumenic.
[56] Quant au chèque de 10 000 $ des Dalla Riva, en paiement du compte de Brumenic pour les extras, il est à l’ordre de Cartier et non de Brumenic.
[57] Voilà autant de documents qui appuient sérieusement la position de Cartier, à savoir que c’est bien elle la cocontractante des Dalla Riva, qu’ils lui ont commandé à elle les extras et qu’elle peut donc leur en réclamer le coût.
[58] La Juge fonde aussi son opinion sur un autre document, soit une lettre du Syndic à l’actif de Brumenic qui confirme à l’avocat des Dalla Riva (that [he] is not aware of any trade accounts receivable due to [Brumenic].
[59] Le signataire de la lettre n’a pas témoigné. Aucune explication n’a pu lui être demandée. Et en outre, ce Syndic ne s’est pas manifesté depuis lors pour prétendre à quelque droit concernant la facture des extras.
[60] Il se peut, comme la Juge le déduit, que Brumenic, « de mauvaise foi », a omis de déclarer sa créance au Syndic. Mais il y a une explication toute simple qui est aussi possible, c’est qu’elle ne détenait pas de créance contre les Dalla Riva. Il est possible que Brumenic ait exécuté les travaux en sous-traitance, en vertu d’un contrat entre elle et Cartier.
[61] Ainsi Brumenic et Cartier sont d’une certaine façon toutes deux créancières. Cartier, directement, comme cocontractante des Dalla Riva, et Brumenic, indirectement, par l’effet de l’hypothèque légale de construction qui lui permet d’atteindre les proprios du condo où elle a fait des travaux.
[62] Le paiement de 10 000 $ des Dalla Riva rend plausible cette explication. La facture est de Brumenic, le chèque de paiement est à l’ordre de Cartier, et l’état de compte suivant, de Brumenic, est réduit du paiement. Ainsi, les Dalla Riva ont payé leur créancière, Cartier, qui elle-même a payé 10 000 $ à la sienne, Brumenic.
[63] Dans cette hypothèse, la question à poser au Syndic de Brumenic était de savoir si cette faillie avait déclaré détenir une créance contre Cartier.
[64] Par contre, le manque d’intérêt du Syndic n’implique pas nécessairement que la créance n’appartienne pas à Brumenic. On peut présumer simplement que le Syndic a estimé être bien mal placé pour débattre des extras que les Dalla Riva contestent avec vigueur. Au contraire de Cartier qui connaît bien le dossier de Brumenic et qui est en mesure d’engager le débat, d’où sa demande d’un délai pour se faire céder les droits hypothétiques du Syndic ou se faire autoriser à les exercer à sa place (Loi sur la faillite et l’insolvabilité, art. 38).
[65] La Juge souligne péjorativement cette demande de Cartier :
[33] Soulignons que le procureur de Cartier, lors de son argumentation, a proposé que le Tribunal suspende l'audience aux fins d'amender les procédures pour que la partie demanderesse se lise maintenant comme étant «Pinsky, Brisson et Associés, Syndic à la faillite de Brumenic Inc.».
alors que Cartier semble bien avoir vu un moyen pratique d’éliminer un obstacle soudain.
[66] En résumé, la preuve est contradictoire, la position de Cartier est, à première vue, aussi sérieuse que celle des Dalla Riva, et un examen plus approfondi sera nécessaire pour trancher qui est créancière et s’attaquer au problème de fond, soit de déterminer si des extras ont été commandés, livrés et payés ou s’il reste un solde dû par les Dalla Riva.
[67] Les nouvelles dispositions pour « sanctionner les abus de procédure » exigent du doigté et de la finesse de la part des juges qui doivent décider sommairement des droits des parties alors que leur rôle est d’abord et avant tout de trancher en pleine connaissance de cause après avoir entendu pleinement les parties et leurs témoins.
[68] Confrontés à une poursuite-bâillon, ils doivent intervenir sans délai, mais dans le cas d’actions traditionnelles où il n’y a pas d’urgence, ils doivent se hâter lentement.
[69] Pour ces motifs, je suis d’avis :
- D’ACCUEILLIR l’appel, avec dépens;
- DE CASSER le jugement attaqué;
- DE REJETER la « requête des défendeurs en rejet de la requête introductive d’instance » avec dépens.
- DE RENVOYER le dossier en première instance pour que l’action y suive son cours.
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PAUL VÉZINA, J.C.A. |
[1] 2010 QCCA 2005 .
[2] Les chiffres sont arrondis pour alléger l’exposé.
[3] L.Q. 2009, c. 12, Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics; An Act to amend the Code of Civil Procedure to prevent improper use of the courts and promote freedom of expression and citizen participation in public debate.
[4] C.p.c., art. 54.3:
Le tribunal peut, dans un cas d'abus, rejeter la demande en justice ou l'acte de procédure, supprimer une conclusion ou en exiger la modification, refuser un interrogatoire ou y mettre fin ou annuler le bref d'assignation d'un témoin. […] |
If the court notes an improper use of procedure, it may dismiss the action or other pleading, strike out a submission or require that it be amended, terminate or refuse to allow an examination, or annul a writ of summons served on a witness. […] |
[5]
Roderick A. Macdonald, Pierre Noreau and Daniel Jutras, Rapport du
comité au ministre de la Justice : Les poursuites stratégiques
contre la mobilisation publique - les poursuites-bâillons (SLAPP) March 15,
2007, 7. Voir Acadia Subaru c. Michaud,
2011 QCCA 1037
,
J.E. 2011-1064
,
[6] C.p.c., art. 93: « Lorsqu'une partie a versé au dossier un affidavit requis par quelque disposition de ce code ou des règles de pratique, toute autre partie peut assigner le déclarant à comparaître devant le juge ou le greffier, pour être interrogé sur la vérité des faits attestés par sa déclaration.
Le défaut de se soumettre à cet interrogatoire entraîne le rejet de l'affidavit et de l'acte au soutien duquel il avait été donné. »
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.