[1] LA COUR: - Statuant sur l'appel d'un jugement de la Cour supérieure, district de Hull (l'honorable Louis-Philippe Landry), rendu le 16 janvier 2008, qui a rejeté l'appel d'un jugement de la Cour du Québec rendu le 12 mai 2006 (l'honorable Nicole Gibeault), qui a acquitté monsieur Zotique Dault des 3 chefs d'accusation portés contre lui;
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Pour les motifs du juge Dalphond ainsi que pour les motifs du juge Gagnon, la Cour:
[4] ACCUEILLE l'appel;
[5] DÉCLARE recevable la preuve exclue au procès;
[6] RETOURNE le dossier à la Cour du Québec pour la tenue d'un nouveau procès;
[7] De son côté, la juge Duval Hesler aurait rejeté l'appel.
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MOTIFS DU JUGE DALPHOND |
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[8] Le ministère public a été autorisé à se pourvoir à l'encontre d’un jugement de la Cour supérieure du district de Hull (l'honorable Louis-Philippe Landry) qui rejette son appel d'un jugement de la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, du même district (l'honorable Nicole Gibeault), prononçant, à la suite de l'exclusion de toute la preuve recueillie par les policiers, l'acquittement de l'intimé à deux accusations relatives à la possession et au contrôle d'un véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies et une accusation relative à la possession de cocaïne.
[9]
Avec égards pour l'opinion contraire, je suis d'avis que les juges des
instances inférieures ont erré en droit en considérant que toute l'opération
policière menant à l'arrestation de l'intimé constituait une détention
illégale. Je suis aussi d’avis que l’analyse sous l'art.
[10] Dans la nuit du samedi au dimanche 14 décembre 2003, peu après minuit, les policiers municipaux Montfils et Rouleau patrouillent en voiture le boulevard Gréber à Gatineau. Vers minuit vingt-cinq, arrivés à la hauteur d'une zone commerciale où on trouve notamment un bar et un lave-auto, ils quittent le chemin public pour entrer dans le stationnement à l'arrière du lave-auto, fermé à cette heure. Ce stationnement est limitrophe à celui du bar et les policiers savent d'expérience que des usagers du bar s’y garent régulièrement le samedi soir. Ils notent la présence de plusieurs véhicules[1], dont celui de l'intimé, en marche, phares arrière éteints, vitres dégivrées contrairement aux autres véhicules à proximité, occupé par deux personnes assises à l'avant qui font des mouvements sur le tableau de bord[2].
[11] Le policier Montfils gare l'auto-patrouille à proximité, gyrophares éteints[3]. Les policiers en descendent et se dirigent vers le véhicule. L'agent Rouleau se dirige côté passager[4] alors que son collègue Montfils marche vers le côté conducteur. Ce dernier, alors qu'il arrive au niveau de la portière du conducteur, note que la fenêtre est entrouverte et qu'il s'en dégage une forte odeur d'alcool; il cogne ensuite à la fenêtre de l'intimé, tourné vers le passager, qui ne réagit pas[5], peut-être parce qu'une conversation a débuté entre le passager et l'agent Rouleau[6]. De son côté, l'agent Rouleau, arrivé le premier près de l'automobile de l'intimé, côté passager, a déjà noté des mouvements de mains sur le tableau de bord du véhicule et la présence d'un étui à carte de crédit, de même que celle des clés dans le démarreur[7]. Il décide d'ouvrir la portière du passager[8] et aperçoit la présence d'une ligne de cocaïne que s'activait à former ce dernier avec l'aide d'un étui et d'une carte bancaire[9]; il crie 10-28[10], soit un code pour indiquer la présence de drogue à son collègue Montfils, qui ouvre alors la portière côté conducteur[11]. Une chose semble certaine : Montfils a noté la forte odeur d'alcool et a frappé à la portière du conducteur avant qu’il ne l’ouvre à la suite du code 10-28 de son collègue.
[12] L'état d'ébriété avancé de l'intimé est constaté par l'agent Montfils dans les secondes qui suivent (difficulté à sortir du véhicule et à se tenir debout, bouche très pâteuse, difficulté d'élocution, incohérence, forte haleine d'alcool, yeux clignotants tout le temps)[12]. Les deux hommes sont arrêtés, informés de leurs droits et emmenés au poste. Un test révélera ensuite la présence d'un taux d'alcoolémie de 127 et 124 chez l'intimé.
[13] Le 4 février 2004, l'intimé est accusé par sommation de deux chefs relatifs à la possession et au contrôle d'un véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies (art. 255(1) et 253b) C.cr.) et une accusation relative à la possession de cocaïne (art. 4(1)(3)b) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch.19).
[14] Le procès ne débute que le 4 octobre 2005. Les deux policiers sont entendus et les résultats des tests sont mis en preuve. Questionnés sur les motifs pour lesquels ils se sont approchés du véhicule de l'intimé, l'agent Montfils déclare :
R. : Comme je vous dis, c'est un samedi soir, c'est achalandé, le véhicule est en marche, les lumières sont fermées, les fenêtres sont quand même plus dégivrées que les autres véhicules donc ça fait quand même un certain temps qu'ils sont là. C'est pas mal ça qui nous fait que c'est suspect.
Q. : Okay. C'est suspect pour quel type d'infraction où?
R : Ça pourrait être n'importe quelle infraction, consommation d'alcool, ça pourrait être n'importe quelle d'infraction qui serait reliée.
Q. : Qui serait reliée?
R : Bien, qui serait relié là, justement, au fait qu'on soit un samedi soir, il est minuit et vingt.[13]
Quant à l'agent Rouleau, il s'exprime ainsi :
R. : Bien on s'est dirigé vers lui, comme je mentionne, pour vérifier, un, si les gens, un, qu'est-ce qu'ils font là; puis de deux, est-ce qu'ils sont en état de conduire leur véhicule ou pas.[14]
[…]
R. : Je me trouve dans un stationnement où est-ce que - c’est un stationnement bondé, je suis à deux semaines de la période des fêtes, je suis à deux (2) semaines de la période des fêtes, je peux vous dire qu’on vérifie toujours pour - a ce moment-là, on vérifiait pour savoir si les gens sont en état de conduire un véhicule. Maintenant, je vérifie également pour qu’est-ce qu’ils font dans le stationnement de nuit. Il n’y a pas de cachette à vous dire que dans ces périodes-là, de nuit, étant donné que les stationnements sont bondés, qu’on a plusieurs vols dans les véhicules. Donc, je veux dire, je fais de la prévention puis je m’assure que - du bon déroulement comme tel.[15]
[15] Le juge de la Cour supérieure résume bien ces témoignages aux paragr. 5 et 6 du jugement dont appel, de même que la juge du procès aux pages 2 à 4 de son jugement.
[16]
Une fois la preuve du poursuivant terminée, l'avocat de l'accusé
présente une requête en exclusion de la preuve fondée sur l'art.
[17] Le 12 mai 2006, dans un jugement rendu verbalement, la juge Gibeault fait droit à la requête en exclusion de la totalité de la preuve en ces termes :
Décision. Selon le ministère public, les policiers agissaient en vertu de leurs pouvoirs généraux de maintenir la paix et l'ordre public, pour prévenir le crime et pour la sécurité du public. Selon les principes reconnus en jurisprudence, les policiers n'ont pas carte blanche pour intercepter un véhicule automobile.
Selon la preuve dans le cas qui nous occupe, il appert que les policiers agissaient en vertu de leurs pouvoirs généraux conférés par la common law. Les policiers sont peu expressifs sur les motifs de l'interception, si ce n'est que c'était deux semaines avant Noël, qu'on était près d'un bar et que c'était le seul véhicule automobile avec les fenêtres dégivrées.
En substance, tels sont les motifs exprimés par les policiers pour se rendre au véhicule automobile. Ensuite on ajoute un mouvement de main sur le pare-brise et un policier ouvre la porte du passager, donne un code à son collègue qui ouvre lui aussi la porte du conducteur.
À mon humble avis, l'interception par les policiers n'était pas justifiée, ni en vertu du Code de sécurité routière, du Code criminel, de la common law ou autre loi d'interpeller les gens dans le véhicule automobile en ouvrant les portes de leur véhicule automobile. Selon la preuve, les policiers n'avaient aucun soupçon en rapport avec la commission d'un acte criminel, ni aucun reproche en rapport avec la conduite du véhicule automobile, ni aucune cause raisonnable ou probable ou motifs concrets « articulable cause » justifiant une telle intervention.
Or, la détention qui en a résulté est arbitraire et la preuve a été obtenue en violation des droits constitutionnels de l'accusé. La cour conclut, selon 24 (2), que l'utilisation des moyens de preuve aura un impact sur l'équité du procès, que la violation des droits est grave et, enfin, que l'utilisation des éléments de preuve dans ces circonstances déconsidérerait l'administration de la justice.
En conséquence, la Cour ordonne l’exclusion des éléments de preuve obtenus en violation des droits constitutionnels de l’accusé. La requête est accordée.
(je souligne)
[18]
D'avis que ce jugement est mal
fondé considérant les pouvoirs des policiers tant en vertu de la common
law que des art.
361
et
[19] Le 16 janvier 2008, le juge Landry rejette l'appel en ces termes :
Le droit des policiers d'intervenir dans ces circonstances
[8]
En vertu de l'article
[9] La procureure de l'Appelante a plaidé que l'article 636.1 pouvait autoriser l'intervention dans le stationnement d'un centre commercial. Cette disposition se lit en partie comme suit
« Un agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle peut exiger que cette personne se soumette sans délai aux tests de coordination physique raisonnables qu'il lui indique…»'
Le second paragraphe de cette disposition confirme qu'une telle intervention peut avoir lieu non seulement sur un chemin public mais également « sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler ».
[10]
L'intervention d'un agent de la paix en vertu de l'article
[11] Ici force est de constater que les policiers ne possédaient pas de tels motifs avant le moment de leur intervention.
[12] Quant à une justification en vertu des pouvoirs généraux des agents de la paix conférés par la Loi sur la police ou la common law, la Cour estime que la juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant que ces pouvoirs ne justifiaient pas dans les présentes l'intervention policière.
(je souligne)
[20] À la suite d'une autorisation donnée par une collègue, le poursuivant nous demande d'infirmer les jugements des instances inférieures au motif que les policiers pouvaient en toute légalité, conformément à leurs pouvoirs généraux ou en vertu du CSR, s'approcher du véhicule de l'intimé pour vérifier si tout était correct et qu'arrivés à proximité de celui-ci, ils ont pu constater certains faits qui justifiaient la détention puis l'arrestation de l'intimé pour possession et contrôle d'un véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies.
[21]
L'avocat de l'intimé rétorque que les policiers allaient à la pêche,
qu'ils n'avaient pas de motifs de s'approcher du véhicule et que toute
l'intervention policière constitue une interception abusive et
inconstitutionnelle qui justifie l'exclusion sous le paragr.
[22]
Ce litige n'est qu'accessoirement relatif aux conditions d'application
du paragr.
[23]
Selon l'avocat de l'intimé, « l'interception » de son client
par les policiers, qui a consisté à s'approcher du véhicule, était illégale
puisqu'il leur fallait une « articulable cause », absente en
l'espèce, pour agir de la sorte et, dès lors, toute la preuve doit être exclue,
car il y aurait eu violation de l'art.
Rendus aux portes, il y a peut-être un peu plus de faits qui embarquaient dans la constellation et bon, qu'ils avaient là des motifs raisonnables de croire, mais est-ce qu'on doit se rendre…[17]
[24]
Des transcriptions, il ressort aussi que la juge du procès
s'interrogeait sur les conséquences de l'ouverture des portières :
s'agissait-il d'une fouille abusive au sens de l'art.
[25] Premièrement, les policiers patrouillaient le secteur lorsqu'ils ont noté la présence du véhicule de l'intimé, immobile, moteur en marche, vitres dégivrées, occupé par deux personnes, phares éteints. Ils n'agissaient pas dans le cadre d'une enquête, ni ne répondaient à un appel. Ils procédaient en vertu de leurs pouvoirs généraux.
[26] Deuxièmement, l'intervention policière a eu lieu dans un espace public, un stationnement apparemment ouvert à tous, éclairé et où se trouvaient de nombreux autres véhicules[18]. Après avoir garé leur véhicule, les policiers ont marché vers la voiture de l'intimé; en aucun temps, ils n'ont pénétré dans un espace privé sous le contrôle de l'intimé, comme ce serait le cas d'une entrée de garage devant sa maison. En fait, il était loisible à toute personne d'en faire autant sans manquer à une quelconque obligation légale.
[27]
Troisièmement, l'intimé se trouvait dans un véhicule automobile
immobile, aux vitres dégivrées, dans un espace éclairé. Toute personne qui
s'approchait du véhicule pouvait donc voir à l'intérieur[19].
De plus, il est bien établi que la présence dans un véhicule automobile
n'entraîne pas une expectative de vie privée pour le conducteur aussi élevée
que la présence dans sa résidence, encore moins pour le passager (R c.
Belnavis,
[28]
Quatrièmement, le véhicule de l'intimé était à l'arrêt lorsque les
policiers l'ont aperçu, puis s'en sont approchés à pied pour effectuer une
vérification. Le véhicule des policiers, gyrophares éteints, n'était pas
stationné de manière à empêcher le départ du véhicule de l'intimé. En droit,
les policiers n'ont pas intercepté l'intimé ou son véhicule. Il serait
aussi difficile de prétendre qu'une personne raisonnable conclurait que dès
lors la détention de l'intimé et du passager s'est cristallisée au sens
de l'arrêt R. c. Suberu,
[29]
Cinquièmement, il est non contredit que la fenêtre côté conducteur était
entrouverte et qu'arrivé près du véhicule, le policier Montfils a noté une
forte odeur d'alcool[20]. De
plus, il a frappé à la fenêtre du conducteur sans que ce dernier réagisse en se
tournant vers lui, tourné vers le passager et possiblement l'agent Rouleau[21].
Ces faits, ajoutés aux autres informations déjà notées (proximité d'un bar,
heure tardive, samedi soir, véhicule en marche avec phares éteints, …),
m'apparaissent suffisants pour conclure que le policier Montfils avait dès lors
des motifs raisonnables, suffisants au sens de l'arrêt R. c. Mann,
[30] Sixièmement, comme le note la juge du procès aux p. 3 et 4 de son jugement, le policier Montfils a constaté la forte odeur d'alcool et frappé à la fenêtre du conducteur avant que le policier Rouleau ne crie le code 10-28[22], après avoir ouvert soudainement la portière du passager puis aperçu la ligne de cocaïne sur le tableau de bord du véhicule de l'intimé.
[31] Ce contexte établi, je m'attaque à l'argument principal de l'intimé que les policiers n'avaient pas le droit de s'approcher de son véhicule, car cela constituait une « opération de pêche », reposant sur de vagues soupçons et non une intervention basée sur des motifs raisonnables de croire en la commission d'une infraction.
[32]
Il est de jurisprudence bien établie que les policiers peuvent
patrouiller pour assurer la paix et la sécurité, prévenir la commission
d'infraction et venir en aide à un citoyen (R. c. Cotnoir,
L'article
[33]
Bien entendu, les personnes interpellées n'ont aucune obligation de
répondre et peuvent décider de s'en aller (Dedman c. R,
[34] En l'espèce, les policiers n'avaient aucune infraction précise en tête et encore moins d'indices qu'un crime se préparait ou était en voie d'exécution. Ils voulaient tout simplement faire des vérifications à l'égard d'un véhicule immobilisé, qui avait attiré leur attention : le conducteur avait-il besoin d'aide? les passagers se livraient-ils à une activité illicite? le conducteur hésitait-il à mettre le véhicule en marche parce que ses facultés étaient affaiblies?
[35] Avec égards pour mes collègues et l'avocat de l'intimé, cela était tout à fait légal et soutenir le contraire revient à empêcher les policiers de faire leur travail de prévention et d'aide.
[36] Une fois légalement à proximité du véhicule de l'intimé, les policiers pouvaient en toute légalité faire des observations, visuelles et olfactives. Jusqu'à ce moment, aucune interception et encore moins détention n'a eu lieu. De même, il n'y a eu aucune fouille, perquisition ou saisie.
[37]
Cependant fort des nouvelles observations faites, l'agent Montfils
pouvait alors procéder à la détention de l'intimé pour enquêter sur sa capacité
de conduire ou d'avoir sous contrôle un véhicule, car la situation avait
changé : les policiers n'agissaient plus sur une simple intuition (« hunch »),
comme l'a reconnu candidement l'avocat de l'intimé qui s'acharne à plaider
l'illégalité de la démarche policière antérieure, qualifiée
d'interception arbitraire. Aucune violation de l'art.
[38] Il s'ensuit qu'il n'y a eu jusque-là aucune violation d'un droit protégé par la Charte, notamment l’art. 9 (détention arbitraire et illégale) et que la question de l’exclusion de la preuve sous le paragr. 24(2) ne se soulève pas, du moins jusqu’à l’ouverture des portières.
[39]
Je passe maintenant à l'argument subsidiaire, soulevé par la juge du
procès, relatif à l'art.
[40] Je retiens que ce geste était illégal puisque l'agent Rouleau n'avait pas encore de motifs de croire qu'un acte criminel était en voie de commission (il n'a pas été affirmé que la ligne de cocaïne avait été observée en s'approchant du véhicule, ce qu'un faisceau d'une lampe de poche aurait permis d'observer « plain view »). La saisie de la drogue est le résultat de cet acte illégal, l'ouverture sans motif de la portière côté passager, ce qui constitue une intrusion, non planifiée, commise par des policiers dont la bonne foi n'est cependant pas mise en doute par l'intimé[23] ou par la juge du procès.
[41] Je retiens aussi que l'ouverture de la portière de l'intimé était imminente à la demande du policier Montfils qui voulait lui poser des questions à la suite de la constatation d’une forte odeur d’alcool puis, au constat de son état après une ou deux questions, lui aurait immanquablement demandé de sortir du véhicule pour se prêter à un test ou lui remettre un échantillon d'haleine, ce qui aurait entraîné l’éclairage intérieur du véhicule. La ligne de cocaïne sur le tableau de bord allait donc être découverte sous peu par Montfils ou Rouleau.
[42]
Dans ces circonstances, fallait-il exclure non seulement la preuve de
possession de cocaïne issue de cette fouille ou perquisition illégale parce que
prématurée de quelques secondes ou minutes, sous le paragr.
[43] Je reprends in extensio l'analyse de la juge du procès sous l'art. 24 :
Or, la détention qui en a résulté est arbitraire et la preuve a été obtenue en violation des droits constitutionnels de l'accusé. La cour conclut, selon 24 (2), que l'utilisation des moyens de preuve aura un impact sur l'équité du procès, que la violation des droits est grave et, enfin, que l'utilisation des éléments de preuve dans ces circonstances déconsidérerait l'administration de la justice.
En conséquence, la cour ordonne l’exclusion des éléments de preuve obtenus en violation des droits constitutionnels de l’accusé. La requête est accordée.
(je souligne)
[44] Force est de constater que la juge du procès ne s'est pas livrée à une analyse poussée. Ainsi, elle ne distingue pas entre la preuve obtenue à la suite de la fouille illégale et celle obtenue autrement. Rien ne justifiait d’exclure la preuve recueillie avant l’ouverture des portières, laquelle, je le répète, était suffisante pour justifier la détention de l’intimé aux fins d'épreuves de coordination ou d'alcootest. De même, la juge affirme que l'équité du procès, une notion complexe et contextuelle (Grant, paragr. 65), est en jeu sans expliquer pourquoi. En fait, cette partie du jugement tient de la pétition de droit et non de l'analyse.
[45] En réalité, il ressort des autres parties du jugement que, pour la juge du procès, il y a eu une violation grave des droits constitutionnels de l'intimé parce que les policiers se sont approchés de son véhicule puis ont fait des constats olfactifs et visuels. J'ai expliqué précédemment pourquoi cette prémisse était fausse en droit.
[46]
De plus, l'exclusion, si justifiée au terme d'une analyse correcte en
droit, ne devait-elle pas se limiter aux éléments relatifs au troisième chef?
C'est d'ailleurs un scénario que la juge de première instance avait elle-même
envisagé lors des échanges avec les avocats[24]. Mais
en fin de compte, elle est allée beaucoup plus loin dans son
jugement : elle a exclu l'ensemble de la preuve, y compris celle
relative aux deux premiers chefs reliés aux facultés affaiblies. En ce faisant,
elle m'apparaît avoir erré en droit, ignoré la séquence des évènements et
exercé non judiciairement sa discrétion sous l'art.
[47] De toute façon, l’analyse de la juge du procès n'est pas en droit conforme aux enseignements récents de la Cour suprême dans Grant qui décrivent les trois étapes du processus analytique de pondération qualitative à suivre :
- la gravité de la conduite attentatoire de l'État :
la décision du policier Rouleau d'ouvrir la portière tient de la nervosité ou de l'erreur de jugement; elle n'était pas planifiée, mais un geste spontané; l'ouverture de la portière de l'intimé se fait à la suite du constat d'une infraction relative à la drogue; le reste de l'intervention s'est faite dans le respect des droits de l'intimé; les policiers ont témoigné avec candeur; leur bonne foi n'a pas été mise en doute; l'agent Montfils, qui a ouvert la portière de l’intimé, a 26 ans.
- l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé garantis par la Charte :
les attentes en matière de vie privée de l'intimé étaient réduites en l'espèce; les éléments mis en preuve à la suite de la fouille inconstitutionnelle allaient être découverts dans les secondes ou minutes qui suivent; l'atteinte aux droits de l'intimé se situe dans la partie basse du spectre de gravité.
- l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond :
la drogue saisie constitue un élément de preuve extrêmement fiable; l'infraction de possession de cocaïne est grave; cet élément de preuve est essentiel à la preuve du ministère public sous le troisième chef; la tolérance de la violation des droits de l'intimé résultant de l'ouverture prématurée des portières est peu susceptible de miner à long terme la confiance du public dans le système de justice, alors que l'exclusion risquerait de générer le contraire.
[48] En l'espèce, une pondération de ces trois étapes me semble clairement militer pour le rejet de la requête en exclusion sous 24(2).
[49] Dans ces circonstances, l'intervention de la Cour est non seulement justifiée; elle s'impose.
*****
[50] En résumé, les policiers avaient le droit et les pouvoirs, dans le cadre d'une patrouille de routine, de s'approcher du véhicule de l'intimé, immobilisé depuis un certain temps (donc aucune interception ou détention), mais avec le moteur en marche, dans un stationnement public (aucune violation de la propriété privée de l'accusé et faible expectative de vie privée par rapport aux personnes qui peuvent circuler près du véhicule) et les observations visuelles et olfactives du policier Montfils, une fois près de la portière du conducteur, ne peuvent être assimilées à une fouille illégale. À partir de là, ce policier avait des motifs raisonnables pour intervenir en demandant au conducteur de se soumettre au test de dépistage (détention provisoire pour fins d'enquête), puis, vu la suite, le mettre en état d'arrestation.
[51]
Finalement, si l'ouverture des portières peut être assimilée à une
fouille ou perquisition abusive, les seuls éléments de preuve obtenus à la
suite de celle-ci portent sur le troisième chef et ne pouvaient justifier
raisonnablement la décision de la juge du procès d'exclure l'ensemble de la
preuve sous
LE DISPOSITIF
[52] Pour ces motifs, je suis d'avis que le pourvoi du ministère public doit être accueilli et qu'un nouveau procès doit être ordonné sous les trois chefs.
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PIERRE J. DALPHOND, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE GAGNON |
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[53] Je partage la conclusion du juge Dalphond qui propose d'accueillir le pourvoi du Ministère public et d'ordonner un nouveau procès. J'emprunte toutefois une voie différente afin de conclure comme lui.
[54]
La conduite des policiers dans cette affaire n'est pas sans soulever certaines
appréhensions et leur pouvoir d'intervention mérite d'être analysé à la
lumière de l'article
[55] Comme il s'agit d'un appel du Ministère public, celui-ci est limité aux questions de droit[26], de sorte que les faits retenus par la juge de première instance ne sont pas remis en question.
[56] Cette affaire débute lorsque les policiers constatent, un soir de décembre, dans un stationnement adjacent à un bar, un véhicule immobilisé, moteur en marche, vitres dégivrées, phares éteints, alors que deux occupants prennent place aux endroits réservés au conducteur et au passager avant.
R - Comme je vous dis, c'est un samedi soir, c'est achalandé, le véhicule est en marche, les lumières sont fermées, les fenêtres sont quand même plus dégivrées que les autres véhicules donc ça fait quand même un certain temps qu'ils sont là. C'est pas mal ça qui nous fait que c'est suspect.[27]
(Je souligne.)
[58] Le policier Stéphane Rouleau, passager dans le véhicule de police, explique sa motivation à intervenir en ces termes :
R - Parce que mon travail nous permet d'aller vérifier qu'est-ce que ces gens-là font là dans un stationnement de nuit. Est-ce que c'est parce qu'ils s'apprêtent à quitter, ils sont en état ou pas? Est-ce qu'ils sont là pour manigancer quelque chose? Je ne le sais pas. Je veux m'enquérir à savoir qu'est-ce qu'ils font dans le stationnement. Pour moi, c'est pratiquement une routine quotidienne.[28]
(Je souligne.)
[59] Sans aucun motif raisonnable de soupçonner quoi que ce soit, les policiers décident d'intervenir.
[60] Ici, il y a lieu de refaire la chronologie des événements menant à l'arrestation afin de mieux apprécier l'ensemble des circonstances permettant de tirer les conclusions appropriées à l'égard des violations alléguées par l'accusé.
[61] À partir de la preuve retenue par la première juge, voici la séquence pertinente des événements :
i) Policier Stéphane Rouleau :
R - […] j'étais donc passager du véhicule patrouille, je me suis dirigé passager du véhicule qui était stationné. En me dirigeant vers le véhicule, je constate que c'était un Pontiac Firefly […]. Le véhicule, les lumières sont éteintes. Le véhicule est en fonction c'est-à-dire que j'entends le moteur qui fonctionne. Lorsque je m'approche, toujours du côté conducteur, du côté droit du véhicule, le - ce que je peux voir c'est que le conducteur comme tel a un mouvement avec ses mains, si je peux me permettre, un mouvement entre ses cuisses, entre ses mains.
[…]
En m'approchant, à ce moment-là, je constate également que les clés sont dans l'ignition du véhicule. Moi, ce que je fais c'est que j'ouvre la portière du passager.[29]
ii) Policier Jean-François Montfils :
R - À ce moment là, on sort du véhicule et puis on s'approche du véhicule. […] Ce que j'ai remarqué c'est que la vitre du conducteur était baissée de quelques pouces, puis là, j'ai senti une forte odeur d'alcool qui sortait du véhicule. Aussitôt à ce moment là, j'ai cogné dans la porte, dans la vitre du conducteur […].
À ce moment là, l'agent Rouleau m'informe, à ce moment là, qu'il y avait de la drogue dans le véhicule. Donc, je dois procéder à l'arrestation du passager pour la drogue. Moi, j'ouvre la portière du conducteur.[30]
[62] Des faits relatés par les agents, il découle les constats suivants :
a) Dès le début de leur intervention, les agents n'ont aucun motif raisonnable de soupçonner que l'accusé est impliqué dans un crime quelconque;
b) La première intrusion dans le véhicule se fait du côté passager par l'agent Rouleau;
c) C'est après avoir ouvert la portière du côté passager que l'agent Rouleau découvre sur le tableau de bord ce qui lui semble être de la poudre blanche[31];
d) En cours d'intervention, l'agent Montfils, en s'approchant du véhicule, détecte une odeur d'alcool. Celui-ci cognera dans la vitre pour, de façon quasi simultanée, ouvrir la portière, car il entend au même moment l'appel de l'agent Rouleau qui, s'étant déjà exécuté, signale à son collègue Montfils la présence de drogue à bord du véhicule;
e) Avant l'ouverture de la portière du côté conducteur par l'agent Montfils, ce dernier n'avait rien constaté visuellement. Il dira : « Moi, je n'ai rien vu visuellement, sauf que j'ai constaté comme je vous dis, l'odeur d'alcool. »[32];
f) Jamais avant la fouille le policier Montfils n’a-t-il interpellé le conducteur afin de lui demander de se soumettre à un test de dépistage.
[63] Une dernière citation s'impose quant aux faits mis en preuve. Lorsque le policier Rouleau est interrogé sur sa manière d'intervenir, il répond :
R - […] Donc, on arrive un peu comment - appelez ça en cachette ou en souricière.[33]
[64] Cela dit, rien de ce qui va suivre ne doit être compris comme signifiant que les policiers ont besoin de motifs quelconques pour s'approcher d'un véhicule.
[65]
D'abord, j'ai de la difficulté à comprendre comment, si l'agent Rouleau
agissait comme le prétend la poursuivante, en vertu de l'article
[66]
Dans la mesure où les deux agents interviennent, comme ils le
prétendent, en vertu de l'article
[67]
Les articles
[68] La Cour suprême souligne l'importance de se référer aux principes de la common law lorsque la loi ne définit pas en termes explicites la façon dont les policiers doivent l'appliquer :
[45] […] La portée de la conduite justifiable des policiers ne sera pas toujours définie par des termes explicitement prévus dans la loi, mais plutôt selon l’objet du pouvoir policier en question et en fonction des circonstances particulières de son exercice. Ainsi, il faudra inévitablement invoquer les principes de la common law pour déterminer la portée des mesures policières permises aux termes de toute loi.[36]
[69] Afin d'apprécier le caractère raisonnable de l'intervention d'un policier, la Cour suprême dans l'affaire Dedman[37] cite avec approbation ce passage de la Cour d'appel anglaise dans la célèbre affaire Waterfield[38] :
[TRADUCTION] […] Dans la plupart des cas, il est probablement plus facile de se demander ce que l'agent faisait en réalité et notamment si sa conduite constitue de prime abord une atteinte illégale à la liberté personnelle ou à la propriété. Si tel est le cas, il y a lieu de rechercher a) si cette conduite entre dans le cadre général d'un devoir imposé par une loi ou reconnu par la common law et b) si cette conduite, bien que dans le cadre général d'un tel devoir, a comporté un emploi injustifiable du pouvoir découlant de ce devoir. Ainsi, comme on peut affirmer en termes généraux que les agents de police ont le devoir d'empêcher le crime et le devoir, lorsqu'un crime a été perpétré, de traduire le délinquant en justice, il est également évident, selon la jurisprudence, que lorsque l'accomplissement de ces devoirs généraux comporte des atteintes à la personne ou aux biens d'un particulier, les pouvoirs des policiers ne sont pas illimités.[39]
(Je souligne.)
[70] Précisant le critère à suivre en cas d'atteinte à la liberté, la Cour suprême ajoute :
L'arrêt Johnson v. Phillips [[1975] 3 All E.R. 682], précité, suggère le bon critère, je crois, en employant l'expression [TRADUCTION] "raisonnablement nécessaire". L'atteinte à la liberté doit être nécessaire à l'accomplissement du devoir particulier de la police et elle doit être raisonnable, compte tenu de la nature de la liberté entravée et de l'importance de l'objet public poursuivi par cette atteinte.[40]
[71] Même si le C.S.R. et la common law permettent aux policiers de vérifier au hasard la sobriété des conducteurs, cela ne signifie pas pour autant que, lors de l'exercice d'un tel pouvoir, les agents doivent nécessairement procéder à une fouille, tout étant sujet aux circonstances prévalant au moment de l'intervention.
[72]
L'ouverture par l'agent Rouleau de la portière du passager sans préavis
et de façon intrusive, suivie de la même intervention par l'agent Montfils,
n'était pas utile aux fins de l'exercice des pouvoirs conférés aux policiers
par l'article
[73] Notons que, selon la séquence des évènements, l'agent Montfils avait, dans un premier temps, cogné à la vitre de la portière. Son intrusion précipitée dans le véhicule est la conséquence de celle de l'agent Rouleau. Si l'intrusion dans le véhicule par ce dernier constitue une fouille abusive, je ne peux concevoir qu'à la demande de l'agent Rouleau, celle faite par l'agent Montfils se voit réserver un meilleur sort.
[74]
De plus, le policier Montfils n'avait pas, aux fins de vérifier la
sobriété du conducteur, à tout le moins à une étape préliminaire à l'exercice
de son pouvoir sous l'article
[75] Voici ce que l'agent Montfils, interrogé par la poursuivante, déclare :
R - Bien, moi, ce que je vois c'est vraiment le conducteur, comme je vous dis, j'ai cogné dans la vitre, il ne m'a pas répondu, il continue à parler au passager.
Q - Là, l'agent Rouleau, il était-tu déjà arrivé?
R - L'agent Rouleau parlait au passager. Il était du côté du passager.
Q - Okay. Donc, le conducteur était déconcentré par le fait que l'agent Rouleau était là, il ne jasait pas le conducteur et le passager?
R - Possiblement.[44]
[76] Ce qui peut être interprété comme une nonchalance à répondre à l'interpellation du policier Montfils peut tout autant être compris comme une distraction provoquée par l'intervention de l'agent Rouleau. De toute manière, l'agent Montfils n'ouvre pas la portière pour vérifier la sobriété du conducteur, mais bien pour donner suite à la demande de son collègue Rouleau.
[77]
Je suis en conséquence d'opinion que les principes de la common law
ne permettaient pas aux agents d'effectuer une fouille du véhicule en l'absence
de motifs raisonnables de soupçonner la commission d'un crime. Considérant de
plus qu'il n'était pas « raisonnablement nécessaire » de
procéder à une telle fouille dans l'exercice des pouvoirs conférés aux articles
[78] S'il est vrai que l'expectative de vie privée du conducteur et du passager d'un véhicule automobile est moindre que celle d'une personne dans une résidence[46], elle n'est pas pour autant inexistante. La loi ne tient pas pour acquis que tous les citoyens soient sujets à suspicion. L'action des policiers doit être modulée en regard de la loi qu'ils appliquent et des circonstances qui prévalent au moment de l'intervention, de sorte que seules les fouilles « raisonnablement nécessaires »[47] sont permises.
[79] Le juge Dalphond suggère, à la suite de son analyse des trois étapes de R. c. Grant[48], que ces critères ne favorisent pas l'exclusion de la preuve obtenue dans l'hypothèse où il y aurait eu fouille abusive. C'est ici que je rejoins mon collègue.
[80]
En matière d'exclusion de preuve selon l'article
[71] […] Ainsi, le tribunal saisi d’une demande d’exclusion fondée sur le par. 24(2) doit évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État (l’utilisation peut donner à penser que le système de justice tolère l’inconduite grave de la part de l’État), (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte (l’utilisation peut donner à penser que les droits individuels ont peu de poids) et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Le rôle du tribunal appelé à trancher une demande fondée sur le par. 24(2) consiste à procéder à une mise en balance de chacune de ces questions pour déterminer si, eu égard aux circonstances, l’utilisation d’éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.[49]
[81] Le premier critère, la gravité de la conduite attentatoire de l'État, consiste à s'assurer que l'utilisation de la preuve ne mène pas l'opinion publique à penser que « les tribunaux, en tant qu’institution devant répondre de l’administration de la justice, tolèrent en fait les entorses de l’État au principe de la primauté du droit en ne se dissociant pas du fruit de ces conduites illégales »[50].
[82] Le deuxième critère porte sur les effets de l'atteinte aux droits de l'accusé par l'utilisation de la preuve illégalement recueillie. Pour ce faire, les tribunaux doivent examiner « les intérêts protégés par le droit transgressé, puis évalu[er] l'ampleur des conséquences de la violation sur ces intérêts »[51].
[83] Finalement, le troisième critère d'analyse porte sur l’« intérêt [de la société] à s’assurer que ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice et traités selon la loi »[52] et que la vérité ressorte des procès criminels[53].
[84] L'application du troisième critère suggère un exercice délicat où le juge du procès doit soupeser les conséquences de l'exclusion de la preuve tant sur « la considération dont jouit l'administration de la justice »[54] que sur l'objectif ultime de tout procès, soit la recherche de la vérité :
[82] […] Il faut donc [souligne la Cour suprême] soupeser l’utilité des éléments de preuve obtenus en violation de la Charte pour faciliter la découverte de la vérité et amener une décision au fond par rapport aux facteurs tendant à leur exclusion afin de « mettre en balance l’intérêt de l’État à découvrir la vérité d’une part et l’intégrité du système judiciaire d’autre part ».[55]
[85] Je crois pouvoir ainsi résumer les différentes étapes élaborées par la Cour suprême dans Grant afin de considérer si une preuve, illégalement recueillie, doit être exclue ou non en vue de préserver la considération dont jouit l'administration de la justice :
i) L'analyse de la gravité de la conduite attentatoire de l'État consiste à se demander si l'utilisation de la preuve illégale aurait pour effet d'ébranler le principe de la primauté du droit en ce que les tribunaux légitimeraient une conduite qui porte atteinte aux droits de l'accusé. Plus le geste répréhensible sera grave ou délibéré, plus les tribunaux doivent s'en dissocier.
ii) Lors de l'analyse de la violation portant atteinte aux droits de l'accusé garantis par la Charte, les tribunaux doivent s'interroger sur l'incidence de la violation et prendre en compte notamment le fait que cette violation peut enfreindre d'autres droits fondamentaux, ce qui ajoute alors à la déconsidération de l'administration de la justice.
iii) Quant à l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond, il importe désormais d'analyser l'effet que peut avoir l'exclusion d'une preuve illégalement obtenue. Ainsi, davantage une preuve sera fiable et pertinente, plus à mon avis il sera difficile de l'exclure d'autant plus si celle-ci constitue l'essentiel de la preuve du Ministère public.
[86] Dans la présente affaire, je crois utile de reproduire les considérations qui ont amené le juge du procès à exclure la preuve :
Selon la preuve, les policiers n'avaient aucun soupçon en rapport avec la commission d'un acte criminel, ni aucun reproche en rapport avec la conduite du véhicule automobile, ni aucune cause raisonnable ou probable ou motif concret « articulable cause » justifiant une telle intervention.
Or, la détention qui en a résulté est arbitraire et la preuve a été obtenue en violation des droits constitutionnels de l'accusé. La cour conclut, selon 24(2), que l'utilisation des éléments de preuve aura un impact sur l'équité du procès, que la violation des droits est grave et, enfin, que l'utilisation des éléments de preuve dans ces circonstances déconsidérerait l'administration de la justice.[56]
[87]
Le juge de la Cour supérieure confirme
l'application de l'article
[13] La Cour souscrit à l'opinion du juge
de première instance à l'effet que l'intervention des agents de police dans les
présentes a été faites en violation des droits garantis par la charte contre
les fouilles abusives. La violation des droits de l'intimé justifiait-elle
cependant l'application de l'article
[14] Dans un jugement fort élaboré le
juge Guy Cournoyer confirmait l'application de l'article
[88] Je précise qu'au moment où le juge du procès se prononce sur l'exclusion de la preuve et au moment de l'appel de ce jugement, ni le juge de la Cour du Québec ni le juge de la Cour supérieure ne bénéficiaient des enseignements de la Cour suprême dans Grant.
[89] Je retiens de plus que Grant invite les cours d'appel à faire preuve de … :
[5] […] « retenue considérable » à l’égard de l’appréciation que fait le juge du procès, en application du par. 24(2), des éléments dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, eu égard aux circonstances (par. 86).[58]
[90] Malgré la retenue qui s'impose en cette matière, j'estime qu'il ne ressort pas des motifs du juge du procès ni de ceux du juge de la Cour supérieure, même implicitement, que l'application des trois facteurs énoncés dans Grant fût considérée d'une façon ou d'une autre, et ce, avant de conclure à l'exclusion de la preuve. Cela justifie une nouvelle analyse par la Cour qui doit soupeser et mettre en balance les facteurs retenus par la Cour suprême.
[91] Quoique je sois d'opinion que, dans le présent cas, la gravité de la conduite attentatoire de l'État soit significative, je souscris aux motifs du juge Dalphond quant à ses remarques eu égard à l'incidence de la violation sur les droits de l'accusé ainsi qu'à ceux portant sur l'intérêt de la société à ce que l'affaire soit jugée au fond.
[92] En l'espèce, la fouille n'a pas porté atteinte à la dignité individuelle de l'accusé et ne survient pas dans un contexte d'attente raisonnable élevée en matière de vie privée. De plus, l'infraction de possession de cocaïne est sérieuse et la drogue saisie constitue un élément de preuve fiable et essentiel à la poursuite.
[93] Tout compte fait, les circonstances entourant l'obtention des éléments de preuve dans la présente affaire ne sont pas de nature à déconsidérer l'administration de la justice; c'est plutôt leur exclusion que serait susceptible de la déconsidérer.
[94]
Enfin, il y a lieu de répondre brièvement à la première question en
litige proposée par l'appelante, à savoir si l'article
[95] Le juge de la Cour supérieure écrit : « ici cependant le véhicule n'était pas sur la voie publique. Il était dans le stationnement d'un commerce »[59]. Si tant est que cette phrase remette en question l'application du Code de sécurité routière dans le stationnement d'un commerce, il me semble que l'arrêt de la Cour dans l'affaire Thibeault[60] statue sur cette prétention.
[96] Pour ces motifs, en accord avec le juge Dalphond, je suis d'avis que le pourvoi du Ministère public doit être accueilli et qu'un nouveau procès doit être ordonné.
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GUY GAGNON, J.C.A. |
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MOTIFS DE LA JUGE DUVAL HESLER |
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[97]
Le juge de la Cour supérieure, siégeant en appel de la Cour du Québec en
matière sommaire, résume ainsi les faits de cette affaire, qui s'est soldée par
un acquittement consécutif à l'exclusion de la preuve en vertu de l'article
[3] Sommairement, les faits constatés dans le jugement de première instance peuvent se résumer comme suit. Le 14 décembre 2003 deux policiers circulent en voiture patrouille sur le Boulevard Greber à Gatineau. Il est 0h27. Ils observent un véhicule dont le moteur est en marche dans le stationnement d'un lave-auto voisin d'un bar. Plusieurs autres véhicules sont stationnés à proximité dans le même stationnement et le stationnement voisin. Les vitres des autres véhicules paraissent givrées tandis que les vitres du véhicule "suspect" sont dégivrées. Sans aucun motif particulier les policiers garent leur véhicule à proximité dans le stationnement et s'approchent du véhicule "suspect".
[4] Un agent s'approche du côté passager et il observe ce qu'il qualifie de mouvements de mains du passager. Sans autre motif il ouvre la porte du passager et constate la présence d'un sachet de cocaïne. Au même moment son collègue qui s'était approché du côté du conducteur note une odeur de boisson provenant de la fenêtre légèrement ouverte. L'agent côté passager lui signale la présence de cocaïne dans le véhicule. Le collègue ouvre immédiatement la porte du conducteur et constate que ce dernier dégage une haleine d'alcool. Des vérifications subséquentes ont démontré une présence d'alcool dans le sang du conducteur supérieure à la limite permise.
[98] Il s'agit évidemment de savoir si les policiers avaient des motifs suffisants pour interpeller le conducteur et le passager du véhicule et ouvrir la portière du passager dans ces circonstances.
[99] Le juge de la Cour supérieure reprend textuellement, dans la décision dont appel, les motifs d'intervention explicités par les deux policiers dans leurs témoignages. Le premier policier énonce ce qui suit:
Comme je vous dis, c'est un samedi soir, c'est achalandé, le véhicule est en marche, les lumières sont fermées, les fenêtres sont quand même plus dégivrées que les autres véhicules. Donc ça fait quand même un certain temps qu'ils sont là. C'est pas mal ça qui nous fait que c'est suspect…
[…]
Ça pourrait être n'importe quelle infraction, consommation d'alcool, ça pourrait être n'importe quelle infraction qui serait reliée.
[100] Le second donne les motifs suivants:
On est deux semaines avant les Fêtes. Les gens qui se trouvent dans les stationnements qui sont à bord des véhicules automobiles c'est des gens qu'on prend en considération. Donc, on s'est dirigé vers le véhicule automobile, un pour vérifier ce que les gens font là; deux, sont-ils en état de conduire un véhicule.
[101] On
notera qu'il n'est nullement question, dans ces témoignages, de vérification
selon l'article
[102] La juge du procès n'a donc pas erré, dans sa décision sur la requête en exclusion de la preuve, en analysant ainsi les motifs d'interpellation exposés par ces témoignages:
Selon le ministère public, les policiers agissaient en vertu de leurs pouvoirs généraux de maintenir la paix et l'ordre public, pour prévenir le crime et pour la sécurité du public. Selon les principes reconnus en jurisprudence, les policiers n'ont pas carte blanche pour intercepter un véhicule automobile.
Selon la preuve dans le cas qui nous occupe, il appert que les policiers agissaient en vertu de leurs pouvoirs généraux conférés par la common law. Les policiers sont peu expressifs sur les motifs de l'interception, si ce n'est que c'était deux semaines avant Noël, qu'on était près d'un bar et que c'était le seul véhicule automobile avec les fenêtres dégivrées
[…]
À mon humble avis, l'interception par les policiers n'était pas justifiée, ni en vertu du Code de sécurité routière, du Code criminel, de la common law ou autre loi d'interpeller les gens dans le véhicule automobile en ouvrant les portes de leur véhicule automobile. Selon la preuve, les policiers n'avaient aucun soupçon en rapport avec la commission d'un acte criminel, ni aucun reproche en rapport avec la conduite du véhicule automobile, ni aucune cause raisonnable ou probable ou motifs concrets "articulable cause" justifiant une telle intervention.
Or, la détention qui en a résulté est arbitraire et la preuve a été obtenue en violation des droits constitutionnels de l'accusé. La cour conclut, selon 24 (2), que l'utilisation des moyens de preuve aura un impact sur l'équité du procès, que la violation des droits est grave et, enfin, que l'utilisation des éléments de preuve dans ces circonstances déconsidérerait l'administration de la justice.
[103] L'arrêt dominant en matière de motifs concrets ou d'articulable cause est celui de la Cour suprême dans R. c. Mann[61], dans lequel elle prononce une mise en garde contre la détention exercée sur la foi d'une intuition:
Il ressort de la jurisprudence plusieurs principes directeurs régissant l'utilisation du pouvoir des policiers en matière de détention aux fins d'enquête. L'évolution du critère formulé dans l'arrêt Waterfield, de même que l'obligation des policiers de disposer de motifs concrets établie dans l'arrêt Simpson, requiert que les détentions aux fins d'enquête reposent sur des motifs raisonnables. La détention doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l'ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu'il existe un lien clair entre l'individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours. La question des motifs raisonnables intervient dès le départ dans cette détermination, car ces motifs sont à la base des soupçons raisonnables du policier que l'individu en cause est impliqué dans l'activité criminelle visée par l'enquête. Toutefois, pour satisfaire au deuxième volet du critère établi dans l'arrêt Waterfield, le caractère globalement non abusif de la décision de détenir une personne doit également être apprécié au regard de l'ensemble des circonstances, principalement la mesure dans laquelle il est nécessaire au policier de porter atteinte à une liberté individuelle afin d'accomplir son devoir, la liberté à laquelle il est porté atteinte, ainsi que la nature et l'étendue de cette atteinte.
Il n'y a pas nécessairement correspondance entre les pouvoirs dont disposent les policiers et les devoirs qui leur incombent. Bien que, suivant la common law, les policiers aient l'obligation d'enquêter sur les crimes, ils ne sont pas pour autant habilités à prendre n'importe quelle mesure pour s'acquitter de cette obligation. Les droits relatifs à la liberté individuelle constituent un élément fondamental de l'ordre constitutionnel canadien. Il ne faut donc pas prendre les atteintes à ces droits à la légère et, en conséquence, les policiers n'ont pas carte blanche en matière de détention. Le pouvoir de détention ne saurait être exercé sur la foi d'une intuition ni donner lieu dans les faits à une arrestation[62]. (Soulignements ajoutés)
[104] En cette matière, le rôle d'une cour d'appel n'est pas de substituer son appréciation à celle du juge du procès. L'énoncé de la juge Arbour dans R. c. Buhay[63], d'ailleurs cité par le juge de la Cour supérieure, mérite d'être repris :
Les conclusions du juge du procès ne sont ni déraisonnables ni fondées sur une erreur ou une mauvaise interprétation du droit applicable. La Cour doit donc faire preuve de déférence à leur égard. Même si ma propre appréciation des facteurs d'application du par. 24 (2) pourrait différer de celle du juge du procès, je ne vois aucune raison d'infirmer sa décision sur ce point.
[105] La
seule preuve contre l'appelant est celle recueillie en violation de ses droits.
En l'espèce, elle n'aurait pu être recueillie de manière autonome, sans cette
violation. Il s'agit là d'un facteur important à considérer dans l'analyse à
laquelle une cour de justice doit procéder sous l'article
[106] La Cour suprême réitère, dans Grant, le principe selon lequel « si les éléments de preuve dérivée pouvaient être découverts de façon indépendante, l'incidence de la violation pour l'accusé est atténuée et l'utilisation des éléments de preuve est plus probable »[66]
[107] Cela n'est manifestement pas le cas en l'espèce. Si l'on exclut la preuve dérivée, la poursuite n'a tout simplement aucune preuve à offrir.
[108] À la lumière des autres critères applicables, je crois, à l'instar de la juge de première instance ainsi que du juge de la Cour supérieure qui l'a confirmée que, dans le cas présent, l'utilisation de cette preuve obtenue illégalement est ce qui affecterait l'équité du procès et déconsidérerait l'administration de la justice
[109] POUR CES MOTIFS, je propose le rejet de l'appel.
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NICOLE DUVAL HESLER, J.C.A. |
[1]. M.A. p. 75, 76.
[2] M.A. p. 52, 54, 63, 65, 68, 76. Voir aussi le résumé des faits contenu au paragr. 3 du jugement de la Cour supérieure.
[3] M.A. p. 55, 65.
[4] M.A. p. 69.
[5] M.A. p. 52, 56.
[6] M.A. p. 57.
[7] M.A. p. 69.
[8] M.A. p. 69-70.
[9] M.A. p. 69-70.
[10] M.A. p. 70.
[11] M.A. p. 52.
[12] M.A. p. 53.
[13] M.A. p. 56.
[14] M.A. p. 73.
[15] M.A. p. 78-79.
[16] Voir par exemple, M.A. p. 57, 64-65.
[17] M.A. p. 160.
[18] M.A. p. 68.
[19] Voir notamment les observations faites par l'agent Rouleau en s'approchant, M.A. p. 69.
[20] M.A. p. 52.
[21] M.A. p. 52, 56, 57.
[22] M.A. p. 52-53.
[23] M.A. p. 201.
[24] M.A. p. 194-195.
[25] L.R.Q., c. C-24(2).
[26] Code criminel, art. 676(1)a).
[27] Notes sténographiques, 4 octobre 2005, m.a., p. 55-56.
[28] Ibid., p. 76-77.
[29] Ibid., p. 69-70.
[30] Ibid., p. 52-53.
[31] Ibid., p. 70.
[32] Ibid., p. 57.
[33] Ibid., p. 78.
[34] R. c. Ladouceur,
[35] R. c. Hufsky, supra, note 10, p. 636.
[36] R. c. Elias,
[37] Dedman c. R., supra, note 10.
[38] R. v. Waterfield, [1963] 3 All E.R. 659 (C.C.A.), p. 661.
[39] Dedman c. R., supra, note 10, p. 13-14.
[40] Ibid., p. 35-36.
[41] M.a., p. 20, paragr. 54.
[42] Motifs du juge Dalphond, paragr. 5.
[43] Ibid., paragr. 27.
[44] Notes sténographiques, 4 octobre 2005, m.a., p. 56-57.
[45] Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
[46] R. c. Belnavis,
[47] Dedman c. R., supra, note 10, p. 13-14.
[48] R.
c. Grant,
[49] Ibid., paragr. 71.
[50] Ibid., paragr. 72.
[51] Ibid., paragr. 77.
[52] R. c. Askov,
[53] Ibid., paragr. 79.
[54] Ibid., paragr. 79.
[55] Ibid., paragr. 82.
[56] Notes sténographiques, 12 mai 2006, décision sur requête par l'Honorable Nicole Gibeault, j.c.q., no 550-01-012930-048, m.a., p. 216-217.
[57] Jugement dont appel, m.a., p. 31-32, paragr. 13-14.
[58] R.
c. Beaulieu,
[59] Jugement dont appel, paragr. 8.
[60] R. c. Thibeault, supra, note 10. La Cour confirme un jugement de la
Cour supérieure qui accueille l'appel d'un acquittement pour une interception
en vertu du C.S.R survenue dans le stationnement d'un bar. Voir au même
effet : R. c. Tolley,
[61] R. c. Mann,
[62] Ibid., paragr. 34 et 35.
[63] R.
c. Buhay,
[64] R.
c. Grant,
[65] Ibid., paragr. 122.
[66] Ibid., paragr. 125.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.