Décision

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Boulevard Shopping Centre (Montreal), l.p. c. Senza Corporation

2014 QCCS 86

JG2163

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-073515-127

 

 

DATE :

LE 17 JANVIER 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

THE BOULEVARD SHOPPING CENTRE

(MONTREAL) LIMITED PARTNERSHIP

Demanderesse

c.

 

LA SENZA CORPORATION

            Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

I

[1]           Le Tribunal est saisi par la demanderesse (la « locatrice ») d’une réclamation d’honoraires et débours extrajudiciaires en vertu de la clause d’un bail la liant à la défenderesse (la « locataire »), suite à une requête en injonction provisoire, interlocutoire et permanente que la demanderesse a dû intenter afin d’assurer le respect par la défenderesse des termes du bail concernant le local occupé par cette dernière dans le centre commercial Le Boulevard à Montréal (le « centre d’achat »).

 

 

 

II

 

[2]           Le 29 novembre 2007, la demanderesse a loué un local de 2 000 pi2 à la défenderesse dans le centre d’achat.

[3]           En juillet 2012, les représentants de la demanderesse ont été informés de l’intention de la défenderesse de cesser ses opérations et de fermer le magasin qu’elle opérait dans le local loué.

[4]           C’est ainsi que le 28 août 2012, les procureurs de la demanderesse ont institué une requête en injonction provisoire, interlocutoire et permanente afin d’obliger la défenderesse à demeurer dans les lieux loués et à exploiter son magasin conformément aux termes du bail liant les parties.

[5]           La demande d’injonction fut présentée devant la juge Catherine Mandeville le 31 août 2012 au stade provisoire. Cette dernière a rendu jugement séance tenante et a accueilli la demande d’injonction provisoire de la demanderesse et a émis diverses ordonnances pour valoir jusqu’au 10 septembre 2012, ordonnant notamment à la défenderesse de demeurer dans les lieux loués et d’opérer son commerce conformément aux termes du bail.

[6]           Le 10 septembre 2012, la juge Michèle Monast a renouvelé l’ordonnance d’injonction provisoire prononcée le 31 août 2012 pour valoir jusqu’au 13 septembre 2012, à 17 h.

[7]           Le 13 septembre 2012, la juge Monast émet une ordonnance de sauvegarde selon les mêmes termes que le jugement rendu par la juge Mandeville pour valoir jusqu’au 16 novembre 2012, à 17 h, et elle fixe alors l’audition de la requête pour injonction interlocutoire au 16 novembre 2012.

[8]           Le 16 octobre 2012, le juge Marc-André Blanchard rend un jugement par lequel la défenderesse déclare qu’elle continuera à occuper les lieux conformément au bail intervenu entre les parties ou, à tout le moins, jusqu’à son droit de résiliation prévu au bail à l’Annexe D, paragraphe 6; le débat qui subsiste quant aux frais et dommages qui peuvent être réclamés en vertu du bail devant être entendu le 16 novembre 2012.

[9]           Le 16 novembre 2012, le Tribunal émet une ordonnance d’injonction permanente du consentement des parties ordonnant à la défenderesse de continuer d’occuper, d’utiliser et d’opérer dans les lieux loués son magasin durant les heures d’affaires habituelles.

[10]        Le Tribunal doit maintenant trancher la réclamation de la demanderesse pour ses frais extrajudiciaires (honoraires et débours) selon les termes du bail.

 

 

III

 

[11]        Les questions en litige sont les suivantes :

 

A.      La demanderesse est-elle en droit de réclamer à la défenderesse des frais extrajudiciaires en vertu du bail liant les parties?

 

B.      Dans l’affirmative, les montants réclamés par la demanderesse à titre de frais extrajudiciaires (honoraires et débours) sont-ils justifiés et raisonnables dans les circonstances?

 

IV

 

A.        La demanderesse est-elle en droit de réclamer à la défenderesse des frais extrajudiciaires en vertu du bail liant les parties?

 

[12]        Avant de trancher cette question, il convient de citer les clauses pertinentes du bail liant les parties[1] pour ensuite résumer les prétentions des parties.

[13]        Les clauses pertinentes du bail se lisent comme suit :

42. default and remedies

[...]

42.1 A « default » or an « event of default » shall occur whenever:

[...]

42.1.5 the Lessee or a Transferee, or a person carrying on business in a part of the Leased Premises, or any coordinator, monitor, receiver, receiver and manager, interim receiver or trustee in bankruptcy of or in respect of a Lessee, or a Transferee, or a person carrying on business in a part of the Leased Premises, disaffirms, disclaims, repudiates, terminates or in any way modifies or attempts to disaffirm, disclaim, repudiate, terminate or modify this Lease or any of the terms or conditions hereof (including, without limitation, payment of Rent);

 

[...]

42.1.8 the Leased Premises are vacant or unoccupied for five (5) consecutive days without Lessor’s consent, except for periods of inventory, renovations, or in connection with a Permitted Transfer;

[...]

42.7 expenses - If legal proceedings are brought (including, without limitation, the preparation and sending of demand letters) for recovery of possession of the Leased Premises, for the recovery of Rent or because of a default, the Lessee will pay to the Lessor its expenses, including its legal fees and disbursements (on a solicitor and client basis).

 

[14]        Le procureur de la défenderesse plaide qu’en raison de l’existence du par. 42.1.8 du bail, il n’y a pas de « défaut » en l’instance et donc que la clause 42.7 ne peut s’appliquer en l’espèce pour donner le droit à la demanderesse de recouvrer ses frais extrajudiciaires.

[15]        Subsidiairement, elle conteste le quantum des frais extrajudiciaires réclamés. Nous en traiterons, le cas échéant, dans le cadre de la réponse à la seconde question en litige.

[16]        Les procureurs de la demanderesse soutiennent, pour leur part, que cette dernière a droit de recouvrer ses frais extrajudiciaires de la défenderesse en se fondant sur les clauses 42.1.5 et 42.7 du bail. Selon eux, les termes « event of default » et « attempts » des clauses 42.1 et 42.1.5 confirment que, dans les circonstances, la demanderesse est en droit de recouvrer ses frais extrajudiciaires.

[17]        Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que les procureurs de la demanderesse ont raison.

[18]        L’article 42.7 prévoit clairement que la demanderesse est en droit de recouvrer ses frais extrajudiciaires incluant les honoraires et débours sur la base avocat-client « because of a default ». Or les termes « default » et « event of default » sont définis à la clause 42.1.5 comme incluant les tentatives du locataire de mettre fin ou autrement modifier le bail ou l’un de ses termes et conditions : « attempts to ... terminate or modify this Lease or any of the terms or conditions hereof (including, without limitation, payment of Rent) ».

[19]        Partant, l’article 42.1.8 s’ajoute à l’article 42.1.5 du bail, mais n’empêche pas son application.

[20]        En l’espèce, le Tribunal est d’avis que la défenderesse a réellement tenté de mettre fin au bail qui la liait à la demanderesse au sens de la clause 42.1.5. D’ailleurs, le jugement rendu le 31 août 2012 par la juge Mandeville - donnant raison à la demanderesse et accordant une injonction interlocutoire provisoire - confirme qu’il y avait un défaut appréhendé justifiant la demanderesse d’intenter des procédures en injonction comme elle l’a fait.

[21]        De l’avis du Tribunal, le terme « default » utilisé à la clause 42.7 du bail inclut tant le défaut consommé que le défaut appréhendé.

[22]        En conséquence, la demanderesse était en droit d’intenter des procédures en injonction vu la menace imminente de défaut, afin d’empêcher le défaut - ou un cas de défaut - de la défenderesse.

[23]        Le terme « attempts » -  ou en français « tente » - utilisé à la clause 42.1.5 le confirme sans équivoque.

[24]        En conséquence, le Tribunal conclut que la clause 42.7 du bail s’applique en l’espèce donnant ainsi droit à la demanderesse de recouvrer ses frais extrajudiciaires (honoraires et débours) sur la base avocat-client.

 

B.        Dans l’affirmative, les montants réclamés par la demanderesse à titre de frais extrajudiciaires (honoraires et débours) sont-ils justifiés et raisonnables dans les circonstances?

 

[25]        Avant de trancher cette question en litige, il convient de résumer les prétentions des parties.

[26]        Les procureurs de la défenderesse plaident que selon l’arrêt Groupe Van Houtte inc. (A.L. Van Houtte ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc., 2010 QCCA 1970, particulièrement aux par. 124 et 125, le montant des frais extrajudiciaires réclamé par la demanderesse n’est pas raisonnable et doit donc être réduit par le Tribunal. Selon eux, l’examen de l’ensemble du dossier et des procédures ne donne droit à la demanderesse qu’à la somme de 25 767 $.

[27]        Pour leur part, les procureurs de la demanderesse plaident que celle-ci est en droit de recouvrer la somme totale de 54 978,21 $ en honoraires, débours, TPS et TVQ conformément à l’article 42.7 du bail suivant les factures produites en preuve[2]. Selon eux, ces frais extrajudiciaires sont justifiés et raisonnables dans les circonstances et devraient donc être accordés par le Tribunal.

[28]        Le Tribunal a examiné minutieusement l’ensemble du dossier, soit les procédures, les jugements, les factures produites en preuve par les procureurs de la demanderesse, et conclut, à la lumière de l’arrêt Van Houtte et des critères applicables pour déterminer la raisonnabilité des frais extrajudiciaires, que la demanderesse a droit à 40 000 $ à titre de frais extrajudiciaires, incluant honoraires, débours et taxes, conformément à la clause 42.7 du bail liant les parties.

[29]        Pour avoir droit à ces frais extrajudiciaires conformément à cette clause contractuelle, la demanderesse doit démontrer que les frais réclamés sont justifiés et raisonnables. Dans les circonstances, le Tribunal est convaincu que les frais extrajudiciaires encourus par la demanderesse étaient justifiés dans les circonstances; d’ailleurs, les procédures qu’elle a intentées contre la défenderesse ont été accueillies favorablement par la juge Mandeville le 31 août 2012.

[30]        De plus, une injonction permanente a été émise de consentement par le Tribunal le 16 novembre 2012 confirmant ainsi le bien-fondé des procédures intentées par la demanderesse.

[31]        L’arrêt Van Houtte a confirmé la validité des clauses contractuelles de recouvrement de frais extrajudiciaires en se fondant sur les art. 1373, 1374 et 1617 al. 3 C.c.Q.  Essentiellement, la Cour d’appel a déclaré valide ce genre de clause en s’assurant du contrôle judiciaire de l’application de telles clauses contractuelles afin qu’elles soient appliquées de manière raisonnable, sous le contrôle du tribunal, et ce, dans une perspective contextuelle.

[32]        La juge Bich, rendant le jugement de la Cour, énonce ainsi les critères que le tribunal doit appliquer afin de s’assurer de la raisonnabilité des frais extrajudiciaires réclamés par le créancier contractuel. Elle s’exprime ainsi :

[124] Cela dit, il convient de rappeler, à l'instar de l'arrêt Compagnie Montréal Trust, que l'application des clauses contractuelles de ce genre doit se faire de manière raisonnable, sous le contrôle du tribunal, dans une perspective contextuelle. En fait, on doit lire dans toutes ces clauses, en filigrane, que seuls peuvent être réclamés les honoraires et débours raisonnablement encourus et non excessifs ou abusifs, dans le respect des métarègles issues des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Les facteurs suivants peuvent notamment être considérés pour évaluer le caractère raisonnable de la réclamation : importance et difficulté du litige, temps qu'il était nécessaire d'y consacrer, mais aussi façon dont l'instance a été menée par la partie qui réclame le remboursement de ses honoraires extrajudiciaires (y compris en rapport avec l'utilité ou la pertinence des procédures), ainsi que raisonnabilité intrinsèque du taux horaire de l'avocat de cette partie ou du montant facturé, selon la formule convenue avec le client, pour assurer sa représentation dans l'instance. Il faut aussi, bien sûr, examiner la proportionnalité des honoraires réclamés au regard de la condamnation prononcée et l'ensemble du contexte.

 

[33]        L’arrêt Van Houtte a été approuvé par la doctrine[3] et suivi par la jurisprudence subséquente. 

[34]        Ce qui amène le Tribunal à réduire en l’espèce le montant réclamé de 54 978,21 $ à 40 000 $ est le critère de la proportionnalité des honoraires réclamés au regard de la condamnation prononcée et de l’ensemble du contexte de ce dossier.

[35]        Les autres critères tels que le temps des avocats, leurs taux horaires, le nombre et l’importance des procédures et l’objet du litige sont respectés en l’espèce.

[36]        Toutefois, le Tribunal est d’avis qu’une somme de 40 000 $ à titre de frais extrajudiciaires - honoraires et débours - est plus proportionnée au regard de l’ensemble du contexte du présent dossier.

[37]        De plus, le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’exclure les honoraires extrajudiciaires encourus par la demanderesse pour réclamer ceux-ci. La défenderesse était libre de consentir au paiement des honoraires extrajudiciaires, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a donc obligé la demanderesse à encourir des frais extrajudiciaires pour recouvrer les frais auxquels elle a droit en vertu de l’art. 42.7 du bail. Ces frais extrajudiciaires sont donc, eux aussi, visés par cet article du bail.

[38]        Enfin, un mot sur la corrélation entre les frais extrajudiciaires et les dépens judiciaires. En principe, le créancier qui a droit à des frais extrajudiciaires contractuels (honoraires et débours) ne devrait pas se voir aussi accorder les dépens judiciaires. Toutefois, lorsque le Tribunal accorde tant les frais extrajudiciaires contractuels que les dépens judiciaires, ces derniers doivent être interprétés - tant par le créancier que par l’officier taxateur - comme n’incluant que les dépens judiciaires qui ne sont pas autrement compensés par les frais extrajudiciaires contractuels accordés. Cette conclusion découle de deux principes fondamentaux : premièrement, un créancier ne doit pas s’enrichir indûment aux dépens de son débiteur; et, deuxièmement, un créancier ne doit pas recevoir une double indemnité pour un même frais, honoraires ou débours. En l’espèce, compte tenu de la conclusion du Tribunal quant aux frais extrajudiciaires contractuels accordés à la demanderesse, il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

 

V

 

[39]        En conséquence, le Tribunal est d’avis que la demanderesse est en droit d’obtenir 40 000 $ afin de l’indemniser de ses frais extrajudiciaires conformément à la clause 42.7 du bail liant les parties.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[40]        ACCUEILLE en partie la demande de frais extrajudiciaires de la demanderesse en vertu du bail (P-4);

[41]        CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 40 000 $ à titre de frais extrajudiciaires, comprenant honoraires, débours et taxes;

[42]        LE TOUT, sans frais.

 

 

________________________________

GÉRARD DUGRÉ, J.C.S.

 

 

 

Me François Viau

Me Pierre-Luc Beauchesne

gowling lafleur henderson

Procureurs de la demanderesse

 

Me Éric Azran

stikeman elliott

Procureurs de la défenderesse

 

 



[1]     Pièce P-4, bail du 29 novembre 2007.

[2]     Voir les pièces P-7, P-8, P-9, P-10 et P-11.

[3]     Voir généralement Didier lluelles et Benoît moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, p. 547-548, 550-551; Jean-Louis baudouin et Pierre-Gabriel jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, no 798, p. 976-977.

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