Décision

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R. c. Cyr

2013 QCCQ 1793

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BONAVENTURE

LOCALITÉ DE

NEW CARLISLE

« Chambre criminelle »

N° :

105-01-000430-103

 

DATE :

  Le 26 février 2013

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEAN-PAUL DECOSTE, J.C.Q.

 

 

LA REINE

 

Poursuivante

 

c.

 

JACQUES CYR

 

Accusé

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Le ministère public a porté contre M. Jacques Cyr les accusations suivantes savoir :

Dossier 105-01-000430-103

1.    Le ou vers le 3 juin 2010, à Carleton-sur-Mer, district de Bonaventure, a eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur, alors qu'il avait consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux articles 253(1)b) et 255(1) du Code criminel.

2.    Le ou vers le 3 juin 2010, à Carleton-sur-Mer, district de Bonaventure, a eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur, alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l'effet de l'alcool ou d'une drogue, commettant ainsi l'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux articles 253(1)a) et 255(1) du Code criminel.

Les Faits

[2]           Le 3 juin 2010, les agents Lagrange et Bergeron de la Sûreté du Québec patrouillent dans le secteur du stationnement de la marina à Carleton. Ils aperçoivent dans le stationnement du bar de la marina, un homme endormi derrière le volant d'un véhicule, sur le siège du conducteur. Les policiers aperçoivent la clef dans l'ignition, mais le moteur n'est pas en marche, et d'ailleurs aucun autre accessoire n'est en fonction.

[3]           Une fois éveillé, Monsieur Cyr sortira de son véhicule et alors les policiers prétendent qu'il a glissé la clef sous le volant. Les symptômes constatés par les agents ne laissent aucun doute sur le caractère affaibli des facultés de Monsieur Cyr et les taux d'alcool constatés dans son organisme par l'Alco-Sensor IV (soit 141 et 131) le confirmeront plus tard. Monsieur explique, qu'après une ballade en bateau, il est entré dans son véhicule, a penché le siège du conducteur pour y dormir. Se sentant affecté par l'alcool, et par le fait qu'il avait passé la journée en bateau, il ne s'estimait pas apte à conduire son véhicule, et ne désirait pas non plus se rendre chez lui à pied malgré le fait qu'il s'agissait d'une courte distance. Il dira s'être bien installé pour dormir dans le but de ne prendre le volant qu'après une certaine période de sommeil, permettant ainsi que l'effet de l'alcool s'amenuise. « Je ne conduis jamais quand j'ai des doutes sur mon état… je ne prends aucune chance de ce côté-là » dira-t-il.

[4]           L'importance de conduire « sobre » tient surtout au fait que la perte de son permis de conduire entraînerait forcément la perte de son emploi de sorte qu'il ne peut prendre quelque risque que ce soit sur cette question. Et c'est justement parce qu'il avait un doute sur sa capacité de conduire qu'il a décidé de dormir un certain temps sur le siège avant de sa voiture converti en « lit ».

[5]           Le procès s'est tenu le 14 juillet 2011, mais le délai avant le verdict s'explique ainsi : l'accusé ayant présenté une défense de type Carter.[1] tant la poursuite que la défense ont suggéré au tribunal d'attendre la décision de la Cour suprême dans l'affaire St-Onge Lamoureux. [2] La décision rendue par la Cour suprême dans ce dossier le 2 novembre 2012 fait en sorte que le tribunal doit prendre pour exacts les résultats inscrits à l'appareil Alco-Sensor IV. Cependant la question est peu pertinente, puisque l'accusé admet qu'il n'était pas en état de conduire, et les symptômes constatés par les policiers ne laissent aucun doute sur cette question.

LE LITIGE

[6]           L'accusé avait-il la garde ou le contrôle de son véhicule?

[7]           Le ministère public s'appuyant sur la présomption prévue à l'article 258(1)a) du C.cr., estime que déjà existe une présomption que l'accusé occupait cette position dans le but de conduire son véhicule. Mais surtout il explique que le plus mauvais arbitre chez un conducteur pour connaître sa capacité de conduire un véhicule après une consommation d'alcool est justement « ce » conducteur. Ainsi après avoir dormi quelque temps, comment évaluer l'aptitude de Monsieur Cyr à conduire? Comment le citoyen, usager de la route ou piéton, peut-il être assuré que l'effet de l'alcool consommé par Monsieur ait effectivement disparu?

[8]           Son collègue en défense soutiendra que l'accusé a établi ne pas avoir l'intention de conduire et que cela suffit pour lui accorder un acquittement. Aucun des gestes posés par l'accusé n'établit un quelconque élément de contrôle du véhicule. Il conteste la présence de la clef dans l'ignition, et insiste sur le fait que la simple présence de l'accusé dans sa voiture ne suffit pas à en établir la garde ou le contrôle.

LE DROIT

[9]           Il nous semble pertinent d'analyser quelques décisions du plus haut tribunal du pays. Dans l'affaire R. c. Saunders, [3] la Cour suprême avait confirmé le verdict de culpabilité de garde et de contrôle prononcé par le tribunal d'appel. L'intimé a été retrouvé endormi dans son véhicule alors qu'il était en état d'ébriété; il occupait le siège du conducteur. Les clefs se trouvaient dans le contact mais le moteur n'était pas en marche. La voiture était dans un fossé en bordure d'une autoroute et les policiers ont dû procéder à son remorquage pour l'en sortir. « Le fait qu’un véhicule à moteur, lors de l’offense, ne puisse se mouvoir de son propre pouvoir en raison de conditions internes ou externes, est sans importance. » peut-on lire dans le jugé.

[10]        Relativement à la présomption créée par l'article 258(1)a) du C.cr., [4] la Cour avait statué dans la décision Appleby [5] que l'accusé devait établir par prépondérance de preuve qu'il n'occupait pas cette place dans le véhicule dans le but de conduire et non simplement en soulevant un doute raisonnable. Ce chauffeur de taxi s'était assis au volant de sa voiture pour appeler une dépanneuse, avait-il soutenu devant le juge en première instance. Or, même si ce dernier considérait que l'accusé avait alors soulevé un doute raisonnable sur son intention de conduire, il considérait telle preuve insuffisante, et estimait que le fardeau exigé par le code était une preuve selon la balance des probabilités : la Cour suprême lui donna raison.

[11]        En 1982, la Cour suprême était saisie d'une question relative à la garde et au contrôle d'un véhicule automobile. [6] Les circonstances de l'affaire Ford sont ainsi résumées dans le jugé de la Cour :

« L'appelant a été trouvé au volant de son véhicule stationné dans un champ lors d'une partie alors que ses facultés étaient affaiblies et il a été accusé d'avoir eu la garde du véhicule contrairement à l'article 236 du Code criminel. Auparavant il avait consenti à ce qu'une autre personne conduise son véhicule après la partie. »

[12]        La Cour suprême confirmera le verdict de culpabilité de la Cour d'appel de l'Île-du-Prince-Édouard, qui avait statué que l'absence d'intention de conduire ne constitue pas une défense à l'accusation de garde. La majorité des juges statuera que :

« La preuve que l'accusé n'a pas pris place dans le véhicule dans l'intention de le mettre en marche n'entraîne pas en soi l'acquittement lorsqu'un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui indiquent que l'accusé avait la garde du véhicule. »

[13]        Le Juge Ritchie, faisant référence aux jugements du Juge Jessup au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, dans les arrêts R. v. McPhee; R. v. Mullen, (1975), 30 C.R.N.S. 4, fera le commentaire suivant : « …je suis incapable d'adhérer à la phrase suivante des motifs du juge Jessup où il affirme :

[TRADUCTION] « Il s'ensuit donc, à mon avis, que dans une poursuite en vertu de l'art. 234, l'intention de l'accusé de mettre le véhicule en marche . . . est un élément essentiel de l'infraction... »

[14]        Et le Juge Ritchie  ajoutera plus loin :

« Il n'est pas non plus nécessaire, à mon avis, que la poursuite fasse la preuve de l'intention de mettre le véhicule en marche pour que soit reconnue coupable une personne accusée, en vertu du par. 236(1), d'avoir eu la garde d'un véhicule à moteur alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang. Il peut y avoir garde même en l'absence de cette intention lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir. »

[15]        En conséquence, nous avions compris en première instance que si l'accusé établissait selon la balance des probabilités avoir occupé le siège du conducteur sans avoir l'intention de conduire, l'acquittement pouvait être décrété, à moins qu'il n'ait posé un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, sur le véhicule. L'intention de conduire ne constituait pas un élément essentiel de l'infraction, et l'absence de l'intention de conduire ne constituait pas en soi une défense. Telle était aussi l'interprétation de notre Cour d'appel. [7]

[16]        Or, la décision de la Cour suprême dans l'affaire Boudreault, [8] a substantiellement modifié selon nous telle interprétation. Regardons les faits pertinents de l'affaire :

« B était ivre et inapte à conduire lorsqu’est venu le temps qu’il rentre chez lui après avoir passé la nuit à boire. À sa demande, on a appelé un taxi, qu’il devait attendre dehors. C’était un matin froid et venteux de février. B est monté dans sa camionnette, a démarré le moteur, a mis le chauffage et s’est endormi. »

[17]        Il nous semble très évident que le fait d'entrer dans une voiture, mettre le moteur en marche, activer la climatisation, constituent deux gestes ayant trait à l'utilisation du véhicule. [9] Rédigeant les motifs de la décision pour les juges majoritaires, le Juge Fish écrira :

« Pour avoir « la garde ou le contrôle » au sens où il faut l’entendre pour l’application du par. 253(1) du Code criminel, il faut (1) une conduite intentionnelle à l’égard d’un véhicule à moteur; (2) par une personne dont la capacité de conduire est affaiblie ou dont l’alcoolémie dépasse la limite légale; (3) dans des circonstances entraînant un risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien.  Pour ce qui est du troisième élément, il faut que le risque de danger soit réaliste, non pas seulement possible en théorie. »

[18]        On a donc ajouté un élément essentiel additionnel, savoir le « risque réaliste de danger pour autrui ou pour un bien. »

CONCLUSION

[19]        Il faut convenir qu'en l'instance l'accusé a posé peu de gestes ou d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires; certes il a forcément ouvert la porte de son véhicule qui, nous le présumons était fermé à clef. Peut-être a-t-il inséré la clef dans l'ignition (un fait qu'il conteste), et puis il s'est endormi se servant de l'habitacle comme d'un lit parce qu'il ne se sentait pas en état de conduire. Nous sommes satisfaits, et ce selon la balance des probabilités, qu'il ne s'est pas assis au volant dans le but de conduire (dans l'immédiat…). Il est exact, comme le soutient le ministère public qu'il ne constituait certainement pas l'arbitre idéal pour statuer sur sa capacité de conduire lorsqu'il se serait éveillé, et qu'il y aurait eu alors un risque qu'il prenne le volant, sans avoir l'aptitude pour le faire, mais pensant le contraire.

[20]        Bien sûr, le tribunal doit statuer si, la preuve établit : « garde et contrôle » à l'instant même où l'accusé dort dans son véhicule, et non au moment ou plus tard il s'éveillera. Or, la preuve ne nous révèle pas clairement le caractère « réaliste » de ce risque, qu'exige maintenant la Cour suprême. Nous ne voyons pas comment un homme endormi, même derrière le volant, que la clef soit ou non dans l'ignition, mais alors que le moteur est éteint, puisse constituer un « risque réaliste » de danger pour autrui ou pour un bien.

[21]        En conséquence, un verdict d'acquittement s'impose sur les deux chefs d'accusation.

 

 

__________________________________

JEAN-PAUL DECOSTE, J.C.Q.

 

Me Gérald Maltais

Procureur de la poursuivante

 

Me William Assels

Procureur de l'accusé

 

Date du procès :

14 juillet 2011

 



[1]     Regina c. Carter 1985, CanLII 168 (ON CA)

[2]     R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57

[3]     R. c. Saunders, [1967] R.C.S. 284

[4]     Art. 258(1)a) lorsqu'il est prouvé que l'accusé occupait la place ou la position ordinairement occupée par la personne qui conduit le véhicule à moteur, le bateau, l'aéronef ou le matériel ferroviaire, ou qui aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, il est réputé en avoir eu la garde ou le contrôle à moins qu'il n'établisse qu'il n'occupait pas cette place ou position dans le but de mettre en marche ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire, ou dans le but d'aider à conduire l'aéronef ou le matériel ferroviaire, selon le cas;

[5]     R. c. Appleby, 1971 CanLII 4 (CSC)

[6]     Ford c. R., [1982] 1 RCS 231

[7]     Voir : Sénéchal c. R., 2007 QCCA 261 , R. c. Rioux, [2000] J.Q. no 2274 (C.A.) - L’accusé avait pris soin de déposer les clés de son véhicule derrière le garage à une vingtaine de pieds du véhicule. « Il avait donc les moyens de mettre son véhicule en marche alors que ses facultés étaient toujours affaiblies par l'alcool. » écrira pour la Cour la juge France Thibault. - Requête pour permission d'appeler à la Cour suprême rejetée, 22 mars 2001.

Nicole Hamel, REJB 1997-02263 , Alain Rousseau, REJB 1997-03851 , Francis Rioux, REJB 2000-19176

[8]     R. c. Boudreault, 2012 CSC 56

[9]     Voir commentaire du Juge Ritchie dans Ford précité : « …, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir. »

AVIS :
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