Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Bahrain Executive Air Services Company (Bexair) WLL c. Bombardier inc.

2014 QCCS 324

 

JC00C9

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-068380-115

 

 

DATE :

LE 5 FÉVRIER 2014

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MARTIN CASTONGUAY, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

BAHRAIN EXECUTIVE AIR SERVICES COMPANY (BEXAIR) W.L.L.

et

ARABIAN AIRCRAFT & EQUIPMENT LEASING CO. BSC. (AAELCO)

            Demanderesses

c.

 

BOMBARDIER INC.

et

BOMBARDIER AEROSPACE CORPORATION

            Intimées

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Chaque partie au litige présente une requête en rejet.

[2]           Bombardier inc. et Bombardier Aerospace Corporation (collectivement « Bombardier »), se fondant sur les articles 54.1 et 165(1) et (4) C.p.c., demandent le rejet de l’action dirigée contre eux par Bahrain Executive Air Services Company (Bexair) W.L.L. et Arabian Aircraft and Equipment Leasing Co B.S.C. (AAELCO), (ci-après individuellement « BEXAIR » et « AAELCO » et collectivement, les demanderesses).

[3]           Les demanderesses rétorquent en demandant le rejet de la requête en rejet présentée par Bombardier, alléguant l’absence d’affidavit à son soutien.

[4]           Il y a lieu de disposer de la requête de BEXAIR dès maintenant.

[5]           Le moyen invoqué par BEXAIR, soit l’absence d’affidavit, est en réalité un des éléments de contestation quant à la requête présentée par Bombardier.

[6]           L’article 88 C.p.c. est clair. Le Tribunal le reproduit :

« 88. A moins d'une disposition expresse au contraire, une demande en cours d'instance se fait par requête au tribunal, ou à un juge si le tribunal n'est pas en session et qu'il y ait urgence.

La requête doit être appuyée d'un affidavit attestant la vérité des faits allégués dont la preuve n'est pas déjà au dossier, et elle ne peut être contestée qu'oralement, à moins que le tribunal ne permette la contestation écrite dans le délai et aux conditions qu'il détermine.

Lors de l'audition de la demande, toute partie peut présenter une preuve appropriée. »

[7]           Ainsi, la contestation de la requête de Bombardier ne peut se faire qu’oralement. Présenter une requête écrite pour invoquer un moyen de contestation équivaut à une contestation écrite, ce que la loi n’autorise pas.

[8]           Qui plus est, ce même article 88 C.p.c. précise qu’un affidavit est nécessaire que pour des faits « dont la preuve n’est pas au dossier ».

[9]           Le Tribunal a pu constater que les faits ou pièces allégués par Bombardier au soutien de sa requête font déjà partie du dossier tel que constitué et que dès lors, aucun affidavit n’était requis.

[10]        Dans les circonstances, le Tribunal rejettera la requête en rejet présentée par BEXAIR.

[11]        Voyons maintenant la requête de Bombardier, en commençant par un bref survol de l’action de BEXAIR et des faits invoqués à son soutien.

L’ACTION DES DEMANDERESSES

[12]        Les conclusions recherchées par les demanderesses visent l’annulation des offres d’achat pour deux avions Challenger 605 ainsi que pour trois avions Global 5000. Les demanderesses demandent, en outre, que soit déclarée nulle une entente d’achat - échange d’avions, ainsi qu’une entente intervenue entre les parties le 20 mars 2009. Sont également réclamés des dommages de l’ordre de 41 878 800 $U.S.

[13]        L’entente du 20 mars 2009 est particulièrement importante puisque c’est, entre autres, justement en fonction de celle-ci que Bombardier demande le rejet de l’action des demanderesses.

LES FAITS

[14]        L’exercice auquel s’astreint le Tribunal se veut une synthèse condensée des faits invoqués dans l’action qui compte quelque 35 pages et appuyée par 40 pièces, lesquelles totalisent quelque 1000 pages.

[15]        Les demanderesses œuvrent dans la vente, location, exploitation et entretien d’avions au Moyen-Orient.

[16]        Le 25 avril 2007 et le 7 juillet 2007, BEXAIR s’engage à acheter de Bombardier deux avions de marque Challenger, modèle 605.[1]

[17]        Le 31 mars 2008, BEXAIR s’engage à acheter de Bombardier trois avions de marque Global, modèle 5000.[2]

[18]        Entre mars 2007 et avril 2008, BEXAIR effectue divers dépôts auprès de Bombardier, totalisant 13 250 000 $U.S., et ce, quant aux deux Challenger et deux des trois Global.

[19]        Cela étant, en vertu des ententes contractuelles signées quant à ces quatre appareils, les dépôts, entre mars 2007 et le 31 mars 2008, auraient dû totaliser la somme de 26 000 000 $U.S.

[20]        En mai 2008, intervient entre les parties une entente d’achat - échange d’avions appartenant à AAELCO et BEXAIR.[3]

[21]        Cette première entente d’achat - échange donnera lieu à des négociations entre les parties qui culmineront en une nouvelle entente, celle-là en août 2008.[4]

[22]        Cette entente est d’une importance capitale pour les demanderesses, puisque le produit de cet achat - échange doit servir à combler les sommes d’argent manquantes en vue de l’achat des cinq nouveaux avions.

[23]        Conformément à l’entente d’août 2008, les avions d’AAELCO et de BEXAIR, visés par l’achat - échange, devaient faire l’objet d’une inspection préachat par Bombardier.

[24]        AAELCO et BEXAIR formulent de nombreux reproches à Bombardier quant à cette inspection. Le Tribunal reproduit certains des allégués qui en font la démonstration :

« 24.     It was agreed between the parties that the PBIs for both aircraft would immediately start upon their arrival to the identified service centers, which was at the end of June and early July 2008;

24.1        After the execution of the June 17, 2008 trade-in agreement, Exhibit P-7, Plaintiffs in good faith delivered the two trade-in aircraft (CL-601 and Ce-Excel) to defendants for the PBI;

(…)

24.3       On or around June 30, 2008, Bombardier took delivery of the CE-Excel aircraft at the Orlando Citation Service Center located at Orlando International Airport, Orlando, Florida, USA;

(…)

24.6      Finally, and as will be explained in greater detail hereinafter, following delivery by Plaintiffs of the two traded-in aircraft (CL-601 and CE-Excel) to Bombardier for the PBI, Bombardier, in flagrant breach of its contractual obligations and in bad faith, continuously delayed the implementation of the PBI, retained possession of the two aircraft until they were seized by their […] lenders, CS and CFC, and, notwithstanding their agreement to exclude a back-to-back resale clause from the purchase agreements, Bombardier […] refused to purchase and pay for the two traded-on aircraft on the basis that it was unable to find purchasers for the aircraft; »

[25]        Ainsi, au final, Bombardier a refusé d’acheter les avions d’AAELCO et BEXAIR, invoquant, entre autres, un moratoire qu’elle a elle-même décrété[5]. Le Tribunal juge utile de reproduire cette communication dans son intégralité :

« October 15, 2008

SENT VIA EMAIL - altassa @bexair.com

Sheikh Mansour Al-Tassan

BEXAIR WLL

PO Box 50280

Muharraq, Bahrain

 

Subject:             Cessna aircraft, model Excel, bearing manufacturer’s Serial Number 560-5046 and currently bearing Registration Number A9C-BXA (hereinafter “5046”)

                          And Challenger Aircraft, model CL-600-2B16 (601-3R variant), bearing manufacturer’s Serial Number 5194 and currently bearing Registration Number A9C-BXD (hereinafter “5194”).

                          Both aircraft when together shall be referred to as (“Aircraft”).

 

Dear Sheikh Mansour:

 

We were informed yesterday that our buyer for Challenger 601-3R 5194 has elected not to proceed with the purchase and is exiting our agreement. The purchaser for the Citation Excel 5046 has also declined to purchase that aircraft. The primary reason for the failure to close the resale transactions was Bexair’s inability to act in a timely fashion, position the aircraft, and authorize work. This is in conjunction with the market crash the week of October 6, 2008. Banks have stopped loaning money until the terms of the massive government rescue/bailout have been communicated. The root causes of the current financial crisis are the housing bubble together with selling of overleveraged asset backed financing. We anticipate that government rescue program will stabilize financial markets and restore the flow of credit. As a result of the current market turmoil, Bombardier has placed a moratorium on consummating any trade transactions not covered by a back to back resale transactions (which formed the basis of our original agreement to dispose of your aircraft). Therefore we regret that we will be unable to conclude the transactions at this time. We shall continue to support the relationship and secure new buyers under the most favorable terms possible. According to the closing schedule and purchase price for the new buyers, we will coordinate the transactions with you under separate agreements. We will keep informed as we receive each offer.

 

Bombardier has spent a significant amount of money on inspections and correction of discrepancies for both aircraft ($325,000 on 5194 and $166,607.91 on 5046). We had hoped to be in a position to conclude these transactions sooner and to this end had made several additional concessions in an effort to try and preserve the deals for as long as possible. Unfortunately the delays required to correct the may airworthy discrepancies on both aircraft, thus prolonging final acceptance, coupled with the market crisis beyond our control proved to extensive for these transactions.


We would like to move forward under terms and in a manner that is acceptable to both parties. We will need to involve all necessary groups such as New Aircraft Sales for the deposits, service centers, maintenance service providers, and lenders. Thank you for your consideration.
[6]

 

Sincerely,

 

Luke Frick

Manager, Contracts

Bombardier Business Aircraft »

(Nos soulignés)

 

[26]        Toujours selon la requête introductive d’instance, cet achat - échange d’avions constituait une des pierres angulaires du financement pour l’achat des cinq avions de Bombardier (deux Challenger et trois Global), tel que relaté au paragraphe 38.7 de la requête introductive d’instance :

« In fact, Bombardier was well aware that the ability of Plaintiffs to pay off their existing financing obligations with CS and CFC and to finance the purchase of the new aircraft was dependant on the receipt by the escrow agent from Bombardier of the amount of $20,000,000 USD (the purchase price for the traded-in aircraft, CL-601 and CE-Excel), with which the escrow agent would then pay CS and CFC the balance owed to them in full as well as Bombardier the amounts indicated in the August 2008 Trade-In Agreement, Exhibit P-10. »

[27]        Qui plus est, les demanderesses allèguent que la dépossession de leurs avions pendant l’inspection (retardée par Bombardier selon eux), a causé une interruption néfaste de leurs activités, provoquant par le fait même un manque de liquidités qui les plaçait à la merci du dictat de Bombardier.

[28]        S’en suivront de nouvelles négociations entre les demanderesses et Bombardier, lesquelles aboutiront à l’entente de mars 2009.[7]

[29]        En vertu de cette entente, Bombardier accepte d’annuler le contrat d’achat quant à deux des trois avions Global 5000, en plus d’échelonner certains paiements.  Le premier paragraphe de cette entente est d’intérêt, il y a lieu de le reproduire :

« Notwithstanding our Notices of Default transmitted to your attention on 8 January 2009, wherein Bombardier is presently entitled to terminate 605-1, 605-2 and 5000-2 and retain the prescribed liquidated damages, this letter shall serve to advise that we would like to present to you the following offer as our last attempt at an agreement in connection with the several outstanding issues involving BEXAIR - Bahrain Executive Air Services Co. W.L.L. (hereinafter “Bexair”) and Arabian Aircraft & Equipment Leasing Company (hereinafter “AAEL”) relating to the above referenced purchase agreements and preowned aircraft, on a without prejudice basis and without any admission of liability…»

[30]        Encore une fois, puisque cette entente est au cœur des prétentions de Bombardier pour demander le rejet des procédures des demanderesses, une mise en contexte s’impose.

[31]        Les échanges courriels intervenus entre les parties pour en venir à cette entente sont nombreux.  Pour les fins des présentes, le Tribunal juge utile d’en reproduire une partie :

COURRIEL DU 20 FÉVRIER 2009

« We must reach a definitive settlement agreement by early next week.  Kindly indicate your acceptance of the terms in my email of February 2nd and I will forward a letter agreement for signature.  Otherwise, we reserve all of our rights including the right of termination under the current purchase agreements for 605-1, 605-2 and 5000-2. [8]»

(Nos soulignés)

 

COURRIEL DU 23 MARS 2009

« Dear Sheikh Mansour,

On Friday, you sent an email asking me to re-send the settlement agreement for finalization.  I did so the same day and extended the dates for the various payments.

Today, you have sent me another email without signing the agreement and saying that you need more time.  This is unacceptable and if the agreement is not signed today, we will be forces to proceed with terminations. [9]»

(Nos soulignés)

[32]        Par leurs procédures, les demanderesses demandent spécifiquement l’annulation de l’entente qu’ils ont signée le 27 mars 2009 et que Bombardier qualifie de transaction.  Le Tribunal reproduit le paragraphe 53 de l’action des demanderesses, lequel est en fait un condensé des reproches des demanderesses à l’endroit de Bombardier :

« 53. Thus, the unilateral refusal by Bombardier to fulfill its own contractual obligations to complete the PBI reports and consummate the trade-in agreements in a timely fashion and pay the $20,000,000 USD purchase price to Plaintiffs, coupled with the continuing loss of revenue resulting from the loss of the possession of the CL-601 and CE-Excel aircraft; the termination by Bombardier of the Purchase Agreements of the CL-605 and Global 5000 aircraft; the retention by Bombardier of the payments of $13,250,000 made by Plaintiffs on account of the purchase price of the said aircraft; the loss of the financial support of CS and CFC resulting from Plaintiffs’ default under the said financing agreements and the continuous threats and pressure of Bombardier, left Plaintiffs in a position with no other choice than to execute the unfavourable agreement, Exhibit P-17, imposed on Plaintiffs by Bombardier as a culmination of their illegal breach of their contractual obligations and their persistent and pervasive bad faith in all their dealings with the Plaintiffs; »

[33]        Bref, les demanderesses allèguent avoir été forcées de signer l’entente en vertu de laquelle Bombardier demande le rejet de leur action.

POSITION DE BOMBARDIER

[34]        Bombardier, qui incorpore à sa requête de larges extraits d’interrogatoires d’un représentant des demanderesses, soutient que l’entente du 27 mars 2009 a été le fruit de longues négociations de part et d’autre et que celle-ci, comportant une quittance, cela constitue une fin de non-recevoir à l’action de BEXAIR.

 

 

POSITION DES DEMANDERESSES

[35]        Les demanderesses avancent que non seulement l’entente du 27 mars 2009 a été conclue sous contrainte, donc susceptible d’annulation, mais qu’au surplus, l’une des défenderesses en l’instance, soit Bombardier Aerospace Corporation, n’étant pas signataire de cette entente, ne peut en bénéficier.

[36]        Les demanderesses soutiennent également que partie de leur réclamation monétaire n’est pas couverte par l’entente de mars 2009, et ce, même si un tribunal venait à la conclusion qu’elle a été validement conclue.

[37]        De fait, les demanderesses réclament l’excédent des sommes payées par eux au-delà du 10 % des dommages liquidés prévus aux contrats d’achat des avions.

ANALYSE

[38]        La requête de Bombardier repose sur les articles 165 (1) et (4), de même que sur l’article 54.1 C.p.c.

[39]        Comme il est maintenant bien établi, le Tribunal doit se pencher dans un premier temps, sur les motifs de l’article 165 C.p.c. et, dans un deuxième temps, sur ceux de l’article 54.1 C.p.c.

[40]        Bombardier, pour demander le rejet, invoque que la transaction de mars 2009 équivaut à chose jugée au sens de l’article 165 (1). C.p.c.[10] Du même souffle, elle conclut que l’article 165.4 C.p.c. doit également recevoir application, pour la même raison.

[41]        Le Tribunal doit tenir pour avérés les faits invoqués et tenir compte également de l’ensemble du dossier tel que constitué, dont les pièces à son soutien.

[42]        Il est également bien connu que le Tribunal doit agir avec prudence afin de ne pas priver sommairement le droit de tout justiciable d’être entendu. Voici comment s’exprime la Cour d’appel à ce sujet, dans l’arrêt Cosoltec c. Structure Laferté[11] :

« [55]    Le rejet d’une action, d’une défense ou d’une demande reconventionnelle est la sanction procédurale ultime, dont les conséquences peuvent être sérieuses, voire irréparables, si un droit s’en trouve irrémédiablement perdu. Comme le souligne ma collègue, la juge Thibault pour la Cour dans l’arrêt Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Financial Canada Corporation, 2010 QCCA 1369, au par. 31, la jurisprudence enseigne que la sanction de rejet ne doit être utilisée qu’avec grande prudence. Là comme ailleurs, la modération s’impose. »

[43]        Cette mise en garde fut rappelée une nouvelle fois par la Cour d’appel dans l’arrêt Acadia Subaru c. Michaud[12] dans son analyse de l’application des articles 54.1 et suivants C.p.c.

[44]        Plus récemment, la Cour d’appel, dans l’arrêt Bohémier c. Barreau du Québec[13], citant avec approbation les propos de la juge Grenier de la Cour supérieure, énumérait les critères à considérer par le Tribunal d’instance dans son analyse d’une requête suivant l’article 165(4) C.p.c.

« [17]    La juge de première instance a correctement énuméré les principes juridiques qui sous-tendent l’irrecevabilité d’un recours sous l’article 165(4) C.p.c. au paragraphe 66 du jugement attaqué :

                         [66]      Les principes juridiques liés à l’irrecevabilité sont les suivants :

·         Les allégations de la requête introductive d’instance sont tenues pour avérées, ce qui comprend les pièces déposées à son soutien;

·         Seuls les faits allégués doivent être tenus pour avérés et non pas la qualification de ces faits par le demandeur;

·         Le Tribunal n’a pas à décider des chances de succès du demandeur ni du bien-fondé des faits allégués. Il appartient au juge du fond de décider, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries, si les allégations de faits ont été prouvées;

·         Le tribunal doit déclarer l’action recevable si les allégations de la requête introductive d’instance sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;

·         La requête en irrecevabilité n’a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite du droit invoqué;

·         On ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu’elle soulève des questions complexes;

·         En matière d’irrecevabilité, un principe de prudence s’applique. Dans l’incertitude, il faut éviter de mettre prématurément à un procès;

·         En cas de doute, il faut laisser au demandeur la chance d’être entendu au fond. »

[45]        Bombardier invoque une transaction alors que BEXAIR en demande la nullité.

[46]        Dans l’exercice de son devoir de prudence, le Tribunal ne peut ignorer la demande de BEXAIR pour que soit annulée l’entente de mars 2009.

[47]        Rappelons un des critères de la nomenclature de la juge Grenier et rapporté par la Cour d’appel :

[66]       (…)

 

« La requête en irrecevabilité n’a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite du droit invoqué; »

 

[48]        Dès lors, le Tribunal doit considérer si les allégués et les pièces en support de cette demande sont susceptibles de donner ouverture à la nullité de l’entente de mars 2009.

[49]        Au soutien de son allégation, BEXAIR produit des extraits d’échanges courriels dans lesquels le ton de Bombardier est sans équivoque. Si BEXAIR ne signe pas l’entente, il y aura des conséquences désastreuses pour celle-ci.

[50]        Une transaction est un contrat[14], lequel peut être frappé comme tout autre contrat de nullité, si le consentement d’une partie a été vicié.[15]

[51]        BEXAIR invoque ne pas avoir eu le choix de signer l’entente en raison de la position monopolistique de Bombardier.

[52]        Le fait par Bombardier de décréter un moratoire pour éviter de racheter les appareils de BEXAIR aux conditions préalablement convenues, illustre la position de force de Bombardier dans un marché aussi pointu.

[53]        Semblable position monopolistique entraîne-t-elle une obligation de bonne foi plus étendue ? Certes, la question est valable.

[54]        Dans la présente affaire, Bombardier invoque, pour ne pas respecter une entente contractuelle, un « moratoire » qu’elle a elle-même décrété.

[55]        La résultante de ce non-respect, tel qu’allégué par les demanderesses, a fait en sorte, qu’elles ont été forcées de signer l’entente de mars 2009 pour éviter un désastre ou la ruine financière.

[56]        Les pièces produites démontrent la pression exercée par Bombardier en vue de la signature de cette entente.

[57]        Nos tribunaux ont déjà interprété que la ruine financière peut être assimilée à la crainte d’un préjudice sérieux au sens de l’article 1402 C.c.Q. ainsi libellé :

« 1402. La crainte d'un préjudice sérieux pouvant porter atteinte à la personne ou aux biens de l'une des parties vicie le consentement donné par elle, lorsque cette crainte est provoquée par la violence ou la menace de l'autre partie ou à sa connaissance.

Le préjudice appréhendé peut aussi se rapporter à une autre personne ou à ses biens et il s'apprécie suivant les circonstances. »

[58]        Voici comment s’exprime le juge Crête à ce sujet dans l’affaire Beauchemin c. C Corp. Inc.[16] :

« 54.     Dans un premier temps, la crainte pouvant affecter le consentement nécessaire à la validité d’une transaction (article 1402 C.C.Q.) doit résulter d’une menace se rapportant à un préjudice sérieux : mort, blessures, diffamation, ruine financière, etc.

« Mais la crainte doit être celle d’un préjudice sérieux (art. 1402 C.c.). La loi veut ici éviter qu’un contrat puisse être annulé lorsqu’il a été conclu à la suite de simples pressions; elle exige donc que le préjudice dont le contractant est menacé ait, en lui-même, un certain caractère de gravité.

55. Dans un deuxième temps, la crainte invoquée à l’appui d’une demande d’annulation d’un contrat doit être déterminante en ce sens «qu’elle ait ôté au contractant le libre choix de contracter ou au moins l’ait obligé à des conditions autres que celles qu’il aurait normalement acceptées. »

[59]        Dans la présente affaire, les demanderesses allèguent un geste illégal de la part de Bombardier (non respect de l’entente d’achat - échange) et, qu’en raison de ce geste, elles ont été contraintes de signer une entente  (mars 2009) désavantageuse pour éviter une ruine financière.

[60]        Force est de constater que ces faits, s’ils sont prouvés évidemment, supportent le syllogisme juridique avancé par les demanderesses pour demander l’annulation de l’entente de mars 2009.

[61]        Le Tribunal ne peut, dans les circonstances, mettre fin au recours au stade d’une requête en irrecevabilité. Les demanderesses ont certes le droit d’être entendues, il leur reviendra maintenant de prouver les faits allégués.

[62]        Par ailleurs, pour les mêmes motifs, le Tribunal conclut que l’action des demanderesses ne constitue par un abus au sens de l’article 54.1 C.p.c.

 

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[63]        REJETTE la requête en rejet de Bombardier inc. et Bombardier Aerospace Corporation;

[64]        Avec dépens.

[65]        REJETTE la requête en rejet de Bahrain Executive Air Services Company (BEXAIR) W.L.L. et Arabian Aircraft & Equipment Leasing Co. Bsc. (AAELCO);

[66]        Avec dépens.

 

 

__________________________________

MARTIN CASTONGUAY, J.C.S.

Me Alexandre Sami

Me Steven Nguyen

gowlings lafleur henderson

Avocats des demanderesses

 

Me Pierre-Paul Daunais

Me Guillaume Bourdeau-Simard

stikeman elliott

Avocats défenderesses

 

 

Date d’audition :

Les 26 et 27 septembre 2013

 



[1] Pièces P-2 et P-3.

[2] Pièce P-4.

[3] Pièces P-7 et P-8.

[4] Pièce P-10.

[5] Pièce P-15.

[6] Pièce P-15.

[7] Pièce P-19.

[8] Courriel de Bill Hantzis du 20 février 2009, Pièce P-18, première feuille non numérotée.

[9] Courriel de Bill Hantzis du 23 mars 2009, Pièce P-18, sixième feuille non numérotée.

[10] Art. 2633 C.c.Q.

[11] 2010 QCCA 1600, par. 55.

[12] 2011 QCCA 1037.

[13] 2012 QCCA 308 (CanLII).

[14] Art. 2631 C.c.Q.

[15] Art. 1419 C.c.Q.

[16] 2007 QCCS 4295, par. 54-55.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.