Décision

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2855-0523 Québec inc. c. Ivanhoé Cambridge inc.

2014 QCCA 124

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022258-115

(500-17-040783-089)

 

DATE :

10 FÉVRIER 2014 

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

2855-0523 QUÉBEC INC.

MELKI KEOPRULIAN

ANASTASIA GEORGIADES

APPELANTS - INTIMÉS INCIDENTS - demandeurs

c.

 

IVANHOÉ CAMBRIDGE INC.

INTIMÉE - APPELANTE INCIDENTE ET APPELANTE EN GARANTIE - défenderesse - demanderesse en garantie

et

MMMUFFINS CANADA CORPORATION

MISE EN CAUSE - INTIMÉE EN GARANTIE - défenderesse en garantie

 

 

ARRÊT RECTIFICATIF

 

 

[1]           Une erreur s’est produite par inadvertance quant à la désignation des procureurs à la fin de l’arrêt rendu le 23 janvier 2014 en ce que Me Éric Cadi était effectivement présent lors de l’audition de cette cause le 12 décembre 2013.

[2]           L’arrêt dont il s’agit est donc rectifié en conséquence.

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

Me Andrew Hertzog

Hertzog & Associés

Pour les appelants

 

Me Stéphane Davignon

Clément, Davignon

Pour l’intimée appelante incidente et appelante en garantie

 

Me Éric Cadi

Irving Mitchell Kalichman

Pour la mise en cause intimée en garantie

 

Date d’audience :

12 décembre 2013


2855-0523 Québec inc. c. Ivanhoé Cambridge inc.

2014 QCCA 124

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022258-115

(500-17-040783-089)

 

DATE :

 23 JANVIER 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

2855-0523 QUÉBEC INC.

MELKI KEOPRULIAN

ANASTASIA GEORGIADES

APPELANTS - INTIMÉS INCIDENTS - demandeurs

c.

 

IVANHOÉ CAMBRIDGE INC.

INTIMÉE - APPELANTE INCIDENTE ET APPELANTE EN GARANTIE - défenderesse - demanderesse en garantie

et

MMMUFFINS CANADA CORPORATION

MISE EN CAUSE - INTIMÉE EN GARANTIE - défenderesse en garantie

 

 

ARRÊT

 

 

LES APPELS

[1]           2855-0523 Québec inc., Melki Keoprulian et Anastasia Georgiades (ci-après le « Franchisé ») et Ivanhoé Cambridge inc. (ci-après « Ivanhoé ») (appelante incidente et appelante en garantie) se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Pierre Nollet), rendu le 21 novembre 2011, lequel, d’une part, accueille partiellement la requête introductive d’instance en accordant respectivement 10 000 $ et 5 000 $ aux appelants Keoprulian et Georgiades, mais en rejetant complètement la réclamation pour perte de profits et de valeur de leur entreprise et, d’autre part, rejette la demande reconventionnelle d’Ivanhoé ainsi que son recours en garantie.

[2]           Le Franchisé soutient que le juge a erré en lui refusant toute indemnité pour la perte de profits et la perte de valeur de l'entreprise. En appel, il recherche les conclusions suivantes :

In light of the above, Appellant respectfully submits that the trial judge made manest and dominant errors in fact and in law and requests that this Horourable Court :

OVERTURN, in part, the judgement in first instance;

CONDEMN Respondent Ivanhoe Cambridge Inc. to pay Appellant 2855-0523 Quebec Inc. the sum of $597,807.00 with interest and the additional indemnity of article 1619 of the Quebec Civil Code from January 18, 2008;

THE WHOLE with costs.

[3]           Pour sa part, Ivanhoé demande que nous intervenions dans le sens que voici :

REJETER l’appel formé par l’appelante.

ACCUEILLIR l’appel incident de l’intimée.

RÉFORMER le jugement de première instance.

REJETER en totalité la requête introductive d’instance ré-amendée.

LE TOUT avec dépens y compris les frais d’expert de l’intimée.

SUBSIDIAIREMENT :

ACCUEILLIR l’appel en garantie de l’intimée.

CONDAMNER la défenderesse en garantie à indemniser l’intimée de toute condamnation pour qui pourrait être prononcée contre elle.

LE TOUT, avec dépens contre la défenderesse en garantie.

Et s’il s’avérait que l’appel en garantie n’était pas nécessaire compte tenu de la décision de la cour sur l’appel principal et l’appel incident :

DÉTERMINER que l’appel en garantie est rejeté sans frais.

[4]           Mmmuffins Canada Corporation (ci - après le « Franchiseur ») demande simplement le rejet avec dépens de l'appel portant sur le recours en garantie.

LE CONTEXTE

[5]           Depuis 1993, le Franchisé détient une franchise du Franchiseur qu’il exploite dans la foire alimentaire du centre commercial Rockland, propriété d'Ivanhoé en vertu du bail consenti au Franchiseur.

[6]           En 2004, Ivanhoé informe le Franchiseur de son intention de déplacer la foire alimentaire au troisième étage du centre commercial. Quelque temps après, au début de l’année 2005, le Franchiseur prévient à son tour le Franchisé de l’éventuelle délocalisation. Ce dernier entreprend alors des échanges directs avec Ivanhoé quant au choix de l’emplacement et quant aux travaux d’aménagement de nouveaux locaux.

[7]           À la fin de mars 2005, le Franchiseur et le Franchisé acceptent la délocalisation proposée ainsi qu’une prolongation du bail de cinq années sur la foi des représentations d’Ivanhoé selon lesquelles le kiosque situé à l’entrée principale de la foire sera occupé par un marchand de glaces (gelato). Ils ignorent que, le 3 mars précédent, Ivanhoé a accepté une proposition de location du kiosque de la part de Café Dépôt, un concurrent du Franchisé qui vend essentiellement les mêmes produits à l'exception de la crème glacée.

[8]           Le Franchisé entretient l’espoir que ce déménagement rétablira son chiffre d’affaires et valorisera son entreprise. Il doit rapidement déchanter puisque, après avoir ouvert ses portes en août 2005, il constate que ses ventes continuent de décroître pendant que celles du Café Dépôt Gelato grimpent rapidement à 400 000 $ par année. Il se plaint immédiatement à Ivanhoé : la localisation avantageuse accordée à un compétiteur direct aurait pour effet, dit-il, de permettre à cette dernière d'intercepter les clients potentiels. Ivanhoé répond qu'il ne peut rien faire, le Franchisé ne bénéficiant d'aucune exclusivité. Ce dernier s'adresse alors à son Franchiseur qui lui fournit sensiblement la même réponse. Il tente alors de vendre. En 2007, il trouve un acheteur potentiel. La vente avorte cependant en raison d'une mésentente avec le Franchiseur relativement à l’exercice d’une option de renouvellement du bail.

[9]           Au début de 2008, il intente contre le Franchiseur et Ivanhoé l’action ayant donné lieu au jugement entrepris, leur réclamant solidairement 1 454 143 $; au premier, il reproche d’avoir saboté la vente de sa franchise et de ne pas l'avoir correctement protégé lors de la délocalisation; au second, il impute la perte de profits entre 2006 et 2008, la diminution de valeur de son entreprise et les troubles et inconvénients subis depuis la délocalisation.

[10]        En 2008, un règlement hors cour intervient entre le Franchisé et le Franchiseur. L’entente prévoit le rachat des équipements du Franchisé pour la somme de 15 000 $ et un dédommagement de l'ordre de 185 000 $. Le Franchisé cesse ses opérations le 29 août 2008.

LES POSITIONS DES PARTIES

[11]        En bref, le Franchisé plaide avoir droit à la somme que le juge a évaluée à titre de perte de profits et de perte de valeur de l'entreprise, mais qu’il ne lui a pas accordée, d'avis qu'il n'avait pas démontré le lien de causalité requis. Pour lui, il va de soi qu'il y a droit, d'autant que le juge a retenu la mauvaise foi d’Ivanhoé et une violation de son obligation de renseignement.

[12]        Ivanhoé soutient de son côté que le juge a erré en concluant à sa mauvaise foi et à l’existence d’une obligation de renseignement donnant lieu à indemnisation. Elle plaide que le juge aurait dû écarter toutes les réclamations du Franchisé, celles-ci étant à son avis irrecevables soit en raison du règlement intervenu avec le Franchiseur, lequel emporterait l’irrecevabilité du recours, soit en raison de l’interdit qui découlerait de la facture de l'article 1876 C.c.Q. À tout événement, en cas de condamnation, elle soutient devoir être indemnisée par le Franchiseur poursuivi en garantie.

[13]        Le Franchiseur plaide ne devoir aucune garantie à Ivanhoé.

L’ANALYSE

1.         L’irrecevabilité du recours

1.1       Les effets de la solidarité ou de l'obligation in solidum

[14]        Le juge a rejeté le moyen selon lequel le recours était irrecevable en raison du règlement intervenu et de la quittance consentie par le Franchisé au Franchiseur.

[15]        Aux paragraphes 48 à 53 du jugement, il tranche ainsi de l'argument :

[48]      Le Locateur fait valoir que le Franchisé, ayant poursuivi solidairement le Franchiseur et le Locateur et libéré par la suite l'un des débiteurs solidaires (le Franchiseur), il est forclos de continuer sa poursuite contre le Locateur. Il s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Leduc c. Soccio.

[49]      Même si le Franchisé décrit la responsabilité entre le Franchiseur et le Locateur comme étant solidaire, il n’y a ici aucune solidarité, même imparfaite.

[50]      Le Franchiseur est lié au Franchisé par contrat. Le Locateur n’est pas lié au Franchisé. L’obligation du Franchiseur envers le Franchisé se distingue de celle du Locateur. L’exécution par l’une de ses obligations n’a pas d’effet libérateur sur l’autre.

[51]      La cause d’action contre le Franchiseur s’entend de la perte d’une occasion de vendre. Contre le Locateur, elle vise la perte de bénéfices passés et futurs. Le Tribunal estime qu'il n'y a aucune preuve de faute à l'égard du Franchiseur pour la perte de bénéfices. Les causes d'actions étant différentes, il ne peut y avoir solidarité.

[52]      La quittance du Franchisé ne libère que le Franchiseur.

[53]      Afin d’éviter la double indemnisation, il pourra être tenu compte de l'indemnisation reçue par le Franchisé. Il s'agit alors de s'assurer que les mêmes dommages ne sont pas indemnisés deux fois, ce que nous verrons lors de l'analyse de ceux-ci.

                                                                                    [Références omises]

[16]        Pour qu’il y ait solidarité imparfaite (obligation in solidum), la responsabilité des codébiteurs doit découler d’un seul et même préjudice. Il importe peu cependant que les règles applicables à l’un soient celles de la responsabilité contractuelle et à l’autre celles de la responsabilité extracontractuelle[1].

[17]        Écrivant pour la Cour, le juge Baudouin rappelle à ce sujet dans Fonds d’assurance professionnelle du Barreau du Québec c. Gariépy[2] :

[18]      Il y a solidarité imparfaite lorsque les obligations de plusieurs débiteurs sont de sources différentes, mais ont toutes contribué à la réalisation d’un même dommage. Elle produit les effets principaux de la solidarité parfaite (art. 1523 et s. C.c.Q.), mais non les effets secondaires et pallie la difficulté pratique créée par la limitation imposée à l’article 1526 C.c.Q. Il me paraît, à cet égard, qu’il n’y a pas lieu de distinguer si ces débiteurs sont tenus selon les règles de la responsabilité extracontractuelle ou contractuelle. C’est d’ailleurs le cas ici puisqu’il s’agit de manquements reprochés dans l’exécution de trois mandats.

[19]      Notre jurisprudence admet aussi maintenant qu’il puisse exister une solidarité imparfaite entre deux débiteurs, l’un tenu contractuellement, l’autre extracontractuellement.

[18]        Ainsi, le juge a eu tort d’affirmer qu’il ne pouvait y avoir de solidarité parce que le Franchiseur était lié par contrat au Franchisé alors qu’Ivanhoé ne l’était pas.

[19]        Cette erreur n’est pas pour autant déterminante, car le Franchisé réclame à son Franchiseur des dommages pour lui avoir fait perdre une occasion de vendre alors qu'il réclame autre chose à Ivanhoé soit une réparation pour des troubles, inconvénients, perte de revenus et diminution de la valeur de l’entreprise.

[20]        Les débiteurs n’étant pas liés par un même objet et n’ayant pas contribué au même préjudice, on ne saurait parler en l’espèce d’obligation in solidum ou de solidarité imparfaite.

[21]        Tout compte fait, malgré l’erreur, le juge était néanmoins fondé d’affirmer que la quittance consentie en faveur de l’un n’avait pas d’effet libératoire pour l’autre.

1.2       L’article 1876 C.c.Q.

[22]        L’article 1876 C.c.Q. prévoit un recours direct en faveur du sous-locataire contre le locateur qui fait défaut de respecter ses obligations.

[23]        L’auteur Pierre-Gabriel Jobin souligne relativement à cette disposition[3] :

Le Code civil du Québec apporte un remède à ce problème. Il accorde au sous-locataire un recours direct contre le locateur pour exercer les droits du locataire (« pour les faire exécuter » « to have them performed »). On a vu plus haut que, si le sous-locataire est sans doute privé des recours en résiliation et en réduction du prix, en revanche il jouit de ceux en exécution forcée en nature par le locateur, en exécution par lui-même ou un tiers aux dépens du locateur, en dommages-intérêts et de la retenue du loyer.

[...]

L’effet relatif des contrats, cependant, n’empêche pas l’exercice de la responsabilité extracontractuelle, quand ses conditions sont réunies. Ainsi, quand le sous-locataire endommage le bien loué, il peut être tenu responsable directement, à l’égard du locateur principal, en vertu des articles 1457 ou 1465 du Code civil. De même, lorsque le locateur cause un préjudice au sous-locataire, il peut éventuellement en répondre en vertu des articles 1457, 1465 ou 1467. Mais ces recours sont loin de pouvoir résoudre tous les conflits entre ces deux parties.

                                                                                    [Nous soulignons]

[24]        Le recours du Franchisé (sous-locataire), qui remet en cause la responsabilité extracontractuelle d’Ivanhoé en vertu de l’article 1457 C.c.Q., n’est donc pas limité ou empêché par l’article 1876 C.c.Q.

2.         L’obligation de bonne foi

[25]        Même en l’absence d’une clause d’exclusivité, le locateur qui exerce ses droits est tenu de le faire en respectant son obligation de bonne foi conformément aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Le juge a conclu de l’ensemble de la preuve que cette obligation exigeait d’Ivanhoé qu’il informe le Franchisé de l’identité de l’occupant du kiosque, ce qui, toutefois, ne l’empêchait pas de louer cet emplacement à un concurrent.

[26]        Ivanhoé et le Franchisé proposent tous deux, mais pour des motifs différents, que ces constats du juge sont erronés. Ivanhoé soutient que la preuve ne permet pas de conclure à sa mauvaise foi. En raison du texte de l'article 2.3 du bail, le Franchisé soutient, contrairement au juge, que l'obligation de bonne foi emportait l'impossibilité pour Ivanhoé de louer le kiosque à l'un de ses concurrents.

[27]        Est-il besoin de rappeler la grande déférence qui est due aux inférences factuelles tirées par le juge d’instance, laquelle limite le pouvoir d’une cour d’appel de réévaluer la preuve aux seuls cas où il y a présence d’une erreur manifeste et déterminante?

[28]        En concluant qu’Ivanhoé avait, en l’espèce, manqué à son obligation de bonne foi, le juge énumère au paragraphe 79 de son jugement huit circonstances supportant sa position. L’état de la preuve justifie cette conclusion du juge.

[29]        L’argument du Franchisé voulant qu’Ivanhoé n’ait pas respecté la clause 2.3 du bail en ne le délocalisant pas dans un emplacement comparable doit également être écarté. Son propre expert a d’ailleurs affirmé que l’espace loué se comparaît avantageusement à celui qu’il occupait avant. Rappelons de surcroît que le Franchisé a lui-même choisi un emplacement beaucoup plus spacieux et mieux adapté à son entreprise que le kiosque.

[30]        Force est de conclure que ni Ivanhoé ni le Franchisé n’ont démontré une erreur manifeste et déterminante pouvant justifier l’intervention de la Cour.

3.         Le lien de causalité et les dommages

[31]        Le Franchisé propose que le juge a erré en concluant à l’absence d’un lien de causalité entre les représentations trompeuses et les pertes de l’entreprise. Selon lui, la preuve établit de façon prépondérante qu'il aurait refusé d’être délocalisé s’il avait été bien informé par Ivanhoé.

[32]        La norme d’intervention à cet égard est énoncée par la Cour dans Simard c. Larouche[4] :

[72]      La détermination du lien de causalité est une question de fait comme l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt St-Jean c. Mercier :

104            L’attribution d’une faute comporte l’application à un ensemble de faits des normes de comportement prescrites par des règles de droit. Cela en fait évidemment une question mixte de droit et de fait. Par contre, dans la détermination de la causalité, on examine si quelque chose s’est produit entre la faute et le préjudice subi qui puisse établir un lien entre les deux. Ce lien doit être juridiquement important au niveau de la preuve, mais il ne s’agit pas moins d’une question de fait.

[73]      Cela signifie que, à moins d’une erreur manifeste et dominante dans l’appréciation des faits, la Cour doit s’abstenir d’intervenir en pareille matière. De la même façon, le fait que la Cour aurait pu apprécier certains faits différemment n’est pas suffisant pour conclure à l’existence d’une telle erreur.

[33]        Au sujet du lien de causalité, le juge écrit[5] :

[137]    La perte de bénéfices et ultimement de la valeur de la Compagnie ont plusieurs causes. Le défaut du Locateur de se conformer à son obligation d'information fait-elle partie de celles-ci?

[138]    Au moment où le Franchisé accepte la proposition du Locateur (mars 2005), le bail dont il bénéficie indirectement se termine en 2010. En vertu de l'article 28.2 de la " schedule K " de ce bail, une fois que les parties s'entendent sur l'emplacement, le Locataire et par voie de conséquence, le sous-locataire, n'ont pas d'autres choix que d'emménager dans le nouvel emplacement, qu’ils soient ou non informés du futur compétiteur.

[139]    Si la Compagnie est informée de la présence de son futur compétiteur et accepte de déménager, elle subit les mêmes pertes que celles qu’elle réclame ici. Le défaut d’information serait donc sans lien avec les dommages.

[140]    Dans l’autre hypothèse où la Compagnie refuse de déménager, le Locateur peut mettre fin au bail. Dans ce cas, la valeur de l'entreprise, qui réside en grande partie dans l'existence et la durée du bail est anéantie. Seule la perte de bénéfices, intervenue entre 2005 et 2008 aurait possiblement pu être minimisée sans toutefois que la preuve n’établisse dans quelle proportion.

[141]    Le Tribunal ne peut présumer que la Compagnie aurait refusé de déménager. Les actionnaires avaient beaucoup à perdre en refusant de déménager et ne pouvaient connaître l’ampleur des pertes qu’ils subiraient ensuite. La décision qui semble s’imposer aujourd’hui, le refus de déménager, n’est évidente que parce que nous avons tous le bénéfice de la rétrospective.

[142]    Il est donc probable que le dommage soit survenu même si la Compagnie avait été adéquatement informée. Du moins, le Franchisé n'a pas prouvé le contraire et le fardeau de preuve l'obligeait à en faire une démonstration convaincante.

[34]        Cette conclusion trouve appui dans la preuve démontrant que les ventes du Franchisé étaient en constante diminution depuis 1995, soit bien avant la délocalisation de 2005, étant passées de 619 970 $ en 1995 à 417 962 $ en 2004 et à 376 000 $ en 2007. La preuve ne permet pas en l’espèce de distinguer la baisse annuelle récurrente ou celle résultant de la simple présence d’un nouveau concurrent de celle due à la position privilégiée qui aurait été accordée au nouveau joueur. C’est donc à bon droit que le juge a conclu à l’absence d’une preuve d’un lien causal suffisant.

4.         L’appel en garantie

[35]        Ivanhoé plaide que la faute génératrice de l’indemnisation des actionnaires du Franchisé est celle du Franchiseur qui a transmis les informations à son Franchisé et non la sienne. Le juge aurait ainsi eu tort de rejeter le recours en garantie.

[36]        La conclusion du juge selon laquelle Ivanhoé a manqué à son obligation de renseignement et de bonne foi est exempte d’erreur manifeste et déterminante. Le Franchiseur n’étant pas fautif et n’étant pas tenu dans ces circonstances à une obligation de garantie, le juge était justifié de rejeter le recours.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[37]        REJETTE, avec dépens dans chacun des cas, l’appel principal, l'appel incident et l’appel relatif au recours en garantie.

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

Me Andrew Hertzog

Hertzog & Associés

Pour les appelants

 

Me Stéphane Davignon

Clément, Davignon

Pour l’intimée appelante incidente et appelante en garantie

 

Me Éric Cadi (absent)

Irving Mitchell Kalichman

Pour la mise en cause intimée en garantie

 

Date d’audience :

12 décembre 2013

 

 



[1]     Prévost-Masson c. Trust général du Canada, [2001] 3 R.C.S. 882.

[2]     Fonds d’assurance professionnelle du Barreau du Québec c. Gariépy, 2005, QCCA 60, paragr. 18 à 21.

[3]     Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 79-81.

[4]     Simard c. Larouche, 2011 QCCA 911, paragr. 72-73.

[5]     2011 QCCS 5777, paragr. 137 à 142.

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